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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 1er décembre 2009

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Guy Teissier, président

— Audition de M. Lutz Bertling, président d’Eurocopter 2

— Suite de l’examen du rapport d’information sur les drones (MM. Yves Vandewalle et Jean-Claude Viollet,
rapporteurs)

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Audition de M. Lutz Bertling, président d’Eurocopter, accompagné de M. Dominique Maudet, vice-président exécutif

M. le président Guy Teissier. Je suis particulièrement heureux d’accueillir M. Lutz Bertling, président-directeur général d’Eurocopter depuis 2006.

Monsieur Bertling, au nom de tous les membres de la commission de la défense, je vous souhaite la bienvenue. Nous allons évoquer avec vous les programmes civils et militaires d’Eurocopter.

S’agissant de la production civile, le nombre de commandes a considérablement baissé en 2009, ce qui ne sera pas sans conséquences sur la charge de travail de l’entreprise en 2010. Comment comptez-vous gérer cette situation ? Ne serait-ce pas l’occasion d’augmenter la production des hélicoptères militaires afin d’honorer les commandes en attente ? Pouvez-vous faire le point sur le NH 90, dont la version marine semble faire l’objet de critiques, ainsi que sur le Tigre, dont il conviendrait de rattraper les retards de livraison, puisque seuls quatre des dix appareils prévus pour 2009 ont été effectivement livrés ?

Nous avons également abordé, lorsque nous avons auditionné le délégué général pour l’armement sur le projet de loi de finances pour 2010, les difficultés rencontrées par l’entreprise dans sa chaîne de production ainsi que dans ses relations avec les sous-traitants.

Enfin, pourriez-vous nous parler des rapports franco-allemands au sein de votre société ?

M. Lutz Bertling, président d’Eurocopter. C’est un grand honneur pour moi d’être reçu par la commission de la défense nationale et des forces armées pour parler d’Eurocopter.

Je souhaite avant tout vous remercier d’avoir alloué une part du grand emprunt national à l’hélicoptère du futur, dans le cadre d’un programme européen de démonstrateurs de technologies de rupture. Cette décision, d’une importance majeure pour l’avenir d’Eurocopter et de ses fournisseurs, comme Turbomeca, n’aurait pas été possible sans le soutien de nombreux parlementaires, en particulier des commissaires de la défense, sous l’impulsion du président Teissier.

Dans mon propos liminaire, je présenterai rapidement Eurocopter, son organisation, ses implantations et ses activités.

Je répondrai ensuite à vos questions sur les défis auxquels Eurocopter doit faire face en cette période de crise, sur l’aéromobilité en général et sur les programmes Tigre et NH 90 en particulier, ainsi que sur nos prévisions concernant l’industrie de l’hélicoptère en Europe, notamment s’agissant de la relation industrielle franco-allemande. Je m’exprimerai alors en anglais, afin de vous répondre le plus précisément possible.

Filiale à 100 % d’EADS, Eurocopter est devenu au fil des ans l’un des tout premiers acteurs du secteur des hélicoptères dans le monde et l’un des plus grands constructeurs aéronautiques français et européens. Issu en 1992 de la fusion des divisions hélicoptères du français Aérospatiale et de l’allemand Deutsche Aerospace, Eurocopter est une société intégrée depuis plus de dix-sept ans, soit deux fois l’âge d’EADS. Dans certains domaines, elle fait office de référence au sein d’EADS, en particulier en ce qui concerne son niveau d’activité dans le support et les services ou son déploiement international.

Reposant sur trois piliers nationaux, français, allemand et, plus récemment, espagnol, Eurocopter a triplé son activité depuis le début de la décennie. Elle emploie aujourd’hui plus de 16 000 personnes, dont 8 000 en France et 5 000 en Allemagne ; dispose de 24 filiales et participations dans le monde et a enregistré un chiffre d’affaires de 4,5 milliards d’euros en 2008 pour 588 appareils livrés.

En France, Eurocopter fait partie intégrante du tissu économique et industriel national, avec ses deux sites de Marignane, dans les Bouches-du-Rhône, et de La Courneuve, en Seine-Saint-Denis. Le site de Marignane, qui abrite également le siège social de la société, est le premier employeur privé du département et le huitième site industriel en France. La société entretient en outre un important réseau de fournisseurs, constitué en grande partie de PME et de PMI françaises, qui ont fourni 68 % des achats de l’entreprise en 2008 et créé l’équivalent de 25 000 emplois. Enfin, Eurocopter contribue à l’amélioration de la balance commerciale française avec plus de 2,1 milliards d’euros d’exportations en 2008.

Ses activités se répartissent en trois grandes catégories. Tout d’abord, la conception et le développement d’hélicoptères : nous employons plus de 1 200 ingénieurs pour la recherche et le développement afin de rester à la pointe de l’innovation et de la technologie ; nous assurons également les essais en vol et la certification des produits développés, grâce à trente pilotes d’essais et soixante ingénieurs navigants qui effectuent près de 5 000 heures de vol par an.

Ensuite, l’industrie et la production : nous fabriquons une grande partie des éléments de nos hélicoptères, dont les pâles, la structure et les ensembles dynamiques, et nous effectuons leur assemblage final dans nos sites de Marignane en France, de Donauwörth en Allemagne, et d’Albacete en Espagne, ainsi que sur ceux de quelques-unes de nos filiales à l’international, notamment aux États-Unis, en Australie et au Brésil.

Enfin, nous assurons le soutien de nos hélicoptères partout dans le monde, ce qui représente une flotte de près de 10 700 appareils répartis dans plus de 140 pays. Cela comprend aussi bien la fourniture de services classiques comme les pièces détachées, la révision, la réparation, la formation, l’assistance technique, que celle de services plus évolués, couvrant ainsi la totalité des besoins de nos clients. Cette activité s’appuie sur un réseau mondial, unique dans notre industrie, comprenant 95 centres de maintenance, 27 distributeurs de pièces détachées, 14 centres de formation et trois plateformes régionales, en Asie, en Europe et en Amérique du Nord.

Eurocopter possède la gamme d’hélicoptères civils et militaires la plus vaste au monde, allant du monomoteur léger, comme l’Écureuil, au bimoteur lourd, comme le Super Puma, en passant par les hélicoptères spécialisés comme par exemple le Caracal, le Tigre ou le NH 90. Ces appareils, dont la liste est trop longue pour être intégralement citée, sont capables d’assurer une très large panoplie de missions civiles que ce soit du transport privé, du transport sanitaire et médical, des missions de recherche et de sauvetage, des travaux aériens, des interventions sur les plateformes pétrolières ou des missions de police, de sécurité civile et de surveillance des côtes. Ils assurent également des missions militaires : reconnaissance, transport de troupes, combat antichar, surveillance terrestre…

Certains de ces hélicoptères ont été codéveloppés ou coproduits dans le cadre d’accords de coopération internationale avec des partenaires du monde entier. Parfois, ces accords font suite à des engagements de compensation industrielle liés à la signature d’importants contrats commerciaux gouvernementaux, comme avec le Brésil. Dans d’autres cas, ils découlent de la nécessité de partager entre plusieurs partenaires le poids financier de programmes de développement de plus en plus complexes et coûteux. Au final, cette tradition de coopération internationale a permis à Eurocopter de développer une gamme très étendue d’hélicoptères et de remporter de multiples succès à l’exportation, ce qui a largement contribué à sa croissance.

Les bases économiques et industrielles d’Eurocopter sont donc saines ; elles lui ont permis de devenir le leader mondial de l’industrie de l’hélicoptère, notamment dans le secteur civil et parapublic ; Eurocopter détenant, en volume, 51 % du marché en 2008.

Toutefois, la société se trouve aujourd’hui confrontée à de très importantes difficultés, faisant peser des incertitudes sur son avenir et sa capacité de développement. Elle est confrontée à cinq défis, conjoncturels ou structurels, qu’elle devra impérativement relever si elle souhaite conserver ses chances de croissance : la crise du marché civil et parapublic, le renforcement de la concurrence notamment italienne et américaine, le poids des programmes gouvernementaux, la dégradation de sa compétitivité et de ses performances, et, enfin, l’augmentation disproportionnée des coûts de structure qui s’accompagne de la complexification des processus de décision.

Pour y faire face, j’ai décidé, en accord avec le comité exécutif, de lancer un nouveau programme de transformation de notre société. Baptisé Shape, il est organisé autour de trois modules : Save, c’est-à-dire économiser, Improve, c’est-à-dire améliorer, et Invest, c’est-à-dire investir. Ce programme vise à permettre à Eurocopter de passer le cap de la crise tout en assurant son avenir et sa capacité de croissance. Shape comprend ainsi diverses mesures d’économies et d’ajustement à court terme, dont l’objectif est de donner à Eurocopter les moyens de sortir de la crise et de dégager les liquidités nécessaires au financement d’un ensemble d’investissements destinés à préparer l’avenir.

La capacité d’Eurocopter à réaliser ces investissements est cruciale car ils lui permettront de rester à la pointe de la technologie et de proposer à ses clients une nouvelle gamme de produits et de services innovants. Les économies réalisées grâce au module Save permettront, dans le cadre du module Invest, d’investir davantage dans l’outil industriel et d’accroître, malgré la crise, la capacité d’autofinancement des programmes de recherche et de technologie de plus de 20 % pour dépasser 50 millions d’euros en 2010. Enfin, Shape prévoit des mesures visant à rendre notre organisation et nos processus de décision plus rapides et plus efficaces, ainsi qu’à pérenniser les progrès réalisés.

M. le président Guy Teissier. La commission de la défense est particulièrement attentive aux atermoiements de la production industrielle. La crise a provoqué un effondrement des commandes d’hélicoptères civils ; eu égard au développement de la concurrence, peut-être faudrait-il moderniser les appareils pour maintenir notre compétitivité. En même temps, à la suite d’un embouteillage industriel, Eurocopter ne parvient pas à répondre aux demandes d’hélicoptères militaires, qu’il s’agisse du Tigre ou du NH 90. Je relève d’ailleurs que la conception du NH 90 est quelque peu schizophrénique, dans la mesure où elle associe Eurocopter à son principal concurrent, Agusta Westland.

Ne rencontrez-vous pas, à Marignane, un problème industriel dans la production des Tigre et d’une partie des NH 90 ?

Le dossier est pour nous très important : c’est à la fois un enjeu opérationnel pour nos armées et un élément décisif de notre industrie nationale.

M. Lutz Bertling, président d’Eurocopter. Si vous le permettez, je répondrai aux questions en anglais.

M. Jack Lang. Pourquoi ne pas répondre en allemand ?

M. Lutz Bertling. Cette possibilité m’avait été proposée mais l’anglais est la langue de notre groupe. Il s’agit de surcroît de la langue la plus parlée dans le monde. Une partie d’entre vous devrait d’ailleurs pouvoir suivre mon propos directement, sans recourir à la traduction.

Pour nos hélicoptères militaires, je le reconnais, nous accusons beaucoup de retard, et la responsabilité en incombe en grande partie à l’industriel : nous avons sous-estimé les problèmes techniques ainsi que la complexité de tels programmes internationaux. Il convient toutefois de comparer la situation européenne à celle de nos concurrents américains.

Dans la dernière décennie, ceux-ci ont participé à trois programmes d’hélicoptères. Le programme Comanche a été annulé en 2003 à cause d’un dépassement de coût. Le contrat sur les hélicoptères de reconnaissance, attribué à Bell, n’a pas abouti car le constructeur n’a pas réussi à assurer les performances demandées. De même, le programme sur l’hélicoptère présidentiel a été interrompu en raison de ses résultats insuffisants et d’un très important dépassement de coût. À l’inverse, je note que nous parvenons à équiper nos clients puisque le Caracal, le Tigre, la Gazelle et le Super Puma sont parfaitement opérationnels en Afghanistan, où ils augmentent considérablement les capacités des armées qui les utilisent.

Je partage votre analyse : nous avons un problème industriel à Marignane. Comme je l’ai dit, nos performances industrielles sont insuffisantes ; mais c’est la même chose sur tous nos sites. Simplement, depuis 2006, nos livraisons ont augmenté de 20 % par an, et nous avons dû recruter chaque année 1 000 personnes supplémentaires à Marignane, auxquelles s’ajoutent 650 personnes supplémentaires parmi les sous-traitants et les intermédiaires. Le taux de nouveau personnel s’est donc considérablement accru.

Nous avions deux possibilités : soit nous essayions de conserver notre position dans un marché civil en plein développement, ce qui supposait qu’Eurocopter se développe très vite, soit nous abandonnions le marché à nos concurrents. Nous avons fait le premier choix, ce qui nous a permis d’avoir une croissance exceptionnelle quatre années de suite. Pour autant, cela s’est fait au détriment de l’intégration et de la formation des nouvelles recrues. Aujourd’hui, nous devons remédier à des problèmes de qualité ; toutefois, nous sommes en train de réduire le nombre d’intermédiaires, ce qui nous facilite la tâche.

Nous avons créé en 2009 une cellule chargée de remettre de l’ordre dans le programme Tigre ; elle est dirigée par un ancien ingénieur en chef du programme Tigre qui le connaît parfaitement. Dominique Maudet vous apportera des précisions sur ce point.

La situation du NH 90 est totalement différente. S’agissant de la France, il convient de distinguer la version terrestre (TTH), commandée en 2007 et qui doit être livrée en 2011, et la version navale (NFH). Le programme se caractérise par sa dimension internationale et, de ce point de vue, sa conception est loin d’être optimale. Du côté industriel, le système fonctionne au travers d’un consortium, au sein duquel même un partenaire très minoritaire comme le néerlandais Fokker a la possibilité de bloquer n’importe quelle décision. Du côté gouvernemental, la gestion du programme a été confiée à la NATO Helicopter Management Agency (NAHEMA), agence de l’OTAN à la volonté réelle mais au pouvoir limité. Nous sommes obligés de passer par elle, tout en travaillant aussi avec les nations, ce qui rallonge d’autant les discussions.

Nous avons réglé les problèmes du côté industriel, mais il sera difficile de changer quoi que ce soit du côté de la NAHEMA, malgré nos demandes. Le processus décisionnel est extrêmement lent. Par exemple, si vous voulez livrer un hélicoptère, il faut fournir un manuel de vol : en Allemagne, le pilote est censé connaître par cœur ce qui est imprimé en caractère gras ; en Italie, la totalité du texte doit être en gras, afin qu’il puisse être lu facilement à toute heure de la journée. Il a fallu quatre mois pour que les différents pays parviennent à un accord sur ce seul sujet ! Nous avons totalement sous-estimé ce problème, du côté industriel comme du côté gouvernemental. Il ne faudra pas reproduire cette erreur.

S’agissant des appareils à livrer, la version navale française a été qualifiée il y a deux semaines par la NAHEMA pour les opérations de sauvetage. Le premier modèle, qui doit être livré en mars, a effectué son baptême de l’air la semaine dernière. Nous serons donc en mesure de respecter les nouveaux délais qui avaient été communiqués au début de l’année 2008. En ce qui concerne la version terrestre, aucun retard n’est prévu pour la version française.

M. Dominique Maudet, directeur d’Eurocopter chargé des programmes gouvernementaux. Ayant eu la chance de participer au programme Mirage 2000, je peux mesurer la différence entre les programmes purement nationaux et les programmes européens qui constituent le fer de lance de l’activité d’Eurocopter.

Le programme Tigre a été lancé à la création de la société. Depuis lors, il a été remanié afin de mieux répondre au concept d’emploi de nos forces. La version appui antichar a par exemple disparu et nous avons revu ses spécifications pour que l’appareil soit plus proche des besoins de l’utilisateur. Je note d’ailleurs que la France a souhaité faire évoluer ses appareils, contrairement à l’Allemagne.

Aujourd’hui, la partie avant est faite en Allemagne, la partie centrale en France et la partie arrière en Espagne. Du point de vue industriel, le programme est totalement intégré ; il est géré par l’organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) qui met par ailleurs à notre disposition un certain nombre d’équipements qu’elle achète directement. Le programme Tigre diffère en cela des programmes où l’industriel est le seul maître d’œuvre.

La gestion du programme est très complexe, pour des raisons d’organisation gouvernementale, d’organisation industrielle et de complexité technique, la plupart des matériels étant extrêmement innovants.

Nous sommes actuellement en phase de montée en puissance des livraisons. Nous avons remporté le contrat australien en 2001 : c’était la première fois que, pour un appareil de cette nature, un modèle européen l’emportait sur un modèle américain. Selon moi, ce succès est dû à des performances objectivement supérieures et au caractère européen du programme : il est plus facile de remporter un marché australien avec un projet franco-allemand qu’avec un projet seulement français ; cela est encore plus vrai aux États-Unis.

Pour les mêmes raisons, le NH 90 remporte un grand succès à l’exportation, ce qui contribue à créer des emplois en France et en Europe, non seulement au sein d’Eurocopter, mais parmi tous nos sous-traitants, comme Safran ou Thalès.

À l’heure actuelle, vingt-deux exemplaires du Tigre dans sa version d’appui et de protection (HAP) ont été livrés à la France pour quarante appareils commandés ; suivra une deuxième tranche de quarante hélicoptères dans la version d’appui et de destruction (HAD), c’est-à-dire qu’ils seront équipés d’un missile et d’un moteur plus performant.

Quelles sont les raisons de notre retard ? La qualification, c’est-à-dire la reconnaissance par le client de la conformité de l’appareil aux exigences du contrat, a été prononcée fin 2008, six mois après l’arrêt de la production ; nous avions alors transféré une partie du personnel sur d’autres produits. Quand la production a redémarré au début de l’année 2009, nous avons rencontré des problèmes liés à la montée en cadence et à la qualité de certains équipements et nous nous sommes retrouvés en milieu d’année très en retard par rapport à l’objectif de dix appareils à livrer avant la fin de l’année.

Aujourd’hui, quatre appareils ont été livrés ; six en sont à l’étape des essais en vol. Parmi eux, trois sont déjà entre les mains du client pour les essais d’acceptation au centre d’essais en vol de la direction générale de l’armement (DGA). Ce processus est parfaitement normal : pour un programme gouvernemental, le client est associé à tous les stades. Il participe à la conception et au design, il valide les définitions techniques et il effectue les vols de réception. J’ai bon espoir que deux appareils supplémentaires pourront être livrés avant la fin de l’année, ce qui portera leur nombre à six. Je vous garantis que le retard sera rattrapé l’année prochaine, puisque nous aurons résolu les problèmes de montée en cadence.

La situation est différente pour l’Allemagne, dans la mesure où celle-ci n’a pas remis en cause le programme de fabrication de la version d’appui antichar dite Unterstützung Hubschrauber Tiger (UHT). Elle a donc reçu livraison d’une dizaine d’appareils, mais elle se rend compte que la capacité du UHT est bien inférieure à celle du HAP français, qui est déployé en Afghanistan et dont les capacités donnent totale satisfaction. En outre, l’Allemagne n’a pas souscrit à la version HAD. S’ajoutent les mêmes problèmes de montée en cadence que ceux que j’évoquais précédemment, la version UHT ayant été qualifiée en même temps que la version HAP à la fin de l’année 2008.

La situation du programme NH 90 est encore plus compliquée. À la différence du Tigre qui n’est produit que par Eurocopter, exception faite des équipements fournis par l’OCCAR, le NH 90 fait intervenir un consortium (NH Industries) auquel participe notre principal concurrent. Il s’agit d’un partenariat subi, dû au fait que les Italiens financent 32 % du programme ; ils assurent la direction de la partie navale et la totalité des moyens d’essais se trouve en Italie.

Le NH 90 a également rencontré un grand succès à l’exportation, pour les mêmes raisons que le Tigre. Nous avons remporté le marché australien, contre le Black Hawk américain, conçu par Sikorsky. Nous comptons à ce jour quatorze clients. Les commandes ont dépassé nos espérances et nous avons sans doute sous-évalué les difficultés et ce, malgré l’expérience du programme Tigre. Notre montée en cadence n’a pas été suffisante pour nous permettre de livrer 60 à 70 appareils par an.

Le NH 90 bénéficie certes de l’expertise des différents partenaires industriels, mais il subit les inconvénients d’un grand programme européen où les États doivent collaborer et partager le travail entre les industries nationales. Cela favorise toutefois les exportations.

S’agissant de la commande française, la version navale du NH 90 a été qualifiée et le premier appareil est en vol ; nous en livrerons quatre l’année prochaine et nous monterons progressivement en cadence. Quant à la version terrestre, commandée en 2007, elle sera livrée à partir de 2011.

M. le président Guy Teissier. Comment expliquez-vous que plusieurs hélicoptères NH 90 achevés et livrés n’aient pas été réceptionnés par l’Allemagne ?

M. Lutz Bertling. Le gros problème avec l’Allemagne, c’est l’extrême complexité de sa procédure de réception des appareils. Elle implique quatre organismes différents : deux représentants de l’armement, l’armée de l’air – tout ce qui vole étant de sa responsabilité matérielle – et l’armée à qui est destiné l’hélicoptère. Or les effectifs ne sont pas suffisants : alors qu’au total, 220 postes sont prévus pour la délivrance des certifications, seuls 120 sont pourvus ! Cela entraîne d’énormes retards – le client allemand l’a d’ailleurs reconnu – et se vérifie par le fait que nous ne payons pas de pénalités.

Selon le contrat, après que la NAHEMA a qualifié l’appareil, le client dispose de 90 jours pour délivrer un certificat de type ; il peut ensuite recevoir l’appareil. Or, quel que soit le modèle d’hélicoptère, cela a toujours pris plus d’un an en Allemagne !

Ainsi, s’agissant du Tigre, les versions finales du HAP français et de l’UHT allemand ont été qualifiées le même jour. Pourtant, le HAP est déjà opérationnel en Afghanistan depuis juillet, tandis que nous espérons que l’UHT recevra sa certification de type l’an prochain !

Le problème est similaire pour le NH 90. Il s’agit d’un énorme problème administratif !

M. le président Teissier. C’est également un problème économique pour vous !

M. Lutz Bertling. Sans entrer dans les détails, le fardeau économique n’est pas si important en termes de chiffre d’affaires ; le solde qui reste à payer à la livraison n’est pas très élevé. Nous avons déjà reçu les paiements intermédiaires et nous ne subissons pas toutes les pénalités car le client est responsable d’une partie du retard.

M. Michel Grall. En 2009, la France a battu un record en matière d’exportations d’armements. Vous avez souligné le rôle d’Eurocopter dans ce domaine et ses effets bénéfiques sur la balance commerciale et la création d’emplois. Quelles sont vos perspectives pour l’avenir ? Les difficultés industrielles que vous rencontrez ne risquent-elles pas de fragiliser votre position ?

M. Lutz Bertling. Notre plus grand succès à l’exportation n’est pas le NH 90, ni le Tigre, mais l’EC 725 (Caracal). Le gouvernement français nous a apporté un grand soutien en décembre dernier, en obtenant la commande par le Brésil de cinquante de ces hélicoptères. Cet appui a été extrêmement bénéfique et nous devons nous en féliciter. La commande n’est toutefois pas encore effective, car nous attendons toujours l’acompte, mais nous devrions le recevoir dans les prochains jours.

Nous sommes également en pourparlers avec la Malaisie. Nous espérons que nous aboutirons à l’occasion du salon aéronautique qui se tient cette semaine dans ce pays. Le protocole d’accord pourrait être signé demain, ou jeudi au plus tard. La commande devrait porter sur environ vingt Caracal.

Le Mexique est également intéressé par des EC 725, dans leur version Dauphin conçue pour des utilisations navales. Là encore, nous devrions bientôt aboutir.

Ce sont actuellement les trois dossiers brûlants. Nous avons également des perspectives à plus long terme. Depuis trois ans, nous livrons des appareils à l’armée américaine et nous espérons leur fournir d’autres modèles. Ce ne sera pas facile, car nous avons décidé de ne pas travailler avec des entreprises américaines, comme Northtrop Grumann ou Lockheed Martin qui prendraient des marges trop importantes. Nous sommes convaincus que nos modèles européens sont les meilleurs.

Pour le Tigre, sa réussite en Afghanistan attire l’attention. De nombreux pays amis au Moyen-Orient ont déjà exprimé leur intérêt pour cet appareil.

En revanche, nous n’enregistrons aucune demande de NH 90. Pour autant, nous ne sommes pas en mauvaise position, le marché étant actuellement atone pour ce type d’appareils. L’Australie serait intéressée par la version navale, mais nous sommes en concurrence avec le Sea Hawk de Sikorsky.

Un autre client potentiel est l’Espagne qui a déjà acheté la version terrestre du NH 90 et qui recherche soit un appareil entièrement naval, soit un appareil terrestre pouvant être utilisé sur des bateaux, grâce à des équipements particuliers, comme des trains rétractables ou des pales pliables.

Il existe en outre une demande importante d’appareils plus petits disposant d’un équipement militaire. Nous avons donc développé un module militaire pouvant être adapté sur tous nos hélicoptères. L’Irak serait par exemple intéressé.

M. Yves Fromion. Ce qui faisait la force d’Eurocopter, c’était la destination à la fois civile et militaire de ses produits. En la matière, votre stratégie a évolué ; vous vous êtes spécialisés dans le secteur militaire, avec le Tigre, le NH 90 ou le Caracal, tandis que vos concurrents continuaient à développer des produits civils.

Certains spécialistes se demandent comment Eurocopter va aborder l’avenir, au-delà des programmes de court terme évoqués. Le groupe pourra-t-il assumer les investissements nécessaires ? Vous ne pouvez pas laisser vos concurrents, dont Agusta Westland, s’emparer des marchés civils ! Envisagez-vous de développer des coopérations avec d’autres pays ?

Par ailleurs, il semblerait que l’Allemagne veuille faire cavalier seul, notamment lorsqu’elle décide unilatéralement de lancer l’étude d’un prototype d’hélicoptère lourd. L’unité d’Eurocopter risque-t-elle d’être mise à mal par des forces centrifuges, soutenues par un nationalisme d’État tout à fait regrettable ?

M. Lutz Bertling. Les problèmes rencontrés actuellement par Eurocopter ne sont aucunement liés à la dualité, militaire et civile, de son activité. Nous remportons toujours chaque année plus de 50 % du marché mondial dans le secteur public et parapublic, bien qu’il existe six grands constructeurs d’hélicoptères dans le monde.

Durant la première moitié de la décennie, nos ressources techniques ont été absorbées par le NH 90 et le Tigre. Il ne s’agissait pas tant d’un manque d’investissements que d’un manque d’ingénieurs. Depuis que j’ai pris la direction de l’entreprise, le budget pour la recherche et le développement a augmenté chaque année de 20 à 40 %, et cela continuera malgré la crise. La pire chose à faire en situation de crise serait d’économiser au détriment de l’avenir.

Nous n’avons pas abandonné le marché civil puisque nous avons développé l’EC 175 qui lui est uniquement destiné. Il réalisera son premier vol en décembre, comme convenu il y a cinq ans, sans que le programme ait pris un jour de retard. Il est issu d’une coopération strictement industrielle avec la Chine.

D’une manière générale, nous croyons aux produits à double usage. Nous souhaitons développer des hélicoptères composés d’un tronc commun, auquel s’ajoutent des modules spécifiques, permettant de travailler en milieu pétrolier, de réaliser des opérations de sauvetage ou d’assurer des missions militaires. Voilà la formule qui marche !

Notre principal problème aujourd’hui tient au fait que les Italiens bénéficient de fortes subventions publiques, ce qui leur donne un avantage compétitif. C’est pourquoi nous nous félicitons de l’initiative du gouvernement français pour le Caracal ; sans elle, nous serions en grande difficulté.

En ce qui concerne l’Allemagne, elle n’a pas les moyens de faire cavalier seul. Contrairement aux forces françaises, les forces allemandes utilisent depuis 35 ans des hélicoptères lourds qui dépassent largement les Super Puma. Ils ont été construits par Sikorsky, mais nous sommes chargés de leur modernisation. Ils seront retirés de la circulation entre 2020 et 2030.

Les Allemands sont en train d’étudier les spécifications d’un hélicoptère de remplacement. Un besoin franco-allemand, exprimé par le BWB allemand et la DGA française, a été proposé à l’agence européenne de défense. Les deux parties ont voulu s’assurer que le produit correspondait aux exigences de l’OTAN, afin de bénéficier d’un budget et de clients supplémentaires. Les Allemands ne feront pas le programme seuls ! Le scénario privilégié est de mettre en place un programme de développement transatlantique franco-allemand, qui tienne compte des besoins de l’armée américaine. L’Allemagne souhaite acheter 60 hélicoptères et la DGA a indiqué que la France pourrait en commander entre 20 et 25. Ce nombre est pourtant trop réduit pour développer un programme pour ces deux seuls clients, ni a fortiori pour un seul d’entre eux. Et ce n’est pas en s’adressant à la Belgique, qui a besoin de deux appareils, ou au Danemark, qui en souhaite quatre, qu’il sera possible de faire l’économie d’un programme transatlantique franco-allemand ! D’ailleurs, je ne crois pas que l’Allemagne le souhaite.

M. Christophe Guilloteau. Le Tigre est actuellement fabriqué en quatre morceaux, dans quatre pays différents. Vu de l’extérieur, cela paraît excessif !

L’Allemagne a changé à plusieurs reprises de position sur le NH 90. Aujourd’hui, le modèle qu’elle avait commandé reste sur le tarmac. La version navale semble également lui poser des problèmes. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

La France et l’Allemagne coopèrent depuis longtemps dans le domaine des hélicoptères. Il existe même, au Luc, une école franco-allemande de formation des pilotes d’hélicoptères où l’on apprend à voler sur le NH 90 et le Tigre. La position allemande risque-t-elle de fragiliser les relations entre nos deux pays ?

M. Michel Voisin. Où en est le programme de coopération avec la Corée du Sud ?

M. Lutz Bertling. Le gouvernement coréen a décidé que l’industrie aérospatiale serait une industrie stratégique qu’il développerait au cours de la prochaine décennie.

Il ne faut jamais sous-estimer les Coréens. Dans les années 1960, ils ont réussi à se doter en quelques années de chantiers navals. Ensuite, ils se sont tournés, avec succès, vers l’électronique. Pour le programme d’hélicoptères, l’industrie coréenne a néanmoins souhaité conclure un partenariat avec un constructeur expérimenté qui interviendrait en tant que sous-traitant.

Après beaucoup d’hésitations, nous avons décidé de répondre favorablement à cette demande. De toute façon, les Coréens auraient trouvé quelqu’un pour travailler avec eux : autant que ce soit nous ! En participant, nous pouvons contrôler les technologies auxquelles ils ont accès. Par ailleurs, nous souffrons d’une lacune dans notre gamme de produits : dans la classe des appareils de 10 à 12 tonnes, nous avons l’EC 225 et l’EC 725, mais nous ne disposons pas de modèle de 9 tonnes correspondant au Puma. Nous avons donc conclu un accord avec les Coréens, en vue d’une participation minoritaire dans leur programme. L’exportation de l’hélicoptère sera en revanche assurée à part égale par Eurocopter et les Coréens.

Tant que nous n’avons pas dans notre propre gamme un modèle susceptible de remplacer les Puma, qui volent aujourd’hui principalement en Afrique, nous devons proposer une offre à relativement bas coût, de manière à éviter que la concurrence ne s’empare du marché.

Pour l’instant, le programme se déroule comme prévu. Le premier prototype a été lancé en juillet dernier. En janvier aura lieu le premier vol avec les autorités coréennes. Il faudra ensuite que celles-ci donnent leur approbation. Des tests au sol ont déjà été effectués, avec succès. Il s’agit d’un modèle basique, et nous souhaitons qu’il ne devienne pas trop sophistiqué, afin que les transferts de technologie aux Coréens restent limités.

La marine allemande possède deux types d’hélicoptères : les Lynx, embarqués sur les frégates, et les Sea King, beaucoup plus gros que les NH 90, qui sont utilisés pour les missions de sauvetage et pour les transports de marchandise ; ils assurent le même type de missions que les Super Frelon français.

Lorsque la marine allemande a acheté ces hélicoptères il y a vingt ans, elle aurait dû également acquérir, à l’instar des autres armées allemandes, le Bell UH-1D, mais elle a finalement réussi à obtenir un modèle spécifique. Elle essaie de faire la même chose aujourd’hui : elle cherche un appareil plus gros pour remplacer le Sea King et elle s’intéresse au Sikorsky CH-148¸ développé pour le Canada.

Il existe actuellement deux positions en Allemagne. L’état-major des armées est favorable au NH 90 parce qu’il souhaite limiter la diversité de la flotte allemande et parce que l’Allemagne a participé à la définition de cet appareil : sa taille, en particulier, a été réduite pour s’adapter aux bateaux allemands et néerlandais, alors que les autres pays auraient préféré un appareil plus gros. La marine, au contraire, estime qu’il faut revenir sur ce qui a été décidé il y a dix ans.

J’ignore comment les choses vont évoluer, car le secrétaire d’État a changé, le chef d’état-major des armées a démissionné jeudi dernier et un nouveau chef d’état-major de la marine sera nommé en mars. D’ici là, rien ne sera décidé. Je trouverais pour ma part scandaleux que les Allemands décident de ne pas tenir compte de leur propre industrie de défense.

M. Dominique Maudet. En ce qui concerne le Tigre, ce sont les chaînes d’assemblage qui sont dupliquées, c’est-à-dire que l’intégration finale des gros éléments se fait en Allemagne, en France, en Australie et bientôt en Espagne. Il ne s’agit pas d’un choix industriel mais d’une demande formulée par les nations lors de la rédaction des contrats.

Les ministères de la défense français et allemands voulaient effectivement recevoir leurs hélicoptères à l’issue de procédures nationales. Quant aux Australiens, ils avaient conditionné la signature du contrat à la création d’une chaîne d’assemblage locale, où l’on pourrait faire des opérations de maintenance, ce qui n’est pas absurde.

En revanche, les sous-ensembles ne sont pas fabriqués en plusieurs endroits ; simplement, la France, l’Allemagne, puis l’Espagne se sont réparti les tâches. Chacun assemble ensuite les différents éléments pour la livraison au client national.

M. Christophe Guilloteau. Cela accroît les coûts de transport !

M. Dominique Maudet. La différence est minime.

M. le président Guy Teissier. Je remercie M. Bertling pour ses réponses et M. Maudet pour ses précisions.

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Drones (suite de l’examen du rapport d’information)

La commission de la défense nationale et des forces armées a poursuivi l’examen du rapport d’information de MM. Yves Vandewalle et Jean-Claude Viollet sur les drones.

M. le président Guy Teissier. Je vous invite, mes chers collègues, à reprendre le débat engagé la semaine dernière sur le rapport d’information sur les drones.

M. Jean Michel. Je vous félicite pour ce rapport très approfondi qui ouvre de larges perspectives, tout en regrettant la faiblesse des moyens budgétaires prévus pour le financement des drones. Vous avez indiqué que l’achat sur étagère était envisageable, mais aussi qu’investir dans le développement de ces technologies permettait de préparer les avions de combat du futur. En conséquence, doit-on bâtir en premier lieu une entente au niveau national avant d’envisager un partenariat européen ? Ou doit-on au contraire s’entendre directement avec un autre industriel européen, tel British Aerospace (BAE), notamment pour les drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE) ? De ce point de vue, je suis relativement inquiet car il ne faudrait pas que l’on soit de nouveau confronté à une certaine mésentente au niveau européen.

Le fait pour la France d’avoir rejoint le commandement intégré de l’OTAN a-t-il eu des effets favorables ? Cela a-t-il favorisé la conclusion de partenariats ? Je note qu’au contraire, la presse évoque un phénomène de spécialisation entre les pays membres de l’alliance se traduisant pour la France par l’abandon de certains secteurs de l’industrie.

Enfin, il me semble que la question des drones relève de la compétence de l’agence européenne de défense qui n’est pourtant guère présente sur ce sujet.

M. Yves Vandewalle, rapporteur. Il manquerait en effet quelques centaines de millions d’euros dans la programmation. Il s’agit d’un ordre de grandeur, qui devra être précisé en fonction des choix faits par le Gouvernement. En matière de coopération, on peut regretter le manque d’entente entre les industriels français pour proposer une offre commune. Cela dit, on peut également se réjouir de disposer en France de plusieurs grands champions en la matière, capables de nouer des partenariats avec d’autres groupes européens. Dans tous les cas, il est impossible de se limiter à un partenariat strictement national, car nous ne disposons pas des moyens suffisants et cela n’aurait pas grand sens sur le plan industriel. Il faut construire une base européenne solide, ce que le rapport développe largement.

Quant à déterminer exactement ce qu’est le besoin français, nous n’avions pas vocation à entrer dans tous les détails techniques. C’est aux militaires qu’il revient de le préciser.

M. Jean-Claude Viollet, rapporteur. En ce qui concerne l’OTAN, il faut rappeler que la France s’est retirée du projet Alliance Ground Surveillance (AGS), contrairement à l’Allemagne, qui doit y investir plus de 400 millions d’euros – sans véritable retour industriel. La France s’en est retirée et a fait le choix de contribuer en nature au renseignement général de l’alliance, notamment par une remise d’images captées par le SIDM-Harfang. Mais en cas de rupture capacitaire, la question de notre participation en espèces au projet AGS pourrait se poser. Aujourd’hui, il faut que nous conservions notre capacité en drones MALE. C’est la raison pour laquelle nous avons acheté un quatrième vecteur et une deuxième station sol. Pour ma part, j’étais partisan d’acquérir trois vecteurs supplémentaires en plus de la deuxième station sol pour avoir deux systèmes complets. Or, cela semble difficile compte tenu de la relation entre les industriels cocontractants.

Dans tous les cas, il faudra lancer dès 2010 le programme de drones MALE de nouvelle génération. Plusieurs options sont possibles. On trouve d’abord l’Advanced UAV-Talarion d’EADS, mais nos partenaires allemands indiquent avoir besoin d’une année supplémentaire pour définir leurs besoins et le coût prévisible se chiffre en milliards d’euros. Deuxièmement, le système de drones MALE de Dassault, dit « SDM », qui est une offre engageante faisant donc l’objet d’un coût et d’un calendrier précis. En troisième lieu, le projet Mantis, qui vient de donner lieu à un premier vol et propose un système modulable, qui pourrait être développé sur la base d’une coopération entre BAE et des industriels français. Dans le choix que nous arrêterons, il nous paraît crucial de maintenir une capacité industrielle en avions de combat en Europe pour les 20 à 25 prochaines années. Il faut favoriser les synergies en mobilisant les différentes compétences d’un maximum d’industriels concernés par ce secteur.

L’autre solution serait l’achat sur étagère de systèmes de drones américains ou israéliens pour lesquels des propositions ont été soumises au Gouvernement. Mais ce serait un renoncement qui conduirait à l’affaiblissement de nos compétences industrielles, notamment dans le domaine des capteurs et de l’intégration systèmes. D’autant plus que l’achat sur étagère perdrait son intérêt dans le cas où on envisagerait l’intégration de nouveaux systèmes, ce qui conduirait naturellement à un surcoût mais aussi un délai supplémentaire.

Nous nous réjouissons que le cabinet du ministre considère ce rapport comme une « brique » dans le processus de décision qui devrait aboutir au début de l’année prochaine, à l’occasion d’un comité interministériel d’investissement.

M. le président Guy Teissier. En fait, il suffirait de se contenter d’acheter les vecteurs à ceux qui savent les faire.

M. Michel Voisin. J’ai récemment assisté à la présentation du troisième régiment médicalisé, où l’on m’a montré que des drones pouvaient être utilisés pour des évacuations sanitaires. Une telle utilisation vous paraît-elle réaliste, sachant que si ces appareils sont précieux pour le renseignement, ils peuvent aussi être facilement détruits ?

M. Christophe Guilloteau. Je trouve très positif que la commission produise des rapports de cette qualité. Au-delà des drones, la France semble, plus largement, avoir pris du retard en matière d’équipements aériens. Cela n’est-il pas dû en partie à des divergences entre les armées de terre et de l’air ? C’est finalement notre engagement en Afghanistan qui a permis de prendre conscience de ce retard.

À titre personnel, j’observe avec étonnement qu’aucune entreprise française présente sur le secteur des drones n’a jugé utile de me présenter son travail, au contraire d’entreprises israéliennes.

M. le président Guy Teissier. La partie générale de votre question relative à notre retard dans le domaine aérien dépasse le cadre du présent rapport. Je vous invite donc à la soulever de nouveau lors des prochaines universités d’été de la défense, qui seront précisément organisées par l’armée de l’air.

M. Yves Vandewalle, rapporteur. Notre politique d’équipement en drones a donné lieu à beaucoup de tâtonnements : nous avons d’abord opté pour l’EuroMALE, puis pour un autre projet. Il ressort que nous manquons d’une stratégie et d’une organisation claires en la matière, ce qui nous a fait perdre beaucoup de temps.

S’agissant de leur utilisation pour des évacuations sanitaires, il est difficile de se prononcer en l’état actuel des connaissances. Nous avons simplement relevé que la PME Flying Robots revendique cet usage comme une piste d’utilisation possible de son drone.

M. Jean-Claude Viollet, rapporteur. Je pense que nous sommes véritablement à la croisée des chemins. Nous disposons d’une capacité en termes de MALE qu’il ne faut pas perdre. Il nous faut en premier lieu disposer du nombre nécessaire de SIDM-Harfang pour faire face aux besoins pour les trois ou quatre prochaines années et, en second lieu, commander très rapidement l’appareil qui remplacera ce système déjà ancien. Je rappelle que le retour d’expérience du SIDM-Harfang est bon, qu’il s’agisse de sa liaison satellite, de son système de décollage et d’atterrissage automatique, ou encore de l’ergonomie de la station sol, meilleure que celle des Predator américains.

La question des drones évolue très vite aujourd’hui dans notre pays, beaucoup d’acteurs y réfléchissant sérieusement. C’est dans ce contexte que nous avons proposé dans le rapport une méthode conduisant à définir le besoin de nos armées, étendre le champ des utilisateurs aux autres ministères et effectuer un tour de table avec les industriels pour identifier leurs domaines d’excellence. À partir de là, le Gouvernement pourrait arrêter un choix cohérent et lancer un programme dont la conduite s’appuierait sur un plateau technique réunissant tous les acteurs. Un programme naturellement ouvert à des coopérations, avec nos partenaires européens et au-delà.

M. le président Guy Teissier. Mes chers collègues, je tiens à remercier et à féliciter les rapporteurs pour la qualité de leur travail qui fera date. Mon seul regret est que l’on ne s’appuie pas assez sur la contribution des commissions alors que, parfois, l’exécutif tâtonne à trouver une solution à certains problèmes.

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La commission a décidé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Claude Beaulieu, M. Jean-Louis Bernard, Mme Françoise Briand, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy Chambefort, M. Jean-Pierre Dupont, M. Laurent Fabius, M. Yves Fromion, M. Michel Grall, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Marc Joulaud, M. Jacques Lamblin, M. Jack Lang, M. Gilbert Le Bris, M. Michel Lezeau, M. Jean Michel, M. Georges Mothron, M. Alain Moyne-Bressand, M. Daniel Poulou, M. Guy Teissier, M. Marc Vampa, M. Yves Vandewalle, M. Jean-Claude Viollet, M. Michel Voisin, M. André Wojciechowski

Excusés. - M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. Gérard Charasse, M. Pierre Frogier, M. Daniel Mach, M. Damien Meslot, Mme Françoise Olivier-Coupeau, M. Bruno Sandras, M. Philippe Vitel

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