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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 8 avril 2009

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 41

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Suite de l’examen du projet de loi (n° 1216) relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 (examen des articles) (MM. Patrick Beaudouin et Yves Fromion, rapporteurs)

Suite de l’examen du projet de loi (n° 1216) relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 (discussion générale et examen des articles) (MM. Patrick Beaudouin et Yves Fromion, rapporteurs)

La séance est ouverte à seize heures quinze.

M. le président Guy Teissier. Nous reprenons aujourd’hui l’examen du projet de loi de programmation militaire. La précédente séance s’était achevée avec l’adoption de l’article 5. Nous débutons donc l’examen du texte avec l’amendement n°134 de Mme Adam, avant l’article 6.

Chapitre III

Mesures d’accompagnement des restructurations

Avant l’article 6

La Commission est saisie de l’amendement CD 134 de Mme Patricia Adam, portant article additionnel avant l’article 6.

Mme Françoise Olivier-Coupeau. Cet amendement vise à modifier l’intitulé du chapitre III. Il nous paraît en effet maladroit, voire cynique, de laisser accroire qu’un dispositif s’adressant aux personnes qui ont été exposées à des conditions de travail insalubres est une « mesure d’accompagnement des restructurations ». C’est en outre l’aveu que cette mesure de justice n’aurait pas été prise en l’absence du plan de restructuration du ministère de la défense – lequel est d’ailleurs indigent.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. L’article 6 permet aux ouvriers de l’État de bénéficier de la retraite anticipée s’ils ont effectué des travaux insalubres. Contrairement à ce que vous affirmez, cette mesure s’applique depuis longtemps au sein du ministère de la défense, mais une mesure législative s’avère nécessaire afin de lever les obstacles rencontrés par les intéressés au moment de la liquidation de leur pension.

Par ailleurs, les deux mesures d’accompagnement que nous avons déjà votées en loi de finances initiale pour 2009 devaient initialement être insérées dans ce chapitre. Le fait qu’elles n’y figurent plus modifie la portée de l’intitulé : c’est pourquoi j’émets un avis favorable à cet amendement.

La Commission adopte cet amendement.

Article 6

Dispositions relatives à la mobilité des ouvriers de l’État
en cas de restructuration

La Commission examine l’amendement CD 135 de M. Bernard Cazeneuve.

M. Bernard Cazeneuve. Dans la loi de finances rectificative, le Gouvernement a prévu, pour les militaires et les ouvriers de l’État déplacés dans le cadre de la réorganisation du ministère de la défense, des indemnités de mobilité non soumises à l’impôt sur le revenu. Or les fonctionnaires et agents contractuels de droit public, qui subissent le même préjudice, ne bénéficient pas de cette disposition. Le présent amendement tend à réparer cet oubli.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. L’indemnisation des personnels civils non ouvriers de l’État relève d’un dispositif commun à l’ensemble de la fonction publique de l’État. L’adoption de cet amendement introduirait des inégalités de traitement parmi les fonctionnaires et agents contractuels de l’État.

En outre, si les indemnités des personnels civils du ministère de la défense qui sont incités à partir – hors ouvriers de l’État – sont fiscalisées, elles sont calculées sur la base de l’ensemble des rémunérations perçues, alors que pour les militaires, la base de calcul est le traitement indiciaire hors primes, soit environ 60 % du montant total des rémunérations. La défiscalisation des indemnités de départ vise à compenser cet écart.

Enfin, le ministère a obtenu des dispositions complémentaires en cas de restructuration. Un complément spécifique a ainsi été instauré pour les fonctionnaires et agents publics non titulaires qui bénéficient d’un contrat à durée indéterminée.

Avis défavorable, donc.

M. Jean-Pierre Soisson. Lorsque nous avions discuté des mesures en faveur des ouvriers de l’État, j’avais prévu que des amendements seraient déposés afin de les étendre à d’autres catégories de personnels. C’est ce qui se passe aujourd’hui.

M. Bernard Cazeneuve. Les restructurations vont conduire des établissements à fermer dans les prochaines semaines. Il conviendrait que cela se fasse dans des conditions sociales acceptables. S’il veut que sa restructuration s’achève dans les meilleurs délais, le ministère de la défense aurait tout intérêt à ce que la disposition en cause s’applique également aux personnels fonctionnaires.

Par ailleurs, je ne suis pas sûr que l’argumentation du rapporteur respecte le principe juridique d’égalité, qui impose que des personnels placés dans des situations identiques bénéficient de conditions identiques. En l’occurrence, les différences de statut ne doivent pas faire oublier que les sujétions et les contraintes professionnelles sont identiques. Un recours d’un fonctionnaire devant le juge risquerait d’aboutir.

M. le président Guy Teissier. Le texte qui nous est présenté est bien équilibré. Il me semble difficile d’aller au-delà.

La Commission rejette l’amendement CD 135.

Puis, elle adopte l’article 6 sans modification.

Chapitre IV

Dispositions relatives aux modalités de cession des installations de la défense et de la réindustrialisation

Avant l’article 7

La Commission examine l’amendement CD 192 de M. Alain Rousset, portant article additionnel avant l’article 7.

Mme Patricia Adam. Cet amendement vise à garantir que les mesures d’accompagnement des sites touchés par la révision générale des politiques publiques (RGPP) et par la réorganisation des services seront prises en concertation avec les collectivités territoriales.

De nombreux sites étant concernés, les solutions doivent en effet être adaptées à chaque situation. Les stratégies élaborées pour des zones urbaines risquent d’être difficilement applicables aux zones rurales. Une participation active des collectivités territoriales à la définition des stratégies de restructuration est donc indispensable. Or, aujourd’hui, c’est trop souvent à la seule initiative des acteurs locaux que le dialogue est engagé.

Je précise que cet amendement définit un simple cadre d’action et qu’il n’a aucun impact budgétaire.

M. Yves Fromion, rapporteur. Avis défavorable : je ne vois pas ce qu’apporte l’amendement, dans la mesure où les plans locaux de redynamisation (PLR) et les contrats de redynamisation des sites de défense (CRDS) sont par définition des contrats passés entre l’État et les acteurs locaux.

M. Bernard Cazeneuve. Monsieur le ministre, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2008, le seuil à partir duquel les CRDS seraient mis en œuvre avait été fixé à 200 emplois supprimés. Le Gouvernement a très vite mis en place les dispositifs permettant la signature des conventions, mais, les restructurations allant leur chemin, 70 à 80 sites bénéficiant initialement de PLR connaîtront au final plus de 200 suppressions d’emploi. Comment procédera-t-on aux ajustements nécessaires ? Je tiens d’ailleurs à préciser que c’est justement la situation de Cherbourg.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. C’est mon collègue Hubert Falco qui suit plus particulièrement ce dossier. Ce que je peux vous certifier, c’est que ce dispositif s’adapte aux réalités de chaque territoire. Les pertes d’emploi ne sont pas le seul critère retenu : entrent aussi en ligne de compte la situation locale du marché de l’emploi et le taux de chômage.

Quoi qu’il en soit, rien n’est immuable. Je note cependant que certaines collectivités ont très vite rejoint les comités de suivi pour participer aux opérations de restructuration : avec elles les choses sont déjà bien avancées. En revanche d’autres ont préféré mener des combats d’arrière-garde.

M. Jean-Pierre Soisson. Je suis de l’avis du rapporteur : en définitive, cet amendement ne fait que rendre hommage à l’action entreprise par le Gouvernement. La décision revient aux collectivités territoriales : certaines ont immédiatement réagi, d’autres n’ont rien voulu faire. Tant pis pour elles !

M. Bernard Cazeneuve. Cela veut-il dire que plus les collectivités territoriales réagissent vite, plus elles perçoivent d’aides ?

La Commission rejette cet amendement.

Article 7

Changement de statut de la société financière régionale
pour l’emploi et le développement (SOFRED)

La Commission examine l’amendement CD 57 des rapporteurs.

M. Yves Fromion, rapporteur. L’article 7 assure le transfert à l’État de la SOFRED, filiale de GIAT Industries, afin que ses ressources soient affectées à la réindustrialisation des zones touchées par les opérations de restructuration. Pour ce faire, il prévoit de transformer la SOFRED en société nationale, ce qui soulève des difficultés comptables dans la mesure où cette opération risque d’apparaître comme une perte dans le bilan du groupe GIAT Industries. Notre amendement vise à simplifier la procédure, en se contentant de transférer la propriété de la SOFRED à l’État.

La Commission adopte cet amendement, ainsi que les deux amendements de coordination CD 58 et CD 56 des rapporteurs.

Elle adopte ensuite l’article 7 ainsi modifié.

Article 8

Prolongation du régime dérogatoire pour la cession des immeubles de la défense

La Commission adopte l’article 8 sans modification.

Article 9

Prise en charge de la dépollution des emprises vendues
par le ministère de la défense

La Commission examine l’amendement CD 168 de M. Louis Giscard d’Estaing.

M. Louis Giscard d’Estaing. Cet amendement tend à modifier la rédaction de l’alinéa 3 de cet article. Il convient en effet, d’une part, d’éviter tout risque d’interprétations divergentes, d’autre part, de veiller à la conformité du dispositif avec la réglementation applicable en matière de sécurité pyrotechnique.

M. Yves Fromion, rapporteur. Avis favorable : cet amendement, qui répond à une suggestion du Conseil d’État, est tout à fait opportun.

La Commission adopte cet amendement.

Elle adopte ensuite l’article 9 ainsi modifié.

Chapitre V

Ouverture du capital de certaines entreprises du secteur de la défense

Article 10 

Modification du statut de DCNS
et des règles relatives à la mise à disposition d’agents publics

La Commission est saisie de deux amendements en discussion commune : les amendements CD 119 de M. Jean-Jacques Candelier et CD 138 de Mme Patricia Adam.

M. Jean-Jacques Candelier. L’article 10 du projet de loi tend à appliquer à DCNS le droit commun des privatisations, prélude à une liquidation programmée. Nous estimons au contraire que la dimension hautement stratégique de cette société, au cœur de notre industrie de défense nationale, justifie le maintien des dispositions dérogatoires introduites par la loi du 30 décembre 2004. Des partenariats stratégiques entre sociétés différentes peuvent être conclus sous forme de conventions, sans que leurs capitaux convergent. C’est pourquoi nous proposons la suppression de cet article. Le précédent d’EADS devrait nous servir de leçon !

M. Bernard Cazeneuve. Le statut de DCNS a déjà été modifié à deux reprises depuis le début de la décennie : en 2001, lorsque la direction des chantiers navals est passé du statut d’administration centrale à celui de société nationale détenue à 100 % par l’État, et en 2004 avec une réforme alors présentée comme une simple adaptation à un contexte de concurrence accrue. À chaque fois, les ministres de l’époque, Alain Richard puis Michèle Alliot-Marie, avaient assuré que leur réforme serait la dernière.

Ces modifications n’ayant pas suffi, vous nous en proposez une à votre tour, monsieur le ministre, afin, selon vous, de permettre à DCNS de créer des filiales, ce qui devrait faciliter l’exécution de ses contrats avec les pays étrangers. Réforme après réforme, on se dirige ainsi vers la privatisation de DCNS et la remise en cause de son unité, alors que c’est précisément la coexistence en son sein de multiples métiers qui ont fait l’originalité et la réputation de cette entreprise. Nous refusons de cautionner une telle évolution.

M. Yves Fromion, rapporteur. Comme vient de le rappeler M. Bernard Cazeneuve, DCNS bénéficie aujourd’hui de nombreux contrats, d’une solide position sur le marché mondial et de bonnes perspectives de développement. Cela prouve que l’évolution engagée ces dernières années a été positive. Il serait absurde, et contraire à la logique économique, de refuser une réforme sous prétexte que tout va bien !

Ce texte ne prépare pas la privatisation de DCNS, bien au contraire, il souhaite lui appliquer le droit commun des entreprises publiques afin qu’elle bénéficie d’une plus grande souplesse de fonctionnement, en lui donnant notamment la possibilité de conclure des accords partenariaux. Elle pourra ainsi créer des filiales, même avec une participation minoritaire. Plutôt que de l’enfermer dans un carcan, favorisons sa mondialisation et rendons-la encore plus performante : c’est dans l’intérêt même des salariés !

J’émets donc un avis défavorable sur les deux amendements.

M. Bernard Cazeneuve. Nous ne sommes en aucun cas opposés à une évolution de DCNS : toute l’histoire des dernières années a montré que l’entreprise avait su procéder aux adaptations nécessaires. Si elle se fige, elle perdra de sa performance. En revanche, son statut actuel contient déjà tous les instruments juridiques permettant de telles évolutions sans perdre ses caractéristiques d’entreprise nationale ni aller vers la privatisation. C’est pourquoi nous ne voulons pas rompre l’équilibre actuel.

M. Yves Fromion, rapporteur. DCNS ne va pas vers la privatisation, elle se rapproche simplement du droit commun des entreprises publiques. Nous voulons lui donner toutes les capacités dont jouissent ces entreprises publiques, parce qu’il n’y a aucune raison qu’elle soit la seule à connaître certaines restrictions.

M. le ministre. DCNS est la seule entreprise qui puisse envisager son plan de charge à un horizon de quinze ans. Son carnet de commandes la met dans une situation remarquable pour nouer des alliances industrielles européennes et ainsi éviter d’être en permanence, comme aujourd’hui, en concurrence avec les Espagnols et les Allemands. Nous avons absolument besoin de créer ces filiales avec des groupes européens qui bâtiront ainsi progressivement l’Europe de la défense que vous appelez de vos vœux. Or DCNS ne peut pas être contrainte de passer par une autorisation parlementaire chaque fois qu’elle est sur le point de nouer un partenariat qui implique de créer une filiale de plus de 250 salariés ou d’un chiffre d’affaires supérieur à 375 millions ! Si l’on veut assurer l’avenir des ouvriers de DCNS, il faut lui donner la capacité de devenir l’acteur majeur de la restructuration navale européenne.

La Commission rejette les amendements CD 119 et CD 138.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CD 14 des rapporteurs.

Puis elle examine l’amendement CD 15 des rapporteurs.

M. Yves Fromion, rapporteur. La deuxième phrase de l’alinéa 4 de cet article octroie aux ouvriers de l’État mis à disposition des filiales le bénéfice de certains droits sociaux reconnus aux salariés, mais une erreur de présentation exclut de cette disposition les filiales minoritaires. Cet amendement y remédie.

M. Jean-Pierre Soisson. Je m’étais inquiété que les dispositions du code du travail ne puissent s’appliquer dans certains cas. Cet amendement est très utile.

La Commission adopte cet amendement.

Elle est saisie de l’amendement CD 16 des rapporteurs.

M. Yves Fromion, rapporteur. Le projet de loi prévoit que les ouvriers de l’État pourront être mis à la disposition des filiales dont DCNS détient majoritairement le capital. Mais, comme l’a rappelé le président de l’entreprise lors de son audition, cela ne saurait se faire contre leur volonté. Pour lever toute ambiguïté, nous proposons d’inscrire ce principe dans la loi. Notre formulation permet de rendre compte de la rencontre des deux volontés : celle de l’ouvrier qui aura dû faire une demande expresse et celle de DCNS qui donne son accord.

Mme Françoise Olivier-Coupeau. Cela répond à l’une de nos principales inquiétudes.

La Commission adopte cet amendement.

Elle est saisie de l’amendement CD 17 de MM. Patrick Beaudouin et Yves Fromion, rapporteurs.

M. Yves Fromion, rapporteur. Dans la mesure où nous avons inscrit le principe du volontariat dans la loi, il semble nécessaire d’étendre le champ des filiales dans lesquelles les ouvriers de l’État peuvent être mis à disposition. Cette mesure est profitable aux ouvriers de l’État car elle leur donne plus de perspectives et leur permet de postuler, s’ils le souhaitent, dans plus de filiales.

La Commission adopte cet amendement.

La Commission est saisie de l’amendement CD 18 des rapporteurs.

M. Yves Fromion, rapporteur. Cet amendement préserve les droits sociaux des ouvriers de l’État mis à disposition hors des cas de transfert ou de création de filiale. Tous les ouvriers de l’État de la filiale disposeront ainsi des mêmes droits sociaux, quelque soit le cadre dans lequel ils ont été mis à disposition. L’amendement reprend exactement les termes des alinéas précédents.

La Commission adopte cet amendement.

La Commission est saisie de l’amendement CD 19 des rapporteurs.

M. Yves Fromion, rapporteur. Cet amendement étend les possibilités de mise à disposition offertes aux ouvriers de l’État aux fonctionnaires et militaires détachés auprès de DCNS, en les soumettant aux mêmes règles.

M. Bernard Cazeneuve. Vous aurez remarqué que nous avons voté certains des derniers amendements alors que nous avions précédemment demandé la suppression de l’article 10. Notre but est, dans le nouveau contexte imposé par cet article, de préserver au mieux les droits sociaux des personnes amenées à travailler dans les filiales. Nous nous sommes en revanche abstenus de voter l’amendement qui pose le principe d’une filialisation massive, à laquelle nous restons opposés.

La Commission adopte cet amendement.

Elle est saisie de l’amendement CD 139 de Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. Cet amendement avait pour objet, dès lors que vous refusiez de supprimer l’article 10, de préciser un certain nombre de conditions. Certaines sont toutefois déjà satisfaites.

M. Yves Fromion, rapporteur. Le premier paragraphe de l’amendement, qui concerne les droits sociaux des ouvriers de l’État mis à la disposition d’une filiale, est effectivement satisfait par les amendements CD 15 et 18. En revanche, vous proposez de leur offrir également le bénéfice du mécanisme de participation ouvert aux salariés. Mais la participation est la contrepartie légitime de la relative précarité liée au statut de salarié, alors que les ouvriers de l’État bénéficient déjà d’un régime très protecteur. Il serait inéquitable de leur ouvrir cette possibilité.

Le troisième paragraphe, qui consacre le principe de volontariat, est satisfait par l’amendement CD 16 pour les mises à disposition pendant la vie de la filiale. En revanche, le volontariat à la création de la filiale ou lors de la réalisation du transfert doit être résolument exclu, sauf à empêcher effectivement toute création de filiale : les partenaires de DCNS ne peuvent pas accepter que l’accord soit soumis à l’acceptation de chaque ouvrier de l’État. Mais je rappelle que la mise à disposition n’est pas synonyme de mobilité géographique : l’ouvrier détaché dans une filiale reste au même poste, dans les mêmes conditions. Seule l’identité de son employeur change. Il pourra toujours refuser sa mise à disposition si elle s’accompagne d’une mobilité géographique.

Le paragraphe 4 propose que les ouvriers de l’État puissent décider de l’identité de leur employeur en cas de mise à disposition, c'est-à-dire que même en travaillant dans une filiale, ils pourraient relever directement de DCNS. Cette solution est inenvisageable, la filiale devant gérer ses personnels en toute autonomie.

Enfin, les paragraphes 5 et 6 créent un droit au retour parfaitement envisageable dans son principe, mais pas selon le mécanisme que vous proposez. Votre solution imposerait notamment à DCNS de réintégrer l’ouvrier à un emploi de qualification équivalente, ce qui sous-entend qu’il pourrait choisir son poste de retour, chose impossible en pratique. Elle conduirait aussi dans certains cas à réintégrer l’activité transférée pour pouvoir réintégrer l’ouvrier de l’État. Je précise par ailleurs que le décret d’application de l’article 78 de la loi de 2001 sera prochainement modifié pour prendre en compte ce droit au retour.

Compte tenu des difficultés que pose cet amendement, je vous propose donc de le retirer et de vous rallier à nos amendements.

Mme Marylise Lebranchu. Mais comment les arguments que vous utilisez contre le droit de retour peuvent-ils être articulés avec votre position sur l’intéressement du salarié ? Pour rester logiques, vous auriez dû refuser le droit d’intéressement aux ouvriers de l’État parce qu’ils sont susceptibles de quitter la filiale.

M. Yves Fromion, rapporteur. Il ne faut pas confondre intéressement et participation. L’ouvrier a droit à l’intéressement.

Mme Marylise Lebranchu. Je n’aurais pas trouvé illogique que vous lui donniez droit aux deux. Mais je ne comprends pas pourquoi quelqu’un qui ne peut pas renoncer à son choix a droit à la participation et pas à l’intéressement.

M. Yves Fromion, rapporteur. J’ai expliqué pourquoi les ouvriers de l’État ne peuvent pas bénéficier de la participation. Je ne vois pas de quelle manière vous liez ce sujet à celui du droit de retour, qui consiste simplement pour l’ouvrier à pouvoir réintégrer l’entreprise mère.

M. Bernard Cazeneuve. L’argumentation du rapporteur est fondée en droit, mais pas en opportunité. Par ailleurs, si vous considérez que les ouvriers de l’État bénéficient d’avantages exorbitants du droit commun, qui ont pu parfois bloquer l’évolution de l’entreprise, vous ne pouvez pas leur refuser la participation car ce serait justement une manière de faire évoluer cette culture. Il faut choisir.

M. Yves Fromion, rapporteur. J’ai bien dit qu’il s’agissait d’une affaire d’équité entre des ouvriers de l’État au statut très protecteur et les salariés ordinaires dont la situation est plus précaire. Les ouvriers de l’État perçoivent en moyenne une rémunération supérieure à celle des salariés et qui augmente en outre d’environ 4 % par an contre 2 à 3 % pour les salariés. Les ouvriers de l’État sont également soumis à des règles plus favorables pour ce qui concerne la date de départ à la retraite ou le montant de la pension. Pour les ouvriers de l’État, la pension se calcule d’après les six derniers mois d’activité au lieu des vingt-cinq meilleures années pour les salariés. Je ne porte pas de jugement sur ce statut, mais il me semble qu’il ne faut pas déséquilibrer la situation.

La Commission rejette cet amendement.

Puis elle adopte l’article 10 modifié.

Après l’article 10

Sur avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette un amendement CD 140 de M. Bernard Cazeneuve relatif à la participation.

Article 11

Privatisation de la société nationale des poudres et explosifs

La Commission est saisie de trois amendements identiques : l’amendement CD 100 de M. Daniel Garrigue, l’amendement CD 120 de M. Jean-Jacques Candelier et l’amendement CD 141 de M. Jean-Claude Viollet.

M. Daniel Garrigue. L’article 11 touche à la privatisation de la société nationale des poudres et explosifs (SNPE). Je n’ai pas de position de principe pour ou contre la privatisation. S’agissant de l’enjeu le plus considérable, la SNPE matériaux énergétiques (SME) qui est un ensemble d’une importance stratégique fondamentale, je suis certain que, quel que soit le mode d’organisation retenu, la liaison avec le futur acquéreur sera assurée. En revanche, l’avenir des autres composantes du groupe pose problème. On peut voir une solution se dessiner pour la partie munitions (EURENCO) qui pourrait se rapprocher de Nexter puis peut-être faire, ensuite, l’objet de discussions à l’échelle européenne. En revanche l’avenir des unités du domaine de la chimie est beaucoup plus incertain qu’il s’agisse de Bergerac NC, d’ISOCHEM ou du centre de recherches du Bouchet en région parisienne. Le fait que le statut soit public ou privé ne change d’ailleurs rien à leur situation, puisqu’un statut public n’a pas empêché au début des années 1990 des plans sociaux considérables à la SNPE. Mais on ne peut envisager une privatisation du groupe sans savoir ce qu’il adviendra de toutes les composantes du groupe. Les activités moins stratégiques font-elles l’objet d’un véritable projet industriel ? Les discours varient. On nous a parlé en décembre d’un rattachement à l’Agence des participations de l’État, puis le président de la SNPE nous a dit qu’il envisageait de les garder sous sa coupe et cherchait des partenaires, et il a été encore plus récemment question de tout céder au groupe Safran. Cette incertitude n’est pas acceptable. Les privatisations passées ont toujours été accompagnées de projets industriels. Je proposerai donc des amendements soit pour supprimer cet article, soit pour subordonner la privatisation à l’existence de véritables projets industriels pour ces filiales.

M. Jean-Jacques Candelier. L’article 11 vise à permettre le transfert au secteur privé de la SNPE, de ses actifs et de sa filiale SME, qui fabrique les propergols et carburants nécessaires aux moteurs des missiles balistiques nucléaires comme à ceux des lanceurs spatiaux civils. La fabrication du propergol serait ainsi assurée par le groupe aéronautique privé Safran. Sous couvert de créer un pôle français dans la propulsion nucléaire et spatiale, on s’apprête à céder la propulsion de missiles et, partant, la force de dissuasion nucléaire à un groupe coté en bourse, dont l’un des actionnaires est le groupe américain General Electric. Qui pourrait comprendre que l’on dénationalise des actifs aussi stratégiques ? La protection des intérêts nationaux exige de maintenir le statut actuel de cette société qui ne l’empêche d’ailleurs pas de nouer des partenariats. Les fédérations syndicales que nous avons reçues ne s’y trompent pas et dénoncent le désengagement de l’État de ses missions régaliennes.

M. Jean-Claude Viollet. Nous avons tous ici convenu à plusieurs reprises que l’information était défaillante sur la finalité industrielle du projet. Nous ne sommes pas par principe opposés aux évolutions, comme nous l’avons montré avec GIAT Industries. Mais il faut y voir clair, surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises aussi stratégiques que la SNPE qui travaille sur les matériaux énergétiques, les missiles et les munitions. À quoi sert-il d’avoir les plus belles armes du monde si l’on ne possède pas les munitions nécessaires ? Il y va donc de notre autonomie en matière de munitions, non seulement pour les fournitures actuelles mais aussi futures. Je comprends la cohérence du projet de rapprochement d’une part avec Safran qui est notamment intéressé par la SME et le centre de recherche du Bouchet et, d’autre part, avec Nexter pour les munitions. Mais nous devrions être mieux éclairés, notamment sur les modalités et les perspectives de ces rapprochements. Mieux vaudrait examiner préalablement les conditions de ces mariages. Qu’adviendra-t-il par exemple des activités de chimie et d’environnement de SNPE ? Quid également de la dépollution des sites ? Qui s’en chargera ? La SNPE ? L’État ? Autant de questions sur lesquelles nous attendons des réponses.

Par ailleurs, pour réussir, la réforme ne doit pas être subie, ni même simplement consentie, mais partagée par les salariés, non seulement de la SNPE mais aussi des entreprises susceptibles de contracter avec tout ou partie de celle-ci. À défaut, on court à l’échec. La recherche du consensus est indispensable si l’on tient à l’esprit de réforme. Je ne suis pas sûr qu’en l’état, on se soit donné tous les moyens de réussir.

M. Yves Fromion, rapporteur. L’article 11 ne vise pas à définir dans le détail le projet industriel. Plusieurs ébauches nous ont été proposées, nous ne faisons aujourd’hui que placer la clé sur la serrure. L’État se trouve bloqué depuis trop longtemps dans une impasse. Voilà dix ans que l’on parle du projet Herakles qui concerne SME. Depuis le lancement de ce projet, la situation s’est dégradée. Le dossier EURENCO, qui concerne les explosifs pour les obus et autres munitions, ainsi que les poudres pour les missiles, est aujourd’hui calamiteux. Nous n’en avons d’ailleurs pas la maîtrise totale, car si la SNPE y a une participation majoritaire, il faut aussi tenir compte de nos partenaires européens.

Le principal projet industriel est connu : il s’agit de rapprocher la SNPE et Safran d’une part, et EURENCO et Nexter de l’autre part afin de constituer un concurrent sérieux au poids lourd européen Rheinmetall.

La situation financière d’EURENCO est aujourd’hui préoccupante. Il faut, d’une manière générale, donner les moyens à l’État d’avancer et d’agir, même si, à ce stade, aucun projet n’est définitivement arrêté.

Je comprends les inquiétudes de notre collègue Daniel Garrigue sur l’avenir des sites de chimie fine, ISOCHEM et Bergerac NC, tous deux spécialisés dans des activités qui ne sont pas directement liées à la défense. Mais on ne peut pas suspendre le rapprochement vital de la SME avec Safran et d’EURENCO avec Nexter, à une définition précise de l’avenir de ces deux entreprises. Cela ne signifie pas qu’il faille s’en désintéresser, le Gouvernement recherchant activement les meilleures solutions pour ces entités. Je suis bien conscient aussi que les activités de dépollution sont importantes. Je rappelle d’ailleurs que nous venons d’adopter l’article 9 du projet de loi qui met l’accent sur cette obligation et qui en renforce l’effectivité.

Je suis aussi soucieux que vous de l’avenir de notre industrie d’armement mais je ne peux pas prétendre qu’il serait raisonnable de différer encore la décision. Il y va de l’avenir d’un pan essentiel de notre industrie de défense, d’autant que nous n’avons qu’un seul fabricant de poudres en France.

Nous ne décidons aujourd’hui ni quand ni comment se fera la privatisation. Nous ne faisons qu’autoriser l’État à agir au mieux des intérêts du groupe en prêtant notamment toute l’attention nécessaire aux entreprises de chimie fine.

J’émets donc un avis défavorable pour les trois amendements de suppression.

M. Michel Grall. Ne pas voter l’article 11 risquerait de condamner à terme la SNPE à une mort lente.

M. le ministre. Je n’ai pas grand-chose à ajouter aux propos du rapporteur. Une première branche du groupe traite des explosifs et carburants. La logique du projet de loi est qu’une même entreprise réunisse les éléments de propulsion et de construction des engins. La deuxième branche concerne les munitions : faut-il rattacher EURENCO à Nexter ou bien maintenir la palette des clients d’EURENCO ? La question reste ouverte : rien n’a encore été tranché. Enfin, la troisième branche concerne la chimie fine. Il ne faut pas oublier que toute une partie de cette activité a été rachetée au privé par la SNPE dans les années 1980 dans le cadre d’une stratégie de diversification qui, loin de se révéler gagnante, n’a conduit qu’à des pertes. Quant à Bergerac NC, l’usine perd entre dix à quinze millions d’euros par an pour un chiffre d’affaires annuel de 90 millions d’euros.

Il y a principalement deux solutions qui sont envisagées : tout vendre à Safran qui serait chargé de redistribuer les rôles, ou bien opérer nous-mêmes cette redistribution en cédant une partie seulement de la SNPE à Safran, en étudiant avec nos partenaires européens les solutions envisageables pour EURENCO et en examinant pour la chimie fine les solutions possibles avec les industriels français et européens du secteur. Il est néanmoins certain que l’immobilisme serait fatal. Que serait-il advenu de Nexter ou de DCNS si nous avions refusé de faire évoluer ces entreprises ?

La Commission rejette les trois amendements identiques.

Puis elle rejette successivement les amendements CD 101, CD 102 et CD 103 de M. Daniel Garrigue.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CD 193 de M. Alain Rousset.

M. Jean-Claude Viollet. Nous souhaiterions que le transfert des actifs de la SNPE et de ses filiales relevant du domaine stratégique soit soumis à une autorisation préalable du ministre de la défense. Il y va de notre indépendance en matière de poudres, d’explosifs et de propergol.

M. Yves Fromion, rapporteur. Les dispositions de l’alinéa 5 de l’article 11 sont beaucoup plus protectrices qu’une autorisation du ministre de la défense.

La Commission rejette cet amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CD 104 de M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Il est vrai que le secteur de la chimie perd aujourd’hui beaucoup d’argent, mais il ne faut pas oublier qu’il en a rapporté beaucoup à la SNPE à certains moments. Il a, hélas, été victime d’un manque d’investissements.

Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette cet amendement.

Puis elle examine l’amendement CD 142 de M. Jean-Claude Viollet.

M. Jean-Claude Viollet. Les évolutions, quelles qu’elles soient, exigeront un temps de dialogue suffisant avec les industriels mais aussi avec les institutions représentatives des personnels. La réussite du projet en dépend. Nous proposons donc que les opérations de privatisation ne commencent que le 1er janvier 2011.

Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette cet amendement.

Puis elle adopte l’article 11 sans modification.

Chapitre VI

Dispositions relatives au secret de la défense nationale

Article 12

(article 56-4 nouveau du code de procédure pénale)

Perquisition dans des lieux classifiés ou contenant des éléments couverts
par le secret de la défense nationale

M. le président Guy Teissier. M. Jean-Michel Boucheron, ancien président de notre commission et membre de la Commission consultative du secret de la défense nationale, ne pouvant être présent, m’a prié de vous indiquer qu’il était favorable aux dispositions du projet de loi sur le secret de la défense nationale.

La Commission examine l’amendement CD 121 de M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Au nom du secret défense, le Gouvernement entend restreindre l’accès des magistrats à certains lieux, ce qui pourrait freiner, voire bloquer, certaines procédures judiciaires. Ces dispositions qui entravent le fonctionnement normal de la justice et érigent une autorité administrative indépendante en censeur du juge judiciaire sont inacceptables. D’où cet amendement de suppression.

M. Yves Fromion, rapporteur. Le projet de loi comporte trois articles modifiant successivement certaines dispositions du code de procédure pénale, du code pénal et du code de la défense afin de compléter la définition du secret défense et de préciser la procédure applicable en cas de perquisition dans les lieux susceptibles d’abriter des éléments classifiés. La protection du secret défense et la recherche des auteurs d’une infraction pénale sont en effet deux objectifs de valeur constitutionnelle qu’il faut concilier, et c’est bien là la difficulté.

Selon une jurisprudence constante du Conseil d’État et de la Cour de cassation, les magistrats ne sont pas qualifiés pour accéder à des informations protégées au titre du secret défense, y compris dans le cadre de leurs enquêtes. S’ils prennent connaissance de documents classifiés, ils peuvent tomber sous le coup de l’infraction pénale de compromission.

À ceux qui estiment que notre pays ne se conformerait pas aux exigences de transparence démocratique, je rappelle que ces règles prévalent également au sein des instances internationales. L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit ainsi la possibilité pour les États de ne pas communiquer à la Cour européenne des droits de l’homme des informations confidentielles mettant en cause la sécurité nationale. Le traité instituant la Communauté européenne offre la même possibilité aux États devant la Cour de justice des Communautés européennes, la Cour ne pouvant que prendre acte de leur refus de communication. Enfin, la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux constitués pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie ont prévu de semblables dispositions.

Le principal objectif du projet de loi est de protéger les magistrats contre le risque pénal de compromission. La création en 1998 de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) a permis aux magistrats d’obtenir plus facilement la déclassification d’informations protégées. Les avis de cette commission sont presque systématiquement suivis par l’administration concernée et les magistrats sont globalement satisfaits de la procédure. Dans certains cas, assez rares, les magistrats peuvent néanmoins avoir à perquisitionner dans des lieux susceptibles de contenir des informations classifiées. Les procédures prévues par les articles 12 à 14 du projet de loi visent à assurer, dans ce cas, tout à la fois la protection du secret défense et celle des magistrats. Elles s’inspirent des dispositions prévues pour les perquisitions dans un cabinet d’avocats et reprennent les préconisations d’un avis du Conseil d’État du 5 avril 2007.

L’article distingue trois cas. Si un magistrat souhaite perquisitionner dans un lieu déclaré comme susceptible d’abriter des documents couverts par le secret défense, il doit être accompagné par le président de la CCSDN, préalablement informé par une décision écrite et motivée. Les documents classifiés saisis sont pris en charge par la CCSDN jusqu’à leur déclassification. Si un magistrat, lors d’une perquisition dans un lieu neutre, découvre de manière incidente des éléments classifiés, le projet de loi prévoit que la perquisition est suspendue jusqu’à l’arrivée du président de la CCSDN, lequel prend en charge les éléments classifiés – nous vous proposerons des amendements à ce sujet, car la suspension de la perquisition ne nous convient pas. Dans ces deux cas, l’intervention de la CCSDN, autorité administrative indépendante qui remplit depuis maintenant dix ans sa mission à la satisfaction des autorités judiciaires et administratives, vise à garantir la confidentialité de la perquisition. Enfin, le projet de loi prévoit la possibilité de classifier des lieux qui, par leur nature même, constitueraient un secret de la défense nationale. Dans ce cas, les perquisitions doivent être précédées d’une déclassification temporaire du lieu, demandée au président de la CCSDN. J’ai bien compris que la création de lieux classifiés soulève des inquiétudes. La liste en sera établie par le Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale et devrait être très limitée, de l’ordre de quelques dizaines. L’Île Longue, le PC Jupiter sont des exemples que l’on peut citer.

Ces dispositions sont le résultat d’un travail qui a duré trois ans. Il s’agit d’un dispositif équilibré, qui protège d’égale manière les magistrats enquêteurs et les intérêts fondamentaux de la Nation. Néanmoins, des amendements vous seront proposés afin de clarifier certaines dispositions et de mieux garantir le bon déroulement des procédures.

Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CD 121.

Elle examine ensuite en discussion commune les amendements CD 20 et CD 60 des rapporteurs ainsi que les amendements CD 61 et CD 62 de la commission des lois.

M. Yves Fromion, rapporteur. L’expression « susceptible d’abriter » est imprécise et risque d’entraîner la classification d’un nombre de lieux trop important. L’amendement CD 20 vise à la remplacer par le mot « abritant ».

L’amendement CD 60 précise que la liste de ces lieux est établie, de façon précise et limitative, par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale ; elle doit être régulièrement actualisée. Confidentielle, elle sera communiquée à la CCSDN ainsi qu’au ministre de la justice, qui devront la rendre accessible aux magistrats de façon sécurisée ; le magistrat pourra ainsi vérifier si le lieu dans lequel il souhaite effectuer une perquisition y figure.

L’amendement CL 61 du rapporteur pour avis prévoit que cette liste est fixée par un arrêté du Premier ministre. Nous proposons d’intégrer cette idée dans notre amendement CD 60 et de le modifier ainsi : « la liste des lieux visée à l’alinéa précédent, fixée par arrêté du Premier ministre, est établie …» – le reste inchangé.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis de la commission des lois. La commission des lois s’est penchée sur cette question qui met en jeu deux priorités constitutionnelles d’égale valeur : la recherche des auteurs d’infraction et la protection des intérêts majeurs de notre pays. Des procès d’intention ont été faits et les réactions sont partagées, quelles que soient les institutions en cause – magistrats ou CCSDN.

Le Parlement doit trouver un équilibre. Les amendements CD 20 et CD 60 vont en ce sens. Il importait de définir avec précision les modalités d’élaboration de la liste et de ne pas confier à l’autorité qui détient des éléments classifiés le soin de la dresser. En outre, je suis favorable à la proposition du rapporteur et je retire l’amendement CD 61 au bénéfice du CD 60 rectifié.

Notre amendement CD 62 prévoit que les conditions de délimitation des lieux concernés sont déterminées par un décret en Conseil d’État, comme c’est déjà le cas s’agissant des zones protégées. Il convient qu’un acte réglementaire précise quels sont les lieux concernés, qui sollicite leur inscription, quels seront les contrôles et les vérifications et comment, concrètement, ces lieux sont délimités.

M. Yves Fromion, rapporteur. J’émets un avis favorable, sous réserve que l’amendement soit modifié. Il conviendrait, pour qu’il s’intègre bien dans le texte, de le rédiger ainsi : « Les conditions de délimitation des lieux abritant des éléments protégés par le secret de la défense nationale sont déterminées par décret en Conseil d’État. ».

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. J’accepte.

Mme Patricia Adam. L’article 12, qui a suscité l’ire des magistrats, touche un sujet sensible. C’est d’abord l’extension à des lieux de la notion de secret défense – limitée jusqu’ici aux documents – qui nous est proposée. L’existence d’une telle liste, pour être inquiétante, n’en est pas moins compréhensible ; c’est pourquoi nous avons tenté d’amender ce texte sans pour autant l’empêcher.

Il ne faudrait pas que ces lieux deviennent trop importants, soit en nombre, soit en périmètre. Je souscris à l’amendement de la commission des lois : les modalités doivent être précisées, sans quoi il pourrait y avoir, dans certaines situations, une suspicion de non-transmission de documents nécessaires à l’exercice de la justice. L’inscription sur cette liste doit être une exception et il est bon qu’un décret en Conseil d’État le garantisse.

M. Bernard Cazeneuve. Monsieur le ministre, quels sont les événements récents qui ont motivé la rédaction de ce texte ? D’autre part, si la réforme voulue par le Président de la République et tendant à remplacer le juge d’instruction par un magistrat du parquet venait à être mise en œuvre, quel intérêt conserverait cette disposition ? Ne peut-on pas imaginer que dans cette hypothèse, le responsable de l’exécutif puisse discuter avec un magistrat du parquet dans des situations aussi sensibles ?

M. Yves Fromion, rapporteur. Ce texte trouve son origine dans un avis du Conseil d’État du 5 avril 2007, qui soulignait l’existence d’un vide juridique concernant les perquisitions dans un lieu contenant des documents classifiés. La principale préoccupation de l’association française des magistrats instructeurs, que j’ai auditionnée, est bien d’écarter le risque de compromission et de protéger les magistrats dans l’exercice de leurs responsabilités.

M. le ministre. Également sensible au fait que la justice puisse établir la vérité, j’ai fait en sorte que ce nouveau dispositif n’empêche pas la loi républicaine de s’appliquer.

Le travail effectué par la CCSDN est remarquable. Il est porté par le souci permanent que la justice puisse accéder aux documents. La commission a rendu cette année 54 avis : 51 étaient favorables – il convient d’y ajouter une décision favorable du ministre. Les refus de déclassification tiennent moins aux secrets d’État qu’à l’absence d’intérêt des documents concernés pour le travail du juge d’instruction.

Il fallait éviter qu’un magistrat puisse tomber sous un délit de compromission, ce qui non seulement le faisait relever de la loi pénale mais mettait aussi en péril la régularité de la procédure pénale. L’équilibre souhaité est atteint grâce au travail des rapporteurs. L’arrêté du Premier ministre – marque d’un engagement politique – peut faire l’objet d’un recours devant le juge et le décret en Conseil d’État déterminant les conditions de délimitation permettra de donner toutes les garanties nécessaires à l’exercice des pouvoirs du juge judiciaire.

La Commission adopte l’amendement CD 20, ainsi que l’amendement CD 60 rectifié. L’amendement CD 61 est retiré. L’amendement CD 62 rectifié est adopté.

Puis la Commission examine l’amendement CD 63 de la commission des lois. De nature rédactionnelle, il est adopté.

La Commission examine en discussion commune l’amendement CD 64 de la commission de lois et l’amendement CD 143 de Mme Patricia Adam.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. D’une part, ce texte élargit aux lieux la notion de « secret de la défense nationale », jusqu’ici limitée aux documents ; d’autre part, il prévoit que le secret de la défense nationale est protégé dans le cadre d’une perquisition, de la même manière que le secret médical, le secret journalistique et le secret professionnel des avocats.

La commission des lois a cherché à renforcer le pouvoir de la CCSDN mais aussi à rapprocher la procédure de perquisition de celle d’une procédure de perquisition dans le cabinet d’un avocat.

À quel moment le président de la CCSDN doit-il être informé de l’objet de la perquisition ? Le projet de loi prévoit que le magistrat lui adresse préalablement à la perquisition une décision écrite et motivée. La commission des lois a estimé que cette distinction d’avec la procédure applicable à la perquisition dans le cabinet d’un avocat n’était pas justifiée. En outre, la transmission préalable pourrait donner à l’autorité indépendante qu’est la CCSDN un pouvoir d’appréciation sur l’opportunité de la perquisition, ce qui serait contraire au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.

L’amendement CD 64 prévoit donc que le contenu de la décision est porté à la connaissance du président de la CCSDN au début de la perquisition. Il n’est pas question d’introduire une quelconque suspicion mais de mettre une cohérence dans les procédures de perquisition lorsqu’elles concernent la défense d’un intérêt spécifiquement protégé.

Mme Patricia Adam. L’amendement CD 143 va dans le même sens. Le juge n’a pas à justifier à l’avance les raisons de sa perquisition et doit seulement en informer le président de la CCSDN en un temps strictement utile pour que celui-ci puisse exercer sa mission, c’est-à-dire au début de la perquisition.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. En commission des lois, M. Raimbourg a retiré le même amendement.

Mme Patricia Adam. Je retire l’amendement CD 143.

L’amendement CD 143 est retiré.

M. Yves Fromion, rapporteur. La commission des lois souhaite, et on la comprend, répondre à une objection des magistrats : la procédure mise en place en amont de la perquisition annulerait l’effet de surprise nécessaire à celle-ci.

Cependant, il est difficile d’admettre que le juge puisse convoquer le président de la CCSDN en lui fixant, sans plus d’informations, un rendez-vous à telle heure sur le quai de la gare de Carpentras ! La CCSDN est composée, je le rappelle, de trois magistrats de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes, ainsi que de deux parlementaires – notre collègue Jean-Michel Boucheron et un sénateur. Ne pas fournir au président un minimum d’informations témoigne d’une extraordinaire défiance.

Cette procédure n’a rien de comparable avec celle qui s’applique lors d’une perquisition menée dans un cabinet d’avocat, qui prévoit la présence du bâtonnier, au titre de la proximité professionnelle avec l’avocat. Le président de la CCSDN, quant à lui, a pour rôle de protéger le juge du délit de compromission.

Alors que la CCSDN compte deux parlementaires, les mesures proposées tendent à introduire une attitude de défiance au sein même de l’institution parlementaire, car des parlementaires en viendraient à dénier à d’autres parlementaires la capacité de bien faire leur travail.

À défaut de partager l’analyse de mon collègue, je partage sa préoccupation et je propose donc, avec mon collègue Patrick Beaudouin, un amendement CD 198 tendant à modifier l’alinéa 3 de l’article 12. Pour que puisse jouer l’effet de surprise, le juge se bornerait à indiquer au président de la CCSDN qu’il doit procéder à une perquisition pour un certain type d’infraction et à quel endroit il doit le faire, sans indiquer « les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci ». Cela revient à supprimer ce qui est le plus urticant pour les juges, tout en préservant l’information de la CCSDN, institution créée par décret du Président de la République et constituée des grands corps de l’État, à l’égard de laquelle la désinvolture n’est pas de mise.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. Il faut replacer la démarche de la commission des lois dans un cadre plus global. Il n’est pas question, je le répète, de faire le procès de quiconque, et certainement pas un procès en suspicion. Il ne s’agit pas de ménager des susceptibilités, mais de construire un système législatif cohérent dans un ensemble de procédures de perquisition.

Le texte a bien entendu, entre autres finalités, celle de protéger les magistrats du délit de compromission. Il y va aussi de la crédibilité de nos services en matière d’informations sensibles. Les enjeux de la sécurité, du travail en réseaux et de l’information internationale nous obligent à donner des garanties procédurales à nos partenaires.

Quant au bâtonnier, ce n’est pas en tant qu’avocat de son confrère qu’il assiste à la perquisition, mais en qualité de garant du respect du secret professionnel vis-à-vis de l’instruction.

Enfin, puisque la perquisition ne peut pas avoir lieu sans la présence du président de la CCSDN, un contact est nécessaire entre le juge et le président, qui doivent s’entendre sur le lieu et l’heure. Le législateur doit prendre de la hauteur et trouver un équilibre entre le pouvoir d’une autorité administrative indépendante et les droits des magistrats dans le cadre de la perquisition, sous le regard des citoyens que nous représentons.

La proposition de la commission des lois est cohérente et je maintiens donc l’amendement CD 64.

Mme Marylise Lebranchu. Pour ma part, je n’aurais pas étendu le secret défense des documents aux lieux. Il est ici question de deux choses différentes : le secret défense, que personne ne remet en cause, et le secret de l’instruction.

Quand bien même n’y aurait-il de défiance envers personne, vous n’en allez pas moins casser l’égalité entre les citoyens car les affaires justifiant une perquisition peuvent être tout à fait privées et n’avoir aucun lien avec le secret défense, dans le cas d’un meurtre, par exemple. À quel titre contraindrait-on le magistrat, qui ne vient pas pour lire des documents classés « secret défense », à annoncer son arrivée dans un lieu auquel il doit avoir accès pour conduire son instruction, alors que ce n’est le cas pour aucune autre affaire ? Cela supposerait notamment que le président et son représentant soient soumis au secret de l’instruction, ce qui n’est pas possible.

Monsieur le rapporteur, pourriez-vous mieux expliciter votre objection ?

M. Yves Fromion, rapporteur. Le juge, après avoir décidé de perquisitionner sur un lieu, consulte la liste disponible sur l’intranet du ministère et, ayant constaté que ce lieu abrite des éléments classifiés, prend contact avec le président de la CCSDN, lequel peut, le cas échéant, lui faire savoir que sa présence n’est pas requise pour certaines parties de ce lieu, qui ne sont pas concernées par le secret défense. Un débat est nécessaire à ce propos car, dans sa forme actuelle, la proposition de la commission des lois ne favorise pas la procédure.

Mme Marylise Lebranchu. Vous ne m’avez pas répondu. Un juge ne peut pas entrer dans un cabinet d’avocat sans être accompagné par le bâtonnier, dont la présence n’est pas commandée par la sympathie, mais par la procédure. Ainsi, même dans une affaire relevant de Tracfin, seul le dossier concerné peut être ouvert. Le bâtonnier ouvre chaque dossier, examine chaque pièce et la numérote avant de la communiquer, le cas échéant, au juge.

Dans le cas du secret défense, si un magistrat demande l’accès au bureau du ministre de la défense – ou, si vous préférez, à n’importe quel bureau classé « secret défense » –, il est accompagné du président de la commission et de son représentant. L’amendement CD 143 prévoit que ce soit au moment où il pénètre dans le bureau – et à ce moment seulement, afin d’éviter qu’il n’y ait prévenance – qu’il indique le motif de sa présence et demande les pièces nécessaires. Les pièces qui n’intéressent pas son enquête ne lui sont pas communiquées.

M. Yves Fromion, rapporteur. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Les documents qui ne portent pas de tampon indiquant leur classement n’intéressent pas le président de la commission. En revanche, les documents classés que le juge souhaite consulter, mais dont il ne peut se saisir sous peine de compromission, sont préalablement évalués par le président de la commission, qui juge de leur pertinence.

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le rapporteur, vous venez de donner raison à la commission des lois. Il faut donc voter l’amendement de M. Blessig.

M. le ministre. Il me semble, madame Lebranchu, que vous confondez les procédures. C’est là un sujet qui m’a beaucoup interrogé, et que j’ai beaucoup étudié.

Il existe, d’une part, des lieux susceptibles d’accueillir des éléments relevant du secret défense, dont la liste, élaborée par le SGDN, figurera sur l’intranet du ministère de la justice, et que le magistrat désireux de procéder à une perquisition pourra consulter.

Il existe par ailleurs trente ou quarante sites eux-mêmes classés « secret défense » en raison des informations qu’ils contiennent, comme le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO). Pour avoir accès à ces sites, le magistrat doit motiver sa demande, comme l’expliquait M. Fromion. Il est logique qu’une procédure permette, en amont, à la CCSDN, d’indiquer au juge que certains sites n’ont pas forcément de lien avec son enquête.

Pour les centaines d’autres lieux susceptibles d’abriter des documents classés « secret défense », l’enjeu est plutôt la surprise que le secret proprement dit, car le juge n’a pas accès aux documents portant la mention « secret défense ».

Je m’en remets à la sagesse des parlementaires pour savoir si la transmission en amont à la CCSDN de l’ensemble des éléments indiquant clairement de quelle affaire il s’agit est de nature à nuire à l’effet de surprise nécessaire dans le cadre d’une instruction judiciaire.

M. Yves Fromion, rapporteur. Je suis très dubitatif quant à la procédure envisagée. L’amendement que je propose, tendant à réduire les motivations que le juge doit exposer à la CCSDN, me semble plus adapté : le juge se contente d’indiquer au président de la commission qu’il veut se rendre sur tel site dans le cadre de telle affaire, afin de fixer un rendez-vous et d’éviter la brutalité de certains procédés et la suspicion qu’elle exprime.

Je propose donc à la commission de la défense d’adopter l’amendement CD 198, qui vise à limiter, en modifiant le début de l’alinéa 3 de l’article 12, les motivations à fournir par le juge au président de la CCSDN.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. Je suis sensible aux efforts déployés par le rapporteur de la commission de la défense pour trouver une solution de compromis. Cependant, le président de la CCSDN doit être en possession de toutes les informations nécessaires et une simplification excessive du texte pourrait nous conduire à supprimer cette obligation.

M. Yves Fromion, rapporteur. Pour clarifier, je précise que, si l’amendement est adopté, la première phrase de l’alinéa 3 de l’article 12 sera ainsi libellée : « La perquisition ne peut être effectuée qu’en vertu d’une décision écrite et motivée qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations ainsi que le lieu visé par la perquisition », les mots « les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci » étant supprimés.

M. Bernard Cazeneuve. Le ministre a excellemment exposé la problématique. En s’en remettant à la sagesse du législateur, il nous a en quelque sorte indiqué l’amendement vers lequel nous devions nous diriger.

M. le ministre. Non car je n’ai pas de réponse à la question posée.

M. Bernard Cazeneuve. Je pense comme le rapporteur pour avis qu’il ne faut pas mettre en place un dispositif qui serait fondamentalement différent de toutes les règles présidant aux perquisitions menées dans d’autres cadres. Cela reviendrait à faire peser sur le texte que nous aurions adopté une suspicion dont le ministre aura du mal à expliquer les motivations profondes.

M. le président Guy Teissier. Mes chers collègues, je m’efforce de rester neutre, mais il me semble que vous êtes en train de recourir à des argumentaires de défense, si je puis dire.

Mme Patricia Adam. Pas du tout ! C’est de l’exercice du droit qu’il s’agit !

M. le président Guy Teissier. C’est précisément parce que le dispositif que nous étudions est dérogatoire que nous en débattons : il n’y aurait pas lieu de le faire s’il se situait dans le droit commun. La question est donc de savoir si vous privilégiez le secret de la défense nationale par rapport au droit commun – ce qui ne semble pas être le cas.

M. Bernard Cazeneuve. Nous sommes là dans un domaine éminemment régalien et tellement exorbitant que les règles qui s’y rapportent doivent se rapprocher le plus possible du droit commun si l’on veut qu’elles échappent à la suspicion. Il ne faut pas donner le sentiment que l’exécutif cède à la culture du secret.

M. le ministre. Étant donné qu’il existera une trentaine de lieux classifiés, pour lesquels une procédure entièrement dérogatoire laisse la place la plus large à la sécurité nationale et à la protection des intérêts supérieurs de l’État et de la Nation, je serais favorable à ce que le régime propre aux lieux simplement susceptibles d’abriter des éléments couverts par le secret se rapproche du droit commun, à la condition que la CCSDN soit à même de garantir le secret de l’instruction. Je me rangerai sinon à l’avis d’Émile Blessig.

M. le président Guy Teissier. Certes, monsieur le ministre, mais l’amendement de la commission des lois introduit une suspicion.

La Commission rejette l’amendement CD 64 et adopte l’amendement CD 198.

La Commission adopte ensuite un amendement de coordination CD 22 des rapporteurs.

Puis elle adopte un amendement de précision CD 144 de Mme Patricia Adam, après que M. le rapporteur Yves Fromion s’y est déclaré favorable.

La Commission est saisie d’un amendement CD 145 de Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. Cet amendement vise à clarifier les rôles respectifs du président de la CCSDN et du magistrat instructeur.

M. Yves Fromion, rapporteur. Mon avis est défavorable car le magistrat ne peut pas choisir entre les documents en cause.

Cet amendement est retiré.

La Commission examine un amendement CD 146 de Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. Il paraît excessif et peu pratique de faire dépendre la classification d’un lieu « neutre » en lieu protégé de la présence éventuelle et de la découverte fortuite de documents ou d’informations classifiés.

M. Yves Fromion, rapporteur. Cet amendement est satisfait par l’amendement CD 59 rectifié qui sera appelé dans quelques instants.

L’amendement CD 146 est retiré.

La Commission adopte un amendement rédactionnel CD 65 de la commission des lois.

Puis elle examine deux amendements, CD 59 rectifié des rapporteurs et CD 66 de la commission des lois, pouvant faire l’objet d’une discussion commune.

M. Yves Fromion, rapporteur. L’amendement CD 59 concerne le deuxième cas de perquisition prévu par l'article 12, celui qui conduit à la découverte fortuite d'éléments protégés par le secret de la défense nationale. Dans ce cas, il nous semble excessif de prévoir une suspension de l'ensemble de la perquisition jusqu'à l'arrivée du président de la CCSDN.

C'est pourquoi nous proposons que ces éléments classifiés découverts soient placés sous scellés par l'officier de police judiciaire ou le magistrat qui les a découverts, sans que celui-ci en prenne connaissance, afin d'éviter toute compromission. Un procès-verbal contenant une description sommaire des éléments placés sous scellés reste néanmoins de règle.

L'amendement prévoit ensuite que les scellés sont remis ou transmis, « par tout moyen en conformité avec la réglementation applicable aux secrets de la défense nationale », au président de la Commission.

La déclassification de ces éléments suivra ensuite la procédure de droit commun.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. Nous pensons également qu’il ne faut pas interrompre une perquisition simplement parce qu’on tombe sur un dossier portant la mention « secret défense ». Je retire mon amendement au bénéfice de celui des rapporteurs de la commission de la défense, lequel me semble source d’économies, de simplification et d’efficacité.

L’amendement CD 66 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CD 59 rectifié.

Elle adopte ensuite l’amendement de précision CD 67 de la commission des lois.

La Commission est saisie d’un amendement CD 79 des rapporteurs.

M. Yves Fromion, rapporteur. Comme le prévoit un amendement précédent pour les lieux « abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale », il convient que la loi précise les modalités d’information des magistrats de la classification d’un lieu dans lequel ils souhaitent effectuer une perquisition. En outre, comme la liste des lieux classifiés sera elle-même couverte par le secret, cet amendement permet d’éviter que la révélation d’une information figurant sur cette liste à une personne non qualifiée – le magistrat en l’espèce – ne constitue une infraction de compromission.

Cet amendement satisfait le premier alinéa de l’amendement CD 73 de la commission des lois à l’article 13. L’insertion à l’article 12 de la disposition proposée nous paraît préférable et similaire à ce qui a été fait précédemment avec l’amendement CD 60.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. La commission des lois aboutit aux mêmes conclusions.

La Commission adopte l’amendement CD 79 à l’unanimité.

Puis elle adopte successivement un amendement rédactionnel CD 24 et un amendement de précision CD 25, tous deux des rapporteurs.

La Commission examine deux amendements, CD 147 de Mme Patricia Adam et CD 68 de la commission des lois, pouvant faire l’objet d’une discussion commune.

Mme Patricia Adam. S’agissant d’enquêtes judiciaires, il convient de ne pas laisser à l’exécutif la possibilité de bloquer des affaires sensibles par simple inertie.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. Notre argumentaire est le même, si ce n’est que nous retenons la formule « sans délai » par souci du parallélisme des formes.

M. Yves Fromion, rapporteur. L’amendement de la commission des lois me paraît mieux répondre au problème.

Mme Patricia Adam. Je retire l’amendement CD 147.

L’amendement CD 147 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CD 68.

Puis elle adopte un amendement de coordination CD 69 de la commission des lois, après que M. le rapporteur Yves Fromion s’y est déclaré favorable.

Elle adopte ensuite un amendement de forme CD 29 des rapporteurs.

La Commission adopte l’article 12 modifié.

Article 13

(articles 413-9, 413-9-1 nouveau, 413-10, 413-10-1 nouveau,
à 413-11 et 413-11-1 nouveau du code pénal)

Précision de la définition des secrets de la défense nationale et des incriminations d’atteinte au secret de la défense nationale

La Commission est d’abord saisie d’un amendement CD 122 de M. Jean-Jacques Candelier, visant à supprimer l’article 13.

M. Jean-Jacques Candelier. La substitution de la notion de « renseignement » à celle d’« information » étend considérablement le territoire et la protection du secret défense. C’est un verrou supplémentaire opposé au travail des magistrats. Loin de préciser la notion, cette extension introduit une incertitude considérable et préjudiciable. Voilà pourquoi nous proposons de supprimer l’article 13.

La Commission rejette cet amendement, après que M. le rapporteur Yves Fromion s’y est déclaré défavorable.

Elle examine ensuite un amendement CD 30 des rapporteurs.

M. Yves Fromion, rapporteur. Cet amendement tend à corriger une erreur matérielle.

La Commission adopte cet amendement.

Elle est saisie d’un amendement CD 70 de la commission des lois.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. Cet amendement supprime la précision de l’élément intentionnel dans l’incrimination de la prise de connaissance d’un élément classifié par un enquêteur, parce qu’elle est inutile et source de confusion.

M. Yves Fromion, rapporteur. Favorable.

La Commission adopte cet amendement.

La Commission est ensuite saisie de deux amendements de cohérence, CD 71 rectifié de la commission des lois et CD 148 de Mme Patricia Adam, pouvant faire l’objet d’une discussion commune.

Mme Patricia Adam. Je retire l’amendement CD 148.

L’amendement CD 148 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CD 71 rectifié.

La Commission examine un amendement CD 72 de la commission des lois.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. La possibilité de classifier des lieux est une innovation qui emporte des conséquences procédurales de la première importance. C’est pourquoi nous souhaitons doter en la matière la commission consultative d’un pouvoir spécifique.

À la différence de la classification de documents, une telle classification suppose réunies certaines conditions objectives et définies par la loi, dont il est légitime d’encadrer l’appréciation par l’autorité administrative. En outre, la décision de classification prise par le Premier ministre étant elle-même classifiée, elle ne pourra faire l’objet d’aucun recours ni d’aucune contestation dans le cadre d’un débat démocratique.

C’est pourquoi il nous semble nécessaire de soumettre cette décision à un avis conforme de la CCSDN. La soumission du pouvoir réglementaire à l’avis conforme d’une autorité administrative indépendante est relativement fréquente et se retrouve dans les domaines les plus divers. Ainsi, l’Autorité des marchés financiers ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel disposent d’un tel pouvoir.

M. Jean-Pierre Soisson. La commission des lois va d’un excès à l’autre : on ne peut pas demander un avis conforme à une commission consultative, car alors elle n’est plus consultative !

M. Yves Fromion, rapporteur. Je partage cette analyse mais je n’ai pas d’hostilité de principe à l’amendement de la commission des lois, à condition que la disposition proposée précède l’alinéa 10, au lieu de s’y substituer.

M. le ministre. Je suis opposé à cet amendement. Cessons d’abandonner à des autorités dénuées de toute légitimité politique le soin de décider à notre place !

La Commission rejette cet amendement.

Elle est ensuite saisie d’un amendement CD 73 de la commission des lois.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. Cet amendement étant satisfait par l’amendement CD 79, je le retire.

L’amendement CD 73 est retiré.

La Commission adopte successivement un amendement de coordination CD 31 et un amendement rédactionnel CD 32, tous deux des rapporteurs.

Elle examine un amendement CD 74 de la commission des lois.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. Cet amendement répare un oubli du projet de loi, qui a omis de réprimer le fait, pour une personne qualifiée, de porter à la connaissance du public ou d’une personne non qualifiée un élément relatif à la nature des installations ou des activités abritées par un lieu classifié.

La Commission adopte cet amendement.

Elle est ensuite saisie d’un amendement CD 75 de la commission des lois.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une disposition du même ordre que la précédente.

M. Yves Fromion, rapporteur. Favorable.

La Commission adopte l’amendement CD 75.

Puis elle adopte l’article 13 modifié.

Avant l’article 14

La Commission examine un amendement CD 149 de Mme Patricia Adam, portant article additionnel avant l’article 14.

Mme Patricia Adam. La question de l’avis conforme ayant été tranchée, je retire cet amendement.

L’amendement CD 149 est retiré.

Article 14

(articles 23-12-1, 2312-4, 2312-5 et 2312-7-1 nouveau du code de la défense)

Compétences de la Commission consultative du secret de la défense nationale en matière de perquisition dans des lieux classifiés ou contenant des éléments couverts par le secret de la défense nationale

La Commission examine d’abord un amendement CD 123 de M. Jean-Jacques Candelier, tendant à supprimer l’article 14.

M. Jean-Jacques Candelier. Le verrouillage des secrets d’État n’est pas admissible.

La Commission rejette cet amendement.

Puis elle adopte successivement un amendement rédactionnel CD 34 des rapporteurs un amendement CD 76 de la commission des lois.

Elle est ensuite saisie d’un amendement CD 150 de Mme Patricia Adam.

Mme Marylise Lebranchu. Il est légitime que le magistrat à qui l’on oppose un avis négatif puisse appeler de cette décision.

M. Yves Fromion, rapporteur. L'amendement prévoit que, lorsque le président de la CCSDN donne un avis négatif sur une demande de déclassification d'un lieu, cet avis est porté à la connaissance du magistrat qui peut demander un second examen de sa demande par la commission réunie en urgence.

Cet amendement me semble totalement incompatible avec la nécessaire confiance qui doit primer entre le président de la CCSDN et le magistrat.

Le recours à une décision du président a été privilégié afin de permettre une déclassification rapide du lieu en question, la loi prévoyant que le président doit donner son avis « sans délai ». Instaurer une possibilité de recours contre cet avis ralentirait donc nécessairement toute la procédure car il faudrait prendre le temps de réunir la commission.

Par ailleurs, toute cette opération concernant un lieu classifié dont le magistrat ne peut rien connaître, celui-ci ne me semble pas en situation de contester une décision du président de la commission, prise en connaissance de cause et en toute indépendance.

Enfin, il me semble très difficile de donner à un magistrat le pouvoir de demander à une autorité administrative indépendante de déjuger son président.

Avis défavorable donc.

Mme Marylise Lebranchu. Si le magistrat, instruisant à charge et à décharge, estime devoir avoir accès à tel ou tel lieu et se voit opposer un refus, il doit pouvoir en appeler à la commission consultative. Cela ne me semble pas excessif.

M. Yves Fromion, rapporteur. La commission consultative ne prend pas de décision : elle émet un avis, que le ministre peut ne pas suivre. C’est lui qui constitue alors l’instance d’appel.

Cet amendement est retiré.

La Commission est saisie d’un amendement CD 77 de la commission des lois.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. La commission des lois avait jugé que l’effectif de la commission consultative était insuffisant pour faire face à la découverte fortuite d’éléments classifiés. Voilà pourquoi elle propose d’augmenter le nombre de ses membres. La situation est cependant modifiée par l’adoption de l’amendement CD 59 rectifié.

M. Yves Fromion, rapporteur. Je ne suis pas défavorable à cet amendement.

M. le ministre. J’y suis pour ma part totalement défavorable : premièrement, puisque la perquisition n’est pas suspendue, l’effectif de la commission n’a pas à être augmenté ; deuxièmement, plus les membres sont nombreux, plus la confidentialité est fragilisée.

La Commission rejette cet amendement.

La Commission adopte ensuite un amendement rédactionnel CD 54 des rapporteurs.

En conséquence, l’amendement CD 151 de Mme Patricia Adam n’a plus d’objet.

Puis la Commission examine un amendement CD 78 de la commission des lois.

M. Émile Blessig, rapporteur pour avis. Compte tenu du rôle conféré à la commission consultative, il est nécessaire d’adapter les pouvoirs de ses membres. L’article L. 2312-5 du code de la défense prévoit déjà que ceux-ci peuvent accéder à toute information classifiée dans le cadre de leurs fonctions. Il doit également leur permettre d’accéder aux lieux classifiés créés par le projet de loi.

M. Yves Fromion, rapporteur. Excellent amendement : avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Elle est ensuite saisie d’un amendement CD 152 de Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. La commission consultative est une instance collégiale. Il ne peut appartenir à son seul président d’émettre un avis.

M. Yves Fromion, rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

Puis elle adopte l’article 14 modifié.

Chapitre VII

Dispositions diverses

Article 15

Modalités de neutralisation d’appareils de communications électroniques

La Commission adopte cet article sans modification.

Article 16

Nouvelle répartition des compétences dans le domaine de l’énergie nucléaire

La Commission adopte cet article sans modification.

Après l’article 16

La Commission est saisie de l’amendement CD 124 du Gouvernement, portant article additionnel après l’article 16.

M. le ministre. Cet amendement a pour objet de sortir du domaine public trois immeubles pour que nous puissions en tirer les ressources escomptées. Nous comptons vendre deux d’entre eux et rester propriétaires du troisième en y intégrant un bail emphytéotique.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Puis elle examine l’amendement CD 125 du Gouvernement.

M. le ministre. Cet amendement vise à compléter, par un nouvel alinéa, l’article L 3212-2 du code général de la propriété des personnes publiques afin que la cession gratuite de biens meubles dont le ministère de la défense n’a plus l’emploi soit possible sans que soit nécessaire, à chaque fois, la signature du ministre.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CD 126 du Gouvernement.

M. le ministre. Cet amendement tend à fixer à soixante-quatre ans la limite d’âge du corps nouvellement créé des ingénieurs militaires d’infrastructure de la défense, à l’instar des autres corps d’ingénieurs du ministère.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Elle est saisie de l’amendement CD 127 du Gouvernement.

M. le ministre. Il s’agit d’assurer le parallélisme entre le plan de la partie législative et le plan de la partie réglementaire du code de la défense.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Elle examine enfin l’amendement CD 128 du Gouvernement.

M. le ministre. Ce dernier amendement vise à autoriser le Gouvernement, en vertu de l’article 38 de la Constitution, à légiférer par ordonnance pour prendre les mesures d’adaptation liées au transfert des attributions de la direction des statuts, des pensions et de la réinsertion sociale à d’autres directions du ministère de la défense et à d’autres organismes, tels que l’office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC).

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Article 17 

Champ d’application de la loi

La Commission adopte cet article sans modification.

Elle adopte ensuite l’ensemble du projet de loi modifié.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze

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