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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 18 janvier 2011

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 19

Coprésidence de M. Guy Teissier, Président, et de M. Axel Poniatowski, Président de la commission des affaires étrangères

–– Audition, conjointe avec la commission des affaires étrangères, de M. Alain Juppé, ministre de la défense et des anciens combattants, et de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères, sur la situation en Côte-d’Ivoire et la sécurité des Français à l’étranger

Audition, conjointe avec la commission des affaires étrangères, de M. Alain Juppé, ministre de la défense et des anciens combattants, et de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères, sur la situation en Côte-d’Ivoire et la sécurité des Français à l’étranger

La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.

M. le président Axel Poniatowski. Nous procédons, avec la commission de la défense, à l’audition conjointe de M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants, et de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

Madame la ministre, monsieur le ministre, je vous remercie, au nom des membres de nos deux commissions, d’avoir accepté cette audition conjointe qui nous permettra de traiter deux dossiers d’une brûlante actualité : la Côte d’Ivoire, d’une part ; la sécurité des Français à l’étranger et plus spécifiquement au Sahel et au Niger, d’autre part.

Les ministres s’exprimeront dans un premier temps sur les deux sujets, mais nous traiterons les questions par bloc, en commençant par celles sur la Côte d’Ivoire avant d’en venir à celles relatives aux otages.

Comment, tout d’abord, sortir de l’impasse en Côte d’Ivoire et éviter une guerre civile ? La stratégie adoptée par la communauté internationale consiste à menacer Laurent Gbagbo d’un isolement complet et durable s’il persiste à ne pas accepter le verdict des urnes. L’Union africaine est avant tout à la manœuvre pour le convaincre de céder le pouvoir à son rival démocratiquement élu, Alassane Ouattara. La France, pour sa part, est totalement solidaire de cette action. Pourtant, après plusieurs semaines de crise, cette stratégie est loin d’avoir atteint son objectif. Quelles sont aujourd’hui ses chances de succès ? Existe-t-il une alternative ?

Par ailleurs, les Français ont été bouleversés par l’assassinat de nos deux compatriotes – Antoine de Léocour et Vincent Delory. Nous n’oublions pas non plus les cinq Français qui sont encore aux mains du groupe Al Qaïda au Maghreb islamique, ni les otages détenus en Afghanistan et en Somalie. AQMI semble désormais concentrer ses activités sur la zone sahélienne, aux frontières du Mali, du Niger et de la Mauritanie. Quelle est l’étendue de la menace que fait peser AQMI sur nos concitoyens ? Plus généralement, quelle politique convient-il d’adopter lorsque nos ressortissants sont pris en otage ?

Telles sont les premières questions que je pose aux deux ministres.

M. le président Guy Teissier. Je commencerai par évoquer la situation étonnante et inextricable en Côte d’Ivoire, qui devait initialement être l’unique objet de cette audition, pour demander aux ministres si l’ONUCI dispose aujourd’hui des moyens nécessaires pour assurer sa mission face à l’escalade de la violence, et si la France, qui avait réduit sa participation, doit modifier sa position ?

Au Niger, des événements tragiques ont récemment impliqué des ressortissants français et ont conduit à l’intervention de nos forces armées.

C’est au vu de ces deux situations que nous avons souhaité, madame la ministre, monsieur le ministre, vous recevoir pour évoquer la sécurité de nos concitoyens à l’étranger.

Le Président de la République a assisté hier, à Lincelles, aux obsèques de Vincent Delory et d’Antoine de Léocour. Pour sa part, le Parlement, dans le cadre du rôle de contrôle de l’action du gouvernement que lui confère la Constitution, se devait de vous entendre, d’une part, sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées les opérations pour sauver nos compatriotes et, d’autre part, sur la doctrine que la France entend désormais appliquer en pareilles circonstances.

Les membres de la Commission de la défense s’associent bien évidemment à la douleur des familles. Perdre ses enfants, ses frères, ses amis est un drame humain d’autant plus douloureux que les circonstances de leur mort ont été particulièrement violentes et très largement médiatisées. Face à la douleur des familles et de toute une région, la République doit apporter la vérité sur cette tragédie et répondre à toutes les interrogations. Aussi vos réponses sont-elles particulièrement attendues.

Ces événements nous rappellent par ailleurs que la France est une grande nation, porteuse par son histoire de valeurs universelles qui l’obligent à des responsabilités collectives auxquelles elle ne peut se soustraire. Parce que la France compte dans le concert des nations, parce qu’elle est le pays des droits de l’homme, elle se doit de combattre l’intolérance, le fanatisme et leur corollaire, le terrorisme. Dans le monde instable dans lequel nous vivons, renoncer à nos obligations et déserter nos responsabilités serait pure folie. La France n’a jamais été aussi grande que lorsqu’elle a courageusement assumé son destin.

Pour la Commission de la défense, le destin de la France se situe clairement dans une lutte sans faille contre le terrorisme global, notamment contre le terrorisme islamiste. C’est à ce prix que nos libertés fondamentales seront garanties et préservées. Cela implique sans doute une révision du Livre blanc de la défense dans lequel nous avions précédemment tracé un arc de crise de l’Atlantique à l’océan Indien, oubliant peut-être un peu vite cette région du Sahel qui est aujourd’hui le théâtre de drames.

Je ne saurais conclure ce propos liminaire sans rendre un hommage appuyé à nos soldats dont le courage, la compétence et l’esprit de sacrifice nous permettent de vivre en paix – ici mais aussi ailleurs – et de maintenir la stabilité d’un certain nombre d’États. Nous devons beaucoup à nos soldats, nos concitoyens le savent.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Il est évident que la situation en Côte d’Ivoire comme au Sahel mobilise la diplomatie française, sans oublier bien sûr la Tunisie, dont la situation a fait l’objet de l’audition précédente. Mais nous pourrions aussi parler du Liban et de bien d’autres lieux sensibles dans le monde, comme l’Iran ou l’Afghanistan.

Notre action est guidée par deux préoccupations : défendre les valeurs démocratiques en contribuant à la recherche d’une sortie de crise en Côte d’Ivoire, lutter sans relâche dans le Sahel contre la menace terroriste dont nous avons vu récemment les effets tout à fait dramatiques.

Je rappelle qu’en Côte d’Ivoire la phase électorale a été calme, surtout lors du premier tour, mais aussi lors du second, le 28 novembre, et même dans les tout premiers jours après la proclamation des résultats, trois jours plus tard. C’est surtout à partir du 16 décembre que la situation a dégénéré.

Après le second tour et dans les premières semaines de décembre, la communauté internationale s’est montrée unanime pour reconnaître l’élection du président Ouattara et pour demander au président Gbagbo de quitter le pouvoir. Les résultats ont ainsi été validés et reconnus par le secrétaire général de l’ONU, par l’Union africaine, par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO, par l’Union européenne et par les États, en particulier la France et les États-Unis. On pensait que cette unanimité conduirait le président Gbagbo à adopter une attitude démocratique et raisonnable, tel n’a hélas pas été le cas.

Aujourd’hui, plusieurs indicateurs sont au rouge, en premier lieu la situation en matière de sécurité. Je l’ai dit, c’est surtout à partir du 16 décembre que les événements se sont déclenchés. Selon l’ONU, on dénombrait déjà plus de 170 morts avant Noël, et les dernières évaluations ont porté avant-hier ce total à 247, avec une véritable période de terreur dans certains quartiers d’Abidjan, dont deux sont soumis au couvre-feu. La tension reste extrêmement vive, et les forces de l’ONUCI elles-mêmes ne sont pas épargnées puisque les militaires qui la composent ont été l’objet d’attaques.

Tout cela conduit à une situation humanitaire assez dramatique. Ainsi, 20 000 Ivoiriens se sont déjà réfugiés au Liberia. Qui plus est, des heurts interethniques se produisent en dehors d’Abidjan, dans l’ouest du pays.

Dans ces circonstances, comme toujours, notre première préoccupation a été la communauté française ; aussi, nous avons immédiatement activé la cellule de crise du Quai d’Orsay. Je note toutefois qu’à ce jour, en dehors de quelques propos dans les médias, la communauté française et, plus généralement, la communauté occidentale n’ont pas été directement menacées. Cependant, dans la mesure où des heurts se produisent, où des actions sont menées contre les personnes, cela peut à tout moment se retourner contre nos ressortissants. C’est pourquoi nous leur avons, dans un premier temps, donné des conseils de prudence, avant de recommander à ceux qui le pouvaient de quitter le pays. Que les choses soient claires : il ne s’agit pas d’une évacuation mais d’une recommandation à titre provisoire, le temps que la situation se calme. Au regard des menaces, j’avais également décidé de retarder l’ouverture du lycée français d’Abidjan ; la situation demeurant tendue mais ne se dégradant pas, notamment vis-à-vis des Français, et de nombreuses familles étant demeurées sur place, j’ai choisi de rouvrir l’établissement le 17 janvier.

Politiquement, nous nous trouvons face à une situation inédite dans la zone francophone, d’autant que la Côte d’Ivoire apparaissait comme l’un des pays où la démocratie s’était jusqu’à présent toujours exprimée, bon gré mal gré. Aujourd’hui, l’ancien président veut rester en place et occupe le pouvoir, entouré par une partie de ses partisans, notamment des partisans armés, tandis que le gouvernement du président Ouattara peine à prendre l’avantage, notamment sur le plan médiatique, même si la situation s’améliore depuis peu.

Pour autant, se mettent peu à peu en place les conditions d’une solution pacifique que nous appelons de nos vœux pour les Ivoiriens, auxquels nous unissent des liens étroits. Certes, les soutiens à Laurent Gbagbo existent, mais ils sont marginaux dans l’ensemble du pays, certains de ceux qui ont voté pour lui prenant désormais leurs distances, tout simplement parce qu’ils sont attachés à la démocratie. Pour sa part, la communauté internationale réaffirme fortement une détermination qui ne fléchit pas. Ainsi, la semaine dernière, le Conseil de sécurité a fait une nouvelle déclaration, conforme à la fermeté qu’il affiche depuis le début. Le Conseil permanent de la francophonie a fait de même le 12 janvier, et je tiens à souligner le rôle joué par le président Diouf. Les dirigeants africains, de la CEDEAO comme de l’Union africaine, multiplient les actions pour essayer de trouver une solution. Le prochain sommet des chefs d’État de l’Union économique et monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), le 22 janvier, et le sommet de l’Union africaine du 30 janvier seront des tests majeurs pour les pays d’Afrique, dont la détermination me semble forte.

Des représentants des pays africains ont essayé de servir de médiateurs. Ainsi, plusieurs chefs d’État d’Afrique de l’ouest se sont rendus sur place, ainsi que l’ancien président nigérien, Olusegun Obasanjo, et que le premier ministre kenyan, Raila Odinga. Il faut savoir que l’option militaire est actuellement soutenue par un certain nombre d’États africains et que la CEDEAO travaille à la planification d’une telle opération. Pour ma part, je considère que l’usage de la force, auquel il est exclu que nous participions, ne doit être envisagé qu’en tout dernier recours d’autant que l’équilibre des forces armées en présence fait craindre un grand nombre de victimes, de part et d’autre.

C’est aussi pour éviter cette solution extrême que nous suivons de près toutes les sanctions qui peuvent contribuer à exercer sur Laurent Gbagbo une pression l’amenant à transmettre régulièrement le pouvoir et à partir. La CEDEAO, l’Union africaine, les États-Unis, l’Union européenne ont dit qu’ils étaient prêts à adopter des sanctions. Les sanctions ne sont sans doute pas la panacée, mais il semble qu’elles produisent un certain effet sur place. L’Union européenne a commencé par refuser l’octroi de visas à 85 personnalités ivoiriennes et elle a poursuivi par le gel des avoirs. Nous avons ainsi fait notre part du travail et nous attendons que ceux qui ont aussi décidé de prendre des sanctions le fassent également : il est important que l’Union européenne ne soit pas seule.

Voilà ce que je pouvais vous dire sur la Côte d’Ivoire. La sortie de crise doit préparer la voie à une réconciliation nationale. L’enjeu est aussi d’éviter que le pays ne soit partagé en deux, ce qui pourrait avoir des répercussions considérables sur l’ensemble du continent et favoriser une reprise des affrontements interethniques dans un certain nombre de pays.

En ce qui concerne le Sahel, c’est bien sûr la lutte contre le terrorisme qui est au cœur de l’actualité. On voit nettement s’étendre dans cette zone l’influence de l’ex-GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), devenu l’AQMI. Même s’il s’est agi d’un acte individuel, l’attaque de notre ambassade à Bamako traduit un regain de tension. Après avoir agi en zone rouge, à Arlit, AQMI s’engage désormais jusqu’en centre ville. Les événements dramatiques qui ont conduit à la mort de nos deux jeunes compatriotes, Antoine de Léocour et Vincent Delory, prouvent qu’AQMI ne reculera devant rien. Équipés grâce aux rançons obtenues à la suite de prises d’otages, ses membres sont de plus en plus déterminés et dangereux.

Il est évident que, comme toutes les actions terroristes, ces actes odieux visent à faire pression sur les Français au Sahel et sur notre opinion publique. Il ne faut pas plus tomber dans ce piège que céder au chantage du terrorisme. C’est la raison pour laquelle nous voulons prendre les mesures qui s’imposent pour protéger nos ressortissants. Nous avons convoqué il y a trois jours l’ensemble des organisateurs de voyages afin qu’ils n’envoient plus personne dans cette zone, et nous essayons de suivre ceux qui s’y trouvent à titre individuel. J’ai prévu des crédits afin de protéger encore davantage nos ambassades.

Permettez-moi de saluer le courage et le calme de la communauté française du Niger, du Mali et de la Mauritanie. Nos compatriotes savent que nous sommes totalement à leurs côtés, que nous sommes là pour les soutenir. Je me rendrai d’ailleurs prochainement dans cette région car je pense que mon rôle est aussi d’être auprès des Français qui sont menacés de la sorte.

Il est également indispensable que nous continuions à travailler, au plan diplomatique et militaire, avec les trois États concernés, pour renforcer leur sécurité, pour mener une politique de soutien au développement économique et social – je crois que c’est de la sorte que l’on mettra un terme à un certain nombre de frustrations, en particulier chez les jeunes, et que l’on privera ainsi le terrorisme de ses ressources humaines – et, enfin, pour protéger nos ressortissants et nos emprises.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants. Je remercie vos commissions de me donner l’occasion de m’exprimer devant vous.

Je traiterai tout d’abord de la sécurité de nos ressortissants à l’étranger, mission fondamentale de nos armées, qui sont pleinement mobilisées pour la remplir. Comme elles ne peuvent intervenir partout, notre dispositif est principalement axé sur les zones où la menace est élevée et où les communautés françaises sont nombreuses, c’est-à-dire surtout en Afrique, où nous comptons à l’heure actuelle plus de 210 000 ressortissants, répartis pour l’essentiel entre les pays du Maghreb et la façade occidentale.

Pour assurer leur sécurité, le ministère de la défense déploie près de 9 400 hommes et femmes : 4 800 engagés au sein des forces de présence à Djibouti, au Sénégal et au Gabon ; 2 200 engagés dans nos forces de souveraineté à la Réunion et à Mayotte ; 2 400 engagés dans le cadre d’opérations extérieures – 980 au titre de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire et 934 dans le cadre de l’opération Épervier au Tchad.

Nous veillons à adapter en permanence ce dispositif à la menace et aux nouveaux enjeux de défense et de sécurité. Dans l’esprit du Livre blanc, conforté par le discours que le Président de la République a prononcé au Cap, en février 2008, nous avons ainsi engagé une réorganisation en profondeur de nos forces de présence en Afrique. Elles s’articuleront dorénavant autour de deux bases opérationnelles avancées, au Gabon et à Djibouti, et d’un pôle opérationnel de coopération, au Sénégal, qui conservera des capacités d’accueil de forces en transit.

Le premier objectif de ce dispositif, c’est la prévention, qui est l’une des missions essentielles de nos forces de présence. Elles contribuent à la lutte contre le terrorisme qui sévit dans la bande sahélienne – j’y reviendrai. Elles mènent également de nombreuses actions de formation au profit d’unités africaines qui s’engagent dans des opérations de maintien de la paix. Notre ambition n’est pas seulement d’aider l’Afrique à bâtir son propre système de sécurité collective, mais aussi de soutenir les pays qui souhaitent faire respecter leur souveraineté, gage supplémentaire de sécurité pour nos ressortissants.

Notre deuxième objectif, c’est d’être prêts à intervenir en cas de menace sur la sécurité de nos compatriotes, à travers le dispositif militaire que je viens de rappeler ou à travers l’engagement de nos forces dans le cadre d’opérations sur le continent. Au cours des vingt dernières années, nos militaires ont ainsi été engagés dans vingt-cinq opérations d’évacuation et ils ont pu exfiltrer 33 500 personnes, dont la moitié d’Européens, dans des zones de crise ou de guerre. Je pense en particulier à l’opération qui a permis, en novembre 2004, d’évacuer, déjà de Côte d’Ivoire, 8 000 ressortissants français et étrangers, sans aucune perte humaine. Je pense aussi à ce qui s’est passé en février 2008 à N’Djamena envahie par les rebelles. J’ai récemment rencontré au Tchad la communauté française et les ressortissants occidentaux : ils n’ont pas oublié le courage et l’abnégation de nos soldats procédant sous le feu ennemi à l’évacuation de plus de 1 400 personnes vers le Gabon, sans qu’aucun blessé ne soit à déplorer.

Aujourd’hui, nous concentrons nos efforts et notre vigilance sur deux zones particulièrement sensibles.

La première, c’est naturellement la République de Côte d’Ivoire. Je ne reviens pas sur le contexte politique que vient d’évoquer Michèle Alliot-Marie. À l’heure où je vous parle, la situation est tendue et très volatile sur l’ensemble du territoire. Les affrontements interethniques s’étendent dans le grand Ouest, ce qui rappelle les événements de 2002. Ils ont d’ores et déjà provoqué la fuite de plus de 25 000 personnes vers le Libéria. Dans la capitale, les forces de sécurité fidèles à Laurent Gbagbo poursuivent une répression brutale contre les partisans du président Alassane Ouattara, répression qui se concentre plus particulièrement ces derniers jours dans les quartiers d’Abobo et d’Anyama. Je rappelle qu’au total, on déplore au moins 247 morts depuis le 28 novembre, ce qui constitue un bilan très lourd. Ces mêmes forces entravent au quotidien la liberté d’action de l’Organisation des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Contrairement aux déclarations de Laurent Gbagbo, les forces qui lui sont fidèles n’ont toujours pas levé le blocus du Golf Hôtel, où sont réfugiés le président élu et son gouvernement.

Dans ce contexte, au moment où je vous parle, la sécurité de nos ressortissants n’est pas menacée. Pour autant, les 980 soldats de la force Licorne engagée sous mandat de l’Organisation des Nations unies, qui sont regroupés dans Abidjan depuis juin 2009, se tiennent prêts à faire face à une soudaine dégradation de la situation. Par ailleurs, d’importants moyens des trois armées sont maintenus en alerte en métropole, mais aussi au sein de nos forces pré-positionnées en Afrique afin de venir en soutien de la force Licorne s’il fallait assurer la sécurisation et l’évacuation de nos 15 000 compatriotes et des ressortissants européens.

La deuxième zone qui fait l’objet de notre vigilance, c’est, bien sûr, le Sahel. Dans cette région, en collaboration avec d’autres partenaires occidentaux, notre ministère apporte un soutien résolu aux armées des États qui en font la demande – principalement la Mauritanie et le Niger – pour les conseiller et les accompagner dans la lutte contre Al Qaïda au Maghreb islamique.

Cet effort de longue haleine ne doit pas nous interdire des actions à court terme pour préciser aux autorités locales nos attentes en matière de sécurité de nos ressortissants. C’est dans cet esprit que je me suis rendu à Niamey à la suite de l’enlèvement de nos compatriotes, Vincent Delory et Antoine de Léocour, pour rencontrer les autorités nigériennes. Lors de ces entretiens, mes interlocuteurs se sont engagés à mettre en place une série de mesures concrètes pour renforcer la protection de nos compatriotes : rétablissement d’une présence policière devant l’ambassade, le lycée et le centre culturel ; réintroduction de quelques éléments de police visibles à l’hôtel Gaweye, où séjournent de nombreux expatriés ; patrouilles en centre ville ainsi qu’aux entrées et aux sorties de la ville – il s’agissait d’une demande de l’ambassade et de nos compatriotes, à laquelle les autorités nigériennes ont fait suite.

J’ai rencontré les Français réunis à l’ambassade à l’initiative de l’ambassadeur et je leur ai fait part d’un certain nombre de mesures et de recommandations. Le Quai d’Orsay a décidé de placer Bamako et l’ensemble du sud Niger en zone orange, ce qui signifie que les déplacements doivent être limités au strict nécessaire. Je les ai aussi vivement incités à faire en sorte que le dispositif d’îlotage qui est instauré dans tous les pays où nous avons des problèmes de sécurité soit aussi mobilisé que possible. J’ai lancé aux entreprises un appel – qui a été relayé par Mme la ministre des affaires étrangères – afin qu’elles se décident enfin à adopter des plans de sécurité efficaces – celui d’Areva n’est toujours pas validé. J’ai aussi lancé un appel aux organisateurs de voyages pour qu’ils cessent d’emmener des touristes dans ces régions. Nous avons en ce moment une inquiétude toute particulière quant aux festivals culturels qui se déroulent au nord Mali, qui attirent beaucoup de Français, à titre individuel ou en groupe, alors que le risque est au maximum.

À l’occasion de mes entretiens au Niger avec le Président de la République, le ministre de la défense et le ministre de l’intérieur, j’ai bien évidemment évoqué les événements dramatiques qui ont abouti à la mort d’Antoine de Léocour et de Vincent Delory.

Je ne reviens pas sur les circonstances de la prise d’otage, le 7 janvier dans un restaurant du centre de Niamey : elles sont maintenant à peu près établies, une incertitude persistant sur la raison pour laquelle ces deux Français-là ont été ciblés par les ravisseurs : il semble, si l’on en croit l’enquête du procureur français et des autorités nigériennes, que ce soit l’effet du hasard.

Dès que cet enlèvement a été opéré, des forces nigériennes se sont mobilisées pour poursuivre et arrêter les ravisseurs et elles nous ont demandé notre soutien. Il a fallu, dans la nuit du 7 au 8 janvier, que le Président de la République prenne une décision et réponde à cette demande. Il s’est étroitement concerté avec le Premier ministre et avec moi-même. Les options étaient claires : non ou oui ! Dire non aux Nigériens aurait signifié prendre le risque très élevé de laisser les ravisseurs emmener les otages dans un refuge de la zone sahélienne, avec les conséquences que l’on connaît – n’oublions pas les cinq otages qui y sont déjà. Dire non, c’était aussi envoyer un signal de non intervention avec le risque de contagion et de multiplication de ce genre d’enlèvements dans une zone particulièrement sensible. Donc, le Président de la République a décidé de dire oui. Oui, à une intervention des forces françaises pour aider les forces nigériennes à stopper les ravisseurs.

Tout au long de la nuit, les forces nigériennes ont poursuivi la traque des ravisseurs. Un certain nombre d’affrontements ont eu lieu entre des forces de la gendarmerie nigérienne et les ravisseurs, en particulier au matin du 8 décembre, au-delà de la frontière avec le Mali, mais avec l’autorisation des autorités maliennes d’exercer un droit de suite.

Cet événement ne nous a pas été connu d’emblée – j’insiste sur ce point. Dans de tels cas, l’information se constitue petit à petit. En particulier, le traitement des images prises par les avions qui ont suivi ces événements a pris du temps. Depuis, en regardant ces images, nous avons constaté que cet affrontement avait effectivement eu lieu. Le doute a plané pendant un certain temps sur la réalité de cet affrontement. Je crois qu’il n’y a aujourd’hui plus de doute : les ravisseurs ont bien ouvert le feu sur le véhicule de la gendarmerie nigérienne ; l’affrontement a été violent : un certain nombre de gendarmes ont été tués, les autres ont été emmenés dans le véhicule de la gendarmerie. Ainsi, on voit à ce moment se constituer un convoi de trois véhicules : l’un blanc tôlé qui est celui dans lequel les otages sont montés à Niamey, puis le véhicule bleu de la gendarmerie, enfin, un véhicule beige — cela apparaît clairement sur les images.

Le convoi a poursuivi son chemin et, à 5 ou 6 kilomètres de l’affrontement que je viens d’évoquer, a eu lieu l’accrochage avec les forces françaises composées de trois hélicoptères de manœuvre Cougar embarquant des unités d’intervention à terre. Les ravisseurs ont immédiatement ouvert le feu sur les hélicoptères. Deux ont été atteints ; à l’intérieur, l’un de nos sous-officiers a été blessé. Nous avons néanmoins pu débarquer deux unités d’intervention, soit plus d’une vingtaine d’hommes, et des combats d’une grande intensité ont alors eu lieu entre les ravisseurs et nos propres troupes.

Au terme de ces combats, qu’avons-nous constaté au sol ? On y a découvert le corps de nos deux otages, ainsi que trois ravisseurs tués et trois blessés dont l’un est décédé, Au total, ce sont donc quatre tués et deux blessés que nous avons remis aux autorités nigériennes, qui ont établi leur identité : soit deux membres d’AQMI et deux gendarmes tués, et deux gendarmes blessés. Il a été assez difficile à nos troupes sur le terrain de les identifier en tant que tels : certains portaient des parties d’uniforme bleu, mais recouvertes par des treillis qui constituent, semble-t-il, les uniformes d’intervention des forces de la gendarmerie nigérienne en opération.

Quant aux corps de nos deux otages, l’un a été retrouvé à 300 mètres des véhicules, les mains entravées, étant tombé sur le côté après avoir été vraisemblablement agenouillé et, comme l’a indiqué le procureur, avec une balle tirée à bout touchant dans le crâne. Il a donc été, sans aucune hésitation possible, exécuté par les ravisseurs, pendant le déroulement des combats, à un moment qu’il est difficile de préciser.

Quant à l’autre otage, son corps a été retrouvé à la portière du véhicule blanc, en partie brûlé. L’enquête judiciaire a établi qu’il a reçu cinq impacts de balle dans le corps. Les balles ont été identifiées, elles proviennent de kalachnikov. Il est probable qu’une rafale de cette arme – que n’utilise pas, je le précise, l’armée française – est responsable de la mort, encore que le procureur estime que les balles ne sont peut-être pas à l’origine des blessures létales. Il faut donc que l’enquête se poursuive sur ce point.

Voilà ce qui s’est passé. Dès le départ nous avons, le Président de la République, le Premier ministre, le gouvernement et moi-même, décidé de mettre tout sur la table, dans une volonté de vérité et de transparence. Je répète simplement que le déroulement exact des faits est connu au fur et à mesure du déroulement des enquêtes, du rassemblement des informations provenant de nos propres troupes et de nos propres avions, et de l’enquête menée par les justices nigérienne et française.

Je ne serai pas plus long sur ce drame épouvantable. Je veux simplement rendre hommage à nos soldats qui sont intervenus dans des conditions extrêmement difficiles, sous le feu d’adversaires prêts à tout, pour qui la vie humaine n’existe pas en tant que valeur – seule la mort compte !

Je veux dire enfin que je comprends parfaitement l’indignation, la révolte des familles et des amis des deux otages. J’ai la conviction que, dans cette situation extrêmement difficile, la responsabilité du politique est de prendre des décisions. C’est ce que j’ai fait et j’ai le sentiment d’avoir, en ces circonstances, fait tout simplement mon devoir, même si cela est extraordinairement difficile à expliquer à des familles qui sont dans la peine.

M. le président Axel Poniatowski. Nous avons, monsieur le ministre, perçu votre émotion.

Nous commençons par les questions relatives à la situation en Côte d’Ivoire.

Mme Françoise Hostalier. Je veux tout d’abord remercier le ministre de la défense pour toutes les explications qu’il nous a données. Extrêmement ému, le département du Nord est sensible au soutien du gouvernement et il remercie nos forces armées qui ont tout fait pour sauver nos deux jeunes ressortissants.

J’en viens à la Côte d’Ivoire. À l’évidence, l’état de droit n’y règne pas actuellement. Au vu de ce qui se produit au Niger et au Mali, y a-t-il, notamment dans le nord, un risque de déstabilisation par des forces proches d’Al Qaida ou d’AQMI ?

Par ailleurs, notre force Licorne ne risque-t-elle pas d’être mise en difficulté si elle subissait des attaques comme celles dont l’ONUCI est actuellement l’objet de la part de forces dont on ignore si elles appartiennent à l’armée ou à des rebelles ?

Mme Martine Aurillac. Il faut bien évidemment tout faire pour éviter la partition de la Côte d’Ivoire et pour favoriser la réconciliation.

Après les élections, il semble que ce soit en grande partie grâce à une efficace propagande par voie de radio et de télévision que Laurent Gbagbo ait réussi à maintenir son influence. N’aurait-il pas fallu, sans attendre les 247 morts qui ont été évoqués, monter – sous autorité internationale et non à l’initiative de la France – une opération afin de couper ces transmissions ?

M. Jean-Marc Roubaud. De même que l’attitude de l’Iran dans le domaine du nucléaire, les manquements aux fondements mêmes de la démocratie que l’on observe aujourd’hui en Côte d’Ivoire posent, de manière plus générale, le problème du respect des règles fixées par les organisations internationales et de l’efficacité des sanctions. Depuis le 1er janvier, la France préside le G8. Ne devrions-nous pas saisir cette occasion d’asseoir l’autorité de la gouvernance mondiale ?

M. Jacques Myard. En la matière, les décisions incombent au Conseil de sécurité, qui s’est déjà prononcé, mais dont je m’étonne qu’il ne soit pas saisi à nouveau de la situation en Côte d’Ivoire. Seules de nouvelles décisions de sa part pourraient permettre d’acculer Laurent Gbagbo au départ.

M. Jacques Remiller. S’agissant de la sécurité des nombreux Français qui vivent en Côte d’Ivoire, vous nous avez dit en particulier, madame la ministre, que vous aviez donné l’instruction de rouvrir le lycée français. Mais si la diplomatie ne l’emporte pas pour contraindre au départ le président sortant non réélu et si l’on s’achemine vers l’option militaire, quelles mesures la France prendra-t-elle pour assurer la sécurité totale de nos compatriotes ? Cette question est d’autant plus préoccupante que les forces de l’ONUCI sont attaquées et ne peuvent même plus quitter leurs casernes.

Mme la ministre d’État. Il n’y a pas, madame Hostalier, de risque de déstabilisation de la part d’AQMI, même dans le nord de la Côte d’Ivoire. Le risque tient plutôt à une éventuelle partition du pays.

Mme Aurillac s’est demandé s’il aurait été possible de couper Laurent Gbagbo des médias qu’il utilise pour conforter sa position et pour refuser de reconnaître l’élection d’Alassane Ouattara. Nous sommes intervenus en ce sens auprès des diffuseurs satellite, afin de limiter l’effet de propagande de la Radio télévision Ivoirienne (RTI) en dehors d’Abidjan. Mais une telle action est beaucoup plus difficile dans la capitale car les vecteurs de diffusion ne sont pas les mêmes. La communauté internationale s’est donc efforcée de donner au président Ouattara la possibilité de s’exprimer lui-même dans les médias et il dispose ainsi désormais d’une radio.

Monsieur Roubaud, les sanctions sont efficaces, on le voit même en Iran. Mais cela demande du temps, et l’on peut donc ressentir une certaine frustration. Qui plus est, pour qu’elles jouent pleinement leur rôle, les sanctions doivent non seulement être graduées, afin de faire monter la pression, mais aussi viser les personnes effectivement concernées et non l’ensemble de la population. J’ajoute que les sanctions ont d’ores et déjà été renforcées.

Monsieur Myard, le Conseil de sécurité a été saisi à plusieurs reprises et il a réaffirmé sa position la semaine dernière. Un vote doit intervenir demain dans l’objectif d’engager 2 000 hommes de plus au sein de l’ONUCI, afin de conforter cette force face aux attaques dont elle est l’objet. C’est aussi dans le cadre du Conseil de sécurité que nous travaillons avec nos partenaires aux sanctions qui pourraient être mises en œuvre à l’échelle mondiale de façon à ce que M. Gbagbo et son entourage se rendent compte qu’ils n’y échapperont pas.

S’agissant des mesures que nous prendrons pour protéger les Français si la diplomatie ne l’emporte pas, je laisserai Alain Juppé répondre plus précisément à Jacques Remiller en ce qui concerne la protection militaire. Nous avons déjà renforcé le contact permanent avec nos concitoyens, auxquels des consignes de sécurité ont été données. Des secteurs et des liaisons de secteur ont été institués à Abidjan. Bien évidemment, nous sommes en état de procéder, en cas de besoin, à l’évacuation non seulement de nos ressortissants mais aussi de ceux d’autres États qui nous ont demandé notre aide éventuelle en la matière.

M. le ministre d’État. La force Licorne n’interviendra pas militairement pour installer le président élu au pouvoir. Ce serait un non-sens, pour lui comme pour nous. Si des événements dramatiques devaient se produire, il appartiendrait au Secrétaire général des Nations unies de prendre position et de demander, le cas échéant, l’intervention d’une telle force de soutien : nous ne ferons rien en la matière sans une décision préalable des Nations unies. Mais si la sécurité de nos ressortissants était mise en cause, nous mobiliserions évidemment la force Licorne pour les protéger.

Madame Aurillac, nous avons essayé d’aider le président Ouattara à se doter de moyens de communication, mais avec, jusqu’à présent, des résultats limités.

Je partage tout à fait le sentiment de M. Roubaud sur la nécessité de renforcer la gouvernance mondiale.

M. Jacques Myard. Vaste programme !

M. le ministre d’État. Vaste programme en effet, mais dont il ne faut pas abandonner l’objectif : vous savez que c’est une des lignes de force de la diplomatie française.

En ce qui concerne la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies, monsieur Myard, une résolution est en cours de préparation tendant à renforcer encore l’ONUCI. Je vous rappelle que cette force rassemble actuellement 4 000 soldats dans la zone d’Abidjan sur les 10 000 que compte la force : le Secrétaire général des Nations unies en demande 2 000 supplémentaires ainsi que l’installation d’un hôpital de campagne et la présence d’une unité d’hélicoptères. Je rappelle également que le Conseil de sécurité statue dans ce genre de cas à l’unanimité et que, en l’occurrence, celle-ci est fragile. Toutefois, le problème n’est pas tant de renforcer l’ONUCI que de faire en sorte qu’elle joue pleinement son rôle.

Monsieur Remiller, si la situation devait dégénérer, la force Licorne, je le répète, interviendrait pour assurer la sécurité de nos compatriotes : nous avons la capacité en trente-six heures de renforcer substantiellement le dispositif actuel ; un plan d’intervention est d’ailleurs prévu pour nous permettre d’évacuer nos ressortissants, comme nous l’avons fait dans le passé.

M. le président Guy Teissier. Nous en venons maintenant aux questions relatives aux otages et au Sahel.

M. Jean-Michel Boucheron. Concernant le drame qui s’est produit au nord du Niger, il faut analyser l’opération militaire sous deux aspects distincts.

S’agissant, d’une part, de l’interception et de l’envoi de moyens sur place, le dispositif prévu était le bon ; en tout cas il a été efficace. Pour ce qui est de la décision de l’interception proprement dite, à mon avis, le choix était restreint, un refus n’étant pas imaginable.

En ce qui concerne, d’autre part, l’intervention, elle a été évidemment un échec, puisque les deux jeunes otages sont morts : nous avons tous été émus hier par les images de leurs funérailles retransmises à la télévision. La réussite de ce type d’intervention tient pour deux tiers au professionnalisme et pour un tiers à la chance. Cela étant, cette opération est aussi un échec pour AQMI, dans la mesure où le but de cette organisation est d’avoir vingt, trente ou quarante Français retenus en otages pour faire pression sur notre pays et la politique qu’il conduit.

Au-delà des interventions militaires, se pose la question des rançons. Nos amis espagnols ont quelque peu fauté dans ce domaine, en donnant beaucoup trop et trop vite, et un commerce de la prise d’otages est en train de se créer. Récemment, des responsables américains ont fait part de la volonté des États-Unis d’être beaucoup plus fermes à l’avenir à l’égard des prises d’otages, que ce soit en matière de rançons ou d’interventions militaires. Sachant qu’on ne peut avoir de politique efficace en matière d’enlèvements que si un grand nombre de pays concernés se mettent d’accord sur la manière de répondre à de tels actes, des discussions internationales ont-elles eu lieu sur ce sujet ? Cela est-il d’ailleurs possible ? Si de telles discussions existent, pourront-elles un jour être révélées publiquement ? Sinon, les prises d’otages se multiplieront.

M. Christophe Guilloteau. Je ne suis pas sûr que le mot échec soit le bon pour qualifier ce qui s’est passé : il était normal et impérieux que la France intervienne.

S’agissant du droit de suite, a-t-il bien été donné par le pays où l’intervention a eu lieu ? D’où sont venues les troupes françaises d’intervention et quelle était leur composition ?

M. Michel Vauzelle. Vous avez dit, monsieur le ministre, que la France devait avoir une vision globale, mondiale ou régionale. Si, dans la zone sud du Sahel, l’armée française est présente et peut intervenir le cas échéant pour protéger nos ressortissants, ce n’est pas le cas dans la zone nord, partagée entre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Il n’y a donc pas de solution de continuité entre la première et la seconde.

Or nous avons vu ce qui s’est passé en Tunisie, comme nous avons vu comment ont été reçues les propositions d’aide et de conseil adressées par notre ministre des affaires étrangères à la police tunisienne et à la police algérienne. Compte tenu de la situation sociale explosive de ces pays, de la révolte de leur jeunesse, du danger de l’islamisme, du fait que les membres de certaines familles habitent à Alger ou à Tunis tandis que d’autres vivent à Marseille ou dans sa région, ne faut-il pas s’interroger sur l’avenir de l’Union pour la Méditerranée – laquelle a sombré dans des difficultés liées essentiellement au problème palestinien ?

Ne devons-nous pas réfléchir aux moyens de prévenir une évolution qui pourrait être gravissime, le Sahel étant au centre de l’Afrique mais aussi au cœur des problèmes auxquels sont confrontés aujourd’hui, comme ils le seront demain, les pays du Maghreb – et donc la France, en raison de la communauté de destin méditerranéen que nous partageons avec eux ?

M. François Loncle. Je rappelle que M. Pierre Camatte a été libéré à la suite d’une remise de rançon et d’une libération de terroristes. L’Espagne n’est donc pas le seul pays à employer ces moyens.

Je partage l’avis de M. Boucheron sur la nécessité d’une coordination internationale. J’avais d’ailleurs posé cette question au Premier ministre lorsque Michel Germaneau a été assassiné. Existe-t-il, oui ou non, une véritable coordination entre les pays concernés d’Afrique, la France et les États-Unis – qui sont présents sur place mais dont on m’a dit que leur coopération n’était pas évidente ?

Monsieur le ministre, arguant que vous aviez eu les informations au fur et à mesure de l’enquête, vous avez de la sorte donné une explication au fait que, lors de notre réunion de lundi soir à Matignon avec les présidents Teissier et Poniatowski, l’amiral Guillaud, chef d’état-major des armées, n’a pas fait sur l’intervention de nos forces au Niger le même récit que le vôtre. Je ne prétendrai pas que les propos de ce dernier étaient mensongers, mais ils étaient pour le moins erronés ou incomplets.

Mme Chantal Bourragué. Monsieur le ministre, les événements au Sahel et en Tunisie ont un peu occulté votre escale au Tchad, à N’Djaména. Quelle est la situation de ce pays, situé au cœur d’une Afrique très instable, qui, récemment encore, nous demandait d’alléger notre présence sur place ? Quelle est sa position ?

Par ailleurs, comment évoluent les nombreux camps de réfugiés qui s’y trouvent ?

M. Jean-Claude Guibal. Ma question reprend sous une autre forme celle posée par M. Vauzelle et concerne les éventuels liens entre les interventions d’AQMI dans le Sahel et les mouvements sociaux qui se produisent sur la rive sud de la Méditerranée, en Tunisie, en Algérie, voire en Egypte. Compte tenu de l’origine et des objectifs d’AQMI au Sahel, existe-t-il un risque que ces deux phénomènes s’entretiennent, se renforcent et déstabilisent la région ?

M. Henri Plagnol. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre présentation, à la fois très précise, complète et claire. Il convient de saluer ce choix de la transparence, qui fait parfois défaut.

La France a fait, dans un climat d’union nationale, le choix de la fermeté face aux prises d’otages odieuses d’AQMI, qui a d’ailleurs érigé notre pays comme son ennemi principal. Ce choix est lourd de conséquences pour nos armées, qui vont devoir agir dans une zone immense. Il comporte un risque – c’est d’ailleurs le piège que nous tend AQMI – qui est, au fur et à mesure que nous allons monter en puissance, de nous aliéner des populations amies en attisant un ressentiment contre l’ancienne puissance coloniale. Au reste, ce risque est assorti d’un autre : celui d’affrontements à l’intérieur même de ces pays associés à un appauvrissement de ceux-ci.

Ainsi que vous l’avez souligné, une des réponses à apporter passe par une aide aux armées nationales du Niger, du Mali et de la Mauritanie, lesquelles sont peu expérimentées, possèdent des équipements très limités et disposent de budgets dérisoires. Que peut-on faire pour les accompagner dans leur évolution ? L’Union européenne peut-elle jouer un rôle plus important dans le cadre des aides budgétaires et de l’aide publique au développement ? À défaut, nous risquerions de couper progressivement la France du soutien des populations locales, ce qui constituerait un véritable danger.

M. le ministre d’État. Je vous remercie, monsieur Boucheron, pour votre analyse, qui me paraît exacte. De fait, si l’interception a bien fonctionné, l’intervention n’a pas été une réussite – on peut même dire que c’est un échec puisque nous n’avons pas récupéré nos otages vivants. Pour ce qui est de la question des rançons, je partage votre avis, mais je ne sais pas si des discussions internationales ont lieu sur ce sujet.

Monsieur Guilloteau, nous avons bien obtenu le droit de suite des autorités maliennes. Le deuxième incident que j’ai évoqué, c’est-à-dire la prise d’otages des gendarmes nigériens par les ravisseurs, s’est produit au-delà de la frontière malienne et notre dispositif est intervenu au Mali. Quant aux forces spéciales d’intervention, elles provenaient d’une zone comprise dans un rayon de 500 kilomètres – je ne peux vous en dire davantage.

Monsieur Vauzelle, j’approuve totalement la relance de l’Union pour la Méditerranée que vous appelez de vos vœux. Mais que l’entreprise est difficile !

S’agissant de la coordination avec les pays du Sahel et les États-Unis, je peux dire que nous sommes en contact avec nos alliés. Cela étant, la France ne va pas à elle seule sécuriser le Sahel, même si elle y contribue par ses actions de formation ou de soutien aux armées nationales. Il revient aux pays de la région – Mauritanie, Niger, Mali, mais aussi Algérie – de se coordonner et d’assumer cette responsabilité, mais cela est très difficile à obtenir.

Monsieur Loncle, le récit de l’amiral Guillaud différait du mien pour une raison très simple et que j’ai évoquée précédemment : au début, toutes les informations n’étaient pas disponibles, nous les avons accumulées au fil du temps. Il a fallu, par exemple, interpréter les films tournés depuis nos avions – notamment de l’Atlantique 2, positionné à Niamey –, ce qui n’est pas facile car ces films demandent un retraitement qui exige du temps, compte tenu de la distance à laquelle ils ont été pris et de l’angle de prise de vue. Par ailleurs, lundi, nous n’avions pas encore connaissance dans le détail du deuxième affrontement qui s’est produit à cinq kilomètres de l’accrochage final. Il n’y a donc pas eu dissimulation mais constitution progressive d’informations.

Pour ce qui est du Tchad, j’étais à N’Djaména pour les cérémonies du cinquantième anniversaire de l’indépendance de ce pays, et j’y ai rencontré le chef de l’État, M. Idriss Déby. La situation est plutôt stabilisée par rapport à ce qu’elle était il y a deux ou trois ans, en raison non seulement de la signature d’un accord de réconciliation interne mais aussi de la réconciliation opérée avec le Soudan. Toutefois, des interrogations demeurent. Ainsi, le président Déby m’a fait part, entre autres, de ses inquiétudes quant aux conséquences que peuvent avoir les résultats du référendum au sud du Soudan – la partition éventuelle du pays peut avoir des conséquences en chaîne, notamment sur le Darfour. La zone est donc loin d’être complètement stabilisée.

Le dispositif Épervier va évoluer, nous allons en discuter avec les autorités tchadiennes. Nous souhaitons aller vers la mise en place d’une politique de coopération et de développement bilatéral avec le Tchad.

Monsieur Guibal, le risque de contagion entre AQMI et les mouvements sociaux au Maghreb existe. Nous souhaitons tous que le processus en cours en Tunisie débouche sur une solution démocratique. Mais quelle forme prendra l’alternance ? Le moins que l’on puisse dire est que la question reste posée.

Quant à l’Union européenne, elle apporte son aide au volet politique de la coopération entre les pays de la région, notamment en favorisant leur développement.

Mme la ministre d’État. Monsieur Boucheron, il existe en effet un véritable commerce de la prise d’otages dans nombre de pays, lequel recouvre des aspects très divers – piraterie, interventions sur les plateformes pétrolières au large de la Guinée ou enlèvements au Sahel. Certaines prises d’otages sont purement crapuleuses, d’autres sont politiques – c’est le cas pour celles opérées par AQMI – avec des liens possibles entre les deux : il arrive que les premières se poursuivent par une « vente » à des mouvements politiques. Il s’agit donc d’un phénomène complexe.

Notre préoccupation est toujours de préserver la vie de nos otages. Certes, nous avons des discussions avec les pays concernés, mais cela ne veut pas dire qu’il soit aisé de parvenir à définir des principes communs. D’abord, parce que les situations ne sont pas toujours les mêmes – il faut en tenir compte : il ne peut donc y avoir de principe unique. Ensuite, parce que tous les pays n’ont pas forcément la même vision de ce qu’il convient de faire.

Il est vrai, monsieur Vauzelle, que le conflit israélo-palestinien bloque le développement de l’Union pour la Méditerranée dans tous ses aspects. Pour autant, il est important que, sur des sujets très concrets et moins politiques, nous cherchions à avancer, que ce soit en matière de sécurité civile, en matière culturelle ou encore de terrorisme, domaines dans lesquels il existe déjà des coopérations dans le cadre du groupe des cinq pays des rives nord et sud de la Méditerranée (« 5 + 5 »). Lorsqu’elle fonctionnera vraiment, l’Union pour la Méditerranée constituera un immense atout.

Madame Bourragué, il reste des camps de réfugiés au Tchad, notamment à la suite de ce qui s’est passé au Darfour. Les résultats du référendum au sud du Soudan doivent permettre certaines avancées, y compris des perspectives de retour pour les personnes qui se trouvent dans ces camps. Toutefois, les conditions de vie dans les camps étant parfois plus favorables que celles que les réfugiés pourraient avoir en retournant sur leurs terres, cela risque de créer des difficultés. Sur ce point également, une coopération internationale est nécessaire.

En ce qui concerne les liens entre AQMI et les mouvements sociaux liés à des injustices sociales ou des frustrations, monsieur Guibal, on constate, selon les pays, des tentatives de récupération par les islamistes, voire par AQMI. Là aussi, la communauté internationale doit intervenir. Au-delà de l’action militaire et de sécurité, il est nécessaire de prendre en compte ce qui peut nourrir le ressentiment à l’égard des régimes en place ou des principes constitutionnels ; il faut y être extrêmement attentif.

M. Étienne Pinte. Il y a un an, à la même époque, un membre de ma famille était un otage : il avait été enlevé en novembre 2009 avec un de ses collègues, tous deux membres d’une organisation non gouvernementale opérant en Centrafrique. Ils ont été libérés en mars 2010 grâce à l’action efficace du Président de la République, de son chef d’état-major de l’époque, l’amiral Guillaud, et des services du ministère des affaires étrangères. La stratégie d’alors se résumait en trois mots : silence, discrétion et négociation. D’où ma question : le Gouvernement a-t-il changé de stratégie en intervenant militairement au Niger ?

Mme Élisabeth Guigou. Face au terrorisme, l’unité nationale est nécessaire : je suis heureuse qu’elle ait eu lieu en l’espèce et je vous remercie, monsieur le ministre, des informations précises que vous nous avez données.

Au-delà des opérations militaires, qui ont leur utilité mais aussi leurs limites – vous en avez évoqué certaines –, que prévoyons-nous pour lutter efficacement contre l’intensification et le risque d’extension de ces opérations d’enlèvement d’otages, opérées notamment sous la houlette d’AQMI, peut-être actionnée par Al-Qaida ? À cet égard, la question du développement est majeure.

De même, se pose celle de la lutte idéologique : beaucoup de spécialistes de cette région constatent que sur les médias arabes, notamment Al Jazeera, se déverse beaucoup de propagande, laquelle n’est pas suffisamment contrée. Quelle action la France et l’Union européenne – qui ne peut être indifférente – prévoient-elles en la matière ?

M. Jean-Jacques Candelier. Je souhaite d’abord avoir une pensée pour toutes les familles victimes de prises d’otages, alors qu’hier le Nord et la France ont procédé aux funérailles des deux jeunes de Linselles.

S’agissant de l’Afrique, je pense que nous payons notre complaisance, plus ou moins forte, envers certaines dictatures, et ce depuis plusieurs décennies.

Quant à l’Afghanistan, où nous comptons déjà 53 tués, les Talibans ne perdent pas de terrain – ils en gagneraient même. Nous devons nous en retirer au plus vite. Je le répète, ce n’est pas notre guerre, c’est celle des États-Unis. Notre présence dans ce pays depuis 2001 ne nous est pas bénéfique. Les attentats du 11 septembre aux États-Unis ne sont pas le fait du hasard.

M. Jacques Myard. Il faut ouvrir les yeux : la situation au Sahel n’est pas une divine surprise, car on assiste depuis des décennies à l’accroissement de cet affrontement ethno-religieux, qui est en train d’atteindre son paroxysme et va créer beaucoup de problèmes dans cette zone. Dès lors, la question se pose de savoir si le Livre blanc n’est pas dépassé, dans la mesure où il définit l’arc du terrorisme comme allant de l’Atlantique à l’Afghanistan. La priorité des priorités pour nos intérêts nationaux, pour notre sécurité, pour celle de nos compatriotes, c’est d’aider les pays du Sahel, d’aider l’Afrique. Au lieu de nous désengager de ce continent, comme nous l’avons fait au cours des dernières années, il nous faudrait y retourner, au nom de la stabilité de cette zone.

M. Alain Rousset. De même que nous avons en France des forces de la gendarmerie ou de la police dédiées aux prises d’otages et à certaines interventions spécifiques, ne faudrait-il pas, compte tenu des risques particuliers touchant cette partie de l’Afrique, former des forces spéciales pour qu’elles puissent y intervenir ?

Le ministre de la défense a exprimé sa crainte au sujet de certaines manifestations sur place auxquelles participent des collectivités françaises en lien avec des collectivités maliennes, nigériennes ou autres. Dès lors, ne faudrait-il pas prédisposer des systèmes de surveillance, notamment des drones – je m’étonne par exemple que nous ne n’ayons pas de dispositif de suivi de voitures plus précis –, et former, je le répète, des troupes spécifiques capables de procéder à des interceptions ?

Compte tenu de la description faite par le ministre de la défense du déroulement des opérations, et notamment du déséquilibre entre les forces en présence, je suis surpris du résultat obtenu.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Personne ne peut douter de la nécessité de ne pas céder, à la condition d’avoir à terme les moyens de lutter contre le développement d’AQMI dans cette zone du Sahel.

Lors de la publication du Livre blanc, nous avons été plusieurs à regretter le désengagement de l’Afrique au profit d’une stratégie de suivisme des États-Unis en Afghanistan. On s’aperçoit aujourd’hui que si nous voulons que notre politique soit cohérente, nous devons être présents en Afrique.

Le ministre de la défense a évoqué la coordination des différents États du Sahel, en reconnaissant l’extrême difficulté de ces pays à la mener à bien et à en avoir les moyens. Dans ces conditions, si nous voulons anticiper les prises d’otages – et non seulement y répondre –, comment devons-nous redéployer nos troupes ? Pouvons-nous avoir tant de soldats en Afghanistan et laisser partiellement démunies nos unités en Afrique ? Quelle politique la France entend-elle mener pour prévenir les événements qui ne manqueront pas de se produire encore au Sahel ?

M. Jacques Remiller. D’autres Français sont retenus par leurs ravisseurs au Sahel : cette prise d’otages, qui s’est mal terminée, ne va-t-elle pas compliquer leur libération ?

Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez indiqué que deux ravisseurs auraient été remis aux autorités nigériennes. Étant donné qu’un assassinat a été commis, au moins sur l’un de nos compatriotes, ces deux ravisseurs supposés n’auraient-ils pas pu être retenus par notre pays pour permettre à la justice française de faire son travail et obtenir des informations nécessaires à la libération des autres otages français ?

M. le ministre d’État. Monsieur Pinte, selon moi il n’y a pas de changement de stratégie : elle est de tout faire pour obtenir la libération des otages. Évidemment, la réaction est fonction du contexte : la prise de nos cinq otages à Arlit ne s’est pas du tout effectuée dans les mêmes conditions que l’enlèvement de nos compatriotes à Niamey. Nous avons, dans ce dernier cas, répondu à une demande nigérienne avec pour objectif clair et partagé d’arrêter la progression des ravisseurs. Je ne pense donc pas que l’on puisse parler de changement de stratégie : il ne s’agit pas de généraliser ce qui s’est passé au Niger dans tous les cas de figure.

S’agissant de la lutte contre le risque d’extension, vous avez raison, madame Guigou, de mettre l’accent sur la nécessité d’amplifier nos politiques de développement.

Je partage également votre avis sur la lutte idéologique. Un tel sujet est d’ailleurs une des composantes de l’Union pour la Méditerranée, au travers notamment de la coopération universitaire, de la coopération culturelle ou encore de la formation de part et d’autre de cette mer. Ce point est extrêmement important : pouvons-nous soutenir et développer toutes les forces de l’islam qui partagent notre conception sur certaines valeurs, telles que la laïcité ou la primauté accordée au politique sur le religieux ? C’est une tâche difficile mais nous avons des partenaires prêts à entendre ce discours : il nous faut donc travailler avec eux.

À M. Candelier qui a parlé de notre prétendue complaisance à l’égard de certaines dictatures d’Afrique, je répondrai que j’en ai un peu assez d’entendre en permanence faire uniquement le procès de la France. Je n’ai pas le sentiment que les autres pays européens ou occidentaux ou l’Amérique aient eu par exemple sur la Tunisie un regard très différent du nôtre.

Quant à l’Afghanistan, je pense – et je l’ai expliqué à nos soldats lorsque je suis allé les voir – que c’est d’une certaine façon notre guerre. Supposons que nous laissions s’installer à Kaboul un régime islamiste : imaginez–vous les réactions en chaîne que cela pourrait provoquer, du Pakistan jusqu’au Proche-Orient ? C’est donc un risque majeur que nos prenons là-bas. Par ailleurs, au-delà même de nos intérêts, nous défendons certaines valeurs, ne serait-ce qu’une certaine conception de la personne humaine et du sort réservé aux femmes.

S’agissant de la révision éventuelle du Livre blanc, un rendez-vous est pris à ce sujet l’an prochain. Toutefois, il est un point sur lequel il ne faut pas le modifier : c’est celui qui concerne le renseignement et l’importance qui lui est accordée. Je vois, en Afghanistan comme au Sahel, combien la surveillance d’ensemble d’une zone et le renseignement opérationnel au moment du déroulement d’une intervention sont précieux. À ce sujet, il faut en effet, monsieur Rousset, que nous avancions sur la question des drones. Cela dit, le secteur sur lequel nous avons à intervenir – le Sahel – est grand comme l’Europe, ce qui ne facilite pas les choses.

Pour ce qui est de la priorité à donner à l’Afrique, je rappelle à M. Dupont-Aignan et à M. Myard que nous avons sur place près de 10 000 hommes. La reconfiguration de nos forces répond bien aux besoins actuels, mais ce point pourra être débattu lors de l’éventuelle révision du Livre blanc.

En ce qui concerne la nécessité que vous évoquiez, monsieur Rousset, de renforcer nos capacités opérationnelles, je rappelle que ce sont nos forces spéciales qui sont intervenues.

Enfin, monsieur Remiller, nous n’avons aucune raison de penser que la situation de nos cinq autres otages au Sahel est aujourd’hui plus dangereuse. Par ailleurs, nous poursuivons par différents moyens les discussions pour obtenir la libération des deux journalistes français retenus en Afghanistan.

S’agissant de la remise des ravisseurs aux autorités nigériennes, j’ai déjà indiqué qu’il nous a été difficile de déterminer l’identité des morts et des blessés récupérés sur le terrain : certains portaient des éléments d’uniforme bleu assimilables à des uniformes de gendarmes ; d’autres des treillis. Indépendamment de nos deux otages, nous avons remis aux autorités nigériennes quatre morts et deux blessés – qui se sont révélés être, au terme des investigations menées par la justice nigérienne, deux gendarmes nigériens.

Mme la ministre d’État. Je voudrais dire à Mme Guigou que je partage et apprécie son analyse de la situation et de ce qu’il convient de faire.

S’agissant de la lutte idéologique, notre action passe par notre présence sur place, y compris médiatique. France 24 et TV 5 jouent à cet égard un rôle, mais ce n’est pas suffisant. C’est la raison pour laquelle, dans mes discussions avec les chefs d’État et de gouvernement des pays musulmans modérés, j’insiste pour que, eux aussi, par le biais de tous les médias – c’est-à-dire non seulement les médias nationaux mais aussi Internet, qui est très consulté –, donnent des explications et fassent référence à certaines valeurs. Cela est d’autant plus souhaitable que des réticences peuvent parfois se manifester.

Monsieur Candelier, je ne pense pas que l’on puisse parler aujourd’hui de recul en Afghanistan. Pour m’y être rendue très souvent, j’ai constaté des progrès. Ainsi, le passage au gouvernement afghan des responsabilités du fonctionnement de l’État se poursuit, une province entière devant être remise entre ses mains cet été.

On constate en effet, monsieur Myard, un développement d’AQMI depuis quelques années, surtout au cours des toutes dernières – le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) a pris une ampleur considérable depuis environ quatre ans. Ce phénomène est d’ailleurs renforcé par l’apparition de circuits de trafic de drogue, qui sont à la fois une source financière et de corruption, et, par conséquent, de déstabilisation des États. C’est la raison pour laquelle nous avons, dans le cadre de l’Union européenne notamment, non seulement mis en place des systèmes de surveillance de ces circuits mais aussi apporter des soutiens à certains gouvernements pour les aider à les détecter et à intervenir. Cela demande de mener une action globale qui va au-delà de l’intervention et de la coopération militaires, et c’est ce que nous essayons de faire.

La séance est levée à treize heures quinze.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, M. Patrick Beaudouin, M. Jean-Louis Bernard, M. Dominique Caillaud, M. Jean-Jacques Candelier, M. Bernard Cazeneuve, M. Gérard Charasse, M. François Cornut-Gentille, M. Jean-Pierre Dupont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Laurent Fabius, M. Yves Fromion, M. Franck Gilard, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, Mme Françoise Hostalier, M. Marc Joulaud, Mme Marguerite Lamour, M. Jack Lang, Mme Marylise Lebranchu, M. Gilbert Le Bris, M. Daniel Mach, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Christian Ménard, M. Jean Michel, M. Georges Mothron, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Alain Rousset, M. Michel Sainte-Marie, M. Guy Teissier, M. Jean-Claude Viollet, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin, M. André Wojciechowski.

Excusés. – M. Philippe Folliot, M. Pierre Frogier, M. André Gerin, M. Franck Marlin, M. Damien Meslot, Mme Françoise Olivier-Coupeau, M. Jean-Pierre Soisson.

Assistaient également à la réunion. – M. Jean-Pierre Grand, M. Régis Juanico, M. Bernard Lesterlin, Mme Geneviève Levy, M. Étienne Pinte et les membres de la commission des affaires étrangères.