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La séance est ouverte à dix heures.
Examen du rapport sur la proposition de résolution (n° 1098) de M. Jean-Jacques Candelier tendant à créer une commission d’enquête sur les circonstances de l’embuscade survenue le 18 août 2008 en Afghanistan (M. Christophe Guilloteau, rapporteur)
M. le président Guy Teissier. M. Christophe Guilloteau, qui a effectué avec moi un déplacement en Afghanistan tout de suite après les événements dramatiques d’août dernier, va nous livrer ses réflexions sur la proposition de résolution de notre collègue M. Jean-Jacques Candelier.
Déposée le 25 août dernier, celle-ci tend à créer une commission d’enquête sur les circonstances de l’embuscade survenue le 18 août 2008. Il appartient à notre commission, conformément à l’article 140 du Règlement, de se prononcer sur cette proposition, après en avoir examiné la recevabilité et l’opportunité.
M. Christophe Guilloteau, rapporteur. L’embuscade survenue les 18 et 19 août 2008 dans la vallée d’Ouzbine en Afghanistan a soulevé une grande émotion dans notre pays. Les troupes françaises détachées sur place y ont perdu dix hommes : huit appartenaient au 8e régiment parachutiste d’infanterie de marine, un au régiment de marche du Tchad et un au 2e régiment étranger parachutiste.
À la suite de ce drame, notre collègue Jean-Jacques Candelier a déposé le 25 août une résolution tendant à la création d’une commission d’enquête, visant « à faire toute la lumière sur les circonstances de l’embuscade survenue le 18 août 2008 en Afghanistan ».
L’article 6 de l’ordonnance n°58-110 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 140 et 141 du Règlement de l’Assemblée nationale imposent que cette proposition porte sur un fait déterminé, n’ayant pas donné lieu à des poursuites judiciaires. La proposition de Jean-Jacques Candelier répond à ces deux exigences. Elle est donc recevable.
La commission doit encore se prononcer sur l’opportunité de créer cette commission d’enquête. La démarche de notre collègue traduit une exigence de clarté, qui était particulièrement forte une semaine après l’embuscade. Certains ont considéré que le Gouvernement et l’état-major avaient mis un peu de temps à fournir des éléments précis sur ce sujet alimentant ainsi les spéculations : la presse a rapporté des erreurs de commandement, des insuffisances en effectifs ou matérielles, ou encore des faiblesses dans la préparation de nos troupes. Il était important que notre commission réponde à ces interrogations. Elle a pu le faire à de nombreuses reprises.
À l’occasion de la convocation du Président de l’Assemblée nationale des commissions de la défense et des affaires étrangères, leurs membres ont pu auditionner, le 26 août dernier, MM. Bernard Kouchner et Hervé Morin.
Le président Guy Tessier a conduit en Afghanistan une délégation du 31 août au 2 septembre 2008, soit moins de deux semaines après l’événement, et six jours seulement après le dépôt de cette proposition. Cette délégation comprenait trois membres de la commission de la défense, dont votre rapporteur, et trois de celle des affaires étrangères. Nous avons rencontré directement les soldats du 8e RPIMa, les plus durement touchés par cette embuscade, ainsi que ceux du 1er régiment de marche du Tchad. Ce déplacement nous a permis d’analyser sur place les enjeux de notre engagement dans ce pays et d’étudier précisément les circonstances du drame. Un compte rendu écrit a été mis à la disposition des membres de la commission le 30 septembre et il faut observer qu’à la suite de cette mission, les recommandations que le président Guy Teissier avait faites sur la nécessité d’envoyer certains matériels sur place ont été suivies par le Gouvernement. Le Premier ministre a reçu l’ensemble de la délégation.
Dans cette dynamique, la commission a organisé plusieurs auditions portant sur la situation en Afghanistan et plus particulièrement sur l’embuscade, dont celle du chef d’état-major des armées, le général Jean-Louis Georgelin.
Compte tenu de l’importance des enjeux afghans révélée par cet événement, la commission a, en outre, nommé MM. François Lamy et Pierre Lellouche rapporteurs d’une mission d’information sur l’évaluation des opérations militaires françaises en Afghanistan. Ils ont présenté un premier bilan d’étape le 29 octobre, au cours duquel ils ont livré leurs analyses sur l’embuscade d’Ouzbine et répondu à nos interrogations. La mission est en ce moment même dans le pays et nous fera un nouveau bilan prochainement.
Enfin, en application des nouvelles dispositions du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, l’ensemble de la représentation nationale s’est prononcé le 22 septembre dernier sur la prolongation de l’opération extérieure française en Afghanistan.
Les éléments dont nous disposons sur l’embuscade des 18 et 19 août 2008 et, plus généralement, sur notre engagement en Afghanistan sont très diversifiés et complexes. Ils révèlent le travail de fond qui a été mené et qui l’est encore par notre commission pour l’analyse de cet événement et l’information de la représentation nationale.
Dès lors, la proposition de résolution présentée par notre collègue Jean-Jacques Candelier ne semble pas opportune. Au moment de son dépôt, elle visait bien à répondre à nos interrogations communes ; mais créer aujourd’hui une commission d’enquête supplémentaire sur cette question reviendrait à concurrencer des travaux plus larges encore, qui ont déjà été effectués ou sont toujours en cours.
En conclusion, compte tenu de ces observations, je demande à la commission de rejeter la proposition de résolution n°1098.
M. Yves Fromion. Je veux apporter mon soutien à la position du rapporteur : plusieurs mois après ce tragique événement, la création d’une commission d’enquête serait incomprise tant par l’opinion publique que par les familles des victimes ou les militaires et pourrait laisser croire que certains éléments ont été dissimulés. En outre, cette proposition risquerait de déstabiliser les forces actuellement déployées en relançant le débat sur les raisons de leur participation à cette opération. Il appartient au Parlement de s’interroger sur un tel drame, mais il me semble que les réunions organisées dès la fin du mois d’août avec les ministres concernés nous ont permis de poser toutes les questions nécessaires. Il m’apparaît donc politiquement et militairement inopportun de créer une commission d’enquête à ce sujet, même si nous devons veiller au respect des engagements pris au mois d’août, notamment en ce qui concerne l’envoi de renforts.
Par ailleurs, je souhaiterais que les conclusions des enquêtes de commandement, dont il a été fait état à plusieurs reprises, puissent être présentées devant notre commission, sans publicité si nécessaire.
M. le président Guy Teissier. La mission est actuellement en Afghanistan et doit se rendre dans la vallée d’Ouzbine. En ce qui concerne les enquêtes de commandement, les deux rapporteurs en ont demandé les comptes rendus et devraient pouvoir en faire état prochainement.
M. Christophe Guilloteau, rapporteur. La création d’une commission d’enquête est une procédure particulièrement lourde qui ne permettrait sans doute pas d’apporter d’éléments nouveaux et ne serait bonne ni pour les familles, ni pour les armées, ni pour la position internationale de la France. Je tiens à souligner que lors de notre déplacement en Afghanistan, nous avons pu interroger toutes les personnes que nous souhaitions et aller partout où nous le voulions. Cet effort de transparence doit être porté à l’actif des armées. Il me semble qu’il faut désormais laisser la mission d’information travailler sereinement, sans multiplier les initiatives sur ce sujet.
Mme Françoise Olivier-Coupeau. J’ai participé au déplacement en Afghanistan et je tiens à rappeler que la délégation comprenait des représentants de l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée nationale. Sur place, nous avons pu rencontrer, en dehors de toute contrainte, tous les personnels qui nous ont fait part de leur lassitude devant l’exagération médiatique des événements. Sans minimiser ce qui s’est passé, ils nous ont rappelé qu’ils agissaient en professionnels et que la mort fait partie intégrante des risques de leur métier. Au final, je suis revenue avec des réponses assez précises à mes questions et avec le sentiment qu’il fallait arrêter le battage médiatique sur cette question. J’indique d’ailleurs que j’étais défavorable à ce que les familles puissent se rendre sur place, d’autant qu’elles n’ont pas pu aller dans la vallée d’Ouzbine et s’en sont trouvées frustrées. Cette affaire invite en outre à s’interroger sur la façon dont les insurgés ont perçu cette attitude.
Comme l’a déclaré le général Michel Stollsteiner, les armées travaillent activement à tirer tous les enseignements de ce drame. Il me semble inutile de remettre sous les feux de la rampe ce qui s’est passé au mois d’août, d’autant que cela pourrait constituer un signal d’inquiétude que les talibans ne manqueraient pas d’exploiter à leur profit.
Au vu de ces éléments, il ne me semble donc pas opportun de créer une commission d’enquête aujourd’hui.
M. Jean-Jacques Candelier. Je suis quelque peu déçu par les propos du rapporteur qui ne répond pas complètement aux questions que pose ma proposition de résolution. Je crois avoir pris mes responsabilités en déposant dès le 25 août cette proposition de résolution. Même si les travaux conduits depuis ont permis de répondre à plusieurs questions, des incertitudes demeurent. Le Président de la République s’étant engagé à ce que toute la transparence soit faite sur ce tragique événement, il me semble utile de lever toutes les zones d’ombre. Je considère qu’il y a eu des erreurs de commandement, comme cela a d’ailleurs été le cas à Carcassonne au mois de juillet dernier. En l’espèce, il convient de savoir qui a informé les talibans de notre présence dans cette vallée et quels ont été les moyens déployés. Je rappelle d’ailleurs que l’interprète des forces françaises a disparu. De même, pourquoi les hélicoptères ont-ils mis autant de temps à intervenir ? La question se pose également pour les renforts en personnels, en munitions et en équipements. Ces interrogations sont lourdes et demandent des réponses précises et circonstanciées.
M. le président Guy Teissier. Il n’est pas possible de mettre sur le même pied les incidents de Carcassonne, qui relèvent de négligences graves, et l’embuscade dans la vallée d’Ouzbine, qui s’inscrit dans un contexte de guerre. Il serait illusoire de croire que nous pouvons engager nos troupes dans des opérations aussi complexes et dangereuses sans que les soldats ne risquent d’être tués. La surprise stratégique fait partie du métier de militaire, même si bien évidemment, il ne faut pas exposer inutilement nos hommes.
Quant aux hélicoptères, les pilotes déployés nous ont expliqué avoir opéré en continu pendant toute la durée de l’embuscade pour apporter des renforts ou pour évacuer les blessés et les morts. Pour autant, j’avais alerté le Gouvernement sur la faiblesse de nos moyens aériens et je constate que les renforts déployés répondent en partie à cette préoccupation.
En ce qui concerne le travail de fond que vous appelez de vos vœux, je tiens à souligner que c’est l’objet même de la mission d’information qui a été créée. Conscient de l’importance de ces enjeux, j’ai souhaité qu’elle prenne le temps d’examiner tous les aspects du problème et les rapporteurs ont donc un an pour rendre le rapport qui ne sera présenté qu’en septembre prochain. C’est la deuxième fois que la mission se rend en Afghanistan et je suis certain que les rapporteurs nous apporteront au final des informations très précises. Votre demande me semble donc aujourd’hui superfétatoire.
M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Le lieu de l’embuscade se situe à 45 minutes de vol de la base des hélicoptères français. Même s’ils ont été mobilisés dès le début de l’attaque, il leur a fallu un temps minimum pour atteindre la vallée d’Ouzbine. Leur appui a été indiscutable : les militaires français ont résisté à une attaque qui a débuté à 16 heures et s’est terminée à 9 heures le lendemain matin, ce qui aurait été impossible sans le ravitaillement de munitions assuré par les hélicoptères. En ce qui concerne les autres renforts, dès l’alerte donnée, des forces ont été engagées et ont rejoint la zone de combat dans les meilleurs délais.
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Je crois que les questions posées par M. Jean-Jacques Candelier sont légitimes. En ce qui concerne l’interprète, il ne faut pas se voiler la face : les soutiens locaux peuvent parfaitement passer à l’ennemi. Sur la question des hélicoptères, je reste très marquée par le fait que nos appareils, mobilisés pour assurer une éventuelle extraction du président Karzaï, n’ont pas pu décoller aussi vite que possible. Plus préoccupante est l’absence de soutien de nos alliés américains qui n’ont pas pu, ou pas voulu, intervenir pour appuyer nos forces. Toute la lumière doit être faite sur cette question.
M. le président Guy Teissier. Je crois que ce tragique événement nous montre bien les limites de la mutualisation des forces. C’est pour cela que j’ai souhaité que les militaires français disposent de moyens propres supplémentaires.
M. Jean-Jacques Candelier. Je m’interroge beaucoup sur la réaction de nos alliés américains, la presse se faisant écho de leur passivité lorsque nos troupes se sont trouvées en difficulté.
M. le président Guy Teissier. Je crois que les forces américaines et les forces françaises travaillent en parfaite concertation et s’appuient mutuellement autant que de besoin. Lors de notre visite en Afghanistan, les pilotes de l’aéronavale revenaient d’ailleurs d’une mission de soutien des forces américaines. Je rappelle aussi que les rapporteurs ont déjà abordé ce point lors de leur dernier rapport d’étape.
Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution.
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Présentation du premier rapport d’étape de la mission d’information sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la défense (MM. Bernard Cazeneuve et François Cornut-Gentille, rapporteurs)
M. François Cornut-Gentille, rapporteur. Avant de détailler le contenu de notre rapport, je tiens à rappeler que notre mission traite de l’ensemble des questions liées à la réforme du ministère de la défense. Vu l’ampleur du sujet, nous avons souhaité inscrire notre travail dans la durée et procéder par étapes successives. Nous ne partageons pas la même opinion sur la réforme, Bernard Cazeneuve la contestant dans ses principes tandis que je la soutiens, mais nous nous accordons sur une méthode de contrôle objective et factuelle. Ce pragmatisme convient parfaitement à une telle mission de contrôle, au cœur des nouvelles prérogatives du Parlement.
Notre rapport revient tout d’abord sur le contexte spécifique de la réforme qui vient après la publication des recommandations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et de la révision générale des politiques publiques et qui prend en compte le bilan de la précédente loi de programmation militaire. L’objectif de la réforme est clair : il s’agit de supprimer 54 000 postes pour dégager des économies sur les crédits de personnel et de fonctionnement, les gains réalisés étant totalement réinvestis dans les dépenses d’équipement.
Nous avons identifié plusieurs éléments d’incertitude qu’il convient de préciser, notamment le calendrier ou la manœuvre des ressources humaines sur laquelle je reviendrai. Nous nous sommes également intéressés au périmètre budgétaire de la réforme ainsi qu’à son équilibre financier. Nous avons aussi examiné l’ensemble des mesures d’accompagnement social et territorial, puis nous avons détaillé les premières mises en œuvre de la réforme dans chaque service ou armée, y compris la délégation générale pour l’armement, le service de santé des armées, le service des essences des armées ou la gendarmerie.
Trois axes de travail vont structurer nos travaux à venir : le caractère incertain du pilotage de la réorganisation, les modifications de l’administration centrale et les éventuelles conséquences industrielles des restructurations.
Au vu de ces éléments, nous faisons trois grandes recommandations. Avant tout, il est indispensable que la réforme soit plus transparente, que ce soit envers le Parlement, envers la Cour des comptes ou envers les personnels du ministère. Cette exigence me semble d’autant plus importante que certains points sont particulièrement délicats et qu’une plus grande transparence permettrait d’identifier sereinement les éventuels points de blocage suffisamment tôt pour procéder aux corrections nécessaires.
À court terme, la question des ressources exceptionnelles m’apparaît décisive, la loi de finances initiale prévoyant plus d’1,6 milliard de recettes complémentaires. Nous devons nous assurer de la réalité de ce montant dès aujourd’hui, étant entendu que si d’aventure cet engagement n’était pas scrupuleusement respecté, il ferait peser un fort soupçon sur la sincérité des engagements ultérieurs.
À moyen terme, nous devons veiller à ce que la réforme soit bien suivie avec la mise en place d’indicateurs précis et efficaces, ce qui n’est pas encore le cas. Il est normal que tous les outils de suivi ne soient pas opérationnels, mais ils doivent rapidement être mis en œuvre, ne serait-ce que pour mettre fin à des visions parfois très divergentes de la réforme au sein même du ministère. J’observe d’ailleurs que le ministère de la défense ne dispose pas des outils financiers adéquats pour suivre cette réforme, ce qui l’empêche de dialoguer à jeu égal avec le ministère du budget. La question est identique pour les ressources humaines qui conditionnent pourtant la réussite de la manœuvre. Comment s’assurer que ce sont bien les fonctions de soutien qui supportent l’essentiel de l’effort ? Quelle est la définition du soutien ? Est-elle adéquate ? Les éléments qui nous ont été transmis montrent que l’objectif de diminution de 54 000 postes va être difficile à atteindre, tous les postes à supprimer n’étant pas encore identifiés. Toutes ces questions doivent être listées et suivies avec des indicateurs qui mettront fin à la relative illisibilité actuelle.
Sur le long terme, nous devons nous assurer de la cohérence de l’ensemble et vérifier que les crédits d’équipement profitent bien des ressources dégagées par la réforme. Je rappelle que le modèle ne comprend pas les pensions. Or le montant des pensions va nécessairement augmenter dans les prochaines années sans que nous sachions pour le moment quelle ligne budgétaire va financer cette nouvelle dépense. Cela ne risque-t-il pas de peser au final sur le budget de la défense, détruisant l’équilibre financier de la réforme ?
En conclusion, il me semble que la trajectoire qui nous a été présentée est tenable même si elle est incroyablement exigeante, tout décalage ou tout dérapage pouvant avoir de lourdes conséquences. Je souhaite que le suivi administratif, voire bureaucratique, actuellement en place laisse la place à un suivi opérationnel assis sur de solides capacités d’expertise. La volonté politique doit clairement transparaître pour renforcer la crédibilité de la réorganisation et fédérer l’ensemble des acteurs. Aujourd’hui, les personnels ne se sont pas encore tous appropriés la réforme, se contentant d’en appliquer mécaniquement les principes.
M. le président Guy Teissier. Je partage votre inquiétude en ce qui concerne les recettes exceptionnelles et la manœuvre « ressources humaines ». La crise actuelle ne va-t-elle pas aggraver la situation ? Les personnels actuellement en poste au ministère de la défense ne risquent-ils pas de renoncer à quitter leur poste, faute de retrouver un travail dans le secteur privé ?
M. François Cornut-Gentille, rapporteur. Sur les recettes exceptionnelles, il s’agit d’un enjeu majeur que nous voulons examiner dans les meilleurs délais. Le ministre considère d’ailleurs que cette question relève d’un arbitrage du Premier ministre, ce qui lui permet de ne pas s’engager personnellement sur le sujet. En ce qui concerne l’impact de la crise, les premiers éléments que nous a transmis le ministère sont plutôt encourageants, les demandes de départs étant supérieures aux besoins. Pour autant, ces données, obtenues tardivement, doivent être appréhendées dans la durée, les effets de la crise ne faisant que commencer à se faire sentir.
M. Bernard Cazeneuve, rapporteur. Je tiens à confirmer que François Cornut-Gentille et moi avons travaillé de conserve sur ce rapport, sans pour autant renier nos convictions. Notre méthode exclut tout jugement sur l’opportunité de cette réforme, car nous n’aurions alors pas pu vous présenter des conclusions convergentes. Nous avons donc choisi une démarche endogène en évaluant la réforme à l’aune des objectifs que le Gouvernement lui a assignés.
Le périmètre de la mission est volontairement large et concerne l’administration centrale du ministère, les armées mais aussi la mise en œuvre des recommandations du Livre blanc et de la RGPP. Nous avons également souhaité savoir comment le ministère négocie avec les industriels les futurs programmes d’armement, l’objectif final étant bien de disposer d’une armée plus svelte, mieux équipée et plus projetable.
Sur l’enjeu budgétaire, nous avons regardé si les débuts de mise en œuvre respectent le modèle économique qui nous a été présenté. Pour dégager des marges de manœuvre au profit de l’investissement, la réforme supprime 54 000 emplois, générant des économies sur les dépenses de personnel et de fonctionnement qui seront intégralement réinvesties pour les équipements. L’économie globale créée par cette réduction atteint 3,9 milliards d’euros dont il faut déduire 800 millions d’euros finançant le plan d’accompagnement social. Les économies tirées de la réduction des effectifs dépassent le milliard d’euros. Les dépenses d’infrastructures nécessitées par la réorganisation sont de l’ordre de 1,2 milliard d’euros auxquels il faut ajouter 200 millions d’euros d’accompagnement territorial versés par la défense. Le solde net de la réforme s’établit au final à 2,7 milliards d’euros d’ici à 2014. Cette somme ne permet pourtant pas de financer tous les programmes prévus par la LPM. Le Président de la République a en effet annoncé que le budget de la défense augmenterait de 1 % par an à partir de 2012. En outre, le ministère devrait bénéficier de recettes exceptionnelles à hauteur 3,7 milliards d’euros tirées de la vente d’emprises et de fréquences.
Ce modèle pose plusieurs questions de fond. La cible de 54 000 postes supprimés sera-t-elle atteinte ? Je relève que cet objectif relève d’une analyse comptable et que les états-majors ont fait part de leurs difficultés à atteindre les seuils qui leur sont imposés. La marine nationale a ainsi vu son effort passer de 1 700 suppressions à 4 000, l’arbitrage final s’étant arrêté sur une réduction de 6 000 emplois. Le ministère de la défense reconnaît d’ailleurs n’avoir identifié que 35 000 postes et ne vise qu’un objectif de 47 000 d’ici à 2014.
Par ailleurs, le contexte de crise change substantiellement la situation : malgré les excellents chiffres pour ce début d’année, il faut examiner la situation dans la durée. Cette question est d’autant plus préoccupante que le secteur privé attire les personnels dont la compétence est particulièrement indispensable au ministère. Pour atteindre l’objectif comptable, le ministère devra-t-il accepter de voir partir toutes ses compétences clés ? Au-delà de l’approche quantitative, quel est l’impact qualitatif ? De surcroît, la tentation pourrait être grande de tarir le recrutement pour diminuer le nombre de personnels, mais cela tasserait la pyramide des âges et mettrait fin à un nécessaire renouvellement des cadres.
Quant aux revenus exceptionnels, j’aimerais en comprendre la philosophie ainsi que son montage juridique et financier. Qu’en est-il des 1,6 milliard d’euros inscrits dans la loi de finances initiale pour 2009 ? Quelle est la société de portage annoncée par le ministre de la défense ? Dans un contexte de crise, quelles entreprises seraient intéressées par l’achat de fréquences ? Pour quels usages et pour quels montants ?
Le Livre blanc fait état d’un modèle hors pensions ; si tel n’était pas le cas, le schéma d’ensemble ne pourrait pas tenir. Pourtant la réforme repose sur une augmentation des départs engendrant une hausse corollaire du montant des pensions. Nous devons donc nous assurer que ce surcoût sera financé en-dehors du budget de la défense.
La question la plus importante est sans doute celle du pilotage de la réforme. Le ministère doit disposer de ses propres outils, ne serait-ce que pour pouvoir résister à l’expertise du ministère du budget et pour éviter que ses crédits ne redeviennent la variable d’ajustement du budget général. C’est un changement de positionnement majeur que nous appelons de nos vœux. Pour ce faire, le ministère doit renforcer sa fonction financière aujourd’hui insuffisante.
De même, il convient de préciser le champ de la mission de coordination de la réforme confiée au général Cambournac : traite-t-elle de la seule RGPP ou de l’ensemble de la réforme au travers de ses 37 projets ?
Je note enfin que le ministre a créé un comité financier auquel siège la direction du budget : n’est-ce pas risquer de consacrer la mise sous tutelle de la défense par le ministère du budget ?
Au final, il convient d’être vigilant sur le maintien des compétences dans la manœuvre des ressources humaines. Pour les bases de défense, je pense que le modèle n’est pas suffisamment stabilisé pour être généralisé et qu’il faut attendre le retour des premières expérimentations. Enfin, nous devons surveiller l’évolution des crédits de la défense, y compris le financement des opérations extérieures qui ne doit plus être assuré par les crédits d’équipement.
Je considère donc que notre rapport n’est ni belliqueux ni complaisant ; il identifie bien les enjeux et les éventuels points de blocage.
M. Philippe Vitel. La coordination et le management de la réforme sont de vrais sujets. Une coordination semble exister entre le ministère de la défense, l’état-major des armées et le ministère du budget. La dimension locale, qui implique le ministère de l’aménagement du territoire, les collectivités locales et les structures consulaires ne doit pas être négligée, dans la mesure où les restructurations vont fragiliser nombre de bassins de vie. Comment les niveaux national et local sont-ils coordonnés ? Cette réforme ne peut réussir sans une coordination globale de la réforme tant en matière de personnels que de matériels ou d’infrastructures.
M. Jean-Claude Viollet. Je partage vos inquiétudes concernant les ressources exceptionnelles. Malgré les garanties affichées par le Gouvernement, il ne semble pas que des compensations soient prévues si l’objectif annoncé n’est pas atteint. Dans ce contexte, le problème de l’équilibre global de l’opération « Balard » reste posé. Les rapporteurs ont-ils eu connaissance d’une étude pour ce projet ? Il est parfois dit que ce site n’est pas le meilleur. L’opportunité, la faisabilité, l’équilibre financier de ce projet doivent être étudiés. Il est par ailleurs affirmé qu’il faut marquer architecturalement le site mais cela relève-t-il des missions de la défense ?
S’agissant des modèles présentés « hors pensions », dispose-t-on d’éléments de préfiguration de l’évolution du montant des pensions au regard des objectifs annoncés en matière de dégagement des cadres ?
La réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN pourrait être annoncée d’ici le mois d’avril. De quels éléments dispose-t-on sur ses effets financiers et sur leur éventuelle budgétisation ?
M. Bernard Cazeneuve, rapporteur. S’agissant de l’aménagement du territoire, malgré le volontarisme affiché, le dispositif me laisse quelque peu dubitatif quant aux montants provisionnés et aux critères d’attribution des aides. Sur les 320 millions d’euros dédiés à l’accompagnement des territoires, 220 sont prélevés sur le budget de la défense, les 100 autres relevant du secrétariat d’État chargé de l’aménagement du territoire. La mise en œuvre des critères d’éligibilité aux divers dispositifs d’accompagnement manque par ailleurs de lisibilité. Deux types de mesures ont été votées dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2008 : les contrats de site de défense à l’attention des bassins perdant plus de 200 emplois (225 millions d’euros seraient réservés à ces 26 sites) et les plans locaux de redynamisation destinés à ceux enregistrant une plus faible perte d’emplois. La région caennaise va faire face à la fermeture de l’établissement du service de santé des armées de Mondeville et du 18e régiment de transmissions, qui emploient plus de 1 000 personnes. Pour y remédier, le bassin devrait recevoir quelque quatre millions d’euros d’aide, mais la méthode de détermination de ce montant reste inconnue. À Cherbourg, alors que plus de 200 emplois sont supprimés, le dispositif de plan local de redynamisation a été retenu, contrairement aux règles annoncées. Je ne mets pas en doute la bonne volonté et la mobilisation des ministères, mais je me demande si l’enveloppe est suffisante au regard de l’ampleur de la réforme et de ses conséquences humaines et territoriales. De même, la détermination des critères d’allocation et la lisibilité des dispositifs me laissent perplexes.
Le projet de regroupement sur le site Balard relèverait d’un partenariat public-privé. Or, la Cour des comptes a récemment souligné que ce type d’opération peut avoir pour effet de permettre aux investisseurs privés de réaliser des bénéfices, sans que les collectivités publiques en retirent forcément un bénéfice. Quant à la dimension architecturale du projet, son intérêt sera attentivement suivi.
M. François Cornut-Gentille, rapporteur. J’appréhende différemment ces mesures ; je pense qu’un réel effort a été fait tant en ce qui concerne les sommes dédiées que les délocalisations d’organismes centraux vers des sites où sont fermées des entités de la défense. Peut-être eut-il été préférable de ne pas retenir comme critère d’applicabilité des dispositifs un seuil précis d’emplois perdus. Une aide différenciée aurait été plus pertinente et aurait permis de concentrer les aides sur les sites les plus durement touchés.
Concernant Balard, certains interlocuteurs lient ce projet aux ressources exceptionnelles, même si le ministre fait plutôt état de partenariat public-privé. Cela montre bien qu’il faut examiner en amont tous les aspects juridiques et financiers pour que le débat puisse s’instaurer efficacement.
Nous ne disposons que de très peu d’éléments sur les pensions. Un faisceau d’indices invite à penser qu’il s’agit là d’un sujet éminemment sensible. Tout le raisonnement est conduit hors pensions. Le risque de globalisation et d’évolution vers une modélisation incluant les pensions est grand et les conséquences devront alors être intégrées dans la réflexion.
M. le président Guy Teissier. Nous entendrons mercredi prochain les ministres de la défense et des affaires étrangères sur l’OTAN, nous pourrons alors les interroger sur le coût de la réintégration de la France dans le commandement intégré.
La commission a décidé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du premier rapport d’étape de la mission d’information en vue de sa publication.
La séance est levée à onze heures quinze.
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