Accueil > Contrôle, évaluation, information > Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Comité d’évaluation et de contrôle, des politiques publiques

Mardi 18 mai 2010

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Bernard Accoyer, Président

– Évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement : examen du projet de rapport d’étape

– Date de la prochaine réunion

Hôtel de Lassay

Évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement : examen du projet de rapport d’étape

M. le Président Bernard Accoyer. Nous examinons aujourd’hui les premières conclusions de nos rapporteurs sur l’évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement, qui vous ont été transmises il y a près d’une semaine.

Je rappelle que le Comité a désigné deux co-rapporteurs : M. Alain Gest pour la majorité et M. Philippe Tourtelier pour l’opposition. Pour sa part, la commission des Affaires économiques a désigné M. Michel Lejeune et M. Jean-Yves Le Déaut pour participer aux travaux.

Avant de donner la parole aux rapporteurs, je souhaite rappeler ce que M. Claude Goasguen vous a indiqué lors de la précédente réunion du Comité : compte tenu de la complexité et de la sensibilité du sujet abordé, nous avons souhaité, en accord avec les deux rapporteurs, que ce texte ne soit pas un rapport conclusif mais un document d’étape propre à servir de base de travail à un séminaire parlementaire qui se tiendra le mardi 1er juin. À ce séminaire seront naturellement conviés tous les députés, qui auront reçu le document de travail, ainsi que la presse. Nous souhaitons que ce séminaire soit l’occasion d’échanges fructueux entre parlementaires, associations représentatives et spécialistes, sur la base de ce document d’étape. Je proposerai également, si vous en êtes d’accord, l’inscription de ce sujet à l’ordre du jour de la semaine de contrôle du 21 juin.

Le rapport d’étape, dont nous débattons aujourd’hui, constituera bien sûr un élément important du rapport final, qui pourrait être lui-même suivi d’une initiative parlementaire destinée à compléter ce qui figure dans la Constitution.

Nous n’aboutirons cependant à des résultats satisfaisants que si nos collègues participent nombreux à ce débat d’une importance particulière. L’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) et son président Claude Birraux ont déjà beaucoup travaillé sur l’application du principe de précaution; je ne doute pas qu’il souhaitera contribuer à ce séminaire parlementaire.

M. Claude Birraux, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. J’y participerai volontiers, autant que je le pourrai. Néanmoins, je dois indiquer que l’OPECST, dans le cadre du partenariat entre le Parlement et l’Académie des sciences, a prévu de longue date de recevoir ce jour-là des académiciens au Sénat. Je suggère par ailleurs d’inviter au séminaire les personnalités de grande qualité auditionnées par l’Office à ce sujet, et notamment la juriste qui avait souligné devant nous que la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes distingue soigneusement ce qui relève vraiment du principe de précaution et ce qui s’apparente davantage à « l’ouverture du parapluie ».

M. Alain Gest, co-rapporteur. Si la démarche globale que nous avons adoptée marque peut-être une première au plan parlementaire, la méthodologie que nous avons suivie en tant que rapporteurs n’est pas, pour sa part, d’une grande inventivité : nous avons procédé à des auditions, tenu compte de la jurisprudence française et du contexte communautaire et international, et utilisé les contributions écrites de plusieurs spécialistes. Le rapport que nous vous présentons rappelle la prise en compte progressive du principe de précaution aux niveaux international et communautaire ; il décrit l’évolution intervenue en France jusqu’à l’adoption de la Charte de l’environnement et la constitutionnalisation du principe de précaution ; il en recense les applications à ce jour et dit les inquiétudes que ces applications suscitent parfois.

Comme l’a indiqué le Président Bernard Accoyer, il s’agit à ce stade d’un rapport d’étape, qui reflète un positionnement consensuel et transcrit ce qui nous a été dit. Ainsi, au cours des auditions, personne n’a suggéré la remise en cause du principe de précaution. Considérant la complexité des questions abordées, nous avons estimé, en accord avec notre Président, qu’il serait intéressant d’élargir le débat parlementaire avant de décider quelle suite donner à nos travaux. C’est pourquoi notre rapport ne se termine pas sur des conclusions mais sur des questions concernant tant la détermination du principe de précaution lui-même que sa mise en œuvre. Nous avons aussi répertorié les observations – parfois contradictoires – des personnalités entendues. Certaines interrogations devront recevoir des réponses de nos collègues avant que le Comité envisage la suite à donner au rapport.

M. Philippe Tourtelier, co-rapporteur. Dans ce rapport d’étape, nous rappelons pour commencer que la notion de « principe de précaution » est née en Allemagne dans les années 1960. Elle s’appliquait à l’origine uniquement à l’environnement. Certains trouvent sa véritable source dans l’ouvrage publié en 1979 par Hans Jonas, Le principe responsabilité, qui défend la thèse que la puissance technique est désormais telle que si l’on n’agit pas avec prudence, l’homme risque de détruire la nature, au détriment des générations futures.

Puis l’idée s’est diffusée progressivement au cours des années 1980, dans le droit international, que les États devaient s’imposer une exigence de précaution – on le voit notamment dans les traités de protection de la Mer du Nord. En matière d’environnement, il convient d’agir prudemment sans attendre que les dangers soient identifiés de manière indubitable. Pour autant, le principe de précaution tel qu’énoncé dans la déclaration de Rio, en juin 1992, dans la Convention sur la diversité biologique ou encore dans la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques demeure à l’état déclaratif, sans que l’on aboutisse à un principe juridiquement établi en droit international.

En revanche, la Communauté européenne, par le traité de Maastricht, a érigé en 1993 le principe de précaution en norme juridique générale et opposable. La jurisprudence communautaire a ensuite dégagé un principe général du droit, applicable à toutes les politiques publiques ayant pour objectifs l’environnement, la protection des consommateurs ou la santé. Elle a aussi précisé le rôle des institutions, la place des experts scientifiques et des acteurs économiques, la démarche à suivre pour mettre en œuvre le principe. Les institutions communautaires se sont ensuite saisies de cette question. Cette évolution a conduit, en février 2000, à une communication de la Commission européenne relative au principe de précaution, qui a en partie inspiré une résolution du Conseil européen de Nice, en décembre de la même année.

Face à ce double mouvement – déclarations d’intention internationales, approche juridique plus ferme en Europe –, la France ne pouvait rester sans réagir, tant pour tenir les engagements pris que parce que certaines décisions européennes étaient directement applicables en droit français.

En matière sanitaire, la jurisprudence française relative à la précaution est assez modeste. En revanche, la « loi Barnier » de 1995 a inséré dans notre législation une première définition du principe de précaution. Il s’agissait à la fois d’inscrire dans la loi l’engagement de la France, et d’encadrer juridiquement le principe sur le plan national. L’adoption, dix ans plus tard, de l’article 5 de la Charte de l’environnement s’explique par les mêmes raisons. Au cours de l’examen de la loi Barnier, un débat avait eu lieu sur la notion de « coût économiquement acceptable » des mesures de précaution, et cela a été finalement introduit dans le texte. Néanmoins, ces termes n’ont pas été repris dans la Charte de l’environnement.

L’article 5 de la Charte, constitutionnalisé, est désormais un dispositif juridique à part entière, même si la jurisprudence est encore très modeste. Le Conseil constitutionnel et les juges administratif et judiciaire reconnaissent que l’article 5 « oblige » les autorités publiques, mais la réponse à la question de savoir en quoi consistent ces obligations demeure floue.

Au-delà de ces considérations juridiques, l’article 5 de la Charte a-t-il modifié le comportement des chercheurs et des acteurs économiques ? Observons d’abord que, même s’il n’avait pas été adopté, une évolution « extérieure » aurait eu lieu, du fait de la pression internationale. Selon les chercheurs, l’impact global de l’article 5 sur leurs travaux est faible, exception faite de la recherche sur les OGM et sur les biotechnologies, qui n’existe pratiquement plus en France. À l’inverse, disent certains, le contexte international et communautaire a donné un coup de fouet à certaines recherches – les industriels, par exemple, savent qu’il leur faudra répondre aux interrogations sur les nanotechnologies. Par ailleurs, les chercheurs reconnaissent que les débats sur cette question les ont conduits à s’interroger sur le sens et la portée de leurs activités et à créer des comités d’éthique au sein de leurs organismes respectifs. Mais l’inquiétude affleure qu’à l’avenir, l’objet de leurs recherches puisse connaître le même sort que celui qui a été réservé aux recherches sur les OGM.

De même, les entreprises ont admis que, pour une question d’image et de responsabilité, elles devaient intégrer le principe de précaution et la notion de risque, même potentiel, dans le processus d’élaboration des produits mis sur le marché. Cela allonge les procédures et cela a un coût, mais les entreprises en tiennent compte. En revanche, elles s’inquiètent à l’idée d’un usage éventuellement inapproprié du principe de précaution – forme moderne de l’épée de Damoclès. Plus spécifiquement, elles redoutent que, par le biais de l’application du principe de précaution, on en vienne, par un glissement du droit, à mettre en cause leur responsabilité civile – si, par exemple, elles mettent sur le marché des produits dérivés des nanotechnologies – alors qu’elles ne peuvent s’assurer contre ce type de risque.

On peut craindre un glissement du sens à donner au principe de précaution. L’actualité fait sans cesse référence à ce principe, qu’il s’agisse des inondations, de l’incidence du déplacement du nuage de cendres résultant de l’éruption volcanique en Islande sur le trafic aérien, ou de la vaccination contre le virus H1N1. Or, ces cas relèvent de la prévention, non du principe de précaution : pour que celui-ci trouve à s’appliquer, le risque doit être potentiel et non pas avéré. La définition doit être précisée.

Un autre glissement s’est produit : si, à l’origine, le principe de précaution visait la protection de l’environnement, les vrais débats portent sur la santé. Ce faisant, on est passé d’une protection collective à une protection dont la population pense qu’elle doit être individuelle. La vaccination contre la grippe H1N1 a été un épisode particulier. Depuis qu’elle existe, la vaccination est à la fois une mesure préventive générale et un cas d’application du principe de précaution au plan individuel, s’il y a la perception d’un risque potentiel lié à la vaccination ; mais cette fois, certains ont refusé, pour des considérations personnelles, de se faire vacciner, si bien que le principe de précaution individuel est entré en conflit avec le principe de prévention collectif.

Pratiquement, la question de l’application du principe de précaution se pose de moins en moins quant à l’impact des activités industrielles et agricoles en matière environnementale et de plus en plus à propos des effets sanitaires des nanomatériaux, des biotechnologies, des ondes électromagnétiques ou des perturbateurs endocriniens. Chacun de ces domaines fait l’objet aujourd’hui de démarches de précaution alliant l’analyse et l’évaluation du risque, la mise en œuvre de mesures de précaution parfois législatives et l’accompagnement du débat scientifique pour répondre à des questions d’ordre sociétal.

La mise en œuvre effective du principe de précaution est structurée en trois séquences. Les autorités publiques doivent d’abord collecter toutes les informations scientifiques disponibles sur la question posée, pour être en mesure de distinguer, en matière environnementale ou sanitaire, une hypothèse plausible d’un fantasme. Elles doivent ensuite approfondir l’évaluation du risque. Enfin, il leur faut faire un rapport bénéfices-risques… sans oublier les bénéfices. Une fois terminée cette évaluation, il revient aux autorités publiques de prendre les mesures nécessaires.

Cela commence à se passer ainsi, mais le pilotage de telles actions se fait toujours dans un contexte de vive émotion collective et la représentation d’une menace potentielle est parfois plus angoissante qu’un risque avéré. Or, si la jurisprudence relative au principe de précaution est correcte, quelques exceptions posent question. Ainsi de cet arrêt par lequel, en août dernier, la Cour d’appel de Versailles a contraint un opérateur de téléphonie mobile à retirer une antenne relais, sans invoquer le principe de précaution mais au motif que le risque potentiel causait aux demandeurs une « crainte légitime » constitutive d’un « trouble anormal de voisinage ». En cette matière, le contexte émotionnel est tel que prendre des mesures de précaution légitime l’hypothèse du risque ; et il est ensuite très difficile de revenir sur les mesures décidées, l’opinion publique n’étant pas toujours prête à entendre que la réalité du risque est véritablement écartée.

De nombreuses questions demeurent donc pendantes. Nous en avons pris acte, et c’est pourquoi nous avons préféré ne pas conclure à ce stade.

M. Alain Gest. La dernière partie du rapport d’étape donne en effet la liste des interrogations restées en suspens depuis l’adoption de la Charte de l’environnement.

Première question : faut-il abroger l’article 5 de la Charte ? Une série d’éléments militent en faveur de son maintien et, je l’ai dit, personne n’a mentionné une éventuelle abrogation – si certains la souhaitent peut-être, ils la jugent, en pratique, inopportune ou irréalisable.

Une intervention supplémentaire du législateur est-elle nécessaire ? Ne devrait-on notamment pas clarifier l’article 5 de la Charte en supprimant le membre de phrase « , par application du principe de précaution et » ?

Ensuite, on constate que le principe de précaution s’applique de facto au domaine sanitaire, ce qui n’était pas prévu dans la Charte. N’y a-t-il pas lieu, alors, de rapprocher le droit de la pratique ?

Considérant que la déclaration de Rio de 1992 évoque dans sa définition du principe de précaution « des dommages graves ou irréversibles à l’environnement », faut-il substituer cette formulation à la rédaction de l’article 5 de la Charte, qui évoque des « dommages graves et irréversibles » ?

S’agissant de la définition du principe de précaution, faut-il insérer dans l’article 5 de la Charte la notion de « coût économiquement acceptable » qui figure dans la transcription en droit interne de la directive relative à la protection de l’environnement par le droit pénal ?

Faut-il prévoir, dans l’article 5 de la Charte, que le régime de précaution défini doit s’accompagner d’un débat permettant d’appréhender le rapport risques-gains des mesures envisagées ?

Faut-il, par ailleurs, abroger la définition du principe de précaution telle qu’elle figure à l’article L. 110-1 du code de l’environnement issu de la loi Barnier pour éviter des interprétations divergentes de ce texte et de la Charte de l’environnement ? La notion de « coût économiquement acceptable » ne figurant pas dans l’article 5 de la Charte, ne convient-il pas de supprimer ces mots dans l’article L. 110-1 du code de l’environnement ?

Enfin, quelles interventions nouvelles envisager ? Le législateur ne devrait-il pas encadrer l’application du principe de précaution en matière sanitaire, qui ne l’est pas à ce jour, si ce n’est par une jurisprudence toujours susceptible d’évoluer ? Au regard des décisions prises par certaines juridictions, notamment en matière de téléphonie mobile, l’application du principe de précaution n’appelle-t-elle pas une harmonisation ? Nous regrettons que l’opérateur de téléphonie mobile qui avait formé un pourvoi en cassation ait renoncé à son recours, car la décision de la Cour aurait permis de fixer la jurisprudence au plan national et de clarifier la situation juridique. Dans cette perspective, une résolution parlementaire ou une loi ne devraient-elle pas préciser la définition du principe de précaution qui figure dans la Charte de l’environnement ?

Nous avons enfin jugé nécessaire de dresser la liste des questions soulevées par nos interlocuteurs au cours des auditions. Elles portent sur la procédure de pilotage en régime de précaution, sur l’expertise scientifique, sur l’évaluation du risque, sur l’organisation du débat sociétal et sur les régimes de responsabilité. Ce dernier sujet inquiète particulièrement les PME, notamment industrielles, qui travaillent pour de grands groupes et qui redoutent de voir à terme leur propre responsabilité civile engagée alors qu’elles ne sont pas responsables du produit fini et qu’elles ne peuvent s’assurer contre ce risque.

Telles sont les nombreuses questions dont nous souhaitons que l’on débatte au cours du séminaire du 1er juin.

M. Claude Goasguen. Que le principe de précaution soit édicté, fort bien, mais s’il n’est pas prolongé par une politique nouvelle en matière d’assurance, il sera soit funeste, soit caduc !

Du point de vue juridique, la définition du principe de précaution a évolué entre la loi Barnier de 1995 et sa constitutionnalisation à travers l’article 5 de la Charte de l’environnement : il existe des divergences entre les textes. Dans une affaire délicate, tout avocat digne de ce nom aura désormais recours à la saisine directe du Conseil constitutionnel permise par la dernière révision constitutionnelle et utilisera les ressources offertes par la procédure pour faire traîner les choses. De surcroît, l’on ne peut présumer de l’issue du filtrage par la Cour de cassation et par le Conseil d’État ! La possibilité de saisine directe risque donc de paralyser l’application du principe de précaution par les tribunaux.

Enfin, je ne suis pas favorable à la création d’un Haut conseil indépendant supplémentaire, qui coûtera cher et dont l’autorité se surajoutera à des décisions judiciaires déjà complexes. Quoique n’étant pas un farouche partisan des initiatives législatives, je suggère qu’afin d’empêcher la saisine directe du Conseil constitutionnel et de faciliter le travail des tribunaux, on complète ce rapport par un texte de loi sur l’application du principe de précaution. En tout cas, je remercie vivement les rapporteurs pour les clarifications apportées.

M. Claude Birraux, président de l’OPECST. Bien que n’étant pas légiste, j’abonde dans le sens de M. Goasguen ; je préfèrerais toutefois une résolution à une loi.

En écoutant nos rapporteurs, je me remémorais les suites judiciaires d’un incident survenu dans un accélérateur de particules à Forbach. Le juge avait mandaté une autorité publique pour faire une enquête ; le responsable ne s’était pas déplacé, mais il avait envoyé deux agents assermentés, qui avaient préconisé d’installer un dispositif de retardement afin que personne ne puisse entrer si des électrons étaient susceptibles de circuler. Le tribunal a estimé que les dispositifs étaient suffisants, ce qui était très contestable.

Si l’on veut mieux évaluer les risques, il faut absolument développer la recherche. Or, bien souvent, le principe de précaution bloque celle-ci en amont.

S’agissant des aspects sociétaux, je viens, après deux ans de réflexion, de déposer une proposition de loi tendant à doter l’Office d’un « conseil sociétal » de vingt-quatre membres, en plus du conseil scientifique. Ce texte, qui a été proposé pour l’instant à la signature des seuls membres de l’Office, répond au souhait des scientifiques de disposer d’un interface entre le monde scientifique, le monde politique et la société civile : on pourrait y poser des questions, identifier les risques ou signaler les besoins en matière de recherche.

M. Marcel Rogemont. Tout d’abord, je félicite les rapporteurs pour ce très bon travail.

Vous constatez que personne ne demande la suppression de l’article 5 de la Charte de l’environnement. Mais en propose-t-on la modification ?

La présentation qui est faite du principe de précaution est parfois plus importante que le principe lui-même. La justice n’échappe pas à cette règle. Si l’on mettait en place un système assurantiel sur une matière que l’on maîtrise aussi mal, la jurisprudence aurait tendance à l’utiliser, ce qui conduirait à appliquer encore plus fortement le principe de précaution – ou, du moins, l’idée qu’on s’en fait. Qu’en pensez-vous, notamment dans l’optique d’un choix entre une loi et une résolution ?

M. Claude Goasguen. L’enjeu du principe de précaution est l’application du principe de responsabilité. Les tribunaux ne s’intéressent pas à la science, domaine des experts. En revanche, ils doivent déterminer qui est responsable du non-respect du principe de précaution, c’est-à-dire qui doit être sanctionné.

Les assurances sont conçues, précisément, pour couvrir des risques qu’elles ne connaissent pas au départ. Quand on assure un bateau, on ne sait pas s’il va couler ! Pour une application saine du principe de précaution, nous devons nous mettre d’accord sur un cadre d’application du principe de responsabilité, donc sur le droit assurantiel connexe. Sinon, la situation va devenir incontrôlable…

M. Marcel Rogemont. Certes, mais un battement d’aile de papillon peut changer le monde ! Il me paraît difficile d’établir quelque chose dont on ignore les causes et les conséquences.

M. Jean Mallot. Je remercie à mon tour les rapporteurs pour ce travail passionnant et très précis.

Leur constat est clair : le principe de précaution existe, il est inscrit dans un certain nombre de textes, mais il est souvent mal compris, ses conséquences ne sont pas toujours bien perçues et le dispositif juridique est à compléter. Tout cela reste cependant une affaire de spécialistes.

Comment progresser sur le terrain de l’opinion publique, et des médias en particulier ? Je dispose d’une expérience en la matière, modeste mais peut-être significative. La région Auvergne a en effet organisé, de 2004 à 2006, des débats publics avec des experts sur la question des OGM. Des milliers de personnes y ont participé ; cela a permis de dédramatiser le sujet et de calmer les esprits.

Il convient de réfléchir à ces aspects, si nous ne voulons pas rester entre nous, car l’incompréhension de l’opinion est forte sur ces sujets.

M. le Président Bernard Accoyer. Une menace potentielle est parfois plus angoissante qu’un risque avéré : pour avoir exercé pendant trente ans la chirurgie, je ne peux que confirmer vos dires, monsieur Tourtelier !

Si l’on veut apaiser une anxiété, il faut expliquer, préciser, dédramatiser. La mort fait peur, parce que l’on ignore tout d’elle. La peur, c’est l’inconnu, et l’inconnu qui fait peur a trait à notre santé, à notre bien-être, à notre vie. Voilà le problème que pose le principe de précaution et qui explique qu’il soit souvent appliqué à des problèmes de nature sanitaire.

Il n’est pas question, et je m’en félicite, de revenir sur le principe lui-même, qui est une chose acquise ; en revanche, s’ouvre à nous la perspective d’en encadrer les applications. À titre personnel, je trouve que son interprétation erronée a eu des conséquences considérables dans deux domaines dont les implications technologiques et industrielles sont fondamentales.

En premier lieu, la recherche française en biotechnologies est menacée de mort. La France, qui a découvert les grands principes de la génétique et qui fut, jusqu’à récemment, leader dans ce secteur, menace de perdre pied. Aujourd’hui, les jeunes se détournent des biotechnologies, qui sont pourtant le moyen qu’a l’homme de relever les défis de l’alimentation et de la ressource en eau.

Les nanotechnologies sont également essentielles pour notre avenir, que ce soit en pharmacologie, en science des matériaux ou dans d’autres domaines d’application. Pourtant, là aussi, montent des peurs nouvelles, avec un glissement de la sphère de l’environnement à celle de la santé.

Si les grandes entreprises se sentent si peu concernées par le principe de précaution, c’est que, pour développer leurs activités dans les biotechnologies ou les nanotechnologies, elles s’implantent à l’étranger. Les PME, en revanche, qui n’ont pas cette possibilité, admettent que certains domaines leur sont interdits parce que, par nature, ils ne sont pas assurables – ce que confirme la Fédération française des sociétés d’assurance. Or personne ne peut agir aujourd’hui sans assurance. Cela signifie que ces activités quittent, plus ou moins vite, le territoire, et que les jeunes chercheurs ne s’orienteront pas vers elles s’ils souhaitent rester dans l’Hexagone. La compétitivité de notre pays est en jeu.

Il est préoccupant que quelques applications imprévues du principe de précaution, en particulier dans le domaine sanitaire, aient de telles conséquences. Auparavant, le régime était le même en France que dans les autres États membres de l’Union européenne, et l’attention générale était beaucoup moins focalisée sur la question.

Je remercie par conséquent nos rapporteurs qui, avec lucidité et courage, ont cerné des problèmes décisifs pour l’avenir de notre pays.

Nous avons un programme de travail chargé, et le séminaire parlementaire du 1er juin sera une étape très importante. Je souhaite que nous travaillions de manière consensuelle, en progressant dans la concertation et en veillant à ce que les associations, notamment environnementales, puissent s’exprimer ; c’est le meilleur moyen de dissiper les inquiétudes et de préciser le cadre dans lequel doit s’appliquer le principe de précaution.

Ce document de travail remarquable sera transmis aux parlementaires, ainsi qu’à ceux qui souhaiteront participer au séminaire, de manière à servir de base à nos discussions.

M. Claude Birraux. J’apprécie que ce rapport pose des questions, sans apporter de réponses toutes faites.

Toutefois, comme Marcel Rogemont, je crains que, si l’on aborde la question sous l’angle de l’assurance, l’on ne s’enlise dans un débat stérile.

M. le Président Bernard Accoyer. Lorsqu’un risque n’est pas avéré, par définition, il n’est pas assurable. Il ne me semble pas pertinent de s’aventurer sur ce terrain. Il faut plutôt préciser dans quel cadre le principe de précaution doit s’appliquer.

Je rappelle que la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a eu pour conséquence que des spécialités comme l’obstétrique et la chirurgie sont désormais menacées par le prix exorbitant des assurances. Dans notre monde, il y a une part de risque inévitable, qu’il faut assumer ; la société du risque zéro n’existe pas.

M. Alain Gest, co-rapporteur. J’ai été le rapporteur du projet de loi relatif à la responsabilité environnementale, qui touchait aux biens dits « inappropriables ». Se posait là aussi le problème de l’assurance. Nous avons fait le choix de ne pas mutualiser le risque, mais de laisser aux assureurs le soin de trouver eux-mêmes la solution. À ma connaissance, un an et demi après, il n’existe pas de « marché » dans ce domaine.

Quant à une saisine directe du Conseil constitutionnel, elle est théoriquement possible, mais il n’y en a pas eu à ce jour.

Personne n’a demandé l’abrogation de l’article 5, mais certains souhaitent y apporter des modifications et des précisions. Il reste à savoir si l’encadrement du système se fera par l’intermédiaire d’une loi ou d’une résolution. Nous sommes en tout cas convaincus qu’il est indispensable d’apporter une réponse.

Je suis cosignataire de la proposition de loi de M. Birraux ; il nous est apparu intéressant de confronter les points de vue des scientifiques et des représentants de la société civile en vue d’aboutir à un avis commun.

Le fait d’avoir constitutionnalisé le principe de précaution n’a pas changé grand-chose ; le poids médiatique du principe est aujourd’hui plus pesant que sa portée juridique. On utilise le terme à tort et à travers, parfois même à des niveaux de responsabilité politique très élevés. Ainsi, le principe de précaution n’aurait pas dû être invoqué pour une pandémie, puisque le risque est avéré.

M. Philippe Tourtelier, co-rapporteur. Je suis d’accord pour dire qu’il ne faut pas aborder la question sous l’angle de l’assurance. Toutefois, le problème me paraît devoir être évoqué. Il nous a été rapporté le cas d’un industriel qui n’aurait pas été condamné alors qu’il avait mis sur le marché un produit qui s’est avéré dangereux ; il faudrait étudier s’il existe d’autres cas de jurisprudence.

Le marché de l’assurance n’assure qu’une probabilité de risque. Dans le cas du principe de précaution, le risque n’est par définition que potentiel, ce qui signifie qu’il n’existe pas de probabilité fiable. Il faut donc trouver un autre système.

Le débat sur les OGM a occulté tout le reste, mais il ne faut pas réduire les biotechnologies à ceux-ci. Sur les plantes-médicaments, par exemple, tout le monde était d’accord. Ce qui a péché, c’est l’absence d’une comparaison des risques et des avantages des OGM. Une partie de la société a eu l’impression qu’elle n’avait pas le droit à la parole. Mais c’est rattrapable !

Enfin, si personne n’a demandé une modification de l’article 5 de la Charte de l’environnement, c’est parce que chacun pense qu’il suffira de préciser, dans un autre texte, la terminologie et certains points d’application.

M. le Président Bernard Accoyer. Messieurs, je vous remercie et vous donne rendez-vous au séminaire du 1er juin prochain.

Le Comité autorise la transmission à l’ensemble des députés et participants au séminaire parlementaire du 1er juin 2010 sur le principe de précaution du document de travail en vue de la préparation de ce séminaire.

En application de l’article 146-7 du Règlement, le Comité propose à la Conférence des présidents l’inscription d’un débat sur le principe de précaution à l’ordre du jour de la prochaine semaine de contrôle du 21 au 25 juin 2010.

Prochaine séance

La réunion suivante est prévue le jeudi 3 juin, avec l’audition du Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.