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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 1er décembre 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 15

Présidence de Guy Teissier, Président

–– Examen pour avis du projet de loi de finances rectificative pour 2010 (n° 2944) (Mme Françoise Briand, rapporteur)

–– Informations relatives à la commission

La séance est ouverte à dix heures.

M. le président Guy Teissier. Avant d’aborder les points inscrits à notre ordre du jour, je voudrais revenir sur les deniers événements – parlementaires – de l’affaire Karachi.

Vous le savez, j’ai accepté la création d’une mission d’information car il me semble que nous avons, nous membres de la représentation nationale, un devoir de vérité à l’égard des familles des victimes de Karachi. J’aurais pu évoquer des éléments fallacieux pour refuser cette mission. Je ne l’ai pas fait, car je crois qu’il en va de l’honneur de notre commission.

La contrepartie était que chaque parlementaire respecte un devoir de confidentialité qui a un sens, surtout lorsque l’on siège à la commission de la défense et que notre mission est d’être les garants des intérêts de la Nation.

C’est au nom de ce devoir de confidentialité que, moi–même, en votre nom, j’ai refusé d’accéder aux demandes du juge visant à la transmission de documents internes à la mission, appuyé en cela par le Président de l’Assemblée nationale.

Or, vous le savez, la semaine dernière, un membre de la mission, de sa propre initiative, s’est déclaré prêt à remettre à la justice ces documents, sans en référer ni au président de la commission que je suis, ni au président de la mission, ni au rapporteur.

Je trouve cette manière de faire de notre collègue Candelier inacceptable : en agissant ainsi il trahit ainsi non seulement la parole donnée aux personnes auditionnées, mais aussi les autres membres de la mission et notamment son président, Yves Fromion.

J’ai noté que le rapporteur, Bernard Cazeneuve, qui lui aussi a sollicité, de manière formelle, la transmission au juge de ces documents, s’est désolidarisé de cette démarche en indiquant qu’elle pourrait mettre le juge en difficulté : celui-ci ne pourra sans doute pas utiliser ces documents puisqu’il ne les aura pas obtenus par la voie normale.

J’observe enfin que le Bureau de l’Assemblée nationale doit se prononcer le 15 décembre prochain sur cette question et que le respect de l’institution parlementaire, auquel nous sommes tous astreints, aurait à tout le moins exigé d’attendre sa décision.

Je précise que j’ai rencontré hier le ministre de la défense, qui m’a confirmé avoir saisi la commission consultative du secret de la défense nationale afin de déclassifier plusieurs documents.

Je m’étonne donc – et le mot est faible – que M. Candelier ait annoncé par une nouvelle dépêche qu’il remettrait ces documents d’ici ce soir.

M. Yves Fromion. Je souhaiterais apporter une explication technique sur cette affaire, laissant ensuite à chacun le soin de prendre ses responsabilités. Lors de la constitution de la mission, les cinq membres dont elle était composée ont souhaité d’un commun accord que les notes établies restent internes à la mission et qu’elles ne soient pas destinées au public. Il s’agissait simplement de documents de travail utiles pour notre réflexion et susceptibles d’aider le rapporteur dans la rédaction du rapport. Contrairement à ce que j’ai pu lire dans la presse, il ne s’agit nullement de procès-verbaux. Ces documents ne sont que des notes prises par les fonctionnaires affectés à la mission. J’ajoute qu’ils n’ont jamais été soumis à notre approbation.

Si nous transmettions, par une voie ou par une autre, ces documents au juge d’instruction, il appartiendrait aux fonctionnaires qui les ont rédigés de s’en expliquer éventuellement devant lui. Cela serait assez singulier et je ne vois pas comment il serait possible d’admettre une telle situation, car ainsi nous mettrions en cause les personnes ayant rédigé des notes à une seule fin de travail interne de la mission. Je précise d’ailleurs que ces notes ont été transmises à l’ensemble des membres de la mission à la demande de M. Candelier, qui n’a pu être présent à toutes les auditions.

Nous nous trouvons donc aujourd’hui dans une situation particulière : je demande que l’on prenne bien en compte que les notes en question ne sont pas des procès-verbaux – avec la validité qui s’y attache – qui engageraient la responsabilité des membres de la mission. Il est totalement exclu de mettre les fonctionnaires dans une position délicate alors qu’ils n’ont fait que rédiger des documents de travail internes à la mission.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le Président, cette question n’était pas à l’ordre du jour et j’ai le sentiment qu’en procédant ainsi, la commission de la défense risque de se transformer en tribunal militaire. Il ne faut pas se tromper de régime, nous ne sommes pas en 1810 mais en 2010 ! J’ai rempli mon devoir de citoyen en fournissant au juge d’instruction – et non à la presse ou au public – les notes des auditions. Il n’y a donc aucune communication publique de ma part. En parlant de trahison, je pense que vous allez très loin ! Je note par ailleurs que le Président de la République et le Premier ministre ont dit que toutes les pièces devaient être fournies, comme si tout n’avait pas déjà été communiqué aux magistrats instructeurs. Vous avez parlé il y a un instant de déclassification de pièces : je ne vois pas pourquoi il ne faudrait pas également donner ces pièces au juge ! Que cherche-t-on à cacher ?

M. le président Guy Teissier. Je déplore que vous poursuiviez cette idée que l’on cache quelque chose ! Vous instrumentalisez cette affaire pour abattre certaines personnes, à la manière des procès staliniens. La vérité est beaucoup plus simple : le rapport de la mission a été rendu public après autorisation de sa publication par notre commission. Cette autorisation ne portait certainement pas sur les documents internes de la mission, qui devaient rester confidentiels. En ne respectant pas cet engagement collectif, vous avez trahi ce secret et cette confiance réciproque.

M. Jean-Jacques Candelier. Vous êtes un monarque !

M. le président Guy Teissier. Une information judiciaire est en cours pour faire toute la lumière sur ce dossier. Je redis que la question de la transmission ou non des documents de la mission sera évoquée lors de la réunion du Bureau de l’Assemblée nationale du 15 décembre prochain. Par respect pour notre institution, vous auriez pu attendre la décision du Bureau ! Je rappelle en outre que le ministre de la défense a engagé la déclassification de certains documents.

Pour le moment, nous devons respecter l’engagement que nous avons pris les uns vis-à-vis des autres, c’est-à-dire le respect du secret dans cette affaire. En tant que membre de la mission, vous avez entendu ce qui a été dit et vous savez bien qu’il n’y a rien à cacher ; il ne sert à rien de nourrir une polémique qui n’a pas lieu d’être.

M. Jean-Jacques Candelier. Le rapport de la mission présidée par M. Fromion a été rédigé par M. Cazeneuve et publié en intégralité avec, notamment, le compte rendu de l’audition de M. Balladur. Puisque nous avons procédé ainsi pour cette audition, pourquoi ne pas avoir fait de même pour toutes les autres ? J’ajoute que depuis novembre 2009, je n’ai pas communiqué avec la presse, contrairement à certains collègues. S’il y a eu des communiqués de presse, ils ne venaient pas de moi.

M. Yves Fromion. La publication du rapport et des annexes a été décidée par la mission. Compte tenu du caractère très particulier de l’audition de M Balladur, nous avons justement voulu qu’il n’y ait aucune possibilité de confusion ou d’insinuation. Nous avons donc spécifiquement publié cette audition, avec l’accord et, je le souligne, à la demande de l’intéressé. Nous aurions tout aussi bien pu publier d’autres auditions, mais nous n’avons pas fait ce choix. Je crois donc qu’il ne faut pas prendre comme prétexte l’audition de M. Balladur, qui était attendue de tout le monde.

M. Bernard Deflesselles. Monsieur le Président, je tiens à vous dire que nous sommes en plein accord avec vous et que tout le monde soutient vos propos. Il n’y a pas un seul mot à retrancher à votre déclaration. Je voudrais rappeler à M. Candelier que la vie politique est parfois d’une extrême sensibilité. Dans pareils cas, il faut respecter les règles, le travail parlementaire, le travail de la commission, et il faut surtout respecter ses engagements. L’engagement était pris de ne pas communiquer de compte rendu des auditions ! Vous n’auriez pas dû faire de la politique politicienne sur cette affaire. Chacun prendra ses responsabilités mais nous ne sommes pas un tribunal et le président n’est pas un juge. Nous nous devons cependant de respecter nos engagements ; il en va de l’honneur de la vie parlementaire.

M. Jean Michel. S’il y a autant d’interrogations aujourd’hui, c’est parce que les ministres interrogés ont déclaré que tous les documents avaient été communiqués et déclassifiés. J’ai entendu, tout comme vous, les propos récents du Président de la République qui disait que certains documents n’avaient pas encore été déclassifiés et qu’ils devaient être communiqués pour que la lumière soit faite. Il y a donc là plus qu’une simple ambiguïté : il y a une opposition de raisonnement entre certains ministres et le Président de la République. Il faut résoudre cette divergence.

Je sais bien qu’il y a une séparation des pouvoirs et, pour les missions d’information, des règles à respecter. Cependant, si on ne peut pas communiquer directement ces documents, il faut que le magistrat en charge de l’enquête puisse au moins en prendre connaissance. Je ne sais pas quelle décision sera prise par le Bureau de l’Assemblée mais je demande que le magistrat ait accès à ces pièces pour que la vérité soit faite, car c’est ce que nous désirons tous en définitive. Cet impératif est d’autant plus manifeste que plusieurs de nos concitoyens sont morts et que leurs familles ont le droit de savoir ce qui s’est réellement passé au Pakistan.

M. Jean-Jacques Candelier. Vous savez bien qu’il n’y a pas d’information fracassante dans ces notes. J’ai donc fourni, par principe, celles que je détenais au juge. J’estime que celui-ci doit être en possession de tous les éléments, comme l’a dit le Président de la République. Je ne comprends donc pas la position du président de l’Assemblée nationale, qui en refuse la communication.

M. le président Guy Teissier. Mon cher collègue, nous ne discutons pas du contenu de documents mais du respect des engagements qui ont été pris. Nous sommes dans une institution qui a des règles, auxquelles nous devons nous conformer. Quand le juge m’a demandé de lui remettre ces documents, je ne l’ai pas fait, au nom de la séparation des pouvoirs. Pour autant, si le Bureau décide le 15 décembre que les documents doivent être transmis au juge, je me rangerai à cette position, respectant le mode de fonctionnement de notre institution.

M. Philippe Folliot. Je crois effectivement qu’il s’agit d’une affaire très sensible car onze de nos concitoyens sont morts dans un lâche attentat à Karachi. Pour autant, il y a des problèmes de fond et des problèmes de forme. Les problèmes de fond seront traités à d’autres niveaux, notamment dans le cadre des instructions en cours. Nous espérons que celles-ci arriveront à leur terme et que la vérité sera faite sur cette affaire. En ce qui concerne la forme, si nous prenons les uns et les autres des libertés avec les règles que nous nous sommes communément fixées, cela pose non seulement une question de méthode mais crée également un précédent. Si, à l’avenir, une personne venant témoigner sous le sceau de la confidentialité devant la commission ou devant une mission risque de voir ses propos rendus publics, elle ne transmettra plus aucune donnée sensible. Ce serait contre-productif et limiterait grandement notre travail.

Cette question de principe doit être rapidement tranchée. Bien entendu, monsieur Candelier, nous ne sommes pas dans un tribunal et ne nous ne sommes pas là pour juger qui que ce soit. Cependant, nous devons rappeler ces règles, nécessaires à de bonnes conditions de travail entre nous.

M. Damien Meslot. Monsieur le président, je suis tout à fait solidaire de votre position. Vous n’êtes certainement pas un monarque et je rappelle à mon collègue que vous avez été élu démocratiquement par l’ensemble de cette commission : vous avez raison de rappeler les règles. Nous ne sommes pas dans un gouvernement des juges, nous sommes dans un gouvernement du peuple. La Constitution garantit la séparation des pouvoirs : le juge a le droit de demander un certain nombre de documents et l’Assemblée nationale a le droit d’en refuser la communication.

Vu la manière dont est respecté le secret de l’instruction dans notre pays, il est illusoire de penser que des notes transmises à un juge d’instruction ne se retrouveront pas les jours suivants dans la presse. J’ai remarqué que dans toutes les affaires sensibles, il y a eu une violation du secret de l’instruction. Par ailleurs, si une personne est entendue de manière confidentielle par notre commission – ou une de ses missions – et que ses propos sont communiqués à un juge ou à un grand quotidien, cela risque de poser un problème de confiance vis-à-vis de notre commission. Si nous ne sommes donc pas des juges, il est essentiel de rappeler les règles à nos collègues qui les transgressent.

M. Jean–Pierre Soisson. Monsieur le président, je voudrais vous demander une confirmation. S’agit-il bien de notes établies par les fonctionnaires de la commission à destination des membres de la mission ?

M. le président Guy Teissier. Je vous le confirme.

M. Jean–Pierre Soisson. Au regard de mon expérience parlementaire, je considère que ce serait un grave précédent de communiquer des notes établies par des fonctionnaires au seul profit des membres d’une mission d’information. Les seuls documents qui sauraient engager notre Assemblée sont ceux que nous validons et que nous signons. Il n’est pas question d’impliquer des fonctionnaires parlementaires, sauf à fragiliser la relation de confiance que nous entretenons avec eux.

M. Bernard Cazeneuve. Je voudrais détailler ma position de manière à ce qu’elle soit connue de tous et que chacun puisse prendre ses responsabilités. Durant la mission, nous nous sommes engagés au respect de la confidentialité des auditions. Nous avons ainsi décidé, et nous nous y sommes rigoureusement conformés, car c’était notre honneur de le faire, de ne pas publier en annexe du rapport le compte rendu de ces auditions. Pour autant, communiquer ces auditions au juge qui les demande n’équivaut pas à les publier, car elles seraient alors couvertes par le secret de l’instruction. Quelques parlementaires disent, et il s’agit d’un argument recevable, que le secret de l’instruction n’existe plus et que par conséquent tout ce qui est communiqué au dossier du juge est diffusé par voie de presse. J’avais fait une proposition d’apaisement pour que l’on ne soit pas dans cette situation difficile et malsaine pour chacun. Il s’agissait de permettre au juge de venir dans les locaux de l’Assemblée nationale pour consulter ces documents sans que ceux-ci ne lui soient communiqués. Cette proposition pragmatique n’a pas été suivie par le président de l’Assemblée et je le regrette. Cette question doit être définitivement tranchée par le Bureau le 15 décembre prochain. Dans l’attente, je me suis conformé à la décision du Président Accoyer et je n’ai rien transmis de moi-même au juge. Dans ce dossier, il faut en effet être irréprochable et respecter scrupuleusement les règles. J’espère toutefois que ma proposition aboutira devant le Bureau.

Afin de clarifier le débat, il me faut infirmer les propos de M. Fromion, à qui je conserve malgré tout mon amitié, lorsqu’il a indiqué que je lui aurais déclaré entretenir des relations avec le juge Trévidic. Il a ajouté que j’en aurais néanmoins une piètre opinion. Ces allégations sont totalement fausses. Je ne me suis pas rendu de ma propre initiative devant le juge Trévidic ni devant le juge Van Ruymbeke, et je ne connais ni l’un ni l’autre. J’ai simplement répondu aux convocations des magistrats et j’ai répondu à leurs questions en toute sincérité. Leur ayant confirmé l’existence de comptes rendus d’auditions, les juges m’ont demandé si je pouvais les leur communiquer. J’ai refusé, et cela est dans le procès-verbal de mon audition, car ces documents ne m’appartiennent pas ; ils appartiennent à la mission et dès lors qu’elle a achevé ses travaux, c’est au président de l’Assemblée nationale d’apporter une réponse à cette demande.

Je tiens enfin à rappeler que notre collègue Jean-Jacques Candelier a été extrêmement assidu, contrairement à ce qui a été dit précédemment. Il a posé de nombreuses questions et s’est beaucoup impliqué dans nos travaux. Eu égard à la qualité de nos relations, je voudrais donc lui demander d’attendre le 15 décembre avant de prendre une décision définitive. Si nous pouvions faire aboutir la solution d’apaisement que j’ai proposée, nous calmerions le débat et nous sortirions par le haut de cette polémique. Dans tous les cas, il convient d’attendre la décision du Bureau.

M. le président Guy Teissier. Il s’agit là d’une proposition de sagesse qui, je l’espère, sera entendue par notre collègue. Cela redonnerait un esprit de solidarité à cette commission et à tous les collègues qui ont travaillé sur cette affaire avec beaucoup d’honnêteté.

Je voudrais vous dire, à propos de la confidentialité des échanges avec le juge et de manière à ce qu’il n’y ait pas de doute à ce sujet, que toutes les correspondances que j’ai eues avec le juge Trévidic ont été rendues publiques par le site Internet Mediapart.

M. Yves Fromion. Je voudrais simplement souligner – et je suis heureux que M. Cazeneuve soit présent – l’importance de rappeler au Bureau de l’Assemblée nationale que les notes dont il s’agit ne sont pas des procès-verbaux avalisés par la mission. Elles ne sauraient donc engager ni le président ni les membres de la mission. Il ne s’agit que de documents de travail établis par les fonctionnaires parlementaires pour préparer le rapport. Cette précision est extrêmement importante car il en va des relations entre les parlementaires et les fonctionnaires de l’Assemblée nationale.

M. Francis Hillmeyer. J’entends la proposition de notre collègue Bernard Cazeneuve. La seule question qui se pose aujourd’hui est de savoir si ces documents ont déjà été transmis ou non.

M. Jean-Jacques Candelier. Ces documents ont déjà été transmis.

M. Jean-Pierre Soisson. Notre débat perd donc son sens puisque nous sommes mis devant le fait accompli.

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La Commission procède à l’examen pour avis des articles 6, 8, 11, 39 et 40 du projet de loi de finances rectificative pour 2010 (n° 2944).

M. le président Guy Teissier. Nous en venons à l’examen des cinq articles du projet de loi de finances rectificative (PLFR) qui intéressent la défense. Avant de céder la parole au rapporteur, qu’il me soit permis de constater que, cette année encore, le surcoût des opérations extérieures (OPEX) a été financé grâce un abondement interministériel, sans obérer les crédits d’équipement. Depuis l’année dernière, nous avons mis fin à un cercle vicieux : il faut nous en réjouir.

Mme Françoise Briand, rapporteur pour avis. Nous examinons ce matin cinq articles du projet de loi de finances rectificative : les articles 6, 8 et 11 traitent de l’évolution budgétaire de la mission « Défense » et de l’état d’avancement des projets liés aux recettes exceptionnelles. Les articles 39 et 40 permettent de continuer deux projets inscrits dans la loi de programmation militaire (LPM) : la privatisation de la SNPE et la poursuite du programme A400M.

En matière budgétaire, l’article 6 annule, pour le budget général, 2,4 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 2,75 milliards d’euros en crédits de paiement (CP). La défense échappe à cet effort puisque ses crédits augmentent de 387 millions d’euros. Cet abondement permet notamment de faire face aux dépenses liées aux OPEX.

Bien que nous ayons progressivement augmenté la dotation initiale pour les OPEX, elle ne suffit toujours pas à couvrir l’ensemble des besoins. En gestion, la défense doit donc dégager des ressources supplémentaires : le décret d’avance, ratifié par l’article 11, gage cette hausse sur les crédits du programme 146 (Équipement des forces). En 2010, ce sont ainsi quelque 218 millions d’euros de CP qui ont été prélevés sur le programme 146 au profit des OPEX.

Ce système n’est pas à remettre en cause, à condition que ces crédits soient rétablis en loi de finances rectificative. Les années précédentes, la correction ne se faisait pas, ce qui revenait donc à annuler les crédits gagés.

La LPM a mis fin à cette pratique en prévoyant que tous les ministères participent à cet effort au travers de la réserve interministérielle de précaution. Ce système a été mis en œuvre pour la première fois en 2009, même si le ministère de la défense avait dû cependant faire un effort de 45 millions d’euros en gestion. En 2010, la défense obtient une compensation intégrale, sans aucun effort en gestion. Les 218 millions d’euros gagés par le décret d’avance sont donc bien rétablis. C’est une avancée majeure et nous devons nous en réjouir.

Si la situation s’est normalisée, c’est aussi que la défense est arrivée à maintenir le surcoût des OPEX au même niveau que l’année dernière, soit 867 millions d’euros. Cette stabilisation est due au désengagement sur de nombreux théâtres comme au Tchad ou dans les Balkans. Pourtant, le théâtre afghan coûte toujours plus cher, empêchant une diminution des dépenses globales. À titre de comparaison, je note que le coût unitaire d’un soldat engagé en Afghanistan est de 122 000 euros par an alors qu’il n’est que de 66 000 euros au Liban.

J’en viens maintenant aux mesures concernant les recettes exceptionnelles. Comme le ministre l’a indiqué lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, il n’a pas été possible de respecter le calendrier initial, ni pour la vente des emprises, ni pour la cession des fréquences. L’article 8 du PLFR en tire les conséquences en diminuant les recettes de 20 millions d’euros pour les emprises et de 600 millions pour les fréquences. Je rappelle qu’il ne s’agit pas d’annulations au sens strict mais plutôt d’un décalage : les recettes sont bien réelles, elles n’interviendront que plus tard. Pour les fréquences, l’autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) garantit à la défense des revenus pour l’été 2011. Dans l’intervalle, je note que le ministère a obtenu des mesures compensatoires, notamment avec l’autorisation de consommation de reports de crédits. Les modifications qui nous sont proposées ne font que constater la réalité de la situation et ne portent en rien préjudice à l’équilibre financier du ministère de la défense.

Les articles 39 et 40 du projet concernent quant à eux la SNPE et l’A400M. 

La loi de programmation militaire a autorisé la privatisation de la SNPE, notamment pour permettre un rapprochement de sa filiale SNPE-matériaux énergétiques (SNPE-ME) avec Safran. Depuis l’adoption de la LPM, les négociations ont abouti entre la SNPE et Safran, le groupe acceptant d’acheter la SNPE-ME, ses filiales majoritaires et ses participations dans Roxel et Regulus. Eurenco est en revanche exclue du champ, le ministère de la défense souhaitant que ses activités restent sous le contrôle direct de l’État.

L’objectif de Safran est bien de poursuivre l’activité de la SNPE pour constituer un pôle français unique dans le domaine de la propulsion solide. Il n’est nullement question d’une réorganisation de la filière ou de la fermeture de sites.

La plupart des emprises concernées par cette cession sont des sites pyrotechniques, c’est-à-dire qu’ils sont fortement pollués et ce depuis très longtemps. L’État ne peut se dédouaner de ses obligations environnementales en tant qu’exploitant historique. Safran ne peut pas non plus accepter de reprendre gratuitement ce passif environnemental et les risques associés. Si l’activité est arrêtée ou que celle des sites change, il faudra en effet réaliser d’importantes opérations de dépollution.

Safran souhaitant poursuivre l’activité de la SNPE, les coûts de dépollution ne sont que potentiels. Il ne faudra engager de telles opérations que si l’environnement réglementaire change drastiquement ou que si la France renonce à la propulsion solide, c’est-à-dire si nous abandonnons les missiles balistiques et les programmes spatiaux. Je ne pense pas qu’une telle option soit envisageable au vu du succès de ces programmes. Le programme Ariane 5 en est par exemple à son quarantième succès d’affilée.

Pour couvrir ce risque éventuel, la SNPE a donc accordé une garantie à Safran : si le groupe est contraint de dépolluer, la SNPE paiera, dans la limite de 216 millions d’euros. Je précise que cette garantie ne pourra pas être mise en œuvre si Safran décide de réorganiser ses unités de son propre chef.

La SNPE devrait donc conserver en trésorerie une somme correspondant à la garantie, ce qui n’est pas pertinent en termes de gestion des entreprises publiques. Pour éviter cette charge de trésorerie inutile, l’article 39 prévoit que l’État accorde une garantie de 216 millions d’euros à la SNPE. La société ne pourra la faire jouer que si Safran recourt à sa propre garantie.

Ce mécanisme est pertinent et raisonnable. Pertinent car il évite d’immobiliser inutilement des sommes importantes sur le compte de la SNPE. Raisonnable car la garantie est limitée à 216 millions d’euros et uniquement jusqu’au 1er janvier 2052. Au-delà de cette date, on peut en effet considérer que la responsabilité historique de l’État s’efface devant celle de l’exploitant.

L’article 40 met en place un autre système de garantie pour assurer le financement de l’A400M. Le 5 mars dernier, EADS et ses clients sont parvenus à un accord qui prévoit, outre l’augmentation de 10 % du coût du programme et le renoncement aux pénalités de retard, que les États accordent à l’industriel une avance remboursable de 1,5 milliard d’euros, appelée « Export Levy Facility ». Comme l’a indiqué le délégué général pour l’armement devant notre commission le 24 mars, cette avance sera remboursée sur l’export : à chaque appareil vendu, EADS reversera une somme, ce versement augmentant au fur et à mesure de la progression des exportations. En d’autres termes, pour le premier appareil exporté, EADS remboursera quelques centaines de milliers d’euros ; en fin de trajectoire, il versera plusieurs millions d’euros.

Dès lors que nous considérons ce programme comme indispensable et prioritaire, il ne me semble pas que ce choix fasse débat en termes d’opportunité. Il existe plusieurs possibilités de le mettre en œuvre : la France peut accorder cette avance remboursable sur ses fonds propres et la transformer en dépense budgétaire. Ce n’est cependant pas satisfaisant car cela reviendrait à inscrire dans le budget de l’État une dépense qui n’en est pas une puisqu’il s’agit d’une avance remboursable. Par ailleurs, certains de nos partenaires, comme l’Allemagne, préfèrent recourir à un intermédiaire pour ce type d’opérations. La France a donc demandé à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) d’intervenir : la caisse va avancer 417 millions d’euros à EADS et percevra les remboursements d’ici le 1er janvier 2041.

La caisse n’étant pas partie prenante au contrat, elle n’a pas à supporter le risque d’un tel projet. L’article 40 prévoit donc que l’État garantit à la CDC le remboursement de l’avance. En couvrant le risque de l’exportation, la France marque sa confiance dans le programme et envoie un signal positif très fort à tous les clients potentiels. La prise de risque est mesurée car les hypothèses sous-jacentes sont très raisonnables, avec une estimation de 250 à 300 appareils exportés.

Le projet de loi de finances rectificative respecte donc parfaitement les grands axes de la programmation militaire, montrant bien que la défense reste un domaine stratégique qui doit être préservé, même en période de crise.

Je vous invite, mes chers collègues, à donner un avis favorable à l’adoption de ces cinq articles.

M. Damien Meslot. Je félicite le rapporteur pour la qualité et la précision de son travail malgré l’aridité du sujet.

Il faut se réjouir de la prise en charge du surcoût lié aux opérations extérieures par la réserve interministérielle. Il n’y a pas si longtemps, aucun mécanisme de ce genre n’était mis en œuvre, leur financement se faisant au détriment des crédits d’équipement des armées.

La façon dont le dossier de l’A400M a été géré appelle un certain nombre de réserves et d’observations. Je pense que notre commission devrait créer une mission spécifique afin de se pencher sur ce sujet. Le dérapage des coûts me semble d’autant moins compréhensible que nous disposons de nombreux organismes, comme par exemple la direction générale pour l’armement, capables de nous en prémunir et de veiller au respect des engagements initiaux.

Il nous faut tirer les leçons de ces errements pour éviter de les reproduire pour d’autres programmes.

M. Yves Fromion. La CDC va verser la part française des avances décidées en faveur du programme A400M. L’article 40 du projet de loi de finances rectificative porte sur la garantie que l’État apporte à la caisse dans ce cadre. Pourquoi avoir opté pour ce montage et non pour un dispositif de garantie du type de ceux de la compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (COFACE) ?

Je signale par ailleurs que, comme je m’y étais engagé dans le cadre de la mission d’information sur les circonstances entourant l’attentat de Karachi, je vais déposer un amendement tendant à élargir l’information du Parlement sur les contrats d’exportation civils et militaires. Aujourd’hui, les contrats civils de plus de cinq millions d’euros font l’objet d’une information du Parlement. Il s’agit d’étendre ce dispositif aux contrats militaires dépassant ce montant et bénéficiant d’une garantie de l’État. Au même titre que pour le contrôle des fonds spéciaux, nous trouverons des moyens d’information respectant la confidentialité des contrats.

J’avais proposé de le déposer conjointement avec M. Bernard Cazeneuve, qui a hélas refusé mon offre.

Mme Françoise Briand, rapporteur pour avis. Nous pouvons en effet nous féliciter de la prise en charge du surcoût des OPEX par des crédits extérieurs à la mission « Défense ».

En ce qui concerne l’article 40, il n’était pas possible de recourir aux dispositifs de type COFACE, car il ne s’agit pas d’un soutien à l’exportation, mais d’une simple avance de trésorerie qui sera remboursée grâce aux exportations.

M. Michel Grall. Je félicite également le rapporteur pour la qualité de son travail : elle a su rendre très clair un sujet a priori aride.

Dans la partie relative aux cessions immobilières, à quoi correspondent les 20 millions d’euros d’annulation de crédits ? Quel programme est visé ? Quel pourcentage des produits de cession cela représente-t-il ?

Mme Françoise Briand, rapporteur pour avis. L’annulation de 20 millions d’euros s’explique par la non-réalisation de certaines cessions immobilières par le ministère de la défense. Je rappelle que 700 millions d’euros étaient attendus pour cette année et que seuls 195 millions devraient être réalisés. Pour autant, le ministère a bénéficié de mesures compensatoires évitant de dégrader son équilibre financier.

Il n’est pas possible de rattacher l’annulation de 20 millions d’euros à une opération spécifique ; c’est une diminution globale de la valeur des cessions qui est opérée à ce stade.

M. le président Guy Teissier. Je suis frappé par la lenteur administrative caractérisant les cessions d’emprises immobilières de la défense.

M. Franck Gilard. Je souhaiterais simplement nuancer l’analyse du rapporteur sur la garantie apportée par l’État au profit de la CDC. Il ne s’agit pas d’une mesure politique de soutien au programme mais plutôt d’une simple disposition technique. En vérité, l’avenir du programme est avant tout dépendant de la situation des finances publiques des États qui y participent.

M. Jacques Lamblin. J’aimerais compléter les propos du président sur les lenteurs de certaines cessions immobilières. Je les constate également dans ma ville, qui s’est portée acquéreur d’un terrain militaire voici maintenant deux ans et qui attend toujours que l’État procède à la vente. D’une certaine façon, parmi les 20 millions d’euros dont il a été question, 500 000 euros sont imputables à la lenteur de cette cession.

M. Daniel Boisserie. Je partage le constat de nos collègues sur les ventes d’emprises. On peut d’ailleurs se demander si France Domaine ne ralentit pas les processus. Je constate également que les trésoriers-payeurs-généraux ne paraissent pas toujours soucieux de vendre rapidement. Je ne m’explique cependant pas ces réticences.

La Commission procède ensuite à l’examen des articles dont elle s’est saisie pour avis.

Article 6 : budget général : ouvertures et annulations de crédits :

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 6 sans modification.

Article 8 : Comptes spéciaux : ouvertures et annulations de crédits :

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 8 sans modification.

Article 11 : Ratification d’un décret portant ouverture et annulation de crédits à titre d’avance :

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 11 sans modification.

Article 39 : Octroi de la garantie de l’État à la société SNPE à l’occasion du projet de cession de ses activités de propulsion solide :

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 39 sans modification.

Article 40 : Octroi de la garantie de l’État au titre du financement par la Caisse des dépôts et consignations de la part française de la facilité financière accordée à EADS pour l’A400M :

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 40 sans modification.

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La séance est levée à onze heures.

Informations relatives à la commission

La Commission a nommé :

— Mme Françoise Briand, rapporteur pour avis sur le projet de loi de finances rectificative pour 2010 (n° 2944) ;

— les membres de la mission d’information sur le contrôle et l’exécution des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » : MM. Patrick Beaudouin, Jean-Jacques Candelier, Francis Hillmeyer, Alain Marty, Georges Mothron et Jean-Claude Viollet ;

— MM. Gilbert Le Bris et Étienne Mourrut, rapporteurs d’information sur le dialogue social dans les armées ;

— MM. Dominique Caillaud et Jean Michel, rapporteurs d’information sur les PME et la défense.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Patrick Beaudouin, M. Daniel Boisserie, Mme Françoise Briand, M. Patrice Calméjane, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. Bernard Cazeneuve, M. Gérard Charasse, M. Bernard Deflesselles, M. Jacques Desallangre, M. Laurent Fabius, M. Philippe Folliot, M. Pierre Forgues, M. Yves Fromion, M. Guillaume Garot, M. Franck Gilard, M. Michel Grall, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, Mme Françoise Hostalier, M. Marc Joulaud, M. Jacques Lamblin, M. Gilbert Le Bris, M. Michel Lezeau, M. Daniel Mach, M. Damien Meslot, M. Georges Mothron, M. Étienne Mourrut, M. Alain Moyne-Bressand, M. Daniel Poulou, M. René Rouquet, M. Michel Sainte-Marie, M. Jean-Pierre Soisson, M. Guy Teissier, M. Marc Vampa, M. Jean-Claude Viollet, M. Philippe Vitel, M. André Wojciechowski.

Excusés. – Mme Patricia Adam, M. Jean-Louis Bernard, M. Pierre Frogier, M. André Gerin, Mme Marylise Lebranchu, M. Christian Ménard, M. Philippe Nauche, Mme Françoise Olivier-Coupeau, M. Michel Sordi, M. Yves Vandewalle.