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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 3 février 2009

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 31

Présidence de M. Guy Teissier, Président

– Audition de M. Patrick Boissier, président-directeur général de DCNS, dans le cadre du projet de loi (n° 1216) relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014

Audition de M. Patrick Boissier, président-directeur général de DCNS, dans le cadre du projet de loi (n° 1216) relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014

La séance est ouverte à seize heures trente

M. le président Guy Teissier. Je suis heureux d’accueillir M. Patrick Boissier, nouveau président-directeur général de DCNS, pour une réunion centrée sur l’article 10 du projet de loi de programmation militaire.

Les syndicats de l’entreprise, que nous avons reçus la semaine dernière, nous ont fait part de leurs interrogations et de leurs craintes concernant le dispositif proposé qui tend à soumettre DCNS au droit commun des entreprises publiques afin de lui permettre de se développer et de nouer des partenariats, notamment européens.

Ils craignent d’une part que le dispositif ouvre la voie à la privatisation de l’entreprise, et d’autre part, qu’il ait un impact pour les salariés en termes d’effectifs ou de statut.

M. Patrick Boissier, président-directeur général de DCNS. Cette audition intervient quinze jours après mon arrivée à la tête de DCNS, ce qui pourra expliquer certaines imprécisions de ma part. Aujourd'hui encore, je n’ai pas une vision parfaitement claire de la stratégie de l’entreprise dans ses moindres détails. J’arrive sans autre mandat du conseil d’administration et des actionnaires, c'est-à-dire l’État et Thales, que d’en poursuivre le développement et sans idée préconçue ni sur l’entreprise ni sur la stratégie à y mener.

Ce que j’ai déjà pu constater, c’est que DCNS a connu au cours des dernières années des changements extrêmement profonds et rapides allant dans le bon sens, grâce à l’action de mon prédécesseur, Jean-Marie Poimbœuf, et à une équipe compétente et motivée sur laquelle je peux aujourd'hui m’appuyer. Aussi ne m’inscrirai-je pas dans une stratégie de rupture, mais plutôt de continuité d’évolution.

Faute de pouvoir parler de DCNS en détail, permettez-moi de préciser ma philosophie de l’entreprise industrielle en France aujourd'hui. Pour avoir fait toute ma carrière dans l’industrie, dont dix ans à la tête des Chantiers de l’Atlantique et, ces deux dernières années, dans l’industrie de services, chez Cegelec, je crois fermement à la nécessité d’une base industrielle forte pour la France ; il n’est pas question pour autant de tout faire nous-mêmes, mais nous ne devons pas devenir une société sans usine.

Maintenir et développer notre cœur de métier en France est en effet possible, sous certaines conditions : la compétitivité et la compétence des équipes, personne ne mettant en doute celle de DCNS. Des progrès ont déjà été accomplis en ce domaine et nous continuerons à en faire, mais la délocalisation de certaines activités n’est absolument pas inéluctable.

J’en viens à l’article 10 du projet de loi de programmation. DCNS est une entreprise qui est en constante évolution et qui a besoin de continuer à évoluer, en particulier pour se développer sur de nouveaux marchés. Ainsi, il est dans certains cas nécessaire de travailler avec des partenaires. Or si la loi actuelle permet de créer des sociétés par apport d’actifs dans lesquelles DCNS est majoritaire, elle ne permet pas la création d’une société par apport d’actifs dans laquelle DCNS serait minoritaire. Il faudra pourtant que DCNS accepte dans certains cas de ne pas être majoritaire soit parce qu’il y aura plus de deux partenaires soit parce que le partenaire sera plus fort dans le domaine en question.

J’ai bien conscience à cet égard que l’article 10 a suscité des inquiétudes auprès des représentants syndicaux et, peut-être, des élus, certains craignant que ce ne soit la porte ouverte à une privatisation de DCNS, à la perte de son unicité ou à son démantèlement, d’autres qu’elle ne remette en cause le statut des personnels.

S’agissant de la première inquiétude, ma vision n’est pas celle d’un démantèlement mais, bien au contraire, d’un renforcement de l’entreprise dans son cœur de métier, et c’est bien pourquoi nous avons besoin de l’article 10. Ne s’agit-il pas, après tout, de mettre DCNS dans la même situation que les autres entreprises nationales non privatisables ?

Un travail de communication est en tout cas à effectuer en interne. C’est pourquoi j’ai déjà rencontré les partenaires sociaux plusieurs fois et entrepris une tournée des différents sites où je tiens à chaque fois le même langage, à savoir que notre volonté est de développer DCNS, certainement pas de démanteler l’entreprise.

Concernant le statut des personnels, l’article 10 doit au contraire permettre de renforcer encore la protection des personnels mis à la disposition de l’entreprise. Aujourd'hui, lorsque l’on crée une filiale à participation minoritaire, c'est-à-dire sans apport d’actif, comme par exemple la joint-venture que nous projetons en Malaisie pour assurer le maintien en condition opérationnelle des sous-marins, DCNS ne peut pas y envoyer l’un de ses personnels mis à la disposition, sauf à ce qu’il renonce à son statut. Demain, la loi le permettra.

La nécessité qu’une loi ad hoc soit votée à chaque création de filiale est rédhibitoire pour tout partenaire ! Il en va de même du transfert des personnels : on ne peut s’en remettre au seul volontariat lorsque l’on crée avec un partenaire une société dont l’activité doit s’exercer avec des personnels conservant le même métier sur le même site qu’auparavant ! Il faut, dans ce cas, prévoir un transfert automatique, sans changement bien sûr de statut.

De façon à lever toute crainte, il semble en revanche nécessaire d’introduire, au moins dans le décret d’application, la possibilité d’un droit au retour pour ces personnels, non pas ad vitam, mais après une certaine période, sachant que toute réintégration dans DCNS n’impliquerait pas forcément d’y effectuer le même métier au même endroit, même si bien entendu le statut des personnels mis à disposition est conservé.

L’article 10, tel qu’il est rédigé, présente certaines lacunes. Aujourd'hui, lorsque nous créons une filiale majoritaire, nous pouvons transférer le personnel. S’il en ira de même demain dans le cas de création d’une filiale minoritaire, la possibilité ne nous sera cependant pas donnée d’y transférer, même s’ils sont volontaires, de nouveaux personnels dans le cas où la société se développerait. Il serait souhaitable qu’un amendement permette un tel transfert, sur la base du volontariat bien entendu.

M. le président Guy Teissier. À cette remarque près, l’article 10 du projet de loi de programmation militaire vous semble-t-il, dans sa rédaction actuelle, répondre de manière satisfaisante aux besoins de DCNS concernant le transfert de ses personnels vers les filiales ?

Comment comptez-vous rassurer les personnels de DCNS en matière de mobilité géographique en cas de transfert à une filiale ?

Qu’en est-il enfin de la filialisation éventuelle du cœur de métier de DCNS ?

M. Patrick Boissier. L’article 10 répond à nos besoins, à l’exception, je le répète, du problème du transfert d’un personnel volontaire tout au long de la vie de la filiale.

Par ailleurs, nous ne souhaitons pas l’introduction d’une clause de volontariat lors de la création d’une filiale si celle-ci n’implique ni changement géographique ni changement de métier, car cela obligerait à interroger chaque personnel avant toute création de société. En revanche, pour un transfert qui entraînerait une mobilité géographique, l’article 10 ne change rien aux dispositions actuelles : déplacer quelqu'un qui a le statut d’ouvrier resterait dans ce cas impossible s’il n’est pas volontaire.

Toujours pour répondre aux inquiétudes, j’ai proposé le droit au retour pendant une certaine période. S’il ne faut pas laisser la place au volontariat dans le cas de création d’une société minoritaire, les personnels transférés, qui continueront à exercer le même métier, au même endroit et sous la même hiérarchie, à l’exception de l’actionnaire, doivent savoir que, pendant une période qu’il faudra définir, ils pourront toujours demander leur réintégration au sein de DCNS, mais bien évidemment ni au sein de la même équipe ni forcément dans le même lieu géographique.

Enfin, pour ce qui est de la filialisation des activités essentielles, le Conseil d’État a bien précisé dans plusieurs jugements l’impossibilité de transférer à une filiale minoritaire une telle activité. Je ne verrais d’ailleurs pas d’inconvénient à ce que soit précisé ce que l’on entend par « actif essentiel ». Il pourrait être défini comme l’actif en l’absence duquel l’industriel perd la maîtrise de son cœur de métier.

M. Yves Fromion, rapporteur. Vous vous êtes déclaré prêt à un assouplissement s’agissant du retour au sein de DCNS de personnels qui ne seraient pas satisfaits de leur transfert. Pendant quelle durée pourraient-ils exercer cette possibilité ? Une telle disposition devrait-elle selon vous relever d’un amendement ou du décret d’application ?

M. Patrick Boissier. Faute d’être juriste, je laisserai les spécialistes répondre à cette dernière question. Quant au délai lui-même, ce qu’il faut surtout c’est rassurer les personnels, car tout changement suscite de l’inquiétude. Aussi nous faut-il être des réducteurs d’inquiétude en précisant aux personnels concernés que s’ils changent de société, non seulement ils garderont le même métier et leur lieu de travail, mais ils pourraient obtenir leur réintégration jusqu’à trois ans maximum après leur transfert.

M. Yves Fromion, rapporteur. Lorsqu’une entreprise du secteur concurrentiel envisage la création d’une filiale minoritaire à l’étranger, quelle législation sociale s’applique aux personnels transférés ?

M. Patrick Boissier. Il faut d’abord rappeler que l’on n’envoie pas à l’étranger quelqu’un qui n’est pas volontaire.

Lorsque DCNS crée une filiale minoritaire avec un partenaire, elle apporte une activité qu’elle exerçait avec du personnel dédié dans un lieu donné. Ni le travail ni la localisation de ce personnel ne sont modifiés. Il s’agit au maximum d’un regroupement d’activité sur le même site ou deux sites très proches, comme peuvent l’être par exemple Cherbourg et Flamanville.

Dans le cas d’une entreprise privée, le transfert d’une activité implique, conformément à l’ancien article L. 122-12 du code du travail, celui de tous les contrats de travail. Pour autant, c’est en tout cas ce que j’ai pratiqué dans certaines entreprises, le droit au retour est souvent accordé, bien que dans la pratique il ne soit jamais exercé. Les gens sont en effet très contents de travailler là où ils sont, mais au moins une telle possibilité rassure.

M. Yves Fromion, rapporteur. L’article 10 n’est donc pas exorbitant du droit commun.

M. Jean Michel. C’est à se demander s’il y a encore du risque dans notre société, à prévoir toujours ceinture et bretelles ! Cela me rappelle cette société d’économie mixte où les personnels sous statut de la fonction publique territoriale détachés non seulement conservent tous leurs avantages, mais bénéficient également du treizième mois et des accords de participation des personnels de la société privée. Tout cela pour dire qu’il faut relativiser les choses.

J’ai bien compris que si vous vous situiez plus dans la continuité que dans la rupture, vous recherchiez aussi des partenaires et des alliances. Dans ces conditions, votre nomination ne répond-elle pas à un souci de Meccano industriel voulu par le Gouvernement voire au plus haut sommet de l’État, au même titre que pour Dassault, Thales ou Safran ? Allez-vous former une grande société avec d’autres partenaires au niveau européen ?

Mme Patricia Adam. Qu’il me soit d’abord permis de rassurer mes collègues : le Clemenceau a bien appareillé ce matin !

Des reconfigurations se profilant à un horizon plus ou moins éloigné aussi bien dans le domaine naval que dans d’autres, ainsi que le soulignait M. Jean Michel, quelle est votre stratégie industrielle sur ce point ? Cette question intéresse d’ailleurs les salariés qui ont aussi besoin de se projeter dans l’avenir.

De même, quelle est votre stratégie concernant nos territoires ? Je pense aux possibles conséquences pour tous les industriels qui vous sont liés, qu’il s’agisse de Thales ou de toutes les petites entreprises de pointe, en particulier à Brest et à Toulon. Ces territoires accueillent en effet des pôles de compétitivité qui résistent bien dans le contexte actuel et pour lesquels les collectivités et l’État accordent beaucoup d’argent.

M. Patrick Boissier. Si la présence d’une ceinture et de bretelles donne aux personnels le sentiment d’une certaine sécurité, il ne faut pas s’en priver, en particulier dans les difficiles moments que nous traversons !

Pour autant, on ne peut accorder à la fois la protection du statut public et les avantages du secteur privé. C’est pourquoi je suis opposé à la proposition avancée par un syndicat de donner aux salariés sous statut le bénéfice de la participation. Il faut laisser cette différence aux salariés sous convention collective qui ne disposent pas de la sécurité de l’emploi.

Pour ce qui est de la stratégie de DCNS, je ne connais pas suffisamment l’entreprise pour faire part aujourd'hui des inflexions qu’il conviendrait d’apporter, s’il doit y en avoir. J’ai la conviction, ainsi que je l’ai souligné, que beaucoup a déjà été fait par une équipe compétente et que, si des questions fondamentales se posent, aucune ne présente un degré d’urgence tel que je doive prendre des décisions dans la précipitation. J’estime disposer de quelques mois pour étudier tous les problèmes de l’entreprise, pour bien la connaître et pour définir une stratégie en toute connaissance de cause.

Il est cependant des constantes : dans un monde qui change, DCNS ne peut rester une entreprise purement française uniquement dédiée à satisfaire le marché national. Il nous faut développer notre capacité à exporter, ce qui implique, encore une fois, de disposer de bons produits et d’être compétitifs, mais également de nouer des alliances européennes. Sur ce point, je ne saurais me prononcer aujourd’hui, TKMS en Allemagne, Navantia en Espagne, Finmeccanica en Italie et BAE au Royaume-Uni pouvant être des candidats dans tel ou tel domaine.

Quant à la stratégie concernant nos territoires, je suis conscient que DCNS y occupe une place fondamentale sur les plans politique, social et économique. Des villes comme Cherbourg, Brest, Toulon, Lorient, où l’on compte parfois quatre siècles d’implantation, ne seraient pas ce qu’elles sont si DCNS n’avait pas existé.

Je ne puis préciser quelle sera notre stratégie et donc quel territoire sera développé demain plutôt que tel autre, mais, en tout état de cause, ma philosophie de l’entreprise est que celle-ci a un devoir vis-à-vis de l’environnement dans lequel elle évolue, en particulier de tout le tissu de PME locales. Une société comme DCNS ne peut agir seule : elle est au centre d’une nébuleuse, ce que j’appelle l’entreprise élargie, qui comprend, outre l’entreprise elle-même, tout son tissu de fournisseurs et de sous-traitants, terme auquel je préfère celui de coréalisateurs.

Je crois par ailleurs à l’importance des pôles de compétitivité dans lesquels, ainsi que cela a été rappelé, DCNS est impliquée ; j’ai moi-même été le premier président du pôle EMC2 dans les pays de la Loire.

Faute de pouvoir vous donner des orientations plus précises, je suis prêt à revenir devant votre commission ou à vous rencontrer d’ici quelques mois, dès que notre stratégie aura été établie.

M. Michel Grall. Quels sont les plans de charge des différents sites industriels dans les prochaines années ?

DCNS a-t-elle toujours la volonté de se développer dans des activités autres que l’intégration de systèmes dans le domaine naval ?

M. Jean-Claude Viollet. Les organisations syndicales que nous avons rencontrées ont fait état de leurs inquiétudes concernant les perspectives de l’entreprise et sa politique sociale.

DCNS est un ensemblier intégrateur, c'est-à-dire qu’elle est à la fois architecte naval, constructeur, gestionnaire de maintenance et prestataire de services. Ce caractère lui sera-t-il conservé, y compris pour participer demain à une construction navale européenne ? Le meccano industriel en cours, concernant aussi bien Thales que Dassault Aviation, ne va-t-il pas modifier la place de DCNS en tant qu’ensemblier intégrateur ? À cet égard, est-il possible de dresser la liste des activités essentielles dont vous avez parlé ?

Sur le plan social, le droit d’option est une possibilité que les personnels d’État transférés ont eue au moment de la décentralisation à l’issue d’un délai de réflexion nécessaire. Je rappelle également que la loi de 2004 avait accordé l’exercice des droits sociaux par les salariés, où que soient ces derniers, en matière d’élections des délégués du personnel ou de leurs représentants au comité d'entreprise et au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Si les outils du dialogue existent, on pourra ainsi se passer à la fois de ceinture et de bretelles, le costume étant taillé sur mesure !

Reste la question lancinante de la participation aux résultats de l’entreprise. J’ai le sentiment que le débat ne doit pas être complètement fermé sur ce point aujourd'hui.

M. Patrick Boissier. Concernant le plan de charge, l’entreprise présente l’avantage de travailler sur des programmes à long terme, caractéristique que ne peut que renforcer la LPM. Qu’il s’agisse des FREMM, des Barracuda ou d’autres matériels, les programmes de la marine nationale assurent un matelas de charges à nos différents établissements. Pour autant, ce n’est pas suffisant et nous avons besoin de l’export. À ce titre, il appartient de finaliser l’important programme que DCNS a remporté au Brésil ou encore de répondre aux futurs appels d’offre de la Grèce, qui envisage d’acquérir des FREMM.

J’ai donc tendance à répondre par l’affirmative à la question du développement d’autres activités. Je n’en sais pas assez aujourd'hui pour préciser lesquelles, mais chaque fois que les positions acquises nous permettent de disposer d’un avantage compétitif dans un domaine connexe, il faut que l’entreprise l’utilise, sans non plus se lancer dans la diversification, c'est-à-dire faire carrément autre chose. Tout ce qui peut permettre de développer des synergies avec des activités existantes est bon tant pour le développement de DCNS que pour le renforcement de ses activités.

Quant aux inquiétudes des organisations syndicales concernant les perspectives de l’activité, les deux termes de la notion d’ensemblier intégrateur sont fondamentaux. Nous ne pouvons être seulement un ensemblier, c'est-à-dire une entreprise qui maîtrise uniquement la conception et la réalisation de l’ensemble complexe qu’est un navire de surface ou un sous-marin. J’en avais d’ailleurs déjà acquis la conviction dans le domaine civil, aux Chantiers de l’Atlantique. Certains exercent le métier d’ensemblier, mais ils sont tout petits et finissent par se faire absorber par les ensembliers intégrateurs. Il ne s’agit pas pour autant de tout faire, mais de maîtriser l’essentiel, ce que, encore une fois, nous pouvons faire de manière compétitive en France.

Pour ce qui est du meccano industriel, je récuse l’idée que quelqu’un pourrait jouer avec des pièces pour les assembler comme il en a envie. Je préfère parler de recomposition, en faisant en sorte que l’évolution, qui est permanente, s’opère dans l’intérêt de DCNS et de ses personnels.

Quant à lister les activités essentielles, cela reviendrait à les figer. Si des activités sont essentielles aujourd'hui, je ne suis pas sûr qu’elles le soient tout autant dans dix ou vingt ans. D’autres qui ne le sont pas aujourd’hui peuvent le devenir demain.

S’agissant, enfin, des droits sociaux, je ne vois pas d’opposition au fait que les personnels puissent participer aux outils du dialogue. Quant à la participation, j’ai déjà exprimé mon point de vue sur ce point.

M. Philippe Vitel. Les organisations syndicales que nous avons reçues voilà quinze jours ne nous ont pas demandé d’amender l’article 10, mais de le supprimer, soutenues en cela par nos collègues députés de l’opposition. Dans le difficile contexte social d’aujourd'hui et à un mois de discuter le texte dans l’hémicycle, comment jugez-vous le climat actuel dans votre société ? J’ai pu juger par moi-même à Toulon, le 29 janvier dernier, du nombre important de personnels de DCNS dans le défilé.

Mme Marguerite Lamour. L’article 10 ne présente que des points positifs : il permet d’aligner l’entreprise sur le régime commun des entreprises nationales, de faciliter des actions à l’export et de maintenir le statut des personnels.

Dans ces conditions, la confiance a-t-elle pu être un peu restaurée et les organisations syndicales ont-t-elles dépassé le stade de la demande pure et simple de suppression de l’article 10 ?

M. Patrick Boissier. Certaines organisations syndicales refusent même de parler de l’article 10 au prétexte que l’on ne discute pas de quelque chose que l’on veut supprimer, mais je ne peux que rappeler tout son intérêt tant pour l’entreprise que pour son personnel. Cependant, tout changement suscite des inquiétudes qu’il convient de lever par le dialogue.

S’il est un peu tôt pour savoir si le climat social a changé depuis le mois de décembre, j’ai pour ma part dialogué dès le premier jour avec les organisations syndicales, soit de façon individuelle, soit de façon collective au sein des comités centraux. Et j’ai eu l’impression que les explications que je donnais étaient entendues, voire comprises.

Je ne pense pas pour autant que cela suffise à lever toutes les inquiétudes, et vous continuerez à compter des personnels de DCNS dans les défilés qui passeront sous vos fenêtres, mais je crois que l’on peut arriver à instaurer un dialogue dans l’entreprise en tenant un langage de vérité. On ne fait pas une stratégie qui est forcément de changement dans un monde qui bouge contre et sans le personnel. Il faut prendre du temps pour expliquer la stratégie avant de passer à sa mise en œuvre.

M. Bernard Cazeneuve. Les difficultés rencontrées au sein de l’entreprise résultent d’une part de l’insuffisance des négociations préalables à l’insertion de l’article 10 dans la LPM – ce qui a entraîné un climat de suspicion – et d’autre part de la présentation de chacune des lois modifiant le statut de DCNS comme étant un solde de tout compte. Cette nouvelle loi est-elle également pour vous un solde de tout compte, ou va-t-on continuer à ouvrir le capital et à immerger en profondeur DCNS dans le marché ? Les rapprochements européens dans la navale ont pourtant donné des résultats pour le moins contrastés, à l’exemple de Navantia par l’intermédiaire de laquelle les Espagnols vendent nos propres sous-marins.

Selon le modèle présenté par le Président de la République, les 54 000 suppressions d’emplois dans la défense permettront de financer des investissements et de disposer ainsi d’une armée plus svelte, plus facilement projetable et mieux équipée. Cela suppose qu’en aval de ce modèle, le coût des équipements financés dans le cadre de la prochaine LPM soit juste. À cet égard, avez-vous reçu l’assurance, dans vos négociations avec la délégation générale pour l’armement, que le financement des programmes de DCNS s’inscrit bien dans le cadre financier prévu par le ministère ?

M. Patrick Boissier. Je ne ferai aucun commentaire concernant les négociations passées. Je le répète, il faut dialoguer si l’on veut apporter du changement. L’article 10 étant à mon avis nécessaire pour l’évolution de DCNS, il faut donc expliquer qu’il n’est pas fait pour démanteler l’entreprise ou pour la privatiser, mais pour lui permettre, comme elle en a besoin, de continuer à évoluer.

La loi est-elle à cet égard un solde de tout compte ? On ne peut savoir quelle sera la situation de DCNS dans cinq ans. Peut-être nécessitera-t-elle de revenir devant votre commission pour parler d’une nouvelle évolution. Ce n'est donc pas un solde de tout compte : c’est ce dont nous avons besoin aujourd'hui pour faire face à la nécessaire évolution de DCNS.

La construction navale en Europe est appelée à évoluer. DCNS ne peut rester seule dans son coin, mais notre objectif est de faire en sorte que l’entreprise prenne une place majeure dans la recomposition à venir, sachant que grâce à la compétence de nos personnels, à nos implantations et à nos équipements nous pouvons sans doute faire beaucoup mieux que nos concurrents dans certains domaines, même s’il faut bien reconnaître que dans d’autres secteurs nous avons des faiblesses. Quoi qu’il en soit, nous ne renforcerons certainement pas DCNS en nous isolant, mais en nouant des alliances avec des partenaires qui nous permettront de fortifier nos positions. Une fois encore, je ne sais pas aujourd’hui vous dire comment et quand, car j’ai besoin d’un peu de temps.

Vous avez fait allusion à Navantia. Nous avons tout intérêt à collaborer avec d’autres acteurs quand ceux-ci veulent se doter d’une compétence qu’ils peuvent acquérir sur le marché, car c’est le moyen d’en tirer des fruits et de générer de l’activité. Cela exige toutefois de garder un coup d’avance, car on ne donne pas sa dernière technologie, et il ne faut jamais transférer son cœur de métier.

Mieux vaut en tout cas être celui qui conduit le transfert de compétences, tout en fixant à son partenaire des limites de non-concurrence dans certains domaines, que de subir un transfert de compétences effectué par un autre. Si ce n’est pas nous qui avions conclu avec Navantia, nous aurions de toute façon eu un concurrent, sans tirer aucun bénéfice de la coopération en question. Cela étant, je suis d’accord avec vous : Navantia ne se comporte pas toujours comme il le faut et nous nous employons à faire valoir nos droits.

Concernant les négociations du coût des équipements avec la DGA, il nous revient, pour chaque équipement négocié avec l’État, de passer un contrat qui permette de couvrir nos coûts et de dégager une marge normale, sachant que sur des périodes aussi longues que celle d’une loi de programmation militaire, les progrès que DCNS enregistrera devront en partie bénéficier au client. Aujourd'hui en tout cas, les conditions de la négociation avec notre client étatique sont à peu près correctes.

M. le président Guy Teissier. Afin de lever un doute par rapport aux opérations de coopération, quel bénéfice l’entreprise tire-t-elle en termes financiers de la cession d’une part de sa technologie ? Je fais ici allusion au Scorpène.

M. Patrick Boissier. Ce sous-marin, développé et fabriqué en coopération avec Navantia, a été vendu à la Malaisie, au Chili et à l’Inde et nous espérons qu’il le sera demain au Brésil. C’est déjà une retombée extrêmement positive. Peut-être aurait-on pu faire le Scorpène sans les Espagnols, mais je ne sais pas récrire l’histoire.

M. Yves Fromion, rapporteur. Les contrats doivent en tout cas être bien écrits.

M. Patrick Boissier. Je suis très sensibilisé à cet aspect du problème.

M. le président Guy Teissier. Je vous remercie pour toutes ces informations.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.

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