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Comité d’évaluation et de contrôle, des politiques publiques

Jeudi 3 juin 2010

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale, Président du Comité

– Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

– Désignation d’un rapporteur

Hôtel de Lassay

Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

M. le Président Bernard Accoyer. Mes chers collègues, c’est un honneur et un plaisir d’accueillir, dans ces lieux qui lui sont familiers, le Premier président de la Cour des comptes.

Avant de l’entendre sur l’assistance que la Cour peut apporter au Comité d’évaluation et de contrôle, je souhaite revenir un instant sur les travaux de la mission d’évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution, conduits par nos deux rapporteurs, Alain Gest et Philippe Tourtelier. Après le dépôt de leur rapport d’étape s’est tenu avant-hier un séminaire parlementaire réunissant, autour des élus, des représentants du Gouvernement, des experts et des membres d’ONG. Le rapport était de grande qualité et, sur le séminaire, je n’ai entendu que des éloges. Je me suis par conséquent risqué à annoncer qu’une fois leur rapport définitif remis, ils poursuivraient leur travail pour examiner comment, y compris par l’initiative parlementaire, préserver ce que le principe de précaution a apporté à la protection de l’environnement, pour laquelle il a été conçu, sans porter préjudice aux autres domaines d’intérêt national, comme la recherche et le développement. Que nos deux corapporteurs reçoivent donc, outre mes félicitations, mes encouragements !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le Président, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, c’est un grand honneur pour moi de m’exprimer aujourd’hui devant le Comité d’évaluation et de contrôle de votre Assemblée en ma qualité de Premier président de la Cour des comptes. C’est également un plaisir, je ne vous le cacherai pas, que de retrouver les membres de ce Comité, auquel j’ai appartenu dans les fonctions qui étaient naguère les miennes au sein de la commission des Finances. Je réponds d’ailleurs volontiers à vos invitations : j’ai été auditionné la semaine dernière par cette même commission des Finances, à propos de l’acte de certification des comptes de l’État et du rapport sur les résultats et l’exécution budgétaire de l’exercice 2009, et je retournerai très bientôt devant elle, pour le rapport préliminaire au débat d’orientation budgétaire.

Je suis accompagné de Claire Bazy-Malaurie, présidente de chambre et rapporteur général, ainsi que de Jean-Yves Marquet, secrétaire général adjoint, et de Maximilien Queyranne, chargé de mission.

Je salue chaleureusement chacune et chacun d’entre vous et tiens à souligner que ces rendez-vous fréquents sont le signe d’une coopération sans cesse plus étroite entre la Cour et votre Assemblée. Ils témoignent également du caractère effectif de notre mission d’assistance au Parlement, consacrée par la dernière révision constitutionnelle et à laquelle je suis très attaché.

En effet, si la Constitution confie désormais au Parlement une nouvelle mission d’évaluation des politiques publiques, placée par l’article 24 au même niveau que le vote de la loi et que le contrôle de l’action du Gouvernement, le nouvel article 47-2 charge la Cour d’y contribuer par l’assistance qu’elle est invitée à apporter au Parlement et au Gouvernement dans ce domaine. Mon prédécesseur, Philippe Séguin, avait appelé de ses vœux cette évolution, qu’il jugeait essentielle à la modernisation des administrations publiques et je m’inscris pleinement dans la voie qu’il a tracée. Cette consécration constitutionnelle de l’évaluation des politiques publiques est, à n'en pas douter, une décision majeure.

Elle résulte d’une prise de conscience de l’impératif d’efficacité et d’efficience qui s’impose à l’ensemble des politiques publiques dans une économie mondialisée. Cette consécration répond également au souhait de nos concitoyens, qui attendent plus de transparence et une meilleure information sur les résultats réels des actions publiques engagées. Au moment où les marges de manœuvre budgétaires sont limitées par la dégradation des finances publiques, l’évaluation des politiques publiques constitue l’un des rares leviers dont le Gouvernement et le Parlement ont la pleine maîtrise pour en dégager de nouvelles. Et c’est aussi, je le répète, une exigence démocratique.

La Cour, depuis des années, ne cesse d’appeler à l’évaluation d’un certain nombre de dépenses budgétaires, ou fiscales, sur l’efficacité desquelles elle s’interroge. La révision constitutionnelle est pour elle l’occasion de dépasser le stade de la recommandation pour devenir un des acteurs de l’évaluation des politiques publiques, étape qu’elle avait à certains égards anticipée. En la désignant pour vous assister, la Constitution a choisi une institution à même de délivrer une information qui présente toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité. La Cour n’entend pas se dérober à cette nouvelle mission. C’est un choix qui nous oblige, mais également un défi pour notre institution.

Il nous revient à présent de définir les voies et moyens de notre coopération, afin que nous répondions au mieux à vos attentes, dans le respect de notre indépendance, consacrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel en 2001, et de ce que nos procédures ont de meilleur, en particulier la collégialité et le contradictoire, qui font l’autorité de la Cour –, ce qui n’exclut pas de les faire évoluer. C’est ce dont je suis venu aujourd’hui vous entretenir, en abordant tout d’abord les modalités de cette coopération, avant de vous proposer des méthodes de travail en commun.

En l’état actuel de la législation, votre Comité n’est pas encore en mesure de saisir la Cour d’une demande d’évaluation. Il faut pour cela que soit définitivement votée la proposition de loi, déposée par vous-même, monsieur le Président, qui tend à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques.

Au terme de son adoption en première lecture par les deux chambres du Parlement, cette proposition de loi donne au président de chacune compétence de saisir la Cour d’une demande d’évaluation d’une politique publique. Elle articule en outre la mission d’assistance de la Cour au titre de l’évaluation des politiques publiques et celle de contrôle de l'exécution des lois de finances et de l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Il ne m’appartient pas de m’immiscer dans le débat parlementaire. Je me permettrai néanmoins de souligner que, bien entendu, ces dispositions vont dans le sens des souhaits qu’avait exprimés mon prédécesseur Philippe Séguin, et ce à un double titre.

En premier lieu, la Cour n’a pas des moyens illimités. Elle n’est pas en mesure de répondre à des demandes d’assistance trop nombreuses, du moins en assurant la qualité requise pour des travaux destinés à la représentation nationale, et dans les délais prévus. Depuis plusieurs années déjà, la Cour transmet à la demande des commissions des finances et des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat une dizaine de communications au titre des articles 58-2 de la LOLF et LO 132-3-1 du code des juridictions financières. Ces saisines augmentent chaque année. Ainsi, pour 2010, le Parlement nous a adressé dix-sept demandes d’assistance à ce titre, sans compter les participations aux trois missions d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale et du Sénat. L’instauration de ce que j’appellerai un « filtre » pour saisir la Cour répond à notre souhait et permettra une meilleure coordination des demandes d’enquêtes de chaque chambre du Parlement, qui parfois portent sur les mêmes sujets – ainsi en a-t-il été pour la grippe A.

En second lieu, la Cour est attentive à ne pas confondre son métier de contrôle et celui d’évaluation. Ces deux missions, tout à fait complémentaires, relèvent en effet de deux logiques distinctes. Dans le contrôle, même si le caractère contradictoire de la procédure en atténue les inconvénients, une nécessaire distance demeure entre le contrôleur et le contrôlé. Au contraire, la démarche évaluative est fondée sur une approche plus coopérative et constructive, même si des désaccords peuvent au final subsister, notamment sur les recommandations formulées.

La proposition de loi en cours d’examen ne lève toutefois pas l’ensemble des difficultés. L’organisation des juridictions financières et leurs procédures actuelles ne nous permettent pas toujours, non plus, de mettre en œuvre de façon pleinement satisfaisante notre nouvelle mission d’évaluation. C’est la raison du projet de loi réformant les juridictions financières, déposé le 28 octobre 2009 sur le bureau de votre assemblée. Je souhaite qu’il puisse être examiné par vous dans les meilleurs délais.

Cette réforme, voulue par le Gouvernement, nous autoriserait à traiter sans restriction des enjeux actuels de la sphère publique, par une programmation plus coordonnée des travaux et par des procédures mieux adaptées à la nature des travaux d’évaluation. Nous pourrions ainsi examiner les politiques partagées entre l’État et les collectivités territoriales, dans les délais que vous souhaitez, à savoir douze mois. Nous pourrions tirer tout le parti de l’atout majeur dont bénéficient les juridictions financières et qu’elles ne peuvent exploiter pleinement à l’heure actuelle : un champ de compétences très étendu, permettant de suivre l’utilisation de l’ensemble des deniers publics, qu’il s’agisse des dépenses budgétaires de l’État, de celles des collectivités territoriales ou de celles de la sécurité sociale. La réforme ouvre ainsi la possibilité de procéder à l’évaluation des politiques publiques, quels qu’en soient les acteurs, locaux ou nationaux, tout en donnant aux futures chambres de la Cour en région la taille critique pour exercer cette nouvelle mission, sans porter atteinte à leurs missions traditionnelles de contrôle des collectivités et de leurs établissements. Ce projet de loi permettrait en outre de franchir une nouvelle étape dans la réorganisation de la Cour. Cette évolution est nécessaire pour que nous remplissions avec le maximum d’efficacité notre mission d’assistance dans l’évaluation des politiques publiques, à laquelle j’ai toujours été attaché.

D’ores et déjà, un décret en conseil des ministres du 19 mai dernier a rattaché pleinement à la Cour le comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics. Mme Claire Bazy-Malaurie en a été récemment nommée secrétaire générale. Cependant, le projet de réforme prévoit de substituer à ce comité un comité consultatif d’évaluation des politiques publiques, qui apportera le pluralisme indispensable à toute évaluation de politiques publiques en associant des élus nationaux et locaux, des personnalités qualifiées, des représentants de l’État et d’organisations syndicales des employeurs et des salariés.

Mais, sans attendre, il convient que la Cour vous assiste, dans la mesure de ses structures actuelles et de ses moyens, en matière d’évaluation des politiques publiques, comme la proposition de loi en ouvre la possibilité, et sur le champ de compétence limité par l’état actuel du droit. Cela étant, nous sommes tout disposés à anticiper le vote de la loi.

Cela m’amène à présent à vous proposer quelques points de méthode pour notre partenariat.

Nous gagnerions à instaurer un dialogue en amont sur la nature et l’étendue de vos demandes. Afin de répondre au mieux à vos attentes, il est important d’échanger sur les objectifs, les méthodes et l’organisation de l’assistance que nous serons amenés à vous apporter.

Ce dialogue nous permettra de vous faire part des informations dont la Cour dispose et qui pourraient être rapidement mobilisées à votre profit. Un seul exemple : vous souhaitez procéder à une évaluation de l’hébergement d’urgence dans les prochains mois. Sur ce sujet, la Cour a publié en 2007 un rapport thématique relatif aux sans domicile fixe, qui pourrait fournir une base de travail qu’il conviendra bien sûr d’actualiser et de compléter.

Ce dialogue sera également utile pour définir des sujets bien circonscrits, sur lesquels notre assistance débouchera dans les délais qui sont les vôtres. Si vous nous demandez d’examiner des sujets vastes, nous ne serons pas en mesure, j’insiste sur ce point, de vous répondre en douze mois sans porter atteinte à la qualité de nos travaux sur le fond, ou sans attenter à nos procédures qui sont définies par la loi et qui garantissent tant l’exactitude que l’impartialité de nos rapports – autant de garanties pour vous comme pour la Cour.

Une telle concertation préalable permettrait à la Cour de travailler avec une feuille de route précise et un cahier des charges clairement défini. La feuille de route, en particulier, méritera beaucoup d’attention de part et d’autre, afin que nous nous assurions en commun que la réponse correspondra bien aux attentes exprimées.

La Cour propose de mener ensuite comme à son habitude ses travaux en toute indépendance, ce qui bien entendu ne nous empêchera pas de tenir vos rapporteurs informés de leur avancement, afin de vous garantir le respect des délais que vous nous aurez fixés. Nos observations et conclusions vous seraient communiquées à l’issue d’un examen complet du sujet, tant l’évaluation ne saurait se satisfaire d’une analyse partielle ou inachevée.

Il nous faudrait par ailleurs convenir, en fonction du sujet, de l’expertise extérieure que la Cour mobilisera. Elle a acquis une compétence reconnue dans l’analyse de grandes politiques publiques, en particulier sur tout ce qui porte sur leur financement ainsi que sur l’organisation administrative. Pour aller au-delà et apprécier l’impact réel des politiques, elle pourra en tant que de besoin recourir à une expertise extérieure. Elle le fait déjà, par exemple en matière de santé, où elle fait de plus en plus appel à des médecins, ou bien de retraites, où elle a été récemment assistée par des actuaires. De ce recours, il est important que nous convenions ensemble, car il aura un coût. Il nous faudra donc discuter des voies et moyens d’en assurer le financement dans le cadre de vos demandes d’assistance.

À l’issue de ces travaux, l’ensemble des constatations de la Cour et des experts qu’elle aura mobilisés sera présenté dans un rapport, qui répondra à l’intégralité de la demande d’assistance que vous aurez formulée. Pour emprunter un terme usité dans l’industrie, la Cour se conçoit donc comme un « ensemblier » à votre service. Ses équipes seront ensuite à votre disposition pour être auditionnées, ou prendre part, à l’image de la pratique de la mission d’évaluation et de contrôle, aux travaux complémentaires de votre Comité.

Pour résumer, la Cour est désireuse de définir avec vous les conditions et les méthodes de sa démarche évaluative, afin de remplir au mieux sa mission d’assistance. Elle pourra le faire d’autant mieux qu’elle disposera d’une nouvelle organisation et de nouvelles procédures permises par le projet de loi réformant les juridictions financières. Dans l’attente, nous sommes disponibles pour avancer de manière pragmatique, et vous assister dans le développement de l’évaluation des politiques publiques, voire, si nécessaire, dans l’amélioration de l’efficacité et l’efficience des interventions des administrations.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des Finances. La commission des Finances a une longue pratique du travail conjoint avec la Cour des comptes, travail qui se déroule toujours dans des conditions très satisfaisantes. Nous essayons de cerner les sujets d’enquête le plus en amont possible. Dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle, nous examinons conjointement les travaux déjà conduits par la Cour, ceux qui sont en cours ou sur le point d’aboutir, pour articuler nos réflexions respectives. Indépendamment de la MEC, le programme défini au titre de l’article 58 de la LOLF fait aussi l’objet d’une coordination. Nous avons souhaité également que les rapporteurs spéciaux prennent contact, ne serait-ce que de façon informelle, avec les magistrats qui travaillent sur les mêmes sujets. La Cour a des moyens limités, il faut en tenir compte. En revanche, la coordination avec nos collègues sénateurs n’est pas toujours suffisamment rigoureuse mais nous nous efforçons de l’améliorer.

La création du Comité d’évaluation et de contrôle résulte du constat que certains sujets complexes, sur lesquels il nous faudrait le concours de la Cour des comptes, concernent plusieurs commissions et exigent une approche transversale. Il faudra veiller là aussi à une bonne articulation. Parfois, l’urgence nous prive de certains outils. Ainsi, les départements sont victimes d’un effet de ciseaux brutal sur lequel nous devons être éclairés, mais le Premier président m’a expliqué que l’organisation de la Cour pesait sur les délais de remontée des informations. Une mise à plat épargnerait à la Cour des demandes que les délais de réponse finissent par rendre caduques ou auxquelles il ne peut être répondu de manière satisfaisante dans les délais impartis.

La commission des Finances en est venue à privilégier des sujets pointus, plus circonscrits, de façon à mieux les approfondir. Il reste cependant des sujets transversaux qui relèvent du Comité et qui exigeront beaucoup de temps, de part et d’autre. Comment la Cour peut-elle répondre à ce type de demande ?

M. le Président Bernard Accoyer. Si j’ai bien compris, nous devrions nous efforcer de ne présenter que des demandes raisonnables, la Cour confirmant ou non notre appréciation sur ce point… ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des Affaires économiques. Mes questions seront empreintes de la naïveté du néophyte, puisque la commission des Affaires économiques n’a jamais travaillé avec la Cour des comptes. Travailler directement avec elle m’intéresserait beaucoup car nous avons besoin de son expertise. Mais faudra-t-il passer obligatoirement par l’intermédiaire du CEC, comme le laisse entendre la question du rapporteur général, ou bien un dialogue direct du type de celui qui existe avec la commission des Finances sera-t-il possible, avec l’autorisation du président de l’Assemblée ?

Dans une telle perspective, j’éprouve cependant quelques inquiétudes à propos des délais. Ainsi, la commission des Affaires économiques a quatre textes « sur le feu » pour lesquels elle aurait besoin de l’expertise de la Cour, mais pas en douze mois. Nous recevons les projets de loi quelques semaines avant leur examen en séance. Nous nous intéressons aussi, dans le cadre du contrôle de la mise en œuvre de la loi où les délais sont moins serrés, à l’efficacité des politiques – aide au logement, énergie, agriculture, ville, soutien aux entreprises. Il s’agit de thématiques essentiellement verticales. Les présidents de commission pourront-ils un jour bénéficier d’un travail directement avec la Cour, dans le respect de son indépendance et avec la garantie de sincérité de ses travaux ?

M. le Président Bernard Accoyer. Les commissions pourront, grâce à la proposition de loi mentionnée par le Premier président, solliciter le concours de la Cour des comptes en utilisant le relais du Président de l’Assemblée nationale. Il faut en effet réguler les demandes, pour ne pas, sous couvert d’indépendance, multiplier les travaux identiques qui aboutiraient à un gaspillage des moyens publics. Nous devons être obsédés par les excès du parlementarisme qui ont marqué notre histoire : la concurrence entre les lieux de pouvoir se révèle rarement féconde.

M. Louis Giscard d’Estaing. Je me réjouis de poursuivre, dans le cadre de ce Comité, le débat ouvert avec Philippe Séguin sur la programmation et sur l’amélioration de notre travail en commun.

Pour faire mieux converger les travaux de la Cour et les nôtres, la MEC associe deux corapporteurs, l’un de la commission des Finances, l’autre de la commission concernée par le thème retenu. Ainsi, depuis deux ans, en tant que rapporteur spécial du budget de la défense, je travaille avec une collègue de l’opposition appartenant à la commission de la Défense. Le travail de contrôle et d’évaluation en binôme constitue une voie intéressante à explorer pour l’ensemble des commissions.

N’en demeure pas moins le problème posé par les délais qu’impose à la Cour la procédure contradictoire. Nous avons dû trouver un artifice consistant à publier le même jour le rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle et le sien, traitant tous deux des opérations militaires extérieures (OPEX), alors même que la Cour avait commencé son travail six mois avant nous et que ses remarques sur les flux financiers, qui n’étaient pas définitives lorsque nous les avons recueillies, étaient intégrées dans le nôtre. Il y a donc moyen de faire concorder, au moins partiellement, nos efforts.

En ce qui concerne les moyens, la Cour projette, pour s’informer, de s’appuyer davantage sur les chambres régionales des comptes. Mais j’ai pu constater moi-même les résistances que cette idée suscite parmi ces dernières. Peuvent-elles être surmontées ? Quelle organisation avez-vous à l’esprit ? Et la réforme suffira-t-elle à vous fournir les moyens humains nécessaires pour répondre aux demandes ?

M. Jean Mallot. Je remercie le Premier président Didier Migaud d’être revenu ici examiner les moyens de travailler ensemble.

La proposition de loi tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques devrait répondre en partie à nos interrogations et c’est donc vers notre président que je me tourne d’abord. Que va-t-il en advenir maintenant que le Sénat l’a modifiée en première lecture ?

Par ailleurs, pour être efficaces, nous devons surmonter nos différences de méthode de travail. Cela suppose que nos rapporteurs puissent être associés le plus en amont possible aux travaux de la Cour, dans le strict respect de son indépendance. Attendre qu’elle ait fini une enquête sur un sujet nous intéressant pour commencer nos propres travaux sur ce thème nous ferait perdre du temps. Comment mieux prendre en compte nos contraintes respectives ?

Le Comité d’évaluation et de contrôle s’intéresse aussi aux études d’impact accompagnant les projets de loi, de l’intérêt desquelles nous n’avons pas encore pleinement pris la mesure. Il faudra chercher à en apprécier la qualité puisqu’elle conditionne l’inscription à l’ordre du jour des textes. Or nous disposons de peu de temps pour le faire. Comment le Parlement pourrait-il, à cet égard, tirer profit des travaux déjà effectués par la Cour ?

M. le Président Bernard Accoyer. Tôt ou tard, l’évaluation des études d’impact deviendra un enjeu politique. Or la politique et l’évaluation doivent être clairement séparées. Il faut le garder à l’esprit.

M. Claude Goasguen. Monsieur le Premier président, nous sommes inquiets de la lenteur avec laquelle les choses avancent. Même si c’était prévisible, Jean Mallot et moi-même sommes préoccupés, notamment par deux sujets particuliers.

Le texte de la proposition de loi, tel qu’il a été voté par le Sénat, nous ramènerait au statu quo ante et réduirait tout le travail accompli par Jean Mallot et moi pour notre rapport d’information à sa plus simple expression. Pourquoi le Sénat se mêle-t-il de la méthode d’évaluation des politiques publiques de l’Assemblée nationale ? Il n’a pas le même fonctionnement, ni ne travaille en fonction des mêmes finalités. Il me semble qu’il conviendrait de discuter le plus vite possible de ces questions, monsieur le Président, pour adopter définitivement cette proposition de loi.

Je partageais l’avis de votre prédécesseur, monsieur le Premier président, sur l’urgence qu’il y a à réformer les juridictions financières. Le Gouvernement devrait nous permettre d’inscrire un texte à l’ordre du jour le plus tôt possible. Sinon nos efforts ne seront fructueux que pour la prochaine législature, ce qui serait une maigre consolation.

Messieurs les présidents, pour faire progresser l’évaluation des politiques publiques, qui se distingue du contrôle, il faudrait au moins un accord entre vous, même a minima, plutôt que d’attendre un projet élaboré et dogmatique. Il y a des moyens de surmonter d’éventuelles divergences de vue et de ne pas surcharger la Cour des comptes qui assume d’autres missions.

En tout état de cause, vous devriez insister l’un et l’autre auprès du Premier ministre pour que les deux textes – proposition et projet de loi – soient inscrits rapidement à l’ordre du jour car ils constituent un préalable à toute évolution positive.

M. le Président Bernard Accoyer. Comme vous, je souhaite que le projet de réforme des juridictions financières figure à l’ordre du jour de notre assemblée dans les meilleurs délais, tout comme l’examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques. Toutefois, la version de ce texte issue du Sénat ne me satisfait pas, car elle limite excessivement la possibilité de solliciter l’assistance de la Cour des comptes pour l’évaluation des politiques publiques.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des Affaires sociales. Deux dangers nous guettent : nous disperser et ne pas exploiter autant que nous le devrions les informations existantes, qu’elles émanent de la Cour des comptes ou des corps d’inspection. Ainsi, comparant la dépense scolaire dans les pays européens, la Cour a montré que celle de la France est supérieure de 10 % à 15 % à la moyenne, pour des résultats médiocres. Dans l’optique d’une réforme, c’est un élément politique clef. Dans un autre domaine, les informations disponibles sur l’immobilier de l’État nous ont permis de définir et de poursuivre, depuis cinq ou six ans, une politique qui permet de corriger ce qui doit l’être. Ce sont là de très bons exemples de ce que l’on peut faire en utilisant les données existantes.

S’il est un dossier sur lequel la commission des Affaires sociales, qui entretient des relations suivies avec la Cour des comptes, pourrait demander son assistance, c’est celui du volume considérable des prestations servies en France. Nous sommes actuellement incapables de contrôler ces dépenses. Un effort considérable s’impose pourtant, car la fraude dépasse sans doute la dizaine de milliards d’euros. Nous avons le devoir d’utiliser toutes les informations à notre disposition pour empêcher ces abus qui, outre qu’ils heurtent les tenants de la bonne gestion de la dépense publique, entraînent dans la population des réactions extrémistes et démagogiques. D’une manière générale, je souhaite que l’on utilise au mieux la masse d’informations déjà disponibles, sans oublier celles qu’ont recueillies les corps d’inspection des ministères.

M. le Président Bernard Accoyer. Sages propos !

M. Olivier Carré. Quelle évolution des relations envisagez-vous, Monsieur le Premier président, entre la Cour des comptes et les missions d’évaluation et de contrôle des deux assemblées ? Comment la Cour peut-elle se garder d’apprécier en opportunité ? D’autre part, intervient-elle dans l’élaboration des études d’impact ou cette tâche est-elle confiée exclusivement aux corps d’inspection, ou plus généralement aux services du Gouvernement ? La Cour se voit-elle jouer un rôle dans l’appréciation de ces études avant l’examen des textes en séance publique ? S’il en allait ainsi, cela ne manquerait pas de poser en termes nouveaux la question de ses relations avec le législateur…

M. Patrick Ollier. Ayant le sentiment de ne pas avoir été parfaitement compris, je précise mes propos. Ma question, très pragmatique, portait sur les modalités du contrôle de l’exécution d’une loi. Dans ce cadre, une commission peut-elle faire appel à la Cour des comptes afin d’obtenir, dans un délai restreint, des informations relatives au sujet traité ? Pourrait-il en être ainsi, par exemple, à propos du logement, dont la commission des Affaires économiques traite actuellement ? Si cela peut s’envisager, ce que je souhaite, quelle serait la procédure à suivre ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Beaucoup de questions ont été posées, qui trouvent pour certaines des réponses dans la Constitution, dans la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) et dans les dispositions organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale. À ce jour, les commissions des Finances et des Affaires sociales des deux assemblées peuvent demander des enquêtes à la Cour des comptes. La Constitution vient, d’autre part, de confier au Parlement et à la Cour une mission nouvelle d’évaluation des politiques publiques. Pour concrétiser cette avancée, vous avez installé un Comité d’évaluation et de contrôle. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il appartient à la loi de déterminer les modalités selon lesquelles un organe du Parlement peut demander cette assistance. Cette observation a conduit le Président Accoyer à rédiger une proposition de loi tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques.

Ainsi, pour le moment, la loi offre à des commissions permanentes la possibilité de saisir la Cour des comptes. Dans le même temps, celle-ci continue de remplir ses missions habituelles et d’établir des rapports, qui sont à la disposition de toutes les commissions. Lorsqu’une de celles-ci souhaite des informations particulières sur un des rapports que nous avons publiés ou sur un des référés que nous adressons à la commission des Finances et que nous diffusons aussi largement que possible, nous déférons à sa demande. Ainsi, M. Jean Picq, président de la troisième chambre, sera entendu prochainement par la commission des Affaires culturelles de votre assemblée et par celle du Sénat sur notre rapport d’évaluation relatif à l’éducation. Voilà pour les rapports que nous publions.

J’en viens à la mission d’évaluation. Comme le Conseil constitutionnel l’a rappelé, la Cour des comptes est indépendante. Cette indépendance s’illustre notamment dans sa capacité à programmer ses travaux. Par ailleurs, la Cour a reçu mission d’assister le Parlement dans l’évaluation des politiques publiques mais, en l’état de la législation, votre Comité n’est pas encore en mesure de saisir la Cour d’une demande d’évaluation. Je comprends l’impatience manifestée à ce sujet par MM. Mallot et Goasguen et, je le redis, nous sommes prêts à anticiper le vote de la loi pour traiter vos demandes. Mais, afin que nous soyons le plus efficaces possible, il faudra, comme l’ont souligné MM. Carrez et Giscard d’Estaing, cerner soigneusement les sujets à propos desquels vous souhaitez notre contribution.

Il ne m’appartient pas de commenter les relations entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Je souhaite cependant insister, comme l’avait fait Philippe Séguin avant moi, sur la nécessité d’un filtrage, par chaque président d’assemblée, des demandes d’évaluation adressées à la Cour des comptes. Qui trop embrasse, mal étreint – si nous ployons sous les demandes de vos commissions, nous ne serons pas en mesure de répondre à chacune. C’est bien pourquoi, d’ailleurs, vous avez créé le Comité d’évaluation et de contrôle.

Nous ne demandons pas de moyens supplémentaires, mais nous demandons à conserver ceux que nous avons. J’y insiste : la Cour des comptes ne peut en même temps voir ses missions augmenter, comme c’est le cas depuis plusieurs années, et ses effectifs se réduire. Ce serait un mauvais coup pour le fonctionnement de la République et pour le Parlement. Comme M. Claude Goasguen, je souhaite que le projet de réforme des juridictions financières vienne le plus vite possible devant vous. J’ai eu l’occasion d’évoquer cette question avec le Président de la République et avec le Premier ministre; il se pourrait que l’occasion se présente en octobre. Je le souhaite.

Nous devons aussi adapter notre organisation pour répondre à vos demandes nouvelles sans remettre en cause nos missions traditionnelles de contrôle organique et de certification des comptes. Cette réorganisation implique obligatoirement la modification des relations entre la Cour et les chambres régionales des comptes, et celle de l’organisation des chambres régionales. Comme Philippe Séguin avant moi, j’estime indispensable que les chambres régionales atteignent une taille critique pour permettre que la collégialité et le contradictoire s’exercent effectivement et que les missions nouvelles soient remplies. Je milite donc en faveur de regroupements interrégionaux. Le projet de loi portant réforme des juridictions financières tend à conforter les chambres en région ; ne rien changer à leur organisation actuelle conduirait à les affaiblir très rapidement. Certaines chambres ne comptent que quatre ou cinq magistrats. Comment peuvent-elles répondre à toutes les demandes qui leur sont faites, alors que les élus locaux leur adressent des demandes nouvelles de conseil et d’assistance ? La réactivité manque, notamment pour ce qui touche aux finances locales. Il faut renforcer la coopération entre la Cour et les chambres en région et, pour ces dernières, opérer l’indispensable réorganisation qui leur permettra d’atteindre la taille critique nécessaire. Cette réforme dépasse les clivages partisans : il est de l’intérêt du Parlement que l’ensemble des juridictions financières lui soit le plus utile possible.

Pour ce qui est des études d’impact, il est inconcevable, monsieur Carré, que la Cour des comptes aille sur le terrain de l’opportunité. Ce n’est pas notre travail, et nous ne le ferons pas. Nous évaluons une politique donnée, mais c’est le Parlement qui vote la loi.

Si vous nous sollicitez en amont, cela peut poser quelques problèmes, sauf si nous avons des études en stock sur les sujets qui vous intéressent. Or, nous en avons beaucoup, dans de très nombreux domaines. Nous sommes prêts à dépêcher un magistrat ou un président de chambre qui apportera à votre Comité ou à celles de vos commissions qui le souhaitent les informations qui leur sont nécessaires. C’est dans ce cadre que nos relations peuvent vous être utiles.

En évoquant les problèmes de moyens, j’avais surtout à l’esprit le recours à des expertises extérieures, qu’il faudra payer. Il peut être utile au Parlement que la Cour, pour les missions qu’il lui confie, joue le rôle d’« ensemblier ». Mais il va sans dire que, comme pour la certification des comptes, il serait inconcevable que la Cour soit en concurrence avec des cabinets privés. D’ailleurs, en raison de notre indépendance et parce que nos travaux sont pour beaucoup fondés sur la collégialité et sur le contradictoire, nos procédures vous apportent beaucoup plus de garanties que d’autres procédures ou d’autres méthodes de travail.

La Constitution nous a confié la mission d’assister le Parlement dans l’évaluation des politiques publiques. Nous sommes prêts à l’assumer, dans le respect de notre indépendance et des méthodes de travail qui sont les nôtres, avec le souci d’être le plus réactifs possible. Des sujets ciblés nous permettront de vous répondre dans un délai raisonnable. Si les demandes sont plus complexes, il nous faudra davantage de temps – sachant que nous devrons insérer les études demandées dans notre programme de travail général. D’autre part, il serait bon de ne pas s’éparpiller : lancer des enquêtes sur de trop nombreux sujets en même temps conduirait à une dispersion, avec un résultat moins intéressant. La Cour des comptes est à votre disposition. Si les commissions traitent de sujets sur lesquels nous avons publié des rapports, ou sur lesquels des rapports sont en cours de publication, nous vous les communiquerons très volontiers.

M. le Président Bernard Accoyer. Monsieur le Premier président, je vous remercie. Je prêterai la plus grande attention à l’évolution du calendrier d’examen des deux textes évoqués. J’ai pris note de la préoccupation que vous avez exprimée sur le volume des demandes et leur nombre ; c’est au moins autant la mienne. M. Méhaignerie l’a souligné, de nombreuses informations sont déjà disponibles que nos services sauront recenser. Nous nous efforcerons naturellement de ne pas demander à la Cour des études qui se révèleraient redondantes.

Je me fais l’interprète de tous les membres du Comité pour vous dire très amicalement, Monsieur le Premier président, le plaisir que nous avons eu à vous accueillir, ainsi que les magistrats qui vous accompagnent.

Désignation d’un rapporteur

Le Comité prend acte de la désignation par la commission des Affaires sociales, en application de l’article 146-3 du Règlement, de deux de ses membres (M. Pierre Morange et M. Christophe Sirugue) pour participer à l’étude relative à l’évaluation de l’aide médicale d’État et de la couverture maladie universelle.

Le groupe SRC a fait savoir qu’il proposait comme rapporteur M. Christophe Sirugue, en remplacement de Mme Catherine Lemorton, qui participera aux travaux sur ce sujet en tant que membre du Comité.

MM. Claude Goasguen (UMP) et M. Christophe Sirugue (SRC) sont désignés rapporteurs sur l’évaluation de l’aide médicale d’État et de la couverture maladie universelle.

M. Pierre Morange (UMP) et Mme Catherine Lemorton(SRC) participeront à l’étude.

Point de procédure

Sur proposition du Président Bernard Accoyer, en cas de déplacements pour une évaluation sur le terrain en France, les rapporteurs du Comité sont invités à prendre l’attache du député de la circonscription dans laquelle ils se rendent et à lui proposer, le cas échéant, d’assister à leurs visites et rencontres.

Prochaine réunion

La prochaine réunion du Comité aura lieu le jeudi 8 juillet à 11 heures, avec l’ordre du jour suivant :

– examen du rapport d’information sur l’évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution, compte tenu du séminaire parlementaire du 1er juin 2010 et de la discussion en séance publique prévue lors de la semaine de contrôle du 22 juin ;

– validation du projet de cahier des charges de l’accord-cadre prévu pour sélectionner des prestataires susceptibles de réaliser des études d’évaluations de politiques publiques pour le Comité, en application de la décision de principe arrêtée par le Comité le 25 février 2010 ;

– examen de la programmation des travaux de la session 2010-2011, en application de l’article 146-3 du Règlement.

La réunion prend fin à midi trente.