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Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Jeudi 30 juin 2011

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale, Président du Comité

– Évaluation des mesures fiscales et sociales en faveur des heures supplémentaires : examen du rapport (MM.  Jean-Pierre Gorges et Jean Mallot, rapporteurs)

– Programme de travail du Comité (assistance de la Cour des comptes)

– Informations relatives au Comité

Hôtel de Lassay

La séance est ouverte à onze heures.

Évaluation des mesures fiscales et sociales en faveur des heures supplémentaires : examen du rapport (MM.  Jean-Pierre Gorges et Jean Mallot, rapporteurs) 

M. le Président Bernard Accoyer. Nous examinons ce matin le rapport de MM. Jean-Pierre Gorges et Jean Mallot sur l’évaluation des mesures fiscales et sociales en faveur des heures supplémentaires.

Je rappelle que ce sujet a été proposé par le groupe SRC au titre de son premier « droit de tirage » annuel.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. La mesure concernée, qui constitue l’article 1er de la loi TEPA, avait été annoncée pendant la campagne présidentielle. Elle vit le jour à l’été 2007, soit dix ans après la mise en place des 35 heures ; or, aujourd’hui, la gauche et la droite commencent à s’accorder à dire que son efficacité n’est pas complète.

Son objectif était de réconcilier les Français avec le travail et de gommer les effets négatifs des 35 heures, dont, pour ma part, je souhaitais la suppression pure et simple.

Il s’agissait de favoriser les heures supplémentaires, au bénéfice des salariés comme des entreprises : pour les premiers avec les bonus induits par l’exonération de charges sociales et, le cas échéant, par la défiscalisation ; pour les seconds avec l’exonération de charges sociales et les avantages liés au nouveau mode de calcul du dispositif Fillon.

Puisque la mesure avait été programmée peu avant l’élection présidentielle, aucune étude d’impact précise n’avait été réalisée. Nous souhaitons d’ailleurs que ce type d’étude devienne plus systématique. Quoi qu’il en soit, la mesure plaît aux Français : elle donnait une traduction à la formule « Travailler plus pour gagner plus ». De surcroît, sa mise en œuvre s’inscrivait dans un contexte de dynamisme économique puisque, à l’été 2007, la croissance était supérieure à 2 % et le taux de chômage s’établissait à 7,5 %.

L’interprétation des résultats peut évidemment faire débat. Il est néanmoins intéressant de constater, au terme de nos six mois d’auditions, que le diagnostic est pour ainsi dire unanime.

Les résultats sont cependant différents pour les salariés, selon qu’ils appartiennent au secteur privé ou au secteur public. Dans le privé, en période de ralentissement de l’activité économique, le dispositif a donné lieu à un fort effet d’aubaine, puisque plus de 9 millions de salariés travaillaient encore 39 heures ; reste que, globalement, peu d’heures supplémentaires furent créées au-delà de ces quatre heures entre 2008 et 2010.

Dans le secteur public, la mesure est en revanche particulièrement efficiente car elle ne dépend pas de l’évolution du marché. C’est tout particulièrement vrai dans la fonction publique d’État, où le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a entraîné une réorganisation du travail, et bien entendu dans la fonction publique hospitalière, où les heures supplémentaires ont permis de pallier, en termes d’organisation du travail et d’utilisation des compétences, les effets néfastes des 35 heures. J’ajoute que l’absence d’exonération de charges sociales pour ces employeurs rend le dispositif plus avantageux pour les finances publiques.

Le coût total de la mesure serait d’environ 4,5 milliards d’euros, dont 3,2 milliards au bénéfice des salariés et 1,3 milliard au bénéfice de l’entreprise. Dans la fonction publique, l’exonération coûte environ 300 millions d’euros ; dans le privé, la dépense fiscale s’élève à 1,2 milliard d’euros et les exonérations de charges sociales patronales atteignent également 1,3 milliard d’euros.

La mesure, qui n’a pas eu l’efficacité qu’on en attendait en matière de création d’heures supplémentaires, a en revanche augmenté le pouvoir d’achat dans un contexte économique difficile.

Pour le monde de l’entreprise, qui se plaint habituellement du coût du travail, les exonérations de charges – 1,3 milliard, dont 700 millions d’exonérations de charges sociales et 600 millions au titre du nouveau calcul de l’allégement Fillon – ont constitué un bénéfice immédiat. On peut se dire que le contexte n’était pas approprié, mais la mesure a apporté un nouveau souffle aux entreprises. Il est patent, néanmoins, qu’elle n’a pas aboli les 35 heures : c’est la loi d’août 2008 qui l’a fait, puisqu’elle dispose que le temps de travail est désormais négociable au niveau de l’entreprise, même si les 35 heures restent le seuil à partir duquel sont comptabilisées les heures supplémentaires. En bonne logique, il aurait été préférable de voter le dispositif Tepa après la loi de 2008.

Si l’outil est très efficace dans la fonction publique, il constitue surtout un gain de pouvoir d’achat pour les salariés du privé. Pour eux, je ne vois pas comment on pourrait le remettre en cause, dans la mesure où ils ne bénéficient pas de la disposition permettant de travailler 35 heures payées 39 – disposition qui coûte 12 milliards d’euros au budget de l’État. Le but serait d’obtenir des heures supplémentaires au-delà de ces 39 heures ; mais c’est l’activité économique qui en décidera.

L’allégement du coût du travail est nécessaire pour encourager l’embauche, mais pas de cette façon : puisque c’est le marché qui commande la création d’heures supplémentaires par les entreprises, la mesure, loin d’inciter à l’embauche, risque d’empêcher le recours à l’intérim, au CDD et surtout au CDI. Afin d’inciter les entreprises à embaucher, les exonérations, qui représentent 1,3 milliard d’euros, devraient plutôt porter sur les premières heures travaillées.

De ces conclusions, M. Mallot tirera sans doute des orientations différentes. Cela dit, il me semble impossible de revenir sur les avantages octroyés aux salariés. Au niveau de l’entreprise, il faut trouver d’autres moyens de diminuer le coût du travail, notamment sur les premières heures travaillées. D’une façon générale, le dispositif est contradictoire avec la loi de 2008 : la durée à partir de laquelle les heures supplémentaires doivent être comptabilisées relève plutôt d’accords de branche. C’est ainsi que l’on tirerait un trait définitif sur les 35 heures !

M. Jean Mallot, rapporteur. Au risque de surprendre, je n’ai pas grand-chose à ajouter sur le constat sur lequel nous n’avons pas de désaccord.

Il me semble cependant qu’il importe de bien distinguer l’évaluation et les préconisations, sur lesquelles M. Gorges et moi-même sommes d’ailleurs aussi partiellement d’accord.

Nous souhaitons qu’à l’avenir, de telles mesures fassent l’objet d’une étude d’impact, ou que, à tout le moins, on utilise les études qui existent déjà. En l’occurrence, le Conseil d’analyse économique en avait réalisé une, où il se montrait très réservé : il est regrettable, pour employer une litote, qu’elle soit restée confidentielle jusqu’après le vote du projet de loi.

Cette étude d’impact, nous avons en quelque sorte voulu la faire a posteriori. L’objectif général de la mesure était de revaloriser le travail, d’augmenter le pouvoir d’achat et, si possible, d’encourager l’emploi.

La mesure présente cinq aspects. Le premier est la défiscalisation de la rémunération des heures supplémentaires. J’insiste sur ce point, car c’est la rémunération de l’heure entière qui est défiscalisée, et non, comme dans certains pays, la seule majoration de 25 %. Le deuxième aspect est la réduction de cotisations sociales salariales ; le troisième, la hausse de la majoration des heures supplémentaires dans les entreprises de vingt salariés au plus, majoration que la loi de 2005 avait portée à 10 % – cette disposition devait prendre fin au 31 décembre 2008.

Quatrième aspect : la déduction forfaitaire sur les cotisations patronales – 0,50 euro par heure supplémentaire, et 1,50 euro dans les entreprises de vingt salariés au plus.

Enfin, le dispositif modifie le mode de calcul de l’allégement Fillon sur les bas salaires.

L’effet d’aubaine, massif, était prévisible, puisque ces mesures s’appliquaient aussi aux heures supplémentaires existantes – 730 millions en 2007. Or les heures supplémentaires sont déjà, parmi les heures travaillées, les plus rentables pour les entreprises et les plus rémunératrices pour les salariés. Elles offrent donc un double avantage.

Les effets sur l’emploi sont mitigés. Le dispositif ne crée guère d’heures supplémentaires au-delà de 39 heures et, en période de crise, il donne au chef d’entreprise un moyen alternatif à l’intérim, au CDD ou à l’embauche. Il ralentit donc la réduction du chômage.

La mesure donne, par définition, du pouvoir d’achat aux salariés – mais il en irait de même si l’on distribuait directement de l’argent à la sortie du métro. La question qu’il faut en conséquence se poser est celle de son efficacité. Or, si la mesure coûte 4,5 milliards aux finances publiques, soit 0,23 % du PIB, elle n’augmenterait celui-ci que de 0,15 %.

D’autre part, elle accroît les inégalités. La défiscalisation, par exemple, ne concerne que les personnes imposées sur leur revenu ; or elle est financée par une dette qui, par définition, repose sur tous les contribuables.

Le dispositif est aussi paradoxal, puisque, comme M. Gorges l’a montré, elle a « cristallisé » les 35 heures et a eu plus d’effets dans la fonction publique que dans le secteur privé.

Nous partageons plusieurs préconisations.

La première est de supprimer les réductions de cotisations patronales : soutenir les heures supplémentaires alors qu’elles sont déjà les plus avantageuses pour l’entreprise est en effet une incongruité économique. Cette suppression permettrait de récupérer 1,3 milliard d’euros – 700 millions au titre de la réduction des cotisations et 600 millions au titre du calcul de l’allégement Fillon.

Quant aux cotisations salariales, je comprends l’argument de M. Gorges : il est délicat de revenir sur les gains octroyés aux salariés. J’estime pour ma part que les 2,4 milliards d’euros correspondant pourraient subventionner les « première heures » plutôt que les heures supplémentaires, afin d’encourager l’embauche.

Nous n’avons pas non plus le même avis sur la défiscalisation, qui me semble très injuste et que je propose donc de remettre en cause. Une variante serait de plafonner l’avantage fiscal, ou d’appliquer la défiscalisation uniquement à la partie majorée de l’heure supplémentaire.

Par ailleurs, nous sommes tombés d’accord pour dire que, si la loi doit fixer la durée du travail, notamment en instituant un plafond maximal notamment pour préserver la santé des salariés, les adaptations relèvent de la négociation par branche. Il convient cependant selon moi de respecter la hiérarchie des normes, donc de revenir sur la loi de 2008 qui l’a inversée : l’accord de branche devrait primer sur l’accord d’entreprise – M. Gorges pense le contraire, mais il faut bien que nous ayons quelques désaccords.

Nous préconisons enfin de supprimer graduellement les 12 milliards d’aides publiques consenties pour accompagner la réduction du temps de travail : depuis dix ans, les entreprises ont eu le temps de s’adapter.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des Affaires sociales. Ma première réaction, à la lecture de ce document utile et de qualité, a été la surprise : il contient en effet de vraies propositions.

Notre fil directeur est de concilier trois objectifs : la compétitivité, la réduction des déficits et la justice. Les avantages accordés aux employeurs peuvent être remis en question, comme l’a montré M. Gorges, dans l’optique de réduire les déficits. En revanche, les avantages octroyés aux salariés sont une absolue nécessité. Lorsque le taux de chômage avoisine les 7 %, trouver de la main-d’œuvre devient très difficile. Je suis, pour ma part, élu dans un bassin d’emploi où le taux de chômage n’est que de 5 % : les heures supplémentaires y sont vitales. Si celles-ci perdent leurs avantages, les salariés ne voudront plus en faire. Cela entraînera donc de nouvelles rigidités pour l’entreprise, et sera injuste pour les salariés qui bénéficient jusqu’à présent du dispositif, au premier rang desquels les ouvriers.

Ces avantages, d’ailleurs, doivent être maintenus dans le privé plus encore que dans le public : les entreprises privées et leurs salariés ont dû faire de réels efforts de productivité pour compenser la lourde charge des 35 heures. Bref, des économies sont possibles, mais seulement sur les exonérations des charges patronales, et jusqu’à un certain niveau seulement – puisque les heures supplémentaires leur coûtent tout de même 25 % de plus en rémunération brute.

Croire qu’on peut facilement remplacer un salarié par un autre dans des entreprises de plus en plus technologiques est un leurre. Où trouver de la main-d’œuvre en période de relance économique ? Les incitations salariales sur les heures supplémentaires sont donc indispensables, en plus que d’être justes !

M. Olivier Carré, suppléant le président du groupe UMP. Messieurs les rapporteurs, je n’ai pu faire qu’une lecture superficielle du projet de rapport, mais je vous ai écoutés attentivement.

Permettez-moi de formuler quelques objections. Les premières tiennent au contexte. En 2007, alors que j’étais chef d’une petite entreprise, nous appréhendions beaucoup le passage aux 35 heures. L’asymétrie est grande, en effet, entre les compétences qui existent dans l’entreprise et les qualifications des éventuels candidats à l’embauche, sans parler des rigidités du contrat de travail. Dans des secteurs comme les transports, où l’on s’inquiétait beaucoup de la mise en œuvre des 35 heures, les heures supplémentaires ont permis de trouver des solutions rapides à l’échelle micro-économique : certaines de vos conclusions, macro-économiques, n’ont en effet pas de sens à l’échelle des entreprises et au regard des relations entre employeur et employés.

Par ailleurs, l’asymétrie que j’évoquais joue encore plus dans le secteur public, qui se trouve être, comme par hasard, celui où le dispositif a produit les plus d’effets. Sans ce dernier, y aurait-il eu une telle augmentation du pouvoir d’achat en période de crise ?

Il est vrai que la dynamique espérée dans le secteur privé n’a pas eu lieu, même si le travail appelle toujours le travail : c’est lorsqu’une entreprise, par le travail de tous ses membres, fidélise un client, et donc stabilise un surcroît d’activité, qu’elle peut embaucher. L’intérim et les heures supplémentaires présentent des avantages respectifs, mais au moins les secondes permettent-elles d’octroyer du pouvoir d’achat à l’équipe que représente l’entreprise. Je conçois que de tels aspects soient difficiles à mesurer, mais ils sont fondamentaux.

On a évoqué les faibles effets du dispositif sur la croissance, mais je rappelle qu’au moment de sa mise en œuvre, notre pays était en récession. Beaucoup de conclusions du rapport me semblent donc devoir être relativisées compte tenu du changement de contexte économique en cours.

Monsieur Mallot, si le secteur privé a créé si peu d’heures supplémentaires, en quoi le système mis en place a-t-il pu gêner l’embauche ?

M. Louis Giscard d'Estaing. La mesure répondait à une observation que j’avais formulée en 2005 et 2006 : jusqu’alors, seules les cotisations sociales patronales faisaient l’objet d’exonérations. Il s’agissait donc d’en faire bénéficier aussi les salariés, afin d’améliorer leur pouvoir d’achat. C’est cette observation qui fut prise en compte dans la loi Tepa.

Par ailleurs, les entreprises de moins de vingt salariés faisaient l’objet d’un régime dérogatoire puisque, jusqu’au 1er janvier 2008, elles pouvaient rester aux 39 heures ; pour les autres entreprises, la majoration des heures supplémentaires s’établissait, selon les seuils, à 25 % et à 50 %. En plus de l’aspect relatif à la rémunération, il s’agissait donc d’harmoniser les régimes des différents types d’entreprise.

Les données figurant dans le rapport montrent bien qu’entre 2002 et 2007, les heures supplémentaires ont augmenté dans toutes les catégories d’entreprise. Si l’on constate une accélération à partir de 2007, c’est que la tendance était déjà engagée depuis la mise en place des 35 heures.

En ce qui concerne l’évaluation, n’oublions pas que la mesure a eu des effets bénéfiques sur le pouvoir d’achat en 2008 et 2009. Il faut néanmoins s’interroger, à partir de votre travail, sur le cumul des exonérations de charges.

Mme Laure de La Raudière, suppléant le président de la commission des Affaires économiques en tant que vice-présidente. Je remercie le groupe SRC d’avoir utilisé son droit de tirage sur ce sujet : cela nous permet aujourd’hui d’avoir un vrai débat de fond.

Le droit du travail doit offrir suffisamment de souplesse pour accompagner le développement des entreprises, notamment en permettant à leurs salariés d’effectuer les heures supplémentaires nécessaires à l’obtention de nouveaux contrats. C’est ainsi qu’une entreprise peut se développer et, par la suite, créer des emplois pérennes.

Vos présentations, messieurs les rapporteurs, ont montré que le dispositif a amorti les effets de la crise en donnant du pouvoir d’achat aux salariés. Il répondait aussi, on le souligne trop peu, à un souci d’équité.

Je serai plus modérée que M. Méhaignerie sur les exonérations de charges pour les entreprises : il faudrait étudier précisément leur impact, notamment en termes de compétitivité, avant d’envisager de les remettre en cause. Cette question est d’ailleurs l’une des préoccupations de la mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale, présidée par le Président Bernard Accoyer. Il ne faudrait pas que l’augmentation des coûts de production nuise à la compétitivité de nos entreprises !

L’idée selon laquelle on créerait plus d’emplois s’il y avait moins d’heures supplémentaires est fausse pour les PME, monsieur Mallot. Or n’oublions jamais que 90 % des emplois sont créés dans les PME ! Dans ces entreprises, chaque salarié a un rôle bien défini : le travail est difficilement mutualisable, à la différence des grands groupes. C’est pourquoi le passage aux 35 heures y a été si difficile.

Enfin, il faut se demander quels seraient les effets du dispositif en période de croissance.

M. Jean-Patrick Gille, membre du groupe de travail désigné par la commission des Affaires sociales. Je crois percevoir chez les orateurs précédents une certaine réticence à entendre ce que disent nos rapporteurs. Ceux-ci ne proposent à aucun moment de supprimer les heures supplémentaires : ils posent simplement la question de savoir si ce dispositif de subvention par l’État des heures supplémentaires n’est pas inutile, coûteux et injuste. L’accord de nos deux rapporteurs sur ce point est tout de même révélateur !

Les propos de M. Méhaignerie confirment que les politiques qui sont menées se réduisent à encourager le travail de ceux qui en ont déjà, comme si c’était la seule alternative au partage du travail. Un tel dispositif constitue tout au plus un substitut à une politique salariale, il ne crée pas d’emplois supplémentaires, quand il n’a pas une incidence négative sur l’emploi, notamment des jeunes. En outre il n’est pas financé, sinon par la dette, et donc par les générations futures. Il ne prépare pas l’avenir !

Si cette politique paternaliste peut faire quelques heureux sur le plan micro-économique, on ne peut que s’interroger sur sa pertinence au niveau macro-économique.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Le diagnostic posé par notre rapport est partagé par tout le monde, du MEDEF à la CGT. Le constat est simple, pourvu qu’on ne confonde pas les éléments de conjoncture et le mécanisme lui-même.

À aucun moment il n’est proposé de supprimer les heures supplémentaires elles-mêmes outil efficace pour l’économie et qui doit être amélioré. Le rapport s’interroge simplement sur la pertinence, en l’absence de croissance économique, d’un dispositif qui n’a fait que bonifier un stock d’heures supplémentaires déjà existant. Ce sont 735 millions d’heures supplémentaires qui ont bénéficié de ce bonus tombé du ciel. En réalité, ce dispositif a eu pour seul effet de « cristalliser » les 35 heures, les heures effectuées au-delà de la durée légale étant toutes comptabilisées comme heures supplémentaires.

En réalité, et tous les entrepreneurs nous le disent, c’est le coût du travail qui est excessif, et la question est de savoir comment moduler ce coût. Si l’on veut réduire le taux de chômage, il vaut mieux bonifier les premières heures, qui présentent l’avantage, entre autres, d’être moins dépendantes de la conjoncture que les dernières.

Il ne s’agit pas du tout de remettre en cause un dispositif, qui doit être évalué en fonction de l’évolution du contexte : si nous retrouvons demain une croissance à 4 ou 5 %, nous aurons besoin d’heures supplémentaires. Mais est-il opportun, en attendant, de donner un double bonus à l’entreprise, sous cette forme du moins ?

M. Jean Mallot, rapporteur. Nous devons débattre à partir de ce que nous avons effectivement écrit. Ce rapport a été extrêmement facile à rédiger, tant le diagnostic était partagé par tous ceux que nous avons auditionnés, les divergences ne touchant qu’à la manière de faire évoluer le dispositif.

Personne ne souhaite interdire aux salariés d’effectuer des heures supplémentaires : nous nous interrogeons seulement sur l’opportunité de les bonifier au-delà des 25 % dont elles bénéficient déjà, alors que le dispositif ne fait que révéler des heures supplémentaires qui n’étaient pas déclarées comme telles, créant un effet d’aubaine massif.

Vous m’opposez le pouvoir d’achat. Il est évident que distribuer 3,8 milliards d’euros d’argent public aux salariés ne peut pas être sans effet sur le pouvoir d’achat. Nous disons simplement qu’il y a des moyens plus efficaces de l’accroître. Si on mesure l’impact de cette mesure sur l’augmentation du PIB, on s’aperçoit qu’elle coûte plus de points de PIB qu’elle n’en produit.

Par ailleurs, la concurrence de ce dispositif avec l’embauche dépasse les simples conséquences de la crise, puisqu’il constitue un outil supplémentaire de gestion de la main-d’œuvre.

Quant à l’effet sur la compétitivité, il est discutable, le dispositif profitant ainsi beaucoup au secteur de l’hôtellerie-restauration, peu exposé à la concurrence mondiale.

M. Pierre Méhaignerie. En France, bonifier les heures supplémentaires de 25 % ne suffit pas, les salariés qui en bénéficient perdant de nombreuses prestations en retour. On ne peut nier, par ailleurs, que, dans l’industrie ou le BTP en particulier, ces bonifications sont nécessaires pour assurer la réactivité des entreprises, notamment des PME. Il est cependant légitime de s’interroger, quand on veut faire des économies, sur les avantages octroyés aux entreprises.

M. Daniel Goldberg. On doit quand même se demander dans quelle mesure ce dispositif a pu avoir un réel effet contracyclique à compter du déclenchement de la crise. Sans même discuter de son opportunité en 2007, n’aurait-on pas dû en suspendre l’application à partir de 2008 ?

Plus largement, nous devons nous interroger sur ce que doit être le mode de relation « normal » entre l’employeur et le salarié, qu’il s’agisse du secteur public ou privé. Il s’agirait de déterminer quelle marge de souplesse est acceptable si l’on veut concilier la compétitivité et la justice sociale.

M. Olivier Carré. Je me reconnais davantage dans les derniers propos de M. Gorges que dans son exposé liminaire. J’ajouterais que l’effet du dispositif sur le pouvoir d’achat des salariés est incontestable, même s’il est financé par la dette – mais qu’est-ce qui ne l’est pas en ce moment ? Le premier objectif de la mesure est donc atteint.

S’agissant de son impact sur la croissance, deux éléments sont à prendre en compte. En termes quantitatifs, le dispositif a surtout profité aux salariés du public, à en croire le rapport : de ce point de vue, il n’y a donc pas d’effet contracyclique. Deuxièmement, les éléments du contexte rendent très difficile une évaluation du dispositif.

En tout état de cause, nous manquons encore du recul suffisant. Comme Louis Giscard d’Estaing l’a fait remarquer, le dispositif a intensifié le recours aux heures supplémentaires : il n’y a pas eu d’effet d’aubaine, mais une redistribution. En tout, ce sont près de 12 milliards d’euros de rémunération nette de ces heures supplémentaires de plus dans la poche des salariés, soit 0,8 % du PIB.

Même si le rapport présente le mérite, dans la perspective d’une meilleure utilisation des fonds publics, de mettre en exergue la nécessité de réexaminer les cumuls d’exonérations, les éléments techniques dont il fait état ne me semblent pas pour autant de nature à remettre en cause le dispositif. Libre à chacun de le contester sur le plan politique, mais, monsieur le Président, le CEC ne me semble pas avoir pour vocation d’estampiller des programmes politiques – je ne dis pas cela pour M. Jean-Pierre Gorges, mais pour d’autres.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Tous les spécialistes partagent le diagnostic : on n’a pas constaté de créations d’heures supplémentaires, mais de simples adaptations des contrats de travail pour permettre aux salariés de profiter du nouveau dispositif. Les personnes que nous avons auditionnées nous ont d’ailleurs mis en garde devant les risques de dérapage du dispositif du fait de la récession et du chômage, certains ayant même modélisé mathématiquement ces dérives.

Comme M. Goldberg, nous nous sommes posé la question de savoir s’il ne fallait pas suspendre l’application du dispositif au moment de la récession. Mais comment refuser de verser aux salariés ce qu’ils considèrent légitimement comme un dû, les heures concernées ayant bien été effectuées en plus des 35 heures. C’est pourquoi je persiste à dire que ce sont les 35 heures qui sont à l’origine du problème ! Toute mesure, même juste, qui vise à améliorer un dispositif congénitalement malfaisant ne fait que dégrader encore la situation !

Reste qu’il ne faut pas démanteler un dispositif qui ne donnera sa pleine mesure qu’en période de croissance, quand les salariés devront travailler au-delà de la trente-neuvième heure. Il faudrait simplement trouver les moyens de réduire le coût des premières heures travaillées plutôt que des dernières, sur le modèle de la loi Fillon. Il est quand même contradictoire d’exonérer de charges sociales, en particulier patronales, des heures supplémentaires à un moment où les comptes de la nation et de la sécurité sociale sont en péril.

M. le Président Bernard Accoyer. Vos conclusions, messieurs les rapporteurs, divergent parfois de celles de la mission d’information sur la compétitivité de l’économie française, qui constatait, entre autres, que celle-ci se dégradait depuis dix ans. Votre rapport reconnaît l’utilité du dispositif dans l’industrie et la fonction publique hospitalière, ce qui est loin d’être négligeable. En effet, c’est surtout le secteur industriel qui souffre d’un retard de compétitivité et la désindustrialisation de notre pays est l’obsession de tous les responsables politiques. En outre, chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître que les 35 heures ont fortement contribué à désorganiser le fonctionnement de l’hôpital.

En réalité, ce dossier souffre d’une approche manichéenne. Nous devons absolument parvenir à dégager des convergences sur la valeur et la place du travail, ainsi que sur le poids de la dette publique – à cet égard, je vous rappelle, cher Jean Mallot, que les 35 heures dans la fonction publique sont financées par la dette, autant que ce dispositif d’exonérations des heures supplémentaires –, toutes questions qui ne doivent pas rester sans solution après qu’un énième rapport leur aura été consacré.

Il n’en reste pas moins que tous ces travaux seront utiles dans la période de débat qui va bientôt s’ouvrir.

Je note toutefois que plusieurs remarques formulées ici ont substantiellement enrichi ou nuancé le rapport. Ces remarques figureront dans le compte-rendu publié de notre réunion.

Conformément aux dispositions de l’article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport d’information, incluant le compte rendu de nos travaux.

Le rapport sera distribué et publié sur le site internet de l’Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.

Programme de travail du Comité (assistance de la Cour des comptes)

M. le Président Bernard Accoyer. Pour que l’année 2012 ne soit pas entièrement stérile, nous avons décidé, lors de notre précédente réunion, de demander à la Cour des comptes de traiter deux sujets avant la fin de l’année 2012. Ainsi, le CEC disposerait rapidement, après les élections, de rapports de la Cour qui pourraient être utilisés par les rapporteurs que le Comité désignera à ce moment-là.

Dans cette perspective, je vous propose plusieurs sujets : l’évaluation des politiques de lutte contre le tabagisme, sujet suggéré par la Cour des comptes elle-même ; l’évaluation des politiques publiques de soutien à l’emploi, sujet large qu’il conviendra de préciser avec la Cour des comptes le cas échéant ; l’évaluation des politiques de promotion du civisme et de la participation aux débats publics ; enfin, l’évaluation de la politique de soutien et d’incitation aux activités dites du tiers secteur.

Le groupe SRC m’a indiqué hier qu’il proposait également deux sujets : les partenariats public-privé (PPP) et l’organisation du « continuum » intérieur-défense.

En tant que président du CEC « sortant », il me semble souhaitable d’écarter tout sujet susceptible de donner lieu à des polémiques partisanes, même si les travaux du Comité – et c’est tout à son honneur – présentent une dimension politique. Or le premier sujet proposé par le groupe SRC me semble susceptible de donner lieu à un débat très politique.

M. Jean Mallot. Il nous semblait au contraire que le sujet des PPP présentait un caractère technique susceptible de faire l’objet d’une évaluation objective.

Après discussion, le Comité décide de demander à la Cour des comptes de lui prêter l’assistance prévue par l’article 47-2 de la Constitution pour les sujets suivants : l’évaluation des politiques publiques de lutte contre le tabagisme et l’évaluation des politiques publiques de soutien à l’emploi.

– Informations relatives au Comité

M. Pascal Brindeau, membre du groupe Nouveau Centre, est désigné vice-président du Comité, en tant que remplaçant de M. Charles de Courson.

Le Comité prend acte de la désignation par les commissions concernées de membres, dot la liste figure en annexe, pour participer aux travaux sur l’évaluation des incidences de la stratégie de Lisbonne sur l’économie française.

La séance est levée à douze heures vingt.

* *

*

Membres des groupes de travail désignés par les commissions
depuis la précédente réunion du Comité le 9 juin 2011

– commission des Affaires économiques : Mme Geneviève Fioraso (SRC),

– commission des Affaires sociales : M. Christophe Sirugue (SRC),

– commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire : M. Philippe Duron (SRC).