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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 25 novembre 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 16

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la numérisation des œuvres du patrimoine écrit : M. Guillaume Boudy, secrétaire général du ministère de la culture et de la communication, M. Philippe Colombet, responsable du programme « recherche de livres » de Google Europe, M. Serge Eyrolles, président du Syndicat national de l’édition, M. Nicolas Georges, directeur du livre et de la lecture, président du Centre national du livre, M. Javier Hernández-Ros, chef de l’unité « Accès à l’information » à la Commission européenne, M. Jean-Noël Jeanneney, ancien président de la Bibliothèque nationale de France, M. Dominique Le Brun, secrétaire général de la Société des gens de lettres, M. Arnaud Nourry, président-directeur général de Hachette Livres, M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France, et M. Marc Tessier, président de la Commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 25 novembre 2009

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

Mme la présidente Michèle Tabarot. Mes chers collègues, je suis très heureuse d’inaugurer aujourd’hui une formule de table ronde que je souhaite développer dans les prochains mois. J’ai le sentiment en effet que c’est par des échanges de cette nature que notre nouvelle commission des affaires culturelles pourra le mieux s’informer sur les secteurs de sa compétence.

Créée le 1er juillet dernier, notre commission tenait à se pencher dans un esprit très ouvert sur la numérisation des œuvres de notre patrimoine écrit, question qui donne lieu à un débat récurrent depuis plusieurs mois en France et à l’étranger.

Je saluerai tout d’abord nos invités qui ont bien voulu participer à cette table ronde : M. Guillaume Boudy, secrétaire général du ministère de la culture et de la communication ; M. Philippe Colombet, responsable du programme « recherche de livres » de Google Europe ; M. Serge Eyrolles, président du Syndicat national de l’édition ; M. Nicolas Georges, directeur du livre et de la lecture, président du Centre national du livre ; M. Javier Hernández-Ros, chef de l’unité « Accès à l’information » à la Commission européenne ; M. Jean-Noël Jeanneney, ancien président de la Bibliothèque nationale de France ; M. Dominique Le Brun, secrétaire général de la Société des gens de lettres ; M. Arnaud Nourry, président-directeur général de Hachette Livres ; M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France. Nous avons également le plaisir de compter parmi nous M. Marc Tessier, à qui le ministre de la culture et de la communication, Frédéric Mitterrand, a demandé de présider une commission chargée d’étudier « l’opportunité et les modalités d’un éventuel accord avec un opérateur privé, pour numériser ou mettre en ligne les fonds des bibliothèques ». Je précise tout de suite que nous ne demanderons pas à M. Tessier de dévoiler les conclusions qu’il doit rendre le mois prochain – il pourra néanmoins nous éclairer sur les enjeux tels qu’ils sont perçus par cette commission. Nous avons d’ailleurs souhaité que cette table ronde se déroule en amont de la remise du rapport de M. Tessier afin de participer, à notre façon, à sa réflexion.

La numérisation de l’écrit présente un double enjeu : d’une part, rendre accessibles à tous ces biens précieux, préservés depuis des siècles dans les fonds de nos bibliothèques : les œuvres remarquables de notre patrimoine, des plus connues à celles qui sont devenues rares ; d’autre part, protéger et préserver les droits des auteurs et de leurs ayants droit.

Comment consacrer un modèle français, et même européen, pour organiser la numérisation de masse qui se profile, comment garantir l’accessibilité des œuvres numérisées, comment rattacher ce grand dessein à l’avènement du livre numérique qui s’opère sous nos yeux ? Voilà tout ce dont nous allons débattre ce matin dans un climat que je souhaite serein.

Je vais maintenant céder la parole à chacun de nos invités pour de brèves observations liminaires, avant que ne commence l’échange proprement dit, à partir des questions que poseront les membres de la commission.

M. Guillaume Boudy, secrétaire général du ministère de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames et messieurs, une étude des pratiques culturelles des Français au cours des dix années – 1997-2008 – montre une évolution marquée notamment par l’irruption du numérique : si 1 % des Français avaient accès à Internet en 1997, ils sont aujourd’hui plus de 70 % dans ce cas, le développement du haut débit contribuant encore, depuis 2004-2005, à multiplier les accès et les usages.

Une des principales conséquences en est l’émergence d’une culture d’écran qui rogne petit à petit, notamment dans les nouvelles générations – les « Internet natives » –, les pratiques classiques de la lecture – qu’il s’agisse de la littérature ou de la presse –, mais aussi, fait nouveau, réduit le temps consacré à regarder la télévision et à écouter la radio.

Deuxième observation : le plafond de verre qui limite l’accès à la culture se retrouve malheureusement dans l’accès à la culture numérique, les usages culturels d’approche des contenus montrant la même segmentation socioprofessionnelle. Ainsi, si le numérique favorise un accès plus large, plus facile, il ne permet pas pour autant aux catégories socioprofessionnelles les moins avantagées d’accéder à la culture de manière construite. Là se situe d’ailleurs l’un des enjeux du numérique aujourd’hui.

L’irruption du numérique est-elle un bien ou un mal ? Le débat est-il entre volume et qualité, entre individualisme et partage de pratiques collectives ? Nous pourrons en discuter. En tout cas, ce phénomène est mondial, et il appartient maintenant au ministère de la culture de l’accompagner, de l’orienter, de l’enrichir avec l’ensemble des autres acteurs du monde culturel, mais aussi de guider l’usager dans le dédale d’Internet.

Contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, le ministère ne découvre pas ces sujets, se réveillant brutalement. Autour de cette table sont d’ailleurs représentés plusieurs établissements publics sous tutelle du ministère qui ont anticipé ces mouvements et, même s’ils sont à la recherche de moyens supplémentaires, ont, dès la fin des années 1990 et surtout depuis le début des années 2000, réalisé un travail considérable, tant du point de vue conceptuel que de celui des contenus numériques.

Ainsi, le portail d’accès aux collections du site www.culture.fr, développé par le ministère depuis 2003, rassemble aujourd’hui plus de 3 millions de références.

L’appel à projet « numérisation » lancé en 2006 permet, moyennant 2,5 à 3 millions d’euros par an, de conforter ou de lancer des processus de numérisation dans les collectivités locales, les établissements publics locaux, mais aussi dans les établissements publics nationaux : depuis trois ans, ce sont près de 500 structures qui ont été ainsi accompagnées ou mises sur le chemin de la numérisation.

Parmi les collections thématiques de grande qualité développées au sein de l’État, on trouve « Grands sites archéologiques », « Célébrations nationales » et d’autres sites sur la recherche ethnologique.

Le portail « Histoire des arts », lancé il y a à peine une semaine et qui fera l’objet d’une prochaine communication, collecte l’ensemble des données produites par la sphère publique et apporte une aide aux enseignants chargés des cours d’histoire des arts, matière devenue obligatoire l’année dernière en primaire et cette année au collège.

Enfin, un certain nombre de rencontres ou de soutiens sont venus en appui des pratiques culturelles numériques.

Je n’aurai garde d’oublier l’action déterminée de grands établissements comme la Bibliothèque nationale de France – son président actuel en parlera mieux que moi –, l’Institut national de l’audiovisuel, la Réunion des musées nationaux, Le Louvre, le Musée d’Orsay ou la Cité de la musique qui, de manière peut-être trop silencieuse encore, ont développé un contenu numérique de qualité et pleinement accessible.

Dans son discours prononcé vendredi à Avignon, M. Mitterrand a défini la stratégie du ministère « pour un nouveau monde » autour de trois axes.

Il s’agit d’abord d’accompagner le passage au numérique et la numérisation en embrassant l’ensemble du champ culturel, c’est-à-dire le livre, la presse, le cinéma – avec l’équipement numérique des salles –, les médias, les fonds patrimoniaux des collections publiques, mais aussi les usages. À cet égard, un rapport, élaboré collectivement par des acteurs publics et privés sous la coprésidence de Bruno Ory-Lavollée et de moi-même, devrait être rendu public prochainement, proposant une vingtaine de pistes d’action afin de diffuser et de mieux réutiliser les données publiques culturelles.

Ensuite, le ministre a lancé deux grandes missions, confiées à Marc Tessier, d’une part, et à MM. Zelnik, Toubon et Cerutti, sur le développement de l’offre légale, d’autre part.

Le troisième axe est la protection des auteurs, que ne doivent surtout pas exclure la multiplication des usages et le modèle économique à définir en aval. Le ministère étant le protecteur des auteurs et des créateurs, un bureau spécialisé a été créé au sein du secrétariat général. En effet, si les créateurs n’ont plus les moyens d’exister, il n’y aura plus de création, et c’est tout l’enjeu.

Plusieurs actions, d’ores et déjà annoncées par le ministre au Forum d’Avignon, découlent de ces priorités.

D’abord, le soutien à la numérisation. En sus des 30 millions d’euros que consacrent l’État et ses établissements publics chaque année, le ministre a demandé à disposer au titre du Grand emprunt de 750 millions d’euros supplémentaires, dont 620 millions pour la numérisation, mais aussi 80 millions pour les infrastructures. En effet, une chose est de produire des contenus de qualité, une autre est de les stocker et de les conserver ; or à cet égard, l’État a un grand chemin à faire pour mutualiser ces investissements. La BNF a déjà un grand projet de stockage. Dans ce domaine, les perspectives sont exponentielles : on parle de pétaoctets, c’est-à-dire de choses malheureusement très coûteuses. Le reste de ce qui est demandé – 53 millions d’euros – servira à développer les nouveaux services d’appui, c’est-à-dire tout ce qui pourrait faciliter l’accès à la culture, que ce soit dans des établissements publics, sur des sites de partage d’information ou sous d’autres formes que nous ne pouvons encore imaginer mais qui émergeront sans aucun doute, notamment des partenariats avec des entreprises et des laboratoires de recherche.

La deuxième action consiste en la mise en réseau des contenus des offres publiques de l’État, des collectivités locales, des établissements publics locaux et nationaux. Le souhait du ministre est de voir se développer, à partir du site www.culture.fr, un véritable portail du patrimoine culturel qui serait ouvert non seulement au ministère et à ses établissements publics, mais aussi à l’ensemble des établissements publics de l’État – d’autres ministères recèlent des mines et des merveilles de patrimoine –, ainsi qu’aux partenaires privés qui voudraient s’y associer.

Troisièmement, le ministre souhaite voir émerger de nouveaux dispositifs culturels innovants. C’est la raison pour laquelle a été ouvert, il y a quelques semaines, un appel à projet pour les services culturels innovants en ligne : une somme, certes encore modeste, d’un demi-million d’euros devrait ainsi permettre de lancer des expérimentations et de tester ces services.

Enfin, dans le cadre de la réorganisation du ministère, le ministre a souhaité qu’un département consacré aux programmes numériques soit créé au sein du secrétariat général.

M. Jean-Noël Jeanneney, ancien président de la Bibliothèque nationale de France. Madame la présidente, je vais essayer de ramasser en quelques minutes l’expression d’une conviction que j’ai portée pendant deux ans à la tête de la Bibliothèque nationale de France et que, jusqu’au mois d’août dernier, je ne m’attendais pas à avoir à promouvoir à nouveau.

Cette conviction est que doit s’épanouir – en concurrence et en complète indépendance par rapport à Google Livres – une bibliothèque numérique européenne riche des initiatives publiques des différentes bibliothèques nationales de l’Union. Cinq arguments essentiels me paraissent justifier cette initiative de si grande portée civique.

Le premier est culturel. La grande menace, sur la Toile, est celle du vrac, du désordre car avoir accès à tout, c’est n’avoir accès à rien. Par conséquent, les critères de numérisation et de classement sont essentiels, et je me permets de vous renvoyer à cet égard à l’article fondamental du professeur Roger Chartier, du Collège de France, publié récemment dans Le Monde. Il faut donc une diversité : éviter à tout prix de laisser un monopole à une grande firme, quelle qu’elle soit, et ce afin de servir la conviction, affirmée par l’UNESCO elle-même il y a deux ans, de l’absolue nécessité d’une diversité culturelle sur notre planète. L’un des deux géniaux fondateurs de Google, Sergey Brin, ne disait-il pas très clairement en 1998 : « Comme le montre l’histoire des médias, les moteurs de recherche financés par la publicité seront, par nature, biaisés aux dépens des consommateurs » ?

Le deuxième argument est technique. Dans cette migration des supports, il existe une très grande incertitude quant à la pérennité des richesses qu’il s’agit de porter jusqu’à nos petits-neveux et bien au-delà. Or de grandes institutions publiques sont, me semble-t-il, plus à même que des firmes – certes honorables, mais vouées par nature à attendre un retour d’investissement rapide – d’assurer cette pérennité essentielle, que nous devons chèrement défendre.

Le troisième argument est juridique. Il a gagné en force depuis que telle grande bibliothèque régionale de France a contracté avec Google. En effet, que cette firme s’assure pour un long temps, par des clauses secrètes, la pleine propriété des fichiers est de nature à inquiéter s’agissant de richesses à caractère public. À cet égard, je vous renvoie à un numéro récent de la revue de référence L’actualité juridique du droit administratif (AJDA), dans lequel Thibault Soleilhac indique : « En numérisant un fonds entier, ou du moins une partie considérable des collections, la firme Google s’assure un droit de propriété sur une bibliothèque, c’est-à-dire un bien unique constitutif d’une universalité. Les bibliothèques concernées sont cependant essentiellement publiques et incorporées au domaine public ».

Le quatrième argument est, je n’hésite pas à le dire, de caractère moral. Depuis quelques années, on assiste à un effet direct et tout naturel de la domination d’un oligopole – mais l’histoire en donne bien d’autres exemples – : une absence de vergogne, qui a conduit les éditeurs français en justice, Google ayant mis en ligne des livres qu’elle ne possède pas, ce sans l’accord des éditeurs et des auteurs. Ces effets pervers sont d’ailleurs condamnés de longue date par l’Amérique elle-même, par les lois antitrust dont j’ai le sentiment qu’elles vont, en ce domaine également, jouer un rôle efficace dans un proche avenir.

Le cinquième argument est de caractère diplomatique au sens le plus élevé du terme. Tout autour de la planète, après le mouvement mis en branle voici quatre ans, un grand nombre de pays ont constaté que, sans arrogance, sans prétention, la France était en train de dessiner un chemin, de montrer qu’il était possible de faire autre chose que de contracter avec Google. La traduction en quinze langues, y compris en américain, du petit livre de combat que j’avais publié en 2005 est révélatrice de l’intérêt que suscite une telle option. Au Japon, où je me suis rendu en septembre pour la traduction japonaise, la Diète a décidé de multiplier par cent la ligne de crédits accordée à sa bibliothèque nationale, pour la porter à 90 millions d’euros, afin de numériser 900 000 ouvrages d’ici à deux ans. Et mes interlocuteurs japonais m’ont fait part de leur incrédulité et de leur stupéfaction quand ils ont appris que la France pourrait rompre avec la ligne de conduite qu’elle avait précédemment adoptée.

Vous le voyez : la numérisation revêt une importance à la fois concrète et symbolique. Bien sûr, quand on parle culture, on parle aussi politique et finances, mais c’est si peu de chose en considération de tous les pays qui nous ont suivis et de l’enjeu que représente la francophonie. À cet égard, je vous renvoie aussi à un article du Monde dans lequel Mme Bissonnette, ancienne et prestigieuse présidente et fondatrice de la magnifique bibliothèque nationale du Québec, s’étonnait de nous voir renoncer à l’essentiel des ressorts ayant légitimement fait notre fierté et entraîné l’adhésion de sa province.

Aux heures où un grand choix politique s’impose, il y a toujours, comme le disait de Gaulle à propos de Beuve-Méry, des « messieurs faut qu’ça rate », autrement dit des gens pour qui on est toujours trop petit ou trop faible pour ne pas se résigner à aller dans le sens où nous entraînent des forces qui nous dépassent… Je ne crois pas qu’il en soit ainsi et vous engage donc, mesdames et messieurs, à ne pas écouter les « messieurs faut qu’ça rate » !

Mme la présidente Michèle Tabarot. Avant de donner la parole à M. Racine, président de la Bibliothèque nationale de France, je signale que, la semaine prochaine, la BNF et l’Assemblée nationale vont officialiser une convention de partenariat concernant certaines œuvres conservées par la Bibliothèque de l’Assemblée.

M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France. Madame la présidente, je vais essayer de rester dans la ligne que vous avez souhaitée d’un débat serein. Parlant après mon prédécesseur à la BNF, je serais très attristé que nous donnions le sentiment d’un débat personnel. Pour ma part, ce sujet est au cœur de mes préoccupations depuis que je suis à la tête de cette maison et nous devrions, me semble-t-il, être en mesure de raisonner sans caricaturer les positions de l’autre ni, surtout, chercher à déconsidérer ceux qui ont un point de vue différent. Avec un peu de malice, mon cher Jean-Noël Jeanneney, je ne résiste pas à citer une de vos déclarations – à laquelle je souscris totalement – parue dans l’Humanité, journal peu suspect de proaméricanisme : « Cela ne serait pas un drame d’aller vers Google si nous conservons la capacité d’organiser la numérisation en fonction de nos propres choix ». Mesdames et messieurs, ce n’est pas un drame, en effet, et nous pouvons discuter de ce sujet, même si, je l’admets, la décision finale n’est pas technique, mais de nature politique – car c’est aux politiques de faire la synthèse entre les intérêts du patrimoine public, du contribuable et des éditeurs, et ce qu’exige le rayonnement culturel de notre pays à l’échelle internationale.

Je ne me livrerai pas ici à un discours de nature politique, mais j’essaierai d’exposer brièvement ce qu’est une stratégie de numérisation ou, pour mieux dire, une politique numérique, la numérisation n’en étant qu’une partie.

Une politique numérique – et la Bibliothèque nationale de France a été la première des grandes institutions à se doter d’une bibliothèque numérique en ligne, Gallica, en 1997 – comporte cinq étages.

Le premier est le choix des documents ou des œuvres à numériser, avec deux options possibles : soit une sélection a priori, soit la recherche de l’exhaustivité, chacun des secteurs définis faisant l’objet d’une numérisation intégrale, afin de disposer d’un corpus complet. La première conception est aujourd’hui dépassée, notre horizon étant l’exhaustivité dans tous les domaines du savoir. Si nous voulons une politique de numérisation ambitieuse pour notre pays, elle doit viser à l’exhaustivité raisonnée, dans le cadre d’une collaboration entre la Bibliothèque nationale de France et les autres bibliothèques françaises. De ce point de vue, la question du « vrac » me semble être un faux problème.

Le deuxième étage est la conservation. Les données numériques étant fragiles, il faut en assurer la pérennité, et c’est notre mission, non celle d’une société privée comme Google. Grâce au soutien du ministère de la culture et de la communication, nous consentons les investissements nécessaires pour assurer la pérennité de la conservation et de l’accès aux données numériques. Définir une politique numérique, à quelque niveau que ce soit, exige de garder cette exigence à l’esprit, sachant que les coûts induits par la conservation sont comparables à ceux de la numérisation proprement dite.

Le troisième étage est celui de l’accès. Il faut déterminer d’emblée pour qui on numérise et à quelles conditions, si l’accès est universel ou restreint, gratuit ou payant pour une partie. S’agissant de Gallica, l’accès est universel et gratuit pour tout ce qui relève du domaine public, modèle similaire à celui de Google, mais non à celui de pays comme l’Angleterre et le Danemark, où l’accès est limité géographiquement et payant pendant une certaine durée, en dehors du périmètre initial.

Le quatrième étage est celui de la définition du modèle économique, qu’il faut mener à bien sans exclure aucune option a priori : financement public, privé ou mixte. Jean-Noël Jeanneney le sait pour avoir autorisé une négociation très poussée, pendant des mois, avec un autre géant américain, Microsoft, pour un beau projet – qui, à mon grand regret, n’a pas abouti – de soutien à la numérisation de la BNF avec une très intelligente dimension européenne.

Cinquièmement, l’étage de base dans l’univers numérique est toujours non ordonné, non classé et c’est par-dessus que sont construits des outils d’exploitation et d’organisation des données, et non l’inverse. C’est pourquoi la question du vrac est un faux problème. En effet, pour pouvoir organiser le savoir, il faut d’abord l’avoir accumulé sans a priori, le seul ordre possible étant pratique : comme on ne peut pas tout numériser en même temps, il faut définir une séquence, des priorités dans les divers domaines. Ainsi, la BNF donne la priorité à la numérisation de la littérature française sur celle des traductions en français de la littérature norvégienne – ce sont des priorités de nature documentaire –, mais ne se demande pas, pour numériser la poésie française, si tel poète est majeur ou tel autre mineur, ou s’il faut privilégier chez Victor Hugo Les contemplations plutôt que L’art d’être grand-père : elle prend le parti, absolument nécessaire, de l’exhaustivité sans classement a priori.

Ainsi, dans ce contexte d’économie de la connaissance numérique dont on parle beaucoup, l’enjeu de demain est la construction des outils intelligents d’exploitation des données, et non la numérisation proprement dite, considérée comme un processus industriel supposant une bonne organisation et des investissements, mais sans grande complexité intellectuelle.

J’en viens aux conditions d’un partenariat avec le privé, qui n’a jamais été exclu et qui est d’ailleurs inscrit dans le contrat de performance passé entre la BNF et l’État. Ces conditions sont très précises.

Premièrement, le choix des œuvres ou des documents numérisés incombe à la seule institution, en l’espèce à la BNF. Cela est clair, et personne n’a jamais envisagé autre chose.

Deuxième condition : les fichiers numériques qui seront remis à la BNF doivent respecter les normes et les standards fixés par l’institution.

Troisièmement, la durée des contreparties que le partenaire demande éventuellement pour prendre à sa charge la numérisation doit être limitée.

Quatrième condition : il ne doit pas y avoir de monopole d’accès consenti au partenaire. Concrètement, dans le cas de la BNF, tout ce qui est numérisé de ses collections doit être accessible gratuitement et directement à travers Gallica. Autre garantie : tout ce qui est accessible via Gallica le sera également par Europeana ; et c’est pourquoi il ne doit pas y avoir de contradiction entre les initiatives privées, que ce soit de Google, de Microsoft ou d’autres partenaires, et le projet Europeana ; s’il en était autrement, nous renoncerions. Enfin les autres moteurs de recherche doivent pouvoir indexer les métadonnées.

Cinquièmement, et c’est ici un souhait plus qu’une condition : il nous serait très utile de disposer d’un cadre de référence européen pour les partenariats avec le privé. Europeana n’est pas du tout aujourd’hui ce que Jean-Noël Jeanneney a décrit, l’agrégation des ressources des bibliothèques nationales européennes, mais un projet beaucoup plus ambitieux visant à donner accès aux ressources numériques des bibliothèques, nationales ou non, mais aussi des musées, des archives et du secteur audiovisuel. Sa portée est donc bien plus vaste, d’où sa richesse mais aussi la difficulté. En effet, le parent pauvre d’Europeana, il faut en être conscient, est le livre car, malgré l’appel retentissant lancé il y a cinq ans, la France est le seul pays européen à avoir réellement investi dans la numérisation des livres. Après la Conférence des bibliothèques nationales européennes, où je me suis rendu il y a quelques semaines comme membre du comité exécutif, je constate que, pour nos partenaires européens, les seules questions sont de savoir si l’Union peut aider – de fait, on ne pourrait que se réjouir que le politique aide davantage à la numérisation – et, surtout, de déterminer à quelles conditions des partenariats avec le privé sont acceptables. Encore une fois, Google est un des principaux partenaires, mais non le seul. Le mouvement est bien enclenché ; l’Italie, par exemple, a décidé de faire numériser l’ensemble de ses bibliothèques par Google. Je le dis à regret, car j’ai partagé l’enthousiasme de Jean-Noël Jeanneney : oui, la bibliothèque numérique européenne du livre existe, mais sur Google Livres. Comme la commissaire européenne Mme Reding me l’a fait observer, on ne trouve pas sur Europeana, en tout cas pas encore, Goethe en allemand, mais seulement traduit en français ou en hongrois. Certes, le volontarisme politique est important, mais il faut parfois aussi, comme le général de Gaulle l’avait prouvé le 18 juin, savoir où sont nos forces et nos faiblesses.

Je le redis : nous avons besoin d’un cadre européen pour aborder cette question du partenariat avec le privé dans le respect des exigences des institutions publiques. Certes importante, elle n’est cependant qu’un élément dans la stratégie de numérisation de la Bibliothèque nationale de France : elle porte seulement sur les livres du domaine public, alors que les enjeux actuels pour la BNF se situent dans la numérisation de la presse – programme engagé par Jean-Noël Jeanneney, mais à un rythme insuffisant –, mais aussi de ses collections rares et précieuses, de ses manuscrits, pour lesquels j’ai engagé cette année une politique méthodique. D’où, là encore, la question cruciale des moyens.

Si nous disposons de crédits publics, comme je le souhaite, n’oublions pas que les tâches à accomplir représentent une masse considérable dont une grande partie ne rentrera pas dans le champ du partenariat avec le privé. Néanmoins, si un partenariat avec Google ou Microsoft nous permet de remplir une case de cette stratégie, ce sera tant mieux, mais à condition de rester maîtres de notre politique et de nos contenus.

M. Dominique Le Brun, secrétaire général de la Société des gens de lettres. Pour la Société des gens de lettres, les enjeux de la numérisation de notre patrimoine écrit peuvent s’apprécier selon deux points de vue : celui des auteurs, qui est aussi, par certains aspects, celui des éditeurs et des lecteurs, et celui du pays tout entier, c’est-à-dire selon un point de vue citoyen.

Pour des raisons chimiques, le papier imprimé s’autodétruit à long terme. Du point de vue des auteurs, la pérennisation de notre patrimoine écrit passe donc obligatoirement par sa numérisation.

La généralisation de l’outil informatique et de la communication par Internet impose aussi comme une règle inévitable la consultation sous forme de fichiers numériques des œuvres non disponibles en librairie ou en bibliothèque.

Le passage d’une forme physique à une forme numérique des livres pour la transmission de la culture écrite impose un respect absolu de la qualité du mode de diffusion. Celle-ci comporte trois aspects. Le premier est la qualité de la numérisation. Elle commence avec le respect scrupuleux de l’intégrité de l’œuvre : texte et appareil éditorial complets, maintien de la présentation graphique voulue par l’auteur et l’éditeur, bonne qualité de la reproduction. Le respect de l’intégrité de l’œuvre, que garantit notre droit moral, peut aussi résider dans le choix motivé par l’auteur d’une version précise d’un texte.

Le deuxième critère de qualité est le souci de donner accès à l’œuvre selon des modes de recherche pertinents et liés à la qualité des contenus. Or, les moteurs de recherche, – en particulier Google, le premier d’entre eux – fonctionnent selon une logique, non pas culturelle, mais commerciale, et selon le principe d’une supposée « intelligence collective » ; la pertinence d’une recherche y est assise sur le nombre d’individus utilisant les mêmes mots-clés, eux-mêmes générateurs du meilleur marché publicitaire possible.

Le troisième critère réside dans le respect des droits de chacun – auteurs, éditeurs mais aussi lecteurs. Pour les auteurs, le nécessaire respect de la qualité du mode de diffusion des œuvres de l’écrit sous forme numérique apparaît comme la garantie des droits des lecteurs, notamment celui d’accéder à des contenus d’une qualité sûre.

Puisque nous vivons dans une société où le culturel est fréquemment inféodé à l’économique, nous rappellerons que le lecteur est aussi un consommateur, s’acquittant le plus souvent d’un paiement en échange duquel il acquiert un droit d’accès à l’œuvre qu’il a choisie. Ses exigences à l’égard d’une œuvre présentée sous forme numérique sont au nombre de quatre. La première est la qualité de la numérisation : un texte dont la visibilité est détériorée perd de son attractivité. À l’heure du déclin de la lecture, il serait dommage de ne pas la soutenir. La deuxième est un accès aux œuvres qui dépende de la pertinence de la demande précise, et non pas du nombre de clics déjà enregistrés de la part d’autres internautes ayant formulé une demande comparable. La troisième est la fiabilité du texte communiqué, autrement dit la certitude que l’œuvre à laquelle on a accès est intègre, c’est-à-dire complète et exempte de toute modification. La quatrième est la pérennité des formats et des supports ; le respect constant des règles d’interopérabilité permet de l’obtenir.

Pour la Société des gens de lettres, Gallica, bibliothèque numérique de la BNF, répond à l’ensemble de ces exigences. La SGDL rappelle que la procédure qu’elle a intentée en France à l’encontre de Google, aux côtés des Éditions La Martinière et du Syndicat national de l’édition, se fonde principalement sur le respect du droit moral des auteurs. Inaliénable, incessible et imprescriptible, ce droit recouvre notamment le respect de l’intégrité de l’œuvre, dont Google s’affranchit. Le jugement sera rendu le 18 décembre prochain.

Auteurs, nous sommes aussi des citoyens. Pour nous, le patrimoine écrit appartient à la France et aux Français. Ce principe doit être gardé à l’esprit avant toute transmission. Ensuite, un patrimoine culturel ne doit pas être traité comme une source de rentabilité, notamment au profit d’un moteur de recherche. Peut-on envisager de laisser des structures commerciales privées exploiter des contenus culturels publics ?

Néanmoins, pour des raisons techniques ou financières, une bibliothèque nationale peut avoir besoin du savoir-faire d’une entreprise privée, même étrangère. La question est alors celle des termes de l’accord susceptible de les lier. Ne serait-ce parce que les opérations de numérisation sont longues et coûteuses, ce type d’accord est obligatoirement conclu pour la durée. Or, qui peut prédire le devenir de la structure commerciale avec laquelle une bibliothèque nationale aura conclu un accord, connaître le nom de ses futurs propriétaires, ou la politique de ses futurs dirigeants ? Un patrimoine culturel ne peut pas se trouver exposé à de telles incertitudes.

M. Serge Eyrolles, président du Syndicat national de l’édition. Aujourd’hui, le secteur du livre papier n’est pas en voie d’effondrement, contrairement à ce qu’affirment certains. Avec trois milliards d’euros de chiffre d’affaires, c’est le premier secteur culturel français. En importance, c’est le double de celui de la musique, et quatre fois celui du cinéma. Alors que, depuis dix-huit ans que je préside le SNE, je n’entends qu’annoncer notre mort, et le futur bouleversement du secteur par le numérique, l’année 2009 sera encore une année très correcte pour les éditeurs.

Cette bonne santé du livre papier trouve son origine dans les éléments qui en protègent l’économie. Au premier rang, il faut citer la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre – le récent rapport d’Hervé Gaymard le démontre encore. Un autre atout fondamental est le réseau extrêmement riche, de plus de 2 500 librairies, dont dispose la France : le service que rendent les libraires est extrêmement apprécié des consommateurs. La loi sur le « photocopillage », entrée en vigueur il y a quinze ans, a permis de protéger du piratage le secteur des ouvrages papier. L’édition française a su produire des ouvrages de qualité ; 70 000 titres environ sont publiés en France chaque année. Enfin, il faut mentionner le taux réduit de TVA qui s’applique au livre. L’ensemble de ces éléments permet au secteur de continuer à se développer.

Nous avons été très attentifs au numérique. Aujourd’hui, c’est un nouveau mode de consommation pour des générations plus habituées aux écrans d’ordinateurs qu’à la fréquentation des librairies. Depuis plusieurs années, le SNE réfléchit, en collaboration avec ses partenaires, aux modalités d’un développement de l’offre ; il faut fournir des contenus, les protéger, les rendre accessibles, et trouver pour cela un modèle économique pertinent.

Nous pensons tous le plus grand mal de la stratégie de Google, et notamment de l’entreprise de numérisation d’ouvrages protégés que cette société conduit depuis quelques années. En France, le droit d’auteur est protégé par la loi – jusqu’à soixante-dix ans après la mort de l’auteur depuis une modification de la loi du 11 mars 1957. C’est cette protection qui permet la perpétuation dans notre pays d’une édition très riche et créative. Le procès que nous avons intenté à Google a pour seul motif le non-respect de la loi française. Je regrette qu’il n’ait pas été possible de trouver un arrangement avec cette société. L’affaire judiciaire, avec un procès en cours aux États-Unis et le lancement, indépendant de notre volonté, d’une « class action », est devenue très complexe. Et Google continue de numériser des ouvrages sans aucune autorisation des ayants droit, que les auteurs soient français ou ressortissants d’autres pays…

Aujourd’hui, il nous faut fournir une offre numérique. Nous sommes en train d’aboutir dans notre entreprise de définition de normes interopérables, accessibles aux fabricants de matériels, pour la lecture des fichiers que nous avons numérisés depuis dix ans environ. Il faut éviter la multiplicité des normes qu’a connue un temps le domaine de la musique.

La numérisation des ouvrages coûte cher. Elle a besoin d’argent. L’affectation de 750 millions d’euros du Grand emprunt a été évoquée. Depuis plus d’un an, des ressources du CNL ont été déjà attribuées à des fins de numérisation à la BNF mais aussi aux éditeurs, en vue de leur diffusion sur Gallica. Cette bibliothèque numérique, dont le modèle est très en avance sur les réalisations d’autres pays européens, doit continuer à se développer.

Un modèle économique doit être élaboré. Faut-il une loi sur le prix du livre numérique ? Le taux de TVA doit-il être fixé à 5,5 % ? Après tout, il n’y a pas de raison que le traitement fiscal d’un livre papier et d’un livre numérisé soient différents.

L’offre doit être accrue. Un million d’ouvrages environ sont sous droits. Ils sont loin d’être tous numérisés. Il faut aussi trouver une solution pour les ouvrages épuisés, qui ne sont plus dans le commerce, ou orphelins, dont les ayants droit ne sont plus identifiables. À l’échelon européen, nous débattons de la création de plateformes pour la reprise de leur diffusion.

Le développement de l’offre de livres numériques est un chantier considérable. Il suscite l’intérêt ; cet après-midi ont lieu à la Mutualité des assises du numérique : nous refusons du monde ! Les technologies des « e-books » et autres « e-readers » sont de plus en plus performantes. Les prix baissent. Bref, un marché se crée.

Nous sommes presque prêts. Le livre papier garde cependant un avenir. Si le livre numérique s’est beaucoup développé dans certains pays, son chiffre d’affaires en France est quasi inexistant. Ceux qui pensent que, comme dans certains pays anglo-saxons, le livre doit être gratuit se trompent. Ce qu’on appelle le « fair use » aux États-Unis, c’est la mort de l’édition française, de sa richesse et de nos auteurs.

M. Arnaud Nourry, président-directeur général de Hachette Livres. Hachette Livres est aujourd’hui le deuxième éditeur mondial. En France, nous éditons sous les marques Hachette, mais également Grasset, Fayard, Stock, Lattès et d’autres encore, notamment dans le secteur de l’éducation. Nous sommes le premier éditeur de Grande-Bretagne et d’Australie, le deuxième d’Espagne et le cinquième des États-Unis, sans doute le pays où les débats d’aujourd’hui prennent le plus corps. Hachette Livres publie 17 000 titres chaque année dans 25 pays, pour un chiffre d’affaires de 2 milliards d’euros. Cette dimension très internationale est une particularité dans l’édition française ; elle me permet de partager avec vous quelques observations sur les évolutions à l’étranger.

Si un grand éditeur privé est parmi vous ce matin, ce n’est pas pour tendre la main et demander des subventions. Notre politique de numérisation est ancienne : une dizaine de milliers de nos titres ont déjà été numérisés. Publier sous forme numérique fait désormais partie de notre métier.

Le patrimoine de demain est la création d’aujourd’hui. Pour en garantir l’existence, toute action qui pourrait bouleverser dans ses fondements l’écosystème actuel de l’édition doit être évitée. La création en serait affaiblie. En France, un auteur nouveau peut se présenter auprès de dix éditeurs différents. Celui qu’il aura choisi le diffusera ensuite dans un réseau de vente de grande qualité. Cet écosystème, qui a pour origine la loi de 1981 dite « loi Lang » – que défend Hervé Gaymard dans son rapport – doit être préservé.

Aujourd’hui, certes, le livre numérique n’a pas de marché en France, mais rien ne permet de penser que cette situation va durer. La loi sur le prix du livre, pas plus que la TVA à taux réduit, ne s’appliquent au livre numérique. Il n’est du reste pas certain qu’elles pourront s’y appliquer un jour : la vente de livres numériques est aujourd’hui fiscalement considérée comme de la prestation de service.

Aux États-Unis, le marché du livre numérique est en pleine croissance. Il représente déjà 3 % du marché du livre, contre 0,5 % l’an dernier. Quatre-vingt-cinq pour cent des ventes sont l’œuvre d’un seul acteur, Amazon. De façon tout à fait unilatérale, Amazon a décidé de vendre ces livres au prix de 9,90 dollars, au lieu de 25 dollars chez l’éditeur et de – au plus bas – 17 ou 18 dollars en grande surface. On le voit : si, par les économies qu’elle engendre, l’économie numérique est un facteur de baisses de prix pour le consommateur, elle est aussi radicalement différente de l’écosystème que j’ai évoqué.

Le secteur de la musique n’a pas su se protéger contre ce nouveau modèle. La conséquence en est qu’il ne subsiste plus dans le monde que cinq ou six éditeurs de musique, dont deux ou trois en très mauvaise santé financière. Un nouvel écosystème est apparu, entièrement dominé par Apple, avec I-Tunes. La création y est, à mon avis et surtout si on la compare avec celle, très vivante, de l’édition, d’une affligeante pauvreté. L’écosystème de l’édition en France est la condition de sa créativité. Pour le sauvegarder, il ne faut surtout pas armer les géants du Net.

Google a proposé à tous les grands éditeurs français un partenariat pour la numérisation des œuvres de leur catalogue. Tous – sauf peut-être quelques petits éditeurs – ont refusé, pour ne pas armer un géant dont le modèle économique, qui consiste à offrir des produits gratuits pour attirer la publicité, est aujourd’hui en train d’épuiser la presse, en attendant le tour du secteur du livre si celui-ci n’y prend garde.

Après ce refus, les éditeurs français – les autres aussi – ont pu voir avec surprise ce partenaire potentiel trouver des accords avec les bibliothèques américaines, et, excipant d’une clause du droit américain, celle de « l’usage honnête », se mettre à numériser systématiquement, hors de tout accord, les livres dont ils ne détiennent pas les droits. Les bibliothèques américaines disposent en effet de fonds en français très fournis – la moitié de leurs collections ne sont pas en langue anglaise. Chaque jour voit une nouvelle entreprise de pillage et la seule possibilité qui nous soit ouverte est de demander à Google de supprimer l’accès livre par livre. Encore faut-il savoir quels ouvrages ont été numérisés. Or Google refuse d’en fournir la liste. Est-il bien raisonnable d’aider cette entreprise qui tourne le dos à l’écosystème du livre en lui accordant un quasi-monopole sur le patrimoine national, et, alors que déjà 85 % des internautes accèdent à Internet via Google, en faisant d’elle la quasi-unique librairie mondiale ? Après Amazon, qui vend les livres au prix de 9,90 euros, qu’est-ce qui empêchera demain Google de les vendre 4 ou 5 euros, ou même de les mettre gratuitement à disposition, comme il le fait pour la presse ? Pour moi, les conditions d’un accord équilibré avec Google ne seront réunies que lorsque cette société acceptera de respecter le droit d’auteur français. Tant que tel n’est pas le cas, il faut se garder de tout accord avec elle.

M. Nicolas Georges, directeur du livre et de la lecture, président du Centre national du livre. J’interviendrai à la fois en tant que directeur d’une administration centrale et président, pour quelque temps encore, d’un établissement public jouant un rôle assez important dans l’équilibre de la chaîne du livre, notamment pour le financement de la numérisation du patrimoine et des œuvres sous droits. Par ailleurs, le ministre de la culture a confié une mission à une commission présidée par M. Marc Tessier et, dans l’attente de ses conclusions, il ne serait pas cohérent de ma part de faire état d’une position trop nette de la direction du livre et de la lecture.

Contrairement à ce qui a été affirmé dans la presse à la suite de la publication de notre enquête décennale sur « les pratiques culturelles des Français », le ministère de la culture s’intéresse aux écrans : depuis deux ans, j’y ai consacré 40 % de mon temps de directeur adjoint puis de directeur du livre et de la lecture, et 50 % depuis le lancement du débat lié à la BNF.

Depuis deux siècles au moins, nous amassons dans nos institutions patrimoniales des trésors de pensée et d’art. Dès le XIXe siècle, la question de leur accessibilité s’est posée. C’est pour l’assurer que, parmi les missions fondamentales des conservateurs, figure l’établissement de catalogues, de listes, d’index. Ces travaux représentent aujourd’hui une ressource capitale et valorisable de métadonnées.

Depuis cinquante ans, la question de l’accès à ces ressources est devenue celle de la démocratisation de cet accès et, depuis dix ans qu’il existe, Internet est apparu aux professionnels de la culture comme une sorte d’eldorado permettant de s’affranchir des contraintes sociologiques qui le réservaient aux catégories sociales les plus favorisées.

Ces évolutions relativement techniques n’auraient certes pas justifié un débat à l’Assemblée nationale si ce développement d’Internet ne s’était pas accompagné de transformations économiques considérables, que le livre ne connaît pas encore réellement pour l’instant mais qui ont affecté d’autres secteurs de la création, notamment la musique. Il s’agit du transfert de la valeur créée par les chaînes économiques de la création à d’autres acteurs que les producteurs de contenus et de droits, des acteurs puissants jusqu’ici sans lien avec la création culturelle, et dont le métier est plutôt la diffusion des contenus. C’est bien parce que certains de ces acteurs d’économie d’Internet ont pris des positions très fortes dans le domaine culturel que nous sommes réunis aujourd’hui.

Comme l’a rappelé le Premier ministre le 10 septembre 2009 lors d’un séminaire sur la numérisation des contenus culturels, l’impératif démocratique de diffusion des contenus qui incombe au ministère de la culture impose de relever trois défis : financier – la numérisation demande des moyens importants de la part des pouvoirs publics –, industriel – des acteurs semblent pouvoir réaliser en dix ans ce à quoi nous avons dû consacrer des décennies, voire des siècles –, et organisationnel, puisque la dimension européenne et communautaire de la réponse sera sans doute essentielle.

La question centrale est celle du rôle des pouvoirs publics. L’État en France a été de longue date un préservateur et un fabricant de patrimoine et de mémoire. Eu égard à son rôle éminent dans l’univers du patrimoine physique, il lui revient de décider jusqu’où il souhaite aller dans l’univers numérique – question indissociable de celle des moyens financiers dont il devra se doter. Or, à cet égard, notre pays n’est pas si mal placé et je rappellerai à mon tour que la politique de numérisation menée par la France, assortie de moyens solides, de 10 millions d’euros par an, issus des taxes qui alimentent le budget du CNL, suscite l’envie de nos partenaires européens.

Pour prendre sa décision, l’État doit se poser trois questions. Tout d’abord, pouvons-nous légitimement conclure des alliances avec des partenaires privés pour numériser notre patrimoine ? Dans la mesure où des missions de service public – comme la construction de prisons, mission régalienne s’il en est – sont déjà financées par des partenariats public-privé, ces alliances ne doivent pas être exclues d’emblée. En revanche, il faut être attentif aux conditions auxquelles elles pourraient être conclues.

Ensuite, si nous décidons de ne pas conclure de partenariats, au motif que le rôle de l’État est si central qu’il doit assumer seul ou presque l’intégralité de cette mission, aurons-nous à en pâtir ? Notre patrimoine ne sera-t-il pas moins bien exposé sur Internet, moins visible que si nous avions noué des partenariats avec les puissants acteurs des moteurs de recherche ?

Enfin, si nous décidons de travailler seuls, disposons-nous des moyens industriels et organisationnels nécessaires ? Les bibliothèques nationales et les autres institutions patrimoniales sont-elles dotées des ressources indispensables pour la mise en œuvre d’une organisation adaptée ? Le marché, français ou étranger, de la numérisation, a-t-il la capacité de fournir rapidement – le temps est essentiel – le service attendu ? À ma connaissance, la commission présidée par M. Marc Tessier devrait aborder ces points.

Ma première conclusion est que nous nous approchons de la précipitation des composés, comme disent les chimistes. Les prochaines semaines seront cruciales.

La question du financement est sur la table. Des réponses nous ont déjà été données sur l’accès aux ressources du Grand emprunt. Mesdames et messieurs les députés, vous-mêmes et vos collègues du Sénat aurez sans doute à vous pencher sur les taxes perçues par le CNL, qui permettent aujourd’hui la numérisation de nos contenus patrimoniaux et sous droits.

Les conclusions des missions conduites par Patrick Zelnik, sur l’amélioration de l’offre légale, et par Marc Tessier seront présentées fin décembre. Des éclairages devraient nous être ainsi apportés.

Parallèlement est en cours de règlement aux États-Unis le « settlement », c’est-à-dire l’accord entre les ayants droit américains et la société Google. Le Gouvernement français est intervenu de façon très volontariste. Il a déposé sur la table du juge américain des observations lui exposant qu’en l’état, il ne pouvait pas valider cet accord. Depuis, des éléments nouveaux ont été apportés. Nous devons y répondre. Les décisions qui vont être prises en matière de positionnement de l’État et de financement conditionneront également nos réponses à cet accord. Nous sommes à un tournant.

Deuxièmement, décider de faire affaire avec un partenaire très puissant conduira automatiquement au renforcement de ce partenaire. Cependant, position dominante n’est pas abus de position dominante. Sur ce point, encore plus crucial sans doute que la numérisation du patrimoine, je souhaite procéder à plusieurs rappels.

Dans la société démocratique dans laquelle nous vivons, l’accès à l’information se régule depuis cinquante ans pour des besoins d’utilité publique. La régulation opérée dans le domaine physique doit évidemment pouvoir être étendue au domaine numérique.

Nous vivons aussi dans une économie libérale, où la concurrence doit jouer au profit du consommateur. Je suis chargé de la mise en œuvre, pour le ministère de la culture, de la loi sur le prix du livre. Cette loi libérale de régulation de la concurrence a permis à une pluralité d’acteurs économiques d’avoir accès au marché.

Aux États-Unis, une des décisions majeures de la Cour suprême en matière de concurrence a eu pour support l’univers de la culture : la décision Paramount, prise en 1948, traitait précisément du contrôle du secteur de la diffusion par les grands studios de cinéma américains.

Enfin, il y a quelques années, la Commission européenne s’est intéressée à la concurrence au sein de la chaîne du livre. L’ensemble du secteur éditorial du groupe Vivendi, alors en pleine déconfiture, était à vendre. Lagardère et sa filiale Hachette souhaitaient le racheter. La Commission, concluant au risque d’abus de position dominante, a interdit la fusion pour des raisons de diffusion, c’est-à-dire d’accès de la diversité à la table du libraire. J’ai rappelé à la Commission le 7 septembre dernier qu’il serait tout à fait regrettable que cette question examinée très précisément dans l’univers physique ne le soit pas dans l’univers numérique : la problématique y est exactement la même.

Troisièmement, les œuvres sous droits et le patrimoine ne peuvent être dissociés – Google ne les a du reste pas traités différemment dans ses opérations de numérisation. En effet la question est celle de l’exposition en général du livre et de la culture écrite française sur Internet. Nous devons donc travailler ensemble à l’élaboration d’une offre qui soit à la fois une offre patrimoniale et une offre d’œuvres de culture écrite française récentes, sous droits.

Enfin, le développement d’Internet n’offre aucune réponse aux questions de l’accès à la culture et de l’élargissement de nos publics. Au contraire, l’exigence de politiques de médiation, d’élargissement des publics, d’accès à notre patrimoine, à l’exemple de celles qui ont été menées dans l’univers physique, apparaît encore plus aiguë dans l’univers numérique, où la médiation et l’autorité sont bouleversées, les médiateurs et les prescripteurs n’étant pas les mêmes que ceux de l’univers physique. Le besoin existe de retrouver sur Internet l’équivalent de ces espaces publics et physiques de médiation et d’accès à notre patrimoine que sont les bibliothèques ou les musées.

M. Philippe Colombet, responsable du programme « recherche de livres » de Google Europe. Les enjeux auxquels la numérisation nous confronte ne sont évidemment pas seulement de nature technologique. Google, société technologique née en Californie il y a un peu plus de dix ans, se rend bien compte qu’en abordant le territoire du livre et du patrimoine, elle s’avance très au-delà du monde de la technique.

Le premier thème que je souhaiterais évoquer est celui du rayonnement de la culture écrite et des œuvres du patrimoine, notamment français.

Nous pouvons tirer des conclusions de notre expérience depuis cinq ans avec les bibliothèques qui sont nos partenaires. La nouvelle ère numérique n’a pas forcément pour conséquence de modifier la mission première des bibliothèques, c’est-à-dire l’organisation du rayonnement local des œuvres à travers leur conservation et leur présentation au public. Une œuvre, numérisée par la bibliothèque qui la conserve ou en partenariat avec Google, continue à pouvoir rayonner localement, sous forme papier mais aussi sous forme numérique, puisque pour toute numérisation effectuée en partenariat, un fichier numérique est donné à la bibliothèque.

La nouveauté que propose la révolution numérique, ce sont des outils de transmission à l’échelle mondiale. Chez Google, nous nous réjouissons de l’apparition de cette nouvelle échelle de la transmission et du rayonnement de la culture. C’est avec joie que nous imaginons qu’un étudiant malgache pourra consulter un ouvrage recensant la flore de son pays telle que l’ont découverte des explorateurs français au XIXe siècle. L’outil global qu’est Internet lui permettra de se réapproprier un contenu inhérent à sa culture, même si ce contenu a dû d’abord passer par un écrit et une bibliothèque français.

Le rayonnement culturel nous paraît fondamental. L’ère numérique ne nie pas la dimension locale de l’œuvre dans sa conservation et sa numérisation. Elle propose simplement des outils de transmission globaux, parmi lesquels figure Google. Nous pensons que les internautes du monde entier s’en réjouissent comme nous.

Le deuxième thème que j’aborderai est celui de l’économie basée sur la connaissance.

Je me félicite, en tant que citoyen français, que le Grand emprunt fasse la part belle à l’investissement dans les connaissances, dans les universités et dans les contenus numériques dont celles-ci ont besoin.

Nous sommes très fiers, chez Google, d’avoir conclu en cinq ans des partenariats avec trente des cinquante plus grandes universités mondiales, au Japon, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, mais aussi en Europe continentale. Ces partenariats mettent ces grandes universités à l’avant-garde de l’économie de la connaissance. Elles peuvent proposer efficacement à leurs étudiants et à leurs chercheurs des outils de pointe. Elles sont ainsi au service d’une compétitivité économique d’exception, au profit des régions, des villes et des États qui les ont créées.

J’ai aussi été ravi de voir que les dix plus grandes universités françaises – situées notamment à Lyon, Strasbourg, Lille, Toulouse, sans oublier la Sorbonne – ont souhaité, à travers leurs départements d’édition, devenir partenaires de Google Livres pour que les travaux de leurs chercheurs puissent être découverts, questionnés et ensuite achetés également sous forme de livres physiques, grâce au service offert. Si elles ne font pas partie des géants de la profession, ces presses universitaires reflètent la production intellectuelle des chercheurs français. Google Livres a aussi recueilli les suffrages de 30 000 éditeurs de par le monde.

Au-delà des œuvres du domaine public sur la numérisation desquelles nous souhaitons travailler avec la BNF, le troisième thème est celui de notre articulation avec le monde de l’édition française contemporaine et de notre capacité à trouver des accords avec ses champions nationaux, qui, M. Nourry l’a rappelé, occupent les premières places dans l’édition mondiale. Cette question reste ouverte. Sa résolution reste soumise à de longues discussions. Je n’imagine cependant pas une seule seconde que nous ne parvenions pas à trouver un accord, non seulement pour les œuvres épuisées, auxquelles la numérisation donne une seconde vie – grâce à elle, les auteurs peuvent percevoir un nouveau revenu, et les éditeurs faire revivre des fonds –, mais aussi pour les œuvres plus récentes. Je ne doute pas que nous trouvions un moyen de travailler avec ces grandes entreprises internationales comme nous travaillons aujourd’hui avec les grands noms de l’édition européenne que sont Elsevier, Wolters Kluwer ou Pearson.

Cependant, notre travail serait incomplet si nous ne nous intéressions qu’aux grands groupes. Notre force, c’est que nous touchons également les petites et moyennes maisons d’édition indépendantes. La richesse de l’indexation dans un moteur de recherche se mesure non seulement à la présence des grands sujets et des grands auteurs, mais aussi à sa contribution à la diffusion de contenus spécialisés, scientifiques ou régionaux. D’ailleurs, en France, ce sont surtout les petits éditeurs indépendants, en général adhérents du Syndicat national de l’édition, qui ont rejoint les rangs de nos partenaires.

Je suis convaincu qu’un partenariat public-privé pourrait être profitable aux deux parties, à deux conditions.

D’abord, il devrait être créatif. Dans l’hypothèse d’un accord avec la Bibliothèque nationale de France, il ne s’agirait pas uniquement de numériser les œuvres qui ne le sont pas encore, mais de réfléchir à la manière dont des œuvres françaises déjà numérisées par Google depuis d’autres bibliothèques – européennes, américaines, ou même françaises – pourraient venir enrichir Gallica – dont nul ne peut contester la vigueur, l’audience et la rapidité de développement – afin qu’elles bénéficient d’un plus grand rayonnement. Cette éventualité n’a guère été évoquée par les médias, ce que je regrette.

Ensuite, ce partenariat devrait être exemplaire et parfaitement transparent, pour vous, mesdames et messieurs les députés, comme pour l’ensemble des citoyens. À cet égard, je souscris aux conditions mises par M. Racine à un partenariat public-privé, et je souhaite qu’elles soient connues de tous, notamment par l’intermédiaire des conclusions de la mission Tessier.

M. Javier Hernández-Ros, chef de l’unité « Accès à l’information » à la Commission européenne. Je vous remercie d’avoir invité un représentant de la Commission européenne à participer à cette table ronde, afin de vous donner un point de vue européen sur la question. D’ailleurs, l’Europe a déjà été évoquée à de nombreuses reprises ce matin, ce qui témoigne de l’intérêt que vous portez à l’européanisation de vos politiques.

À la Commission européenne, nous travaillons depuis 2005, sous l’impulsion de Mme Viviane Reding, au projet de bibliothèque numérique européenne, dont le but est de numériser, de mettre en ligne et de préserver notre patrimoine culturel. Je crois que nous sommes tous d’accord sur les objectifs ; il reste à définir la méthode et les moyens. La question déborde largement le cadre du livre, car elle concerne également Internet et la presse numérique. Numériser les journaux anciens est une bonne chose, encore faudrait-il ne pas oublier de conserver la presse actuelle !

Le projet comporte des enjeux à la fois juridiques, financiers, organisationnels et technologiques. Je n’évoquerai aujourd’hui que les deux premiers.

En premier lieu, il convient de vérifier que la numérisation ne provoquera pas, dans certains pays, l’apparition de nouveaux droits, surtout pour ce qui concerne les œuvres appartenant au domaine public. Il serait préoccupant que le numérique permette une privatisation du domaine public.

Ensuite, il existe des œuvres orphelines – dans le domaine de l’image, notamment, leur nombre est particulièrement important. Actuellement, nous ne disposons d’aucun cadre légal permettant de traiter ce problème. Par ailleurs, la gestion des droits se révèle extrêmement onéreuse ; nous appelons donc tous les ayants droit, les bibliothèques et les pouvoirs publics à travailler ensemble pour élaborer des systèmes de gestion rapides et peu coûteux.

Par exemple, une personne, à l’université d’Innsbruck, a mis en place un système d’édition à la demande. Si l’œuvre est tombée dans le domaine public, c’est très rapide : il suffit de demander le livre à la bibliothèque de l’université, on l’a le lendemain, grâce à la collaboration d’une entreprise privée ; mais si l’ouvrage n’est pas libre de droits, il faut demander l’autorisation à l’auteur et à l’éditeur, ce qui prend beaucoup de temps et coûte cher, au point que l’opération n’est engagée qu’avec réticence : il arrive en effet qu’une fois les droits négociés, au bout de trois mois, la personne qui avait fait la demande ne soit plus intéressée par le livre !

Les livres épuisés représentent aujourd’hui 90 % de l’ensemble des livres écrits. Nous avons concentré nos efforts sur les œuvres tombées dans le domaine public, mais nous craignons qu’il n’y ait un trou correspondant au XXe siècle dans les bibliothèques numériques. Pour l’éviter, il faut une collaboration entre les ayants droit, auteurs et éditeurs, et les bibliothèques, afin de pouvoir numériser tous les fonds.

Se pose ensuite la question du financement de ces opérations – mais elle a déjà été abondamment mentionnée.

Il convient par ailleurs de traiter le problème à l’échelle européenne. Dans certains pays, comme la Norvège ou les Pays-Bas, les bibliothèques nationales ont signé avec les ayants droit des accords permettant de numériser et de mettre leurs œuvres en ligne ; malheureusement, pour que la consultation soit possible, il faut que l’utilisateur dispose d’une adresse IP en Norvège ou aux Pays-Bas. Quelle catastrophe dans la perspective d’un partage de notre culture !

De tels accords, qui portent parfois sur une licence globale, doivent impérativement avoir une dimension européenne – ce qui n’est pas facile, car ils reposent parfois sur des réglementations strictement nationales.

La Commission ne s’est pas opposée par principe aux partenariats public-privé ; tout dépend des termes de l’accord et des bénéfices attendus. En collaboration avec la direction de la British Library, nous avons rédigé un rapport sur ce thème, avec une liste de conditions à respecter, comme le respect des droits d’auteur ou la non-privatisation du domaine public. Par ailleurs, les accords d’exclusivité doivent être limités, notamment dans la durée.

L’accord signé par Google aux États-Unis nous préoccupe. Si la nouvelle version est approuvée par la justice américaine, les Américains auront accès à un volume énorme de livres épuisés – de l’ordre de 5 à 10 millions –, mais pas les Européens. Il y aura donc un « gap » d’information, que nous devrons chercher à combler, si nous ne voulons pas nous trouver en position défavorable par rapport aux États-Unis.

La période qui s’ouvre sera donc extrêmement importante. Une nouvelle Commission européenne se met en place, et nous devrions connaître avant la fin de la semaine le nom du commissaire chargé du dossier. Je suis sûr que l’impulsion donnée par Mme Reding sera prolongée. En tout état de cause, M. Barroso a annoncé un « agenda numérique pour l’Europe », dans lequel notre action sera incluse.

Pour ma part, je distingue quatre pistes pour l’avenir.

Premièrement, il faut poursuivre les efforts de numérisation. Vous estimez que la France n’a pas fait grand-chose, mais elle fait des envieux en Europe : il suffit de comparer avec la situation des pays d’Europe de l’Est ! Il faut donc continuer à numériser, et en particulier les chefs-d’œuvre : comme vous l’avez souligné, l’œuvre de Goethe n’est malheureusement pas encore disponible en allemand.

Deuxièmement, il est impératif d’établir un cadre légal pour les œuvres orphelines, notamment pour tout ce qui concerne les documentaires et l’audiovisuel.

Troisièmement, nous devons nous entendre avec les ayants droit des œuvres épuisées afin de mettre en place un système de négociation des licences plus économique. Aujourd’hui, retrouver le détenteur des droits revient parfois plus cher que de numériser l’œuvre ; nous ne pouvons consacrer 70 à 80 % du financement à cette tâche ! Le projet européen Accessible registry of rights and orphan works (Arrow) – auquel plusieurs institutions françaises, dont la BNF, participent – vise à mettre en commun les bases de données existantes sur les ayants droit, et j’invite ceux-ci à se faire connaître pour faciliter la gestion rapide des droits.

Enfin, le programme doit progresser dans un cadre européen. Europeana rencontre un grand succès : après moins d’un an d’existence, elle compte plus de 5 millions de fichiers numériques, et son objectif est d’atteindre les 10 millions à la fin de 2010. Nous devons mettre nos patrimoines en partage, en ayant le souci continuel de l’Europe.

M. Marc Tessier, président de la Commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques. J’ai parfois l’impression d’être le druide Panoramix cherchant la recette de la potion magique : il n’est pas facile de la concocter en quelques semaines ! Notre commission est au milieu de ses travaux, et certaines questions n’ont pas encore été suffisamment approfondies pour que nous puissions présenter des conclusions. Je me bornerai donc à évoquer quelques points qui me paraissent particulièrement importants.

Tout d’abord, nous devons être conscients de l’urgence de la situation : ce dont nous parlons existe déjà, et à grande échelle. Les écarts se creusent, et si l’accord qui vient d’être proposé à l’approbation de la justice américaine était mis en œuvre, cela aurait pour conséquence que, dans le monde entier, les lecteurs auraient un accès privilégié à des œuvres de langue anglo-saxonne. Lorsque l’on fera une recherche sur Albert Camus, on consultera les traductions et les commentaires en anglais !

La proposition de la société Google ne répond qu’à une infime partie du problème posé aux Européens : même si la totalité de ses objectifs étaient atteints, il resterait un travail immense à faire. Dans l’état actuel des choses, une société privée n’est pas en mesure de s’approprier la totalité du domaine public. Nous avons donc non seulement le devoir de mener nos propres opérations, mais aussi de nous interroger, lorsque nous discutons avec cette société ou avec d’autres, sur les conditions d’accès du grand public aux œuvres que nous numérisons. Or, quand on fait une recherche sur Internet, on tombe très souvent sur des ouvrages répertoriés sous l’en-tête Google Book Search. Si l’on doit aboutir à un partenariat, il faut qu’il soit complet et réciproque, c’est-à-dire que nous disposions d’assurances concernant les facilités de consultation des œuvres numérisées par nos soins.

Jusqu’à présent, on a évoqué la possibilité d’un accord concernant les œuvres tombées dans le domaine public, sans faire référence à l’ensemble du secteur du livre. Or je retire de cette table ronde qu’il est impensable d’arrêter une politique nationale ou européenne en la matière si le partenaire privé n’a pas rempli les conditions d’un bon accord avec l’ensemble du monde de l’édition. S’il existe, du point de vue juridique, différentes catégories de livres, celles-ci n’ont aucune influence sur l’intérêt que le lecteur porte à une œuvre.

Il faut donc, Monsieur Hernández-Ros, engager une réflexion, non sur les abus de position dominante dans tel ou tel secteur, mais sur nos possibilités d’encadrement du champ de la diffusion des biens culturels, en général. C’est une vertu française que de traiter ces problèmes ex ante et non ex post : nous disposons, dans le domaine culturel, de systèmes de régulation qui ont précisément pour objet de contrarier l’apparition de positions dominantes ou, tout au moins, de les réguler en négociant des accords collectifs. Il serait difficile, pour notre commission, d’apprécier un accord particulier détaché du cadre global, car cela risquerait d’affaiblir notre position sur un autre terrain. N’y voyez pas une marque d’hostilité à la société Google, partenaire potentiel : il s’agit d’une prise de position logique, que nous essaierons de maintenir, dans la mesure où tout accord aurait une portée symbolique, quel que soit son contenu.

Enfin, les accords prévoient des modalités particulières, parfois couvertes par des clauses de confidentialité – qui, selon l’avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), ne sont pas toujours conformes à la loi française. Nous considérons que ces dispositions seront à l’avenir très largement connues, et les responsables de la société Google le savent pertinemment. Elles portent sur le bénéfice, l’étendue, mais surtout la durée de l’accord. Il serait regrettable que celle-ci soit trop longue, non seulement parce que la technique évolue et qu’il faut pouvoir s’adapter, mais surtout parce qu’il s’agit du domaine public et que le montant des investissements proposés ne justifierait pas l’immobilisation prolongée de notre capacité d’action.

À l’aune de l’ensemble de ces enjeux, les Européens ont peut-être tendance à sous-estimer leur capacité d’action dans la négociation – et je crains que ce n’ait été le cas des responsables des bibliothèques européennes qui ont déjà signé un accord.

Mme Françoise de Panafieu. En ce qui me concerne, j’ai de plus en plus de mal, vu le « chamboulement » actuel, à appréhender le distinguo entre la donnée commerciale et la donnée culturelle. Que cela nous plaise ou non, de plus en plus de gens achètent des livres dans les grandes surfaces. Ils vont chez Carrefour chercher de la lessive et, en attendant aux caisses, ils se retrouvent devant des rayons entiers de livres, très bien présentés ; du coup, ils repartent parfois avec un exemplaire dans leur panier. Cette population ne franchira pas nécessairement le seuil d’une librairie ou d’une bibliothèque, mais elle est séduite par la présentation du livre en grande surface.

Les lignes bougent donc énormément, et, si je comprends que l’on ait encore besoin d’une frontière, dans la mesure où nos grandes institutions culturelles ne peuvent se transformer subitement en produits d’appel pour des sociétés commerciales, j’ai de plus en plus de mal à la situer. Pouvez-vous m’y aider ?

Par ailleurs, nous avons été amenés à prendre des mesures contre le pillage audiovisuel ; ne pensez-vous pas que l’écrit va être confronté au même phénomène ?

M. Marcel Rogemont. On a évoqué la culture de l’écran, mais la vraie problématique, pour laquelle je n’ai pas encore les réponses suffisantes, est que, par rapport à l’accès aux œuvres, l’écran en question risque de refléter la mise en place d’un monopole privé pour une très longue durée !

Par ailleurs, dans notre pays, les droits d’auteur ont une singularité forte. M. Hernandez-Ros a appelé les sociétés qui s’en occupent à simplifier les choses, mais j’ai cru comprendre qu’elles s’inscrivaient d’ores et déjà dans cette stratégie.

Certes, M. Eyrolles l’a dit, la vente sous forme numérique est loin de toucher la quasi-totalité des livres et le papier a encore de beaux restes. Néanmoins, elle se développe. Les éditeurs français appréhendent-ils ce phénomène isolément ou collectivement ? Si une entreprise bénéficie d’un quasi-monopole sur la diffusion de l’écrit, elle se posera tout naturellement la question de la vente et de l’édition, et la tentation de la concentration en aval et en amont apparaîtra. Or, en France à tout le moins, les auteurs réussissent à rencontrer leur public parce qu’il existe une offre diversifiée. Quelle est votre position sur ce point ?

Mme Colette Langlade. Dans quelques jours aura lieu un événement qui marquera peut-être un tournant dans l’histoire de l’édition : le 2 décembre, le dernier livre de Marc Lévy, La première nuit, sortira simultanément en version papier et en version numérique. C’est le pavé dans la mare !

La version papier sera mise en vente à 21 euros, contre 16 euros pour la version numérique ; M. Gaymard va encore plus loin, en suggérant que le livre numérique soit vendu à un prix inférieur de 30 à 40 % à celui du livre papier. Les éditeurs seraient-ils d’accord pour un prix unique ?

Monsieur Nourry, votre groupe, Hachette Livres, est le deuxième éditeur mondial et le cinquième aux États-Unis. Juridiquement, il est partie prenante de l’accord entre Google et les éditeurs et auteurs américains. Une nouvelle version de cet accord vient d’être proposée. Après avoir exigé que les livres non américains soient exclus de l’accord, vous souhaitez revenir dans la négociation afin de reprendre le contrôle de vos œuvres, et vous avez rédigé à cette fin un document. Où en est-on aujourd’hui ?

Monsieur Eyrolles, Google, qui semble avoir trouvé un terrain d’entente avec les éditeurs et les auteurs américains, doit reprendre son bâton de pèlerin pour pénétrer dans l’Hexagone. La nouvelle mouture de l’accord ne concerne en effet que les œuvres inscrites au registre des droits d’auteur aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Grande-Bretagne. Vous avez salué cette nouvelle version, qui, en excluant les œuvres françaises, va dans le sens que vous souhaitez, à savoir l’interdiction de numériser une œuvre sans autorisation. Toutefois, ne reste-t-il pas de nombreuses zones d’ombre ?

Monsieur Le Brun, un forum a été organisé récemment par la Société des gens de lettres ; les débats ont duré deux jours, et ont été particulièrement riches. De nombreuses questions ont été abordées, mais beaucoup restent sans réponse : le livre numérique bénéficiera-t-il de la TVA à 5,5 % ? Est-il souhaitable de fixer un prix unique pour le livre numérique et, si oui, comment s’y prendre ? Google finira-t-il par respecter le droit moral des auteurs ?

« Il ne faut pas pleurer la fin d’un monde », avez-vous écrit, monsieur Racine, car « l’histoire de l’écrit est jalonnée d’évolutions techniques qui en ont modifié le support, les contenus et les modes de lecture, entraînant dans leur sillage les mutations culturelles et économiques successives qui fondent notre civilisation ». À la question : « L’avenir des librairies sera-t-il de devenir des bibliothèques ? », vous avez répondu que la bibliothèque était une institution de lecture sur place et à distance, et que les libraires et les bibliothécaires pouvaient jouer la complémentarité. Où en est cette complémentarité ?

Monsieur Colombet, depuis 2005, Google construit à grands pas sa bibliothèque numérique ; à ce jour, 10 millions de titres sont déjà disponibles. Il reste, après la distribution, à bâtir le guichet payant. Pour donner un nouveau cadre à la commercialisation des livres soumis au droit d’auteur, vous avez concocté en octobre 2008 un accord avec la Guilde des auteurs et l’Association des éditeurs américains, qui mettait fin à une bataille juridique de longue haleine. Ce texte a fait hurler vos concurrents, ainsi que la France, l’Allemagne, l’Italie et d’autres pays exaspérés par tant de désinvolture. La copie a donc été revue. A-t-on une idée des conclusions qui doivent être remises en février 2010 ? Quelle politique a été adoptée à l’égard des œuvres orphelines ? Êtes-vous déçu de ne pouvoir donner accès à davantage de livres, provenant d’un plus grand nombre de pays ? Reconnaissez-vous votre défaite, le partage des bénéfices restant favorable aux éditeurs et aux auteurs ?

M. Hervé Gaymard. Du point de vue budgétaire, comment faire en sorte que la numérisation publique des œuvres en France aille encore plus vite et plus loin ? À cet égard, nous ne pouvons que soutenir la demande du ministre de la culture et de la communication qu’une partie du Grand emprunt soit affectée à cette entreprise.

Du point de vue législatif, se posent à nous deux questions, qui concernent non seulement la France, mais l’ensemble de l’Europe – et ce n’est pas un hasard si le président de la Commission des affaires européennes, Pierre Lequiller, a assisté à une grande partie de notre réunion. D’abord, comment protéger le droit d’auteur et la rémunération de la création, ainsi que la filière qui en dépend ? Il ne faudrait pas qu’une fausse gratuité tue tout un secteur économique ! Ensuite, faut-il abaisser le taux de TVA sur le livre numérique de 19,6 % à 5,5 % ? Personnellement, j’en suis convaincu.

M. Patrick Bloche. Pour abonder dans le sens de M. Eyrolles, je constate, en tant que maire du XIe arrondissement de Paris, qu’au moment où la FNAC Bastille va fermer ses portes – le 26 décembre prochain –, les métiers du livre se développent considérablement et que l’on ouvre régulièrement des librairies dans mon arrondissement.

Pour revenir aux fondamentaux, les deux piliers d’une politique culturelle sont de soutenir l’offre – c’est le rôle que nous devons jouer à l’égard des éditeurs et des auteurs – et d’améliorer l’accès aux contenus, en favorisant notamment la lecture publique. Il existe en ce domaine une particularité française – la francophonie – dans la mesure où nous considérons que notre culture est appelée à un rayonnement international et que, sans la langue française, la culture française n’a pas grand sens.

En vous écoutant, je me suis rappelé le rapport que j’avais remis à Lionel Jospin en 1998 sur l’enjeu des contenus sur Internet, qui s’intitulait Désir de France. La présence internationale de la France et de la francophonie dans la société de l’information. À l’issue de six mois de mission auprès de Catherine Trautmann et d’Hubert Védrine, j’avais été convaincu que les pouvoirs publics avaient un rôle important à jouer en ce domaine, et qu’il fallait être volontariste et prendre des initiatives. J’avais ainsi lancé l’idée d’une licence contractuelle, pour remédier au fait que beaucoup d’étudiants ayant été formés dans nos universités, en droit ou en médecine notamment, avaient des difficultés, lorsqu’ils revenaient dans leur pays d’origine, à assurer leur formation continue par le moyen de contenus en langue française, compte tenu de la dépense que représente l’abonnement à une revue. Ce sont là des enjeux déterminants.

On a évoqué, sans approfondir la question, ce que pourrait être un modèle économique viable. L’édition française a récemment connu d’importants phénomènes de concentration. Au-delà des efforts tendant à donner une plus grande visibilité à la culture et à la langue françaises, à permettre à un plus grand nombre de nos concitoyens d’accéder au livre ou à faciliter la consultation des ouvrages épuisés ou orphelins, comment peut-on assurer la rémunération des auteurs et des éditeurs dans le monde numérique ? Peut-être le législateur a-t-il un rôle à jouer en la matière.

M. Bernard Debré. Dans le domaine scientifique, la numérisation et la diffusion des publications ont constitué une formidable avancée pour les chercheurs. Nous trouvons sur Google la totalité des publications, dont celles bien sûr des chercheurs français.

La numérisation des livres permet également de populariser les œuvres publiées. Elle contribue en outre au rayonnement culturel de notre pays – à un moment où l’on constate, aux États-Unis comme dans les pays asiatiques, une appétence pour la littérature française – et à celui de la langue française, qui est battue en brèche par la langue anglaise, d’autant que les crédits alloués aux centres culturels français à l’étranger sont en constante diminution.

En tout état de cause, mettons fin à nos arguties – cette spécificité bien française – sur le point de savoir s’il convient de confier la numérisation au public ou au privé. On peut développer des partenariats, mais l’important est de trouver rapidement une entente afin d’éviter les abus de position dominante.

Mme Martine Martinel. Sans nier les avantages de la numérisation, celle-ci comporte tout de même quelques dangers, tant pour la littérature que pour la recherche, car un moteur de recherche hiérarchise ses résultats en fonction de la fréquence des mots clés employés. Si ce système est transposé à une bibliothèque numérique, les ouvrages pertinents ne risquent-ils pas de disparaître sous l’accumulation des best-sellers ?

Si les bibliothèques publiques ont une éthique qui les oblige à présenter la diversité des opinions, une entreprise privée n’a pas à soumettre son action à un objectif d’intérêt général. Si une telle entité, dont le principal moteur est la performance économique, devient un acteur majeur de la numérisation, ne risque-t-on pas, en l’absence de toute régulation, de ne plus voir privilégier la pluralité des points de vue ?

Enfin, il me semble que la lecture relève d’un acte intime. Or, la numérisation et l’usage abusif d’Internet permettent d’enregistrer et de rendre publiques les préférences de chaque utilisateur.

M. Bernard Debré. Les moines copistes se sont-ils posé ces questions lorsque Gutenberg a inventé l’imprimerie ?

Mme Martine Martinel. Umberto Eco a répondu à la question dans Lector in fabula.

M. Jacques Grosperrin. Les arguments des intervenants m’ont quelque peu perturbé. Je ne mets pas en doute l’intérêt de la numérisation pour restaurer, pour sauvegarder et pour rendre accessibles nos œuvres au plus grand nombre, mais la Bibliothèque nationale de France est un symbole. Pourquoi son président, qui pendant quatre ans a encouragé le développement de la bibliothèque numérique européenne Europeana, a-t-il effectué un revirement ? Je peux comprendre qu’il existe des contraintes financières – que le Grand emprunt réglera peut-être en partie. Cependant, dans le cas de partenariats public-privé, il ne s’agit pas de demander à une société privée de faire des bénéfices, mais de nous aider à sauvegarder notre culture.

On accuse souvent Google de numériser les ouvrages sans rémunérer les auteurs, mais si nous avions été plus attentifs à ces derniers, peut-être aurions-nous réussi un partenariat public-privé plus clair et plus noble.

Les œuvres dites orphelines sont protégées par les droits d’auteur, mais elles ne peuvent, en l’état actuel de notre droit, être numérisées en l’absence d’ayants droit. Que peut-il être proposé à cet égard ?

Mme Monique Boulestin. La bibliothèque francophone multimédia de Limoges signera dans quelques jours une convention-cadre de pôle associé régional avec la Bibliothèque nationale de France, dont l’objet est de numériser, de valoriser et de diffuser des œuvres anciennes impossibles à consulter aujourd’hui – certains manuscrits datent du XIIIe siècle. La ville de Limoges aura-t-elle les moyens de poursuivre le travail ainsi engagé ?

M. Alain Marc. Le fait de confier « à l’aveugle » la numérisation à un opérateur privé ne risque-t-il pas d’entraîner la paupérisation de l’offre culturelle, celle-ci pouvant être liée à des contenus publicitaires ? Si la culture numérique prend une part de plus en plus grande – elle devrait passer de 0,5 à 3 % – dans la diffusion de l’écrit, il convient de préserver, que le partenaire soit public ou privé, la diversité qui fait la richesse de la production culturelle française, notamment dans le domaine de l’écrit.

La représentation nationale et le ministère doivent faire en sorte que la production soit respectée dans son intégralité car celle-ci est très riche – je pense en particulier à l’édition de livres de culture régionale –, afin que les petits éditeurs – qu’ils soient parisiens, comme la librairie José Corti, qui a édité Julien Gracq, l’un des plus grands écrivains du siècle dernier, ou provinciaux comme Hubert Nyssen avec Actes Sud – puissent survivre, même si la culture numérique est de plus en plus présente.

M. Dominique Le Mèner. L’écosystème musical actuel – avec une surconcentration, un appauvrissement de la diffusion et de la création, et une remise en cause des droits d’auteur – ne préfigure-t-il pas, concernant l’écosystème littéraire évoqué par M. Nourry, ce que sera la création demain, à savoir un fichier de taille planétaire ?

Par ailleurs, élargir la diffusion des œuvres, n’est-ce pas offrir la possibilité de les copier indéfiniment sans que leurs auteurs en soient rémunérés ?

M. Christian Kert. Peut-on savoir combien coûte la numérisation d’un livre, qu’il soit ancien ou récent ?

Monsieur Boudy, disposerons-nous en France d’un budget suffisant pour numériser rapidement l’ensemble des œuvres et des compétences techniques nécessaires ?

Où en sommes-nous par rapport à l’interopérabilité des fichiers, monsieur Eyrolles ? Il convient en effet d’éviter ce qui s’est passé pour la musique.

Plus largement, doit-on craindre de voir un jour les auteurs se passer d’éditeur ?

M. Serge Eyrolles. Un livre numérisé coûte environ 60 centimes la page en format PDF classique, et 2 euros la page en format interactif, mais tout dépend bien sûr du nombre de pages.

Il faut tout d’abord définir ce qu’est un livre numérique, et nous avons engagé une réflexion sur ce point avec le ministère de la culture. Il peut s’agir du texte homothétique du livre papier, et dans ce cas leur contenu est identique. Mais si nous ajoutons du son, de la vidéo, des liens Internet, il importe de savoir où commence le service – et sur ce point, nous sommes en désaccord avec Bercy.

Pour reprendre l’exemple cité, la différence de prix s’explique par le fait que l’auteur – Marc Levy en l’occurrence – a conservé ses droits numériques pour les gérer lui-même. C’est cette possibilité qui nous inquiète. Déjà, dans d’autres pays, des auteurs considèrent qu’ils n’ont plus besoin d’éditeur, estimant qu’il leur suffit de présenter leur œuvre sur une plateforme de diffusion pour en tirer le meilleur bénéfice. Je pense qu’ils se trompent, car notre métier d’éditeur consiste à apporter une plus-value à un ouvrage en le numérisant.

En France, nous ne nous en sortirons que si nous mettons en place une plateforme commune. L’internaute ne peut perdre son temps à rechercher la plateforme dont il a besoin. Les éditeurs doivent donc présenter l’ensemble de l’offre sur une plateforme unique, capable de renvoyer les internautes, par l’intermédiaire des diffuseurs numériques et de l’ensemble des acteurs intéressés par les fichiers numériques, vers les librairies, lesquelles, monsieur Bloche, disparaissent hélas en grand nombre, et cela dans une certaine indifférence. C’est ainsi que, récemment, une très grande librairie située avenue de l’Opéra à Paris a dû fermer ses portes car nous n’avons pas réussi à faire comprendre au propriétaire que multiplier le loyer par sept n’était pas le meilleur moyen de préserver notre industrie culturelle… En tout cas, la survie du métier d’éditeur dépend d’une telle plateforme que quelques-uns de nos voisins européens ont d’ailleurs adoptée.

La question de la rémunération des auteurs, abordée par Hervé Gaymard, est très complexe. Aujourd’hui, la gratuité ne concerne que le droit de citation, mais elle ne s’étend ni au chapitre ni à la page, pour lesquels l’auteur est en droit d’exiger une rémunération. Encore faut-il que l’on puisse identifier avec précision ce que l’internaute a consulté. Nous devrons donc nous doter de moyens techniques – sur le modèle peut-être de l’International standard book number (ISBN) – permettant une connaissance précise des consultations.

Nous ne disposons par ailleurs des droits numériques sur les livres français que depuis une quinzaine d’années. Pour les années qui précèdent, puisque les contrats ne le prévoyaient bien sûr pas, tout l’enjeu est de pouvoir identifier les ayants droit afin d’essayer d’obtenir les droits numériques et de mieux les gérer. Nous attendons des parlementaires qu’ils nous en donnent le moyen.

Quant au prix, le prix du livre numérique doit-il être le même que celui d’un livre papier – ce qui sera le cas si nous étendons la loi sur le prix unique – ou doit-il être moins cher voire plus cher ? Selon une étude récente, les internautes souhaitent que le prix du livre numérique soit inférieur de 60 % à celui du livre papier. Mais il n’existe pas de modèle à ce prix-là ! Il faut que la réflexion avance d’ici à la fin de l’année – sinon d’autres la mèneront à notre place – sur l’opportunité d’un prix unique si le livre est homothétique, ainsi que sur le taux réduit de TVA – il serait en effet aberrant d’avoir deux taux de TVA pour un même contenu, d’autant que le taux de 19,6 % augmente d’autant le prix du livre numérique.

Vis-à-vis de Google, M. Colombet a omis l’essentiel : la protection des droits de nos auteurs est notre premier combat, car sans cette protection on tue la création. Il y aura toujours des best-sellers, mais la richesse de l’édition française n’existera plus.

M. Arnaud Nourry. Pour les éditeurs, vendre des livres en hypermarché n’est pas tabou, madame de Panafieu. Ces ventes, qui représentent environ 15 % du marché du livre, nous permettent de toucher d’autres publics. Loin d’être des gens frileux, les éditeurs estiment qu’Internet est un outil formidable – à tel point que pour fêter le cinquantième anniversaire de la création d’Astérix, nous avons habillé la home page de Google avec les personnages de la bande dessinée. Au même titre que la presse et le cinéma, nous utilisons Internet et le téléphone mobile pour promouvoir nos auteurs.

Ce n’est pas la première fois qu’un livre de Marc Levy sort en même temps en format papier et en format numérique. D’ailleurs, tous les ouvrages de la rentrée littéraire étaient disponibles en format numérique, que ce soit sur le site de la Fnac ou, par exemple, sur celui de la librairie Dialogues à Brest. Les éditeurs sont prêts à offrir les deux formats en même temps.

Concernant la question du prix, je suis en désaccord avec le président du syndicat national de l’édition. Un peu partout dans le monde, un consensus apparaît chez les auditeurs pour faire en sorte que le prix d’un livre au format numérique soit au moins 30 à 35 % moins cher qu’au format papier : il est normal que les économies réalisées en termes de papier, de stockage, d’expédition, de retour, de pilon, bénéficient aux consommateurs. Ma conviction est également que le livre numérique doit être moins cher que le livre papier, mais il existe en France un obstacle important : le taux de TVA y est de 15 points supérieur à celui du livre papier. De ce fait, réduire le prix de 40 % représente en fait un effort de 55 %. Quant au cas de Marc Levy, qui a pris l’initiative fâcheuse de ne pas recourir à un éditeur, je ne crois pas à l’avenir de l’édition sans éditeur.

S’agissant des plateformes d’éditeurs, je partage en revanche l’avis de Serge Eyrolles. J’ai offert à mes confrères d’ouvrir le capital de Numilog, qui est la principale voire l’unique plateforme de vente de livres numériques. Bien qu’il ne soit pas facile, en France, de s’entendre entre confrères, puisque nous sommes concurrents, des discussions sont en cours qui devraient aboutir, dans les six mois, à la création d’une interface commune. Nous envisageons par ailleurs de créer une grande vitrine de l’édition susceptible d’amener les internautes, d’ici trois à quatre ans, à délaisser Google ou Amazon au profit d’une plateforme collective pour accéder à un livre. Le groupe Hachette prendra dans les prochaines semaines une initiative en ce domaine.

Concernant les œuvres orphelines, notre métier consiste d’abord à faire en sorte qu’il n’y ait pas d’orphelins et à garder les œuvres qui bénéficient d’une certaine diffusion. La difficulté est de définir la procédure conduisant à conclure qu’il s’agit bien d’une œuvre orpheline. C’est précisément l’objet du projet européen Arrow – Accessible registry of rights and orphan works. Lorsqu’une œuvre est définitivement orpheline, les éditeurs n’ont aucune objection au fait d’instaurer une procédure spéciale qui permette de redonner vie à ces œuvres sans engager pour autant des coûts exorbitants. Pour Google, toutes les œuvres publiées par la librairie Hachette sont orphelines, car la société, après moult fusions et changements de nom il en va de même de Grasset, par exemple s’appelle désormais Hachette livres. Mais quand on fait l’effort sérieux de déterminer l’existence ou non d’ayants droit, on s’aperçoit qu’en réalité seule une minorité d’œuvres est orpheline.

J’en viens à l’accord américain. Hachette a un statut particulier à cet égard : en tant qu’éditeur en Australie, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, elle relève de cet accord, mais en Espagne et en France, elle en est exclue – ce qui rend parfois compliqué d’adopter une position unique ! Comme les éditeurs français, les éditeurs américains ont intenté un procès à Google, jugeant inacceptable que leurs fichiers soient copiés dans les bibliothèques. Malheureusement, la justice américaine est plus coûteuse et plus complexe que la justice française. La procédure, qui a débuté il y a trois ans, a déjà coûté 20 millions de dollars à l’Association des éditeurs américains – dont Hachette fait partie , Google ayant produit des millions de documents à étudier. Les éditeurs, craignant de se ruiner en allant jusqu’au bout de la procédure et, finalement, de ne pas gagner leur procès car le droit américain est quelque peu ambigu, ont décidé de négocier, estimant que même s’ils gagnaient, ils se retrouveraient alors face à un opérateur devenu incontournable après avoir numérisé 20 millions de livres.

Pour ma part, je n’aime pas cet accord, car il est le produit d’un déséquilibre entre un opérateur, qui met les éditeurs devant le fait accompli, et des éditeurs qui n’arrivent pas à faire respecter leur droit par la justice américaine. Pour autant, je ne me réjouis pas que les œuvres européennes en aient été exclues, car cela ne règle pas le problème. M. Colombet n’a pas en effet répondu à la question que nous nous posons tous : pourquoi Google continue-t-il à numériser des œuvres qui nous appartiennent sans nous demander notre avis, et jusqu’à quand compte-t-il le faire ? De ce point de vue, le fait d’avoir exclu de l’accord les œuvres françaises, espagnoles et allemandes n’est pas une victoire, mais une pirouette de la part de Google afin de sécuriser l’accord américain.

La question reste toujours de savoir comment nous allons traiter avec ce moteur de recherche et dans quelles conditions. Le groupe Hachette, en tant qu’éditeur britannique, australien et américain, se réserve le droit de s’y opposer. Il faut savoir que jusqu’en 1990, les éditeurs français étaient obligés de faire protéger leurs livres aux États-Unis, et c’est pourquoi le groupe Hachette dispose de dizaines de milliers d’œuvres protégées par le droit américain, et est partie prenante de l’accord, même si l’on a été tenté de l’en exclure.

Ma première recommandation concerne la numérisation. Contrairement à ce que certains semblent croire, il n’y a pas d’urgence absolue surtout s’il s’agit de laisser à Google une partie importante de notre patrimoine. C’est Google qui tente de nous imposer son agenda. Notre effort de numérisation des œuvres a commencé et je ne suis pas certain que l’on soit à un mois près en la matière. Laissons aux éditeurs le temps de réfléchir à la mise en place d’une plateforme. À cet égard, le Grand emprunt me paraît offrir une bonne opportunité pour poursuivre notre effort de numérisation du patrimoine.

Ma deuxième recommandation a trait à la TVA et au prix unique. Si nous voulons que les éditeurs français existent dans l’univers numérique, il faut d’abord établir une égalité de traitement avec les éditeurs étrangers. À ce titre, le taux de TVA de 15 points supérieur est une catastrophe. Si nous voulons, de même, maintenir notre diversité et notre écosystème littéraire, il est indispensable d’étendre la loi sur le prix du livre à l’univers numérique.

Ma troisième recommandation est relative aux efforts que nous allons, au-delà de ceux demandés aux pouvoirs publics, nous demander à nous-mêmes : il faut que les éditeurs français s’organisent pour créer cette vitrine que constitue la plateforme commune. Je ne relâcherai pas mes efforts pour y parvenir, et je sais que Serge Eyrolles est à mes côtés. Nous ne pouvons demander aux pouvoirs publics de baisser la TVA et d’effectuer la numérisation du patrimoine si nous ne montrons pas que nous en avons compris les enjeux. Je demande donc à la représentation nationale de nous aider à nous organiser collectivement.

M. Bruno Racine. La Bibliothèque nationale de France, madame Boulestin, est le bras armé du ministère de la culture puisqu’elle en redistribue les subventions au profit des pôles associés.

Pour ma part, je préconise l’ouverture des marchés de numérisation de masse de la BNF aux bibliothèques municipales ou universitaires, lorsqu’elles disposent de fonds qui manqueraient s’ils n’étaient pas accessibles par la voie numérique. Dans quelques jours, dans le cadre du Conseil du livre, je remettrai au ministre de la culture et de la communication un projet de schéma numérique national des bibliothèques énumérant les différentes conditions d’une politique coordonnée en la matière allant de l’identification des fonds à numériser jusqu’à leur diffusion et en passant par leur conservation. Je trouverais en tout cas normal que les prochains marchés de masse de la BNF, dont la première tranche s’achèvera l’année prochaine, s’ouvrent à hauteur de 50 % aux autres bibliothèques françaises dans le cadre d’une approche rationnelle au niveau national.

Concernant le coût de la numérisation, il faut, pour numériser la presse, dépenser un euro par page – 50 centimes en mode image et 50 centimes en mode texte. S’agissant des livres, la numérisation revient en moyenne à 34 euros par document, coût auquel il faut ajouter le coût de la conversion en mode texte, qui varie selon la qualité recherchée.

L’avenir des librairies sera déterminé par les usages. Le fait que tel ou tel site sera plébiscité ne pourra être décidé en haut lieu. Quant aux bibliothèques, elles n’ont pas à craindre la numérisation – d’ailleurs la BNF fut la première à se lancer dans cette entreprise. Pour autant, elles doivent anticiper les demandes des usagers et adapter le métier de bibliothécaire en conséquence.

S’agissant de la préoccupation exprimée par Jean-Noël Jeanneney à propos du vrac, autant la numérisation devra commencer par un travail d’accumulation des données – le facteur temps est donc important afin de dépasser la masse critique, même si l’on n’est pas à un mois près –, autant la nouvelle mission des bibliothèques sera, à partir de cette masse de données, de fournir des outils d’exploitation et d’orientation dans un univers qui, par nature, est indifférencié.

Pour ce qui est de la problématique européenne, celle-ci ne se pose pas en termes d’antagonisme. La condition de tout partenariat avec le privé est non seulement qu’il soit compatible avec le projet européen, mais même qu’il y contribue directement. Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté sur ce point. Ce point avait d’ailleurs été clairement précisé au cours des discussions préliminaires avec Google.

M. Jean-Noël Jeanneney. L’interrogation de Mme de Panafieu sur l’organisation des relations entre le privé et le public mérite une réflexion d’ensemble. Nous ne devons pas porter sur ces questions un regard doctrinaire ou passionnel, mais affirmer tranquillement qu’il revient à l’État de réguler le marché tout en préservant son dynamisme, ce qui est vrai dans beaucoup de domaines. Il faut, en particulier, préserver les entreprises de numérisation françaises car elles ont beaucoup investi. Si nous diminuions considérablement notre appel à elles, de graves problèmes sociaux apparaîtraient.

Mon successeur a évoqué les conversations que nous avons eues avec Microsoft. Dans un premier temps, les représentants de Microsoft nous ont laissé penser qu’ils pouvaient intervenir sous forme de mécénat, sans rien demander en échange en matière de propriété des fichiers et sans exiger le moindre monopole de diffusion. Mais la vérité est bien vite apparue et nous avons donc rompu toute relation.

Les éditeurs sont certes des partenaires privés, mais qui assurent des fonctions publiques. La réflexion sur leurs rapports avec la Bibliothèque nationale de France est donc fondamentale. L’intervention de cette dernière pour soutenir le portail CAIRN est à cet égard exemplaire – comme vous le savez, la plupart des revues anglo-saxonnes sont disponibles sur le portail JSTOR. Nous avons réussi à persuader Bercy d’investir dans ce portail, qui fonctionne très bien.

S’agissant de la question de la présentation de l’offre, que les Américains appellent le page ranking, nous avons, Bruno Racine et moi-même, quelques légères divergences. Le vrac exige précisément l’intervention des pouvoirs publics pour organiser l’offre, car tout connaître, c’est ne rien connaître, et accéder à tout, c’est n’avoir accès à rien. Pour les journalistes et les enseignants, qui font plus que d’autres appel aux moteurs de recherche, une telle intervention est indispensable.

Dans un aparté, Bernard Debré a évoqué Gutenberg. L’invention de l’imprimerie fut un magnifique progrès, qui a engendré de considérables phénomènes de civilisation comme le protestantisme, et l’on peut éprouver à son égard ce « bonheur extravagant » dont parle Borges à propos d’une bibliothèque universelle. Mais les civilisations qui n’ont pas su se protéger, les langues qui n’ont pas su se transposer dans des ouvrages imprimés ont disparu. La même problématique existe entre les initiatives des uns et des autres et la nécessité pour les pouvoirs publics d’intervenir.

Les nouvelles technologies, si elles suscitent notre allégresse, doivent mobiliser notre vigilance. Leur génie vient de ce qu’elles sont réticulaires, mais face à elles, les institutions doivent s’affirmer, ce qui nécessite de déterminer la latitude d’action des pouvoirs publics et de la représentation nationale.

Il n’y a en tout cas aucune attaque personnelle vis-à-vis de Bruno Racine, même si notre désaccord est flagrant quant à la politique qu’une grande bibliothèque nationale doit mener. Je le félicite d’incarner la BNF, et je n’ai simplement fait qu’exprimer un point de vue différent du sien.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Nous sommes habitués dans cette maison à l’expression de sensibilités différentes !

M. Jean-Noël Jeanneney. Quant au fait de s’assimiler à l’homme du 18 juin, qui avait eu le grand mérite de voir la réalité des choses et de déterminer au nom de ce réalisme une ligne de conduite, cela me semble quelque peu aventureux…

M. Bruno Racine. Prétendre qu’il ne s’agit pas d’attaque personnelle, personne n’est dupe. Je ne me suis pas assimilé par ailleurs à Charles de Gaulle. J’ai simplement répondu, après la leçon de gaullisme qui m’a été prétendument donnée, que le général ne pouvait imaginer Internet. Mais l’heure est à un débat plus serein.

Ne minimisons cependant pas nos divergences sur la question du vrac chère à Jean-Noël Jeanneney, pour qui elle résulte d’une conception noble et exigeante du savoir. Savoir, ce n’est pas en effet accumuler des connaissances. Pour autant, que ceux qui critiquent le fameux algorithme de Google – sur la base duquel les réponses sont données dans un ordre déterminé par la fréquence des requêtes – proposent quelque chose de plus pertinent !

L’algorithme, qui a été perfectionné, est l’une des inventions extraordinaires de l’humanité, même s’il a ses défauts et ses limites. Lorsque je fais une recherche sur Google, je dois, certes, faire un tri entre les réponses, mais j’en obtiens un très grand nombre. Le catalogue d’une bibliothèque ne donne aucune information sur la valeur respective des références. Il ne faut pas confondre l’accès aux documents et la superstructure intellectuelle qui permet de les exploiter, que Google d’ailleurs ne prétend pas fournir, mais qu’il est vain de vouloir construire si l’on n’a pas, à la base, accumulé les données. Là réside notre différence. Penser le numérique de la même façon que le physique, c’est avoir des œillères.

Je suis le premier à dire que conclure avec Google relève d’une décision politique qui doit notamment intégrer la relation avec les éditeurs, ce qui ne peut être du seul ressort de la BNF. En revanche, s’agissant de la critique du vrac, l’une des deux opinions est fondée et l’autre, malheureusement, erronée.

M. Jean-Noël Jeanneney. Du moins symétrique !

M. Javier Hernàndez-Ros. J’aborderai tout d’abord la question du manque d’acteurs en matière de numérisation des fonds des bibliothèques. Il convient à cet égard de rappeler que Microsoft était lui-même un acteur, puisque ce géant américain de l’informatique avait signé un accord avec la British Library avant, malheureusement, de se retirer, et nous ne comptons plus aujourd’hui qu’un seul acteur majeur, Google. Nous souhaitons tous une plus grande initiative privée, avec un nombre beaucoup plus important d’éditeurs qui numérisent leur fonds et les mettent en ligne. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Toute politique qui permettrait d’accroître le nombre d’acteurs en la matière serait donc la bienvenue. La Commission européenne et de nombreux pays, dont la France et les États-Unis, examinent les problèmes posés par la position d’acteur privilégié de Google pour en éviter les aspects négatifs.

Concernant les œuvres orphelines, je ne partage pas la position de M. Nourry, pour qui leur nombre serait réduit. Si leur nombre est peu important dans le secteur du livre, tel n’est pas le cas dans l’audiovisuel, sachant que, dans ce secteur, les ayants droit – acteurs, écrivains, musiciens – sont nombreux et qu’il n’est pas toujours facile de les retrouver. Il ne faut donc pas raisonner en la matière seulement en termes de livres orphelins. Une législation sur ce point me paraît indispensable, et la Commission européenne a d’ailleurs ouvert le débat à travers une communication du mois d’octobre dernier sur le droit d’auteur dans l’économie de la connaissance.

La gestion collective des droits n’est pas du tout réglée au niveau européen. Dans une autre communication du mois d’octobre, la Commission européenne a cependant ouvert des pistes, dont l’une est relative aux droits d’auteur paneuropéens. Il s’agit non pas d’un projet mais d’un sujet de débat pour éviter, face à Internet – qui n’a pas de frontières – les cloisons actuelles, qui ne sont plus acceptables. J’invite les ayants droit et les sociétés de gestion collective des droits d’auteur à y réfléchir. Une législation appropriée me paraît indispensable pour rendre la gestion des droits facile et rapide.

M. Dominique Le Brun. Madame Langlade, après avoir fait allusion au forum organisé par la Société des gens de lettres au mois d’octobre – qui avait pour titre « La révolution numérique de l’auteur » et dont l’objet était d’étudier la façon dont les auteurs, en tant qu’individus, réagissent face à la révolution numérique – vous avez posé trois questions.

Celle concernant la TVA ayant déjà été abordée, je reviendrai d’abord sur celle relative au prix du livre numérique. Pour nous, cette question majeure rejoint celle du contrat d’auteur, car le passage du livre physique au livre virtuel pose de nombreuses questions au regard de l’application de la loi actuelle. Notre inquiétude est que la notion de prix du livre soit comprise autrement, à savoir que tous les livres soient vendus au même prix, c’est-à-dire à 9,90 dollars comme le pratique Amazon, ce qui serait une catastrophe.

Cette question nous renvoie à celle de la survie même de l’auteur. S’il existe des best-sellers et des auteurs vedettes, une majorité d’auteurs de fiction ont du mal à vivre de leur œuvre. Pour la Société des gens de lettres, c’est peut-être la liberté de penser qui se trouve mise en cause avec la paupérisation des auteurs. C’est une raison supplémentaire pour que l’on évoque toujours, en matière de numérisation, les droits des éditeurs et des auteurs.

Votre troisième question portait sur le comportement de Google par rapport aux droits d’auteur. À cet égard, monsieur Colombet, ai-je bien compris que vous proposiez à Gallica de lui fournir les fichiers numériques d’ouvrages que vous avez déjà numérisés ?

M. Philippe Colombet. Il ne s’agit que de livres appartenant au domaine public.

M. Dominique Le Brun. Fort bien. Je craignais que vous ne mettiez une fois de plus sur le marché quelque chose qui ne vous appartenait pas.

M. Philippe Colombet. Les deux parties se seraient alors comportées de façon irresponsable.

M. Dominique Le Brun. Patrick Bloche a soulevé le problème de la juste rémunération des auteurs. Ainsi que je le rappelais, ceux-ci doivent pouvoir gagner leur vie. Cela semble absurde de le préciser, mais la question se pose aujourd’hui. Aussi leurs droits doivent-ils vraiment être pris en compte.

Bernard Debré nous a demandé de ne pas nous arrêter à des arguties et d’aller de l’avant. Sans doute, mais à l’époque des moines copistes – pour reprendre l’exemple qu’il a cité – le droit d’auteur n’existait pas, la production littéraire n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui et sa diversité n’était pas menacée.

Quant à la question de savoir si, un jour, l’auteur pourra se passer de l’éditeur, la Société des gens de lettres exige que, dans la définition future du contrat d’édition numérique, le rapport de l’auteur avec l’éditeur reste le même, c’est-à-dire qu’entre le moment où un texte est déposé chez un éditeur et celui où il est publiable, un travail énorme est effectué, que l’auteur ne peut effectuer seul. En tout état de cause, la visibilité sur Internet rend inimaginable qu’un auteur puisse s’auto-éditer.

M. Philippe Colombet. Le maintien de la diversité culturelle et de l’accès au patrimoine écrit et aux œuvres contemporaines repose sur quatre critères.

La première condition de la diversité est que tout le monde s’y mette. Aussi me fais-je à mon tour l’écho de l’urgence qu’il y a à conduire la numérisation, qui concerne aussi bien les bibliothèques que les éditeurs. Si une œuvre n’est pas disponible sur Internet, nous courons le risque que les générations qui utilisent le réseau informatique mondial comme première source d’information la considèrent comme inexistante.

La deuxième garantie de la diversité repose sur le principe de non-exclusivité que les acteurs – éditeurs et bibliothèques – devront imposer aux plateformes, qu’il s’agisse de Google ou de tout autre moteur de recherche, en se réservant le droit de refaire numériser un ouvrage.

La troisième garantie tient à la multiplicité des canaux d’accès à l’achat du livre numérique, ce qui implique que l’écosystème de la librairie soit partie prenante dans la découverte du livre numérique. Notre modèle est à cet égard réputé « distribué », ce qui signifie que les livres peuvent être feuilletés sur le site de la bibliothèque, sur celui de l’éditeur ou sur ceux des libraires partenaires.

Le quatrième critère, enfin, a trait à l’usage. Si les centres d’intérêt des internautes sont variés, la diversité existera. Or, les moteurs de recherche reflètent la multiplicité des centres d’intérêts des internautes puisque 10 à 15 % des questions qui leur sont posées quotidiennement sont inédites. Tout le monde ne s’intéresse pas aux mêmes sujets, au contraire. Tel est l’enjeu de notre débat de ce matin : face à cet univers de questions en expansion, le patrimoine écrit français, tant contemporain qu’ancien, offre-t-il la même diversité ?

Quant à l’accord américain et sa non-application en Europe, nous en avons réduit la portée internationale à la demande de gouvernements et de syndicats d’éditeurs suite aux nombreuses objections induites par la première version qui incluait dans le recours collectif, par le phénomène de la class action, un grand nombre d’éditeurs et d’auteurs de par le monde. C’est une déception pour nous, mais il fallait bien répondre à ces objections.

La question qui se pose aujourd’hui en Europe est de savoir, maintenant que l’accord a été dénoncé, quelles sont les propositions – outre le projet Arrow – en la matière. Si des initiatives européennes ou nationales, qu’elles soient contractuelles, comme l’accord américain, ou législatives, permettent de ne pas laisser de côté les œuvres épuisées, dans le grand tournant numérique qui s’offre à l’édition, Google pourra peut-être, dans tel ou tel pays ou à l’échelle européenne, apporter sa pierre à la constitution de bases de données de référence permettant non seulement de faire revivre ces œuvres mais aussi d’identifier, le cas échéant, les ayants droit.

M. Guillaume Boudy. Concernant la question de Mme de Panafieu relative à la frontière entre le public et le privé, il faut d’abord se rappeler que les deux ont, de tout temps, contribué à la création, à la diffusion, voire à la préservation du patrimoine culturel. Le problème de la clarification des frontières impose donc à l’État d’être totalement transparent et neutre dans l’accès à son patrimoine et de définir clairement ce qui est gratuit et ce qui ne l’est pas, ce qui relève du service public et ce qui relève d’une logique commerciale. Nous devons tous travailler à cette clarification, avec l’ensemble des partenaires, car le terrain de jeu est le même pour tous.

À cet égard, la pratique culturelle des jeunes n’est pas la même que la nôtre. Leur monde, c’est l’écran. Aussi convient-il, pour permettre l’accès aux grandes œuvres, tant françaises qu’internationales, de la littérature, aux grands musées et aux divers éléments du patrimoine, de se trouver sur les lieux de passage de cette culture d’écran.

Pour autant, il ne faut pas perdre notre âme. Aussi devons-nous, tout en étant présents sur les autoroutes de l’information, être capables d’avoir des sites de référence. C’est l’objet de la réflexion que nous menons, à la demande du ministre, sur la définition des pôles de référence publics qui, demain, seront les adresses favorites des internautes français. Lorsque ceux-ci s’adresseront à de grands moteurs de recherche comme Yahoo ou Google, ils devront tomber sur ces sites de référence dans lesquels l’information – et c’est le devoir de l’État – sera à la fois fiable, scientifiquement validée et éloignée, à la différence de certains sites, de toute coproduction privée dans laquelle on trouve le meilleur comme le pire.

Pour ce qui est de la démocratisation évoquée par M. Debré, il est vrai que le formidable espace qui nous est ouvert peut donner l’impression que le numérique permet de démocratiser l’accès à la culture. Tel n’est malheureusement pas le cas – je vous renvoie à cet égard à l’excellente étude de M. Donnat au nom du ministère. Comme le rappelle régulièrement le ministre, il faudra un guide dans cette grande bibliothèque, musée, centre de culture universel, et cela le plus tôt possible. Cela souligne l’importance du rôle du ministère de l’éducation nationale et des formateurs, et explique l’investissement de notre ministère en matière d’éducation artistique et culturelle.

Le ministre, dans un discours prononcé en Avignon vendredi dernier, a tracé les axes de son action, lesquels seront nourris tant par les conclusions des différentes missions en cours que par le travail collectif que nous menons avec l’ensemble des acteurs pour définir un plan d’action. Cette grande ambition portée par le ministère implique à la fois un travail d’organisation des acteurs, en particulier à l’échelon européen – car on ne peut vouloir la mobilité des biens et des personnes sans vouloir l’accès aux contenus culturels – et, bien entendu, des moyens budgétaires. C’est la raison pour laquelle Frédéric Mitterrand tente d’obtenir des moyens au titre du Grand emprunt. Il serait dommage qu’une stricte logique de rentabilité à court terme nous prive d’une telle possibilité, sachant que les contenus culturels numériques constituent, au même titre que l’éducation, un investissement indispensable en faveur des jeunes et des générations futures.

Qui plus est, la rentabilité – quelques pays, dont les États-Unis, l’ont démontré – implique d’investir massivement pour développer les contenus, car rien ne sert de disposer d’autoroutes numériques s’il n’y a pas de contenus derrière. Un problème juridique devra à cet égard être résolu, celui de savoir comment les créateurs pourront continuer de fournir – et être rémunérés à cet effet – des contenus qui seront ensuite réutilisés, avec l’appui de tout un secteur économique.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je remercie tous les participants à cette table ronde, dont les interventions ont éclairé la représentation nationale. Nous attendons les conclusions de la commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques présidée par Marc Tessier, mais le chemin est encore long et nous aurons très probablement l’occasion de nous retrouver pour une prochaine séance de travail.

La séance est levée à douze heures cinquante.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 25 novembre 2009 à 9 h 30

Présents. - M. Marc Bernier, M. Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin, M. Xavier Breton, Mme Pascale Crozon, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Delong, Mme Marianne Dubois, M. Yves Durand, Mme Odette Duriez, M. Gilles d’Ettore, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Valérie Fourneyron, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Gérard Gaudron, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Hervé Gaymard, M. Jacques Grosperrin, Mme Françoise Guégot, Mme Françoise Imbert, Mme Jacqueline Irles, M. Olivier Jardé, M. Christian Kert, M. Yvan Lachaud, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, M. Pierre Lequiller, Mme Geneviève Levy, M. Apeleto Albert Likuvalu, M. Alain Marc, Mme Jeanny Marc, Mme Muriel Marland-Militello, Mme Martine Martinel, M. Gilbert Mathon, M. Michel Ménard, Mme Françoise de Panafieu, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Daniel Spagnou, Mme Michèle Tabarot, M. Jean-Louis Touraine

Excusés. - Mme Sylvia Bassot, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Danielle Bousquet, M. Michel Herbillon