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Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Jeudi 28 octobre 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale, Président du Comité

– Examen du projet de rapport d’information de MM. René Dosière (SRC) et Christian Vanneste (UMP) sur les autorités administratives indépendantes

– Nomination de rapporteurs

Hôtel de Lassay

La séance est ouverte à dix heures.

– Examen du projet de rapport d’information de MM. René Dosière (SRC) et Christian Vanneste (UMP) sur les autorités administratives indépendantes

M. le Président Bernard Accoyer. Nous devons entendre nos deux rapporteurs René Dosière et Christian Vanneste sur un sujet majeur, initialement proposé par le groupe SRC : l’évaluation des autorités administratives indépendantes (AAI), qui ont acquis, à côté des autorités directement désignées par les citoyens, un rôle considérable. Les autorités administratives indépendantes se sont fortement développées ces dernières années, et ce dans bien des domaines, y compris financiers. Il était important d’évaluer leur rôle et d’essayer d’améliorer leur efficience au service de l’intérêt général. Dix députés ont été désignés par cinq commissions pour travailler avec les deux rapporteurs, dont je rappelle le rôle clef puisque aucune audition ne peut en principe se tenir si l’un des deux n’est pas là.

M. René Dosière, rapporteur. Malgré le sentiment d’avoir beaucoup travaillé depuis un an sur ce sujet, avec les services du Comité que je remercie d’ailleurs pour la qualité de leur concours, Christian Vanneste et moi aurions encore voulu l’approfondir – mais il faut bien terminer un jour.

Le premier volet du rapport est une synthèse que nous avons essayé de faire la plus courte possible. En revanche, les annexes et le tome II comportent de nombreux renseignements – données brutes que nous n’avons pas commentées – concernant la situation immobilière des AAI ou la rémunération de leurs présidents et principaux responsables par exemple. Un troisième volet est consacré aux usagers des AAI, c’est-à-dire surtout aux institutions auxquelles elles ont affaire. Tous ces éléments, qui ne seront pas publiés, seront mis à la disposition des commissions de l’Assemblée dont plusieurs membres ont déjà participé très régulièrement à nos travaux, comme Louis Giscard d’Estaing, Jean Mallot, Lionel Tardy ou Jean-Pierre Brard.

De façon générale, nous reconnaissons la nécessité des autorités administratives indépendantes, dont la création répond à un mouvement général. Avec le Défenseur des droits, une étape supplémentaire est franchie puisque c’est la première fois qu’une autorité figure dans la Constitution. Les AAI sont globalement reconnues comme efficaces et impartiales. En revanche, il s’en crée en moyenne deux par an depuis dix ans, ce qui est manifestement trop. Il devient nécessaire de rationaliser et de clarifier leurs compétences.

Pour cela, il faut éliminer les doublons et les chevauchements de compétences, que ce soit entre les AAI proprement dites ou entre elles et l’administration, dont elles constituent parfois un démembrement. Ce sera certainement le cas dans le domaine de la santé, où une vingtaine d’agences cohabitent avec la Haute autorité de santé (HAS) – mais nous renvoyons ce domaine particulier à la commission des Affaires sociales, qui pourra faire des propositions plus précises.

Cette rationalisation doit s’accompagner d’une meilleure maîtrise de leur budget. En 2006 déjà, le rapport d’Alain Lambert et de Didier Migaud, alors parlementaires, sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) soulignait que l’indépendance des AAI ne les exonérerait pas de toute contrainte budgétaire. Le budget global des AAI est très difficile à déterminer. Ainsi le ministère du Budget le chiffre-t-il, selon les éléments qu’il contrôle directement, à 387 millions en 2009, alors que nos propres estimations, qui prennent en compte les fonctionnaires mis à disposition par d’autres administrations par exemple, tournent autour de 600 millions la même année – soit plus que le budget de l’Assemblée nationale. Surtout, et autant qu’on puisse en juger de façon si globale, cette masse a augmenté de 27,4 % durant les trois dernières années – pour poursuivre la comparaison, le budget de l’Assemblée n’a pas bougé. Quant aux effectifs, que nous évaluons, de façon sans doute incomplète, à 3 651 personnes en 2010, ils ont augmenté de 16,8 % en trois ans, alors que l’Assemblée passait de 1 368 à 1 360 personnes…

Enfin, nos propositions visent à améliorer le suivi de la part du Parlement, qui est aujourd’hui manifestement insuffisant. Certaines AAI peuvent même avoir tendance à oublier qu’elles ont des comptes à lui rendre ! Or ce contrôle est la garantie même de leur indépendance. Nous proposons ainsi que la nomination de leurs dirigeants ne soit plus le fait, comme c’est actuellement le cas, du pouvoir exécutif, après avis des assemblées, mais du Parlement, à une majorité qualifiée des trois cinquièmes ; l’expérience des pays étrangers montre que c’est la garantie d’une indépendance complète. Cette nomination devrait émaner de la commission permanente compétente, sauf pour la Haute autorité que nous préconisons en matière de transparence de la vie politique : compte tenu du sujet, c’est le Parlement dans son ensemble qui devrait s’en charger.

Par ailleurs, il faut également améliorer la « reddition de compte », terme québécois qui désigne l’obligation de répondre de l’exercice d’une responsabilité. Cela suppose que l’autorité qui exerce cette responsabilité rende compte régulièrement de son activité et de sa gestion à celui qui la lui a confiée, en fonction d’indicateurs d’évaluation. Les recommandations 23 à 27 vont dans ce sens.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Je tiens moi aussi à saluer le travail des fonctionnaires du Comité, et me félicite de la règle du binôme de rapporteurs bipartisan : nous avons agi en très bonne entente, dans d’excellentes conditions de travail. Nous avons abouti à 27 recommandations, regroupant en tout 76 propositions. Les instances de médiation procèdent d’un mouvement constaté dans toutes les démocraties. Elles ont acquis un caractère indispensable, mais deux impératifs s’imposent : la rationalisation et le contrôle du Parlement.

La rationalisation, d’abord, est nécessaire et urgente. La première mesure qui s’impose, le regroupement, est d’ailleurs déjà engagée : l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) en sont issues. Il faut continuer dans ce sens. Ainsi, il serait tout à fait logique que le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) soient regroupés au sein du Défenseur des droits. L’égalité et les discriminations auxquelles s’intéresse la HALDE sont en effet des droits fondamentaux, qui doivent être protégés par la même autorité que les autres. Quant à la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), il serait préférable, dans un premier temps, de la fusionner avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), pour créer un Contrôleur général de la sécurité. Il s’agit en effet du même sujet. Les deux ont d’ailleurs déjà un domaine commun : le personnel pénitentiaire. À terme, après le départ de M. Jean-Marie Delarue en 2014, ce nouvel ensemble pourrait peut-être être intégré dans celui du Défenseur des droits.

En revanche, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) n’y serait pas rattachée. Elle a en effet des obligations propres, tenant à l’évolution constante des technologies. Elle doit donc avoir beaucoup plus de souplesse et d’autonomie, parce qu’elle risque de devoir traiter des problèmes que nous ne connaissons pas encore. Elle pourrait en revanche être regroupée avec la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) : elles ont déjà en commun la question de la réutilisation des documents administratifs et s’occupent toutes les deux de la protection des données personnelles et de leur communication aux personnes concernées.

L’idée la plus novatrice, que nous devons largement à notre visite au Canada, est l’institution d’une Haute autorité de la vie politique qui regrouperait les quatre autorités qui s’occupent aujourd’hui de la transparence de la vie politique et des élections. Ce que nous avons en tête, en fait, c’est l’instauration d’un « Directeur général des élections », qui pourrait aussi, à terme, s’occuper du découpage électoral, ce qui supprimerait toute suspicion sur cette question essentielle dès lors qu’on pratique un scrutin uninominal par circonscription.

Un autre regroupement s’impose, technique celui-là, entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). C’est la convergence numérique qui pousse à rassembler ces domaines différents. Un regroupement de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et du Médiateur national de l’énergie serait également opportun. Pour ce type d’AAI, qui sont des autorités de régulation des marchés – surtout des marchés monopolistiques en voie d’ouverture à la concurrence – plutôt que des gardiens des droits et des libertés, il pourrait y avoir un regroupement sectoriel. Cela pourrait être le cas par exemple entre la CRE, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) et l’autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) qui vient d’être créée. Il faudrait aussi une clause de revoyure tous les cinq ans pour s’assurer qu’elles sont encore utiles. En revanche, les autorités agissant dans le champ des biens culturels, c’est-à-dire l’ARCEP, le CSA et la HADOPI, présentent une différence de nature fondamentale et seraient maintenues à part.

D’un point de vue plus concret, nous avons pensé à la création d’une Maison des libertés et des droits, qui regrouperait le Défenseur des droits, la CNIL et la CADA et qui pourrait s’installer au 20, avenue de Ségur, Paris 7è arrondissement, dans un bâtiment en déshérence qui était occupé par le ministère de l’Écologie. Il faudrait 60 millions d’euros de travaux, et encore 20 millions d’euros pour l’adapter aux normes du Grenelle, mais ce serait un lieu très symbolique qui permettrait aussi de gagner en efficacité et de diminuer les dépenses.

De façon plus radicale encore que le regroupement, nous proposons la suppression de la Commission des participations et des transferts (CPT), qui a connu huit mois de chômage technique en 2009 et à qui l’on n’a confié la quatrième licence de téléphonie mobile que pour l’occuper, et de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC), qui passe moins de temps à empêcher les ouvertures de magasin qu’à casser les décisions de refus d’ouverture des commissions départementales – les surfaces commerciales créées ont été multipliées par trois depuis qu’elle intervient ! Nous avons envisagé aussi, peut-être, la suppression de l’Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA).

D’autres autorités peuvent être transformées. Nous avons ainsi pu constater les graves difficultés qu’a pu rencontrer la Commission nationale du débat public (CNDP), notamment sur le thème des nanotechnologies. Sur une telle question, comme sur celle des OGM par exemple, c’est au Parlement qu’il revient naturellement d’organiser le débat public national. Une institution semblable à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) pourrait être créée à cette fin. Quant aux débats publics locaux, ils pourraient être confiés au Défenseur des droits, puisqu’ils entrent parfaitement dans ses attributions : la conciliation des intérêts privés individuels et de l’intérêt public.

Enfin, il faut créer des pôles communs, comme cela s’est déjà fait entre l’AMF et l’ACP en matière de mise sur le marché de produits financiers, et réduire les chevauchements, notamment en organisant mieux les relations entre les AAI et les administrations. Ce qui aura aussi des conséquences bénéfiques en termes d’effectifs : parfois, en effet, le personnel qui devait être transféré de l’administration à l’autorité a refusé, pour ne pas perdre son statut de la fonction publique. On a donc conservé les agents publics d’un côté et, de l’autre, dans la nouvelle autorité, recruté autant de personnes pour faire le travail… Ce n’est pas raisonnable.

On peut ainsi s’interroger sur la nécessité d’avoir à la fois un Médiateur du cinéma et un Centre national de la cinématographie (CNC), une Commission de la sécurité des consommateurs et un Institut national de la consommation (INC) ou encore une CNIL et une Commission nationale de la vidéosurveillance – qui ne doit au passage pas devenir une AAI car cela créerait une séparation artificielle entre vidéoprotection privée et vidéoprotection publique. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) pourraient aussi manifestement fusionner : l’IRSN met à la disposition de l’ASN cent agents en permanence, et quatre cents autres très souvent, sur les 850 qu’il compte au total… Je ne parle même pas du problème des agences sanitaires, qu’il revient à la commission des Affaires sociales de traiter.

Le deuxième impératif de la rationalisation est de renforcer le contrôle du Parlement sur les AAI. Il faut trouver un équilibre d’horloger entre le souci de donner le maximum d’autonomie aux autorités et celui d’assurer le contrôle le plus efficace. Pour cela, il faut confier ce contrôle, qui est en même temps une garantie, au Parlement. Cela suppose de lui donner, en amont, plus d’importance dans le choix des responsables des autorités – notamment en renversant la règle de majorité : les parlementaires doivent s’exprimer pour la nomination, et pas simplement avoir la possibilité de voter contre – et d’instaurer, en aval, la fameuse « reddition de compte ». En revanche, pour garantir des relations saines, il n’y aurait pas de contrôle interne – autrement dit, plus de parlementaires désignés au sein des collèges. Cela éviterait, il faut le dire, des problèmes d’absentéisme et parfois un certain déséquilibre des votes lorsque seulement un petit nombre des membres sont présents.

Enfin, pour conclure, je dirai qu’il faut renforcer les collèges, assurer l’indépendance fonctionnelle des autorités et, bien sûr, faire beaucoup d’économies.

M. Jean-Jacques Urvoas. Ce rapport, comme celui présenté la semaine dernière par M. Goulard et M. Pupponi, ouvre de bien belle façon le travail du Parlement sur l’évaluation. L’enjeu est important : un précédent rapport du Sénat sur les autorités administratives indépendantes commençait par l’aveu qu’il n’avait même pas été possible de les compter, faute d’avoir pu définir leur périmètre. Le présent travail est donc très attendu. Les AAI sont souvent interprétées comme étant un démembrement de l’activité du Parlement, qui leur délègue une partie de ses missions. Le paradoxe, c’est que, comme l’ont excellemment noté les rapporteurs, il s’en crée plus d’une par an, mais que, dès qu’elles sont en activité, le Parlement ne s’occupe plus ni de leur travail, ni de les évaluer ou de les contrôler.

Le constat ne suffisant pas, les rapporteurs font des propositions – qui n’engagent cependant qu’eux, puisqu’elles touchent entre autres à un projet en cours d’examen devant le Parlement et qui concerne la création d’un Défenseur des droits.

Il existe des points d’accord, notamment sur le fait que les dirigeants des AAI doivent dépasser les frontières partisanes. L’idée de la majorité des trois cinquièmes me semble à cet égard essentielle. Ainsi, on nous a expliqué que la fonction du « Défenseur du peuple » espagnol serait impossible s’il ne bénéficiait pas d’une telle majorité, qui assoit sa légitimité et accentue le poids de ses préconisations. Je suis également très favorable à l’idée d’une Haute autorité sur la transparence de la vie politique, qui remplacerait des structures multiples et peu claires aux jurisprudences incohérentes.

Toutefois, il existe aussi des points de désaccord, en particulier en ce qui concerne l’articulation entre le fonctionnement de certaines autorités et l’instauration du Défenseur des droits. Mais nous aurons bientôt l’occasion d’en débattre. En l’état actuel du texte, il nous manque des garanties essentielles. Surtout, nous ne voyons pas comment un contrepouvoir pourrait être nommé par le pouvoir. Nous ne pourrons pas discuter valablement des autres questions tant que ce péché originel du mode de nomination ne sera pas levé.

Enfin, je me réjouis de ce rapport, qui servira sans doute de travail de référence au cours de nos échanges.

M. Jean Mallot. À mon tour de féliciter et de remercier nos deux rapporteurs pour leur travail considérable, qui démontre s’il était besoin combien nous avons eu raison de décider de l’entreprendre, à l’unanimité d’ailleurs. Le rapport présente une analyse et un diagnostic particulièrement pertinents.

Le premier angle d’attaque de la question est celui de la légitimité et du périmètre des autorités. La légitimité est au cœur du travail d’évaluation : les quelques autorités qui ont perdu leur raison d’être doivent être supprimées. Quant au périmètre, nous savons que les frontières de compétences sont parfois floues entre deux autorités, ou entre l’une d’elles et l’administration. L’externalisation, qui est à l’origine de la création d’un grand nombre d’entre elles, n’a parfois pas été poussée jusqu’au bout, avec les doublons et les difficultés de fonctionnement qui en résultent. Au passage, je note que la première raison que présente le rapport pour la création d’une AAI est l’impartialité. Est-ce à supposer que les services de l’administration d’État qui ont été externalisés n’étaient pas impartiaux ?

Le deuxième angle d’attaque est celui des moyens des autorités, et du lien entre l’existence de ressources propres et leur autonomie.

Le troisième angle d’attaque porte justement sur la question de l’autonomie et de l’indépendance des autorités, les deux devant d’ailleurs être distinguées. Il faut trouver la formule pour que les AAI soient autonomes tout en rendant compte, et que leurs avis et décisions soient indépendants. C’est un équilibre à trouver, mais il est nécessaire qu’elles rendent compte au Parlement.

Nous débattrons des propositions du rapport. En ce qui concerne la Commission nationale du débat public par exemple, je n’ai rien contre le principe de confier au Parlement l’organisation des grands débats publics, mais cela suppose que le fonctionnement parlementaire évolue encore beaucoup, notamment que la prégnance du fait majoritaire s’atténue. Il n’est pas question que le débat sur de telles questions soit perçu par la population comme organisé par la majorité du moment.

Quant au Défenseur des droits, certains de nos collègues sont assez réticents à l’idée d’y rattacher la HALDE. Le débat sera sans doute assez vif, comme sur la Commission nationale de déontologie de la sécurité ou sur une possible Haute autorité de la vie politique – je suis très favorable à l’institution de cette Haute autorité, mais je sais que cette position n’est pas forcément partagée et qu’il faudra en tout cas du temps pour s’habituer à cette idée.

Il faudra aussi réfléchir à la question des ressources des autorités, liée à celle de leur indépendance. Vous suggérez qu’elles proviennent, quand cela est possible, des organismes qu’elles contrôlent. Cela leur donnerait certes des moyens pérennes, fondés sur leur activité propre, mais pourrait aussi engendrer un soupçon de partialité. Dans le domaine sanitaire par exemple, on ne peut que s’interroger sur l’influence que cela aurait sur l’indépendance des avis et décisions rendus.

Bref, nous allons nous saisir de toutes ces propositions : d’abord, en poursuivant le travail en commission – notamment au sein de la commission des Affaires sociale, puisqu’une multitude d’agences relève de son périmètre de compétence – ; ensuite, en débattant dans l’hémicycle des modifications et des regroupements proposés ; enfin, en discutant avec le Gouvernement, qui, trop souvent, ne tient aucun compte des préconisations d’ordre réglementaire que font nos missions d’évaluation.

M. Jean-Claude Lenoir, secrétaire du bureau de la commission des Affaires économiques, suppléant son président. Au nom du président de la commission des Affaires économiques, Patrick Ollier, je voudrais dire tout l’intérêt de ce rapport. Je note que le périmètre des AAI est difficile à déterminer, puisque leur cadre juridique demeure assez flou, et qu’on ne peut pas traiter de la même façon celles qui décident et celles qui émettent des recommandations.

Pour le reste, les modifications proposées me paraissent extrêmement utiles et opportunes. Face à la prolifération des AAI, souvent assez mal identifiées, il faut améliorer leur lisibilité et leur efficacité – le rapport met en lumière des chevauchements surprenants.

Il faut aussi renforcer leur indépendance, ce qui soulève la question de leurs ressources. Lorsqu’elles sont assurées par l’État, celui-ci a du mal à identifier les moyens nécessaires. C’est pourquoi j’avais proposé, dans le cadre de la discussion de la loi de décembre 2006 créant le Médiateur national de l’énergie, que celui-ci soit financé par la contribution au service public d’électricité payée par l’ensemble des consommateurs. Cela lui donne les ressources nécessaires à l’exercice de ses missions. Enfin, il faut limiter les dépenses des autorités, notamment en veillant au bon déroulement des opérations de création et de transfert de personnel.

Par ailleurs, pour ce qui est du regroupement des autorités, notre marge de manœuvre est limitée. Ainsi, dans le projet de loi « NOME » sur la nouvelle organisation des marchés de l'électricité, qui est encore en cours d’examen, notre tentative de fusion de la CRE et du Médiateur national de l’énergie s’est heurtée à l’application de l’article 40 de la Constitution : le transfert à la CRE – qui est financée par le budget de l’État – du Médiateur – qui ne l’est pas – créait en fait une charge pour l’État. Il faut donc que le Gouvernement prenne l’initiative en la matière.

Enfin, le rôle du Parlement doit incontestablement être renforcé. L’Ombudsman suédois est nommé par le Parlement : c’est bien la preuve que ce n’est pas incompatible avec la notion d’indépendance. La loi prévoit déjà que les responsables des AAI soient soumis à un avis valant approbation des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. C’est très bien, sauf que les membres des commissions entrent et sortent tout au long des réunions. On est bien loin des séances du Congrès américain… Il serait peut-être préférable que l’avis soit rendu par le bureau de la commission, qui serait un interlocuteur plus adapté.

M. Louis Giscard d’Estaing. Ce rapport est vraiment emblématique des travaux de ce Comité. Il démontre la pertinence du choix du sujet et la réalité du problème. Il fait avancer le travail entamé par le Sénat sur ces AAI – dont le caractère particulier dans nos institutions a été souligné par le vice-président du Conseil d’État lors de son audition –, notamment en fixant à 42 le nombre de ces autorités. Il est d’ailleurs à noter que le vice-président du Conseil d’État n’envisageait pas la question comme un démembrement du rôle du Parlement, mais comme un démembrement de celui de l’État.

Le rapport émet un certain nombre de préconisations extrêmement utiles sur lesquelles il faudra poursuivre l’effort, concernant notamment la maîtrise des budgets et le contrôle. Je suis très favorable à ce que chaque autorité se voie attribuer un rapporteur spécial de la commission des Finances. Je suggère en outre de constituer un binôme majorité-opposition, l’un des deux corapporteurs étant alors désigné par la commission compétente dans le domaine de l’autorité considérée.

Par ailleurs, il faudra améliorer la procédure des nominations. Quant à la présence ou non de membres du Parlement dans les collèges, la bonne formule pourrait être que les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat proposent la nomination de personnalités qualifiées. C’est déjà le cas pour l’ACP, et nous pouvons constater que c’est un progrès.

Pour ce qui est du suivi, nous pourrions prévoir un débat sur ce rapport lors de la semaine de contrôle. Cela passionnerait beaucoup de monde. Enfin, les deux rapporteurs pourraient venir devant chacune des commissions permanentes pour évoquer plus précisément les autorités de leur ressort.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je voudrais à mon tour saluer le travail de nos deux collègues. C’est tout l’intérêt de ce comité que de traiter des sujets transversaux qu’on n’appréhende dans les commissions que sous l’angle ponctuel d’un texte. Comme Louis Giscard d’Estaing, je pense que l’enjeu, maintenant, c’est la suite. Je serais heureux que les rapporteurs viennent présenter leur travail à la commission des Lois, de préférence avant le texte sur le Défenseur des droits, afin de poser les bases de notre réflexion.

Cela dit, il ne faut pas se cacher qu’il faudra beaucoup d’énergie pour faire bouger les choses. Pour être clair, certaines autorités se servent aussi des budgets que nous leur accordons pour financer des actions de lobbying dès lors que nous avons la velléité de toucher à leur rôle, ce que je trouve extrêmement choquant.

Par ailleurs, le regroupement de certaines autorités impliquera un énorme travail juridique, dans la mesure où elles n’ont pas les mêmes rôles ni les mêmes prérogatives. Cela nécessitera de remettre à plat des pans entiers du droit. Mais il est dans l’intérêt général de s’y atteler. La commission des Lois fera le maximum pour tirer des suites concrètes de ce rapport d’ici à la fin de l’année.

M. Pierre Morange, vice-président de la commission des Affaires sociales, suppléant son président. Au nom du président Méhaignerie, qui vous prie d’excuser son absence, je voudrais à mon tour saluer la qualité du travail des deux rapporteurs. Leurs recommandations s’inscrivent dans l’aspiration des parlementaires à enfin clarifier un paysage bien trop touffu. La commission des Affaires sociales va commencer à plancher sur le sujet, avec une mission d’information dans un domaine sanitaire et aussi social marqué par une grande complexité – la MECSS, que je copréside avec Jean Mallot, avait voulu s’atteler à cette tâche, mais son programme de travail chargé ne lui permettait pas de l’achever d’ici à la fin de cette mandature. Nul doute que le travail des rapporteurs constituera le cadre général de notre réflexion. Par ailleurs, nous suivrons avec attention le développement des travaux au sein des autres commissions.

M. René Dosière, rapporteur. S’agissant du Défenseur des droits, je suis tout à fait d’accord avec Jean-Jacques Urvoas : sa nomination par le Parlement ne pourrait que renforcer son autorité. Ceci dit, en l’état actuel des textes, il est tout de même « constitutionnalisé » et nommé pour six ans, avec avis des commissions. Même si l’on peut faire mieux, cela lui donne déjà une certaine légitimité. Quant à l’impartialité dont parlait Jean Mallot, il est régulièrement ressorti de nos auditions que le contact avec une personne spécifique indépendante – je pense au Médiateur du cinéma par exemple – donnait le sentiment d’une plus grande impartialité qu’avec l’administration.

J’indique à M. Lenoir que les annexes au rapport donnent des éléments d’information très précis, sans aucun commentaire de notre part. Il est vrai que la suppression d’une autorité, ou un regroupement, sont toujours délicats et qu’on se demande toujours combien de personnes seront concernées. Il est aussi vrai qu’au-delà des généralités que nous vous avons exposées, il faudra traiter les autorités au cas par cas : toutes ne peuvent pas être financées par des ressources propres, toutes n’ont pas le même type de fonctions.

Nous reviendrons sur le Défenseur des droits lors de la discussion législative. Nous avons déjà rencontré le rapporteur de la commission des Lois pour commencer un travail commun. Nous savons que nombre de nos collègues s’inquiètent. Qu’il soit clair que nous ne proposons pas pour l’instant d’intégrer la CNDS : ce n’est que dans quatre ans que nous vous proposons qu’elle rejoigne le Défenseur des droits, après un premier rapprochement avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Quant au regroupement avec la HALDE, il en sera longuement question. Notre souhait est de donner une lisibilité plus grande à certaines AAI et de regrouper celles qui ont des tâches communes, mais en même temps de préserver leur autonomie dans leur domaine au sein des structures ainsi regroupées.

Enfin, j’ai bien noté les remarques de M. Giscard d’Estaing sur le suivi des autorités par deux rapporteurs, dont un de la commission des Finances. Il se trouve que parmi les AAI, celles qui ont la personnalité morale, les autorités publiques indépendantes (API), et sont dotées de ressources propres, échappent à tout contrôle du Parlement puisqu’elles ne figurent pas dans le budget de l’État. Ces autorités échappant ainsi à tout contrôle, il serait particulièrement opportun de leur attribuer un rapporteur budgétaire.

M. Christian Vanneste, rapporteur. Je suis d’accord avec presque tout ce qu’ont dit MM. Urvoas et Mallot, surtout à propos de la légitimité et du périmètre, qui sont des points fondamentaux. C’est la raison pour laquelle nous proposons clairement un déplacement du contrôle des autorités de l’exécutif vers le législatif, ce qui est presque une révolution dans notre tradition démocratique – s’agissant du Défenseur des droits, le coup étant parti, cela paraît un peu tard mais telle est tout de même notre intention.

Ainsi que le disait M. Mallot en distinguant l’autonomie de l’indépendance, le problème essentiel est celui de l’équilibre. L’indépendance fait que chaque instance créée tend à persévérer dans son être, voire à envahir les autres. C’est ce qui produit cette « soft law », cette réglementation qui déborde sur la loi alors qu’elle est faite par une instance qui n’a pas de légitimité démocratique. Chacun doit être remis à sa place. C’est pourquoi nous préconisons un équilibre dans la relation privilégiée entre le Parlement et les autorités : certes, celles-ci ne doivent pas être dans une trop grande dépendance par rapport au pouvoir exécutif et aux administrations dont elles sont souvent issues, c’est le rôle du Parlement que d’y veiller, mais il doit en même temps contrôler qu’elles exercent leurs missions non seulement telles qu’elles sont définies par la loi, mais en outre dans le cadre de l’action politique globale. Nous suggérons à ce propos toute une série de dispositifs pour encadrer d’éventuels débordements budgétaires, ainsi qu’un renforcement du rôle du commissaire du Gouvernement. En effet, une AAI a beau constituer une forme de contrepouvoir, elle n’est pas pour autant un pouvoir. Elle doit donc se situer dans la ligne de l’action politique globale de l’État, par exemple en respectant les règles de la gestion publique et les orientations de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Quant au Défenseur des droits, il me semble que l’idée de départ peut être corrigée à partir du concept d’Ombudsman qu’a évoqué M. Lenoir. J’en ai déjà parlé avec le président Jean-Paul Delevoye ainsi qu’avec Jeannette Bougrab. En Suède, il y a quatre Ombudsmans parlementaires, dont un primus inter pares. De la même façon, il pourrait y avoir quatre ou cinq départements dédiés à la défense de droits spécifiques, qui jouiraient d’une grande autonomie par rapport au Défenseur des droits lui-même. Ce serait une bonne solution, mais qui nécessite une évolution législative substantielle.

Ce qui m’amène aux propos de Jean-Luc Warsmann sur la complexité du droit. Celle-ci ne doit pas devenir un obstacle. Grand admirateur de Georges Pompidou, dont Le nœud gordien a marqué mes lectures, je pense qu’il faut savoir de temps en temps sortir le glaive. Il est bon que les juristes sachent jongler avec les difficultés juridiques, mais il est parfois préférable de trancher le nœud.

Par ailleurs, je me félicite de la suggestion de Louis Giscard d’Estaing que nous venions devant les commissions permanentes pour présenter ce rapport et écouter leurs remarques.

Enfin, j’encourage vivement Pierre Morange à réfléchir à la rationalisation des quelque dix-huit agences sanitaires qui entourent la Haute autorité de santé (HAS).

M. le Président Bernard Accoyer. Ce travail est passionnant, et le sujet essentiel. Il faudrait maintenant que la commission des Affaires sociales mène le même sur les agences sanitaires, voire un peu au-delà puisqu’un certain nombre d’autres organismes semblent se conférer un rôle proche de celui des agences sanitaires à proprement parler. Je propose bien sûr que le Comité décide de la publication du rapport et de sa transmission au Premier ministre, étant bien entendu qu’il n’engage que ses auteurs et que les avis nuancés exprimés par certains figureront dans le compte rendu.

Ce sujet va maintenant tous nous mobiliser. Se pose d’abord la question d’un débat en séance publique autour des conclusions du rapport. Ce sera certes complexe, dans la mesure où de nombreux ministres seraient concernés, mais le sujet mérite une large exposition. J’espère qu’il connaîtra des suites importantes, dans la ligne du travail de Jean-Luc Warsmann en matière de simplification du droit. Réfléchissons donc à un protocole pour cette séance publique : peut-être une présentation du rapport en présence du Premier ministre ? Car nous touchons là au cœur de nos institutions – à la répartition des pouvoirs, à l’équilibre du système et aux réformes majeures de simplification. Nous conclurons lors de notre prochaine réunion sur la forme de ce débat.

Il faudra ensuite que les commissions se saisissent de ce qui ressortit à leur domaine respectif de compétences, et surtout que le Comité effectue un important travail de suivi. Nos rapporteurs seront mobilisés, comme le prévoit l’article 146-3 de notre Règlement. Ce sera une affaire de longue haleine, qui nécessitera peut-être plusieurs rapports successifs. Je propose de faire le point tous les six mois. C’est d’ailleurs l’occasion de soulever une autre question : le Comité doit-il multiplier les auto-saisines sur de nouveaux sujets ou préférer un travail de fond, achevé et donnant effectivement lieu à une mise en œuvre, quel que soit le temps que cela doit prendre ? Nous ne pourrons pas effectuer le suivi de beaucoup de sujets aussi lourds que celui-ci.

Quoi qu’il en soit, nous voyons aujourd’hui toute l’amplitude des nouvelles responsabilités que l’Assemblée s’est données avec le Comité d’évaluation et de contrôle (CEC), et je remercie chacun de ceux qui ont participé à cette discussion.

M. Jean-Luc Warsmann. Le Comité d’évaluation et de contrôle a joué son rôle dans cette affaire qui transcende le champ de chaque commission. Maintenant, il doit vérifier que chacune dans son domaine examine ses recommandations. Assurer le suivi de ce travail et en lancer d’autres n’est pas contradictoire. Le CEC doit jouer un rôle d’aiguillon.

Par ailleurs, si j’ai soulevé la question de la complexité juridique du sujet, ce n’est pas pour inciter au renoncement, loin s’en faut. J’avais surtout à l’esprit l’éventualité de recourir à l’avis du Conseil d’État. Car il va maintenant falloir écrire du droit pour mettre en œuvre les recommandations qui seraient retenues. Comme il ne semble pas dans l’intention du Gouvernement de s’y atteler, c’est nous qui devrons le faire, et il serait bon de soumettre nos propositions au Conseil d’État.

M. le Président Bernard Accoyer. C’est très pertinent. Toutefois, il ne faudra pas oublier notre travail de suivi au profit d’autres rapports : je suis toujours préoccupé par l’éparpillement qui conduit à oublier les premières initiatives. Le travail de fond ne peut être fourni que par les commissions, mais c’est au Comité de vérifier qu’aucune recommandation n’a été oubliée.

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Conformément aux dispositions de l’article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport d’information. Le rapport sera distribué et publié sur le site internet. Il sera transmis au Premier ministre et au ministre chargé du budget.

Désignation de rapporteurs 

Mme Danièle Hoffman-Rispal (SRC) est nommée rapporteure sur l’évaluation de la politique de l’hébergement d’urgence.

M. Michel Heinrich (UMP) est nommé rapporteur sur l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe.

Le rapporteur pour l’opposition sera désigné ultérieurement.

Le président de la commission des Affaires sociales, membre de droit du Comité, participera aux travaux des rapporteurs.

Le Comité prend acte de la désignation par la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire de MM. Jacques Le Nay (UMP) et Christophe Carresche (SRC) pour participer aux travaux.

M. François Cornut-Gentille (UMP)  et M. Christian Eckert (SRC) sont nommés rapporteurs sur l’évaluation de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Prochaine séance : la prochaine réunion aura lieu jeudi 9 décembre à 11 heures avec l’ordre du jour suivant :

– examen du résultat de l’appel d’offres pour l’accord-cadre pour la réalisation d’études par des prestataires externes ;

– éventuellement, examen de l’étude préliminaire de MM. Jean-Pierre Gorges et Jean Mallot sur le thème « Politiques publiques et évolution des inégalités sociales ».

La séance est levée à 11 h 35.