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Audition de M. Arnaud Danjean, président de la sous-commission sécurité et défense au Parlement européen.
La séance est ouverte à dix heures trente.
M. le président Guy Teissier. Je souhaite la bienvenue à M. Arnaud Danjean, président de la sous-commission Sécurité et défense au Parlement européen.
Vous avez eu l’occasion, monsieur Danjean, d’intervenir ici même, le 25 février, au cours d’un colloque sur les réalités de l’Europe de la défense. Celle-ci reste à construire. Peut-être le Traité de Lisbonne lui donnera-t-il une nouvelle impulsion, comme nous le souhaitons, mais elle se heurte à un problème majeur : les budgets consacrés à la défense et les cultures de l’engagement diffèrent considérablement d’un État à l’autre, comme en témoignent les caveat appliqués en Afghanistan par un certain nombre de pays, engagés sans vraiment combattre.
Nous avons également abordé ici à plusieurs reprises les difficultés de l’industrie européenne, avec notamment les atermoiements à propos de l’A400M et plus récemment de l’A330 MRTT (Multi Role Transport Tanker).
Vous nous expliquerez enfin pourquoi vous préconisez l’instauration d’un conseil des ministres européens de la défense.
M. Arnaud Danjean, président de la sous-commission sécurité et défense au Parlement européen. Je m’exprimerai devant vous en qualité de parlementaire européen français, nullement en qualité d’officier général ou de fonctionnaire du ministère de la défense.
Il serait très présomptueux d’attendre un nouveau départ de la défense européenne résultant d’on ne sait quelle magie du Traité de Lisbonne, même si celui-ci porte des potentialités d’améliorations. Nous vivons cependant une période de consolidation car plusieurs cycles importants convergent.
Premièrement, un cycle s’achève : celui de la politique européenne de sécurité et de défense, ou PESD, initiée il y a dix ans. Outre le symbole, elle s’est traduite par un certain nombre d’acquis. Dans le vocable du Traité de Lisbonne, il est désormais question de PSDC, ou politique de sécurité et de défense commune, ce changement de vocable signifiant un changement d’ambition. Il est facile de gloser sur les insuffisances et la virtualité de la politique européenne de défense, de prétendre que cette prérogative restera nationale et que l’Europe ne peut mener des opérations militaires ambitieuses ; toutefois, il convient de rappeler que la PESD n’a que dix ans, une durée très courte à l’échelle historique, et qu’elle est née d’un échec dramatique : en ex-Yougoslavie, les Européens n’ont pas su faire face à une crise majeure sur leur propre continent.
Deuxièmement, un cycle s’ouvre avec le Traité de Lisbonne et ses innovations institutionnelles. Celui-ci affiche une ambition en matière de défense mais crée aussi des instruments utiles, à commencer par le service européen d’action extérieure, qui donnera davantage de cohérence et d’efficacité à la politique extérieure, notamment pour la gestion de crise. Je pense aussi à la clause d’assistance mutuelle, sorte de nouvel article 5, innovation significative, même si sa mise en œuvre suscite encore beaucoup d’interrogations. Tout cela est très récent et le processus est évolutif ; il serait par conséquent hasardeux de condamner ou au contraire de glorifier ces nouvelles dispositions.
Enfin, un troisième cycle est en cours, concernant la redéfinition du lien entre l’UE et l’OTAN – l’Union européenne et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Cette dernière révise actuellement son concept stratégique, mais il n’est pas certain que le résultat soit très ambitieux : lorsque nous avons rencontré Mme Albright au Parlement européen, il y a deux mois, force a été de constater que les réflexions ne semblaient pas très abouties. Quoi qu’il en soit, ce nouveau concept de l’OTAN devrait être de nature à renforcer la légitimité d’une approche européenne en matière de défense, car il se réfère de façon nette à la dimension civile de gestion de crise, l’un des atouts de la PESD. L’UE peut en effet répondre à des défis de sécurité de dimension globale : à côté de moyens militaires, elle est en mesure de mobiliser des outils civils, financiers et de développement pour répondre à des crises humanitaires ou sécuritaires. Nous assistons aussi à une ébauche de réorientation stratégique de la politique américaine de sécurité, les États-Unis ne considérant plus l’Europe comme un théâtre prioritaire – j’en veux pour preuve la réflexion très changeante autour du concept de bouclier antimissiles –, ce qui aura forcément des incidences sur l’articulation entre l’UE et l’OTAN.
Nous sommes donc au milieu du gué.
Les sceptiques continueront de dire que l’Europe de la défense est condamnée à rester une chimère, faute de concept stratégique commun, d’instrument de défense collectif et d’autorité habilitée à envoyer des soldats européens se faire tuer pour une cause, d’autant que des problèmes capacitaires et budgétaires se posent et que la majorité des pays européens continuent d’accorder la priorité absolue à l’OTAN.
Pour autant, cette politique n’a que dix ans et il y a maintenant un acquis : vingt-trois opérations ont été lancées dans le cadre de la PESD. Si l’Europe était restée passive, que n’aurions-nous entendu ? D’aucuns argueront qu’il s’agissait d’opérations marginales au regard de certains enjeux, mais elles ont été appréciées par les parties en présence, qui sollicitaient l’Europe. Celle-ci présente en effet un attrait, singulièrement après les aventures américaines unilatéralistes. Le cadre légal et multilatéral auquel l’UE recourt systématiquement est un facteur de légitimité et d’intérêt. Elle est ainsi intervenue sur des théâtres où l’OTAN n’aurait pu le faire, par exemple en Géorgie, en août 2008. En l’absence de l’ONU et de l’OSCE – l’Organisation des Nations unies et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe –, si l’UE n’avait pas pris la responsabilité de la médiation et du déploiement d’observateurs pour vérifier le respect du cessez-le-feu, le conflit se serait développé avec des conséquences dramatiques pour la région tout entière. Si, demain, une nouvelle poussée d’adrénaline se produit en Transnistrie, en Abkhazie ou en Ossétie, l’UE serait sans doute plus habilitée à intervenir diplomatiquement que l’OTAN, l’ONU, ou l’OSCE.
L’UE est aussi la mieux à même de mener des opérations qui requièrent un panel d’instruments allant au-delà des réponses de type militaire. Je pense notamment à la première opération navale conduite par l’UE, au large des cotes somaliennes et dans le golfe d’Aden. Des navires chinois, russes et indiens y sont également déployés, ainsi qu’une force de l’OTAN – Ocean Shield – mais l’opération européenne est la plus efficace. Outre qu’elle bénéficie de davantage de moyens, elle assure un continuum avec les aspects civils. Une fois les pirates arrêtés, il est en effet nécessaire de les traduire en justice et de les incarcérer. Or l’UE peut s’engager dans des accords de développement des capacités judiciaires et pénitentiaires locales, comme elle l’a déjà fait avec le Kenya et les Seychelles et comme elle pourra le faire, demain, avec d’autres pays. Si l’OTAN a tant attendu avant d’intervenir et a finalement déployé un dispositif minimal, c’est parce qu’elle n’est pas en mesure d’apporter une telle valeur ajoutée.
Il serait caricatural de négliger ces acquis.
La défense européenne reste embryonnaire et incertaine, essentiellement du fait de contraintes budgétaires, de moins en moins de pays ayant la volonté et les moyens d’investir dans une politique de défense. L’autre obstacle est le sentiment que la sécurité collective européenne serait du ressort exclusif de l’OTAN. Cela dit, je constate, sur les bancs du Parlement européen, des évolutions du côté de mes collègues de l’Europe centrale et orientale. Alors que les pays ayant adhéré en 2004 refusaient il y a encore quelques années d’évoquer la défense européenne, ils manifestent aujourd’hui beaucoup d’intérêt pour les opérations extérieures européennes comme pour le développement d’une capacité de défense commune, le cas le plus manifeste étant celui de la Pologne. Les Polonais ont été très déçus par les annonces du président Obama à propos du bouclier antimissiles et par l’attitude générale de l’administration américaine, qui semble ne plus considérer l’Europe comme un théâtre sécuritaire prioritaire. La France et l’Allemagne ont du reste relancé les discussions du triangle de Weimar sous le format défense. La Pologne, qui exercera la présidence de l’UE en 2011, affiche déjà des ambitions en matière de défense et tous les autres pays d’Europe centrale et orientale peuvent suivre.
Même si nous sommes encore très loin d’aboutir, nous avons donc beaucoup progressé.
Si l’UE possède une légitimité très forte, c’est aussi parce que la communauté internationale ne dispose plus des instruments adaptés à certains conflits : ceux de l’OTAN sont strictement militaires ; ceux de l’ONU sont trop bureaucratiques et dilués ; ceux des organisations de sécurité régionales sont insuffisamment efficaces. L’UE est donc de plus en plus sollicitée, et la demande pour qu’elle s’investisse davantage est à la fois intérieure et extérieure.
Sur le plan intérieur, il est très compliqué d’expliquer à nos concitoyens que l’UE, construction politique ambitieuse, première puissance commerciale et grande puissance démographique mondiale, soit incapable de mener des interventions de sécurité à ses propres frontières voire sur son propre continent, comme ce fut le cas dans les Balkans il y a encore quelques années. L’opinion publique, à cet égard, se montre paradoxale : elle est très réticente à envoyer des soldats se battre et mourir à l’étranger, notamment en Afghanistan, mais elle n’arrive pas à comprendre que l’UE ne s’affirme pas comme acteur global en matière de politique étrangère et de défense.
La demande est aussi extérieure : l’UE est demandée dans les zones de crise. Or, depuis le débat qui a agité les États-Unis après l’invasion de l’Irak, la question de la légitimité a pris de l’importance : dans le monde d’aujourd’hui, une opération extérieure ne bénéficiant pas d’une légitimité juridique multilatérale est une impasse aux conséquences très lourdes. Or l’UE peut dégager du consensus, déployer de la médiation. Nous vivons donc un rééquilibrage des puissances, avec un déclin de la logique de leadership unilatéral. Cependant, derrière l’attente vis-à-vis de l’UE, se cachent des arrière-pensées : chacun compte sur le consensus pour poursuivre ses propres buts sans vraiment se voir contrarié par une puissance coercitive. L’UE apparaît comme force de résolution de crise et non comme puissance appâtée par la poursuite d’intérêts et de gains propres.
Une troisième demande d’Europe, très importante quoique subsidiaire, émane des pays tiers participant aux opérations de l’UE, comme la Turquie ou des États des Balkans. C’est d’ailleurs une évolution intéressante et vertueuse : un pays comme la Croatie, naguère consommateur de sécurité européenne, devient contributeur. L’UE n’apparaît pas simplement comme un guichet mais aussi comme une exigence collective et une communauté de valeurs. L’intégration de ces pays dans nos opérations produit un phénomène d’acculturation très net. De surcroît, c’est seulement par le biais de la PSDC que des pays comme la Serbie, qui ne veut pas intégrer l’OTAN, et l’Ukraine, qui ne le peut pas, seront accrochés à une architecture de sécurité européenne : ils commenceront à travailler avec nous dans le cadre d’opérations extérieures et s’imprégneront progressivement du modèle européen de défense et de sécurité.
Il ne faut pas négliger les manques, les insuffisances : les capacités, les budgets, la volonté politique, peu d’États européens étant prêts à enclencher la vitesse supérieure, même si des progrès sont enregistrés. Au Parlement européen, nous venons de produire notre rapport annuel sur la mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité. Au cours de son élaboration, il est apparu que les lignes ont un peu bougé.
Les réticences traditionnelles demeurent. Une partie de la gauche allemande s’oppose au fait même de parler de défense, toute évolution étant taxée de militarisation, mais ce groupe est très minoritaire. À l’autre extrême, les conservateurs britanniques hurlent à la trahison dès qu’ils voient associés les mots « défense » et « Europe ». Sinon, des Verts au PPE – le Parti populaire européen –, le consensus est très large pour reconnaître l’intérêt que revêtent les capacités de gestion de crise de l’UE et la nécessité de se doter pragmatiquement et progressivement d’une défense commune. Même les députés polonais ou baltes du PPE, qui donnent la priorité à l’OTAN, ont voté notre texte, pourtant assez ambitieux pour la défense européenne. Je rends hommage aux Verts allemands réalistes et responsables, avec lesquels il est possible d’évoquer des interventions extérieures ou des mises à disposition de moyens militaires pour soutenir des opérations civiles humanitaires.
Notre texte, adopté à une très large majorité, ne voit que des avantages aux dispositifs envisagés plus ou moins explicitement par le Traité de Lisbonne, en particulier la création d’un conseil des ministres de la défense. Actuellement, un conseil affaires générales relations extérieures réunit une fois par mois les ministres des affaires étrangères et les ministres de la défense peuvent s’y joindre une fois tous les six mois, de façon informelle. Cela nous paraît absurde eu égard aux enjeux de pilotage des opérations extérieures dans lesquelles nos soldats sont engagés. Nous plaidons pour l’instauration d’un conseil des ministres de la défense, qui serait présidé par la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité commune, Mme Ashton.
Même si de nombreux progrès ont été réalisés sur le plan institutionnel, nous demandons également la création, à Bruxelles, d’un centre d’opérations intégré permanent, sorte de quartier général européen, afin d’anticiper et de piloter les opérations de l’UE. En effet, dans l’état actuel des choses, pour déclencher une opération, il faut s’en remettre à des quartiers généraux régionaux, ce qui entraîne une perte de temps, de moyens et d’efficacité considérable. Les ratés de l’UE dans la gestion de la crise humanitaire en Haïti ont été dus à l’absence de centre d’opérations unifié. Le fait que plusieurs services agissent chacun de leur côté – les services de la Commission, ceux du Conseil et ceux des États membres – génère une dispersion complète des moyens et de la coordination. Le seul État hostile à notre demande est la Royaume-Uni mais je note avec intérêt l’évolution de la position de Mme Ashton : en décembre, lors de sa prise de fonction, elle y était opposée ; auditionnée de nouveau il y a quelques semaines, après s’être rendue en Haïti, en Bosnie et sur divers théâtres d’opérations, elle a convenu que cette innovation présenterait un intérêt, ne serait-ce que pour rationaliser les moyens.
Nous souhaitons en outre que le service européen d’action extérieure soit aussi efficace que possible, qu’il intègre tous les instruments épars de la Commission et du Conseil, dont nous ne connaissons même pas forcément l’existence – chaque jour, j’apprends que telle direction générale est pourvue d’une cellule de gestion de crise –, afin que la diplomatie européenne puisse faire face aux situations de crise. Mme Ashton, en instaurant un dialogue avec les États membres et le Parlement européen, est parvenue à surmonter le scepticisme. Même s’il ne sera pas immédiatement fonctionnel, ce service doit donc être créé à relativement court terme.
La défense restant une matière soumise à la souveraineté nationale, l’articulation avec les parlements nationaux est cruciale. Le traité de l’UEO – l’Union de l’Europe occidentale – sera bientôt dénoncé, ce qui provoquera la dissolution de cette organisation et de son assemblée parlementaire. Il faudra trouver une nouvelle articulation entre la dimension européenne et les parlements nationaux sur les questions de défense et de sécurité. Le président de l’assemblée parlementaire de l’UEO, que j’ai rencontré la semaine dernière à Bruxelles, m’est apparu ouvert et pragmatique. Deux pistes sont possibles : appliquer les arrangements institutionnels prévus par le Traité de Lisbonne, qui paraissent toutefois un peu lourds ; formaliser et rendre plus régulière les réunions des commissions de la défense des parlements nationaux et de la sous-commission du Parlement européen, qui se tiennent déjà chaque semestre sous l’égide des présidences tournantes. Une solution doit être trouvée assez rapidement. Josselin de Rohan, que j’ai rencontré ce matin, devrait proposer des pistes dès cet après-midi.
J’ai veillé à ne pas brosser un tableau uniformément noir ou blanc, car cela ne mène nulle part. Je ne prétends pas que la PSDC fonctionne formidablement bien et constitue un horizon indépassable mais je ne souscris pas non plus aux critiques radicales contre cette politique en devenir et qui se construit pas à pas.
Nécessité fait loi : en matière de sécurité et de défense, sans le drame balkanique des années quatre-vingt-dix, je ne suis pas sûr que les Européens auraient pris conscience de la nécessité de se doter d’une politique de ce type. Nous faisons face à des défis de sécurité extrêmement mouvants. Les citoyens européens ne veulent certes plus se faire tuer pour n’importe quelle cause sur les théâtres d’opérations extérieures ; quand des soldats meurent en Afghanistan, des procès sont intentés. Le projet de défense européenne n’est pas pour autant mort-né car la perception des enjeux est très évolutive. En décembre 1995, quand les soldats américains sont arrivés en Bosnie, la doctrine « zéro mort » prévalait ; le Congrès avait même bloqué l’envoi des troupes pendant quatre ans et celles-ci n’étaient arrivées qu’une fois la paix signée, de façon à éviter la moindre perte. Moins de six ans plus tard, après les attentats du 11 septembre 2001, les troupes américaines étaient déployées en Afghanistan et en Irak – et dans ce dernier pays, elles ont perdu 4 000 hommes. Qui sait ce qui arrivera demain ? Les motifs pour lesquels on est prêt à mourir évoluent très rapidement. Aujourd’hui, les opérations de l’UE en Somalie sont raillées car cette zone ne semble pas revêtir d’intérêt majeur ; si demain des citoyens français sont victimes de phénomènes liés à l’instabilité en Somalie, cela deviendra immédiatement la première cause nationale en matière de sécurité.
Il convient de se montrer extrêmement modeste et pragmatique. La PSDC est adaptée pour répondre aux enjeux très évolutifs de sécurité et de défense.
M. le président Guy Teissier. Je vous remercie pour ce tour d’horizon complet et brillant.
La disparition de l’UEO, programmée pour fin avril à la suite de l’adoption du Traité de Lisbonne, devrait être entérinée par les États, mais un certain nombre de parlementaires nationaux s’en sont émus. Quels moyens de contrôle s’y substitueront ? Puisque vous avez évoqué mon homologue du Sénat, je vous informe que nous avons pris les devants : j’ai proposé hier au président de l’Assemblée nationale de mettre sur pied une sorte de commission de suivi, structure allégée au sein de laquelle la France serait représentée en majorité par des parlementaires des commissions de la défense de l’Assemblée et du Sénat.
À l’occasion de l’université d’été de la défense, à Saint-Malo, nous avions souligné la nécessité de faire adhérer les opinions publiques européennes à la construction d’une défense européenne. Comment préconisez-vous d’accroître la visibilité de l’Europe pour un large public ?
La délégation de notre commission qui s’était rendue en Pologne avant les élections européennes avait constaté une inappétence manifeste pour l’Europe. Les Polonais nous disaient privilégier les discussions avec leur grand voisin ukrainien, qui leur ressemble, qui partage leurs préoccupations et qu’ils souhaitaient amener tout doucement vers l’Europe après la révolution orange ; en outre, ils exprimaient le souci de ne pas froisser leur voisin géant, la Russie. Bref, les Polonais considéraient que l’Europe désorganisait leur conglomérat militaro-industriel et préféraient qu’elle les laisse gérer leurs problèmes. Même s’ils avaient besoin des aides de l’Europe, ils ne souhaitaient pas entrer dans une logique de défense commune. Toutefois, leur conception semble avoir évolué aujourd’hui, et c’est tant mieux. Que proposez-vous pour continuer à aller dans ce sens ? Nous aurions intérêt à travailler davantage ensemble car nous pourrions vraiment nous enrichir mutuellement.
M. Arnaud Danjean. À propos de l’UEO, je partage pleinement votre point de vue. Compte tenu de mon parcours dans des institutions spécialisées sur les questions de souveraineté nationale, vous ne trouverez pas en ma personne un « ayatollah » parlementaire européen, partisan de la mort des parlements nationaux. Je prône, au contraire, leur association la plus étroite possible, et, à cet effet, il importe de trouver une solution souple et pragmatique.
La visibilité de l’Europe est fondamentale, mais elle ne sera pas obtenue du jour au lendemain. Les voies permettant de parvenir à cette visibilité sont multiples. L’Europe est à la fois un socle de valeurs philosophiques et un panel de politiques concrètes, progressives et parfois très techniques, au point que leur mise en œuvre peut provoquer un effet repoussoir. Toutefois, cette combinaison permet aussi de faire progresser la construction européenne en certains domaines, notamment en matière de défense et de sécurité. À cet égard, les opérations jouent un rôle clé : lorsqu’elles se traduisent par un succès, il est possible de s’appuyer sur elles pour capitaliser auprès des opinions publiques. Ainsi, les pays d’Europe centrale et orientale, extrêmement attentifs à tout ce qui se passe aux marches de la Russie, ont été sensibles au fait que l’Union européenne soit intervenue dans la médiation de crise en Géorgie, avec un succès relatif. Il en est de même avec l’opération Atalante : l’officier francophone d’une frégate allemande participant à cette opération et sur laquelle je me suis retrouvé avec Christian Ménard au large des côtes de la Somalie nous a expliqué que ses hommes avaient ressenti une grande fierté de sortir du cadre routinier de l’OTAN – au départ, ce bâtiment devait être déployé sous l’autorité de cette organisation – et d’être intégrés dans une force européenne novatrice. Cela vaut aussi pour les forces déployées en Bosnie. Je crois beaucoup à ce phénomène d’acculturation parmi les professionnels. Les Britanniques eux-mêmes, qui sont très pragmatiques, peuvent être convaincus de l’intérêt de la PSDC à travers le succès des opérations. N’oublions pas qu’Atalante est conduite par un Britannique, l’amiral Hudson. Je crois vraiment à cette capacité d’entraînement : le succès des opérations permet de les populariser.
Il faut également rendre les institutions plus lisibles, plus visibles. Tel est l’enjeu du Traité de Lisbonne, avec la création du service européen d’action extérieure et l’instauration des postes de haut représentant et de président du Conseil – en dépit des ratés initiaux lorsqu’il a fallu procéder aux nominations. Pour les professionnels de la chose européenne et a fortiori pour les opinions publiques, le labyrinthe bruxellois en matière de défense et de sécurité est incompréhensible. Même dans une opération extérieure simple, sur le sol européen, comme celle du Kosovo, dans le cadre de laquelle j’ai servi, pas moins de cinq drapeaux européens flottaient sur Pristina : celui de la mission de la Commission, celui du représentant spécial, celui du représentant personnel de M. Solana, celui de la mission d’observation de l’UE et celui de la présidence tournante. C’était incompréhensible pour le contribuable européen mais aussi pour le citoyen kosovar que nous étions censés aider.
Enfin, une idée revient régulièrement : celle d’un livre blanc sur la défense européenne. Il aurait de grandes vertus pédagogiques mais la conduite politique de l’opération serait délicate car, si elle échouait, l’ambition tomberait aux oubliettes pour dix ans. En tout cas, les débats relatifs à la défense et à la sécurité européennes ne doivent pas rester l’apanage des experts, avoir pour seul cadre les couloirs des institutions bruxelloises. C’est pourquoi, dans notre rapport, nous appelons de nos vœux la rédaction de ce livre blanc.
M. le président Guy Teissier. Je confirme l’enthousiasme extraordinaire des Européens à servir dans le cadre de l’opération Atalante, comme a pu le constater une délégation de notre commission en rencontrant, il y a quinze jours à peine, l’état-major de cette opération, constitué d’officiers supérieurs allemands, espagnols – tous francophones – et français. Il faut aller à Djibouti pour rencontrer de vrais Européens !
M. Michel Voisin. L’orateur connaît déjà la teneur de ma question.
Il a été acté en 2002 qu’une force européenne de réaction rapide forte de 60 000 hommes devrait pouvoir être mobilisée dans un délai de deux mois. Or, si l’on examine les engagements actuels sur les différents théâtres d’opérations – en particulier en Afghanistan –, on s’aperçoit que seuls quelques pays apportent une contribution importante, les autres contributions restant très faibles. Ces opérations vont durer. Comment, dans ces conditions, l’Union européenne pourrait-elle mobiliser une force aussi importante dans un délai aussi bref ? En dépit des réflexions menées au niveau diplomatique, je crains que l’on ne se heurte à de grandes difficultés matérielles pour la mettre en œuvre.
M. Arnaud Danjean. Nous avons en effet évoqué ce sujet à maintes reprises. Vous avez raison : l’Union ne dispose pas d’une telle capacité à générer des forces, et c’est bien à ce problème capacitaire que se heurte toute ambition forte en matière de politique européenne.
Cela étant, l’objectif de 60 000 hommes, pour quoi faire ? Même si l’on était en mesure de l’atteindre matériellement, je ne suis pas certain qu’il existe une volonté politique suffisamment forte et partagée par une majorité d’États membres pour envoyer un tel effectif sur un théâtre donné. On voit bien les réticences que l’envoi de troupes en Afghanistan provoque en France même, alors que nous sommes, avec les Britanniques, les Allemands et les Italiens, les plus gros contributeurs aux opérations extérieures de l’Union et de l’OTAN.
Certaines améliorations n’en sont pas moins possibles. À titre d’exemple, la brigade franco-allemande, dans le cadre de l’Eurocorps, n’est actuellement pas mobilisable par l’Union européenne pour des opérations extérieures. Il existe donc des réservoirs que l’on n’utilise pas faute de volonté politique ou de cohérence dans la chaîne de commandement. Mais on est de toute façon loin des 60 000 hommes.
M. Michel Voisin. Je n’ai fait que citer le chiffre inscrit.
M. Arnaud Danjean. Il faut également évoquer la capacité à mobiliser les composantes civiles qui participent de plus en plus à nos opérations : policiers, magistrats, douaniers... Les États faillis – ceux qui s’effondrent ou qui se diluent – sont des facteurs majeurs de crise. Pour faire face à ces phénomènes, il faut non seulement des soldats mais aussi des capacités administratives.
M. Christian Ménard. Détentrice de l’arme nucléaire, la France ne risque-t-elle pas de perdre sa souveraineté en matière de défense en cas de création d’un conseil des ministres ad hoc ? Sans être opposé à une telle initiative, je voudrais en connaître les contraintes et les limites.
M. Arnaud Danjean. Tel que nous le préconisons, ce conseil des ministres n’interviendrait pas dans les questions de doctrine. Il ne débattrait évidemment pas de la doctrine nationale de dissuasion, mais du pilotage des opérations extérieures en cours ou à mener.
Par exemple, le Conseil européen a récemment décidé d’autoriser une opération de formation de forces de sécurités somaliennes, EUTM – European Union training mission – Somalia, au profit du gouvernement fédéral transitoire de Somalie. Elle se déroulera en Ouganda, la France y participera et la nation-cadre sera l’Espagne. C’est le type même d’opération qui pourrait être discutée entre ministres de la défense, plutôt que de donner lieu à des allées et venues entres ministères de la défense et ministères des affaires étrangères de chaque pays. Même chose pour le pilotage de l’opération Atalante, ou plus généralement pour déterminer quel type de forces il faut mettre en place pour telle ou telle opération.
L’objet est la gestion capacitaire des crises que l’on doit affronter et pour lesquelles l’Union européenne décide de s’engager. Cela n’irait pas plus loin.
Mme Marietta Karamanli. Ma première question a trait à la fin de l’UEO. Si le Parlement européen a une légitimité pour s’exprimer en matière de défense, force est de constater qu’il ne dispose pas de moyens réels puisqu’il ne vote pas le budget. Ce sont les parlements nationaux qui sont compétents pour ce qui concerne l’envoi et le maintien de troupes à l’étranger ; ce sont eux qui votent les crédits de la défense et qui, souvent, définissent la politique industrielle en matière d’armement. Instaurer un face-à-face entre le Conseil européen et le Parlement européen, n’est-ce pas risquer de renforcer la suprématie des exécutifs sur les parlements nationaux ? Quelle forme d’organisation pourrait se substituer à l’UEO ?
Par ailleurs, la presse a souligné la forte proportion de collaborateurs britanniques soutenant les conceptions de la Grande-Bretagne dans l’équipe du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Les vues exprimées par l’Union ne risquent-elles pas d’être quelque peu monocolores ?
M. Arnaud Danjean. La dissolution de l’assemblée parlementaire de l’UEO n’aura pas d’incidence sur les prérogatives du parlement français en matière budgétaire ou de définition du mandat des troupes. L’UEO n’avait pas de pouvoir réel sur les opérations menées.
Mme Marietta Karamanli. Certes, mais il n’y aura plus de rencontres interparlementaires consacrées à ces sujets.
M. Arnaud Danjean. Pour ce qui est du Parlement européen, il faut être modeste et réaliste. Je ne représente qu’une sous-commission – même si l’on peut espérer qu’elle devienne, à terme, une commission à part entière. Mais le Parlement européen a son mot à dire en matière de budget. En particulier, nous définissons le budget de la politique étrangère et de sécurité commune – PESC – en accord avec le Conseil. À mon sens, les débats les plus approfondis sont ceux que nous menons conjointement avec Alain Lamassoure, président de la commission du budget, et les représentants du Conseil sur les questions de budget et de financement des opérations PESC. À lui seul, cet outil justifie l’implication du Parlement européen.
En revanche, il me semblerait incongru – même si beaucoup de mes collègues au sein de la sous-commission plaident en ce sens – de débattre des opérations militaires en Afghanistan : cette question est du ressort des États membres. L’intervention de l’Union européenne en tant que telle se limite à la mission de police EUPOL Afghanistan, que nous supervisons et au sujet de laquelle nous avons des comptes à demander au Conseil.
Le Parlement européen n’a pas, selon moi, à se prononcer sur l’engagement français, italien ou allemand sur le théâtre d’opérations, mais il est le mieux à même d’assurer le suivi des quelque treize opérations, dont deux militaires, menées au titre de la PESD. À Bruxelles, nous sommes quotidiennement au contact des chefs de mission et des structures du Conseil assurant le pilotage. La CCPC – capacité civile de planification et de conduite –, la direction de la planification et de la gestion des crises, l’état-major européen, sont nos interlocuteurs naturels. Notre suivi de ces opérations est sans doute plus « actualisé » que celui des parlements nationaux, même si je considère que notre lien avec ceux-ci doit être beaucoup plus régulier s’agissant de la politique de sécurité et de défense commune.
La crainte que vous avez exprimée au sujet de la haute représentante, je l’ai partagée très fortement au moment de son installation. Mme Ashton n’était certainement pas la personne la plus expérimentée, notamment en matière de défense, mais je me garderai bien de lui intenter le procès personnel auquel certains se sont livrés. L’idée selon laquelle, par inappétence pour les questions de défense, elle s’en remet systématiquement à la position de Londres, s’est certes révélée assez fondée lors des premiers échanges de vues que nous avons eus avec elle en décembre puis lors de son audition. À propos du centre d’opérations européen, de l’agence européenne, qu’elle présidera alors que l’on sait que les Britanniques n’en veulent pas, elle a manifesté un scepticisme, pour ne pas dire une hostilité, qui montrait très clairement que ses « éléments de langage » venaient de Londres.
Cela dit, ces tendances se sont atténuées. Je ne partage pas votre impression concernant la composition de son cabinet, où des Français sont en bonne position – ainsi, c’est une diplomate française qui s’occupe de la PSDC et elle s’est adjoint les services d’un Français qui travaillait auparavant avec M. Javier Solana et qui a dix ans d’expérience dans ce domaine.
Mme Ashton a mentionné récemment, dans ses échanges avec le Parlement européen, une évolution de sa position au sujet du centre d’opérations permanent. Après avoir été sur le terrain et avoir rencontré des militaires, dont des Britanniques, elle semble envisager les choses de façon plus ouverte. Elle a également pris conscience que son absence à la réunion informelle des ministres de la défense à Majorque en février dernier avait été très préjudiciable et qu’elle devait s’impliquer beaucoup plus dans les questions de défense et de sécurité. Les schémas qu’elle commence à proposer concernant le service européen d’action extérieure montrent qu’elle a pris en compte certaines considérations chères au Parlement européen et aux États membres.
Bref, j’observe une évolution positive. Il faut se montrer indulgent : cela ne fait que trois mois et demi que Mme Ashton est à l’ouvrage et les sujets sont très lourds et sensibles. Du reste, avant de prendre ses fonctions, c’était une femme politique travailliste. Comme il y a de fortes probabilités que les conservateurs reviennent aux affaires à Londres dans quelques mois, la « ligne directe » sera peut-être moins facile qu’avec le gouvernement travailliste... Les dernières interventions sont de nature à nous rassurer.
M. René Rouquet. Les parlementaires siégeant à l’Assemblée de l’UEO sont désignés par les parlements nationaux. En comptant les membres associés, les partenaires et les observateurs, cette instance va bien au-delà des Vingt-sept : l’ensemble du Caucase y est représenté, ainsi que les Russes, ou encore les Turcs.
Je suis un peu inquiet de la disparition de cet espace de travail commun et d’échange. Pour le remplacer, il convient de mettre en place un dispositif qui ne se limite pas aux Vingt-sept. Nous avons étudié tous les cadres possibles – OTAN, OSCE, Conseil de l’Europe – sans trouver de solution satisfaisante car aucun ne permet un rassemblement similaire. Il faut veiller à ne pas écarter de nos rencontres et de nos conversations régulières les parlementaires de ces nombreux pays.
M. Arnaud Danjean. Je partage votre opinion. Je suis toujours frappé par l’excellente qualité des rapports de l’assemblée parlementaire de l’UEO. Il faut maintenir cette capacité d’analyse, d’expertise et de mise en perspective des enjeux, d’autant que je ne suis pas sûr que le Parlement européen l’ait atteinte.
La Turquie, qui est membre associé, s’est inquiétée de cette disparition annoncée. Nous n’en devrons pas moins mener un dialogue extrêmement exigeant avec nos amis turcs car l’attitude de ce pays, notamment dans les arrangements entre l’Union européenne et l’OTAN, crée des difficultés sérieuses qui peuvent toucher à la sécurité de nos personnels. La cause du blocage est ancienne et bien connue : c’est la situation chypriote, qui ne se réglera pas en un claquement de doigts et au sujet de laquelle personne n’a vraiment envie de bouger. Cela étant, les personnels de l’Union européenne ne peuvent bénéficier en Afghanistan – ainsi qu’au Kosovo, où les risques sécuritaires sont cependant moins dramatiques – des mêmes conditions de sécurité que les soldats de l’OTAN à cause du blocage turc dans l’articulation Union européenne-OTAN sur les théâtres d’opérations. Je n’ignore pas que les Turcs regrettent de ne pas être associés à certains travaux à la hauteur de leur contribution aux opérations de l’Union, mais, je le répète, il faut à ce sujet un dialogue extrêmement exigeant.
M. Nicolas Dupont-Aignan. Comme le président Teissier, vous soulevez la question de la lisibilité et de la popularité des actions de l’Union en matière de défense. La dissolution de l’UEO et la mise à l’écart, même provisoire, des parlementaires nationaux ne vont pas inciter les différents pays à augmenter leur effort de défense. L’enjeu majeur, c’est la diminution des budgets de défense des Vingt-sept depuis dix ans. On pourra toujours marteler la nécessité d’une défense européenne : si le nombre de contributeurs se réduit et si, de surcroît, leur effort diminue, on n’atteindra jamais les 60 000 hommes évoqués par M. Michel Voisin. Cette affaire symbolique de l’UEO traduit le problème de l’irrigation de l’effort de défense par nos nations.
Plus généralement, étant donné les budgets et les efforts réels de chacun de ses membres, l’Europe — déjà difficile à concevoir dans les autres domaines — peut-elle être conçue à vingt-sept en matière de défense ? Il existe un décalage saisissant entre cette mythologie qui fait plaisir à tout le monde et le nombre réduit de pays qui s’impliquent. Ne serait-il pas plus efficace de travailler dans le cadre d’une coopération à géométrie variable ? Sans cela, nous risquons de nous retrouver dans quinze ans à répéter toujours les mêmes choses et, pour le coup, les opinions s’inquiéteront vraiment pour leur sécurité.
Enfin, vous n’avez pas évoqué l’effort et les coopérations en matière d’industrie d’armement. Pour moi, parler d’Europe de la défense, c’est d’abord faire travailler des ouvriers européens, c’est ne pas acheter systématiquement ses matériels à l’extérieur, c’est éviter que la normalisation se fasse au profit des Américains, entre autres. Votre commission travaille-t-elle sur ce sujet ?
M. Arnaud Danjean. Je suis d’accord avec vous : l’implication des parlementaires nationaux va bien au-delà du symbole. C’est une nécessité vitale de trouver une formule pour s’associer, car la défense reste une question relevant des relations intergouvernementales et de la souveraineté nationale. Il est légitime, normal et indispensable que les parlementaires nationaux soient associés le plus possible aux décisions prises au niveau européen.
J’ai précisément essayé d’éviter de faire une peinture mythologique des budgets de défense. Cette approche peut donner l’impression que l’on réduit considérablement la voilure et que l’on aboutit à des choses anecdotiques ou marginales. Je ne crois pas que ce soit le cas. En matière de défense et de sécurité, la politique des petits pas est à la fois frustrante et nécessaire. Autant je me méfie des personnes pour qui la défense européenne est le nirvana, autant je conteste l’idée que l’on ne puisse rien faire. Sans doute, du fait des contraintes capacitaires et budgétaires, faut-il voir le verre plus « à moitié vide » qu’« à moitié plein ».
Les coopérations renforcées, consolidées par le Traité de Lisbonne, permettent de réaliser l’Europe de la défense autour d’un noyau dur de cinq ou six pays que l’on retrouve, d’ailleurs, sur le plan industriel : la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne, mais aussi la Grèce, qui était jusqu’ici un partenaire important, animé d’une réelle volonté de participer et doté d’un budget militaire important.
Il faudra compter avec d’autres pays intéressés. Bien que la Pologne ait des progrès à accomplir en matière de structures et d’infrastructures, le fait de l’arrimer à certains projets européens, y compris à des opérations extérieures – les Polonais ont été de gros contributeurs au Tchad, notamment –, est un élément positif. Les pays de la Baltique ont développé des modèles assez poussés de surveillance et de sécurité maritimes. Alors que beaucoup sont neutres ou réticents à s’engager dans des dépenses militaires, cet aspect de sécurité civile a permis de réintroduire la dimension « défense ». Confrontés à l’immigration illégale et à toutes sortes de trafics, les pays méditerranéens sont aussi susceptibles de s’y intéresser. La PSDC peut s’investir sur ces terrains, ce qui suscitera des besoins capacitaires en bateaux, en hélicoptères ou en radars...
Alors que l’Europe éprouve beaucoup de difficultés à appréhender les questions d’industrie de défense en raison de leur caractère extrêmement sensible, je suis persuadé que l’on peut réintroduire des efforts de recherche et de développement en passant par des technologies à caractère dual – civil et militaire –, plus faciles d’accès au regard de la réglementation européenne que l’industrie de défense stricto sensu. Il y a deux ans, le « paquet défense » visait à fluidifier le marché des industries de défense au niveau intra-européen. Il faut, à terme, un « paquet défense II » plus orienté vers l’extérieur, établissant un concept de « préférence communautaire » – certains pays européens ont en effet la mauvaise habitude d’acheter systématiquement sur étagère les matériels américains sans même prendre connaissance de l’existence et de la qualité des matériels européens – et renforçant la compétitivité des industries européennes dans le monde. Sur ce point, je regrette que le Parlement européen soit plus dans le débat que dans la décision, laquelle relève principalement de la Commission. Reste que celle-ci est maintenant sensibilisée. Nous pouvons jouer le rôle d’aiguillon pour remettre le sujet à l’ordre du jour.
En matière d’industrie de défense, comme constituer des champions européens ? Quelle est la taille critique qui permettra à la fois de conserver l’immense savoir-faire technologique, de maintenir les emplois et d’être compétitif à l’échelle internationale ? La logique de mutualisation est parfois contreproductive. Dans le cas de l’A400M, on a l’impression que la volonté d’associer tout le monde a provoqué de la déperdition. Il convient plutôt d’insister sur la maîtrise d’œuvre : les champions européens ne doivent pas se créer au prix d’un nivellement par le bas, mais en s’agrégeant au contraire autour de l’excellence d’industries souvent nationales. Sinon, on s’expose à des processus bureaucratiques et artificiels. Le sujet est loin d’être épuisé, hélas.
M. le président Guy Teissier. Merci pour ces informations très fournies. Nos deux commissions, je le répète, gagneraient à échanger davantage. J’espère que vous pourrez assister cette année aux universités d’été de la défense, qui se tiendront à Istres et à Marseille.
La séance est levée à onze heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Patricia Adam, M. Jean-Claude Beaulieu, M. Jean-Louis Bernard, M. Daniel Boisserie, Mme Françoise Briand, M. Dominique Caillaud, M. Patrice Calméjane, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy Chambefort, M. Gérard Charasse, M. François Cornut-Gentille, M. Bernard Deflesselles, M. Nicolas Dhuicq, M. Jean-Pierre Dupont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Laurent Fabius, M. Philippe Folliot, M. Yves Fromion, M. Guillaume Garot, M. Franck Gilard, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Marc Joulaud, M. Jacques Lamblin, Mme Marguerite Lamour, M. François Lamy, M. Jack Lang, M. Gilbert Le Bris, M. Michel Lezeau, M. Alain Marty, M. Christian Ménard, M. Damien Meslot, M. Jean Michel, M. Georges Mothron, M. Étienne Mourrut, M. Alain Moyne-Bressand, M. Daniel Poulou, M. René Rouquet, M. Alain Rousset, M. Michel Sainte-Marie, M. Jean-Pierre Soisson, M. Michel Sordi, M. Guy Teissier, M. Marc Vampa, M. Yves Vandewalle, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin, M. André Wojciechowski.
Excusés. - M. Patrick Beaudouin, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Hostalier, M. Philippe Nauche, Mme Françoise Olivier-Coupeau, M. Bruno Sandras, M. Jean-Claude Viollet.
Assistait également à la réunion. - Mme Marietta Karamanli.
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