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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 8 juin 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 42

Présidence de M. Guy Teissier, Président

– Examen pour avis du projet de loi (n° 3193) autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats arabes unis relatif à la coopération en matière de défense ainsi qu’un échange de lettres (M. Guy Teissier, rapporteur).

La séance est ouverte à dix heures.

La commission examine pour avis, sur le rapport de M. Guy Teissier, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats arabes unis relatif à la coopération en matière de défense ainsi qu’un échange de lettres (n° 3193).

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Mes chers collègues, je tiens d’abord à rendre hommage, au nom de la Commission, au caporal-chef Guillaume Nunes-Patego, du 17e régiment du génie parachutiste de Montauban, tombé mercredi dernier en Kapisa, pendant une opération de reconnaissance et de recherche de caches d’armes. Il est le 59e militaire français tué en Afghanistan depuis 2001. Au cours du même accrochage, trois autres militaires ont été blessés, appartenant respectivement au 17e régiment du génie parachutiste de Montauban, au 35e régiment d’artillerie parachutiste de Tarbes, et au 1er régiment de chasseurs parachutistes de Pamiers. Je présente les condoléances de notre commission à la famille, aux amis et aux camarades du caporal-chef Nunes-Patego, et souhaite un prompt rétablissement aux blessés.

J’en viens, en tant que rapporteur pour avis, à la présentation de l’accord de défense que la France a conclu avec les Émirats arabes unis le 26 mai 2009. Cet accord, très important pour nos deux pays, couronne un partenariat de longue date et s’inscrit pleinement dans la stratégie française de présence dans cette région névralgique. La France entretient depuis de nombreuses années des relations politiques privilégiées avec les Émirats arabes unis. S’étant intensifiées depuis 2007, elles ont débouché sur de nombreux partenariats dans le domaine de l’énergie nucléaire, des transports, de l’éducation et de la formation, sans oublier les arts et l’architecture. Ce nouvel accord de défense se substituera à celui conclu en 1995 et devenu insuffisant, tant du point de vue du champ de coopération couvert que de la protection offerte à notre personnel sur place.

Les Émirats se situent au cœur de « l’arc de crise », l’une des quatre zones critiques identifiées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Dans cette région du monde, aux hydrocarbures indispensables à l’Europe, les évolutions en cours – poussée de l’Islam radical, antagonismes entre chiites et sunnites, programmes nucléaire et balistique iraniens – peuvent avoir un impact sur la sécurité de notre pays. Les récents mouvements de contestation dans plusieurs pays arabes sont venus rappeler la fragilité de beaucoup de régimes politiques, qui tranche avec la stabilité et la prospérité des Émirats arabes unis. Avec 6 millions d’habitants seulement, ils constituent la troisième économie du Moyen-Orient. Ils ont su, au cours des dernières décennies, diversifier leur économie en investissant massivement dans des projets d’avenir : transports, énergie, éducation ou encore tourisme.

Le Président de la République, après ses deux visites successives en 2008 et 2009, a conclu avec les Émirats arabes unis un partenariat dont il juge la portée « stratégique et historique ».

Notre coopération militaire repose, depuis plus de quinze ans, sur l’aide à l’amélioration des capacités opérationnelles des deux parties, l’accompagnement des contrats d’armement, la formation des élites et, depuis peu, une présence militaire française permanente, qui constitue un tournant important dans nos relations avec les Émirats. Elle se traduit, depuis l’automne 2008, par l’implantation d’une base française à Abou Dabi qui regroupe toutes les composantes de l’armée française : un état-major interarmées de 50 militaires ainsi que des services de soutien communs et spécialisés employant 110 militaires ; une base aérienne de 140 soldats avec un escadron de chasse de six Rafale ; une base navale et de soutien de 40 marins, capable d’accueillir tous les bâtiments de la flotte, y compris le groupe aéronaval ; enfin, un groupement tactique interarmes de l’armée de terre de 330 hommes. Cette base française, la première ouverte à l’étranger depuis plus de cinquante ans, atteindra sa pleine capacité à l’horizon 2014, quand elle accueillera environ 600 militaires, après le transfert de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère basée à Djibouti.

Pourquoi une telle base est-elle si importante pour la France ?

Il s’agit tout d’abord de conforter notre présence dans les régions du monde les plus sensibles. La base d’Abou Dabi complète ainsi notre présence dans le Golfe et permet d’entretenir des synergies avec notre implantation à Djibouti, notamment pour lutter contre la piraterie. Cette installation servira également de point d’appui prioritaire à nos troupes en cas d’intervention dans la région. C’est déjà le cas avec l’Afghanistan. Elle offre aussi un espace d’entraînement de premier plan à nos militaires, tout particulièrement aux aviateurs grâce à des conditions de vol exceptionnelles. Enfin, la base est une vitrine de choix pour nos matériels, dans un pays aux ressources considérables qui cherche à s’équiper du matériel le plus pointu.

Les Émirats arabes unis vivent sous la menace constante de l’Iran voisin qui, avec ses 70 millions d’habitants, ses programmes nucléaires et balistiques, contribue à déstabiliser la région. C’est pourquoi les Émirats ont souhaité officialiser la présence militaire française par un accord de défense comportant une clause de sécurité qui est le témoignage de la force de l’engagement français, aux côtés de son partenaire, pour la paix dans la région. Compte tenu des intérêts en jeu, la France ne pourrait pas, en cas de conflit ouvert, se dégager de ses responsabilités. C’est le sens même de son action internationale, de son statut de grande puissance.

En outre, l’accord établit un statut réciproque pour les personnels civils et militaires des deux parties et pour leurs familles. Il pose le principe de territorialité de la loi mais aménage les dérogations nécessaires, de façon à assurer la meilleure protection possible aux personnels civils et militaires français affectés aux Émirats arabes unis, ainsi qu’à leurs personnes à charge, au cas où ils y commettraient des infractions. En effet, chacune des parties ayant priorité de juridiction pourra y renoncer et s’engagera à examiner avec bienveillance les demandes de renonciation à ce droit, lorsque l’autre partie estimera que des considérations particulières le justifient, notamment si la peine encourue est inapplicable par l’autre État. Des garanties afférentes au droit à un procès équitable et impartial, au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, sont rappelées. De même, la peine de mort ne sera pas appliquée.

En conclusion, par cet accord de défense, la France conforte sa volonté de s’affirmer comme puissance globale, présente dans une région aux enjeux politiques, énergétiques et de sécurité de portée mondiale. Je donne logiquement un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi.

M. Daniel Boisserie. Le mois dernier, a été créée, par le fondateur de Blackwater Worldwide, une société militaire privée pour servir les Émirats arabes unis. Ses actions ne risquent-elles pas d’entraîner la France dans un conflit ? La France offrira-t-elle aux Émirats le bénéfice de sa dissuasion nucléaire ? Quelles sont les éventuelles contreparties à cet accord ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Les Émirats arabes unis étant un État souverain, ils ont toute latitude pour s’attacher les services d’une société privée, mais cela n’a rien à voir avec notre engagement. Quelles sont les activités de cette société ?

M. Christian Ménard. Il s’agit d’une société américaine créée par le fondateur de Blackwater. Le contrat, de 529 millions de dollars, porte sur la création d’un bataillon de 800 hommes, destiné à protéger notamment les oléoducs et les gratte-ciel. Mais il serait susceptible d’intervenir dans un conflit international.

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Je vois mal les Émirats arabes unis déclarer la guerre à l’Iran, même avec des mercenaires ! Le recours à une société privée pour garder des oléoducs se comprend de la part d’un pays dont la population ne comprend que 18 % de ressortissants nationaux.

Il est certain que l’Iran est redouté. Les Émirats perçoivent la menace comme nous percevions, il y a des années, celle qui pointait au-delà du Rhin.

Mais encore une fois, l’accord ne trouverait à s’appliquer qu’en cas d’agression par un État.

Pour ce qui est des contreparties, nous sécurisons nos approvisionnements et nous espérons quelques marchés, comme celui remporté par EADS qui a entièrement sécurisé le port de Dubaï.

Quant à la dissuasion nucléaire, elle est exclue du champ de l’accord.

M. Yves Vandewalle. J’ai constaté de visu la remarquable qualité des constructions – réalisées par les Émiriens –, qui abriteront nos forces. Leur présence sera discrète puisqu’elles seront installées à l’intérieur des bases militaires nationales.

L’article 4 de l’accord est tout de même extrêmement contraignant du fait du caractère automatique de l’engagement.

Abou Dabi n’étant pas si éloigné de Djibouti, comment se fera l’équilibre entre les deux pôles, sachant que le détroit d’Ormuz, qui peut facilement être bloqué, fragilise notre sécurité stratégique ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Vous êtes bien pessimiste, cher collègue, en pensant que nous serions incapables de contrer pareil encerclement. Depuis l’indépendance de Djibouti, nous conservions des forces en nombre – deux régiments d’infanterie, une présence maritime et aérienne, et même un hôpital bien équipé. Une fois décidé, de concert avec les autorités djiboutiennes, l’allégement du dispositif, le Président de la République a choisi lui-même de déplacer le régiment de la Légion étrangère, qu’il a été question, pendant un temps, d’installer au plateau d’Albion, ce qui prouve que les deux opérations n’ont pas de lien. Plus tard seulement, Alain Juppé a opté pour Abou Dabi. La 13e DBLE, entièrement interarmes, servira de régiment d’accueil aux troupes terrestres qui viendront s’entraîner sur site. Nous serons ainsi en mesure de démontrer en permanence la qualité de nos armements, comme le VBCI ou le canon CAESAR, aux Émirats ou à leurs voisins. Je rappelle que nous sommes implantés à Abou Dabi à la demande des Émirats eux-mêmes. Il n’y a pas double emploi avec Djibouti. Au contraire, les deux positions se renforcent l’une l’autre.

L’accord ne prévoit pas de réponse militaire automatique de la part de la France. Selon l’article 3, « Les Parties se consultent et échangent leurs analyses lorsque l’une ou l’autre perçoit une menace… ». Ensuite, lorsque survient une menace contre la sécurité des Émirats, les Parties établissent immédiatement des contacts concernant tous les aspects de la menace pour réfléchir aux moyens mis en œuvre pour l’écarter. Enfin, si agression il y a, les Parties se consultent pour mettre en place des opérations militaires. Cela ne signifie donc pas que nos armées seront forcément engagées dans ces opérations, sauf en cas d’une attaque d’un ou plusieurs États, comme cela a été prévu par l’article 4, alinéa 6 de l’accord.

M. Patrick Beaudouin. Cette intervention se ferait-elle alors dans le cadre d’une résolution de l’ONU ? Après la signature de l’accord de coopération, j’ai posé une question écrite au Gouvernement concernant l’application des peines infligées à nos personnels dans des pays qui pratiquent la peine de mort, le fouet et la lapidation. L’accord lèvera-t-il toute ambiguïté dans ce domaine ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Je vous le confirme. Et la peine de mort est exclue.

L’agression par un pays tiers contre la sécurité, la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance d’un État est un cas de légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations unies. Dès lors, une résolution n’est pas nécessaire avant d’engager la force.

M. Jean-Jacques Candelier. Je ne peux pas accepter de ratifier un accord de défense avec une monarchie tyrannique, qui a participé avec l’Arabie saoudite au renforcement des forces de sécurité chargées de mater le peuple de Bahreïn. Sans parler de la loi martiale ou des tirs à balle réelle, le nettoyage de la place de la Perle à Manama a fait plusieurs morts. Un tel accord revient à soutenir militairement une dictature pétrolière qui opprime les populations.

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. On ne peut pas exclure que les manifestants de la place de la Perle aient été manipulés par l’Iran, dans une tentative de déstabilisation.

M. Marc Joulaud. En cas de menace, les échanges prévus porteront-ils sur le renseignement ? Et seront-ils destinés à mieux connaître les circuits de prolifération nucléaire dans la région ? Les accords d’ores et déjà signés par les Émirats avec le Royaume-Uni et les États-Unis sont-ils aussi contraignants que celui-ci ? Et pourquoi en signer un de plus avec la France ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Les accords incluent bien le renseignement, qui fait déjà l’objet d’échanges.

J’ignore la teneur exacte des accords avec les États-Unis et l’ancienne puissance coloniale qu’est le Royaume-Uni, mais ils doivent ressembler au nôtre.

M. Gilbert Le Bris. La France a eu raison de faire le choix du prépositionnement de ses forces car il améliore leur réactivité et leur efficacité. Notre action contre les pirates n’aurait pas été possible sinon. J’espère seulement que l’installation à Abou Dabi n’affaiblira pas notre position à Djibouti car les deux sont nécessaires. Il est tout à fait normal de passer un accord avec le pays dans lequel nos forces sont implantées.

En mission sur place, nos soldats m’ont expliqué que les Émirats ne reconnaissaient pas le PACS, ce qui empêche ceux qui en ont signé un de faire venir leur partenaire. Le présent accord résout-il la question ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Je pensais discuter d’accords de défense plus que d’accords matrimoniaux ! Je vous répondrai quand j’aurai la réponse à votre question.

En tout cas, il n’y a pas d’opposition entre Djibouti et Abou Dabi. Les Djiboutiens ne peuvent se passer de la présence française, même si les Américains et les Japonais, qui nous ont rejoints, « font monter les prix ». Le dispositif a été cependant allégé, ce qui permet de créer Abou Dabi à un coût pratiquement nul.

M. Franck Gilard. La population autochtone étant minoritaire, le régime ne risque-t-il pas d’être emporté ? Ne serions-nous pas alors dans une situation difficile ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Il s’agirait d’une agitation intérieure, qui n’entre pas dans le champ de l’accord, lequel, aux termes de l’article 4 alinéa 6, ne prévoit d’intervention de notre part qu’en cas d’agression par un ou plusieurs États. Cela dit, la paix sociale dans ces pays est fragile. Il suffit de regarder ce qui se passe à Oman, dont le sultan est pourtant modéré et a la fibre sociale. En tout état de cause, la France respectera l’article 51 de la Charte des Nations unies et n’interviendra pas dans un conflit interne.

M. Nicolas Dhuicq. L’efficacité commerciale de notre vitrine dans le Golfe reste à démontrer tandis que notre présence à Djibouti, si stratégique, se réduit. À plus long terme, rien ne dit que le régime iranien durera très longtemps. Dès qu’il tombera, les Américains, qui ont toujours été présents, même indirectement, se précipiteront. Et il ne faudrait pas que la France paraisse alors comme une menace pour la véritable puissance régionale, la Perse, forte de ses 3 000 ans d’histoire et d’un grand peuple. Si l’Iran peut mener des opérations de déstabilisation pour se donner une contenance face aux Arabes sunnites, il n’est pas capable d’une intervention militaire directe dans le Golfe. Notre pays risque, par cet accord, d’obérer ses chances de prendre pied dans un grand pays pour en privilégier un autre, très peu peuplé, aux problèmes démographiques comparables à ceux de l’Arabie saoudite. Enfin, les armes nucléaires, fussent-elles iraniennes, sont destinées, non à servir, mais à dissuader.

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Vous voyez loin ! Notre accord, qui s’inscrit dans la continuité de notre politique, vise à protéger un petit pays, certes, mais à l’importance stratégique considérable contre une menace qui existe. Si elle venait à disparaître, que ce soit dans vingt ans ou dans deux, nous nous adapterions. Nous devons préserver nos intérêts dans cette zone, qu’il s’agisse de nos approvisionnements en hydrocarbures ou de nos débouchés commerciaux. Et si ce n’est pas nous qui défendons Abou Dabi, d’autres le feront à notre place. En tout cas, cet accord ne correspond en rien à un changement de posture. Face à la puissance iranienne, à sa volonté de s’armer, notre présence est importante, quitte à revoir notre position ultérieurement.

Mme Françoise Hostalier. Cet accord est important pour nous du point de vue stratégique et politique, mais je suis, comme Franck Gilard, sensible au risque de voir la France mêlée de près ou de loin à des événements intérieurs, comme elle l’a été au Tchad.

Par ailleurs, les personnels seront protégés s’ils commettent des fautes graves, mais qu’en sera-t-il au quotidien ? L’article 8 prévoit que les membres du personnel revêtent l’uniforme et les insignes militaires de leur armée, « sauf si les autorités compétentes des Parties en décident autrement ». N’assistera-t-on pas, comme en Afghanistan, à une polémique sur les uniformes portés par les femmes ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Je suis tenté de répondre non car le prince héritier se veut – il me l’a dit lui-même – exemplaire en la matière. Si, au Nord, les pays sont ouverts aux autres religions, ils sont rares en terre d’islam. Or les Émirats arabes unis les acceptent, dans une relative discrétion : une église catholique, une autre orthodoxe – les Russes sont nombreux – ont été construites. Et si les Émiriens veulent que leurs épouses portent le voile, ils ne sont pas gênés de voir des femmes tête nue à la terrasse des cafés. Même si tout n’est pas parfait, le sort des épouses, des enfants et des femmes militaires ne sera pas remis en cause. Les Émirats, en dépit de leurs coutumes, n’ont-ils pas fini par accepter que la Sorbonne qui a ouvert là-bas soit mixte et n’abrite pas de lieu de culte ? Ils sont donc capables de faire des entorses à leurs traditions pour accepter la modernité.

M. Michel Voisin. J’ai une question sur la juridiction compétente en cas d’infraction : quand seuls des ressortissants du pays d’envoi sont impliqués, priorité est donnée à sa législation. Il y aura donc à Abou Dabi des détachements prévôtaux. Mais, après la disparition du tribunal aux armées de Paris, quelle sera la juridiction compétente pour juger les infractions commises sur place ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Les prévôts assurent la police judiciaire. Les juges aux armées, quant à eux, ne vont pas disparaître : ils dépendront désormais de formations spécialisées du tribunal de grande instance et de la cour d’appel de Paris.

M. Philippe Folliot. Il est important que la France soit présente dans cette partie du monde. Mais y a-t-il dans cet accord la moindre clause de réciprocité ? À quelles conditions les forces émiriennes viendraient-elles nous aider en cas d’agression ? Ensuite, pourquoi implanter la base de la marine dans le golfe Persique plutôt que dans le golfe d’Oman, où elle ne risque pas d’être à la merci d’un blocage du détroit d’Ormuz, d’autant qu’il suffit, pour ce faire, de couler un supertanker ou de miner le passage ?

Le prépositionnement de nos forces à Abou Dabi et à Djibouti n’aura-t-il vraiment aucune incidence sur nos installations de souveraineté dans le sud de l’océan Indien, à Mayotte et à la Réunion ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Aucune réciprocité n’est prévue. Quant à la localisation de notre base maritime, elle a été négociée dans le cadre de l’accord. En outre, nos relations avec Oman sont distendues. Le sultanat reste très proche des Britanniques et de l’Iran avec lequel il commerce depuis toujours. Dans les départements français de l’océan Indien, rien ne change.

M. Pierre Forgues. Cet accord n’est pas bordé. Les Émirats ont, avec le Royaume-Uni et les États-Unis, des accords dont on ignore tout. Comment pourrions-nous, en cas d’agression extérieure, intervenir si eux restaient en dehors ? Et nous ne savons pas si, oui ou non, un mandat de l’ONU serait nécessaire. Quant aux contreparties, rien n’est prévu à l’accord, ni garantie d’approvisionnement ni fourniture d’armements, ni même en matière de démocratie et d’État de droit. Certes, nos soldats ne subiront pas la peine de mort, mais une femme soldat sera-t-elle obligée de porter le voile ? Enfin, combien pèsera cette base dans notre budget ? Le coût pour les finances publiques sera-t-il compensé par des retombées en espèces sonnantes et trébuchantes ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. À votre question sur le port du voile, je vous réponds non, mais vous êtes libre de douter.

Quant à l’accord, qui n’est pas le premier que nous signons, il est bordé, et sur le plan militaire, et sur le plan de la protection juridique de nos ressortissants. Et même dans le temps puisqu’il sera valable pour quinze ans.

Pour évaluer les contreparties, interrogez donc les grandes entreprises, comme Dassault, Thales ou EADS. Nous avons eu un manque à gagner en n’obtenant pas le contrat de la centrale nucléaire, mais Areva a tout de même obtenu la fourniture du combustible, et le salon IDEX consacré aux équipements de défense a été l’occasion de signer des contrats fructueux. De plus, ne serait-ce que pour entraîner nos troupes en milieu désertique, cette installation présente un intérêt. Enfin, elle nous sert aussi d’escale logistique pour nos opérations en Afghanistan. En tout état de cause, nous ne pouvons pas nous dispenser d’une présence dans un pays stable situé dans une zone aussi stratégique. Laisser la place à d’autres serait extrêmement regrettable.

Comme les Émirats ont pris en charge les infrastructures de l’implantation militaire française à hauteur de 110 millions d’euros, notre participation pour financer les installations et les équipements particuliers s’est établie à 25 millions d’euros. Le coût annuel de fonctionnement de la base sera de 75 millions d’euros en format 2014. Les sommes en jeu sont relativement faibles : Djibouti coûtait 215 millions, et, à partir de mi-2011, plus que 165 millions d’euros par an.

Mme Michèle Alliot-Marie. Je soutiens cet accord de défense que les Émiriens nous demandent depuis la guerre d’Irak. Leur intention est d’équilibrer le rôle des États-Unis, de façon à ne pas dépendre entièrement d’eux. Il est important pour nous de prendre pied dans une zone, jusque-là essentiellement sous contrôle anglo-saxon, qui est déterminante pour l’accès à l’énergie dans les quinze à vingt ans à venir. Une politique d’influence passe aussi par la capacité à intervenir, en particulier pour protéger un pays contre d’éventuelles agressions étrangères ou même terroristes.

Même s’il s’agit d’un petit pays, les Émirats étaient, il y a quelques mois encore, notre premier client militaire. Ils sont aussi un client important pour notre aéronautique civile. Par ailleurs, les accords de défense ne comportent jamais de clause de fourniture de matériel militaire. Mais, quand il existe des liens très forts concrétisés par un accord de défense, se fournir auprès de son partenaire présente une certaine cohérence. Cette démarche bilatérale est une façon de montrer qu’il n’existe pas de zone réservée aux Anglo-Saxons.

L’étude d’impact ne comporte pas d’évaluation du coût de fonctionnement. Quoi qu’il en soit, il n’y aura pas de coût supplémentaire compte tenu du financement des installations par les Émirats et du redéploiement de forces en provenance de Djibouti où, je rappelle, le président fait monter les enchères depuis l’arrivée des Américains ; lui montrer qu’il existe une autre solution pourrait être une façon de faire baisser la pression.

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Les Britanniques aussi exercent une forte emprise sur les Émirats, qui souhaitent, grâce à nous, desserrer la contrainte. En ce qui concerne l’achat d’équipements militaires, je signale que, depuis 1976, les Émirats ont acquis plus de 70 % du leur auprès de nous. Des contreparties, nous en avons donc eu !

M. Alain Moyne-Bressand. Comment se composent les forces armées des Émirats ? Avons-nous encore des perspectives de leur vendre des Rafale ?

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. Il s’agit d’une petite armée, mais très bien équipée et très bien entraînée, véritablement opérationnelle. Nos pilotes sur la base de Solenzara, engagés dans les opérations en Libye, me l’ont confirmé. Formée par les Britanniques, elle est à la fois réactive et disciplinée. Le problème est surtout d’ordre démographique. J’ajoute que le prince héritier a souhaité la présence de la Légion étrangère parce qu’elle pourrait servir de modèle.

En ce qui concerne les Rafale, nous négocions, mais les discussions nécessitent du temps pour résoudre l’ensemble des problèmes techniques, ce qui est tout à fait normal dans ce type de négociations et ce qui n’hypothèque en rien leur chance d’aboutissement.

M. Patrice Calméjane. Mieux vaut cet accord que pas d’accord du tout. Il a aussi le mérite d’opérer une sorte de triangulation de nos bases – entre Djibouti, Abou Dabi et l’Afghanistan –, cohérente en termes militaires. Le positionnement n’est pas le même : celle de Djibouti est davantage tournée vers l’Afrique et celle d’Abou Dabi vers l’Arabie Saoudite, l’Iran et l’Afghanistan.

Toutefois, l’article 6 dénote une dissymétrie entre nos représentants respectifs au sein du haut comité militaire mixte, puisque la France désignera des représentants des ministères de la défense et des affaires étrangères, et les Émirats des représentants du ministère de l’intérieur et de la justice. Et, à l’article 11, « les Parties s’engagent à informer [les membres du personnel et les personnes à charge] de la nécessité de respecter les us et coutumes et la culture de l’État d’accueil ». Si j’admets aisément qu’il faille se plier aux lois et règlements, je comprends moins bien cette disposition. Comment nos militaires peuvent-ils s’y prendre ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Il existe pour les former un centre spécialisé à Rueil-Malmaison.

M. Patrice Calméjane. De même, à l’alinéa 9, j’aurais souhaité une formulation plus nette et plus contraignante que l’examen « avec bienveillance » par l’État d’accueil, dont les juridictions auront prononcé une condamnation, de la demande faite de purger la peine correspondante dans l’État d’envoi. Les discussions promettent d’être aléatoires et longues pour quelqu’un qui serait emprisonné. Des règles de droit précises auraient été préférables.

M. Étienne Mourrut. Cet excellent accord nous permettra, à nous Occidentaux, d’être présents dans une zone très instable. Personne ne peut prévoir ce qu’il adviendra en Iran et nos forces peuvent avoir un effet dissuasif.

M. le président Guy Teissier, rapporteur pour avis. L’article 6 précise que nous sommes représentés par trois représentants du ministère de la défense, et par deux autres du ministère des affaires étrangères, qui sont les deux ministères compétents pour gérer ce type d’accord. Et ils auront affaire à des partenaires de même rang.

S’agissant de la formation au droit coutumier, nos soldats sont parfaitement préparés. À propos, l’alcool n’est pas interdit, mais il ne faut pas le boire dehors ou à la terrasse des cafés.

Les termes qui vous déplaisent relèvent du registre diplomatique, utilisé dans les accords bilatéraux.

Pour les prisons, j’ai visité les nôtres, et je me demande si c’est tellement pire ailleurs… De toute façon, les personnes incarcérées seront rapatriées au terme de négociations.

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

——fpfp——

La séance est levée à onze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. — Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Patrick Beaudouin, M. Jean-Louis Bernard, M. Daniel Boisserie, Mme Françoise Briand, M. Dominique Caillaud, M. Patrice Calméjane, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy Chambefort, M. Gérard Charasse, M. Lucien Degauchy, M. Jacques Desallangre, M. Nicolas Dhuicq, M. Laurent Fabius, M. Philippe Folliot, M. Pierre Forgues, M. Yves Fromion, M. Guillaume Garot, M. Franck Gilard, Mme Françoise Hostalier, M. Marc Joulaud, M. Jack Lang, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Marie Le Guen, M. Daniel Mach, M. Christian Ménard, M. Jean Michel, M. Étienne Mourrut, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Gwendal Rouillard, M. Michel Sordi, M. Guy Teissier, M. Yves Vandewalle, M. Michel Voisin, M. André Wojciechowski.

Excusés.— M. Pascal Brindeau, M. Bernard Deflesselles, M. André Gerin, Mme Marguerite Lamour, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Alain Marty, M. Philippe Vitel.