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Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Jeudi 26 janvier 2012

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale, Président du Comité

– Évaluation de la politique publique de l’hébergement des personnes sans domicile 2

– Suivi des recommandations du rapport (n° 3615) sur l’évaluation des dispositifs de promotion des heures supplémentaires prévus par l’article premier de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA » 8

– Prochaine séance et calendrier prévisionnel des réunions du Comité 16

Hôtel de Lassay

La séance est ouverte à onze heures.

– Évaluation de la politique d’hébergement d’urgence.

M. le Président Bernard Accoyer. Notre ordre du jour appelle la présentation du rapport sur l’évaluation de la politique d’hébergement d’urgence. Quatre de nos collègues ont été désignés par les commissions des affaires économiques et des affaires sociales pour participer à ces travaux. Nos deux rapporteurs sont Mme Danièle Hoffman-Rispal pour le groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, et M. Arnaud Richard pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Je rappelle que les rapporteurs ont bénéficié de l’assistance de la Cour des comptes, dont le rapport sur ce sujet nous a été présenté, le 15 décembre dernier, par son Premier président Didier Migaud. Le rapport de la Cour a établi un constat et formulé des recommandations que les rapporteurs ont pris le temps de discuter avec les parties prenantes et le Gouvernement. J’en profite pour remercier les représentants de la Cour des comptes ici présents, M. Michel Davy de Virville, Mme Évelyne Ratte, ainsi que Mme Marie Pittet et Mme Marie-Christine Butel.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, mesdames et monsieur les représentants de la Cour des comptes, au cours de plus de douze mois de travail en commun, et conformément aux orientations que nous vous avions présentées lors du point d’étape du 7 avril 2011, nous avons souhaité diversifier les modalités d’évaluation de l’hébergement d’urgence, sujet qui s’est révélé d’emblée indissociable des problématiques relatives à la veille sociale, à l’hébergement d’insertion et à l’accès au logement.

Dans cette perspective, nous avons pu, avec l’autorisation du CEC et grâce au soutien du président Bernard Accoyer, bénéficier de l’appui de la Cour des comptes, en application de l’article 47-2 de la Constitution et, par anticipation, dès le mois de décembre 2010, de la proposition de loi du président Bernard Accoyer, désormais codifiée à l’article L. 132-5 du code des juridictions financières depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 février 2011.

Nous souhaitons remercier M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, et Mme Anne Froment-Meurice, présidente de sa cinquième chambre, d’avoir permis cette assistance, dans le respect des principes fondamentaux qui contribuent à la qualité du travail de la Cour, en particulier la collégialité et la contradiction avec les parties prenantes, et ce dès le début de notre mission il y a plus d’un an. La Cour des comptes a dû en conséquence quelque peu bousculer son programme de travail. Nous souhaitons tout autant remercier les membres de la Cour qui ont contribué à la réalisation de son rapport : M. Michel Davy de Virville, conseiller-maître et contre-rapporteur, Mme Évelyne Ratte, conseillère-maître et coordinatrice de l’équipe des rapporteurs, Mme Marie Pittet, conseillère-maître et rapporteure, Mme Marie-Christine Butel, rapporteure, Mme Isabelle Gandin, assistante, ainsi que Mme Fanny Dabard, stagiaire.

Loin de se limiter à la livraison d’un rapport, qui constitue déjà, pour toutes les parties prenantes, une référence incontournable, notre collaboration avec la Cour a consisté en des échanges réguliers et approfondis avec les membres de cette équipe, à l’occasion de déplacements sur le terrain et dans le cadre de très nombreuses auditions. Ces échanges ont nourri tout au long de l’année 2011 la réflexion menée sur ce sujet dans nos institutions respectives.

Notre propre réflexion s’est nourrie également des travaux que nous avons menés à la fin de l’année 2010 et au cours du premier semestre de l’année 2011 : d’abord l’audition de notre collègue Étienne Pinte, dont les réflexions, propositions et initiatives ont contribué à faire avancer le sujet ces dernières années ; puis les auditions des principaux responsables administratifs de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées, ainsi que de personnalités qualifiées, notamment des membres des conseils, comités et observatoires chargés de contribuer à la connaissance et à la réflexion des pouvoirs publics en la matière.

À la suite de la présentation devant le CEC du rapport de la Cour des comptes par son Premier président, le 15 décembre 2011, ce programme a été complété par une table ronde réunissant, outre un représentant du Conseil consultatif des personnes accueillies, le CCPA, plusieurs représentants d’associations et de fédérations d’associations parmi les plus impliquées et les plus représentatives dans le domaine de l’hébergement et du logement adapté, ainsi que par l’audition de M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement auprès de la ministre de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement. M. Apparu nous a par ailleurs fait parvenir le 24 janvier 2011 un avis sur le rapport de la Cour des comptes, qui sera publié en annexe à notre rapport.

Nous avons aussi pris l’initiative – complétant ainsi le travail réalisé par la Cour des comptes – d’adresser un questionnaire à trente départements, représentatifs par la taille de leur population et la diversité de leurs territoires ruraux et urbains, et parmi les plus concernés par nos problématiques. Nos questions portaient sur la coopération entre les conseils généraux et l’État en matière d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile et, plus largement, sur le principe et les modalités de la décentralisation en matière d’aide sociale, sachant que la mise à l’abri des personnes sans domicile constitue la seule aide sociale relevant encore de la compétence de l’État. Nous tenons à remercier les vingt et un départements qui ont bien voulu répondre à notre questionnaire, d’autant qu’il comptait à la fois des questions extrêmement techniques et des questions politiques.

Nous avons souhaité nous rendre autant que faire se pouvait sur le terrain, dans des structures d’hébergement et de logement adapté, pour nous entretenir avec les personnes accueillies, les travailleurs sociaux et leurs responsables opérationnels. Dès le 25 janvier 2011, nous avons visité le centre d’accueil et de soins hospitaliers, le CASH, de Nanterre, et le 30 mai 2011 plusieurs établissements et associations à Paris. Le 15 décembre 2011, nous avons accompagné une « maraude » organisée par les services de la Ville de Paris. Le 19 décembre 2011, nous nous sommes rendus dans plusieurs établissements et associations des Yvelines. Nous avons privilégié ce type de rencontres et d’échanges sur le terrain lors de nos déplacements dans le Rhône, les 13 et 14 avril 2011, en Loire-Atlantique les 29 et 30 juin 2011, et à Londres les 13 et 14 septembre 2011, sans parler de contacts plus institutionnels avec les élus locaux et les services administratifs déconcentrés. Au total, nous nous sommes rendus dans une vingtaine de structures parties prenantes de l’accueil, de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile.

Il faut noter par ailleurs que, le 17 janvier 2012, lors de son audition par le groupe de travail, le secrétaire d’État chargé du logement a salué le travail de la Cour des comptes, indiquant d’ores et déjà que ce rapport contribuerait, avec celui que nous présentons aujourd’hui, à faire évoluer la réforme de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Je cite les propos de M. Apparu : « Dès le mois de février, je rencontrerai les représentants du secteur associatif afin de déterminer avec eux, en nous fondant sur le document de la Cour et sur celui de l’Assemblée nationale, ce qu’il est possible de faire pour accélérer l’application de la réforme. »

Je voudrais enfin remercier l’équipe du CEC de nous avoir accompagnés durant ces travaux.

Nous approuvons dans leur ensemble les recommandations de la Cour des comptes. À l’issue de nos travaux et de nos réflexions, nous souhaitons y ajouter quelques propositions, dont nous considérons qu’elles sont à même de contribuer à la mise en place d’un service public de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées, qui leur garantisse une égalité de traitement, l’inconditionnalité de l’accueil et l’absence de rupture de la prise en charge.

Nous observons que la refondation  en cours de la politique de l’État en matière d’hébergement et d’accès au logement vise : en premier lieu, à une réorganisation d’ampleur, via l’édification d’un service public, du dispositif d’accueil, d’hébergement et d’insertion géré par les opérateurs associatifs sous la direction de l’État ; en second lieu, à concevoir cette réorganisation dans la perspective du « logement d’abord », c’est-à-dire l’accès, dès que possible, à un logement adapté ou de droit commun, notamment social, en faveur des personnes sans domicile.

Cette réforme a été engagée par les pouvoirs publics en 2008, avec l’accord des associations parties prenantes et de leurs plus importantes fédérations ; celles-ci ont même largement contribué à la concevoir et à créer les outils qui lui sont associés.

Si cette refondation a pu susciter parfois un certain scepticisme en raison d’un bilan jugé insuffisant à ce stade, nous considérons cependant qu’elle constitue une réforme positive et bien conçue et nous souhaitons qu’elle soit menée à son terme.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Je voudrais d’abord m’associer aux remerciements d’Arnaud Richard, en y ajoutant ceux que nous vous devons, monsieur le président, pour l’aide que vous nous avez apportée.

On ne peut éluder le fait que, dans notre pays, des dizaines de milliers de personnes dorment chaque nuit dans la rue. À l’issue de nos travaux, et sur le fondement de ceux réalisés par la Cour des comptes à la demande du CEC, nous considérons que le déficit du nombre des places d’hébergement au regard du nombre des personnes sans domicile – 80 000 places pour environ 150 000 personnes sans domicile – impose l’ouverture de nouvelles places dans les zones tendues. L’ouverture de places nouvelles suppose une analyse préalable et approfondie des besoins de chaque territoire. Afin d’engager l’effort nécessaire, il faudrait étudier sans délai la possibilité de pérenniser tout au long de l’année les places supplémentaires déjà ouvertes l’hiver.

L’action publique ne doit en aucune manière renoncer à la prévention, ce qui suppose d’agir positivement sur les flux alimentant la population des personnes sans-abri. Ainsi, afin de maintenir dans le logement un ménage en difficulté financière, il conviendrait de mettre en œuvre une action publique préventive dès le premier impayé de loyer. Le premier objectif du « logement d’abord » ne devrait-il pas être, en effet, de maintenir ces personnes dans un logement, quitte à ce que ce ne soit pas le même ? Le caractère crucial de ces problèmes invite à un questionnement collectif : jusqu’où doit aller l’action publique en la matière ? Quels sont les coûts comparés d’un maintien dans le logement sur fonds publics et d’un accueil en hébergement d’urgence après l’expulsion ? Cette réflexion sociétale doit être menée.

En matière de prévention, nous proposons d’orienter résolument, le cas échéant en leur attribuant une feuille de route définie par la loi, l’activité des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, les Ccapex, vers l’étude des dossiers individuels d’impayés de loyer. Il faut que ces commissions se saisissent des dossiers les plus complexes et les plus susceptibles de conduire à la mise à la rue des ménages concernés. Ce traitement en amont des problèmes permettrait d’éviter à certains de ces ménages de se retrouver provisoirement à la rue.

Nous proposons par ailleurs que soit évaluée l’effectivité de l’accès des personnes hébergées à certains dispositifs spécifiques d’aide sociale ou de prise en charge médicale auxquels elles ont droit et qu’on étudie les raisons pour lesquelles le bénéfice de ces dispositifs n’empêche pas, dans certains cas, le recours à un hébergement d’urgence. La question est de savoir dans quelle mesure l’hébergement d’urgence et d’insertion en vient à constituer le volet « logement » de dispositifs d’aide sociale tels que l’allocation adulte handicapé, l’AAH, l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, ou encore le minimum vieillesse, alors que ceux-ci sont en principe conçus pour que leurs bénéficiaires n’aient pas recours au tout dernier filet d’aide sociale qu’est la mise à l’abri.

Étant donné la complexité du contexte administratif dans lequel s’inscrit la refondation, il nous semble opportun de ne pas attendre l’achèvement de cette réforme pour mettre à l’étude la possibilité d’intégrer les compétences de l’hébergement et du logement au sein d’une seule administration centrale, sur le modèle de l’innovation prometteuse que constitue la création en Île-de-France de la direction régionale interdépartementale de l’hébergement et du logement, la Drihl.

Dans le contexte de la réforme de l’administration territoriale et de la diminution au plan local des effectifs de l’État et du profond renouvellement des équipes administratives déconcentrées qui l’ont accompagnée, nous estimons qu’il convient de conserver la nouvelle organisation territoriale de l’État même si cela ne vaut pas approbation sans réserve de la façon dont sont désormais dissociées les compétences relatives à l’hébergement, au logement et aux champs sanitaire et médico-social.

Il faut aussi aborder le sujet de l’organisation du tissu associatif, qui continuera à constituer demain, comme il le fait aujourd’hui, le maillage des opérateurs de terrain dans le domaine de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées. L’engagement associatif est source d’innovations et est orienté vers les plus démunis. Il convient de conjuguer ces atouts avec les axes d’un service public définis à un niveau politique. Ces enjeux nous semblent appeler, sous une forme qui reste à imaginer, un dialogue dédié, public, et sans doute déconcentré, entre l’État et le monde associatif.

Nombre d’arguments militent pour ne pas procéder, à ce stade, à la décentralisation de la compétence de l’État en matière d’hébergement d’urgence et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées, même si les conseils généraux exercent une compétence légale de droit commun en matière d’aide sociale. La question de la « domiciliation » des personnes sans domicile constituerait une difficulté juridique et technique pour la prise en charge de leur hébergement par une collectivité territoriale. En tout état de cause, la politique d’hébergement a indéniablement une dimension nationale, non seulement du fait de son lien avec la politique migratoire, mais aussi parce qu’elle doit garantir une prise en charge inconditionnelle et équitable des personnes sans domicile sur l’ensemble du territoire.

Assurer le succès de la refondation suppose néanmoins d’améliorer la coopération entre l’État et les collectivités territoriales, qui participent substantiellement à cette politique. C’est pourquoi il convient de faciliter et d’organiser l’échange d’informations utiles entre les départements et les opérateurs associatifs chargés de l’hébergement d’urgence, via notamment les services intégrés d’accueil et d’orientation, les SIAO, et pour autant que les personnes concernées y consentent – je pense notamment aux jeunes majeurs pris en charge par ces opérateurs qui relevaient durant leur minorité de l’aide sociale à l’enfance, l’Ase. C’est là un problème délicat, qu’il s’agit de traiter dans le respect des compétences de chacun, notamment des conseils généraux, qui accomplissent un travail difficile en faveur des enfants en danger. il nous est revenu à plusieurs reprises, notamment des associations et du terrain, qu’un certain nombre de jeunes pris en charge par l’Ase avaient, une fois majeurs, recours à l’hébergement d’urgence. Il ne faudrait pas perdre, dans de telles hypothèses, le fruit du travail social accompli par les conseils généraux.

Nous appelons l’État à continuer de privilégier la constitution d’un SIAO unique dans les départements qui en sont encore dépourvus ; regroupant tous les opérateurs départementaux concernés, les SIAO constituent au niveau du département l’outil quotidien de régulation mettant en regard l’offre et la demande d’hébergement et de logement au bénéfice des personnes sans domicile.

Nous appelons également à l’accélération de la mise en place des plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’insertion, les PDAHI, même si ceux-ci risquent de mettre en lumière un manque de places d’hébergement ou en logements adaptés dans les zones tendues. Les PDAHI constituent un préalable au conventionnement pluriannuel entre l’État et chaque opérateur associatif, qui doit permettre de concilier l’organisation d’un service public réel et le financement pluriannuel, et donc lisible sur le moyen terme, des opérateurs associatifs. Outre le référentiel des prestations, déjà en vigueur, l’élaboration d’un référentiel national des coûts des prestations servies par ceux-ci est un autre préalable. En la matière, il faut désormais que les services de l’État disposent, dans des délais rapprochés, d’un outil fonctionnel et qui suscite la confiance des opérateurs associatifs.

Réussir la stratégie du « logement d’abord », c’est-à-dire assurer dès que possible l’accès, socialement accompagné, des personnes sans domicile au logement de droit commun ou adapté, nécessite que des logements adaptés, sociaux ou en intermédiation locative soient rendus disponibles, à des prix accessibles aux plus démunis.

Outre la reconquête des contingents préfectoraux d’attribution de logements sociaux, qui a déjà commencé, nous proposons que la loi « SRU » soit modifiée, par un relèvement du taux de 20 % en zones tendues, ainsi que par la bonification, pour le calcul de ce taux, des logements sociaux construits en prêts locatifs aidés d’intégration, les PLAI, et des places en maisons relais ou en pensions de famille.

Plus largement, nous préconisons de mobiliser l’expertise, le savoir-faire et les moyens des bailleurs sociaux pour la construction de places nouvelles en hébergement d’urgence et d’insertion. Les bailleurs sociaux, qui jouent déjà un rôle croissant dans ce domaine, doivent y être plus impliqués encore.

Le « logement d’abord » doit en outre promouvoir l’accompagnement social dans le logement. À cette fin, nous sommes favorables à la création de « plateaux techniques » constitués de travailleurs sociaux des centres d’hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, qui ont vocation à procéder à l’accompagnement social – « hors les murs » du centre –des personnes logées au titre du « logement d’abord ».

Nous préconisons en outre de relancer la mise en place, prévue par la refondation, des « référents personnels » ; ceux-ci pourraient être volontaires au titre du service civique.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Notre étude sur l’hébergement nous conduit par ailleurs à estimer nécessaire un exercice de lucidité dans la sérénité à propos de la situation des personnes sans papier, plus particulièrement des demandeurs d’asile ou des déboutés du droit d’asile. Nos travaux nous ont amenés à constater que des personnes étrangères en situation irrégulière, souvent déboutées du droit d’asile, sont hébergées durablement, souvent dans des hôtels s’agissant de familles comptant des enfants, au titre de la politique publique objet de notre étude. Ces parcours, nombreux, banalisés, accompagnés et financés sur fonds publics, reflètent-ils un équilibre au regard des débats qui traversent notre société quant aux principes et aux conditions de l’accueil des étrangers ? Pour aborder cette grave question, nous souhaitons l’organisation d’états généraux, après une évaluation parlementaire transpartisane – pourquoi pas menée par le CEC –, sur la réalité des conditions d’accueil et de vie sur notre territoire des personnes étrangères en demande d’asile ou en situation irrégulière, et sur les coûts publics associés, notamment pour l’État et les collectivités territoriales.

Enfin nous préconisons la discussion et l’adoption, dès la prochaine législature, d’un projet de loi d’orientation et de programmation pluriannuelle. Il s’agirait, non seulement d’accélérer et d’amplifier la mise en œuvre de la refondation dans l’optique du « logement d’abord », mais aussi de prendre une série de dispositions et d’engagements qui feraient du sort des personnes sans domicile et en situation de grande précarité une priorité collective. Ce texte pourrait être défendu par un ministre de plein exercice, le cas échéant directement rattaché au Premier ministre. Pour affronter la complexité du sujet de l’hébergement, on pourrait d’ailleurs imaginer un nouveau mode de management gouvernemental par projet, où un ministre recevrait des compétences transversales au titre d’un projet.

Un tel texte pourrait créer un produit d’épargne réglementé, ou aménager un produit d’épargne réglementé déjà existant, afin d’orienter au moins une part de cette épargne vers les investissements – notamment expérimentaux – des associations et bailleurs sociaux opérant dans le secteur de la prise en charge des personnes les plus démunies.

Nous souhaitons, en conclusion, replacer ces questions, parfois techniques, dans leur contexte humain. L’enjeu de la refondation, orientée vers le « logement d’abord », est de porter cette politique publique à la hauteur des besoins, sinon des projets des personnes sans domicile. Notre société ne parviendra à réinsérer les personnes, et plus largement les personnes en situation de grande précarité, qu’à la condition de ne pas les considérer comme des exclus ab initio. Cela doit être une priorité, à la fois culturelle et politique. Le traitement de cette question ne relève pas seulement de dispositifs techniques complexes : elle dépend aussi du regard que la société porte sur les plus pauvres. Son succès suppose de concilier ces deux dimensions.

Dans ces conditions, monsieur le Président, nous souhaitons donner à ce rapport le titre suivant : « Pour un service public efficace de l’hébergement et de l’accès au logement des plus démunis ».

M. le Président Bernard Accoyer. Je vous remercie, madame et monsieur les rapporteurs, d’avoir, sur un sujet grave et complexe, accompli cet excellent travail.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, membre désigné par la commission des Affaires économiques pour participer aux travaux. Je souhaite à mon tour remercier nos deux collègues, ainsi que la Cour des comptes, pour tout le travail accompli. Dans le domaine extrêmement complexe de l’accueil et de l’hébergement des sans-abri, les bonnes intentions ne suffisent pas à faire une politique. Toute la difficulté est de donner à nos structures publiques la capacité de prendre en charge ces personnes. Dans cette perspective, je tiens à saluer la réaffirmation dans ce rapport de certaines initiatives du Gouvernement, telles que la création des SIAO : il faut aller au bout de cette démarche, même si elle est difficilement acceptée par les partenaires associatifs.

Par ailleurs, tant le rapport de la Cour des comptes que le travail de nos collègues évaluent à un million d’euros par jour le coût de l’hébergement en hôtel pour l’État et les collectivités publiques. Ce chiffre doit nous interpeller.

Je veux enfin remercier mes collègues d’avoir soulevé la question de l’accueil des personnes qui restent sur le territoire national sans titre de séjour, des considérations humanitaires empêchant leur expulsion. J’approuve la proposition de consacrer à ce sujet extrêmement important une réflexion spécifique.

M. le Président Bernard Accoyer. Je veux à nouveau remercier la Cour des comptes pour cette première collaboration, qui s’est révélée fructueuse. Elle démontre le bien-fondé de la réforme constitutionnelle, qui permet d’approfondir la coopération entre la Cour et les assemblées en matière d’évaluation des politiques publiques.

La démonstration est d’autant plus concluante que le sujet est complexe, non seulement parce que les paramètres en sont mal connus, mais surtout parce qu’il suppose de concilier dimension humanitaire et respect des contraintes financières pesant sur les budgets publics. Ce travail ne sera probablement jamais complètement terminé et il fait incontestablement partie de ceux qu’il conviendra de poursuivre au fil des législatures, quelles que soient les majorités. Voilà en effet un sujet qui mérite d’être constamment remis sur le métier de l’évaluation et du contrôle parlementaires.

Conformément aux dispositions de l’article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport d’information sur l’évaluation de la politique de l’hébergement d’urgence, auquel le rapport de la Cour des comptes sera annexé.

Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.

– Suivi des recommandations du rapport (n° 3615) sur l’évaluation des dispositifs de promotion des heures supplémentaires prévus par l’article premier de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA ».

M. le Président Bernard Accoyer. Nous allons aborder maintenant l’examen des suites données au rapport du CEC sur l’évaluation des dispositifs de promotion des heures supplémentaires. Ces travaux de suivi sont prévus de façon systématique par notre règlement : ils sont essentiels pour valoriser le travail de contrôle et d’évaluation effectué par nos rapporteurs. En effet, à quoi servirait-il – et ce fut trop souvent le cas – de présenter des rapports dont la mise en œuvre des conclusions ne ferait l’objet d’aucun suivi ? Nous ne savons que trop avec quelle rapidité, dans l’ensemble des institutions publiques, on passe d’un sujet à un autre.

M. Jean Mallot, rapporteur. Le rapport d’évaluation des dispositifs de promotion des heures supplémentaires prévus par l’article 1er de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, dite loi « Tepa », a été présenté en juin dernier. Ce rapport d’évaluation a bénéficié d’une audience importante, ce dont il faut nous réjouir. Il formulait un certain nombre de préconisations communes aux rapporteurs qui, depuis lors, ont été plus ou moins prises en compte par le Gouvernement et par le Parlement. Nous voulions aussi qu’il serve d’éclairage à l’opinion publique sur un sujet complexe, et cela a été le cas.

Le dispositif que nous avons évalué comportait cinq mesures destinées à favoriser la pratique des heures supplémentaires : l’exonération fiscale au titre de l’impôt sur les revenus tirés des heures supplémentaires – la défiscalisation ; l’exonération de cotisations sociales salariales ; la réduction forfaitaire du montant des cotisations patronales ; la non inclusion des heures supplémentaires dans le mode de calcul des allégements de charges sociales résultant de la loi dite « Fillon » du 17 janvier 2003 ; enfin, la majoration des heures supplémentaires dans les entreprise de moins de 20 salariés.

Nous avions estimé que le rapport coût/bénéfices de ce dispositif « semblait pour le moins réduit », observant notamment les effets d’aubaine concernant des heures supplémentaires déjà pratiquées mais auparavant non déclarées en tant que telles.

Le dispositif nous semblait également injuste, son volet fiscal ne bénéficiant logiquement qu’aux salariés imposables.

Nous avions enfin regretté qu’il n’ait fait l’objet d’aucune étude d’impact avant d’être discuté au Parlement. Les auteurs des quelques études réalisées auparavant recommandaient au Gouvernement de ne pas proposer un tel dispositif.

Ayant saisi le Premier ministre et la ministre du Budget des suites pouvant être données à nos conclusions, nous avons été plutôt déçus par leurs réactions. Le Premier ministre ne nous a pas répondu et la ministre du Budget, Mme Valérie Pécresse, nous a adressé un courrier très succinct.

Les conclusions et les préconisations du rapport ont, en revanche, bénéficié d’un écho important. M. Jean-Pierre Gorges et moi-même avions mis au point une méthode garantissant notre accord sur la description des mesures, sur leur application dans les faits et sur leur évaluation. Sur les cinq familles de préconisations retenues, trois ont fait l’objet d’un accord entre nous, nous divergions sur les deux autres, ce qui n’a évidemment rien d’anormal.

Nous nous sommes d’abord accordés sur le diagnostic. Aussi a-t-on pu dire, ici, au Sénat et dans les médias, que notre rapport pouvait servir de référence, permettant aux uns et aux autres d’étayer leurs convictions sur des bases solides.

Les trois points d’accord sur les préconisations visent l’amélioration nécessaire du fonctionnement du Conseil d’analyse économique placé auprès du Premier ministre, la suppression de la déduction forfaitaire de cotisations patronales, encore plus injustifiée qu’inutile, et la réintégration des heures supplémentaires dans le mode de calcul des allégements de charges sociales. Cette dernière proposition est entrée dans les faits.

Nos divergences portent, en premier lieu, sur l’exonération de cotisations salariales, qui, certes, accroît le pouvoir d’achat de ses bénéficiaires, mais coûte 2,3 milliards d’euros que l’on pourrait utiliser de façon plus efficace. Elles concernent, en second lieu, la défiscalisation et son incidence, que je considère comme injuste, sur le pouvoir d’achat ; avec le montant correspondant, de 1,5 milliard d’euros, nous pourrions certainement financer des mesures plus efficaces.

Nos conclusions et nos préconisations ont suscité de nombreux débats, notamment dans la discussion de textes qui, depuis juin dernier, ont été examinés tant ici qu’au Sénat, qu’il s’agisse de la loi de financement de la sécurité sociale ou de la loi de finances rectificative. La rapporteure générale du budget au Sénat a ainsi qualifié notre rapport de « rapport de référence ».

Notre rapport a également bénéficié d’une remarquable couverture médiatique, notamment dans des journaux comme Le Monde, Les Échos, La Croix, Libération, La Tribune, Le Canard enchaîné, Marianne. L’ouvrage récent de Mélanie Delattre et Emmanuel Lévy, Un quinquennat à 500 milliards, le vrai bilan de Sarkozy, mentionne notre rapport durant une dizaine de pages. L’émission télévisée Capital, diffusée la semaine dernière sur M6, nous a interrogés à son sujet.

Je ne serais donc pas surpris que, durant la campagne présidentielle qui s’annonce, les uns et les autres utilisent des données figurant dans notre rapport afin d’appuyer leurs propositions ou d’alimenter les débats parlementaires prévus avant la fin de la législature.

L’une de nos préconisations a été prise en compte par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, celle de la réintégration des heures supplémentaires dans le calcul des allégements de charges sociales sur les bas salaires, pour un rendement annuel d’environ 600 millions d’euros.

Nous regrettons en revanche que la préconisation visant à supprimer l’exonération de cotisations patronales – dont le rendement aurait été de 700 millions d’euros – n’ait pas été retenue.

Vos deux rapporteurs ne se sont pas accordés sur les autres préconisations, mais le débat se poursuit.

Nous aurions également apprécié que nos propositions de méthode soient prises en compte, qu’il s’agisse des études d’impact ou de la façon d’utiliser les services du Conseil d’analyse économique – nous souhaitions notamment que le Parlement puisse aussi lui passer des commandes. Nous regrettons que le Premier ministre ne nous ait pas répondu.

Notre rapport était donc opportun. Sa méthode rigoureuse nous a permis de nous accorder sur le diagnostic et sur certaines préconisations, tout en assumant nos divergences sur d’autres. Elle pourra inspirer d’autres démarches.

En revanche, je regrette que le Gouvernement n’ait pas considéré notre travail avec les égards qu’il méritait.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Il nous était difficile, dans ce dossier complexe, de séparer ce qui relevait de questions structurelles et de questions conjoncturelles, certains estimant que la survenance de la crise économique empêchait d’analyser objectivement les problèmes, en oubliant ainsi une donnée structurelle majeure : 9,5 millions de salariés français, sur 16 millions, continuaient de travailler 39 heures par semaine en dépit du passage officiel aux 35 heures. Tout le monde n’a pas bénéficié du passage aux 35 heures. En tout cas, le coût supplémentaire correspondant au nombre de salariés qui travaillent désormais 35 heures payées 39 s’élève entre 10 et 12 milliards d’euros. Mécaniquement, les salariés qui travaillent 39 heures bénéficient donc d’un bonus, qui ne représente pour eux qu’un juste retour des choses, par rapport à ceux qui travaillent 35 heures et sont payés 39 heures – sur ce point M. Jean Mallot et moi-même nous ne sommes pas d’accord.

Toutefois, il est évident que, en pleine crise économique et dans un contexte de montée du chômage, demander aux travailleurs français d’accomplir des heures supplémentaires peut paraître surprenant. C’est pourquoi on ne relève que très peu d’heures véritablement supplémentaires : ont été principalement bonifiées les heures supplémentaires déjà pratiquées.

Long à faire passer dans les esprits, le diagnostic est maintenant généralement admis. M. Jean Mallot et moi-même avons ainsi adopté quelques positions communes, concernant les avantages offerts par le dispositif aux entreprises, qui bénéficient d’un double bonus à travers la promotion des heures supplémentaires. Toutefois, c’est un peu en contradiction avec le dispositif de la loi Fillon qui permet de bonifier les premières heures travaillées – et c’est là qu’il faut faire porter l’effort. De fait, les entreprises retirent mécaniquement un gain supplémentaire de cette superposition des dispositifs.

On peut donc regretter qu’une étude d’impact n’ait pas été préalablement réalisée, mais je relève aujourd’hui qu’un candidat à l’élection présidentielle formule 60 propositions totalement dépourvues, elles aussi, d’étude d’impact puisque chacun sait qu’il faut au moins six mois pour en mener une à bien. Après tout, la politique sert parfois à faire rêver…

Du côté des employeurs, je relève que, ne serait-ce que par l’économie précitée de 600 millions d’euros, le CEC a largement démontré son utilité.

Du côté des salariés, je suis défavorable à ce qu’on modifie le dispositif en vigueur car il ne faut surtout pas décourager la France qui continue de travailler 39 heures. L’alignement général à 35 heures de travail hebdomadaire aurait entraîné une catastrophe économique. Le bonus dont bénéficient près de 10 millions de salariés a donné un coup de pouce à leur pouvoir d’achat dans une période particulièrement difficile.

En revanche, il faut revoir le seuil à partir duquel on détermine s’il y a, ou non, heure supplémentaire. Cela dit, le temps de travail n’est plus de 35 heures depuis que la loi du 20 août 2008 a supprimé la notion de durée hebdomadaire de travail. Ainsi, les 35 heures ne servent plus qu’à comptabiliser les heures supplémentaires. Il convient donc de revoir, au niveau des branches et des entreprises, comment les prendre en compte. En tout état de cause, une disposition générale n’aurait aucun sens en la matière.

Si le dispositif devait, à terme, être refondu, il faudrait le reconsidérer à l’aune d’une reprise de la croissance. Nous avons besoin de souplesse en ce domaine, et l’heure supplémentaire constitue un élément de souplesse. Tout récemment, l’émission télévisée Capital en montrait l’importance pour le développement des entreprises, sans entrer dans des différenciations selon la taille de celles-ci qui semblent envisagées aujourd’hui par certains.

Je suis donc très favorable à ce qu’on trace un trait final sur les 35 heures. Le tort du dispositif évalué, c’est d’avoir institutionnalisé les 35 heures, alors que la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a supprimé la notion de durée hebdomadaire du travail. En outre, le seuil à partir duquel on entre dans le mécanisme des heures supplémentaires est mal compris des Français. Il faut donc le revoir, branche par branche.

Je suis également déçu que le Gouvernement n’ait répondu qu’imparfaitement à nos questions, malgré la lettre de la ministre du Budget et les 600 millions d’économies retenues dont nous avons parlé. Mais je ne crois pas qu’on encourage réellement les chefs d’entreprise à proposer des heures supplémentaires par des incitations financières diverses, qui représentent un montant de 700 millions d’euros. Les entrepreneurs se déterminent plutôt en fonction d’un outil de production qu’ils peuvent continuer de faire tourner au-delà de son amortissement, si leur carnet de commandes le permet, afin d’accroître leur valeur ajoutée. Il faut donc déjà les autoriser à le faire.

En somme, notre diagnostic est commun mais ses interprétations politiques sont quelque peu différentes.

L’enjeu du retour sur les 35 heures consiste à récupérer 12 milliards qui pèsent sur le budget de l’État au titre de la compensation des 35 heures payées 39.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des Affaires sociales. La Commission des affaires sociales, examinant cette semaine des questions relatives aux performances sociales, a particulièrement apprécié la qualité des travaux du CEC, d’abord parce qu’ils se fondent sur l’analyse des faits, et leur comparaison en Europe, plutôt que sur des idées générales, ensuite parce qu’ils montrent l’existence de marges d’efficience. Il apparaît ainsi que nos travaux d’évaluation peuvent servir à la préparation des prochains budgets et aboutir à des modifications substantielles.

Dans le débat sur les heures supplémentaires, la sagesse consiste à défendre, sans honte, l’idée que les marqueurs antérieurs à la crise ne sont plus les mêmes après la crise. Je suis très attaché au régime des heures supplémentaires, en tout cas concernant les salariés, car, élu d’un bassin d’emploi très industriel, je constate que les entreprises manquent souvent de main d’œuvre pour faire face instantanément à des commandes supplémentaires. Sans ce dispositif d’incitation, il serait donc à craindre que des marchés leur échappent. Des secteurs entiers comme ceux du bâtiment et des industries éprouvent aujourd’hui des difficultés à trouver la main-d’œuvre supplémentaire dont ils ont besoin.

En revanche, la généralisation des 35 heures me semble être une aberration, comme le montrent les 500 millions d’euros que l’on va devoir donner aux médecins des hôpitaux.

Le rapport indique que le coût des avantages servis aux employeurs, qui peuvent être débattus et redéployés, s’élève à 1,3 milliard d’euros alors que vous avez parlé de 700 millions…

M. Jean Mallot, rapporteur. Les 700 millions d’euros correspondent à l’application de la « loi Fillon », auxquels il faut ajouter les 600 millions d’euros susmentionnés pour parvenir au total de 1,3 milliard d’euros.

M. Pierre Méhaignerie. Confronté, sur le terrain, aux salariés qui effectuent des heures supplémentaires, j’ai entendu certains d’entre eux préférer un maintien des prestations sociales à une déduction fiscale. Par exemple, la personne effectuant des heures supplémentaires, passant ainsi d’un salaire de 1,1 SMIC à 1,25 SMIC perd sa prime pour l’emploi, risque de perdre les bourses de ses enfants ainsi que son aide au logement. Du coup, la peur des heures supplémentaires se fonde sur la crainte de perdre une partie des prestations sociales. Ne devrait-on pas regarder si, dans l’intérêt du salarié, notamment de ceux qui touchent des petits salaires, la non remise en cause des prestations sociales ne serait pas préférable à la défiscalisation, laquelle bénéficie surtout à ceux qui perçoivent des salaires moyens ou plus élevés ?

M. Guy Geoffroy. Ce rapport présente un grand intérêt dans la mesure où il permet de valider la démarche du CEC, qui produit des analyses convergentes mais des conclusions contrastées. Au moins, les questions sont posées, même si les réponses demeurent encore en débat.

Que pensent nos rapporteurs de la situation des salariés du secteur public, particulièrement des personnels de l’enseignement au regard du régime des heures supplémentaires ? Comme nombre de nos collègues, je puis témoigner de la satisfaction des enseignants du second degré – ceux du primaire n’effectuant pas d’heures supplémentaires – à l’égard d’un dispositif qui leur a fait gagner du pouvoir d’achat. La question des heures supplémentaires dans l’enseignement fut longtemps un serpent de mer, du fait de la revendication traditionnelle en faveur de la création de postes. En réalité, il s’agissait d’une revendication toute théorique, les besoins appelant en pratique des ajustements horaires. Mais l’accord des enseignants pour effectuer ces heures supplémentaires n’était pas évident. Beaucoup préféraient les accomplir ailleurs, demandant à leur chef d’établissement l’autorisation d’enseigner en université ou en IUT. La défiscalisation et l’exonération de charges sociales ont donc représenté un avantage pour eux, comme pour le service public de l’enseignement.

Je crains donc que la suppression des dispositions applicables aux salariés n’emporte des conséquences dommageables dans le service public. Un retour au système ancien provoquerait sans doute des crispations chez ceux qui considéreraient qu’on leur retire des droits acquis et entraverait le bon fonctionnement du service public.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Il est certain que les principaux bénéficiaires de l’article 1er de la loi « Tepa » sont les agents de la fonction publique d’État et de la fonction publique hospitalière car leur travail ne dépend pas du niveau d’activité économique générale ni des exigences de la compétition internationale.

Le service public hospitalier avait été fortement déstabilisé par les 35 heures et nous en subissons encore les conséquences aujourd’hui. Les heures supplémentaires ont donc représenté une importante respiration pour ce secteur. Notre rapport le souligne.

La fonction publique d’État ayant été un peu désorganisée par le remplacement de seulement un fonctionnaire sur deux, l’utilisation des heures supplémentaires est devenue le bon outil pour mener à bien la réforme, même si le dispositif n’avait pas été prévu pour cela. Revenir aujourd’hui sur cette situation serait catastrophique.

Dans la fonction publique, les heures supplémentaires fournissent des compléments de rémunération non négligeables.

On peut donc affirmer, dans cette conjoncture économique marquée par le défaut de croissance, que la fonction publique a su profiter du système des heures supplémentaires, d’où l’attachement de ses agents à ce que le système perdure.

M. Jean Mallot, rapporteur. Mais il existe aussi d’autres moyens de rémunérer les heures supplémentaires des fonctionnaires sans passer par une usine à gaz aussi complexe que l’article premier de la loi « Tepa », qui n’était d’ailleurs pas conçu à l’origine pour les différentes fonctions publiques.

Personne ici ne remet en cause les heures supplémentaires. Tout le monde souhaite que, lorsqu’une entreprise voit son carnet de commandes se remplir, ses salariés puissent travailler davantage. Plus les entreprises soumises à la concurrence useront d’heures supplémentaires, plus nous serons satisfaits. Ce qui est en cause réside dans la subvention de l’heure supplémentaire au-delà des majorations prévues par le code du travail.

Ce point étant clarifié, nous devons nous demander si le système mis en place en 2007 est efficace. Les cabinets d’études que nous avons consultés, y compris celui dépendant du Medef, affirment que cette mesure, qui coûte 4,5 milliards d’euros au budget de l’État, et pour le financement de laquelle celui-ci doit emprunter sur les marchés financiers, représente une charge estimée à 0,23 % du PIB quand elle ne produit que 0,15 % du PIB en richesse nationale supplémentaire. Elle coûte plus à l’État qu’elle ne rapporte à l’économie nationale. Il s’agit donc d’un système inefficient, même si je comprends l’attachement de ceux qui en bénéficient directement. Mais nous devons raisonner globalement.

C’est pourquoi aussi, l’Inspection générale des finances, dans un rapport paru l’été dernier sur les niches fiscales et sociales, a attribué au système de promotion des heures supplémentaires la note 1, c’est-à-dire une mesure à efficience faible ou moyenne.

Il faut enfin regretter la lourdeur du dispositif et la faible réactivité des pouvoirs publics aux changements induits par la crise économique. Je comprends que, en 2007, en période de croissance, les partisans d’une politique économique libérale aient pu concevoir un système encourageant les heures supplémentaires au-delà de la majoration de droit commun. Même s’il était absurde de l’introduire aussi dans les secteurs qui ne sont pas exposés à la concurrence, on peut en comprendre la logique et admettre qu’on le défende. Mais, quand en septembre 2008, la conjoncture économique s’est retournée, le dispositif est devenu injustifiable. Comme nous l’ont indiqué les différents responsables de ressources humaines que nous avons interrogés, il décourage l’emploi. Le chef d’entreprise qui dispose de la possibilité de rémunérer ses salariés à contrat à durée indéterminée pour des heures supplémentaires moins onéreuses que les heures normales va tout naturellement se débarrasser des personnels intérimaires et sous contrat à durée déterminée. La montée du chômage s’en trouve inévitablement accélérée.

Et si, comme on peut l’espérer, la crise disparaît, le recours aux heures supplémentaires sera privilégié par rapport à de nouvelles embauches. Le dispositif joue donc un regrettable rôle « pro cyclique » en matière d’emploi.

On aurait donc pu imaginer, à l’automne 2008, que les pouvoirs publics remettent en cause un système devenu difficile à justifier.

M. le Président Bernard Accoyer. Au terme de ces interventions passionnantes, je voudrais souligner que, d’ores et déjà, le CEC apparaît comme un organe extrêmement pertinent et utile au service de l’intérêt national.

Il est bien sûr normal, surtout en période préélectorale, que certaines remarques se fondent sur nos convictions politiques personnelles. J’en ai cependant entendues qui transcendaient ces clivages, et il faut s’en féliciter.

Nous considérons tous les études d’impact comme indispensables. Si de telles études avaient été réalisées préalablement aux deux lois sur la réduction du temps de travail, la généralisation de celle-ci aurait probablement été reconnue comme posant un certain nombre de problèmes. De même, les opposants systématiques à la réduction du temps de travail auraient-ils reconnu que la complexité et la rigidité de la situation antérieure conduisaient à rechercher un équilibre économique partagé entre flexibilité et diminution du travail.

Encore aujourd’hui, les études d’impact font défaut, y compris lorsque, usant de nos nouveaux droits constitutionnels, nous examinons un nombre croissant de propositions de loi. Nous devrons nous corriger nous-mêmes, et j’entends bien laisser ce message au terme de mon actuelle présidence. Car légiférer sans mesurer les conséquences de nos prescriptions constitue une faute immense, j’oserais même dire « délirante » car il m’indiffère qu’on critique les termes que j’emploie – même si certains en ont pris l’habitude.

Comme l’a souligné M. Pierre Méhaignerie, l’un des intérêts majeurs du CEC réside dans la continuité de ses travaux, qui permettent d’aller plus loin en nuançant souvent les premières affirmations des rapporteurs et en faisant apparaître des convergences. Très constructive, cette méthode traduit une certaine maturité. J’insiste donc auprès de nos excellents services pour qu’ils veillent à la continuité « interlégislative » de ce travail sur un certain nombre de sujets majeurs, tels que celui examiné aujourd’hui.

Je vous ai trouvé sévères envers le Gouvernement, messieurs les rapporteurs, et, bien que n’étant pas son avocat, j’observe que la ministre chargée du Budget vous a, le 6 janvier dernier, adressé une réponse qui me paraît apporter un certain nombre d’éléments d’information.

Le travail du CEC sur ce thème a par ailleurs conduit à réaliser une économie substantielle des deniers publics, de près de 600 millions d’euros. Rien que ce résultat démontre l’intérêt du travail du comité.

Sortant un peu de mon rôle de président, je voudrais dire ce que je pense de votre rapport. Là encore, si nous avions disposé d’une étude d’impact relative à l’évolution du temps de travail, à la flexibilité, à la compétitivité économique et à l’efficacité de la dépense publique, les décisions publiques n’auraient probablement pas été les mêmes. Mais le débat auquel j’ai participé en son temps fut dogmatique. Cela dit, toutes les conséquences des 35 heures que j’avais annoncées, y compris leur coût, se sont vérifiées. Comme l’ont rappelé nos rapporteurs, le budget de l’État comporte encore chaque année 12 milliards d’euros d’exonérations fiscales et sociales au titre de la réduction du temps de travail, auxquels s’ajoute le coût mécanique de la généralisation de celle-ci, notamment dans les fonctions publiques, comme l’illustre le récent exemple des médecins hospitaliers. Au total, l’addition annuelle atteint 22 milliards d’euros !

Appréciant toujours les raisonnements subtils de M. Jean Mallot, je l’ai entendu dire que les heures supplémentaires sont absurdes dans les secteurs qui ne sont pas exposés à la concurrence. Allons un peu plus en amont : c’est la généralisation des 35 heures qui est elle-même problématique. Cet intéressant débat devra donc être poursuivi par nos successeurs, ou par nous-mêmes si nous siégeons toujours ici.

Les heures supplémentaires apportent indiscutablement une certaine souplesse et une certaine flexibilité : ainsi, dans les secteurs qui ont le plus difficilement traversé la crise, elles ont permis aux entreprises de répondre aux commandes quand l’activité reprenait.

Je tiens enfin à féliciter nos rapporteurs, notamment d’avoir fait preuve de tolérance réciproque et de s’être affranchis de leurs préjugés, ce qui nous conduira à servir au mieux non seulement le CEC, mais surtout l’intérêt national.

M. Jean Mallot, rapporteur. Je tiens à préciser mes propos concernant les secteurs économiques qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale : c’est la subvention par l’État des heures supplémentaires au-delà de la majoration qui, à mon sens, ne se justifie pas.

J’apprécie, M. le Président, votre hymne aux études d’impact et j’attends donc avec impatience celle qui accompagnera le projet de loi instaurant la TVA sociale.

M. le Président Bernard Accoyer. Aujourd’hui, compte tenu de la situation critique de nos finances publiques et de nos problèmes de compétitivité, tout projet ou proposition de loi devrait s’accompagner d’une étude d’impact.

Conformément aux dispositions de l’article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport de suivi sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 3615) de M. Jean-Pierre Gorges et M. Jean Mallot sur l’évaluation des dispositifs en faveur des heures supplémentaires.

Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.

– Prochaine séance

La prochaine séance aura lieu le jeudi 2 février 2012 à 11 heures avec l’ordre du jour suivant :

– rapport sur l’aménagement du territoire en milieu rural (rapporteurs : MM. Jérôme Bignon et Germinal Peiro) ;

– rapport de suivi des recommandations du rapport sur l’aide médicale d’État (rapporteurs : MM. Claude Goasguen et Christophe Sirugue) ;

La séance est levée à douze heures trente.

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Calendrier prévisionnel des réunions du Comité

Jeudi 16 février 2012 :

– rapport sur l’évaluation des incidences sur l’économie française de la stratégie de Lisbonne (rapporteurs : MM. Philippe Cochet et Marc Dolez).