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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 12 juillet 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 47

Présidence de M. Christian Ménard, Secrétaire

–– Présentation du rapport de la mission d’information sur les actions civilo-militaires (MM. Guy Chambefort et Philippe Folliot, rapporteurs)

La séance est ouverte à dix-huit heures.

La Commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur les actions civilo-militaires (MM. Guy Chambefort et Philippe Folliot, rapporteurs).

M. Christian Ménard, secrétaire. Avant de passer à l’ordre du jour, je veux rendre hommage au brigadier Clément Kovac du 1er régiment de chasseurs de Thierville-sur-Meuse, tué accidentellement par un tir fratricide hier en Afghanistan. Nous adressons toutes nos condoléances à sa famille, ses proches et ses camarades.

Par ailleurs, je voudrais que nous saluions notre administratrice-adjointe Geneviève Queinnec pour qui c’est la dernière séance de commission. Nous la connaissons tous et certains d’entre vous ont été ses rapporteurs. Je veux en votre nom la remercier pour son dévouement et sa gentillesse exceptionnels. Nous allons la regretter, bien que la relève soit déjà assurée, mais elle part pour une retraite anticipée que je sais pleine de promesses et de bonheur.

Nous allons maintenant entendre MM. Guy Chambefort et Philippe Folliot qui vont nous présenter leur rapport sur les actions civilo-militaires (ACM).

Nous les avons désignés rapporteurs le 5 mai 2010. Il s’agit d’un sujet passionnant, qui avait fait l’objet d’un rapport voici dix ans par notre collègue Robert Gaïa.

Celui-ci avait relevé à l’époque la qualité des actions menées par les forces armées, notamment au Kosovo, tout en déplorant un certain nombre de faiblesses. Il considérait ainsi que leur organisation pourrait être optimisée et regrettait qu’elles ne permettent pas suffisamment la promotion de nos intérêts économiques.

Depuis cette époque, le sujet semblait un peu passé de mode. Mais notre engagement en Afghanistan démontre bien que la seule action militaire ne suffit plus.

Je crois savoir que vous vous êtes rendus sur différents théâtres d’opérations extérieurs et que vous avez conduit un large éventail d’auditions. Nous attendons donc votre analyse avec le plus grand intérêt.

M. Philippe Folliot, rapporteur. Nous sommes heureux de vous présenter notre rapport. J’avais souhaité mener ce travail compte tenu de l’importance qu’ont retrouvée les ACM depuis l’engagement de notre pays en Afghanistan.

Les ACM sont des projets ou des services aux populations mis en œuvre dans le domaine civil et destinés à soutenir les opérations militaires. En conduisant des actions ponctuelles à impact rapide, les armées concourent en effet au développement et à la stabilisation de leur zone de déploiement. Elles légitiment ainsi leur présence auprès des populations. Il s’agit d’un enjeu stratégique : nous sommes de plus en plus souvent impliqués dans des conflits de nature asymétrique, nous opposant à un adversaire disséminé au sein des populations civiles.

L’armée française dispose d’une expertise ancienne dans ce domaine. L’aventure coloniale l’a en effet conduite à mieux s’organiser pour s’implanter dans la durée sur les territoires nouvellement conquis.

Nous avons tous entendu parlé de la stratégie du Maréchal Lyautey lorsqu’il était résident général au Maroc. Il considérait que notre armée ne pouvait se maintenir sur ce territoire qu’en y apportant le progrès, d’abord par l’administration, puis par la santé ou le développement économique. Cet effort seul permettait la pacification du territoire. On lui doit ainsi cette phrase demeurée célèbre « Donnez-moi quatre médecins et je vous renvoie deux bataillons ».

La guerre d’Algérie a remis en avant le caractère indispensable des opérations civiles pour pacifier un territoire. Face aux troubles qui s’y sont développés à la suite de la seconde guerre mondiale, le Gouvernement avait confié aux armées le soin de renforcer le maillage administratif du territoire, de protéger les populations de l’insurrection et d’assurer des missions de développement, notamment économique. C’était le mandat des célèbres sections administratives spécialisées. Elles ont obtenu des résultats divers, mais globalement salués comme des succès tactiques par les analystes militaires et notamment le célèbre David Galula. Son ouvrage, Contre-insurrection, voit dans les conflits insurrectionnels des conflits essentiellement politiques. La victoire dépend notamment de l’action des forces armées dans le domaine civil.

Dès 1963, cet ouvrage, devenu le livre de chevet du général David Petraeus, a fait des ACM une arme indispensable à l’engagement anti-insurrectionnel.

Cependant, la décolonisation et le caractère souvent plus ponctuel de nos engagements ont contribué à une diminution du rôle des ACM, devenues une simple fonction du commandement des opérations spéciales.

Voici maintenant dix ans, notre collègue Robert Gaïa avait constaté l’existence d’une expertise française dans ce domaine, tout en regrettant notamment une place relativement marginale conférée au volet civil de la manœuvre, un manque d’efficacité dans la coordination interministérielle ainsi qu’une certaine difficulté à porter nos intérêts économiques.

Guy Chambefort et moi avons voulu voir en quoi la situation s’était améliorée.

La création du groupement interarmées pour les actions civilo-militaires, le GIACM, décidée le 1er juin 2001 a constitué un progrès notoire. Nos armées disposent désormais d’un véritable vivier, qui sait valoriser l’apport des réservistes. Le groupement fait de l’action civile une véritable spécialité et détache des équipes sur tous les principaux théâtres où nos forces sont déployées.

Surtout, l’engagement de notre pays en Afghanistan a de nouveau confronté nos armées à un conflit anti-insurrectionnel dur. Pour reconquérir durablement les territoires et contribuer avec nos alliés afghans à leur pacification, il a semblé indispensable de renforcer les moyens dévolus aux ACM dans les zones de combat, plus particulièrement en Surobi-Kapisa. À la suite notamment de la mission d’information sur l’Afghanistan conduite par notre collègue Pierre Lellouche, une cellule de coordination interministérielle a été créée au ministère des affaires étrangères et européennes. Cette cellule AFPAK a permis un véritable pilotage politique de l’action gouvernementale dans ce pays, ainsi qu’une augmentation réelle des moyens financiers alloués aux ACM, qui sont passés de près de quelques centaines de milliers d’euros en 2008 à plus de quatre millions d’euros en 2010 grâce à l’apport de crédits interministériels. Ces fonds sont ensuite redirigés vers la région de Surobi-Kapisa.

L’Afghanistan a illustré la diversification de nos partenaires : l’OTAN, qui forte de son approche globale fait désormais des ACM une priorité, l’Union européenne, principal bailleur d’aide civile sur bien des théâtres, mais aussi des collectivités territoriales. À l’époque de son déploiement en Afghanistan, le 8e RPIMa a été soutenu par la ville de Castres pour mener des actions particulièrement utiles à la population en Surobi-Kapisa.

Parallèlement, à des niveaux plus modestes et dans un cadre administratif plus traditionnel, les armées conduisent des actions sur tous les théâtres d’engagement, tels que le Liban, la Côte d’Ivoire, où encore le Tchad où je me suis rendu.

Sur tous ces théâtres, nous pouvons témoigner d’une réelle compréhension, voire d’une bonne collaboration entre les ONG et l’armée française.

Je crois nécessaire de dire quelques mots sur le travail du service de santé des armées (SSA) comme acteur des ACM. À Paris comme sur les théâtres, nous avons relevé un consensus sur la qualité de son action et de ses personnels. Le SSA dispense notamment des soins aux populations environnant les forces, à travers ce que l’on appelle l’aide médicale aux populations (AMP). L’AMP donne une très bonne image aux forces et permet d’établir des relations de confiance avec l’ensemble de la population, y compris les femmes et les enfants.

Le SSA intègre l’AMP dans le tissu sanitaire local à travers des partenariats avec les médecins en place ou encore des actions de formation.

Le service finance l’ensemble de ces actions sur son budget propre, au contraire du reste des ACM qui relèvent de lignes budgétaires spécifiques. À l’heure où ses finances sont l’objet des contraintes que nous savons, il nous semble nécessaire de réfléchir à une mutualisation de cet effort.

M. Guy Chambefort, rapporteur. L’ensemble de ces éléments constitue un modèle français qu’il nous a semblé intéressant de comparer avec nos principaux alliés. À la suite de l’engagement en Irak et en Afghanistan, Américains et Britanniques ont pris conscience du caractère indispensable des ACM. Ils y consacrent aujourd’hui d’importants moyens, au point peut-être de déséquilibrer certains des territoires où ils interviennent. Ils n’hésitent pas en outre à concevoir leurs ACM comme un moyen de promouvoir leurs intérêts économiques.

Certains États mettent en œuvre des ACM à la fois en opérations extérieures et sur le territoire national. Il s’agit notamment de gérer des situations de crise à la suite de catastrophes naturelles. L’armée colombienne, pour venir à bout des FARC, a elle aussi développé une réelle expertise, mais cantonnée au territoire national.

Nous avons identifié un certain nombre de pistes pour améliorer notre dispositif.

En premier lieu, il nous semble nécessaire d’accroître la coordination interministérielle des ACM. Celles-ci doivent s’articuler au mieux avec notre politique étrangère, de développement et de soutien à nos entreprises.

Il faut également réfléchir aux moyens de gagner en souplesse dans le financement des ACM : créer un fonds spécifique permettrait de recueillir les contributions interministérielles, mais aussi celles de l’Union européenne, de collectivités ou encore les dons privés aujourd’hui difficiles à collecter et à affecter. Il convient également de faciliter les conditions de décaissement des subventions de l’agence française de développement (AFD), le temps administratif ne correspondant pas forcément au temps des ACM.

Nous préconisons également une mutualisation des dépenses liées aux ACM engagées par le SSA, au moins au niveau du ministère de la défense, si ce n’est au niveau interministériel.

Sur le plan européen, il faudrait mettre en œuvre un mécanisme de compensation du coût des interventions, dont l’essentiel est aujourd’hui supporté par quelques États volontaires. Mais il s’agit d’un problème ancien, qui dépasse les seules ACM.

Outre leur rôle strictement militaire, les ACM doivent être conçues comme un moyen de favoriser la pénétration de nos entreprises sur les théâtres en crise, à charge pour les structures interministérielles compétentes de veiller à leur accompagnement dans la durée, notamment dans la période de sortie de crise. Au même titre que ses alliés, la France a des intérêts et doit les promouvoir sans complexe, pendant et après l’intervention militaire. À cet effet, les réservistes doivent être mieux impliqués et plus efficacement sollicités. C’est l’intérêt de nos forces et de nos entreprises.

D’une façon générale, les ACM doivent être pensées comme un outil d’influence pour notre pays. Outre les enjeux économiques, ne négligeons pas l’intérêt que nous avons à former des armées étrangères ou encore à permettre à nos experts de répondre aux appels à candidature de l’Union européenne. Il s’agit d’éléments ponctuels qui, mis bout à bout, portent les intérêts de notre pays.

En conclusion, nous souhaitons rappeler que l’armée française fait preuve d’une expertise dont nous pouvons être fiers. Il nous faut consolider cet acquis et en faire un véritable levier d’influence.

M. Michel Grall. Il faut distinguer les actions civilo-militaires selon qu’elles interviennent suite à une catastrophe naturelle, dans le cadre d’un conflit national – et, dans ce cas, nous ne sommes pas concernés – ou dans le cadre d’un conflit international. Existe-t-il une définition de la doctrine française en matière d’actions civilo-militaires ? En effet, il faut pouvoir gérer les relations avec de nombreux financeurs. Par ailleurs, est-ce que la France définit des zones où l’investissement doit être prioritaire ?

M. Philippe Folliot, rapporteur. La France a élaboré une doctrine en matière d’actions civilo-militaires, qui est définie dans l’instruction du 3 mars 2005 intitulée « concept et doctrine interarmées de la coopération civilo-militare ». Les choses ont grandement évolué avec notre engagement en Afghanistan, notamment après 2008. Lors d’un déplacement de la commission de la défense avec le président Guy Teissier, nous y avions constaté que les actions civilo-militaires étaient trop diffuses. Depuis 2008, la France a la responsabilité d’une zone déterminée en Kapisa et en Surobi, ce qui a nécessité un redéploiement des actions civilo-militaires sur cette zone. Les moyens manquaient au début, ce qui explique en partie pourquoi des collectivités territoriales comme Castres se sont impliquées. Avec la mise en place de l’AFPAK, les financements ont connu une sensible augmentation et les objectifs ont été revus de manière ambitieuse.

Je voudrais ici souligner l’action remarquable de l’ONG « AF développement », dont le directeur Yves Faivre apporte beaucoup par son rôle d’interface entre la population civile et les forces militaires.

Le rôle du service de santé des armées est également crucial. Au cours de ma visite à l’hôpital Rôle 3 de Kaboul, dont le personnel est essentiellement composé de membres du service de santé des armées français, j’ai rencontré des patients qui ont exprimé une grande reconnaissance envers la France.

Par ailleurs, des membres du 8e RPIMA m’ont indiqué que des renseignements leur permettant par exemple d’éviter des engins explosifs improvisés étaient parfois fournis par des personnes dont un membre de leur entourage avait bénéficié de l’AMP. Certes, il arrive que des personnes soignées dans le cadre de l’AMP appartiennent au camp d’en face, mais il s’agit d’une minorité.

M. Guy Chambefort, rapporteur. Notre rapport donne une définition de l’action civilo-militaire. Il s’agit de la « fonction opérationnelle destinée à améliorer l’intégration de la force dans son environnement humain afin de faciliter l’accomplissement de sa mission, le rétablissement d’une situation sécuritaire normale et la gestion de la crise par les autorités civiles (administration, action humanitaire, reprise économique…) ».

Par ailleurs, je tiens à souligner que la France a davantage défini l’approche globale que l’Union européenne.

Mme Françoise Hostalier. Chaque théâtre est différent. S’il est relativement aisé de mettre en œuvre des actions civilo-militaires au Tchad, il n’en va pas de même en Afghanistan. Je souhaiterais connaître votre avis sur le lien entre les ACM, les ONG et les actions purement civiles. Il n’est en effet pas évident pour les ONG de se présenter sur un théâtre d’opérations aux côtés des militaires. Par ailleurs, comment arrive-t-on à transférer la direction des affaires aux civils après l’intervention ?

Enfin, je tiens à souligner le manque de coordination des actions françaises. La France n’a pas de représentant qui aurait pour tâche de définir et de défendre ses intérêts dans ce domaine. Elle ne tire donc qu’un faible bénéfice de ses actions.

M. Philippe Folliot, rapporteur. Les actions civilo-militaires pouvaient avoir des effets pervers. Par exemple, au Tchad, les personnes déplacées qui sont installées dans des camps bénéficient d’une sécurité, d’un accès à l’eau, à la nourriture, à l’éducation, dont ne jouit pas le reste de la population. Aujourd’hui, la situation s’est stabilisée au Darfour mais les populations viennent s’installer de manière durable dans les camps.

En Afghanistan, les États-Unis déversent des flux financiers importants à certains endroits, ce qui déstabilise la société afghane traditionnelle.

Certaines ONG souhaitent que ce qui relève du domaine militaire soit clairement séparé de ce qui relève du domaine civil. Il existe trois phases distinctes dans le temps. La première relève du militaire. La seconde voit se conjuguer actions civiles et militaires. La troisième correspond à la sortie de crise, au cours de laquelle des aides à la reconstruction de l’État sont apportées. Chacun trouve sa place dans cette évolution, mais à des moments différents. Certaines ONG participent à la deuxième et à la troisième phase, d’autres uniquement à la troisième. Mais, même chez celles-ci, on constate un grand respect pour les actions que mènent les militaires. L’opposition entre ces deux mondes n’est pas aussi forte que ce que l’on aurait pu imaginer.

M. Guy Chambefort, rapporteur. Aucune situation n’est comparable à une autre. Cependant, depuis le rapport de Robert Gaïa, la coordination entre les acteurs a progressé, notamment entre le ministère des affaires étrangères et celui de la défense. L’agencement des actions françaises avec celles d’autres États peut poser problème. En Haïti, l’Union européenne a apporté une aide financière importante mais son image n’a pas bénéficié de l’intervention, passée largement inaperçue.

M. Patrick Beaudouin. Je crois que le rapport de nos collègues apporte des éclairages précieux et propose des pistes d’amélioration utiles pour pallier les carences actuelles. Vous avez évoqué la faiblesse de la coordination interministérielle ; le préfet Dussourd a pourtant été chargé d’une mission sur le renforcement de la politique française en matière d’actions civilo-militaires. Avez-vous travaillé avec lui ou eu des échanges avec son équipe ?

En ce qui concerne les différentes phases d’intervention, je suis frappé par la faible présence des entreprises françaises lors des sorties de crise. C’est sans doute une culture à développer avec le soutien actif des organisations professionnelles. Lors du débat sur la proposition de loi relative aux réserves que nous avons adoptée hier, nous avons évoqué la création d’un label « défense ». Ne pourrait-il pas s’insérer dans une démarche plus globale pour renforcer notre action dans ce domaine ?

M. Guy Chambefort, rapporteur. Nous avons effectivement eu des échanges avec les collaborateurs du préfet Dussourd. Comme je l’indiquais, la mission qui lui a été confiée montre que des progrès ont été accomplis sur ce dossier.

M. Philippe Folliot, rapporteur. Nous avons écrit au MEDEF pour évoquer les actions civilo-militaires. Malgré nos relances, nos demandes sont restées sans réponse, ce qui marque un certain désintérêt pour le sujet. Je suis frappé de constater que nos forces assurent la partie la plus difficile et que ce sont des entreprises d’autres pays qui en tirent ensuite les bénéfices. Une fois la zone pacifiée, ce sont elles qui signent les contrats.

La réserve peut certainement être un levier d’influence et d’action. Les réservistes qui ont travaillé, en tant que militaires, avec les populations locales peuvent plus facilement revenir quelques mois après en tant que civils pour proposer des contrats. Le contact ayant été noué très tôt, les relations commerciales ultérieures s’en trouvent facilitées. La plupart de nos partenaires appliquent cette politique, pourquoi ne le ferions-nous pas ?

Je crois qu’il faut analyser les théâtres séparément pour tenir compte de leurs spécificités. Pour l’Afghanistan, je suis inquiet des conditions de déroulement de la reconstruction. Il y a par exemple un risque fort que des entreprises chinoises s’accaparent les ressources minières du pays alors même que ce pays ne participe à la coalition. La France a pourtant des atouts majeurs sur ce théâtre. Je pense notamment au lycée français, au domaine archéologique, au centre culturel de Kaboul ou à l’hôpital mère-enfant. Nous devons capitaliser sur ces secteurs où notre savoir-faire est identifié et reconnu. De surcroît, il s’agit d’activités qui intéressent directement les futurs expatriés.

Mme François Hostalier. C’est d’autant plus important qu’il s’agit des fondamentaux de la société.

M. Philippe Folliot, rapporteur. Les opportunités existent mais souffrent d’un déficit culturel pour aboutir.

Au Kosovo, tous les opérateurs européens de téléphonie mobile sont présents, à l’exception des Français. Je ne comprends pas que nous soyons absents alors même que nous assurions la sécurisation de la zone de Mitrovica, particulièrement dangereuse. Nos groupes préfèrent racheter, parfois fort cher, des filiales dans des pays stabilisés plutôt que d’investir dans des pays en sortie de crise à croissance forte. Cette position est très dommageable et je la regrette beaucoup.

M. Jean-Claude Viollet. Je constate malheureusement que le thème des actions civilo-militaires revient régulièrement dans nos débats sans que j’observe de réel progrès sur le volet promotion de nos intérêts économiques. Nous faisons toujours le même constat : nous nous investissons militairement mais sur le plan économique, nous ne retirons jamais les dividendes de notre action, contrairement à nos partenaires. Nous avons raté des opportunités au Kosovo et en Afghanistan. Il en sera certainement de même en Libye. Il ne s’agit pas d’un modèle anglo-saxon puisque les Allemands sont très présents économiquement même si leurs forces n’interviennent pas. Nous disposons pourtant des organisations adéquates, à commencer par les groupements professionnels ou les chambres de commerce et d’industrie : elles sont parfaitement armées pour promouvoir nos intérêts économiques. Pourquoi avons-nous si peur du risque, contrairement à nos partenaires ? Nous ne pouvons pas continuer sur cette voie. Il faut une impulsion politique forte pour changer de cap !

Nos compétences sont mondialement reconnues dans le domaine de l’eau, de la gestion des déchets… Mais nos entreprises ne sont pas présentes sur ces nouveaux marchés. Le rapporteur évoquait les domaines sociaux et culturels : il est crucial que nous soyons présents sur ces secteurs car ils constituent un préalable indispensable à une coopération future. Sans eux, nous nous fermons définitivement des portes. À Djibouti, le maintien de l’hôpital Bouffard contribue par exemple au rayonnement de la France mais aussi à l’exportation d’un certain modèle de santé. Il participe directement à la valorisation et la défense de nos intérêts dans la zone.

Le rapport de nos collègues est très positif et marque une nouvelle étape dans la prise de conscience. Je regrette simplement que depuis 15 ans nous n’ayons pas mieux travaillé sur ce thème quand tous nos partenaires progressaient. L’Union européenne elle-même a avancé, même si elle ne retire pas toujours le bénéfice de ses efforts.

Nos opérations extérieures sont financées pour partie grâce à la réserve interministérielle de précaution. Il me semblerait logique que l’activité économique permise par notre engagement militaire contribue à renflouer cette ligne budgétaire. Ce serait une sorte de retour sur investissement parfaitement compréhensible.

Nous pouvons progresser facilement dans ce domaine sans renier nos valeurs ni nos modes d’action militaires ou économiques. Quoi qu’il en soit, nous devons rapidement changer la donne actuelle.

M. Philippe Folliot, rapporteur. Nous ne pouvons que partager votre analyse. Je crois que le rapport constituera une nouvelle étape, même si je doute qu’il suffise à impulser une nouvelle politique. En revanche, il serait inacceptable que les opérateurs privés viennent se plaindre de la faiblesse de l’action de la France alors qu’ils n’ont qu’à agir et à se saisir des outils existants.

M. Yves Fromion. L’institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) accueille chaque année des chefs d’entreprise et des responsables économiques. Ne pourraient-ils pas servir de relais ? Sans leur imposer un retour sur investissement, il me semblerait normal qu’en échange de cette formation, ils s’engagent à promouvoir les intérêts économiques de la France, notamment dans les pays en sortie de crise.

M. Guy Chambefort, rapporteur. Je souscris à votre proposition mais cela me semble difficile à imposer. Je crois hélas que le problème n’est pas spécifique aux ACM : les entreprises françaises sont culturellement frileuses. Dans le rapport, nous proposons de faciliter l’emploi de cadres dans les réserves ; encore faut-il que l’entreprise accepte de les libérer. Le problème est bien culturel : nos entreprises ont une vision de court terme et je crois qu’elles ne veulent pas s’impliquer dans ce dossier, quand bien même elles en auraient les moyens.

M. Patrick Beaudouin. Je propose que votre rapport d’information serve de base à un colloque que nous pourrions organiser à l’Assemblée nationale. Nous pourrions y associer l’IHEDN et inviter les grandes fédérations professionnelles.

M. Michel Voisin. Il me semble qu’il faut être plus large dans l’utilisation des réserves : nombre d’artisans ou de commerçants peuvent apporter un savoir-faire précieux à l’image d’un spécialiste de la climatisation qui est intervenu très régulièrement sur des théâtres d’opérations pour assurer le soutien logistique de toute la climatisation.

Les entreprises sont souvent intéressées par l’activité d’influence que représentent les réserves mais beaucoup moins par l’aspect opérationnel. Une PME ne peut absolument pas se passer d’un de ses cadres pendant quatre à cinq semaines, sauf à désorganiser complètement ses structures. Seule la gendarmerie parvient à mobiliser des réservistes de tous horizons grâce aux activités locales qu’elle propose. Pour le reste, seuls des réservistes exerçant des professions libérales peuvent se libérer suffisamment longtemps. Si nous voulons nous appuyer sur la réserve, il va falloir trouver des éléments incitatifs nouveaux, faute de quoi la ressource va se tarir.

M. Philippe Folliot, rapporteur. Je souscris à la proposition de notre collègue Patrick Beaudouin. L’organisation d’un colloque permettrait certainement de faire avancer le dossier.

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La Commission autorise, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport de la mission d’information en vue de sa publication.

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La séance est levée à dix-neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. — Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Patrick Beaudouin, M. Jean-Louis Bernard, M. Dominique Caillaud, M. Patrice Calméjane, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy Chambefort, M. Philippe Folliot, M. Yves Fromion, M. Michel Grall, M. Christophe Guilloteau, Mme Françoise Hostalier, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Marty, M. Christian Ménard, M. Damien Meslot, M. Gwendal Rouillard, M. Yves Vandewalle, M. Jean-Claude Viollet, M. Michel Voisin.

Excusés. — Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. André Gerin, M. Francis Hillmeyer, Mme Marguerite Lamour, Mme Marylise Lebranchu, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Guy Teissier.