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Audition du général Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012.
La séance est ouverte à dix heures cinq.
M. le président Guy Teissier. Nous recevons en ce début de matinée le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Bertrand Ract-Madoux.
Mon général, c’est la première fois que nous vous accueillons et je vous souhaite la bienvenue au nom de tous les membres de la commission.
Permettez-moi de retracer brièvement les étapes de votre carrière.
Après l’école spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, vous avez été commandant du 1er régiment de spahis à Valence puis commandant du bataillon d’infanterie n° 2 de l’IFOR, à Sarajevo.
Chef du bureau « recrutement » au commandement militaire d’Ile-de-France, vous rejoignez ensuite le bureau « études et stratégie militaire » de l’état-major des armées.
Vous avez été commandant de la 2e brigade blindée à Orléans avant de devenir commandant tactique des forces françaises dans le cadre de l’opération Licorne, en Côte-d’Ivoire.
De 2007 à 2011, vous êtes directeur de cabinet du directeur général de la sécurité extérieure (DGSE).
Et vous êtes depuis le 1er septembre dernier chef d’état-major de l’armée de terre.
Vous allez aujourd’hui nous présenter les crédits qui seront dévolus l’année prochaine à l’armée de terre.
Je souhaiterais que cette audition soit aussi l’occasion d’un bilan général sur la situation des OPEX du point de vue de l’armée de terre, qui est bien évidemment celle qui est la plus concernée en ce domaine. Nous tenons d’ailleurs à saluer le travail et le dévouement de nos soldats sur tous les théâtres d’opération, notamment en Afghanistan mais également en Libye, où l’armée de terre s’est illustrée grâce à l’intervention déterminante de l’ALAT.
M. le général Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre. Je vous remercie de m’offrir cette opportunité de pouvoir vous faire un point de situation sur l’armée de terre et partager mon appréciation sur le projet de loi de finances 2012.
Je rappellerai tout d’abord que 2011 aura été une année particulièrement dense. Au fort engagement opérationnel qui se traduira en fin d’année, en plus des effectifs engagés sur le territoire national, par la projection outre-mer de 36 000 hommes soit plus d’un tiers des effectifs de l’armée de terre, s’est ajoutée la création des bases de défense qui ont profondément bouleversé les habitudes de travail et souvent perturbé le fonctionnement courant des unités. Malgré ces difficultés dont certaines tendent aujourd’hui à s’aplanir, et la poursuite des restructurations, l’armée de terre a su remplir avec efficacité toutes les missions opérationnelles qui lui ont été assignées, sur le territoire national comme en opérations extérieures.
Pour l’armée de terre, 2012 devrait comporter deux orientations principales. Sur le plan organique, elle se présente comme la dernière étape importante de la transformation avec un effort en matière de réorganisation du soutien. Sur le plan opérationnel, elle pourrait être une année de transition caractérisée par le désengagement progressif de certains théâtres d’opérations.
Ces évolutions programmées auront un impact sur les ressources budgétaires, tous titres confondus, du budget opérationnel de programme de l’armée de terre (BOP terre), inscrites au PLF 2012, globalement en retrait de 789 millions d’euros par rapport à 2011 soit une réduction de 9 % justifiée principalement par des évolutions de périmètre. En effet on constate une baisse de 707 millions d’euros pour le titre 2 suite à une réduction de format de 16 193 postes, 20 % par suppressions de postes et 80 % par transferts. Transferts qui sont essentiellement effectués au bénéfice de l’organisation interarmées des soutiens. Par ailleurs 61 millions d’euros correspondent à des mesures de transfert, hors titre 2, vers d’autres BOP ou programmes au sein de la mission défense, traduisant ainsi le recentrage du BOP terre sur son cœur de métier.
Sur le périmètre du BOP terre, je souligne cependant la relative stabilité des crédits consacrés aux activités – aux alentours de 128 millions d’euros – et j’observe que, cette année encore, avec 608 millions d’euros, l’essentiel des crédits hors titre 2 sera consacré à l’entretien programmé des matériels, matériels dont les coûts de maintien en condition opérationnelle (MCO) sont, comme vous le savez, en augmentation régulière.
J’estime pourtant que les ressources strictement indispensables à la préparation des opérations et à la conduite de la réforme ont aujourd’hui atteint un niveau plancher qui peut menacer à court terme la préparation opérationnelle de nos forces. De même, malgré les efforts notables de cette législature pour préserver les budgets de défense, et bien que tout à fait conscient de la situation économique de notre pays, je reste préoccupé par les contraintes pesant sur le programme 146 portant sur l’équipement des forces et, comme les années précédentes, par les ressources attendues du programme 212 pour les infrastructures.
Je vous propose d’illustrer ce propos en abordant successivement, la préparation opérationnelle, les équipements, les ressources humaines, et enfin l’infrastructure.
Les opérations conduites cette année ont montré toute la pertinence de la préparation opérationnelle menée par l’armée de terre, notamment le principe de préparation opérationnelle différenciée instaurée par mon prédécesseur.
Étroitement lié à la politique d’emploi et de gestion des parcs (PEGP) des équipements majeurs qui lui est associée, ce principe de réalité a permis à l’armée de terre de préparer ses unités dans les meilleures conditions possibles pour les engagements planifiés, notamment les plus durs comme l’Afghanistan. Cette préparation s’est faite en s’appuyant sur les installations de ses centres de préparation des forces, qui sont tout à fait remarquables, tels que le CENTAC, le CENZUB, et les installations de Canjuers.
Parallèlement, l’armée de terre a révisé, début 2011, son cycle de préparation opérationnelle pour permettre une meilleure respiration personnelle et professionnelle essentielle pour certains domaines de spécialités sur-sollicités par les opérations en cours. Nous sommes donc passés à un fonctionnement à cinq temps répartis sur 24 mois. Ce nouveau cycle permet aujourd’hui d’accompagner les unités dont l’engagement est programmé, tout en laissant une part à l’engagement d’urgence et à la préparation des engagements futurs.
L’armée de terre a participé cette année à huit opérations dont trois majeures en Afghanistan, en République de Côte-d’Ivoire et en Libye. Sur ces trois théâtres, l’efficacité opérationnelle de nos unités a été reconnue, notamment par nos alliés. Nos hommes se sont acquittés de leur mission à la satisfaction générale. Ils ont fait preuve de courage et d’efficacité dans des conditions parfois très délicates. Ainsi, les pertes qui ont affecté notre contingent en Afghanistan cet été ne doivent pas masquer l’atteinte de nos objectifs tactiques qui ont permis l’implantation durable des forces de sécurité afghanes dans notre zone et le transfert progressif de responsabilité.
Ces engagements ont été l’occasion pour l’aviation légère de l’armée de terre de s’affirmer en tant qu’outil majeur du combat de contact, et j’insiste sur ce terme de contact qui exprime toute sa spécificité. L’arrivée de nouvelles machines telles que le Tigre, le Caracal et bientôt le NH90, ainsi que leur déploiement en opérations ont permis de faire entrer l’ALAT dans cette nouvelle dimension.
En Afghanistan, son action courageuse, en appui des troupes au sol est une réalité quotidienne et un réel soulagement pour les soldats au contact. Son emploi en Côte-d’Ivoire a également été capital. Enfin, dans l’ombre médiatique de l’aviation, elle a joué, en Libye, avec pour une part des hélicoptères de plus de 35 ans, un rôle tout aussi déterminant, contribuant, en toute discrétion, à plus de 40 % des dommages infligés à l’ennemi, soit près de 600 objectifs détruits au cours de près de quarante raids nocturnes à partir de la mer.
Au-delà de l’efficacité opérationnelle de cette composante de l’armée de terre, il est important de souligner l’efficience de ce moyen de combat dont les effets sur le terrain, à coût limité, sont remarquables et font l’admiration de nos alliés.
Je voudrais également faire un bref aparté sur l’engagement en Côte-d’Ivoire pour souligner combien cette opération illustre parfaitement la réussite de la professionnalisation et confirme l’homogénéité des régiments de l’armée de terre 15 ans après le début de ce processus. Les combats dans Abidjan qui ont permis la résolution d’une longue crise ont, de fait, été conduits par des unités issues de régiments professionnalisés depuis 1996. La même observation vaut pour l’Afghanistan.
En termes d’effectifs, avec actuellement 6 700 soldats en OPEX et 3 500 en mission de courte durée, l’armée de terre est capable d’honorer ses contrats opérationnels, sans difficulté ni impact sur son fonctionnement et, comme elle a pu le faire pour Harmattan, de répondre aux sollicitations nouvelles d’urgence. Les volumes projetés seront amenés à se réduire en 2012, notamment en Afghanistan. Le chef d’état-major des armées vous a d’ailleurs présenté les premières lignes de notre désengagement.
Cette diminution des volumes projetés outre-mer a deux conséquences qu’il me semble important de porter à votre attention.
La première est que l’allègement des opérations engendre mécaniquement une diminution du nombre de jours d’activité opérationnelle (JAO) sur les théâtres et une certaine perte de savoir-faire. Celle-ci devra être de facto compensée par un entraînement plus soutenu et donc par une augmentation des journées de préparation opérationnelles (JPO) conduites en métropole notamment.
Or, je constate que le budget 2012, à enveloppe globalement constante – autour de 128 millions d’euros – traduit parallèlement une diminution du nombre de jours de préparation et d’activités opérationnelles avec 111 jours en 2012 contre 120 jours en 2010, 116 jours en 2011, et nous craignons d’atteindre les 105 jours en 2013.
L’armée de terre s’éloigne ainsi de la cible des 120 JPAO qui est le niveau adéquat pour la préparation opérationnelle et qui faisait, jusqu’à présent, consensus.
En revanche, parce qu’il y va de la sécurité des vols, l’objectif de 180 heures de vol par an et par pilote sera maintenu dans l’ALAT, dont 20 heures de vol sur appareils de substitution et 20 heures par transformation de 60 heures de vols sur simulateurs en heures de vol réel. En cas de contraintes supplémentaires, il n’y aurait pas d’autre solution que la réduction du nombre de pilotes.
La deuxième conséquence concerne la PEGP qui, je le rappelle, répond comme la mise en condition opérationnelle différenciée, à un principe de réalité. Celle-ci devrait achever sa montée en puissance à l’été 2012 et fonctionner de manière nominale d’ici un à deux ans lorsque la mise en rotation des différents parcs sera rendue possible par un nombre suffisant de véhicules en parc de gestion. Autrement dit si nous procédons au rapatriement de matériel depuis les théâtres d’opération, ce matériel devra dans un premier temps être remis en état et ne sera donc pas instantanément disponible pour permettre l’instruction et l’entraînement de nos forces.
Cette question de l’entraînement est pour moi un sujet particulièrement préoccupant car elle a un impact direct sur l’intérêt, l’attractivité même du métier et partant de là, sur la fidélisation. J’y serai particulièrement vigilant et j’ai déjà demandé à l’état-major d’anticiper ce phénomène de retour en garnison qui semble très vraisemblable pour une partie des unités.
Pour le territoire national, il convient de rappeler que l’armée de terre représente quotidiennement avec 900 hommes, 90 % des effectifs de la mission Vigipirate mais qu’elle participe, aussi, à différentes missions dont l’opération Harpie en Guyane visant à lutter contre l’orpaillage illégal ou encore à l’opération « fourrage » qui l’a vue transporter, cet été, plus de 6 500 tonnes de fourrage. De même, elle entretient un régime d’alerte de ses unités qui doit lui permettre de répondre aux exigences du contrat de 10 000 hommes fixé par le Livre blanc en renfort du dispositif de sécurité publique et de sécurité civile. Mais il faut être clair : ce contrat n’aurait, à l’échelle de notre pays qu’un impact limité en cas de catastrophe majeure : l’armée de terre mettrait alors en œuvre tous ses moyens, hommes et matériels dont l’efficacité serait proportionnelle au volume engagé.
Elle peut également compter sur sa composante réserve. L’armée de terre a ainsi décidé depuis le 1er juillet de cette année de mettre en place un régime d’alerte qui doit lui permettre d’engager sous 48 heures, à raison d’une unité de marche par brigade, un total de 800 réservistes pour une durée de huit jours. C’est ce que nous appelons le « Guépard Réserve ». Effort qui peut apparaître modeste mais qui, au regard de la complexité du problème, constitue d’ores et déjà un résultat très satisfaisant.
J’aborde maintenant la question des équipements. Comme l’a souligné devant vous le chef d’état-major des armées il y a quelques jours, l’exécution de la loi de programmation militaire (LPM) est globalement conforme. Entrée dans le 3e cycle de régénération de ses équipements depuis la Seconde guerre mondiale, l’armée de terre poursuit à un bon rythme le renouvellement de l’équipement de ses forces, avec les livraisons de systèmes d’armes FELIN, 9 régiments équipés en fin d’année sur 20, les livraisons de VBCI, 5 régiments équipés sur 8, l’arrivée des PVP et des TIGRE, ainsi que le début des livraisons des NH90 – le premier appareil devant arriver pour le mois de décembre – et quatre autres devant suivre en 2012. La démarche consistant à engager sans attendre les équipements neufs sur les théâtres d’opérations s’est poursuivie en 2011, avec la projection sur les théâtres de missiles JAVELIN – complément du MILAN en attendant le MMP – du véhicule de détection de mines SOUVIM 2, ou encore du FELIN qui sera projeté avec le 1er régiment d’infanterie en décembre prochain. Cette démarche donne aujourd’hui pleinement satisfaction.
Pour les appuis, si j’exprime ma satisfaction de voir enfin commandés 13 lanceurs de roquettes unitaires (LRU), je note néanmoins que le respect du cadencement initial aurait permis, d’une part, de projeter ce système dès 2012 en Afghanistan et, d’autre part, de disposer pour nos unités d’une capacité unique de tir à longue portée (70 km) très précis, très rapide et apte par tous temps. Il s’agit là d’un facteur de supériorité opérationnelle évident.
Je relève qu’en dépit de ce processus de renouvellement qui mérite d’être souligné pour son impact immédiat sur notre capacité opérationnelle et le moral de nos soldats, l’armée de terre est toujours restée en deçà de la barre des 20 % des crédits consacrés à ses équipements majeurs sur la période 2005-2012. Je regrette comme l’avait fait mon prédécesseur, que l’armée de terre n’ait finalement pas pu bénéficier de « l’accent à porter sur la remise à niveau des moyens terrestres » prévu par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. La loi de programmation militaire en cours, sensée porter l’effort pour les forces terrestres, n’aura finalement fait qu’initier la modernisation de l’outil de combat aéroterrestre, sa portée initiale étant atténuée année après année par une version annuelle du référentiel (VAR). Dans le domaine de la recherche et du développement, je constate par ailleurs que le tissu industriel lié à la plupart des programmes de l’armée de terre comprend de nombreuses PME et TPE. Or, en raison de leur taille, celles-ci éprouvent malheureusement des difficultés à obtenir des crédits de recherche et développement pour des programmes, ce qui les affecte directement.
C’est pourquoi, il est important de souligner que l’effort devra être impérativement poursuivi lors de la prochaine LPM, en cohérence avec la cible capacitaire de l’armée de terre à l’horizon 2025-2030. D’autant que la contractualisation de nombreux matériels prévus en LPM 2013-2018 doit intervenir dès maintenant.
En effet, si nos livraisons sont satisfaisantes, nos prises de commandes de programmes majeurs sont faibles depuis 2010 et le resteront en 2012, à l’exception notable de la commande prévue de trente-quatre NH90 et du lancement de la réalisation du missile moyenne portée. La poursuite du rééquipement de l’armée de terre devra reprendre en 2013 avec le lancement de la réalisation du programme Scorpion qui permettra le renouvellement des blindés de la classe 20 tonnes, matériels constamment sollicités depuis 1991 en opérations extérieures et dont le remplacement est très attendu dans nos forces. Ainsi les VAB seront remplacés par les VBMR, les AMX 10RC et les ERC 90 Sagaie par l’EBRC.
Je voudrais m’attarder quelque peu sur ce programme Scorpion pour insister sur les notions de cohérence - cohérence capacitaire et cohérence d’ensemble - qui en sont l’essence même. Le programme est en effet marqué par le souci de rationalisation. Il vise ainsi à moderniser, dans le respect du principe de « juste suffisance » technologique, l’ensemble des systèmes d’armes et des outils de préparation opérationnelle nécessaires à un chef sur le terrain.
Outre les gains opérationnels significatifs attendus, notamment par l’interopérabilité des différents systèmes d’armes, il s’appuie d’emblée sur une mise en commun des équipements neufs à venir et de ceux qui seront rénovés et intègre une démarche de maîtrise de l’empreinte logistique et des coûts associés. Il est, en cela, réellement novateur et particulièrement efficient.
Dans l’immédiat, pour s’adapter au plus vite aux nouvelles menaces sur les théâtres d’opérations, les 116 opérations d’adaptation réactive lancées depuis 2008 pour un montant total de l’ordre de 330 millions d’euros continuent à produire les améliorations attendues dans les domaines de la protection, de la puissance de feu, de la lutte contre les engins explosifs improvisés (EEI), de l’observation de jour et de nuit, des télécommunications, des drones et de l’équipement individuel de nos combattants. Cet effort très important conduit à partir de 2008, a atteint ses objectifs en 2011 et, sauf surprise majeure sur un théâtre, devrait en conséquence s’atténuer fortement à présent et être remplacé par la logique exposée précédemment de renouvellement des plateformes principales et des véhicules dans le cadre du programme Scorpion.
Concernant la disponibilité technique opérationnelle de nos matériels, j’aimerais vous rappeler que le volume de nos parcs actuellement déployés en opérations reste important avec plus de 1 800 véhicules dont plus de 1 000 blindés. À ceux-ci s’ajoutent les équipements en transit et ceux en rénovation chez les industriels. Avec l’équivalent des équipements de deux de nos huit brigades interarmes en opérations, on observe un fort sous équipement en métropole mais également une accélération de l’usure des parcs.
Enfin, l’armée de terre s’efforcera de préserver la part du budget consacrée aux équipements d’accompagnement et de cohérence, à hauteur de 215 millions d’euros, et continuera de porter une attention soutenue à l’entretien programmé du personnel pour 137 millions d’euros. Les actions entreprises depuis cinq ans notamment dans le domaine de l’équipement individuel ont produit les effets attendus sur notre capacité opérationnelle, la protection et le moral de nos soldats. Cet effort ne devra pas se relâcher.
Les munitions connaissent aussi un coût de recomplètement croissant du fait de la mise en service d’une nouvelle génération. Le phénomène est actuellement accentué par une consommation élevée en OPEX. L’armée de terre pourrait ainsi rencontrer des difficultés pour constituer et renouveler ses stocks de rechanges et de munitions, notamment en cas de besoin urgent.
J’en viens à la manœuvre des ressources humaines. En 2012, avec un format en organisation de 105 795 postes, l’armée de terre passera sous le seuil symbolique des 100 000 militaires et des 10 000 civils. Je note que la population française n’a jamais été aussi importante et l’armée de terre aussi réduite depuis l’avènement de la République. Cela correspond à une réduction de format de 16 193 postes entre 2011 et 2012, répartis de la façon suivante : 11 399 militaires et 4 794 civils qui quittent l’armée de terre. 13 473 postes sont ainsi transférés hors du BOP terre et 2 720 postes se voient supprimés au titre de la déflation, dont 2 319 militaires.
En baisse de 707 millions d’euros pensions comprises, la masse salariale du BOP terre atteindra 6,2 milliards d’euros en 2012. En raison, notamment, de la réforme des retraites et de la crainte du chômage, facteurs qui ont engendré de moindres départs, le schéma d’emploi semble difficilement tenable en l’état. Seules des mesures d’accompagnement au départ pourraient soulager cette masse salariale très contrainte en permettant le départ du personnel le plus ancien.
Dans ce contexte, la première de mes préoccupations demeure la stabilisation du turn-over de notre ressource humaine qui est encore trop fort tant en termes de recrutement que de formation.
En 2011, nous aurons ainsi procédé à 13 250 recrutements externes, 431 officiers, 734 sous-officiers et 12 085 militaires du rang dont 1 000 pour, entre autres, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et les unités de la protection civile. C’est encore trop élevé, notamment pour la population des militaires du rang.
Néanmoins, 2011 a vu poindre les premiers progrès en matière de fidélisation. L’effet retraite, en retardant les départs, a sans doute joué un rôle notable. Les mesures prises au cours de l’année 2010-2011 commencent également à porter leurs fruits.
Ainsi la montée en puissance des 12 Centres de Formation initiale militaire (CFIM) créés depuis l’été 2010 a permis d’obtenir des résultats encourageants dans le domaine de l’attrition, tout en garantissant l’orthodoxie de l’instruction et de l’éducation dispensées à nos jeunes soldats par des cadres mieux sélectionnés et mieux formés. Le taux d’attrition pendant les quatre premiers mois d’incorporation est descendu à un niveau situé entre 6 % et 14 % suivant les centres, ce qui est très positif. Il reste à confirmer lors des mois suivants en régiment.
De même, le taux de renouvellement du premier contrat progresse mais reste encore un peu en dessous des objectifs. En effet nous nous situons à présent à 36 %, la cible étant de l’ordre de 40 %.
Je compte donc m’inscrire dans la continuité de mon prédécesseur et rendre de la perspective professionnelle à nos engagés volontaires de l’armée de terre (EVAT) en valorisant leurs parcours professionnels, veiller à ce que l’armée de terre demeure l’escalier social qu’elle a toujours été avec 70 % des recrutements de ses sous-officiers réalisés parmi les militaires du rang dès 2012 - contre 50 % en 2009 - et 70 % des recrutements de ses officiers de carrière du corps des officiers des armes réalisés à partir de la ressource interne. Nous voulons limiter le recrutement direct à nos seuls besoins complémentaires. Enfin nous souhaitons poursuivre la mise en œuvre du brevet de technicien supérieur rénové qui donne une part plus importante aux acquis de l’expérience.
Ma seconde préoccupation dans le domaine des ressources humaines découle de la difficulté qu’il y a à concilier la déflation du personnel de carrière - qui représente 80 % des officiers et 50 % des sous-officiers - avec le recul des limites d’âge de deux ans. Sous réserve de ne pas accroître l’effort de déflation, ce problème restera gérable pour les sous-officiers mais il sera d’une extrême complexité pour les officiers supérieurs. Sans mesure d’accompagnement au départ digne de ce nom, il sera difficile de maintenir une pyramide fonctionnelle jeune, adaptée aux engagements les plus durs, ainsi que la motivation de cette population.
Enfin, en 2012, l’armée de terre remettra à plat le fonctionnement de ses réserves qui ne me donne pas aujourd’hui pleinement satisfaction. Expression visible du lien armées-Nation, ces dernières méritent une attention particulière et leur budget ne peut plus servir, en gestion, de variable d’ajustement. Il en va de leur fidélité et de l’attractivité de cette capacité. En 2011, avec un budget de 41 millions d’euros et des à-coups préjudiciables à un fonctionnement harmonieux, l’armée de terre a néanmoins été en mesure de proposer à ses 17 864 réservistes, 24 jours d’activité en moyenne. De plus, depuis le début de l’année, 306 d’entre eux ont participé à une mission hors métropole et 1 731 ont été engagés au sein de la mission Vigipirate.
Je voudrais terminer en abordant la question de l’infrastructure. Dans ce domaine, l’armée de terre aura bénéficié en 2011 d’un niveau de ressources de 452 millions d’euros pour réaliser d’une part, les opérations conduites au titre de la réorganisation et d’autre part, celles correspondant à l’investissement « classique », c’est-à-dire l’infrastructure destinée à la préparation opérationnelle des forces et aux conditions de vie et de travail du personnel, notamment pour les militaires du rang. Si ces niveaux de programmation paraissent acceptables puisqu’ils dépassent les niveaux de ressources habituellement consentis à l’armée de terre, ils intègrent en réalité pour moitié des coûts liés aux restructurations. Par ailleurs, comme en 2010 où seulement 75 % de nos crédits dédiés aux opérations « hors restructuration » ont été engagés, il est à craindre qu’il en soit de même en 2011, le taux d’engagement de ces opérations s’élevant fin septembre à 55 %.
Pour 2012, les prévisions de l’armée de terre, validées par l’EMA, sont évaluées à 350 millions d’euros, dont 91 millions d’euros au titre de la réorganisation. En dépit d’une priorisation des besoins, les ressources accordées à l’armée de terre en 2012 ne permettront pas de rattraper les retards accumulés sur la période 2009-2011. Ils se traduisent mécaniquement par un report des opérations destinées au plan d’hébergement VIVIEN, à la préparation opérationnelle des forces et au maintien en condition de l’infrastructure, avec des conséquences à craindre sur l’entraînement, les conditions de vie et de travail ainsi que sur le moral du personnel.
En 2011, l’armée de terre a continué de s’acquitter de toutes ses missions opérationnelles, notamment sur le territoire national et poursuivi une réorganisation structurelle et fonctionnelle d’une ampleur exceptionnelle. Je rappelle que les bases de défense (BdD) impactent en tout premier lieu le principe multiséculaire du régiment, qui était l’assise même de notre armée de terre. Cette fin d’année s’achève dans des conditions parfois difficiles en raison des difficultés inhérentes à la montée en puissance des bases de défense mais également de leurs budgets de fonctionnement taillés au plus juste. Cette situation a des conséquences sur la vie courante des régiments. Mais ceci relève plutôt d’un problème de jeunesse de cette nouvelle organisation que de financement.
2012 constituera, dans l’immédiat, la dernière année de restructurations et de transferts majeurs mais la réorganisation n’en sera pas terminée pour autant. Alors que l’armée de terre aura achevé ses restructurations, il lui restera encore à réorganiser 5 566 postes sur la période 2013-2015. Cette cible sera particulièrement douloureuse voire difficile à atteindre. Enfin, la réorganisation sera achevée lorsque la déflation des postes transférés hors du BOP terre aura été réalisée.
Dans l’environnement actuel, résilience et surprise stratégique restent au cœur des préoccupations de la défense. Pour que les capacités d’une armée de terre aux effectifs resserrés par la réforme puissent couvrir tous les scénarios prévus, en faisant preuve de réactivité et de modularité, il apparaît plus que jamais essentiel, que les savoir-faire de combat soient entretenus au moyen d’une préparation opérationnelle exigeante et polyvalente, à la hauteur des matériels de dernière génération aujourd’hui en service et des ambitions de notre pays. Or, l’inquiétude de ne pouvoir maintenir le niveau seuil de préparation opérationnelle de l’armée de terre est réelle.
Je vous remercie du soutien que vous nous apportez.
M. le président Guy Teissier. J’aurai pour ma part une question très courte : vous avez souligné dans votre intervention qu’à l’heure actuelle, 9 régiments sur 20 étaient équipés du système FELIN. Je ne reviens pas sur le débat qui s’est tenu ici sur sa qualité ou son caractère prioritaire : il est aujourd’hui clos, mais je souhaiterais savoir quel est le retour d’expérience fait sur cet équipement.
M. le général Bertrand Ract-Madoux. Nous n’avons pas encore d’expérience opérationnelle, puisque la première unité équipée part en opération à la fin de cette année. Mais c’est un programme désormais bien connu, et dont la valeur opérationnelle est évidente en termes de protection et d’efficacité de communication et donc de coordination. Désormais les manœuvres se font dans un silence quasi-complet, car tout se transmet par vibration, ce qui assure une discrétion particulièrement appréciable dans les manœuvres en zones habitées par exemple. Le programme permet aussi une précision de tir exceptionnelle, en particulier de nuit : un tireur moyen atteint sa cible à 90 %. Des efforts d’ergonomie ont été engagés, même si la difficulté de la masse de l’équipement demeure. Mais un programme de musculation adéquat a été conçu pour pallier ce problème.
M. Jean-Louis Bernard. Vous avez mentionné le rôle de l’ALAT en Libye qui a été quelque peu occulté. Ma première question portera donc sur la complémentarité avec l’armée de l’air, les cibles qui vous ont été assignées, votre taux de réussite ou d’échec, et enfin les enseignements qu’il convient de tirer de cette opération. Ma seconde question concerne le LRU, dont les délais de livraison me font m’interroger sur l’activité du 1er régiment d’artillerie de Belfort dans l’attente de l’arrivée de ce système d’arme.
Mme Françoise Hostalier. Je voudrais tout d’abord vous remercier pour votre présentation claire et franche, mais néanmoins un peu inquiétante. J’espère qu’il y aura une unanimité sur tous les rangs de l’Assemblée pour soutenir votre budget. Vous avez attiré notre attention sur un risque de déséquilibre dans le maintien de la capacité de nos forces : un tiers des effectifs, 36 000 hommes, participeront à une mission hors de métropole, ce qui veut dire que certains régiments risquent d’avoir l’impression d’être laissés pour compte, notamment pour les entraînements et le maintien en condition opérationnel. Je voudrais d’ailleurs plus particulièrement vous interroger sur les équipages des chars Leclerc.
M. le général Bertrand Ract-Madoux. L’armée de terre est volontairement restée discrète sur l’action des hélicoptères pendant que se déroulait l’opération Harmattan : il n’est en effet pas d’usage de dévoiler les modes d’action utilisés alors même que l’opération est en cours. Aujourd’hui il est possible de faire une première analyse. La complémentarité entres les différentes armées a été parfaitement adaptée à la situation : lorsque l’arme aérienne a atteint l’ensemble des cibles atteignables, l’adversaire se dispersant, la décision d’employer les hélicoptères de l’armée de terre a été prise. Je salue le courage et l’efficacité des équipages, qui nuit après nuit, ont décollé du BPC et accompli leurs missions.
Au cours d’une quarantaine de raids, représentant 4 000 heures de vol, près de 600 cibles ont été détruites, soit près de 45 % de toutes celles détruites par les moyens français.
Je tiens à vous signaler que l’armée de terre devrait être remboursée à hauteur de dix-huit millions d’euros, soit 5 % du surcoût de l’opération, ce qui donne un bon ratio par rapport aux cibles détruites.
Je voudrais néanmoins insister sur la parfaite complémentarité avec l’armée de l’air et l’aéronavale. Nos hélicoptères agissent près du sol, en coordination avec les troupes au sol. Leur engagement a exactement correspondu avec la reprise des mouvements des forces terrestres du CNT, qui étaient jusque-là bloquées par les blindés et les moyens d’artillerie de l’adversaire, et donc dans l’incapacité de progresser.
Je tiens tout d’abord à vous rassurer sur le LRU. S’agissant du 1er régiment d’artillerie, il est équipé de mortiers de 120 mm, un très bel outil que l’on nous envie et que l’on nous achète. Le 1er RA est donc très sollicité en OPEX et en mission de courte durée. Ce régiment recevra les munitions du LRU courant 2013, son premier lanceur fin 2013, et le premier module opérationnel de quatre lanceurs en 2014. Mais il s’entraîne d’ores et déjà avec les lances roquettes multiples (LRM) et les munitions d’exercice.
Mon but n’était pas de vous inquiéter, je voulais simplement vous signifier que depuis des années, le budget de l’armée de terre est fortement contraint. Plus l’on resserre l’armée de terre sur son cœur de métier, plus les efforts qui lui seront demandés – en effectifs et en budget – toucheront directement la préparation opérationnelle. Je nuancerai toutefois mon propos en rappelant que nous sommes passés d’une logique d’armées juxtaposées à une logique de partenariat interarmées ; ce qui facilite les choses.
Quant aux régiments qui donneraient l’impression d’être oubliés, en particulier ceux équipés du char Leclerc, je dois vous dire que parmi les trois régiments que j’ai d’ores et déjà visités, l’un (le 501e RCC) était un régiment de chars Leclerc. J’y ai croisé des équipages extrêmement motivés, notamment parce que la maîtrise de l’entretien programmé des chars est désormais assurée, et aussi parce qu’ils sont sollicités par des projections avec matériels de substitution. Je peux aussi ici citer le 12e régiment de cuirassiers d’Olivet, qui a joué un rôle majeur dans la résolution de la crise ivoirienne. Je serai néanmoins particulièrement vigilant pour m’assurer que toutes les composantes de l’armée de terre soient également sollicitées en opération.
M. Yves Fromion. Le ministre de la défense a pris l’engagement de faire réaliser sur l’emprise de l’hôpital Percy un immeuble destiné à permettre à la cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre (CABAT) d’accueillir les familles des très grands blessés. Où en est-on ?
M. Bernard Cazeneuve. Vous avez évoqué la création des bases de défense et les difficultés d’organisation qu’elles impliquent pour l’armée de terre. Quel est le niveau d’économies engendrées ? Disposez-vous d’un document de comptabilité analytique ?
M. le général Bertrand Ract-Madoux. C’est pour moi une grande fierté de voir les efforts que fait notre pays au profit des blessés et des familles de soldats tués en opération. La mobilisation a pris de l’ampleur au fil des années, elle est véritablement admirable. Je l’ai constaté quelques jours à peine après ma prise de fonctions lorsque j’ai accueilli douze blessés rapatriés dans le cadre de l’opération Morphée.
Les familles sont soutenues et accueillies, et la cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre (CABAT) fait un travail remarquable. Le projet est lancé, mais d’ores et déjà les familles sont logées en région parisienne aux frais des armées. Beaucoup de blessés, une fois soignés, retournent dans leur unité, dans leur régiment. Ceux qui conservent des séquelles sont alors employés dans d’autres fonctions.
Il faut rappeler que la mise en place des bases de défense date du début de cette année. Un tel changement majeur ne peut pas aller sans difficultés d’organisation ici ou là. Le chiffrage des économies ne peut être instantané, et ce d’autant plus que les restructurations se traduisent généralement par des dépenses initiales d’ajustement. La fin de l’année est un peu difficile dans certains régiments, les chefs de base ayant pu prendre des mesures contraignantes pour être certains de tenir leur budget. Un gain de 3 200 postes est attendu pour l’armée de terre sur la période 2012-2015. Ce gain résulte de suppressions de postes lors de la création des bases de défense et de postes qui seront supprimés parmi les15 200 postes terre transférés à l’organisation interarmées du soutien.
M. Alain Marty. Je suis maire de la ville de Sarrebourg, ville où se trouve le premier régiment d’infanterie, qui vient de recevoir le système FELIN. J’ai constaté que les militaires étaient fiers de disposer de ce nouvel équipement.
Le transfert à l’armée nationale afghane (ANA) de certains secteurs où les Français sont actuellement implantés ne sera-t-il pas limité par le manque de moyens, notamment aériens, de l’armée nationale afghane ? Comment va-t-on soutenir cette armée ?
M. Damien Meslot. Vous nous avez fait part de vos inquiétudes sur la réduction du format des armées. Or, certaines informations nous sont parvenues, selon lesquelles la France souffrirait de ruptures capacitaires. Par ailleurs, des commandants de régiments m’ont fait part des difficultés dues aux rythmes élevés imposés par les déploiements en opération.
M. le général Bertrand Ract-Madoux. Le premier régiment d’infanterie de Sarrebourg est un très beau régiment, et j’ai vu comme vous qu’ils étaient fiers de disposer d’équipements FELIN. Je suis très confiant quant à la réussite de leur mission en Afghanistan. Tous sont néanmoins conscients s’agissant de la capacité de FELIN, qu’ils doivent pouvoir s’affranchir de la technique si elle devenait une gêne dans les opérations ; l’équipement FELIN peut en effet tout à fait fonctionner en mode dégradé.
Je tiens à souligner que les effectifs de l’armée nationale afghane ont fortement augmenté. Dans le secteur français, ils sont passés de 500 hommes à 3 000 en trois ans. Il est donc normal que la responsabilité des opérations lui soit transférée dans certaines zones. C’est dans les domaines de l’appui et de l’aide au renseignement que la France maintiendra le plus longtemps son aide.
Sur la question du format de l’armée de terre, je prends mes responsabilités alors qu’est mise en œuvre une réforme qui – m’a-t-on dit – a recueilli un consensus. Ce qui m’inquiète, c’est une éventuelle remise en cause de ce consensus et du modèle d’armée associé.
Concernant le rythme d’activités et d’engagement, il est de fait que certaines unités étaient sous-employées et d’autres sur-employées. La mise en place du rythme à cinq temps par le général Irastorza, en lieu et place du rythme à quatre temps, a déjà permis d’améliorer la situation.
M. Christophe Guilloteau. 75 soldats français ont été tués en Afghanistan et le président de la République a annoncé le retrait des troupes françaises. Le premier départ de troupes, qui concerne 200 légionnaires, a eu lieu aujourd’hui. Les départs devraient concerner à nouveau 200 personnels d’ici décembre. On devrait en compter 600 en 2012. Connaissez-vous aujourd’hui les régiments concernés ? Et est-ce que tout le matériel reviendra avec nos soldats ?
M. Philippe Folliot. Je souhaite insister sur la problématique spécifique des parachutistes et sur les risques de ruptures capacitaires, liés notamment aux lenteurs qui affectent le programme A400M. Ne craignez-vous pas une perte de savoir-faire, notamment en terme de largage en haute altitude ?
M. le général Bertrand Ract-Madoux. Le retrait d’Afghanistan qui a eu lieu aujourd’hui touche la compagnie de réaction rapide, issue du 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi. 200 autres militaires quitteront l’Afghanistan à la fin 2011. Pour les retraits programmés en 2012, le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) attend de connaître avec certitude l’évolution de la situation sur le terrain avant d’arrêter son choix.
Je tiens à souligner que je suis très fier du travail des parachutistes. Il y a des retards pour le Transall, le C130 et l’A400M, mais heureusement nous avons pu avoir recours au Casa. Il se peut qu’un jour, nous soyons amenés à spécialiser davantage un certain noyau de la brigade parachutiste pour faire un effort en terme de technicité.
M. Jacques Lamblin. Vous avez évoqué un plancher atteint pour les effectifs, le niveau d’activité ou encore le fonctionnement : vous n’avez pas parlé des transmissions. Qu’en est-il ?
M. Nicolas Dhuicq. Certains militaires de l’armée de terre participent au plan Vigipirate mais ces hommes ne se sont pas engagés pour faire le travail des gendarmes ou des policiers. Quel est l’impact sur le moral des troupes de leur participation ?
Par ailleurs, avez-vous développé une réflexion sur l’emploi de l’arme blindée cavalerie dans les futurs conflits en zone urbaine, qui pourraient potentiellement avoir lieu sur le territoire national ?
M. le général Bertrand Ract-Madoux. Pour l’armée de terre, la conduite des opérations se fait systématiquement dans un cadre interarmes même si de ce point de vue, la situation en Afghanistan est moins représentative. En zone urbaine, les blindés apportent une réelle plus-value. Ils y sont, par ailleurs, moins vulnérables aux frappes aériennes comme on a pu le constater en Libye dernièrement mais également au Kosovo. Ils disposent d’une vraie capacité de résilience. Quand on examine la manière par laquelle de grandes capitales ont été conquises par le passé, on constate que ce sont des groupements mêlant infanterie et blindés qui les ont libérées. D’ailleurs au centre d’instruction en zone urbaine (CENZUB), nous nous entraînons dans cet esprit interarmes.
Rassurez-vous, je ne pense pas que nous ayons à faire usage des blindés sur le territoire national dans un proche ou moyen terme, où nous effectuons bien volontiers des missions de sécurité et des missions de soutien aux services dédiés, notamment lorsqu’ils sont dépassés par l’ampleur d’un événement.
Les capacités des transmissions ont été récemment très sollicitées et nous avons connu de fortes tensions en termes d’emplois. Les besoins en moyens de transmissions de l’armée de terre sont couverts par l’opération du SI terre qui consiste à continuer la numérisation de l’armée de Terre, en attendant les nouveaux systèmes prévus dans le cadre des programmes SCORPION ou SIA. Tous les matériels de cette opération transitoire seront livrés en 2011 et 2016.
L’arme des transmissions a été touchée comme le reste de l’armée de terre par les restructurations. Une grande partie de ses compétences et de ses missions dans le domaine des « transmissions d’infrastructure » a été transférée à la DIRISI (c’est notamment le cas du centre de télécommunication et informatique de Nancy). En ce qui concerne les transmissions tactiques, la brigade de transmissions et d’appui au commandement (BTAC) a été restructurée en cinq régiments dont le 53e RT.
Mme Patricia Adam. Quels étaient les crédits de paiements prévus pour l’armée de terre par la LPM pour les années 2009 à 2014 et combien ont été effectivement consommés ?
M. Pierre Forgues. Vous nous avez dit tout à l’heure, mon général, que plus les soldats français allaient rentrer d’Afghanistan, plus vous allez devoir consacrer de temps à la préparation opérationnelle. J’avoue ne pas bien comprendre, d’autant plus que vous avez expliqué que ces soldats suivaient des cycles de préparation importants avant de partir en mission.
M. le général Bertrand Ract-Madoux. On dit généralement que les soldats en opération sont surentraînés mais pas assez instruits. C’est précisément ce décalage que nous nous efforçons de combler à leur retour.
Il s’agira d’un effort important dans le cas du retour d’Afghanistan. Or comme les crédits qui y sont dédiés n’augmentent pas, nous allons devoir nous organiser. J’ai évoqué tout à l’heure l’école d’état-major de Compiègne : tous les ans, nous sommes obligés de supprimer des jours de stage pour raisons budgétaires.
M. Daniel Boisserie. Les mois qui viennent vont être l’occasion pour les politiques de débattre de l’avenir de notre défense. Afin de nous éclairer un peu, pourriez-vous nous dire quelle serait l’ampleur de l’effort budgétaire à faire pour avoir une défense à un niveau optimal ? Quelle serait la bonne répartition entre les différentes armées et, à l’intérieur de celles-ci, entre les différents équipements ?
Mme Michèle Alliot-Marie. J’aimerais que vous évoquiez les écoles de formation et les services de reclassement chargés de trouver des débouchés à nos militaires : est-ce que les offres faites par les entreprises augmentent ? Par ailleurs, existe-t-il auprès de vous une organisation particulière chargée du contact avec elles ?
M. le général Bertrand Ract-Madoux. Le Livre blanc a souligné la nécessité d’effectuer un effort particulier en direction des forces terrestres. Force est de constater que, quatre ans après, cet effort a été lissé. L’équipement de l’armée de terre ne représente que 20 % de l’effort total des armées, alors qu’elle représente 50 % des effectifs et 80 % du personnel déployé en opérations extérieures. Si cette tendance se confirme, cela pourrait signifier que la France renonce à une partie de son ambition pour l’armée de terre. Il faut donc que son budget conserve la place qui lui revient raisonnablement.
D’importants choix devront être faits en 2012-2013 pour les équipements. Nos blindés de 20 tonnes, qui sont utilisés quotidiennement en opérations, devront par exemple être remplacés.
On constate avec la programmation budgétaire triennale (PBT) une encoche de 3,6 milliards d’euros de crédits budgétaires sur la mission défense compensée en partie par le décalage et la réévaluation des recettes exceptionnelles à hauteur de 2,3 milliards d’euros : il faudrait donc rattraper ce retard pour revenir sur la trajectoire au-delà de 2013 !
Pour répondre à Mme Alliot-Marie, je dirais que nous avons le souci constant d’accompagner nos camarades qui rejoignent le monde civil. Le processus de reconversion est aujourd’hui largement interarmées – et m’échappe donc un peu – et je crois que nous faisons le maximum. Nous travaillons au quotidien pour que ceux qui rejoignent le monde civil le fassent dans les meilleures conditions.
Le niveau de recrutement dans les écoles de formation initiale n’a cessé d’augmenter. Vers 30-35 ans, nos officiers reçoivent une formation complémentaire, indispensable pour qu’ils acquièrent les compétences nécessaires à l’exercice de responsabilités en état-major national, mais aussi international – nous avons actuellement 250 officiers à l’OTAN. À l’école de formation de Fontenay-le-Comte, les effectifs formés restent cependant limités.
M. Jean-Pierre Soisson. À combien s’élèvent-ils ?
M. le général Bertrand Ract-Madoux. Sans doute de l’ordre de 200-300 par an, ce qui ne permet naturellement pas de répondre aux 16 000 départs annuels.
Je voudrais ajouter que l’image de l’armée de terre auprès de la population s’est considérablement améliorée depuis la fin de la conscription et qu’elle est désormais équivalente à celle de la marine et de l’armée de l’air.
M. le président Guy Teissier. J’observe que les efforts faits pour la reconversion sont indispensables. Il faut préserver ce savoir-faire, ce « savoir-être » de nos soldats et je crois que les entreprises leur font plutôt bon accueil. L’armée de terre a, je pense, un peu de retard par rapport à la marine dans ses relations avec le monde de l’entreprise.
M. le général Bertrand Ract-Madoux. Je répondrai juste que la marine a un réseau d’entreprises que nous lui envions et qu’elle dispose d’effectifs plus réduits et plus qualifiés. Je pense que, dans ce domaine, l’interarmisation va vraiment dans le bon sens.
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La séance est levée à onze heures quarante.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Patricia Adam, Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Patrick Beaudouin, M. Jean-Louis Bernard, M. Daniel Boisserie, Mme Françoise Briand, M. Pascal Brindeau, M. Dominique Caillaud, M. Patrice Calméjane, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy Chambefort, M. Gérard Charasse, M. François Cornut-Gentille, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Nicolas Dhuicq, M. Jean-Pierre Dupont, M. Laurent Fabius, M. Philippe Folliot, M. Pierre Forgues, M. Yves Fromion, M. Guillaume Garot, M. Christophe Guilloteau, Mme Françoise Hostalier, M. Marc Joulaud, M. Jacques Lamblin, M. Jack Lang, Mme Marylise Lebranchu, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Christian Ménard, M. Damien Meslot, M. Jean Michel, M. Georges Mothron, M. Étienne Mourrut, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. Michel Sainte-Marie, M. Jean-Pierre Soisson, M. Michel Sordi, M. Guy Teissier, M. Yves Vandewalle, M. Jean-Claude Viollet, M. André Wojciechowski.
Excusés. – M. André Gerin, M. Franck Gilard, Mme Marguerite Lamour, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Daniel Mach, M. Franck Marlin, M. Bruno Sandras, M. Michel Voisin.
Assistait également à la réunion. – M. Philippe Vitel.