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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 3 juin 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 49

Présidence de M. Guy Teissier, Président

— Audition de M. Daniel Jouanneau, ambassadeur de France au Pakistan

— Information relative à la commission

Audition de M. Daniel Jouanneau, ambassadeur de France au Pakistan

La séance est ouverte à dix heures

M. le président Guy Teissier. Nous avons le grand plaisir d’accueillir M. Daniel Jouanneau, ambassadeur de France au Pakistan depuis octobre 2008.

Permettez-moi, monsieur l’ambassadeur, de retracer brièvement votre carrière.

Vous êtes entré au ministère des affaires étrangères en 1971 et vous y avez occupé en alternance des postes à l’étranger et au sein de l’administration centrale. Après l’Égypte, vous êtes passé par la Guinée, le Zimbabwe, le Liban, le Mozambique. Vous avez été pendant deux ans le chef du protocole du président François Mitterrand puis, pendant deux ans également, celui du président Jacques Chirac. Vous avez été ensuite consul général au Québec de 1987 à 1989 et ambassadeur de France au Canada de 2004 à 2008, avant de rejoindre Islamabad.

La commission de la défense suit de très près l’engagement militaire de la France en Afghanistan et la situation au Pakistan est un sujet qui nous intéresse au premier chef. M. Pierre Lellouche, membre de notre commission et représentant spécial de la France pour l’Afghanistan et le Pakistan, nous a fait le 20 mai dernier un compte rendu détaillé. Votre témoignage nous sera également précieux.

Notre préoccupation à l’égard du Pakistan est grande, tant ce pays paraît être une sorte de terreau où le terrorisme prolifère.

M. Daniel Jouanneau, ambassadeur de France au Pakistan. C’est une chance pour un ambassadeur que de pouvoir s’adresser aux députés, surtout lorsqu’il sert l’État dans un pays que nous connaissons très mal. Il faut s’intéresser au Pakistan pour lui-même, pas seulement comme un problème annexe du problème afghan. Vous avez raison d’être inquiets. Tout ce que vous lisez dans les journaux français est vrai, la presse écrite et la télévision ayant au Pakistan des correspondants permanents très professionnels.

Comme vous le dites, monsieur le président, le Pakistan est un terreau pour le terrorisme international, et cela représente une menace directe pour nous. Le quartier général d’Al-Qaïda y est implanté. L’attentat qui a coûté la vie à dix de nos soldats dans la vallée d’Ouzbine, en août dernier, a été très vraisemblablement préparé du côté pakistanais de la frontière afghane. Les attentats de Bombay, en novembre, ont été planifiés au Pakistan et exécutés par des Pakistanais. Les attentats-suicides s’y multiplient, y compris à Islamabad.

Outre le terrorisme, le pays affronte d’immenses défis : l’extrémisme, la pauvreté, les conflits latents avec l’Inde. C’est le sixième État le plus peuplé du monde et le seul pays musulman doté de l’arme nucléaire et des missiles pour la transporter.

Comment en est-il arrivé là ? Où va le Pakistan ? Quelle peut être notre politique à l’égard de ce partenaire incontournable ?

Tout a très mal commencé. La partition avec l’Inde s’est faite dans la précipitation et dans le sang, avec des centaines de milliers d’hindous massacrés par des musulmans, et réciproquement. Puis rien ne s’est passé comme prévu. Le Pakistan devait être un État musulman modéré : aujourd’hui, les talibans prospèrent. Il devait être un État démocratique : sur les 62 ans d’existence du pays, les militaires ont gouverné plus de la moitié du temps, et les brèves parenthèses démocratiques (Zulficar Ali Bhutto, Benazir Bhutto, Nawaz Sharif) se sont généralement terminées par des dérives autoritaires. Ce devait être un pays vivant en paix avec l’Inde : il est dans un état de tension permanente avec son voisin. Ce devait être un pays réunissant les deux territoires à l’ouest et à l’est de l’Inde ; il a éclaté en 1971 avec l’indépendance du Bangladesh. Ce devait être une société modérée, dominée par un islam très tolérant, le soufisme ; c’est une société violente souffrant de graves inégalités, les femmes et les enfants sont très souvent maltraités et les affrontements entre musulmans sont fréquents.

Bref, le rêve du fondateur, Muhammad Ali Jinnah, ne s’est jamais réalisé.

Le Pakistan est un pays mal dans sa peau qui a toujours l’impression d’être incompris de la communauté internationale et qui est obsédé par l’Inde. Il tourne le dos à son voisin de 1,1 milliard d’habitants malgré les 3 000 kilomètres de frontière commune : seul 1 % du commerce extérieur se fait avec l’Inde. Pas un seul envoyé spécial de la presse pakistanaise n’a couvert les dernières élections en Inde, qui furent un événement mondial. En réalité, le succès de la démocratie et de l’économie indiennes est insupportable pour les Pakistanais : les deux États étaient sur la même ligne de départ en 1947, l’un a réussi brillamment, l’autre a échoué. Le Pakistan a provoqué trois guerres contre l’Inde à propos du Cachemire, et les a perdues toutes les trois.

Le sentiment d’être rejetés par la communauté internationale atteint les Pakistanais dans leur fierté. On parle aujourd’hui du terrorisme mais il y a eu aussi la prolifération nucléaire permise par le réseau du Dr Khan et dont la Corée du Nord, la Libye et l’Iran ont bénéficié.

Paradoxalement, le Pakistan, État nucléaire, n’est pas une puissance régionale. Il est rarement en initiative sur le plan international, ce qui est tout à fait anormal pour un pays qui comptera bientôt 200 millions d’habitants, ou bien il prend des positions très négatives (débats aux Nations Unies sur les droits de l’homme par exemple).

Autre contradiction, ce pays profondément anti-américain ne peut se passer de l’aide des États-Unis. Depuis le début de la guerre froide, ils lui ont octroyé des milliards de dollars. Pourtant, l’opinion publique est dominée par une image, celle des États-Unis ennemis de l’islam, occupants illégaux de l’Afghanistan, indifférents au sort du Cachemire.

La démocratie, qui est revenue l’an dernier, est encore très fragile. Nous avons souhaité ce retour, nous n’avons pas d’autre choix que de la soutenir, mais il s’agit d’une démocratie féodale. Si l’on compare la composition de l’Assemblée nationale et du Sénat de 2009 et celle de 1948, on retrouve les mêmes familles. Il y a des dynasties. Les grands exploitants agricoles - ceux qui possèdent 1 000 hectares, ou 150 villages, et qui font vivre des milliers de paysans très pauvres, tiennent le haut du pavé au parlement fédéral et dans les assemblées provinciales. Les votes sont souvent achetés, même s’il faut se réjouir que la population puisse voter.

Il est vrai que les dirigeants pakistanais ont des circonstances atténuantes. Les civils sont revenus au pouvoir au pire moment : aggravation des difficultés économiques à cause de la crise mondiale, et expansion du terrorisme.

On peut distinguer trois catégories différentes au sein des mouvements terroristes.

Premièrement, le réseau Al-Qaïda : des hommes venus combattre l’armée d’occupation soviétique en Afghanistan entre 1979 et 1990, restés sur place, repliés au Pakistan après le 11 septembre. La plupart ne sont ni afghans ni pakistanais. On les appelle « les étrangers » : Arabes, Ouzbek, Tchétchènes, parfois Malaisiens ou Chinois ouïgours. Ils ont leurs camps d’entraînement, ils font leurs études dans les madrasas, avec pour but de chasser d’Afghanistan les forces de l’OTAN et d’établir sur la terre entière un régime islamique dur.

Deuxièmement, les talibans afghans, qui ont succédé aux moudjahidines formés, équipés et financés par les services pakistanais avec l’aide de la CIA pour combattre l’occupation soviétique. Ils sont restés après le départ des Soviétiques et ont pris le pouvoir à Kaboul. Le Pakistan de Benazir Bhutto a fait partie des trois seuls pays (avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis) à avoir officiellement reconnu le régime taliban ; il a été le seul, à ouvrir une ambassade à Kaboul. Les talibans afghans se sont eux aussi repliés sur le territoire pakistanais après le 11 septembre 2001. Leur guide suprême est le mollah Omar, originaire de Kandahar, qui est en principe basé à Quetta mais ne cesse de circuler. Gulbuddin Hekmatyar dirige pour sa part le Hezb-e-Islami. Il faut également citer le réseau Haqqani (père et fils), dont le budget est estimé à 60 millions de dollars. Tous ces groupes sont nos ennemis directs. Leur but est de tuer le maximum de soldats occidentaux en Afghanistan, pour précipiter le retrait des troupes de l’OTAN. Pierre Lellouche a bien montré, lors de son audition du 20 mai, comment ils ont détruit la structure tribale pachtoune de part et d’autre de la ligne Durand.

Troisième catégorie : les talibans pakistanais, qui veulent détruire l’État pakistanais et remplacer le régime soufi par une charia archaïque, analogue à celle que pratiqua le régime taliban de Kaboul pendant les pires années. Deux noms sont à retenir : Behtullah Mehsud, qui a créé le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP, Mouvement des talibans du Pakistan, et Maulana Fazlullah, qui dirige le Tehreek-e-Nafaz-e-Shari-e-Mohammadi (Mouvement pour l’application de la loi islamique. Ils ont créé un mini-État taliban dans la vallée de Swat, à deux heures de voiture d’Islamabad. Le gouvernement pakistanais a cru bien faire en signant une sorte d’accord de paix avec eux, avant de se rendre compte qu’il avait été dupé. Sous couvert de demander le rétablissement de la justice traditionnelle, plus efficace que celle de l’Etat, les talibans avaient en réalité un tout autre agenda : commencer par la vallée de Swat, puis étendre à l’ensemble du pays, par bonds successifs, la charia à leur façon.

Ces trois réseaux terroristes sont interconnectés. Les personnes, l’argent et les armes circulent. Behtullah Mehsud protège Al-Qaida au Waziristan – région où l’armée pakistanaise compte étendre ses opérations dans les prochaines semaines – et la famille Haqqani obéit au mollah Omar. Les modes opératoires ont changé : on est passé du kamikaze isolé au camion-suicide, et maintenant à des actions de type commando comme cela a été le cas à Bombay et récemment, à trois reprises, à Lahore.

La lutte contre le terrorisme est le principal défi pour le président Zardari et son gouvernement. Depuis un mois, on a l’impression d’une volonté réelle, chez les politiques et chez les militaires, d’éradiquer les talibans. C’est une action courageuse et dangereuse : l’armée, obsédée par l’Inde, n’est pas du tout équipée pour ce type de conflit. Tout son dispositif de chars et d’artillerie est massé sur la frontière indienne. Le parallèle peut être fait, en partie, avec la France, lorsque nous nous sommes engagés dans la guerre d’Algérie avec des moyens qui étaient ceux de la guerre froide.

Sur les 550 000 soldats pakistanais, 440 000 se trouvent le long de la frontière à attendre un ennemi qui n’existe pas, et 110 000 sont à la frontière afghane, mais mal préparés et mal équipés.

L’armée a commencé à reprendre le contrôle du mini-État taliban de la vallée de Swat ; elle a subi beaucoup de pertes, les représailles sont terribles, mais elle est décidée à poursuivre son action au-delà de la vallée de Swat. Comme les casernes sont situées à l’extérieur des villes et sont bien protégées, les talibans ont décidé de s’en prendre aux postes de police, qui sont dans les centres-villes et accueillent un public nombreux.

Lorsque les talibans afghans se repliaient au Pakistan pour attaquer ensuite les Occidentaux, les Pakistanais étaient assez indifférents. Nous n’avons pas reçu le moindre témoignage de sympathie de qui que ce soit au Pakistan après l’attentat d’Ouzbin. Mais maintenant que les talibans s’en prennent à l’essence même de ce pays musulman modéré, le gouvernement, la classe politique (à l’exception de quelques partis religieux minoritaires) et l’ensemble de la société civile se sentent directement menacés et se réveillent.

Je voudrais vous dire maintenant des choses positives sur ce pays qui a aussi des côtés très attachants. Il y a des éléments encourageants, des évolutions qui vont dans le bon sens. Il y a un autre Pakistan, dont on ne parle jamais.

D’abord, l’armée n’a pas envie de reprendre le pouvoir. L’opinion, un récent sondage l’a confirmé, ne le souhaite pas. Elle garde un mauvais souvenir des périodes militaires. Les Pakistanais considèrent que les militaires ne se sont pas intéressés à leurs problèmes, puisqu’ils ne rendaient compte à personne, et elle leur impute l’énorme retard pris en matière d’éducation ou de santé (en fait les régimes civils ne s’en sont pas davantage occupés).

En février et mars derniers, une grave crise politique a de nouveau placé le pays au bord du précipice. L’armée aurait pu reprendre le pouvoir. Elle y a songé, le général Kayani me l’a dit, mais elle a décidé de ne pas le faire. Elle veut donner toutes ses chances à la démocratie, même si son rétablissement a été chaotique.

Par ailleurs, d’après ce que nous disent les Américains, l’arme nucléaire pakistanaise est sous bonne garde. Une prise de contrôle par les talibans – objet de beaucoup fantasmes – paraît invraisemblable. Je ne crois pas à cette hypothèse : l’armée se mettrait en travers de leur chemin. En revanche, la dissémination de métastases talibanes dans les quartiers très pauvres est non seulement vraisemblable mais avérée, on m’en parle beaucoup quand je vais dans les grandes villes, Karachi, Lahore, Faisalabad, et bien entendu Peshawar. Il s’agit là, non de terrorisme, mais d’extrémisme : on ne tue pas les gens, on les intimide. Par exemple, on téléphone au coiffeur pour qu’il ferme boutique, on dit aux parents qu’ils ne doivent pas envoyer leur fille à l’école, etc.

En sens inverse, on assiste depuis quelque temps à un réveil de la société civile. L’opinion se révolte contre le terrorisme taliban, refuse sa conception de la charia et aspire profondément au changement. Depuis le président Musharraf, la presse est très libre et elle est le lieu de grands débats publics, de bonne qualité. Il existe beaucoup de pôles de modernité et des universités de très bon niveau. Certaines entreprises fonctionnent très bien. L’audiovisuel se développe considérablement. La place des femmes se renforce. Elles sont plus nombreuses au parlement et commencent à accéder à des postes de responsabilité, dans les institutions universitaires notamment.

Autre élément très positif, le Pakistan bénéficie d’une aide considérable de la part de la communauté internationale. Personne n’a envie de créer une nouvelle catégorie d’État : l’État failli nucléaire.

Je ne crois pas que le Pakistan soit menacé d’implosion. Certains soutiennent qu’il n’est pas une nation, mais la réunion de provinces à forte identité, partageant seulement un islam modéré et une profonde méfiance à l’égard de l’Inde. Mais ces deux éléments, la place aussi de l’armée dans la société, ont fabriqué au fil des décennies quelque chose comme une nation pakistanaise. Et tout le pays est réuni autour d’une grande cause, qui est vraiment nationale, celle du Cachemire. Nous sous-estimons l’importance politique et le potentiel déstabilisateur du problème. Au moment de la partition, là où ils étaient minoritaires, les musulmans sont restés du côté indien. Ils sont très nombreux, puisque l’Inde est le troisième pays musulman du monde après l’Indonésie et le Pakistan. Le Cachemire, qui était musulman, aurait dû être adjoint au Pakistan, comme le Pendjab et le Bengale, mais le maharadjah local était hindou et a rejoint l’Inde de Nehru sans consulter sa population. C’est depuis une pomme de discorde permanente entre les deux pays, qui a donné lieu à trois guerres, chaque fois provoquées, chaque fois perdues par le Pakistan. Les services secrets pakistanais (Inter Services Intelligence) ont créé un mouvement terroriste, le Lashkar-e-Taiba (l’Armée des purs, LeT), qui a régulièrement envoyé des terroristes dans le Cachemire indien. Tant que le problème ne sera pas réglé par une négociation directe, ce sera toujours une source de conflits. Nous autres, Français et Européens, avons tout intérêt à encourager les Indiens et les Pakistanais à s’asseoir autour d’une table avec des représentants de la population locale – laquelle s’élève à 12 millions de personnes, dont 4 millions du côté pakistanais – pour essayer de trouver un compromis réaliste. Nous devons le faire discrètement, car l’Inde entend régler le problème bilatéralement, sans aucune intervention étrangère.

Le Pakistan est pour nous un partenaire obligé. Nous ne pouvons être présents en Asie si nous faisons l’impasse sur ce pays. Nous ne pouvons pas dialoguer avec le monde musulman si nous le négligeons. Et nous ne pouvons pas stabiliser l’Afghanistan si le Pakistan reste instable.

Nous avons tout intérêt à l’arrimer au camp des États musulmans modérés, à aider le gouvernement à reprendre le contrôle de son territoire, à encourager le président Zardari dans sa volonté de rapprochement avec l’Inde et l’Afghanistan, à consolider une démocratie dont nous avons souhaité le retour, enfin à associer nos entreprises à son développement économique, d’autant que les projets d’envergure qui seront réalisés dans les années qui viennent concernent des domaines dans lesquels notre industrie et nos bureaux d’études ont une capacité mondialement reconnue : transports, énergie, traitement des eaux, notamment.

Quelles priorités assigner à notre action ?

Il s’agit tout d’abord d’intensifier le dialogue politique. Le président de la République et le président Zardari se sont rencontrés à deux reprises. Le général Kayani, chef d’état-major de l’armée de terre, qui joue un rôle de premier plan, a été reçu le 18 mai au plus haut niveau.

Ce dialogue doit être exigeant : nous devons être très fermes sur, d’une part, la lutte contre le terrorisme et, d’autre part, le rapprochement avec l’Inde. La libération, hier, d’un des planificateurs des attentats de Bombay constitue à cet égard un très mauvais signal.

Nous entretenons une concertation permanente avec les Américains et les Britanniques et nous multiplions les contacts avec la société civile.

L’image de la France au Pakistan est très bonne, et ce depuis le général de Gaulle. C’est celle d’un pays qui mène une politique étrangère indépendante, qui connaît et respecte l’islam. Nos prises de position sur l’État palestinien, notre aide à Gaza, rencontrent un très grand écho. Il ne faut jamais oublier que la République islamique du Pakistan se sent directement concernée par le sort des musulmans partout dans le monde. La presse pakistanaise offre une caisse de résonance à toute action à l’étranger jugée attentatoire à l’islam (affaire des caricatures danoises de Mahomet par exemple).

La technologie française a également bonne réputation. La plus grande flotte mondiale de Mirage III et V est au Pakistan. Nous avons construit et fourni tous les sous-marins pakistanais. L’industrie française est présente : Sanofi-Aventis, Servier, Alcatel-Lucent, Total, Lafarge, Sagem, Thales. Carrefour vient d’ouvrir un hypermarché à Lahore et envisage d’en ouvrir neuf autres. La compagnie Pakistan International Airlines est en train d’acheter des Airbus. La flotte de la compagnie privée Airblue est composée exclusivement d’Airbus.

Les campagnes archéologiques françaises ont contribué aussi à cette bonne image. C’est grâce aux campagnes de Jean-François Jarrige qu’ont été découverts au Baloutchistan les vestiges d’une ville de plus de 7 000 ans. 800 étudiants pakistanais sont diplômés d’universités françaises, et 500 sont actuellement en France avec une bourse du gouvernement pakistanais.

Dans l’ensemble, les Pakistanais souhaitent resserrer les liens avec l’Europe, hors Royaume-Uni. Pour nous, de très intéressantes opportunités s’ouvrent. La prochaine échéance sera, à la fin de l’année, la visite du Président de la République – la première visite d’un chef d’État français au Pakistan depuis vingt ans –, qui devrait donner lieu à la signature de deux accords illustrant bien le tour que prend notre relation.

Le premier sera un accord de coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Il vise à renforcer encore les échanges entre la DGSE et l’ISI, mais aussi à ouvrir un deuxième canal entre la DCRI et son équivalent pakistanais, l’Intelligence bureau, afin notamment de mieux suivre les mouvements des jeunes Français musulmans qui se rendent au Pakistan et en Afghanistan. Le volet de coopération militaire est également orienté vers la lutte antiterroriste : les Pakistanais ont besoin d’hélicoptères, de matériel de vision nocturne, de formations.

Le second accord portera sur la coopération économique à long terme, et définira les projets de développement pouvant être financés par l’Agence française de développement et la Réserve pays émergents de Bercy.

Le Pakistan s’intéresse à nous ; c’est maintenant qu’il faut poser des jalons pour préparer le jour où, enfin, la guerre en Afghanistan sera achevée, et où le Pakistan sera stabilisé. C’est alors que ce travail portera ses fruits.

M. le président Guy Teissier. Beaucoup mettent en doute la fiabilité de l’ISI, parlent d’une infiltration par les talibans et relèvent le rôle parfois équivoque joué sur la ligne Durand.

Vous avez affirmé que l’armée ne permettrait pas qu’un État taliban se mette en place. Sans doute peut-on être assuré de l’intransigeance des officiers, mais peut-on en dire autant des sous-officiers et de la troupe, qui font sans doute l’objet d’infiltrations et de menées subversives ? On a l’impression que cette armée fait preuve de mollesse.

M. Daniel Jouanneau. Lorsque les Soviétiques sont entrés en Afghanistan en 1979, les pays occidentaux ont demandé à l’ISI de former des moudjahidines. Cela fait donc trente ans que l’ISI a d’innombrables contacts personnels avec ceux qui sont devenus des talibans. Il est difficile de lui demander du jour au lendemain, non seulement de rompre les contacts avec eux, mais de les tuer.

L’inquiétude sur le risque d’infiltration des échelons inférieurs de l’armée est légitime. On peut raisonnablement présumer que, à la base, certains ne comprennent pas le changement radical d’attitude à l’égard de ces gens qu’ils ont formés, entraînés et financés – avec, d’ailleurs, beaucoup d’argent américain.

Mais le général Kayani, chef d’état-major de l’armée de terre, a repris l’ISI en mains et placé à la direction générale et aux postes principaux des généraux proches de lui. Il paraît vraiment déterminé à changer les choses. Accordons-lui le bénéfice du doute et aidons-le à réussir.

M. Philippe Vitel. Vos propos concernant la sécurité nucléaire, monsieur l’ambassadeur, confirment ce que nous a dit la semaine dernière, à l’assemblée parlementaire de l’OTAN, l’ambassadeur du Pakistan en Finlande.

Le président Zardari souhaite un rapprochement avec l’Afghanistan. Quelle évaluation faites-vous des relations bilatérales entre les deux pays, notamment en matière de lutte antiterroriste et anti-intégriste ? Quel enjeu les élections afghanes représentent-elles pour ces relations ?

M. Damien Meslot. À vous entendre, le Pakistan est un pays fiable, mais l’évocation que vous faites de sa construction et de ses relations avec ses voisins entretient quelques doutes. Ce pays constitué essentiellement sur une base religieuse résistera-t-il aux coups de boutoir des talibans ?

Par ailleurs, la réalité de la volonté affichée par l’armée de contrer les talibans apparaîtra après la bataille de la vallée de Swat : la vraie base des talibans, ce sont les zones tribales du Waziristan et il faut que l’armée y entre pour éradiquer le problème. La bataille de Swat n’est-elle pas simplement un moyen de rassurer les Américains ?

Vous insistez sur l’intérêt dont le Pakistan fait preuve à l’égard de la France. Comment expliquer, alors, qu’un pays ami ne nous ait pas adressé de condoléances après la mort de dix de nos soldats dans une embuscade ? L’amitié suppose certains gestes, pas seulement des sourires lorsque l’on a besoin de notre aide militaire ou économique !

M. Daniel Jouanneau. La hantise des Pakistanais, c’est l’encerclement par l’Inde, donc un Afghanistan pro-indien. Ils voient la main de l’Inde partout en Afghanistan. Ils considèrent qu’elle soutient le nationalisme du Baloutchistan, territoire qui longe la frontière afghane, représentant 40 % du territoire pour seulement 10 millions d’habitants et intégré de force au Pakistan en 1947 malgré son souhait d’indépendance. Tout cela explique la profonde méfiance du Pakistan à l’égard de l’Afghanistan.

Les relations du président Musharraf avec le président Karzaï étaient exécrables. M. Zardari a décidé un rapprochement, mais il tarde à se concrétiser entre les gouvernements et les administrations. Le cœur n’y est pas. Il faut que les Occidentaux exercent sans cesse de fortes pressions sur les deux parties pour qu’elles travaillent ensemble. C’est la stratégie du président Obama, de Mme Clinton et de Richard Holbrooke, qui viennent de les réunir à Washington pour les y contraindre. À titre d’exemple, un accord de transit commercial, en négociation depuis quarante ans, va enfin permettre aux camions d’aller directement de Lahore à Kaboul, alors qu’actuellement il faut décharger à Peshawar. L’accord a été signé à Washington, sous le patronage de Mme Clinton.

Les Pakistanais aimeraient que les élections afghanes portent au pouvoir un chef d’État pachtoune pro-pakistanais. On compte en effet 30 millions de Pachtounes au Pakistan et cette ethnie est très représentée dans l’armée. S’agissant de la lutte contre les talibans, le vrai test aura lieu après la bataille de la vallée de Swat. Pour montrer sa volonté d’éradiquer les talibans, l’armée doit entrer au Waziristan, berceau de la famille Mehsud et région dans laquelle la famille Haqqani s’est repliée. Nous connaîtrons le résultat dans quelques semaines, étant entendu que nous sommes très dépendants du service d’information et de relations publiques de l’armée pakistanaise. L’accès de la vallée de Swat est interdit aux journalistes étrangers et personne ne peut vérifier les bulletins de victoire que nous recevons quotidiennement.

Il s’agit aussi de rassurer les États-Unis : chaque visite de haute personnalité américaine à Islamabad, et chaque visite du président Zardari à Washington, a été précédée d’un geste fort à l’égard des terroristes.

Quant à l’absence de message de condoléances, les Pakistanais considèrent que la présence de l’OTAN en Afghanistan n’est pas leur problème. Ce n’est pas leur guerre et, au fond, ils estiment que c’est une mauvaise guerre. La presse réclame régulièrement le départ des forces de la FIAS. Que des talibans basés au Pakistan attaquent des soldats occidentaux ne les émeut pas.

M. François-Michel Gonnot. Vous voyez la main des islamistes dans les attentats en Inde. Certains y voient plutôt un jeu assez complexe de l’ISI. D’une manière générale, peut-on considérer qu’il n’y a plus de duplicité des services de renseignement pakistanais ?

Constatez-vous une évolution de la politique des États-Unis vis-à-vis du Pakistan ? Quelles pourraient en être les conséquences en ce qui concerne l’Afghanistan ?

Enfin, a-t-on des nouvelles de Ben Laden ?

M. Bernard Deflesselles. Je voudrais revenir sur le versant négatif de votre exposé. Le Pakistan est replié sur lui-même et complexé. C’est le berceau du terrorisme. Enfin, il dispose de l’arme nucléaire. Le Président Obama a invité à la sérénité, l’arme nucléaire étant sécurisée au Pakistan. On peut se demander ce que cela signifie. Connaît-on le potentiel du Pakistan en termes de puissance et en termes de vecteurs ?

Les talibans, nous avez-vous expliqué, sont incapables de prendre le contrôle du pays. Dans ce cas, par rapport à qui sécurise-t-on l’arme nucléaire ? Par rapport au Pakistan lui-même ?

Enfin, quel rôle la France peut-elle jouer alors que les seules informations dont nous disposons sont fournies par les États-Unis ?

M. Daniel Jouanneau. Sur Ben Laden, je n’ai aucune information et je crois que personne n’en a.

L’attentat de Bombay a été perpétré par des terroristes qui n’auraient jamais dû être en liberté à ce moment-là. L’ISI n’a certainement pas encouragé, ni a fortiori organisé ces actes car, au plus haut niveau, la volonté est réelle d’ouvrir un nouveau chapitre dans les relations avec l’Inde. L’ISI avait en revanche la responsabilité de la surveillance de ces terroristes, appartenant à des mouvements interdits, parfaitement connus et suivis, et dont on se demande pourquoi ils étaient en liberté. Il faut noter que les Indiens n’ont jamais accusé, ni le gouvernement pakistanais, ni l’ISI, d’avoir organisé les attentats de Bombay. Le Premier ministre, Manmohan Singh, a fait preuve d’une modération remarquable. C’est pour les Pakistanais l’interlocuteur rêvé pour régler les deux grands contentieux, celui sur le Cachemire, et celui, d’un grand enjeu économique pour les deux pays, qui porte sur le partage des eaux de l’Indus et de ses affluents. L’Indus qui structure l’agriculture pakistanaise, comme le Nil celle de l’Egypte, traverse en effet d’abord l’Inde, avec des affluents venant du Tibet.

Les États-Unis ont redéfini leur politique, avec la « revue stratégique » menée sur l’Afghanistan et le Pakistan et la décision du Président Obama de faire beaucoup plus pour le Pakistan, jusqu’à présent trop négligé. Il a nommé un représentant spécial pour l’Afghanistan et le Pakistan et a prévu une aide économique considérable : 1,5 milliard de dollars par an pendant cinq ans renouvelables (le « paquet Kerry-Lugar »). Cette aide est néanmoins conditionnée aux résultats de la lutte contre le terrorisme. Le Département d’État devra dire tous les six mois à la Chambre des représentants et au Sénat comment l’argent du contribuable américain est dépensé au Pakistan, et avec quels résultats.

L’armée pakistanaise dispose de 450 missiles susceptibles de transporter l’arme nucléaire : de technologie chinoise ou nord-coréenne, ils ont une portée maximale de 3 500 kilomètres. Le pays ne dispose que de vecteurs terrestres.

Sous la pression des États-Unis, le général Musharraf a réorganisé la chaîne de commandement dans des conditions que ceux-ci ont toujours considérées comme rassurantes. Les services américains nous disent que la protection des installations fait l’objet d’une grande vigilance, comme la fiabilité du personnel qui sert sur les bases. Nous sommes dépendants des informations données par les Américains, mais nous pouvons présumer qu’ils placent leurs exigences très haut.

Il y a deux ans, les Pakistanais ont demandé à l’AIEA de leur indiquer un État partenaire pour améliorer la sûreté de leurs deux petites centrales nucléaires civiles. L’agence a transmis cette proposition à la France, qui a accepté. En décembre et janvier derniers, des missions d’ingénieurs du CEA à Islamabad et d’ingénieurs pakistanais en France ont commencé à étudier la question et à regarder les choses d’un point de vue très pratique. En cas d’incident dans la centrale, comment mesurer les radiations ? Comment protéger le personnel et le voisinage, etc. ?

Les Pakistanais aimeraient que la France devienne leur partenaire de référence en matière de nucléaire civil, et qu’elle passe avec eux un accord de coopération de même nature que celui qu’elle a conclu avec l’Inde. Le problème est que le Pakistan a gravement contribué à la prolifération. La mise au point de l’arme nucléaire nord-coréenne, et sans doute celle de l’arme nucléaire iranienne, se sont faites en grande partie grâce à la complicité du réseau du Dr Khan, considéré au Pakistan comme un héros national. Pour nous, ce qui a été fait pour l’Inde est une exception, pas un précédent.

M. Marc Joulaud. Le Pakistan est un État instable, peut-être même à la dérive. Comment avoir l’assurance que l’armée tiendra bon en cas d’effondrement de l’État ?

Est-il encore possible de distinguer des talibans terroristes et des talibans « modérés » sur lesquels la communauté internationale pourrait s’appuyer ?

Quelle est la place du fait religieux dans l’armée ? Y a-t-il stabilisation ou progression ?

Outre la France, quels autres pays disposent d’une bonne image et renforcent leurs positions économiques ?

Quand vous avez abordé les accords de renseignement, vous avez parlé, monsieur l’ambassadeur, de la surveillance des Français musulmans qui font des allers et retours entre les deux pays. Pourriez-vous préciser ce qu’il en est de ces mouvements aujourd’hui ?

Mme Patricia Adam. Vous avez opéré, monsieur l’ambassadeur, une distinction entre extrémisme religieux et terrorisme. Je me demande si elle est pertinente. Quoi qu’il en soit, la meilleure façon de lutter contre l’extrémisme religieux est l’éducation. La lutte armée contre le terrorisme est nécessaire mais, si l’on ne travaille pas sur les fondamentaux, je crains que la situation soit toujours la même dans cent ans. Quelle volonté l’État manifeste-t-il sur ces questions et quelle est la réalité de la scolarisation des garçons et des filles au Pakistan ?

M. Daniel Jouanneau. L’État pakistanais est certes instable, mais on ne peut parler de risque d’effondrement. L’armée est la colonne vertébrale de ce pays fragile, et elle sent assez bien ce que veulent les gens : la démocratie, pas le retour des militaires au pouvoir. Elle est devenue populaire depuis qu’elle a regagné ses casernes.

Pour ce qui est des « bons » et des « mauvais » talibans, il y a assurément en Afghanistan des talibans qui ne demandent rien d’autre que de partager le pouvoir, et qui sont prêts à se dissocier des terroristes. Cela étant, pour négocier avec eux, il faut être en position de force.

Côté pakistanais, en revanche, on ne voit que de « mauvais » talibans. Lorsque le pouvoir a essayé de négocier avec le fameux Soufi Mohammed – qui n’était que le faux-nez de son gendre Maulana Fazlullah, le « mollah radio » –, il s’est fait berner.

L’armée pakistanaise est très marquée par la religion. Le général Zia a voulu en faire le fer de lance de l’islam contre les infidèles (les hindous, mais aussi les chrétiens). Elle se sent dépositaire de la vocation islamique du pays. Tous les militaires sont très pratiquants. Dans l’armée comme dans toutes les institutions, il n’est pas une seule cérémonie, un seul événement, qui ne soit précédé de la lecture du Coran. Or les jeunes formés à l’école militaire à l’époque de Zia sont maintenant tous généraux.

Au premier rang des pays actifs au Pakistan, il faut placer la Chine, qui investit beaucoup (1 000 techniciens et coopérants). C’est un concurrent sérieux pour nous dans les domaines des travaux publics et des transports. Elle pratique des prix plus bas, mais les malfaçons sont nombreuses. La Turquie est également active. Au sein de l’Union européenne, Royaume-Uni excepté, l’Allemagne et l’Italie sont les États qui cherchent le plus à développer leurs partenariats.

S’agissant de la circulation de ressortissants français, nous avons recensé 22 jeunes dans une grande madrassa de Karachi. Revenir à Vénissieux ou à Évry avec un diplôme de cette madrassa est prestigieux et permet plus facilement de devenir imam. Tous ces jeunes Français sont originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Ils ont parfois une double nationalité et entrent au Pakistan avec leur autre passeport, ce qui ne nous permet pas de les identifier aisément. Leur nombre pourrait avoisiner la centaine.

La question soulevée par Mme Adam est fondamentale. Le Pakistan n’a rien fait pour l’enseignement public. C’est le plus grand échec de ce pays, celui des militaires comme des gouvernements démocratiques. Un enfant sur deux ne va pas à l’école, et l’école est de toute façon très mauvaise : les programmes sont très religieux, l’islam est partout. C’est parce que l’enseignement public a été sacrifié que les madrassas prolifèrent. Il y en aurait aujourd’hui 20 000, financées par des fonds privés, par l’Arabie saoudite et par beaucoup de citoyens pakistanais au nom de l’islam. Certaines sont dangereuses, d’autres font l’objet d’un certain contrôle de l’État et proposent des programmes plus modernes (anglais, mathématiques, informatique). La grande majorité d’entre elles ne dispense qu’un enseignement coranique. Les enfants qui en sortent trois ans après n’ont qu’un très faible bagage, qui ne les prépare à aucun métier. Mais les parents les placent dans ces écoles parce que le logement et les repas y sont gratuits.

Le pays ne s’en sortira pas s’il ne reconstruit pas un enseignement public primaire et secondaire moderne. La Banque mondiale octroie des financements importants en ce sens, les Américains et les Britanniques mènent des actions. Les résultats ne sont pas probants. Les partis religieux torpillent toute réforme et le gouvernement actuel n’est pas suffisamment fort pour leur imposer une profonde réforme de l’enseignement. C’est pourquoi je n’ai pas proposé que la France s’engage dans une coopération dans le primaire et le secondaire. Faisons-le via l’Union européenne, et concentrons nos moyens limités sur la coopération universitaire, qui nous ouvre des perspectives prometteuses. J’ai par ailleurs été contraint de demander au quai d’Orsay la fermeture de l’école française d’Islamabad. Ses 60 élèves de 16 nationalités constituaient une cible idéale pour les terroristes.

M. Georges Mothron. Quel est le montant des échanges commerciaux avec la Chine ? Quels rapports diplomatiques le Pakistan entretient-il avec cet autre grand voisin ?

M. Pierre Forgues. Selon vous, monsieur l’ambassadeur, l’Inde ne manifeste pas d’hostilité envers le Pakistan. Mais vous relevez dans le même temps une tension permanente. J’imagine que les dirigeants pakistanais sont réalistes et je ne vois pas pourquoi ils maintiennent les trois quarts de leur armée à la frontière indienne et se privent des moyens d’assurer la sécurité à la frontière de l’Afghanistan, d’où viennent tous les dangers de déstabilisation. La France et l’Europe ne peuvent-elles agir pour rapprocher les deux pays ?

M. Daniel Jouanneau. La Chine est très présente dans le domaine des travaux publics, du génie civil, des infrastructures en général. Elle a avec le Pakistan des programmes importants de coopération militaire. Les deux pays vont fabriquer conjointement un avion de combat, le JF-17. Les Chinois ont en outre construit le port de Gwadar sur le littoral du Baloutchistan. Cette installation permettra de ravitailler plus facilement l’Ouest de la Chine via l’autoroute du Karakorum.

Lorsqu’on leur demande pourquoi ils maintiennent tant de troupes à la frontière indienne, les Pakistanais répondent qu’il y en a le double de l’autre côté. Le général Kayani dit souvent qu’il ne juge pas les Indiens sur leurs intentions politiques, mais sur leurs capacités militaires. Oui, la France et l’Europe peuvent agir pour un rapprochement, mais très discrètement, car les Indiens veulent régler le conflit du Cachemire en bilatéral et refusent toute médiation.

M. Gérard Charasse. Le « boulevard » pour la France que vous avez évoqué est, on l’a vu, semé d’embûches. La coopération économique, culturelle, militaire et nucléaire ne risque-t-elle pas d’altérer nos relations fructueuses avec l’Inde ?

M. Philippe Folliot. Quelles sont les perspectives d’exportation d’armements ? Comme l’a demandé M. Charasse, le fait de vendre au Pakistan ne risque-t-il pas de nous fermer certains marchés indiens ?

M. Daniel Jouanneau. Le Président de la République a décidé de développer notre coopération avec les deux pays. L’Inde ne nous demande pas de réduire notre coopération avec le Pakistan. Dans le domaine militaire, notamment, elle n’a pas d’inquiétude car nous faisons beaucoup plus avec elle. L’aide que nous allons apporter à l’armée pakistanaise dans le domaine de la lutte contre le terrorisme contribuera à un Pakistan plus stable. C’est ce que souhaite l’Inde. Nous n’avons pas de choix à faire entre les deux pays. Parmi nos projets avec le Pakistan, un programme vise à allonger la durée de vie des deux sous-marins Agosta-70. Les Pakistanais voudraient équiper l’avion sino-pakistanais JF-17 de matériel français. La livraison de 10 hélicoptères Fennec va commencer. Des discussions sont en cours sur la livraison d’autres matériels pour la lutte contre le terrorisme.

M. Michel Voisin. Les talibans pakistanais auront-ils une influence sur l’élection qui devrait se tenir en août prochain en Afghanistan ?

Par ailleurs, n’est-il pas probable, du fait de la coopération avec la Corée du Nord, que la portée des vecteurs détenus par le Pakistan passe rapidement de 3 500 kilomètres à 7 000 ou 8 000 kilomètres ?

M. Jacques Lamblin. Comment évolue la cote d’amour des talibans pakistanais dans la population ? Cette évolution présente-t-elle un risque ?

M. Daniel Jouanneau. Les talibans pakistanais restent au Pakistan. Ils ne jouent pas de rôle en Afghanistan et ne s’y intéressent pas. Je ne pense pas qu’ils puissent avoir une influence sur les élections en Afghanistan – au contraire des talibans afghans repliés sur le territoire pakistanais.

Je ne dispose pas d’information en ce qui concerne un éventuel programme de construction de missiles à très longue portée avec la Corée du Nord.

Dans l’islam pakistanais, majoritairement soufi, on chante, on danse, on célèbre des saints, on se rend en pèlerinage sur leur tombe. Ce sont les missionnaires, et non l’armée, qui ont introduit et diffusé l’islam au Pakistan. Pour les talibans imprégnés de wahhabisme, il n’y a qu’Allah et son prophète, il faut détruire les pratiques soufies. Or elles revêtent une grande importance dans la vie des Pakistanais. Le rejet des talibans et de l’islam intolérant qu’ils veulent imposer est total.

La séance est levée à onze heures trente.

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Information relative à la commission

La commission a nommé M. Patrice Calméjane, rapporteur sur le projet de loi (n° 1696) relatif à la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français.

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