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Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Jeudi 17 novembre 2011

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Jean Mallot, vice-président de l’Assemblée nationale et vice-président du Comité, puis de M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale, Président du Comité

– Évaluation de la politique menée en matière de médecine scolaire

– Suivi des recommandations du rapport (n° 2853) sur l’évaluation des aides aux quartiers défavorisés 10

– Suivi des recommandations du rapport (n° 2719) sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution 15

– Prochaine séance 21

Hôtel de Lassay

La séance est ouverte à onze heures dix.

Évaluation de la politique menée en matière de médecine scolaire : examen du rapport (M. Gérard Gaudron et Mme Martine Pinville, rapporteurs)

M. Jean Mallot, président. Le premier point à l’ordre du jour de notre réunion est l’examen du rapport consacré à l’évaluation de la médecine scolaire. Ce rapport a pu s’appuyer sur la contribution de la Cour des comptes, dont le rapport nous a été présenté ici même le 6 octobre par M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, et a soulevé des questions pour lesquelles il nous incombait de poursuivre le travail et de formuler des préconisations. Nous avons parmi nous aujourd’hui un représentant de la Cour des comptes, M. Joël Montarnal, conseiller référendaire, qui a été le rapporteur du sujet qui nous réunit aujourd’hui.

M. Gérard Gaudron, rapporteur. Le 7 avril dernier, le Comité d’évaluation et de contrôle nous a confié, à Martine Pinville et à moi-même, la charge d’animer une mission parlementaire d’évaluation sur la médecine scolaire. Cette mission m’était alors apparue comme le prolongement naturel du « bilan de santé » de la médecine scolaire que Marc Bernier et moi-même avions dressé en octobre 2010 dans un avis budgétaire présenté devant la Commission des affaires culturelles. Marc Bernier et moi-même avions pris en effet à cette occasion une première mesure des difficultés graves auxquelles se trouve confrontée la médecine scolaire et de l’inquiétude que ses personnels manifestent face à une telle évolution.

J’ajoute qu’il s’agit là d’un problème au confluent de trois thématiques essentielles pour l’avenir de notre société : l’enfance, la santé et l’école.

Quelques données éclaireront les enjeux du débat : la médecine scolaire représente environ 10 000 personnes, pour la plupart agents de la fonction publique, parmi lesquelles 7 500 infirmières et 1 500 médecins ; le budget correspondant s’élève à environ 450 millions d’euros ; 500 000 visites systématiques sont organisées chaque année pour les enfants qui ont atteint l’âge de 6 ans. On voit donc que, si l’enjeu budgétaire n’est pas absolument majeur pour l’État, il n’est pas pour autant négligeable, loin s’en faut.

Pour compléter ses propres investigations, notre mission parlementaire a bénéficié de l’assistance de la Cour des comptes, que le Comité d’évaluation et de contrôle a sollicitée au titre de l’article 47-2 de la Constitution. Il faut ici saluer le travail remarquable réalisé par la troisième chambre de la Cour des comptes, sous la direction de son président, M. Jean Picq, et les membres du Comité d’évaluation et de contrôle ont en mémoire la présentation faite devant le Comité par le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, le 6 octobre dernier, des conclusions de l’évaluation conduite par la Cour.

Notre mission parlementaire a mené parallèlement aux travaux d’évaluation de la Cour ses propres investigations, qui ont pris la forme de 21 auditions d’experts et d’acteurs de tous horizons de la médecine scolaire, de déplacements sur le terrain, à Lille, Lyon, Montpellier et Villeurbanne, ainsi que de questionnaires écrits. En particulier, la quinzaine de communes ayant conservé un service municipal de santé scolaire ont été interrogées, ce qui a permis de compléter le travail de la Cour des comptes.

Ces investigations de terrain, dont les résultats recoupent pour l’essentiel les conclusions de la Cour des comptes, nous ont permis de constater que la médecine scolaire avait su se mobiliser massivement pour permettre à l’Éducation nationale de relever deux grands défis au cours de la décennie qui vient de s’écouler : la scolarisation des enfants handicapés ou souffrant de maladies chroniques et la détection des troubles du langage et de l’apprentissage.

Notre mission a aussi constaté que les personnels infirmiers de l’Éducation nationale occupent aujourd’hui un rôle majeur dans le dispositif d’éducation à la santé et la prise en charge des situations de souffrance psychiques dans les établissements du second degré.

Cependant, il ne faut pas cacher que la réussite sur ces points particuliers a nui à l’atteinte des objectifs officiellement assignés à la médecine scolaire, car elle a été obtenue sans l’octroi de moyens supplémentaires. L’écart n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui entre les missions de plus en plus nombreuses qui sont confiées à la médecine scolaire et les moyens humains et matériels dont celle-ci dispose.

Notre mission parlementaire a pu en outre vérifier que l’action des personnels de santé de l’Éducation nationale s’inscrit dans le cadre de politiques publiques au cœur des préoccupations des pouvoirs publics. Toutefois, cette action est mise en œuvre dans un cadre réglementaire qui n’est manifestement plus adapté aux enjeux actuels. Le positionnement institutionnel est trop complexe, le pilotage ministériel insuffisamment coordonné avec la politique sanitaire, les textes sont anciens et les objectifs éloignés de la réalité du terrain : la mission parlementaire partage pleinement les éléments du constat dressé par la troisième chambre de la Cour des comptes sur la nécessité de rénover le cadre d’emploi du dispositif de médecine scolaire.

Au premier chef, les personnels de santé, comme d’ailleurs la Cour des comptes, font notamment observer que les objectifs fixés au titre de la politique de santé publique en direction des enfants et adolescents sont aujourd’hui définis de manière trop étroite pour adapter les interventions à la diversité des situations. Ils ont parfaitement raison.

Notre mission parlementaire a relevé par ailleurs que la profession de médecin scolaire était menacée par des perspectives démographiques très défavorables – bien plus défavorables encore que les autres professions médicales. En effet, les trois quarts des médecins scolaires actuellement en activité sont âgés de plus de 50 ans et vont donc rapidement quitter le milieu professionnel. Les chiffres relatifs aux nouveaux médecins scolaires enregistrés font apparaître une véritable crise des vocations : seulement trois nouveaux médecins sont entrés dans la profession en 2010 pour la France entière. La cause en est l’insuffisante attractivité de la carrière proposée au sein du ministère de l’Éducation nationale, alors que tous soulignent par ailleurs la variété et l’intérêt d’un exercice médical en milieu scolaire. Ces perspectives démographiques nous donnent à craindre un effondrement des effectifs dans les dix années à venir si aucune mesure n’est prise. Ne rien faire, ce serait programmer l’asphyxie et la mort lente d’un dispositif que pourtant – une fois n’est pas coutume – des pays scandinaves eux-mêmes nous envient, comme nous l’a rappelé M. Didier Migaud.

Clarifier les missions assignées à la médecine scolaire, réformer son pilotage et susciter de nouvelles vocations : tels sont les défis majeurs à relever, qui justifient que le Parlement s’en saisisse pour sauver la médecine scolaire – car c’est bien de cela qu’il s’agit.

M. le Président Bernard Accoyer remplace M. Jean Mallot au fauteuil de la présidence du Comité.

Mme Martine Pinville, rapporteure. Chers collègues, nos projets de recommandations vous ont été transmis lundi dernier, et sont distribués sur table. Ils figurent au début du projet de rapport qui vous a également été distribué, immédiatement après la synthèse du rapport. Ces recommandations sont peu nombreuses, mais ont fait l’objet d’une discussion approfondie au sein de notre petit groupe de travail, que nous remercions de son apport très constructif. Nous avons envisagé diverses orientations de court et de plus long terme, traduisant selon les cas des ambitions modestes ou plus élevées.

La discussion budgétaire, et en particulier la commission élargie qui a examiné le budget de l’enseignement scolaire, a donné lieu à un premier échange avec le ministre de l’Éducation nationale. Celui-ci a indiqué qu’un effort allait être fait à court terme notamment pour améliorer les niveaux de rémunération des jeunes médecins scolaires en début de grille. C’est un effort louable, que nous soutenons et qui doit aboutir rapidement. Cependant, cela ne suffira manifestement pas à régler l’ensemble des problèmes actuels de la médecine scolaire, notamment celui du défi démographique. C’est pourquoi nous avons envisagé des orientations plus ambitieuses et de plus long terme.

Avant d’en venir aux recommandations que nous formulons en tant que rapporteurs, Gérard Gaudron et moi-même tenons à souligner qu’un sujet recouvre tous les autres : la place de la santé à l’école.

Plus que jamais, la santé a sa place à l’école. La disparition des maladies transmissibles qui furent à l’origine de la médecine scolaire n’a pas privé celle-ci de raisons d’être. La santé est certes un élément déterminant de la réussite scolaire pour les élèves : l’école a aujourd’hui la mission de dépister les problèmes de santé susceptibles d’entraver la scolarité des élèves et de faciliter l’insertion en son sein des enfants qui souffrent d’une maladie ou d’un handicap. Mais ce n’est pas tout : la mission de l’école à l’égard des élèves intègre dans son volet éducatif l’objectif de développer le sens des responsabilités et les compétences des enfants au travers de l’éducation à la santé. Enfin, en tant qu’institution publique, l’école est devenue un acteur à part entière des politiques de santé menées par l’État en direction des enfants scolarisés. Elle ne peut cependant aujourd’hui assumer ce rôle qu’en développant des liens avec les autres acteurs de prévention et en trouvant sa place au sein d’une prévention organisée autour de l’enfant.

Les personnels de santé scolaire sont des acteurs indispensables à la réalisation de ces missions, et nous avons la conviction que c’est au sein des services de l’État que la médecine scolaire sera le plus à même de relever de tels défis.

La médecine scolaire doit cependant mieux se positionner au sein du système de la prévention sanitaire et avoir la capacité de se faire reconnaître parmi les acteurs de prévention comme un partenaire actif, disposant d’une capacité à mobiliser des moyens propres autour d’objectifs communs clairement identifiés.

Pour cela, il faut que la médecine scolaire soit pourvue d’une certaine autonomie dans la gestion des moyens dont elle dispose, ce qui n’est actuellement pas le cas. Il convient également que ses structures de direction soient dotées des instruments nécessaires à un vrai pilotage, c’est-à-dire de véritables capacités d’analyse des besoins sanitaires et d’évaluation des actions engagées, et pas seulement des instruments de gestion administrative.

Cette réflexion sur le système sanitaire français et le positionnement de la médecine scolaire nous apparaît comme préalable à une redéfinition des missions de la santé scolaire, que nombre de ses personnels appellent de leurs vœux face à l’empilement des tâches qui les submergent. Si nous considérons au terme de cette mission que nous n’avons pas forcément les compétences médicales nécessaires pour savoir s’il convient d’abandonner une mission plutôt qu’une autre, nous sommes convaincus qu’une solution satisfaisante ne pourra apparaître que dans un cadre plus large intégrant l’action coordonnée de l’ensemble des acteurs de la prévention sanitaire, et pas seulement la médecine scolaire.

Les solutions à la crise actuelle sont donc à rechercher dans le cadre d’une politique globale de renforcement de la prévention autour de l’enfant, qui se développerait selon plusieurs axes complémentaires. Il faut tout d’abord créer une instance nationale interministérielle chargée de définir les axes d’une politique de santé et de prévention des risques sanitaires en faveur des enfants. Nos investigations et celles de la Cour des comptes font clairement apparaître que notre système de santé souffre de l’absence d’un organe d’expertise capable d’organiser une vision globale de cette politique de santé et qui soit chargé de conseiller le Parlement et le Gouvernement sur la situation sanitaire des enfants et des adolescents, ainsi que sur la répartition des rôles entre les acteurs de cette politique. Nous préconisons de confier ce rôle à une instance spécifique au sein du Haut conseil de la santé publique, dont c’est la vocation.

Il est en second lieu nécessaire de réaffirmer la place essentielle que la santé des élèves doit avoir pour l’institution scolaire, mais aussi de clarifier le contenu de la mission de promotion de la santé confiée à l’école. L’appui que la médecine scolaire apporte à la politique éducative conduite par l’Éducation nationale ne doit pas occulter la permanence d’enjeux sanitaires au sein de la population scolaire, ni les enjeux spécifiques de l’éducation à la santé. Cela implique non seulement une adaptation des modalités du suivi budgétaire actuellement réalisé par le Parlement, mais aussi que le législateur indique plus précisément qu’il ne l’a fait jusqu’à présent les missions de l’école dans ce domaine.

Il convient par ailleurs de revoir en profondeur le pilotage ministériel de la médecine scolaire en créant des organes de pilotage disposant d’une certaine autonomie de gestion au niveau tant national que rectoral, afin que les objectifs nationaux ou régionaux de santé publique soient mieux pris en compte par le ministère de l’Éducation nationale et que la médecine scolaire puisse devenir un acteur à part entière d’un système de prévention sanitaire coordonné autour de l’enfant.

Il va cependant de soi que ce but ne pourra véritablement être atteint que si les agences régionales de santé (ARS) intègrent dans les politiques régionales de santé l’objectif d’installer un système de prévention coordonné autour de l’enfant et de l’adolescent, articulé autour de financements spécifiques et d’une capacité opérationnelle pour l’élaboration de diagnostics territoriaux et l’évaluation des actions sanitaires, ce qui n’existe pas actuellement. Pour clarifier nos propositions, et même si l’organisation de l’administration est une question de nature réglementaire, nous avons souhaité qu’un projet d’organigramme cible figure en annexe au projet de rapport.

Enfin, face aux défis que représente l’évolution de la démographie médicale pour le recrutement de médecins de prévention dans la fonction publique, et en particulier pour la médecine scolaire, nous préconisons une approche commune à tous les corps médicaux concernés, dans le but d’améliorer l’attractivité de ces métiers par un statut rénové dans un cadre interministériel commun, de faciliter la mobilité et les perspectives professionnelles de ces médecins de prévention et de permettre la délivrance d’une formation initiale et continue, organisée autour d’un socle commun.

En conclusion, idée généreuse autant que républicaine, la médecine scolaire a traversé plusieurs crises depuis sa fondation en 1945, conduisant à s’interroger sur le sens de ses nombreuses missions et sur les attentes de la société à son égard. Les temps ont changé depuis l’immédiat après-guerre et l’état sanitaire de la population, et en particulier celui des jeunes, s’est bien amélioré. La médecine scolaire – notre médecine scolaire, faudrait-il dire – est aujourd’hui à nouveau à la croisée des chemins. Instrument indispensable à la réalisation de plusieurs politiques publiques majeures en milieu scolaire, mais néanmoins soumise à une très forte pression démographique, elle ne pourra continuer d’accomplir ses missions sans une action énergique des pouvoirs publics pour assurer sa pérennité et lui donner une nouvelle capacité d’adaptation face aux enjeux actuels de la santé publique.

Pour conclure, le titre que nous proposons pour le rapport est le suivant : « Une médecine scolaire renforcée et rénovée au service de l’enfant ».

M. Jean Mallot. Je félicite les rapporteurs pour le travail qu’ils viennent de nous présenter. Ce rapport est très important également pour la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), dont je suis co-président et qui travaille actuellement sur la prévention sanitaire. La Cour des comptes a d’ailleurs produit également pour la MECSS un rapport préliminaire qui nous est fort utile et dont les premières constatations soulignent le caractère morcelé des actions de prévention dans notre pays et le besoin de coordination qui se fait sentir. La Cour des comptes propose que cette coordination soit assurée par la Direction générale de la santé et insiste sur le rôle des ARS. La médecine du travail et la médecine scolaire, souvent mentionnées mais dont la mobilisation est parfois difficile, étant deux des grands acteurs de la prévention, le travail qui nous est présenté aujourd’hui nous sera très utile.

Une difficulté consiste à concilier les objectifs de chaque organisme avec l’intérêt général. Ainsi, les deux grands défis récents mentionnés dans la synthèse du rapport – la scolarisation des enfants handicapés ou souffrant de maladies chroniques et la détection des troubles du langage et de l’apprentissage – sont directement liés à l’apprentissage scolaire. Or, la médecine scolaire va au-delà de la détection et du traitement de ces dysfonctionnements et inclut le dépistage de troubles de toutes sortes, qui dépassent le champ scolaire. L’intérêt général doit donc lui aussi dépasser ce cadre, ce qui suppose que les actions de prévention de la médecine scolaire soient insérées dans des programmes régionaux ou nationaux et que certains cloisonnements soient atténués et, si possible, supprimés.

Par ailleurs, le rapport évoque davantage les médecins scolaires que les infirmiers, qui ont un rôle très important dans nos établissements et pour lesquels les difficultés de recrutement, de formation et d’insertion dans les dispositifs généraux sont également fortes.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, suppléant son président. Je remercie également les rapporteurs de leur travail et de la présentation qu’ils viennent d’en faire. Ayant été pendant plus de 35 ans au contact des élèves, que j’avais mission d’encadrer dans mes différentes fonctions, je témoigne que le sujet n’est pas anecdotique.

Tout en souscrivant aux propos de M. Mallot, je tiens à souligner quelques points importants du rapport, qui exigent une véritable révolution dans les pratiques de l’État. Au moment où celui-ci doit se recentrer sur ses priorités, il importe que les jeunes confiés à l’Éducation nationale bénéficient de toutes les possibilités d’atteindre les objectifs dont dépend leur réussite. On évoque souvent les 150 000 jeunes – et même davantage – qui quitteraient le système scolaire sans bénéficier d’un diplôme ou d’un bagage leur permettant de s’insérer, ainsi que le nombre élevé d’enfants quittant l’enseignement primaire pour entrer dans le secondaire avec de vrais déficits – que, malgré tous les moyens injectés, ils ont fort peu de chances de combler –, mais l’étape du dépistage des difficultés dans les premiers apprentissages n’a, malgré des progrès, pas encore été complètement atteinte. La médecine scolaire est à cet égard incontournable, même si la problématique est évidemment plus large.

Tout ce qui peut permettre, sur des bases médicales solides, le dépistage des troubles du langage et de l’apprentissage doit être privilégié. Tout ce qui peut permettre aux médecins scolaires de se voir conforter dans leur capacité à prescrire des examens doit être conforté. En effet, comme les médecins du travail, les médecins scolaires sont habilités à prescrire, mais ils le font trop peu, comme s’ils craignaient d’entrer en contradiction avec le médecin traitant.

Il y a en outre une urgence nationale à développer l’attractivité du métier de médecin ou d’infirmier en milieu scolaire – on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre ! Il faut se demander si le statut de médecin au sein de la fonction publique permet à de jeunes médecins ou à des médecins expérimentés de passer par la médecine scolaire à un moment de leur carrière. Peut-être d’autres statuts, hors du cadre de la fonction publique, contribueraient-ils à accroître l’attractivité. Évitons la situation dramatique dans laquelle nous nous trouverions si, dans dix ans, compte tenu de la pyramide des âges, plus aucun médecin ne choisissait la médecine scolaire.

M. Marcel Rogemont. Je m’associe moi aussi aux remarques des orateurs précédents sur la qualité du rapport qui nous est fourni. Ce rapport montre bien la marginalisation que connaît la médecine scolaire, du fait notamment de la diminution des effectifs de médecins – qui touche semble-t-il davantage les vacataires que les permanents. Les auteurs du rapport ont-ils examiné les pratiques et l’impact de cette situation dans les collectivités territoriales ? Certaines collectivités s’investissent en effet dans la médecine scolaire et pourraient apporter des éléments complémentaires pour l’analyse de l’ensemble du dispositif.

Mme Pascale Crozon. Je souscris moi aussi aux observations qui ont été faites. La proposition de confier à l’ARS la coordination de la médecine scolaire me paraît très importante.

Il convient en outre de ne pas oublier l’éducation sexuelle dans les établissements. Le chiffre de 10 000 grossesses annuelles chez les mineures ne diminue pas – cette question fera d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi présentée par Mme Bérengère Poletti – et il faut donc donner aux médecins et infirmiers scolaires des outils supplémentaires pour développer la prévention dans les établissements et éviter ainsi tant d’interruptions volontaires de grossesse dommageables au début d’une vie sexuelle. Diverses mesures devront être mises en place, notamment une formation destinée aux enseignants, pour éviter une aggravation de ce problème.

M. René Dosière. Quand on prend connaissance, dans ce rapport, de l’état de la médecine scolaire, on comprend mieux pourquoi l’État a cherché à plusieurs reprises à décentraliser ce service. De fait, l’État a coutume de décentraliser les politiques qui ne fonctionnent pas bien, sachant que les collectivités locales prendront les moyens nécessaires pour qu’elles fonctionnent mieux.

L’hypothèse d’une décentralisation de la médecine scolaire n’est cependant évoquée que d’une manière descriptive dans le rapport, sans que les rapporteurs prennent position à ce propos. Cette décentralisation permettrait-elle à la médecine scolaire de disposer de plus de moyens et de fonctionner dans de meilleures conditions ? Des liens existent d’ailleurs avec la protection maternelle et infantile (PMI), qui relève de la compétence des conseils généraux.

M. le Président Bernard Accoyer. La médecine scolaire, dont les missions sont tournées vers la santé publique et l’éducation, a pour premier objet le dépistage, d’une part, des affections somatiques telles que la tuberculose, le rachitisme ou les troubles musculo-squelettiques et métaboliques, qui relèvent de la polyvalence médicale, et, d’autre part, des affections ou troubles comportant une dimension psychoaffective, psychologique ou psychiatrique, qui relèvent d’une formation et de connaissances qui ne figurent pas au cœur de la formation polyvalente des médecins. En effet, lorsqu’on dépiste un trouble de langage, de praxie, de lecture ou de calcul, ou que l’on suspecte une psychopathie psychosociale ou des troubles psychiques graves du type autisme, la polyvalence n’est pas toujours la meilleure solution et des professionnels ayant reçu une formation plus spécifique ont bien souvent un meilleur jugement, une meilleure appréciation, de meilleurs outils et donc un meilleur taux de dépistage dans le cadre de ces screenings très larges.

C’est dans un deuxième temps qu’apparaît le second rôle de la médecine scolaire, qui n’a pas besoin d’une surqualification des professionnels : juger de l’efficience et de l’efficacité de la prise en charge – hormis le cas très particulier de la validation des cadres d’insertion des enfants handicapés dans la scolarité. Votre conclusion, qui consiste à confier un rôle plus important aux ARS, me semble donc tout à fait pertinente. En effet, ces troubles ne se présentent pas de la même manière dans les différentes régions de notre pays… Confier aux ARS le rôle de mettre au bon endroit le bon professionnel doté des bons moyens est une évolution positive.

L’éducation sexuelle, qui est une information et une prévention, s’inscrit dans la même démarche et une formation médicale n’est pas indispensable pour la dispenser – il en va d’ailleurs de même, par exemple, pour la diététique.

La surqualification présente à cet égard des risques importants, car elle peut conduire à ne pas identifier des troubles qui seraient immédiatement découverts par un orthophoniste ou une psychologue. Il faut, je le répète, insister sur le rôle de dépistage de la médecine scolaire et confier aux ARS le rôle de synthèse et de coordination.

Madame et monsieur les rapporteurs, je vous remercie pour votre travail remarquable et je vous donne la parole pour répondre aux questions qui vous ont été posées.

M. Gérard Gaudron, rapporteur. Merci, monsieur le président, d’avoir apporté des réponses de spécialiste à plusieurs de ces questions.

Si ce rapport évoque peu les infirmiers, c’est pour rétablir un certain équilibre avec celui que j’avais rédigé avec M. Bernier, dans lequel il en était beaucoup question. Les infirmières ont évidemment un rôle très important, que ce soit pour la prévention ou pour le fonctionnement quotidien des établissements – dans la prévention contre les grossesses non désirées, par exemple, ce sont elles qui sont en première ligne.

Pour ce qui concerne l’attractivité de la carrière, nous proposons un statut commun pour les médecins scolaires et les médecins de santé publique, afin de permettre aux médecins scolaires qui prennent leurs fonctions d’avoir la perspective ultérieure d’une autre activité dans le même corps, s’ils souhaitent infléchir le déroulement de leur carrière. Par ailleurs, l’attractivité financière des postes est exécrable : un médecin scolaire débutant est moins rémunéré que lorsqu’il était interne !

Mme Martine Pinville, rapporteure. La rémunération est en effet un vrai problème.

Dans les quinze ans qui viennent, 70 % des médecins scolaires partiront en retraite : c’est un véritable défi, qui donne sa force à la proposition de créer un corps interministériel réunissant les médecins de santé publique et les médecins scolaires – et peut-être aussi les médecins du travail à plus long terme, bien que le statut de droit privé dont relèvent ces derniers puisse rendre la chose plus difficile.

Il est de fait que certaines collectivités territoriales s’engagent en faveur de la médecine scolaire – c’est le cas par exemple à Lyon, à Villeurbanne ou à Montpellier, où nous nous sommes rendus. Les moyens financiers qu’elles y consacrent sont cependant sans comparaison avec ceux qu’y consacre l’État. Ainsi, à Lyon, ce montant est supérieur à 100 euros par enfant, contre 37 euros pour l’Éducation nationale, ce qui se traduit évidemment par des différences susbstantielles en termes de prévention ou d’accompagnement. À Villeurbanne, chaque école bénéficie d’une permanence infirmière. À Montpellier, un dispositif d’accompagnement en santé a été mis en place pour les jeunes et leur famille. Nos déplacements sur le terrain nous ont montré toute l’efficacité de cette démarche pour les enfants et les adolescents mais, j’y insiste, grâce à des moyens financiers importants.

Le travail doit s’accomplir en partenariat avec l’agence régionale de santé. Les auditions auxquelles nous avons procédé ont démontré que le pilotage de la médecine scolaire suscitait des interrogations fortes, du fait notamment de la multiplicité des missions, ce qui pousse à n’assumer en priorité que les plus urgentes ou celles dont la réalisation est la plus immédiate.

Nous avons senti qu’un état des lieux s’imposait dans les différentes régions, et qu’il devait se traduire par des actions – certainement différentes selon les régions et les publics. Le recteur de l’académie d’Aix-Marseille, par exemple, a engagé un travail important en direction des enfants dyslexiques, qui représentent jusqu’à 10 % des enfants dans certains quartiers difficiles. Un diagnostic sanitaire est donc indispensable, suivi d’une évaluation des actions mises en œuvre. Les médecins scolaires ne peuvent pas tout faire.

La décentralisation de la médecine scolaire a en effet été évoquée au cours de nos travaux, mais cette perspective pose la question des moyens et de l’égalité de traitement des élèves dans l’ensemble de la France. Sans doute les conseils généraux, qui gèrent déjà la PMI, seraient-ils capables de prendre aussi en charge la médecine scolaire, mais il n’est pas certain que les actions seraient menées partout de la même manière. L’école est obligatoire pour tous les enfants, et nous considérons à l’issue de nos travaux que la médecine scolaire doit rester une mission de l’Éducation nationale.

M. le Président Bernard Accoyer. Je félicite encore nos rapporteurs pour leur travail considérable et j’adresse à la Cour des comptes mes remerciements chaleureux, pour cette collaboration dont je me félicite, en particulier au rapporteur de la Cour, M. Joël Montarnal.

Conformément aux dispositions de l’alinéa 8 de l’article 146-3 du Règlement et de l’article 132-5 du code des juridictions financières, le Comité autorise la publication du rapport d’information, auquel le rapport de la Cour sera annexé. Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site internet de l’Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.

Suivi des recommandations du rapport (n° 2853) sur l’évaluation des aides aux quartiers défavorisés : examen du rapport (M. François Goulard et M. François Pupponi, rapporteurs)

M. le Président Bernard Accoyer. Nous allons maintenant procéder – et c’est la première fois que nous procédons à cet exercice – à l’examen des suites données aux recommandations du rapport sur l’évaluation des aides aux quartiers défavorisés, publié l’an passé.

M. François Goulard, rapporteur. Je rappelle que M. François Pupponi et moi-même avons présenté voici un peu plus d’un an au Comité d’évaluation et de contrôle notre rapport sur les quartiers défavorisés. Cela dit, avant toute chose, je tiens à souligner la qualité du travail fourni par le secrétariat du Comité.

Je présenterai rapidement les observations formulées au bout d’un an, dont certaines, relatives notamment à la péréquation, seront développées par M. Pupponi.

Si, depuis le dépôt de ce rapport d’évaluation, des améliorations ont pu être observées, le bouleversement que nous appelions de nos vœux ne s’est pas produit. Ainsi, les crédits budgétaires consacrés par l’État dans ce domaine n’ont pas varié sensiblement, même si les dépenses fiscales et sociales baissent légèrement, notamment pour les zones franches urbaines (ZFU). Quant à la question de fond sur la rénovation urbaine et le financement du Programme national de rénovation urbaine (PNRU), il n’y est pas totalement répondu, bien que, année après année, les financements soient disponibles pour permettre à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et à l’État de satisfaire les engagements qu’ils ont pris au titre des conventions signées.

Pour ce qui concerne les ZFU, nous avons adopté voici quelques jours le prolongement du dispositif jusqu’à 2014. Certains auraient préféré le prolonger jusqu’à 2016, mais, étant donné que l’année 2014 sera marquée par la réforme de la géographie prioritaire et la définition des quartiers faisant l’objet de la politique de la ville, il était plus logique de retenir ce terme.

En matière de péréquation, de vrais changements interviendront. Ils vous seront exposés tout à l’heure par M. Pupponi.

Pour ce qui est de la mobilisation de l’ensemble des acteurs, je rappelle que les politiques de droit commun de l’État sont au service des quartiers – comme du reste des autres parties du territoire national. En ce domaine, les questions sont posées, mais pas encore tranchées. De même, la question de la mobilisation des co-financeurs locaux a été soulevée, mais aucune conclusion définitive n’a encore été trouvée.

Nous notons que la gouvernance de la politique de la ville relève désormais d’un ministre de plein exercice. Il y a un progrès à cet égard, car nous avions précédemment fait observer que certains secrétaires d’État chargés de la politique de la ville ne possédaient pas toujours au sein du Gouvernement un poids suffisant pour faire prévaloir leur point de vue.

Un comité interministériel des villes (CIV) s’est réuni en février dernier sous la présidence du Premier ministre.

Malgré quelques progrès, l’Anru et l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), dont nous avions proposé le rapprochement, restent nettement séparées, notamment dans leur mode de fonctionnement. Celui de l’Acsé notamment, vis-à-vis duquel nous nous étions montrés très critiques, n’a guère évolué. Cet établissement, qui gère des procédures et distribue des crédits, n’offre pas une valeur ajoutée d’une qualité comparable à celle de l’Anru.

Ainsi que je l’ai déjà indiqué, la géographie prioritaire devrait être rénovée au 31 décembre 2014, tandis que les contrats urbains de cohésion sociale (Cucs) ont été prolongés.

Nous avions également soulevé un problème lié au relogement des personnes bénéficiant de la loi relative au droit au logement opposable (Dalo) dans des logements neufs construits au titre de la rénovation urbaine. En effet, des tensions naissaient du fait que les habitants des quartiers où ces logements neufs étaient construits constataient à la fin des travaux qu’ils étaient attribués à des bénéficiaires de la loi Dalo, et non pas à eux-mêmes. Une certaine sensibilisation a été engagée pour que le relogement au titre de la loi Dalo se fasse dans d’autres immeubles.

Le dossier des copropriétés dégradées n’a pas véritablement évolué. Nous avons tous à l’esprit la situation de Clichy-Montfermeil, où se posent en la matière des problèmes majeurs.

Enfin, en matière d’évaluation de la politique de la ville, des améliorations ont été observées dans le fonctionnement de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS), notamment avec le géoréférencement des élèves et des établissements scolaires. Nous avions suggéré, à la suite des observations que nous avions pu faire aux Pays-Bas, un suivi quartier par quartier et une évaluation périodique selon divers critères des quartiers dégradés, mais on est encore assez loin du compte.

Pour résumer, notre rapport a été suivi de premiers effets, mais beaucoup de travail reste à accomplir pour que la politique de la ville soit plus adaptée à ses objectifs.

M. François Pupponi, rapporteur. Malgré des améliorations et de la bonne volonté, des difficultés persistent. J’en prendrai trois exemples : la péréquation, les contrats urbains de cohésion sociale (Cucs) modifiés par avenants expérimentaux et le PNRU.

S’agissant tout d’abord de la péréquation, cette année aurait pu être qualifiée d’historique, du fait de la création en loi de finances du fonds de péréquation des recettes intercommunales et communales (FPIC) et de la prorogation du fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France (FSRIF). Ce dernier semble donner satisfaction et l’orientation retenue paraît aller dans le bon sens : les communes les plus défavorisées d’Île-de-France verront à l’horizon 2015, et même dès 2012, une évolution significative de leurs recettes, ce qui leur permettra de mettre en œuvre des politiques sociales plus efficaces et d’accompagner l’Anru – c’est une nécessité pour éviter que, faute de crédits, les quartiers rénovés ne puissent être entretenus et connaissent à nouveau dans quelques années les difficultés du passé.

Pour ce qui est du FPIC, en revanche, les simulations commencent à faire craindre une situation absurde : des communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine (DSU), et notamment à la « DSU cible » – faisant donc partie des communes les plus pauvres de France et bénéficiant depuis des années de la péréquation verticale – deviendraient contributrices à ce fonds de péréquation ! On voit bien là combien il est difficile de définir ce qu’est une commune pauvre et comment la péréquation peut ne pas bénéficier aux quartiers les plus défavorisés. Malgré la volonté affirmée du Gouvernement de mettre en œuvre une plus grande péréquation, assortie de montants significatifs – en 2015, le FPIC devrait atteindre 1 milliard d’euros et le fonds de solidarité de l’Île-de-France passer de 180 à 280 millions d’euros –, nous ne parvenons toujours pas à flécher ces fonds de péréquation sur les territoires les plus pauvres, faute d’avoir tranché le débat entre territoires défavorisés et villes pauvres. S’agissant du FPIC, par exemple, alors que les provinciaux et les ruraux seraient favorables à une « déstratification » qui ferait payer la péréquation aux grandes métropoles, le monde urbain se bat pour une stratification. Nous avons eu un débat à ce propos à l’Assemblée nationale, et la commission des Finances du Sénat a décidé avant-hier de « déstratifier » : le balancier oscille ainsi régulièrement entre les deux visions, mais les communes défavorisées risquent, entre les deux, d’être pénalisées.

Par ailleurs, conformément à une demande formulée dans notre rapport, le Gouvernement entendait réintroduire du droit commun dans 33 Cucs modifiés par avenants expérimentaux. Or on constate que pratiquement aucun de ces Cucs n’a encore été signé à ce jour et que la mobilisation des services de l’État, notamment de l’Éducation nationale, dans le cadre de ces négociations se révèle très difficile. L’écart entre la volonté affichée et la difficulté des services de l’État à entrer dans la logique des Cucs constitue un véritable problème.

Enfin, si les financements du PNRU 1, qui doit s’achever en 2014, sont assurés jusqu’à 2012 ou 2013, voire 2014 – même s’il faut chaque année trouver au dernier moment des solutions de financement –, on ne sait pas encore comment, quel que soit le gouvernement qui sera alors en place, sera financé le PNRU 2, dont chacun reconnaît pourtant la nécessité. Il est inconcevable de ne pas poursuivre la rénovation des quartiers, qui a été engagée dans le cadre du PNRU 1 ; mais il est difficile de trouver un financement moins pénalisant que celui qui, pour ce premier plan, a contraint l’État à mobiliser 6 milliards d’euros en cinq ans – engagement qu’il n’a d’ailleurs pas pu assumer, compensant cette incapacité par le biais de prélèvements opérés sur les fonds d’Action logement.

Certaines évolutions vont dans le bon sens, mais la mise en œuvre est compliquée et se traduit parfois, comme dans le cas de la péréquation, par des effets contraires à ceux qui étaient escomptés.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des Affaires sociales. En tant que président de la commission des Affaires sociales, je dois dire que nous passons en commission un temps considérable à examiner un nombre croissant de propositions de loi, qui n’aboutissent pas, et ce au détriment du travail d’évaluation qui devrait être le nôtre et pour lequel, hélas, nous ne disposons plus du temps nécessaire.

Pour ce qui est de la stratification, il y a quelques cas « limites », comme ceux cités par M. Pupponi. Elle présente toutefois l’intérêt de pousser de petites structures cantonales, aujourd’hui les plus pénalisées, à s’associer. Après avoir hésité sur le sujet, je suis désormais convaincu que la stratification est nécessaire, même s’il faut veiller à ce que tous les crédits publics n’aillent pas vers les grandes métropoles. Il est incontestable que les villes centres ont des devoirs plus importants, et cela justifie la stratification.

M. Marcel Rogemont. D’une manière générale, avant d’entendre les ministres sur leurs nouveaux projets, nos commissions devraient systématiquement commencer par les interroger sur la suite donnée aux observations qu’elles ont pu formuler préalablement. Il y va de la qualité du travail parlementaire mais aussi du respect dû au Parlement.

J’en viens à l’Anru. Au-delà des objectifs de rénovation du bâti qui lui ont été assignés, la plus grande mixité sociale à laquelle doit aboutir le renouvellement urbain vise également à restaurer le tissu social. Entre une commune comme Sarcelles, qui compte quelque 80 % de logements sociaux, et une autre qui en compte sensiblement moins, la problématique est évidemment très différente. Je m’en tiendrai au cas de communes où existe une certaine mixité sociale. Je me demande si, en définitive, l’Anru n’accompagne pas la tendance naturelle des villes, observée depuis des siècles, à absorber leurs faubourgs où viennent se loger des couches sociales moyennes et supérieures, tandis que s’éloignent toujours plus du centre les populations aux revenus les plus modestes. A-t-on mesuré l’impact des interventions de l’Anru sur la localisation des logements sociaux ? Où reconstruit-on ceux détruits lors des opérations de renouvellement urbain ? Plus près des centres-villes ? Plus loin ? L’objectif de mixité sociale est-il vraiment atteint ?

Mme Pascale Crozon. A-t-on évalué les conséquences à long terme du financement de l’Anru et de l’ANAH par l’ex-1 % logement ?

M. René Dosière. Ce rapport de suivi montre l’ampleur du chemin qui reste à parcourir. Il faut d’ailleurs réfléchir aux voies et moyens, différents selon la nature des rapports, permettant que leurs préconisations soient mieux prises en compte.

Le ministre de la Ville s’interrogeait récemment sur le contrôle de l’utilisation de la DSU, rien ne permettant, selon lui, de s’assurer par exemple que les crédits ne servaient pas à fleurir des parterres ou à aménager des fontaines ! Lors de la mise en place de la DSU, nous avions exigé que des comptes rendus réguliers d’utilisation des fonds soient produits, précisément pour éviter toute critique de ce type. Où en est ce contrôle ?

M. François Goulard, rapporteur. Oui, monsieur le président Méhaignerie, nous ne mettons pas assez les responsables de l’exécutif sur la sellette en commission. Avant qu’ils ne sollicitent par exemple le vote de nouveaux crédits, il est des questions auxquelles nous devrions avoir obtenu des réponses plus convaincantes que celles généralement fournies. Cela dit, l’organisation même de nos travaux n’est pas étrangère à cet état de fait.

S’agissant de la mixité, monsieur Rogemont, il faut bien garder présente à l’esprit la différence fondamentale entre la région parisienne et pour partie la région lyonnaise, et le reste de la France. En Île-de-France, il est des communes qui ne comptent presque que des quartiers défavorisés. La situation est différente en province, où certaines communes possèdent sur leur territoire des quartiers défavorisés, mais ont aussi des quartiers « normaux » dirais-je. Dans ce cas, il est possible, lors d’une opération de renouvellement urbain, de créer dans les quartiers défavorisés des logements privés ou en accession sociale et, dans les autres quartiers, des logements sociaux. Une autre répartition de l’habitat est envisageable pour éviter la concentration néfaste résultant de l’urbanisme des années 60-70, mais, hélas, ce n’est pas possible dans des communes comptant jusqu’à 85 % de logements sociaux, d’autant que l’intercommunalité, devenue réalité dans la plupart de nos régions, demeure embryonnaire, quand elle n’est tout simplement pas inexistante, en Île-de-France, où la rénovation urbaine présente donc une difficulté particulière.

Les propos que je vais tenir maintenant vont peut-être vous sembler iconoclastes, mais j’imagine qu’ils vous choqueront moins quand j’aurai rappelé que j’ai été durant dix ans maire d’une ville bénéficiant d’une opération de renouvellement urbain. Je soutiens que bien des villes pourraient traiter elles-mêmes, avec le concours des départements et des régions, leurs problèmes de rénovation urbaine sans faire appel au concours de l’État. Cela permettrait de concentrer les moyens sur les quelques communes du pays, elles, en extrême difficulté financière, économique et sociale.

S’agissant de l’incidence des prélèvements opérés sur les fonds d’Action logement – ex-1% logement – au profit de l’Anru et de l’Anah, on éprouve des difficultés pour l’évaluer sans une expertise ad hoc. On nous dit que ces prélèvements ne menacent pas pour l’instant le travail de ce fonds car aux crédits annuels issus de la contribution des employeurs s’ajoutent les sommes provenant du remboursement des emprunts précédemment consentis. Au rythme actuel et si on ne va pas au-delà du PNRU 1, des cris d’orfraie ne se justifient pas. En revanche, si le PNRU 2 devait être presque intégralement financé par un prélèvement sur les fonds d’Action logement, il est probable que cela épuiserait ses moyens.

La DSU étant pour les communes défavorisées une ressource additionnelle à la DGF, laquelle n’est par nature pas affectée, qui peut dire si telle ou telle somme a été utilisée pour des actions sociales ou des embellissements paysagers ? Ce qu’il faut vérifier, c’est que la collectivité effectue un véritable travail dans les quartiers. L’affectation précise d’une recette à une dépense constituerait une forme d’hérésie en matière de finances publiques.

M. René Dosière. La loi prévoyait qu’un rapport particulier devait être établi sur l’utilisation des crédits de la DSU. Il n’était pas question d’affectation budgétaire.

M. François Pupponi, rapporteur. Notre collègue Gérard Hamel, président du conseil d’administration de l’Anru, considère que le budget de l’Agence est assuré, grâce à Action logement, pour 2012 et 2013 mais qu’il faudra négocier pour 2014. Cela étant, on devrait parvenir à le « boucler », la fameuse « bosse » de l’Anru se réduisant tous les ans. La situation est plus inquiétante pour l’ANAH qui fait les frais de la ponction des crédits au profit de l’Anru.

Les communes éligibles à la DSU doivent soumettre à leur conseil municipal un rapport annuel sur l’affectation des crédits. Le problème est que l’exercice demeure assez formel, que personne ne vérifie ce qu’il en a été sur le terrain et que ces rapports ne sont pas centralisés pour faire l’objet d’une analyse au niveau national.

M. le Président Bernard Accoyer. D’une manière générale, la surcharge de travail et les contraintes de temps menacent effectivement le travail d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée. Notre assemblée politique va devoir acquérir une véritable culture de l’évaluation pour réserver une place incompressible à cet aspect de notre travail.

Oui, les commissions sont submergées par l’examen de propositions de loi dont le nombre va croissant, en raison de la multiplication des séances réservées à l’examen des textes d’origine parlementaire. Comment permettre aux commissions de consacrer un temps suffisant au contrôle et à l’évaluation et de pouvoir placer de temps à autre « sur le gril », si je puis m’exprimer ainsi, les représentants de l’exécutif, qui ont à rendre compte de l’action du Gouvernement devant le Parlement ?

Pour ce qui est de ce premier rapport de suivi, je félicite les rapporteurs et je tiens à souligner que, même s’il reste à faire, des résultats importants ont déjà été obtenus.

Une autre question est de savoir ce qui adviendra après sa publication. Sur des sujets de fond ainsi transversaux, ayant des incidences budgétaires lourdes et des conséquences sociales importantes à moyen et long termes, un rapport régulier de suivi, au-delà même du changement de législature, me semblerait sans doute nécessaire.

Pour le reste, il faudrait éviter que notre Comité d’évaluation et de contrôle soit lui-même submergé par la multiplication de rapports sur de nouveaux sujets, d’excellente qualité, mais trop vite oubliés. Je formule donc le souhait qu’on ne multiplie pas excessivement le nombre des initiatives politiques au détriment de la qualité des rapports et surtout du suivi de leurs recommandations.

Conformément aux dispositions de l’article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport de suivi de la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 2853) sur l’évaluation des aides aux quartiers défavorisés. Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site internet de l’Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.

Suivi des recommandations du rapport (n° 2719) sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution : examen du rapport (M. Alain Gest et M. Philippe Tourtelier, rapporteurs)

M. le Président Bernard Accoyer. Dans le prolongement de notre discussion précédente, le suivi des recommandations d’un rapport comme celui sur l’évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution est tout à fait essentiel. Les conséquences de la mondialisation sur le maintien de sites de production dans notre pays et sur les conditions de la production de richesses en général entraînent le fait que nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion sur l’incidence de certains textes que nous avons votés, parfois à l’unanimité. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de modifier nos lois ou notre Constitution, sans nous soucier des conséquences de nos décisions.

Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de notre collègue rapporteur Alain Gest, qu’un deuil familial empêche d’être présent aux côtés de son co-rapporteur Philippe Tourtelier.

M. Philippe Tourtelier, rapporteur. En accord avec Alain Gest, je vous présenterai nos conclusions au nom des deux rapporteurs, ces conclusions étant parfaitement communes. Nous avons conclu dans notre rapport d’information publié en juillet 2010 que s’il convenait de conserver le principe de précaution, il était néanmoins opportun d’en préciser le champ d’application, en indiquant notamment que celui-ci devait être étendu au domaine de la santé, et de mieux en définir l’organisation, de façon à éviter des jurisprudences et des pratiques divergentes.

Nous proposions la mise en œuvre d’une procédure globale, en quatre étapes, encadrant l’usage de ce principe, dans le domaine environnemental comme dans le domaine sanitaire.

Première étape : l’analyse du risque. Nous proposions en la matière de confier l’identification des risques plausibles à une instance ad hoc, qui pourrait être l’actuel Comité de la prévention et de la précaution. Si le risque est considéré comme plausible et relevant de l’application du principe de précaution, un référent indépendant, bien identifiable pour l’ensemble des acteurs, y compris l’opinion publique, chargé de piloter la procédure, devrait alors être désigné par cette instance.

Deuxième étape : une double expertise, faisant appel, d’une part, à des scientifiques spécialistes du sujet concerné, et, d’autre part des philosophes, des économistes et des spécialistes de l’éthique.

Troisième étape : l’organisation d’un débat public, s’appuyant sur les procédures et instances existantes.

Quatrième étape : à l’issue de la procédure, il revient bien entendu aux autorités publiques de prendre les décisions qui s’imposent. Tout d’abord, la promotion de la recherche afin de mieux cerner le risque et réduire l’incertitude car le principe de précaution est bien un principe d’action. Ensuite, la mise en œuvre de mesures, proportionnées et provisoires, afin de limiter le risque hypothétique.

Depuis la publication de notre rapport d’information, il y a près d’un an et demi, le principe de précaution a été invoqué au moins à deux reprises dans le domaine environnemental, confirmant d’ailleurs les interrogations que nous avions exprimées.

Tout d’abord, sur le sujet des gaz et huile de schiste. À l’inverse de ce qu’aurait exigé le principe de précaution, lequel, il faut le rappeler, n’est pas un principe d’urgence, on a légiféré dans la précipitation, sous le coup de l’émotion, sur le fondement d’arguments à la rationalité incertaine. Une mission d’information parlementaire a été créée, une expertise technique demandée. Hélas, avant même que leurs conclusions ne soient connues, une loi était adoptée. Les débats ont toutefois montré qu’on avait avancé sur la distinction à opérer entre précaution et prévention. Dès lors qu’un risque est avéré, il ne s’agit en effet plus de précaution, mais de prévention.

Sur le sujet des organismes génétiquement modifiés (OGM), la Commission européenne a proposé une évolution de la législation communautaire. Une proposition de règlement, en cours d’examen, fournirait une base juridique autorisant les États membres à restreindre ou interdire, sur tout ou partie de leur territoire, la culture d’OGM autorisés à l’échelon de l’Union. La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 8 septembre 2011, qui mériterait d’ailleurs d’être analysé plus en détail, pose des exigences qui seraient satisfaites par la mise en œuvre de la procédure que nous préconisons. Ces exigences ont pour corollaire le renforcement des recherches dans le domaine des biotechnologies, lesquelles, après avoir été un temps délaissées, font de nouveau l’objet de projets, notamment dans le cadre des financements prévus pour les investissements d’avenir, ainsi que l’Agence nationale de la recherche (ANR) nous l’a confirmé. Certaines prises de conscience mais aussi le soin mis par les chercheurs à démontrer leur sens des responsabilités n’y sont pas non plus étrangers.

Mais c’est dans le domaine sanitaire que le principe de précaution a été le plus invoqué. Tout d’abord, pour la grippe A (H1N1). Une partie du débat au sein de la commission d’enquête de l’Assemblée sur la campagne de vaccination contre la grippe A a porté sur le fait de savoir s’il s’agissait de précaution ou de prévention, les avis des experts eux-mêmes divergeant. Nous avons, pour notre part, soutenu qu’il s’agissait de prévention au niveau collectif, et de précaution au niveau individuel, dans la mesure où on ignorait la réactivité individuelle au vaccin. Dans le domaine du médicament, à l’interface de l’individuel et du collectif, il est en effet difficile de trancher.

Le principe de précaution a également été cité dans l’affaire du Mediator. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a ainsi pointé dans son rapport que l’absence de culture du principe de précaution avait conduit à ce que le doute bénéficie non au patient, mais à la firme pharmaceutique. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a, pour sa part, soutenu qu’elle ne disposait pas de tous les instruments juridiques nécessaires pour retirer certains médicaments du marché, et que chaque retrait d’AMM (autorisation de mise sur le marché) entraînait des années de contentieux. Le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament, en cours de navette, a justement pour objectif de transposer en droit français les dispositions d’une récente directive européenne sur deux points : l’inversion de la charge de la preuve en faveur du patient et la réévaluation régulière des AMM.

C’est dans le cas des perturbateurs endocriniens qu’on s’est le plus approché de la démarche globale que nous préconisions. Certes, le débat public est demeuré plutôt circonscrit au Parlement et aux spécialistes. Mais il y a bien eu moratoire, demande d’un rapport et attente de ses conclusions avant que des dispositions législatives ne soient adoptées.

Dans le cas des antennes relais de téléphonie mobile, le débat public, ouvert depuis longtemps sans avoir été jamais véritablement organisé, se poursuit. Divers travaux de recherche ont été menés sur le plan tant national qu’international, mais les décisions des juridictions continuent de poser question. On se souvient de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, rendu le 4 février 2009, qui, sans se réclamer explicitement du principe de précaution, invoquait l’angoisse suscitée chez les riverains pour demander le démontage d’une antenne. Depuis, dans une affaire similaire, la Cour d’appel de Montpellier a, elle, fait expressément référence au principe de précaution pour exiger le démontage, s’appuyant sur la seule étude intitulée « Bio Initiative », datant de 2007, mais ignorant l’étude « Interphone » de 2011, qui a pourtant établi que si danger il y a, celui-ci ne provient pas tant des antennes, que des téléphones eux-mêmes : la cour n’a pas pris compte les résultats de cette étude, alors même qu’ils étaient déjà publiés.

Le Conseil d’État également a opéré un revirement de jurisprudence important pour les élus locaux. Il a en effet annulé les arrêtés municipaux visant à réglementer l’implantation des antennes relais, pris sur le seul fondement de la compétence de police générale des maires. En effet, si les maires ont un pouvoir en matière d’urbanisme pour réglementer l’implantation de ces antennes, il ne leur appartient pas de prendre sur ce point de mesures au nom de la protection de la santé publique car, dans le domaine des télécommunications, une police administrative spéciale (confiée à l’Arcep) en a seule le pouvoir.

J’en viens aux suites données par le Gouvernement aux recommandations de notre rapport. Les ministères concernés se sont impliqués de manière très inégale. Moins d’un mois après sa prise de fonctions au ministère de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement, Nathalie Kosciusko-Morizet nous avait répondu et proposé de travailler avec le Commissariat général au développement durable, ce que nous avons fait avec Mmes Michèle Pappalardo, puis Dominique Dron. Les échanges ont été très riches. Les points de vue ont pu être rapprochés, même si des désaccords demeurent, et le travail mené a été de grande qualité. Une approche ministérielle dans un domaine comme celui-là présente toutefois des limites.

Le ministère de la recherche a lui aussi été très actif, avec notamment l’élaboration d’une charte de l’expertise. Nous avons également pu travailler avec lui de manière approfondie.

Il faut en revanche déplorer le silence du ministère chargé de la santé. Mme Roselyne Bachelot puis M. Xavier Bertrand ont bien accusé officiellement réception de notre rapport, mais il n’a été possible de développer aucun contact de travail avec leurs équipes. C’est ce que signifie notre rapport lorsque nous disons pudiquement que cette « réponse est attendue ». Nous n’avons pu rencontrer que le nouveau directeur général de l’Afssaps, avec lequel nous avons d’ailleurs eu un échange intéressant.

Nous avons noté un accord général sur l’organisation de la première étape de la procédure. Ainsi que je l’ai rappelé, nous avions proposé, afin de ne pas créer de nouvelle structure, que le Comité de la prévention et de la précaution soit chargé de l’identification des risques plausibles. Notre proposition d’élargissement de sa composition est envisagée favorablement. En revanche, celle de le rattacher aux services du Premier ministre pour lui donner une dimension interministérielle soulève plus de difficultés. Le ministère chargé du développement durable est bien sûr peu désireux que ce comité ne lui soit plus directement rattaché.

Qui doit saisir l’instance d’identification des risques ? La saisine pourrait émaner du Premier ministre lui-même ou de ses services, des administrations compétentes au niveau national, voire local, mais aussi d’un nombre minimal de parlementaires ou du Conseil économique, social et environnemental, ce qui permettrait de mieux associer les acteurs de la société civile. Cette question, de même que celle concernant la remontée des alertes, ne constitue pas un obstacle insurmontable. Le ministère chargé de la recherche a beaucoup travaillé sur le sujet. Ces aspects importants mériteraient cependant d’être développés au niveau interministériel.

Pour ce qui est de la deuxième étape, il importe de bien distinguer entre l’expertise scientifique proprement dite et ce qu’on appelle, par abus de langage, l’expertise citoyenne. Sur ce sujet également, le ministère de la recherche a beaucoup travaillé et des réseaux peuvent être facilement activés pour mobiliser une expertise de qualité. Le ministère a également le projet d’inclure l’enseignement du principe de précaution dans certains mastères et d’inciter aux recherches sur le sujet.

Il est apparu que mieux valait une expertise interdisciplinaire que pluridisciplinaire. En effet, alors que la seconde peut se contenter de juxtaposer les travaux émanant de plusieurs disciplines, la première exige un vrai dialogue entre scientifiques et spécialistes des sciences humaines, ce qui oblige les premiers à utiliser un langage compréhensible de tous, et d’ailleurs facilite le débat public ultérieur.

S’agissant de la délicate question des relations entre experts et parties prenantes, le ministère chargé du développement durable, habitué à discuter avec ces dernières dans le cadre du comité de suivi du Grenelle de l’environnement, aurait souhaité qu’elles soient associées à tous les stades. Le ministère chargé de la recherche entend, lui, que le temps de l’expertise soit bien distinct de celui de la consultation des parties prenantes. Un compromis est envisageable : les parties prenantes pourraient notamment contribuer à la formulation exacte de la saisine, de façon qu’elles ne se sentent surtout pas exclues et qu’elles puissent enrichir le débat. Il apparaît plus délicat qu’elles soient associées au choix des experts. Nous pensons, nous, qu’il faut en tout cas séparer le temps de l’expertise, y compris en sciences humaines, du reste.

Concernant le débat public, nous pensons que la Commission nationale du débat public (CNDP) devrait avoir plus de libertés pour organiser des consultations sous des formes innovantes. Le ministère chargé de la recherche a insisté sur certains principes méthodologiques, notamment la nécessité de mettre à disposition du public les documents complets issus de l’expertise, ce qui exigera de traiter la question de la confidentialité, qu’il s’agisse de secret défense ou de secret industriel.

Enfin, le décideur public doit, sur la base des conclusions, contradictoires ou consensuelles, des expertises, et des résultats du débat public, décider quelles recherches complémentaires sont nécessaires pour réduire le risque et quelles mesures « provisoires et proportionnées » se justifient – en disant pourquoi.

À l’issue de tout cela, nous jugeons nécessaires deux initiatives parlementaires. Tout d’abord, le dépôt d’une proposition de loi qui comporterait un article unique disposant expressément que le domaine de la santé relève du champ d’application du principe de précaution. Il semblerait toutefois que le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament satisfasse cette exigence, auquel cas cette proposition de loi deviendrait sans objet ; il faudra y regarder de plus près. Ensuite, pour éviter les jurisprudences discordantes et réconcilier expertise et débat public, une proposition de résolution, détaillant la procédure en quatre points que nous préconisons, serait opportune.

M. le Président Bernard Accoyer. Je félicite chaleureusement nos collègues Alain Gest et Philippe Tourtelier qui se sont beaucoup investis dans leur tâche, ainsi que les administrateurs qui les ont aidés. Leur travail remarquable est emblématique de ce qui doit être fait au CEC.

M. Jean Mallot. Il est très important de valoriser les travaux du CEC, y compris à l’extérieur de l’Assemblée nationale, où il commence d’être mieux connu parce qu’il traite, de manière approfondie et sans se disperser, de sujets importants. Tous n’appellent pas la même méthode ni la même exploitation de leurs résultats. Ainsi avons-nous élaboré un rapport sur l’aide médicale de l’État (AME), dont les conclusions sont ce qu’elles sont et n’exigent pas de suite particulière. Il n’en va pas de même de nos travaux sur le principe de précaution, qui appellent un suivi dynamique. Il nous faudra « accompagner » l’application de ce principe durant des années pour vérifier qu’elle s’effectue bien comme nous le souhaitions et l’ajuster si nécessaire.

S’agissant du champ d’application du principe de précaution, certains pensent qu’il faudrait dire expressément que la Charte de l’environnement s’applique au domaine de la santé, d’autres que ce n’est pas nécessaire. Lors de l’examen en première lecture au Sénat du projet de loi relatif à la sécurité sanitaire du médicament, un amendement a été adopté tendant à ajouter un alinéa à l’article 7, disposant que « en application du principe de précaution, le décret en Conseil d’État (...) fixe également les conditions dans lesquelles les données nouvelles suscitant un doute sérieux sur la sécurité ou l’équilibre entre les bénéfices et les risques d’un médicament dont le service médical rendu (SMR) n’est pas majeur ou important, peuvent motiver la suspension ou le retrait de l’autorisation de mise sur le marché de ce médicament, notamment en ce qui concerne la proportionnalité de la preuve à apporter concernant sa sécurité ou sa dangerosité. » Hier, lors de l’examen du texte en nouvelle lecture par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée, nos collègues de l’UMP ont voté un amendement du rapporteur supprimant cet alinéa, au motif qu’il allait de soi que le principe de précaution s’appliquait à la suspension ou au retrait d’une AMM. Lorsque j’ai fait valoir que la Charte de l’environnement ne vise pas expressément le domaine de la santé, nos collègues m’ont répondu que c’était implicite. La proposition de loi de nos collègues Alain Gest et Philippe Tourtelier ne s’impose donc peut-être pas.

Leur proposition de résolution en revanche est, elle, tout à fait justifiée. Au point 1, après la liste des considérants, dans l’idéal, il me semblerait même préférable de pouvoir écrire que l’Assemblée nationale « demande » plutôt que « souhaite ». Dans la mesure où sont expressément cités dans cette proposition de résolution les champs de l’environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire, toute ambiguïté serait d’ailleurs levée.

M. Guy Geoffroy. Je remercie à mon tour Alain Gest et Philippe Tourtelier pour leur travail, dont j’apprécie tout particulièrement la grande clarté.

Il nous appartient de faire œuvre de pédagogie autour du principe de précaution. Ce qui a été fait pour les gaz de schiste, Philippe Tourtelier l’a dit, est l’exemple même à ne pas suivre. Nos concitoyens ont été trompés par notre précipitation, en venant à croire que le principe de précaution était un principe d’urgence alors qu’il s’agit d’un principe d’action. Au moment où s’enflammait dans notre pays le débat sur les gaz et huile de schiste, je me trouvais aux États-Unis avec Valérie Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, où nous visitions de grands établissements universitaires, notamment le Massachussets Institute of technology (MIT). Une réunion que nous y avons eue avec les plus éminents responsables de cet Institut portait précisément sur les travaux d’une équipe internationale de chercheurs associant des chercheurs du MIT et du CNRS sur la manière d’appréhender le sujet des gaz et huile de schiste et de collecter les connaissances nécessaires, c’est-à-dire en fait de préparer le débat politique sur ce thème. Nous avons pu mesurer l’absolue nécessité sur ces sujets, où il est aussi question d’acceptabilité sociale, d’un travail interdisciplinaire associant des chercheurs en tous domaines, notamment de sciences humaines, y compris de philosophie. Le MIT, prestigieux institut scientifique, assure d’ailleurs un enseignement de philosophie, dispensé par d’éminents professeurs.

En ce qui me concerne, je n’ai pas pris part au vote lors de l’examen des différentes propositions de loi sur les gaz de schiste, estimant que, par notre précipitation, nous perdions une chance d’éclairer nos concitoyens sur les mesures raisonnables envisageables dans un domaine qui pouvait susciter une légitime émotion, et risquions même d’entamer notre crédit auprès d’eux.

Si nous parvenions à faire œuvre de pédagogie autour du principe de précaution, nous ferions gagner l’institution parlementaire en crédibilité auprès de l’opinion publique. J’approuve sans réserve la proposition de loi de nos collègues. Sans doute va-t-il de soi que le principe de précaution s’applique au domaine de la santé, mais cela va encore mieux en le disant.

M. le Président Bernard Accoyer. Je suis toujours heureux de constater qu’une convergence est possible entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur des sujets importants. Je salue également notre collègue Guy Geoffroy qui, précurseur, avait avant les autres développé certaines analyses.

En conclusion, il convient, me semble-t-il, de proposer, dans un premier temps, dès aujourd’hui d’inscrire à l’ordre du jour d’une prochaine semaine de l’Assemblée ou d’une prochaine semaine de contrôle la proposition de résolution de nos collègues, en rappelant les contraintes constitutionnelles encadrant cet outil juridique, et, dans un second temps, d’analyser le texte définitif du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament, avant de se prononcer sur une demande d’inscription ou non de leur proposition de loi.

Je terminerai par deux remarques en conclusion. Le propos de Philippe Tourtelier tout à l’heure, selon lequel la prévention est collective et la précaution individuelle, ne m’a pas laissé indifférent. Il n’a pas échappé au médecin que je suis que chacun cherche à être protégé contre la grippe ou les maladies infantiles mais que personne ne souhaite prendre le risque d’une complication médicale liée à une vaccination, ne fût-il que d’un sur un million. Moyennant quoi, cette année, plusieurs milliers d’enfants ont eu la rougeole dans notre pays et plusieurs adultes sont morts d’une encéphalite consécutive à la maladie.

Nous avons le devoir de dire aux scientifiques que pour que la société continue la belle aventure du progrès, qui s’est longtemps nourri de leurs découvertes et inventions, il leur faut aujourd’hui tenir compte aussi de l’opinion publique, qui dispose avec les nouveaux moyens de communication de facilités pour se faire entendre, et s’appuyer sur les travaux de sociologues, de philosophes et autres spécialistes de sciences humaines. Ils ne peuvent faire l’économie de travailler aussi à l’acceptation de leurs projets par la société.

Conformément aux dispositions de l’article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 2719) sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution. Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site internet de l’Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.

Prochaine séance

La prochaine séance aura lieu le jeudi 1er décembre à 11 heures avec l’ordre du jour suivant :

– révision générale des politiques publiques : examen du rapport (rapporteurs MM. François Cornut-Gentille et Christian Eckert) ;

– autorités administratives indépendantes : suivi des recommandations du rapport (n° 2925) (rapporteurs MM. René Dosière et Christian Vanneste).

La séance est levée à treize heures.

Calendrier prévisionnel des réunions du Comité

– audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, présentant le rapport de la Cour des comptes sur l’évaluation de la politique menée en matière d’hébergement d’urgence ;

– rapport sur la performance des politiques sociales en Europe (rapporteurs : MM. Michel Heinrich et Régis Juanico) ;

– rapport sur l’hébergement d’urgence (rapporteurs : M. Arnaud Richard et Mme Danièle Hoffman-Rispal) ;

– rapport de suivi des recommandations du rapport sur les dispositifs en faveur des heures supplémentaires  (rapporteurs : MM. Jean-Pierre Gorges et Jean Mallot) ;

– rapport sur l’aménagement du territoire en milieu rural (rapporteurs : MM. Jérôme Bignon et Germinal Peiro) ;

– rapport de suivi des recommandations du rapport sur l’aide médicale d’État (rapporteurs : MM. Claude Goasguen et Christophe Sirugue) ;

– rapport sur l’évaluation des incidences sur l’économie française de la stratégie de Lisbonne (rapporteurs : MM. Philippe Cochet et Marc Dolez).