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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mardi 10 novembre 2009

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 13

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente

– Examen de la proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias (n° 1958) (M. Patrick Bloche, rapporteur)

– Information relative à la commission

– Présences en réunion

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation examine, sur le rapport de M. Patrick Bloche, la proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias (n° 1958).

La séance est ouverte à 16 heures 30

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je souhaite la bienvenue à Mme Marianne Dubois, suppléante de Jean-Paul Charié.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Cette proposition de loi sera examinée en séance publique le 19 novembre, dans le cadre de la fenêtre parlementaire réservée au groupe SRC. Elle vise à réguler la concentration dans le secteur des médias et, plus précisément, à mettre fin aux liens délétères entre le pouvoir exécutif et les grands groupes industriels et financiers qui, tout en vivant des commandes de l’État, contrôlent nombre de médias.

La « libre communication des pensées et des opinions », garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, a été consacrée par de nombreux textes internationaux. En France, depuis la loi fondatrice du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la liberté de communication a fait principalement l’objet de deux lois, celle du 1er août 1986, portant réforme du régime juridique de la presse, et celle du 30 septembre 1986, relative à la liberté de la communication. En vingt-trois ans, la première n’a été amendée que neuf fois, mais la seconde a été modifiée – en intégrant les amendements aux projets de loi de finances – soixante fois !

La liberté de communication passe d’abord par le respect du « caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion » sur lequel le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), en tant qu’organisme régulateur, doit veiller. Ce pouvoir de régulation s’est dernièrement manifesté par la prise en compte des interventions du Président de la République et de ses collaborateurs – lorsqu’ils interviennent dans le débat politique national – dans le décompte des temps de parole des représentants des différents courants politiques, même si cette récente décision du CSA résulte, de fait, de la décision – attendue – du 8 avril 2009 du Conseil de l’État, saisi sur ce sujet dès l’automne 2007 par MM. François Hollande et Didier Mathus.

La liberté de communication s’accompagne aussi d’une exigence de transparence. Tous les médias sont soumis à un ensemble de règles : interdiction de recourir à des prête-noms ; caractère nominatif des actions ; publicité des cessions d’actions. Des obligations spécifiques s’imposent aux entreprises de presse. Je vous renvoie sur ce point à mon rapport.

Enfin, des dispositifs ont été instaurés pour contrôler les concentrations. Dans le secteur de la presse quotidienne d’information politique et générale, la défense du pluralisme se traduit par l’interdiction pour une même personne physique ou morale ou un même groupe de personnes de contrôler directement ou indirectement plus de 30 % de l’ensemble de la presse, qu’elle soit nationale, régionale ou locale.

Dans le secteur audiovisuel privé, le dispositif anti-concentration prend la forme de diverses limitations, détaillées dans mon rapport. Ainsi, dans les sociétés titulaires d’une autorisation relative à un service de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre, une même personne physique ou morale ne peut détenir ni plus de 49 % du capital ou des droits de vote d’une société nationale lorsque l’audience moyenne annuelle de cette dernière dépasse 8 % de l’audience totale des services de télévision, ni plus de deux participations à 15 % du capital de services de télévision nationale, ni plus de trois participations à 5 % de ce capital.

Ce cadre juridique étant rappelé, où en sommes-nous en matière d’indépendance des médias et de pluralisme de l’information ?

Les médias français présentent la caractéristique de ne pas être organisés en grands pôles multimédias qui ne se consacreraient qu’à cette activité, tels que le News Corp de Robert Murdoch, mais d’être contrôlés par des groupes aux intérêts divers, présents notamment dans les secteurs du BTP, de l’armement, de l’aéronautique civile ou militaire. On peut ainsi citer, dans l’ordre alphabétique : Arnault, Bolloré, Bouygues, Dassault, Lagardère, Pinault.

Dans la seconde partie de mon rapport, plus polémique, je dénonce l’omnipotence du pouvoir exécutif dans les médias, en évoquant le « réseau » constitué autour du Président de la République par des industriels propriétaires de grands titres de presse écrite ou de grands médias audiovisuels, ainsi que les échanges de services que permet ce réseau. Par ailleurs, le phénomène de vases communicants qu’engendre l’existence d’un « cordon ombilical » entre les groupes industriels ou financiers et la commande publique dont ils dépendent financièrement pose un grave problème pour notre démocratie.

C’est pourquoi notre proposition de loi – dont le premier article concerne le secteur de la communication audiovisuelle et le second celui de la presse – vise à ce que le législateur assure une séparation étanche entre les détenteurs de titres de presse ou de médias audiovisuels et la puissance publique responsable des marchés publics, au niveau local comme au niveau national,.

M. Christian Kert. Je me demande si M. Bloche se complaît dans l’angélisme ou s’il s’amuse à jouer à contre-emploi. Il semble ignorer que les récents États généraux de la presse ont conclu qu’une transparence accrue sur l’actionnariat des entreprises de presse était souhaitable, mais que le dispositif anti-concentration n’appelait pas de modification substantielle par voie législative.

Ce n’est pas parce que cette proposition de loi est propulsée au carburant du socialisme que je la combats. En 2000, alors que Mme Catherine Trautmann était ministre de la culture et de la communication et que notre excellent collègue Didier Mathus était rapporteur, une suggestion de même nature avait été jugée excessive. Que dire aujourd’hui, alors que des progrès considérables ont été accomplis dans le numérique terrestre, que nous avons assisté à l’arrivée des chaînes gratuites sur la télévision numérique terrestre (TNT) et que nous disposons de plusieurs chaînes d’information continue ?

Le dispositif anti-concentration français est déjà l’un des plus contraignants au monde : outre les limitations à la participation au capital des sociétés de télévisions nationales rappelées par le rapporteur, notre législation prévoit également des limites au cumul d’autorisations de télévisions et de radios, la séparation des activités de production et de diffusion – imposée par les décrets Tasca, le contrôle des autorités de régulation et de concurrence sur toutes les opérations de concentration. N’est-ce pas suffisant ?

La loi précise également que doivent être fournies au CSA, à sa demande, toutes les informations sur les marchés publics et délégations de service public pour l'attribution desquels des personnes détenant directement ou indirectement un service de télévision ou de radio dont les programmes contribuent à l'information politique et générale ont présenté des offres. En outre, chargé d’assurer le respect du principe du pluralisme, le CSA se montre particulièrement rigoureux dans l’exercice de cette mission, au travers des recommandations qu’il adresse aux chaînes de télévision et de radio.

De fait, c’est moins sur les dangers de la concentration que sur la capacité de nos médias à faire face aux évolutions technologiques qu’il convient de s’interroger. À cet égard, la concurrence des grands groupes internationaux, qui se rient des frontières nationales, représente une menace. Pour affronter cette concurrence, alors que la plupart des pays ont multiplié la concentration de leurs médias, la meilleure solution pour la France est-elle vraiment de choisir l’éparpillement de ses groupes ? En outre, si ce texte était adopté, il risquerait d’être invalidé par la Cour de justice des Communautés européennes, qui a affirmé dans une jurisprudence récente qu’une telle interdiction de principe est contraire au droit communautaire.

Enfin, l’adoption de ces dispositions serait dangereuse sur le plan économique car elles contraindraient nombre d’actionnaires de sociétés de médias à rétrocéder leur part de capital en raison de leurs liens avec la commande publique. N’oublions pas que les marchés publics représentent 120 milliards d’euros par an, concernent tous les secteurs de l’économie et sont assurés par nombre de sociétés dont une grande partie détiennent ou participent au capital des sociétés de presse, de radio et de télévision. L’application de la nouvelle réglementation envisagée les contraindrait dès lors à revendre leurs parts de capital de nos médias nationaux et cette rétrocession se ferait de facto au bénéfice de groupes ou de fonds de pension étrangers.

Monsieur Bloche, en prétendant garantir le pluralisme et l’indépendance, normalement assurés par les rédactions, vous risquez de provoquer à terme la disparition de titres déjà en proie à des difficultés conjoncturelles. En affichant la carte de la modernité, vous dévoilez en fait celle du conservatisme. Et en affirmant défendre les libertés, vous ne proposez que la contrainte.

Pour notre part, nous souhaitons des groupes de médias forts et plus libres, capables de s’adapter aux mutations technologiques et de résister à la concurrence étrangère, ne nous laissant pas isolés dans le concert européen. Ce n’est pas le moment de présenter cette proposition, qui risque de fragiliser encore davantage ce secteur.

M. Marcel Rogemont. Est-ce à dire, Monsieur Kert, que ce moment viendra ? Peut-on espérer que votre réflexion évolue ?

Lors de l’examen du projet de loi sur l’audiovisuel en 2000, c’est vrai, des dispositions comparables avaient été un moment évoquées. Mais convenons que depuis, le monde des médias a évolué et que le phénomène de leur concentration s’est amplifié, comme le montre très bien le rapport de M. Bloche.

Par ailleurs, il convient bien sûr de sauvegarder l’indépendance des rédactions, mais force est de constater, à cet égard, que certains chefs d’entreprises, détenteurs de médias, ont contrevenu par leur attitude à la culture même du secteur des médias.

M. Jacques Grosperrin. Ayant acheté Libération, pour la première fois en trois ans, j’ai pu constater que chaque page ou presque de ce quotidien contenait une attaque en règle contre le Président de la République. C’est bien la démonstration qu’aucune collusion n’existe entre Nicolas Sarkozy et Edouard de Rothschild…

J’ai plutôt l’impression que cette proposition de loi est le produit de ce que l’on pourrait appeler une « fixette » contre le Président de la République et sa politique. Elle offense également la neutralité et l’intelligence des rédacteurs en chef, par ailleurs bien défendus par leurs syndicats.

M. le rapporteur. Monsieur Grosperrin, il suffit de lire Libération pour être convaincu que le Parti socialiste peut y être lui aussi critiqué.

Non, il ne s’agit pas de notre part d’une charge contre le Président de la République ; et les partis de gauche ne sont pas les seuls à soutenir le raisonnement que je vous ai présenté : François Bayrou a mené une partie de sa campagne présidentielle sur le thème de cette proposition de loi.

Le carburant de ce texte, monsieur Kert, c’est plutôt la démocratie. Incontestablement, la pratique du pouvoir qui est celle de M. Sarkozy conduit à une sensibilisation plus forte à certaines thématiques. Ainsi, le temps de parole du Président de la République, à la suite de la décision du Conseil d’État du 8 avril 2009 et de celle du Conseil supérieur de l’audiovisuel qui a suivi, n’est plus comptabilisé de la même manière que pour les prédécesseurs de M. Sarkozy, tout simplement parce que le mode de gouvernance de ce dernier l’amène à être plus présent dans les médias. Je n’ai pas voulu établir un rapport anecdotique, mais tout le monde sait que M. Sarkozy a une certaine propension à donner son avis que ce soit sur le choix des journalistes, notamment lorsqu’ils sont chargés de présenter les journaux télévisés de 20 heures, ou même sur les grilles de programme – notamment sur la place qu’y occupent les émissions politiques.

Nous n’avons pas déposé une proposition de loi de circonstance, visant un homme en particulier ; nous nous intéressons aux relations existant entre le pouvoir exécutif et certains médias. Ce n’est pas un hasard si nous avons déposé parallèlement une demande de commission d’enquête sur le fait que l’Élysée commande et finance sur son budget des sondages dont bénéficie, ensuite, une certaine partie de la presse écrite et audiovisuelle.

Vous avez évoqué le débat sur la loi de 2000, qui nous occupait depuis 1998. Certes à l’époque, nous n’avions pas retenu le dispositif que nous proposons aujourd’hui ; nous avions été amenés à une « revoyure » des dispositifs anti-concentration et nous avions posé les bases de la télévision numérique terrestre (TNT), mais en ce temps de cohabitation, notre attention se concentrait surtout sur un média audiovisuel à très forte audience, TF1. Depuis, le paysage audiovisuel a évolué, et il ne s’agit pas ici de revoir les seuils de concentration. Je ne sais pas, d’ailleurs, s’il faudra les revoir car le développement des chaînes de la TNT et la concurrence d’Internet conduisent à une décroissance de l’audience des chaînes historiques.

Vous avez évoqué aussi les États généraux de la presse. Pour ma part, je vous renvoie à la réunion qui s’est tenue au Théâtre de la Colline le 24 novembre 2008 : les journalistes y avaient appelé au « refus impératif du mélange des intérêts industriels et médiatiques, afin de garantir que les opérateurs économiques n’aient pas d’autre objectif que l’information ». Quand les médias sont détenus par des grands groupes industriels et financiers, l’information risque d’être censurée lorsqu’elle va à l’encontre des intérêts de ces groupes. Cette proposition de loi est un peu le corollaire de la décision prise au printemps dernier sur le temps de parole du Président de la République.

Quant à la décision de la Cour de justice des Communautés européennes, qui portait sur des dispositions votées en Grèce pour assurer l’indépendance du secteur des médias par rapport à celui des travaux publics, elle fait état d’une méconnaissance du principe de proportionnalité. La présente proposition de loi, qui vise avant tout à clarifier les liens entre le pouvoir politique et les médias, ne me paraît pas concernée par cette jurisprudence.

Enfin, sur le plan économique, je ne crois pas que les dispositions que nous proposons fragiliseraient le secteur des médias, tout simplement parce que, en vertu d’un principe constitutionnel, cette loi, si par bonheur elle était votée, n’aurait pas un caractère rétroactif. Elle n’aurait donc pas pour effet d’obliger les grands groupes à se dessaisir des médias qu’ils possèdent, pas plus que de permettre aux groupes étrangers de s’en emparer avec voracité.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Nous en venons à la discussion des articles, sur lesquels je ne suis saisie d’aucun amendement.

Article 1er : Régulation de la concentration dans le secteur de la communication audiovisuelle

La Commission rejette l’article 1er.

Article 2 : Régulation de la concentration dans le secteur de la presse

La Commission rejette l’article 2.

La Commission rejette l’ensemble de la proposition de loi.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Cette proposition de loi sera examinée en séance publique le 19 novembre, après-midi.

La séance est levée à dix-sept heures quinze.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La commission a désigné M. Hervé Gaymard rapporteur sur la proposition de loi relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre (n° 1302)

——fpfp——

Présences en réunion

Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du mardi 10 novembre 2009 à 16 h 30

Présents. - M. Marc Bernier, M. Patrick Bloche, M. Bruno Bourg-Broc, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. Patrice Debray, M. Pascal Deguilhem, Mme Marianne Dubois, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Gérard Gaudron, M. Hervé Gaymard, M. Jacques Grosperrin, M. Christian Kert, M. Dominique Le Mèner, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, Mme Michèle Tabarot

Excusés. - Mme Marie-Hélène Amiable, Mme Sylvia Bassot, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Monique Boulestin, Mme Danielle Bousquet, Mme Martine Faure, Mme Françoise Imbert, M. Pierre Lequiller, Mme Martine Martinel