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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 7 avril 2010

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 38

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente

– Tables rondes, ouvertes à la presse, sur la télévision et la publicité un an après la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision

– Informations relatives à la Commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 7 avril 2010

La séance est ouverte à neuf heures 15

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend Mme Karine Blouet, secrétaire générale du groupe M6, M. Nicolas Bordas, président de l’Association des Agences conseil en communication (AACC), Mme Simone Harari, co-présidente de l’atelier « modèle économique » de la Commission pour la nouvelle télévision publique, M. Stéphane Martin, directeur délégué du Syndicat national de la publicité télévisée, M. Gérard Noël, vice-président directeur général de l’Union des annonceurs, M. Jean-Michel Counillon, secrétaire général de TF1, M. Benoît Louvet, directeur général de TF1 publicité, et M. Dominique Delport, président de l’Union des entreprises de conseil et achat média, sur le bilan et les perspective de la publicité à la télévision.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je vous remercie d’être venus nombreux à ces tables rondes que notre Commission des affaires culturelles organise sur le bilan et les perspectives de la publicité à la télévision un an après l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

Je voudrais tout d’abord éclairer nos invités sur l’esprit dans lequel j’ai souhaité organiser les rencontres de ce matin. Le marché publicitaire a connu en 2009 un recul historique dans l’ensemble des médias. La télévision a enregistré sur l’année une chute, sans précédent, de 11 % de ses revenus nets issus de la publicité. Ce sont les grandes chaînes historiques, TF1 et M6, qui enregistrent les baisses les plus importantes, de 13 % ou 14 %. Cette crise résulte certes pour partie de la conjoncture économique, la croissance du marché publicitaire étant corrélée à celle du PIB, comme cela a été établi. Mais cette situation est également la conséquence de mutations structurelles liées à l’évolution du paysage médiatique. Le marché publicitaire doit en effet se répartir entre un nombre croissant de supports, depuis l’arrivée des chaînes de la TNT, dont les recettes publicitaires ont augmenté de 50 %, et le développement d’Internet qui capte une part croissante des annonces.

C’est dans ce contexte de crise et de changements structurels profonds que sont intervenues d’importantes réformes en matière de publicité télévisuelle, introduites notamment par la loi du 5 mars 2009. La réforme de 2009 repose sur trois piliers : suppression en deux étapes de la publicité sur les chaînes de France Télévisions ; assouplissement du cadre juridique de la publicité sur les chaînes privées, qui devait faciliter le report des investissements publicitaires sur leurs antennes ; taxation des recettes publicitaires supplémentaires attendues de cet effet de report.

Or, les prévisions sur lesquelles cet équilibre a été établi ne se sont pas réalisées. En effet, le report attendu des investissements publicitaires des chaînes publiques vers les grandes chaînes privées historiques n’a pas eu lieu. En revanche, France Télévisions a réalisé un excellent chiffre d’affaires publicitaire, supérieur d’environ 140 millions d’euros aux prévisions, ce qui explique d’ailleurs en partie l’absence de report. En outre, parallèlement à la diminution conjoncturelle de la demande, la multiplication de l’offre d’écrans publicitaires induite par la concurrence croissante dans le secteur des médias et par les assouplissements du cadre juridique, a eu un effet fortement déflationniste sur les tarifs, ce qui a largement contribué à la contraction des recettes.

Cette crise est préoccupante : d’une part, la publicité constitue quasiment le seul revenu des chaînes gratuites ; d’autre part, les chaînes privées historiques financent largement la production audiovisuelle et cinématographique, si bien que la baisse de leur chiffre d’affaires va mécaniquement se répercuter sur le financement de l’ensemble du secteur.

Les équilibres prévus par la loi du 5 mars 2009 avaient été établis dans un contexte de très grande incertitude à la fois sur l’évolution de la conjoncture, sur le comportement des annonceurs et sur l’évolution des recettes publicitaires des différents médias en 2009 et au-delà. La loi avait donc opportunément prévu une clause de revoyure avant la suppression totale de la publicité sur les chaînes de France Télévisions. Le principe d’une adaptation de la réforme en fonction des évolutions constatées avait donc été clairement posé. C’est dans cette perspective d’ouverture que notre Commission souhaite aujourd’hui, pour notre première table ronde, pouvoir dresser un premier bilan et s’informer sur les perspectives du marché publicitaire télévisuel. Sans plus tarder, je propose à Stéphane Martin, directeur délégué du Syndicat national de la publicité télévisée, de nous dire comment les annonceurs voient la situation actuelle et les perspectives des prochains mois. Je demanderai ensuite à Karine Blouet et Benoît Louvet de nous donner le sentiment respectif de M6 et TF1.

M. Stéphane Martin, directeur délégué du Syndicat national de la publicité télévisée. Six cent cinquante millions d’euros en deux ans, dont plus de 450 millions sur la seule année 2009, voilà la baisse en valeur des dépenses de communication des annonceurs à la télévision, selon les données de France Pub.

Les dépenses de publicité télévisée sont évaluées à 3,66 milliards d’euros. Elles englobent, outre les recettes nettes perçues par les régies publicitaires pour le compte des chaînes, la rémunération des agences conseil et des agences média des annonceurs, ainsi que les coûts de production des spots publicitaires. Des talents, des industries et des emplois techniques ont donc souffert ces deux dernières années. Partie substantielle à l’économie du financement de la télévision, et donc des programmes et des développements technologiques des chaînes, ces recettes ont été sévèrement amputées. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », écrivait Lamartine : il nous a, hélas, fallu attendre cette grave crise pour qu’on mesure les conséquences qu’aurait la disparition de la publicité. Alors que chaque Français regarde en moyenne la télévision trois heures et demie par jour, la publicité télévisée, en particulier sur les chaînes privées qui contribuent au financement des émissions d’information, de divertissement, de documentaires, participe éminemment au soutien des industries culturelles.

Dès la crise financière de l’été 2007, la conjoncture économique a conduit de nombreux annonceurs à réduire leurs investissements. Or, nul n’ignore que les investissements d’aujourd’hui font la croissance de demain, dans le domaine de la communication comme dans le domaine industriel. La crise a accentué la tendance, amorcée dans les années 2000, de déflation des prix de la publicité. J’en veux pour preuve que les dépenses de communication dans leur ensemble se sont montées à un peu moins de trente milliards d’euros l’an passé, soit 1,55 % du PIB, contre plus de 2 % avant l’éclatement de la bulle Internet en 2000. Cette perte de valeur affecte tous les médias, en particulier la télévision, mais elle est sensible aussi sur Internet, notamment pour ce qui concerne les bannières publicitaires. En revanche, le volume horaire de publicité diffusée est, lui, demeuré stable, progressant même légèrement. L’ensemble de nos industries a donc été affecté par un effet prix.

Le rôle de la régie publicitaire d’une chaîne télévisée est d’optimiser les ressources de publicité de façon que la chaîne investisse toujours plus dans ses programmes afin d’accroître son audience. Le métier des annonceurs n’est certes pas de financer les médias, mais ils ont bien conscience d’être des partenaires : les médias ont besoin d’eux, qui doivent en retour avoir la garantie que la télévision pourra toujours à terme mettre à leur disposition des audiences, suffisantes sur le plan quantitatif et pertinentes sur le plan qualitatif, de façon à continuer de développer des produits et services innovants, reconnus et accessibles au plus grand nombre. Et ces annonceurs ne manquent pas de courage de continuer à faire de la publicité alors même que celle-ci, en dépit de l’importance de son rôle, est de toutes parts attaquée, y compris par le biais de dispositions législatives ou réglementaires. Attaquée dans son concept même, la publicité a aussi été taxée au profit de radios associatives et de certaines formes de presse, même si ce « fléchage » ne figure plus désormais comme tel dans la loi.

Comme l’y invite le thème d’une exposition actuellement présentée au musée des Arts décoratifs « La publicité au secours des grandes causes », le législateur devrait modifier radicalement sa vision de la publicité à la télévision, héritée de l’ORTF, en tout cas de l’univers de la diffusion analogique, appelée à s’éteindre prochainement, et lever les restrictions spécifiques dont elle fait l’objet. Les défenseurs de causes d’intérêt général, les pouvoirs publics eux-mêmes l’utilisent comme outil pour leurs campagnes d’information, grâce au travail d’agences spécialisées dans la communication institutionnelle ou citoyenne. Au risque de choquer, je dirai que la défense de la publicité télévisée constitue elle-même une grande cause, pour toutes les raisons que les panélistes n’ont pas manqué de rappeler. Comment faire pour qu’elle ne soit plus pénalisée, mais au contraire favorisée ? L’Union des annonceurs a apporté la preuve que la publicité soutenait l’économie, l’innovation en particulier, en faisant découvrir de nouveaux produits et de nouveaux usages, surtout dans une économie de services. Pour nous, c’est une impérieuse nécessité que de continuer à assouplir la réglementation la concernant. Trois principes me paraissent devoir être retenus : ouverture dans un monde de toute façon sans frontières du fait des technologies ; harmonisation au niveau européen – l’exception franco-française se justifie d’autant moins que la presse ne s’en est pas trouvée mieux aidée qu’ailleurs, au contraire, et qu’elle a conduit à un sous-investissement chronique dans l’audiovisuel – ; enfin, homothétie de régulation entre tous les moyens de promotion à la disposition des annonceurs, dont Internet. La publicité télévisée a des atouts qu’elle sait défendre auprès des annonceurs et de leurs agences, à condition qu’on ne lui mette pas de bâton dans les roues ou de boulets aux pieds.

On pourrait la soutenir au travers d’un crédit impôt-recherche. Le rapport Jouyet-Lévy sur l’économie de l’immatériel en avait formulé l’idée, soulignant que la communication, c’est de l’immatériel lié à l’imaginaire, et relevant dans le même temps que dans les domaines du design, de la publicité, de la mode et de la création de produits, la fiscalité demeure un obstacle majeur à l’investissement. Après que ce point a été évoqué lors des États généraux de l’industrie, il semble que la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) réfléchisse à ce qu’une part des dépenses soutenant l’innovation au sens large – et il ne fait pas de doute que la dépense publicitaire en fait partie – puisse faire l’objet d’un traitement fiscal particulier. Cela induirait une autre vision financière chez les annonceurs, qui n’auraient plus aussi systématiquement à ajuster leurs résultats trimestriels et leur budget en fonction des difficultés du marché, avérées.

Même si dans les prochains mois, il se confirme que le marché publicitaire progresse de quelques points, il faut rester prudent et les chiffres n’en demeurent pas moins cruels : sur deux ans, après une baisse de 15 % des recettes publicitaires, il faudrait mécaniquement que celles-ci progressent de 18 % pour simplement retrouver leur niveau de 2007. Cela ne sera possible que dans un environnement économique porteur mais aussi dans un cadre législatif et réglementaire favorable à la publicité télévisée, et partant à la création française dans des domaines comme les jeux vidéo, l’animation, le cinéma et les musées virtuels, où le rayonnement international de la France est incontestable.

Les perspectives de la publicité télévisée sont intrinsèquement porteuses pour peu qu’on ne l’entrave pas. Une « discrimination positive » serait peut-être même nécessaire à son égard, face à des opérateurs qui ne contribuent en rien, eux, à la production de contenus éditoriaux. D’une part, l’audience, déjà forte, progresse encore : jamais nos concitoyens n’ont autant regardé la télévision qu’au premier trimestre 2010, et encore ne dispose-t-on que des données de Médiamétrie qui ne mesure que l’audience de la télévision au foyer, en direct, sans comptabiliser encore les usages complémentaires de la télévision « délinéarisée » – télévision « de rattrapage » ou mobile par exemple. Des innovations technologiques majeures ont également eu lieu. La moitié des foyers sont désormais équipés d’un écran plat permettant le plus souvent la réception des programmes en haute définition ; l’interactivité, possible dès l’année prochaine y compris en numérique terrestre, permettra une publicité ciblée ; la télévision mobile, et à moyen terme, le relief et la 3 D sont autant d’évolutions prometteuses pour la publicité, et donc pour les programmes en eux-mêmes. Reste à perfectionner la mesure d’audience.

Nous réitérons notre demande d’un véritable soutien collectif mais il semble que votre Commission, comme en atteste l’initiative de ces tables rondes, a pris la pleine mesure de l’importance de la publicité à la télévision.

Mme Karine Blouet, secrétaire générale du groupe M6. Le marché publicitaire télévisuel est plus incertain que jamais, du fait certes de la crise mais aussi d’évolutions structurelles, comme la répartition des dépenses des annonceurs entre un plus grand nombre de médias. Sur les trente milliards d’euros auxquels se montent les dépenses de publicité, quelque trois milliards sont consacrés à la publicité télévisée, soit un tiers des quelque neuf milliards de la publicité faite dans l’ensemble des grands médias.

Le Gouvernement, le Parlement et le régulateur ont souhaité un nombre accru de chaînes de télévision, avec l’émergence de la TNT. Le marché publicitaire télévisuel, qui ne peut s’étendre de façon élastique pour s’adapter à cette nouvelle offre, sera au mieux stable, plus vraisemblablement en contraction. Les chaînes privées commerciales sont donc confrontées à un problème de financement.

Nos difficultés, concernant notamment les tarifs, ne sont pas liées à la réforme de la télévision publique mais à la crise économique et aux évolutions structurelles que j’ai rappelées. La répartition des financements entre audiovisuel public et audiovisuel privé est un autre sujet. Les pouvoirs publics nous demandent chaque année de produire de plus en plus d’œuvres audiovisuelles françaises, notamment de fiction, et de couvrir 95 % du territoire au moment de l’extinction de l’analogique. Il faut veiller à ce que nos conditions de financement demeurent compatibles avec l’exercice de ces fonctions et avec le respect de ces obligations.

Certaines chaînes, comme M6, vivent intégralement de la publicité quand d’autres ont un financement hybride – les chaînes publiques bénéficient de la redevance, les chaînes payantes du câble et du satellite vivent en partie des redevances des distributeurs. Ces chaînes payantes ont des difficultés de financement croissantes du fait de l’émergence des chaînes gratuites de la TNT et l’avenir de nombre d’entre elles est aujourd’hui menacé. Vivre du marché publicitaire exige de s’adapter, notamment en ciblant ses programmes en fonction des publics qui intéressent les annonceurs – je ne m’étends pas sur la célèbre ménagère de moins de 50 ans ! Or, beaucoup de chaînes se font concurrence sur les mêmes cibles. Échapper à la contrainte publicitaire permet a contrario de toucher d’autres publics. La programmation de la tranche 18/20 heures de France 2 est très proche de celle de TF1, car c’est une tranche-clé dans la recherche d’annonceurs. Il faut donc se poser la question de la diversité des publics et des programmes.

Si un début de sortie de crise économique semble en vue, les perspectives n’en demeurent pas moins inquiétantes du fait des évolutions structurelles. Dans ce contexte, nous nous étonnons qu’on s’interroge sur le financement du seul secteur public, et non sur celui du secteur audiovisuel dans son entier. Les chaînes privées ne pourront pas, dans le cadre très contraint qui leur est actuellement imposé et sans visibilité sur leur financement à moyen terme, continuer de remplir toutes leurs obligations, notamment investir dans la production. Il est peu vraisemblable que la part des dépenses de publicité dans le PIB se redresse et, d’autre part, la télévision est, à cet égard, un média qui est parvenu au terme de son évolution. Le risque est donc que ce soient d’autres médias qui profitent d’une croissance éventuelle du marché. J’appelle vraiment l’attention des parlementaires sur ce point.

Nous nous étonnons qu’à mi-2010 à peine, on rouvre le débat sur la réforme votée en 2009. J’avais cru comprendre qu’une clause de revoyure était prévue en 2011. Je ne vois pas ce qui pourrait justifier aujourd’hui que l’on revienne sur les mesures prévues, alors que le bilan 2010 n’a même pas encore été dressé et que le bilan 2009 montre que la réforme a plutôt protégé les chaînes publiques de la crise quand les chaînes privées s’enfonçaient dans le marasme. Tout débat sur l’avenir de la réforme concernant la publicité sur les chaînes publiques nous paraît aujourd’hui prématuré. Nous appelons l’attention sur les conséquences que ne manquerait pas d’avoir sur les chaînes privées tout recul par rapport aux mesures décidées en 2009. En Espagne, les chaînes publiques ne comportent plus du tout de publicité, ce qui les a libérées de toute contrainte de publics cibles et leur a permis d’améliorer tant leur audience que la qualité de leurs programmes. Regardons ce qui se fait dans les pays voisins.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Pourquoi nous interrogeons-nous aujourd’hui sur l’avenir de la réforme de France Télévisions ? Tout d’abord, c’est le rôle du Parlement que de se poser à temps les questions pertinentes. Ensuite, la date de mai 2011 était une date-limite, et il nous est loisible de rouvrir le débat plus tôt. Enfin, la Commission européenne a, comme vous le savez, engagé une procédure pouvant aboutir à la remise en question de la taxe de 0,9 % sur les opérateurs de communications électroniques, ce qui ne serait pas sans incidence sur le financement prévu des chaînes publiques. Il nous appartient en tant que parlementaires de ne pas attendre 2011. D’où l’organisation de ces tables rondes.

M. Benoît Louvet, directeur délégué de TF1 Publicité. Je n’ajouterai que quelques chiffres à ceux déjà cités pour que chacun mesure bien ce qui s’est passé sur le marché publicitaire depuis 2007. En deux ans, l’ensemble des recettes médias a chuté de 15 %, soit d’un milliard et demi d’euros. Pour retrouver un niveau semblable, il faut retourner dix ans en arrière ! Pour l’ensemble du marché télévisé, la baisse a été de 14 %, soit de 600 millions d’euros, et pour TF1, de 17 %, soit de quelque 300 millions d’euros. Pour retrouver de tels niveaux, il faut respectivement remonter à 2003 et 2001. L’ensemble du secteur traverse donc une très grave crise et certaines chaînes thématiques, comme l’a dit Karine Blouet, sont aujourd’hui très fragiles sur le plan financier. La perte de 300 millions d’euros subie par TF1 est considérable et il est sans doute peu d’industries qui aient autant souffert depuis le début de la crise.

En quelques années, on est passé de six à dix-huit chaînes avec pour conséquence une explosion du nombre d’écrans publicitaires. L’entrée en vigueur de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) a assoupli les règles quantitatives, autorisant la diffusion de davantage de publicité. Il a fallu aussi compter avec l’arrivée de nouveaux médias, Internet en particulier, dont on ne sait pas encore très bien comment les annonceurs vont les utiliser. Sur ce, est arrivée la crise qui a touché l’ensemble des secteurs, dont bien entendu celui des annonceurs, lesquels, en bons gestionnaires, ont adapté leurs dépenses de communication, nul ne leur reprocherait. La conjugaison de ces éléments structurels et conjoncturels a fait que l’on est passé d’un marché de l’offre à un marché de la demande. Ne nous faisons pas d’illusion. Le marché publicitaire est très lié à la croissance économique et à la consommation des ménages. Or, même si toute prévision est difficile, la croissance future ne s’annonce pas très forte. Par ailleurs, les évolutions structurelles ne seront pas réversibles. On restera donc durablement dans ce marché de la demande.

J’en viens aux perspectives. Il y a quelques années, on avait sur le marché publicitaire quelque idée des budgets des annonceurs à l’horizon d’un an, voire d’un an et demi. Depuis le début de la crise, et la tendance perdure, la visibilité s’est réduite à quelques mois seulement. On attend certes à TF1 une croissance en volume à deux chiffres pour le premier trimestre 2010, mais avec toujours une très forte pression sur les prix, et il faudra de toute façon mettre ce résultat en regard de la diminution de 27 % du chiffre d’affaires enregistrée au premier trimestre 2009. Sur l’ensemble de 2010, la croissance devrait être légèrement positive, mais il faut rester très prudent. Nul ne s’aventurerait à faire des prévisions au-delà. En tout état de cause, il faudra des années et des années pour revenir au niveau de recettes de 2007 – au minimum cinq ans avec une croissance de quelques points par an. 

Pour autant, la télévision n’est pas « morte », contrairement à ce que l’on entend parfois çà et là. La durée individuelle d’écoute est en constante augmentation, comme cela a encore été mesuré en début d’année, et ce média reste pour les annonceurs un moyen incontournable d’atteindre leurs cibles.

TF1 s’est adaptée à la situation, diminuant l’an passé ses coûts de 100 millions d’euros, alors qu’elle doit financer sa grille de programmes sur plusieurs années, compte tenu des engagements à prendre vis-à-vis des producteurs. Le marché est en pleine mutation, avec l’arrivée d’Internet dont on ignore encore l’incidence exacte sur le marché publicitaire. Si TF1 avait une demande à formuler, ce serait en faveur d’une stabilité de l’environnement législatif et réglementaire. On entend maintenant dire que la publicité pourrait être maintenue sur France Télévisions avant 20 heures. Il est vraiment difficile pour nous de bien gérer notre entreprise dans un contexte aussi mouvant.

M. Christian Kert. Je voudrais tout d’abord souligner l’utilité, au sein de notre Assemblée, d’une Commission spécifique des affaires culturelles et de l’éducation. Quelle qu’ait été la qualité des membres de la précédente Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, je ne pense pas que nous serions parvenus à y organiser un débat de cette qualité.

J’ai bien entendu les inquiétudes exprimées par les trois intervenants. Je souhaite ici rappeler le contexte et l’esprit dans lequel nous avions adopté la loi du 5 mars 2009. Le marché publicitaire était alors florissant. Le Gouvernement et le Parlement souhaitaient réformer l’audiovisuel public pour l’adapter à l’évolution des médias, avec le souci constant de l’équilibre du paysage audiovisuel global. Il ne s’agissait pas de déshabiller les chaînes publiques au profit des chaînes privées, ou l’inverse. Nous avions, je le pense, trouvé des solutions garantissant cet équilibre.

Je souhaite rassurer M. Martin : les parlementaires sont très soucieux de la publicité, au point que plusieurs d’entre nous avons créé un club parlementaire de réflexion sur l’économie de la publicité. Depuis le vote de la loi de mars 2009, nous avons parfaitement pris conscience que ce secteur était devenu extrêmement fragile et qu’il fallait l’aider, dans l’audiovisuel public comme dans l’audiovisuel privé.

Pourquoi nous interrogeons-nous aujourd’hui sur l’abandon ou la pérennisation de la publicité en journée sur les chaînes de France Télévisions ? L’équilibre financier des mesures votées en 2009 reposait, d’une part, sur une taxe de 0,9 % sur les opérateurs de communications électroniques à Internet, d’autre part sur une taxe initialement fixée à 3 % sur le chiffre d’affaires publicitaire de l’ensemble des chaînes. Or, la Commission européenne risque de mettre à mal la première de ces deux taxes, ce qui nous priverait d’une recette comprise entre 350 et 380 millions d’euros. Quant à la taxe de 3 %, devant le net fléchissement du marché publicitaire, le taux en avait été ramené dès la discussion du texte à 1,5 %, puis il a encore été abaissé à 0,5 % dans la loi de finances pour 2010. Nous sommes donc loin de l’épure financière de départ. Si la Commission européenne a raison, il manquera environ 400 millions d’euros.

Par ailleurs, au contraire du reste du marché publicitaire, la publicité de jour sur les chaînes publiques a plus que résisté, rapportant en 2009 375 millions d’euros contre 250 prévus. Et, comme les chaînes privées nous ont elles-mêmes indiqué qu’il n’y avait pas eu d’effet aubaine par transfert d’écrans publicitaires du soir vers leur antenne et que les seuls transferts observés l’ont été en interne, du soir vers la journée, nous avons pensé nécessaire de réfléchir à un financement des chaînes publiques qui utiliserait cette manne.

Où est l’urgence, madame Blouet ? Tout d’abord, il existe comme je l’ai dit un risque d’être privé dès cette année du produit de la taxe de 0,9 %. Ensuite, comme vous le savez, le mandat de Patrick de Carolis arrive à expiration, et ce n’est pas faire injure à son équipe que de dire, comme en toute circonstance analogue, qu’il peut ou non être reconduit. Il serait singulier qu’une nouvelle équipe, si nouvelle équipe il devait y avoir, ignore au moment de se mettre au travail pour cinq ans si elle disposera d’un financement essentiellement public ou mixte, si la publicité était conservée en journée.

Il n’y a chez nous nulle précipitation, seulement la volonté de faire face à un contexte nouveau, né de la procédure en cours à Bruxelles mais aussi du tassement, pour ne pas dire de l’effondrement, du marché publicitaire. Nos collègues socialistes pourront témoigner qu’il était extrêmement difficile en mars 2009 d’appréhender l’avenir de ce marché puisqu’eux-mêmes pensaient, lorsque nous avons réduit le montant de la taxe sur les recettes publicitaires, que nous souhaitions faire un cadeau aux chaînes privées, alors que nous ne faisions que pressentir ce qui s’est avéré.

Madame la présidente, Jean-François Copé qui a présidé la commission pour la nouvelle télévision publique, aura sans doute l’occasion de le dire, ce débat n’est pas ouvert en urgence. Nécessaire, il est pleinement d’actualité. Notre souci est de conserver l’équilibre souhaité par les téléspectateurs entre l’audiovisuel public et l’audiovisuel privé. Je conviens avec les intervenants que l’audiovisuel est sans doute l’un des secteurs économiques les plus contraints : les textes législatifs successifs, bien qu’invoquant « la liberté de communication », sont toujours plus restrictifs. Il faudrait sortir de cette spirale infernale, donner un peu plus d’oxygène à l’audiovisuel en général tout en veillant à l’équilibre souhaité. Mais nul ne doit pouvoir nous soupçonner de porter atteinte aux chaînes privées par souci de sauvegarder les chaînes publiques.

M. Patrick Bloche. Je vous remercie tout d’abord, madame la présidente, d’avoir pris l’initiative de ces deux tables rondes pleinement d’actualité et qui rejoignent la demande formulée par notre groupe de nous ressaisir de la question de la publicité sur les chaînes publiques, notre préoccupation, pour ne pas dire notre obsession, étant de trouver le moyen d’un financement pérenne de l’audiovisuel public.

Le grand absent de cette matinée, celui que nous aurions reçu avec délectation, c’est Alain Minc, duquel tout est venu, après une conversation entre deux portes, à l’Élysée, qui a conduit le Président de la République à la funeste annonce, en janvier 2008, de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Nous ne reviendrons pas sur tout ce qui s’est passé depuis lors. Pour notre part, nous ne voudrions surtout pas, parce que la réforme n’a pas marché et que le transfert attendu de recettes publicitaires des chaînes publiques vers les chaînes privées ne s’est pas produit, qu’on oublie l’objectif principal de la loi du 5 mars 2009. Comme la loi de 2007 qui avait accordé aux chaînes privées historiques des « chaînes bonus » sur la TNT, cette loi de mars 2009, à laquelle nous nous sommes opposés de la façon que vous savez, était d’abord un cadeau aux chaînes privées, son objectif principal étant d’assurer un transfert de recettes publicitaires à leur profit. La question n’a jamais été pour nous de savoir si l’on était pour ou contre la publicité. Notre seul souci, notre seule obsession étaient de savoir comment serait financé l’audiovisuel public après la réforme. Des menaces sérieuses pèsent aujourd’hui sur ce financement, du fait de la procédure intentée par la Commission européenne au sujet d’une taxe qui devait rapporter 360 millions d’euros et compenser, pour l’essentiel, le manque à gagner résultant pour France Télévisions de la suppression de la publicité après 20 heures.

Pour le reste, si la publicité y est maintenue avant 20 heures, comme l’idée en a été évoquée, ce dont nous réjouirions, on ne saurait parallèlement privatiser la régie publicitaire de France Télévisions. Ce serait pour ses acheteurs potentiels, M. Courbit et M. Lévy, un double « effet Kiss Cool », un double cadeau, la régie étant vendue à un prix inférieur à sa valeur alors même qu’ils pourraient profiter du marché offert par France Télévisions avant 20 heures.

Je souhaiterais maintenant poser une question aux spécialistes ici réunis de la publicité à la télévision. La réforme de 2009 a entraîné un déficit pour France Télévisions, avec à la clé, hélas, un plan social et la renégociation d’une convention collective que la loi de mars 2009 a fait exploser. Mais, ce dont nous nous réjouissons, France Télévisions a pu engranger 140 millions d’euros de recettes publicitaires supplémentaires, en journée donc, ce qui n’était pas du tout prévu lors du vote de la loi. Comment expliquez-vous cette bonne surprise, alors que les chaînes privées, elles, ont vu leurs recettes publicitaires diminuer ? Cela tient-il à la qualité exceptionnelle de la régie publicitaire du groupe public et à l’immense talent de ses 280 salariés ?

Mme Muriel Marland-Militello. Personne n’a jusqu’à présent rappelé que l’objectif premier de la loi du 5 mars 2009 était d’améliorer la qualité de la programmation, en particulier culturelle, des chaînes publiques de télévision dès 20 heures 30. La qualité artistique et culturelle des programmes fait partie de leurs missions de service public. Le moyen de compenser les pertes de recettes publicitaires est un autre sujet.

Monsieur Bloche, la suppression de la publicité sur les chaînes publiques figurait déjà dans le programme du candidat Nicolas Sarkozy. La réforme n’a donc pas été décidée « entre deux portes à l’Élysée », sous l’influence d’Alain Minc. Elle a au contraire été mûrement réfléchie. Le contexte financier, ainsi que la procédure engagée par Bruxelles, font que l’on peut aujourd’hui s’interroger sur sa poursuite. Mais ne perdons jamais de vue que la publicité, qui contraint les responsables de programmes à avoir l’œil rivé sur l’audience, empêche la démocratisation culturelle que nous appelions tous de nos vœux. Libérer les chaînes publiques de la tyrannie de l’audimat a été l’une des raisons essentielles de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques.

M. Marcel Rogemont. Vous souhaiteriez donc qu’on aille jusqu’au bout de la réforme, avec une suppression totale, et n’êtes donc pas d’accord avec M. Copé !

M. Didier Mathus. Je comprends mal comment les trois premiers intervenants peuvent à la fois prétendre que cette réforme n’a rien rapporté aux chaînes privées et demander que l’on ne suive surtout pas les recommandations de nos collègues de l’UMP qui, soudain frappés de sagesse, semblent avoir rejoint la position que nous défendons depuis longtemps et proposent, à l’instar de M. Kert, de maintenir la publicité sur les chaînes publiques avant 20 heures. Pourquoi cette proposition vous dérange-t-elle, madame, messieurs ?

Vous nous avez expliqué, madame Blouet, combien les obligations de production étaient lourdes et contraignantes pour les chaînes privées. Mais c’est en contrepartie de la mise à disposition gratuite du bien public que constituent les fréquences que la collectivité nationale impose aux chaînes certaines obligations, dans un souci de qualité de la programmation. Préféreriez-vous un système à l’anglaise où les fréquences seraient mises aux enchères, ce que je ne tiendrais pas, pour ma part, pour un progrès car si l’on y gagnerait sur le plan financier, on y perdrait en qualité des programmes ?

M. Michel Herbillon. Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir pris l’initiative de ces tables rondes. Il est important que notre Commission des affaires culturelles, de création récente, devienne un lieu de rencontre et de débat pour tous les acteurs de la culture et des médias. Nous sommes bien au cœur de l’actualité lorsque nous traitons de la publicité télévisée et du financement des chaînes télévisées, publiques et privées. Et il est bien de notre rôle de parlementaires de nous saisir en amont de ces questions.

Sans vouloir faire de polémique, je suis quand même surpris d’entendre M. Bloche parler de « funeste annonce », s’agissant de la suppression de la publicité sur France Télévisions après 20 heures, et prétendre que la réforme « n’a pas marché », ce que contredisent totalement les faits. Non seulement cette réforme a été plébiscitée par le public, mais elle a poussé les chaînes à prendre des risques en matière de programmation. Il faut ici rendre hommage aux équipes de Patrick de Carolis et Patrice Duhamel qui ont diffusé en première partie de soirée les émissions de grande qualité que nous appelions de nos vœux – politiques, artistiques, culturelles, notamment des pièces de théâtre –  ou bien encore une émission comme Apocalypse qui a connu le succès que l’on sait. Il n’a pas été « funeste », cher Patrick Bloche, de permettre aux Français d’avoir accès à de telles émissions dès 20 heures 35, et de leur offrir une vraie deuxième partie de soirée à une heure raisonnable, alors qu’elle était auparavant réservée aux seuls insomniaques.

Tous ceux qui annonçaient que le compte n’y serait pas sur le plan financier ont également été démentis par les faits. Le modèle élaboré par la commission Copé marche. J’ajoute, même si ce n’est pas aujourd’hui notre sujet, que le projet d’entreprise unique, qui était aussi au cœur de la réforme et a été mis en œuvre par France Télévisions, représente une amélioration par rapport à l’organisation antérieure.

Pour le reste, oui, ce sujet est pleinement d’actualité car notre objectif est bien d’assurer un financement pérenne de l’ensemble de l’audiovisuel, public et privé.

M. Michel Françaix. Je me félicite que chacun reconnaisse l’importance de nous retrouver pour débattre de ces questions dans le cadre de notre Commission des affaires culturelles plutôt que dans le cadre de la commission Copé, telle qu’elle avait travaillé à l’époque et qui ne correspondait pas exactement à ce que nous souhaitions.

Je ne partage pas l’avis de Michel Herbillon selon lequel c’est la réforme qui aurait permis aux chaînes publiques de prendre des risques en matière de programmation. Cette prise de risque a commencé avec l’arrivée de l’actuelle direction, soit bien avant la réforme de 2009.

Pour le reste, la loi du 5 mars 2009 ne marche pas.

M. Michel Herbillon. Si !

M. Michel Françaix. Nous avions dit lors du débat que la taxe de 0,9 % sur les opérateurs de communications électroniques ne serait jamais acceptée par Bruxelles. De même, les recettes escomptées de la taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées, un temps imaginée à 3 %, ramenée à 1,5 % puis à 0,5 %, taux que certains jugent encore trop élevé, n’ont pas été au rendez-vous. La réforme ne marche pas puisqu’on est en train de reprendre l’idée que défendaient les socialistes, peut-être de manière maladroite, dans la commission Copé, à savoir qu’il fallait s’en tenir à la suppression de la publicité en soirée. Jean-François Copé m’avait alors traité de « peureux », de « has been » de « conservateur » et même de « rétrograde » pour ne pas vouloir aller jusqu’au bout de la réforme. Bienvenue au club, cher Jean-François, puisque vous semblez vous être rallié à la même idée !

J’entends certains nous demander de ne surtout pas déstabiliser encore la télévision. Mais cette déstabilisation a commencé il y a un an, et si on ne voulait pas qu’il en soit ainsi, il ne fallait toucher à rien.

La publicité présente deux caractéristiques très particulières en France. La part de marché de TF1 représentait à elle seule 55 % il y a encore un an et demi, situation tout à fait unique, en soi problématique et difficile à gérer pour l’ensemble des chaînes. Ce pourcentage a certes diminué avec l’apparition des chaînes de la TNT, mais TF1 est actionnaire de plusieurs d’entre elles et il faudra demain en tenir compte pour évaluer la part totale du marché publicitaire qu’elle détient. L’autre particularité de la publicité en France est que nous avons trente ans de retard. En effet, la publicité de prospectus, sans aucune valeur ajoutée, continue de prévaloir. Plutôt que de chercher à privilégier telle ou telle chaîne, nous devrions réfléchir aux moyens de permettre aux créateurs d’apporter un véritable plus. Beaucoup de progrès restent à faire en ce domaine.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je donne maintenant la parole à Jean-François Copé, qui présidait la commission pour une nouvelle télévision publique.

M. Jean-François Copé. Je souhaite d’abord dire aux personnalités invitées combien je regrette le ton inutilement agressif utilisé par certains de nos collègues. Je les connais suffisamment personnellement pour savoir qu’ils valent beaucoup mieux que les propos qu’ils ont tenus. Monsieur Françaix, jamais je ne me serais permis d’user à votre encontre, non plus qu’à celle d’aucun autre de vos collègues, des termes que vous m’avez prêtés. Jamais je n’ai utilisé de tels qualificatifs, désobligeants et irrespectueux.

Contrairement à ce que pense Patrick Bloche, le travail effectué par la commission que j’ai eu l’honneur de présider a été formidable. L’originalité de cette commission était d’être composée à la fois de parlementaires, de la majorité et de l’opposition, ce qui n’est somme toute pas si fréquent, et de professionnels. Cette diversité a été très fructueuse, et c’est une formule à retenir. Loin des polémiques et des postures politiques, nous avons, sur la base d’une idée de départ, dont peu importe qui en est à l’origine, mais qui nous a en effet tous mis sens dessus dessous pendant un mois, bâti ensemble une réforme clé de l’audiovisuel public. Je souhaiterais qu’une fois rentré chez lui, oubliant un instant son étiquette politique et ses préjugés, chacun d’entre nous se demande en conscience si cette réforme a ou non amélioré la télévision publique, car telle est la seule question qui vaille. Toute réforme touchant à un média devant lequel les Français passent plus de trois heures par jour est cruciale car, qu’on le veuille ou non, elle a des incidences sur leur vie quotidienne. Il ne coûterait pas cher aux députés de l’opposition qui, en d’autres temps, avaient préconisé la suppression totale de la publicité et peuvent exprimer leur désaccord avec la majorité sur mille autres sujets, d’admettre que le bilan de cette réforme-là est extrêmement positif, je le dis en conscience. Non, cette réforme n’a pas été « funeste ». Par une petite clé, la suppression de la publicité, il s’est agi de rendre plus accessibles à nos concitoyens les émissions des chaînes publiques grâce à de nouveaux horaires en soirée.

J’ai réuni la semaine dernière les membres de la commission pour l’avenir de la télévision publique, du moins ceux qui n’en avaient pas démissionné. Je redis ici combien j’ai regretté que les députés socialistes et communistes l’aient quittée avant la fin de ses travaux car nous aurions eu besoin d’eux jusqu’au bout…

M. Patrick Bloche. La faute à qui si nous sommes partis ?

M. Jean-François Copé. Bien sûr, la nôtre !

M. Patrick Bloche. Non, celle du Président de la République.

M. Jean-François Copé. Peu importe, j’ai regretté votre absence.

J’ai jugé utile de dresser un bilan après une année d’application de la réforme. Ce bilan est, d’un avis unanime, très positif. Aucune des prédictions alarmistes qui avaient été faites lors du vote de la loi ne s’est réalisée. On nous avait dit que la réforme allait mettre en péril le service public de l’audiovisuel : elle a au contraire renforcé France Télévisions. On nous avait dit qu’il y aurait de graves difficultés de financement parce que l’État ne tiendrait pas ses engagements : en dépit de la crise économique, il les a tous tenus – de l’avis même des dirigeants de l’entreprise, « le compte y est ». Imaginons en revanche ce qu’auraient été les recettes publicitaires de France Télévisions sans la réforme ! On nous avait dit que la réforme constituait un cadeau pour les chaînes privées, sur lesquelles se transférerait automatiquement la publicité supprimée sur les chaînes publiques. Je l’avoue, je pensais que ce transfert serait beaucoup plus important, n’y voyant d’ailleurs nul cadeau, seulement des recettes supplémentaires pour les chaînes privées, dont je souhaitais qu’elles servent à financer davantage de fiction française et européenne. Personne n’était lésé dans cette réforme. La gauche ne peut être défavorable à ce que ce soit le contribuable qui finance la télévision publique, puisqu’elle l’a préconisé durant des années – c’est plutôt nous qui étions contre à l’époque et nous sommes convertis. Avec l’irruption de la crise, le transfert n’a pas été suffisant, déjà en volume sans même parler des prix. La crise a assurément eu une incidence, mais les chaînes privées doivent peut-être aussi revoir leur modèle économique et réfléchir aux moyens d’aller capter une ressource, partie certes sur les chaînes de la TNT mais surtout dans d’autres médias. J’ai quelques idées sur le sujet, mais tel n’est pas l’objet de ces tables rondes...

On se demandait en 2009 quel serait le résultat de la suppression de la publicité après 20 heures sur les chaînes publiques. Eh bien, cela a imprimé un nouveau rythme aux soirées. Une deuxième partie de soirée commençant à 22 heures, c’est tout à fait différent pour des personnes qui ont eu une longue journée de travail que si elle ne commence qu’à 23 heures ou plus tard. C’est d’ailleurs une bonne nouvelle pour nous, les émissions politiques étant plutôt programmées en deuxième partie de soirée : plus de téléspectateurs pourront les regarder et ainsi participer au débat politique. Cela permet aussi d’accroître l’audience des documentaires, des émissions culturelles… Toutes les études d’opinion sans exception indiquent que les Français approuvent massivement la suppression de la publicité après 20 heures – 78 % d’entre eux selon une étude menée par le CSA pour Le Parisien.

S’agissant de la création et de la programmation, le travail des équipes de France Télévisions est unanimement salué. Apocalypse est citée comme emblème de qualité, mais beaucoup d’autres émissions pourraient l’être. France Télévisions a su prendre la balle au bond et diffuser des émissions vraiment remarquables.

En matière de réorganisation de l’entreprise, tout ne peut pas avoir été fait en un an. Mais reconnaissons que l’entreprise unique sera l’outil majeur de la modernisation. Beaucoup reste à faire dans les deux domaines éditorial et technologique, mais au moins dispose-t-on de l’outil nécessaire.

Au total, voilà beaucoup de points positifs pour une réforme « funeste » !

Cela étant, je ne le nie pas, il reste des points à améliorer. Ce sont les défis à venir. S’agissant d’organisation, le concept même d’entreprise unique commande qu’on gagne en cohérence, en productivité aussi, en trouvant des synergies entre les différentes fonctions supports et en rationalisant les moyens. Il existe incontestablement des marges d’économies. Pour ce qui est des contenus, aux nouvelles soirées thématiques déjà organisées, pourraient s’en ajouter d’autres, et ce n’est là que mon avis de simple téléspectateur, sur les thèmes de l’Europe, de la santé, de la science, de l’économie, de l’environnement… Chacune des chaînes doit aussi renforcer son identité, je pense notamment à France 3 et France 4. Nous ne sommes pas allés aussi loin que nous l’aurions souhaité pour la première, pour diverses raisons sur lesquelles je ne reviens pas. France Télévisions pourrait opportunément s’inspirer de Radio France qui a su conjuguer entreprise commune et antennes distinctes. Plusieurs initiatives très intéressantes ont été prises concernant les nouveaux supports afin de faire de France Télévisions un média global. On peut aller encore plus loin, même si le site Internet est d’ores et déjà très riche avec de plus en plus de contenus complémentaires, de « bonus », de « coulisses »…

Je précise que je ne formule pas toutes ces observations à titre personnel. Nous les avons évoquées avec tous les membres de la commission que je préside, qui les partagent.

Je voudrais maintenant aborder la question de la publicité en journée. Je juge sain d’avoir dès maintenant un débat sur le sujet. Nous l’avions toujours dit, il importerait d’abord d’être pragmatique et d’évaluer la réforme. C’est une preuve d’intelligence politique que de savoir s’adapter. Le bilan de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques en soirée est, je le répète, extrêmement positif : ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est ce que nous avions commencé par préconiser et avions prévu une clause de revoyure en mai 2011. Ayant beaucoup réfléchi sur le sujet, je mets en débat, à titre personnel, la proposition de ne pas la supprimer en journée. Il me semble en effet que la véritable attente des téléspectateurs concernait le soir, où cette suppression pouvait vraiment modifier les habitudes, ce qu’elle a fait. Je ne suis pas sûr qu’en journée, sa suppression constituerait une avancée équivalente. Nous avions par ailleurs estimé le coût de la mesure à 200 millions d’euros par an, s’ajoutant aux 450 millions qu’il faut déjà compenser. N’étant pas, pour ma part, du tout favorable à l’augmentation de la redevance et connaissant la situation de nos comptes publics, je pense que le rapport coût/avantage de la suppression de la publicité en journée mérite d’être évalué.

S’agissant de la taxe de 0,9 % sur les opérateurs de communications électroniques, le combat continue à Bruxelles. Je suis, pour ma part, très réservé sur les arguments avancés par la Commission. Le Gouvernement français demeure offensif et saura se défendre. Dans la mesure où nous avons une clause de revoyure pour mai 2011 au plus tard, il n’est pas prématuré de soulever la question en avril-mai 2010, si nous sommes un certain nombre à penser que la suppression de la publicité en journée n’aurait pas le même impact positif qu’en soirée. Pourquoi rester dans l’incertitude et l’ambiguïté pendant un an ? Mieux vaut que les annonceurs et les chaînes soient rapidement éclairés. Je souhaiterais donc qu’un petit groupe de travail se constitue sur le sujet, auquel je convie bien sûr les députés de l’opposition à participer, s’ils le souhaitent.

Un dernier mot, sur l’avenir de la régie publicitaire de France Télévisions. Je considère qu’il n’appartient pas au Parlement de se prononcer sur l’opportunité d’ouvrir le capital de cette régie ou de la privatiser. Cette décision relève de la seule responsabilité de l’entreprise et de son conseil d’administration. La procédure est déjà très avancée, un repreneur ayant été présélectionné. Je profite de l’occasion pour dire combien je suis choqué par le procès d’intention fait au consortium pressenti. Les attaques contre les personnes ne sont jamais glorieuses…

M. Patrick Bloche. Il ne s’agit pas d’attaques contre des personnes, mais de conflit d’intérêts !

M. Jean-François Copé. Pourquoi toujours pointer du doigt ceux qui entreprennent, prennent des risques et réussissent ? Qu’une personne puisse être candidate à la reprise d’une entreprise ne doit pas d’emblée la rendre suspecte. S’il existe des conflits d’intérêts, ce n’est pas au Parlement de les apprécier. Il existe des instances ad hoc pour cela. Restons chacun dans notre rôle.

En revanche, il est certain que, si nous décidions de ne pas supprimer la publicité en journée, l’ouverture du capital ou la privatisation de la régie publicitaire de France Télévisions ne pourrait pas se faire dans les mêmes conditions.

M. Gérard Noël, vice-président et directeur général de l’Union des annonceurs. Je trouve réconfortant d’avoir entendu à plusieurs reprises ce matin parler d’économie de la publicité et partant, de constater que le lien entre la publicité et l’économie est désormais reconnu. Une thèse de doctorat y avait été consacrée à Paris-Dauphine il y a quelques années, ce dont je m’étais félicité.

Ce qui n’a pas été dit en revanche, c’est que la suppression de la publicité sur les chaînes publiques après 20 heures n’a en rien modifié les audiences. Il n’y a pas eu de ruée sur les chaînes de France Télévisions parce qu’il n’y avait plus de publicité. Leur audience s’est même légèrement dégradée, pour des raisons de programmation d’ailleurs non significatives. Le dogme qui sous-tendait en partie la réforme, selon lequel audience et publicité ne faisaient pas bon ménage, a été démenti.

La télévision demeure un média essentiel pour les annonceurs, et ce sera encore vrai demain. Les prédictions selon lesquelles le modèle économique des chaînes privées pourrait se trouver bouleversé ne sont pas avérées. En 2009, la télévision est devenue en France le premier média pour les annonceurs, juste devant la presse à quelques centaines de milliers d’euros près. Pour des raisons à la fois techniques et professionnelles, les annonceurs auront toujours besoin de ce média, aucune inquiétude n’est donc de mise. D’ailleurs, la durée de totale de publicité télévisée a été en 2009 à peu près la même qu’en 2008, ce qui prouve bien que les besoins n’ont pas diminué. Si les recettes publicitaires des chaînes ont chuté, c’est du fait de la forte diminution des tarifs, liée à la crise.

Les annonceurs, comme ils l’avaient déjà dit devant la commission Copé, ont besoin d’une offre télévisuelle diversifiée, offrant le plus grand nombre possible de cibles, pour que toutes les entreprises, y compris les PME, puissent avoir accès à ce média essentiel. C’est dans cet esprit que nous avions proposé devant la commission divers aménagements de la réforme. Nous avons d’ailleurs obtenu satisfaction sur plusieurs points comme le maintien de la publicité régionale, faute de quoi toute une kyrielle de PME perdait un moyen clé de se faire connaître.

Nous, annonceurs, sommes bien entendu favorables au maintien de la publicité sur les chaînes publiques avant 20 heures. Sur les six cents annonceurs actuellement actifs sur France Télévisions, cent, pour la plupart des PME, le sont quasi exclusivement sur les chaînes publiques car il est des cibles qu’on ne trouve de manière privilégiée, à un coût raisonnable, que sur ces chaînes-là. La suppression de la publicité en journée sur France Télévisions poserait de graves problèmes à ces annonceurs-là. La publicité télévisée a un avenir, à condition de sauvegarder la diversité de l’offre. Nous avons, avec le débat qui vient de s’ouvrir, l’opportunité d’aménager la loi du 5 mars 2009 en ce sens.

M. Jean-Michel Counillon, secrétaire général de TF1. Monsieur Françaix, la part de marché publicitaire de TF1 n’est plus de 55 %, mais de 43,2 %. Les trois premiers intervenants de cette table ronde ont tous expliqué que la télévision traversait une crise structurelle majeure liée à la multiplication des supports, à laquelle s’est ajoutée la crise économique mondiale qui a eu des incidences sur les budgets et les choix des annonceurs. Si on peut légitimement espérer que la crise économique se terminera un jour, les problèmes structurels, eux, demeureront. Ce n’est pas en maintenant la publicité sur France Télévisions en journée qu’on répondra à ce défi. La question ne porte pas sur l’opportunité du choix, vraisemblablement dicté, comme le calendrier, par la pression juridique exercée par la Commission européenne. Mais, comme l’a d’ailleurs dit Jean-François Copé, attendons de voir quelle sera l’issue de la procédure engagée à Bruxelles.

La télévision privée est aujourd’hui confrontée à un grave problème structurel de financement et de modèle économique, auquel aucune réponse n’est apportée. La question de la télévision publique est un autre débat et les deux n’ont pas à être mêlés. Les deux secteurs obéissent à deux modèles économiques différents et n’ont pas les mêmes besoins. Christian Kert trouve normal que les équipes de France Télévisions connaissent leurs recettes futures, je peux le comprendre. Mais les chaînes privées, elles, n’ont aujourd’hui quasiment aucune visibilité. Que ne puissent-elles avoir un horizon, ne serait-ce que de trois mois !

Monsieur Mathus, les relations des diffuseurs avec les producteurs sont nécessairement de partenariat, de plus en plus fondées sur un modèle gagnant-gagnant. La réglementation a certes, ces vingt dernières années, transformé leur partenariat naturel en une confrontation artificielle. Mais leurs relations se sont aujourd’hui normalisées au travers d’accords interprofessionnels qu’ils ont négociés et acceptés. S’agissant d’un éventuel accès payant aux fréquences, il n’existe, à ma connaissance, aucun pays européen où une licence de télévision ait été accordée en contrepartie du paiement d’une redevance pour une fréquence. En revanche, les producteurs sont très inquiets de l’asymétrie qui se creuse aujourd’hui dans l’audiovisuel, entre des chaînes privées installées dans une crise durable et des chaînes publiques dont les ressources sont garanties à moyen, voire à long terme. Comment, dans ce contexte, être sûrs que les chaînes privées pourront continuer à financer la production ? Cette incertitude est liée à celle qui porte sur l’avenir de la publicité, qui n’est pas levée. La réponse ne passe pas seulement par la suppression de la publicité sur les chaînes publiques mais exige d’examiner le modèle économique des chaînes privées, qui se caractérise aujourd’hui par la très grande volatilité de leurs recettes alors que leurs coûts, dépendant de décisions de long terme, sont en grande partie fixes – en tout cas ne peuvent être instantanément adaptés à un recul des recettes. Il y a là un danger pour toutes les chaînes privées, mais aussi pour la production.

Enfin, un sujet est aujourd’hui totalement absent du débat, alors qu’il en avait été beaucoup question lors de la réforme de 2009 et qu’il avait même structuré la réflexion sur le financement de la télévision, conduisant à fixer la clause de rendez-vous : je veux parler de l’extinction de la diffusion analogique. C’est un processus long, coûteux, dans lequel chaînes privées et chaînes publiques sont embarquées sur un même bateau, et dont l’enjeu n’est autre que le maintien de l’accessibilité des programmes de télévision pour tous les Français à la fin 2011.

Mme Karine Blouet. Monsieur Mathus, aucun d’entre nous n’a prétendu que la réforme de 2009 n’avait eu aucun effet jusqu’à présent. Je pense en revanche que, si elle n’en a pas eu beaucoup, c’est précisément qu’elle n’a été menée qu’à moitié. Il est important de ne pas s’arrêter au milieu de gué, y compris pour le téléspectateur.

Monsieur Bloche, si l’accès des chaînes aux fréquences est gratuit en France, notre pays détient le record européen des obligations de toutes sortes imposées aux chaînes privées.

M. Marcel Rogemont. Nous détenons aussi le record européen de production ! Il y a peut-être un lien.

Mme Simone Harari, co-présidente de l’atelier « modèle économique » de la commission pour la nouvelle télévision publique. Je voudrais tout d’abord, madame la présidente, vous remercier d’avoir organisé ce débat entre parlementaires et professionnels – chaînes de télévision et annonceurs. Nous avons eu l’occasion, dans le cadre de la commission Copé et des réunions régulières qui l’ont prolongée, de faire valoir le triptyque qui caractérise le secteur audiovisuel : culture, démocratie et économie. Les producteurs et, d’une manière générale, le monde de la création – auteurs, réalisateurs, techniciens… – sont toujours heureux d’un accroissement des recettes, quel qu’il soit, pour l’ensemble du secteur. Qu’il n’y ait pas eu d’effet d’aubaine après la suppression partielle de la publicité sur France Télévisions n’a réjoui personne. La différenciation croissante entre les chaînes publiques et les chaînes privées, d’une part dans leur programmation, d’autre part dans leur modèle économique, ne peut qu’élargir les publics de la télévision, du fait de la diversification des contenus. À l’heure de la TNT, où le modèle des grandes chaînes généralistes se trouve ébranlé, c’est un sujet important, non sans incidence pour les téléspectateurs qui passent d’ores et déjà plus de trois heures par jour devant leur téléviseur, ce temps allant croissant.

L’offre, totalement éclatée, des chaînes de la TNT et le ciblage publicitaire maintenant permis par Internet mettent à mal les modèles classiques de la publicité. L’arrêt de celle-ci sur les chaînes publiques après 20 heures a sans doute permis une stabilisation. D’autres hypothèses avaient été à l’époque étudiées, comme celle de la supprimer toute la journée sur une seule chaîne, ou bien encore de différencier les mesures prises selon les chaînes. La préconisation de la commission Copé, suivie par le législateur, de la supprimer sur toutes les chaînes publiques après 20 heures était celle qui était susceptible d’avoir le plus d’impact pour le téléspectateur. D’ailleurs, les chaînes privées, qui n’y étaient nullement obligées, ont, elles, raccourci leur plage publicitaire après le journal de 20 heures, si bien que pour tous les téléspectateurs, quelle que soit la chaîne qu’ils regardent, la première partie de soirée, et par conséquent la deuxième aussi, commencent plus tôt.

Il était sage d’avoir prévu une clause de rendez-vous pour dresser un premier bilan et s’adapter aux évolutions de la conjoncture. La possibilité aujourd’hui offerte d’aller plus loin ou de marquer une pause dans la suppression de la publicité sur les chaînes publiques peut être vue, non comme un choix de s’arrêter « au milieu du gué », mais comme une opportunité de choisir entre plusieurs modèles économiques. Dans certains pays européens, il y a de la publicité sur les chaînes publiques ; dans d’autres, comme en Grande-Bretagne, il n’y en a pas du tout ; dans d’autres encore, comme en Allemagne, le choix a été fait qu’il n’y en ait pas en prime time mais d’en conserver en journée, comme ce qui nous est proposé. Et en Allemagne, les deux types de chaînes, privées et publiques, font toutes deux très bien leur métier et sont bien différenciées.

Tout en regrettant qu’il n’y ait pas eu le report de recettes qui aurait été souhaitable pour tous, j’espère que le retournement de tendance observé au premier trimestre 2010, où les chaînes hertziennes ont vu leur chiffre d’affaires publicitaire augmenter de 14 % et celles de la TNT de plus de 40 %, se confirmera et augure d’une tendance durable sur le reste de l’année. La semaine dernière, ce chiffre d’affaires a augmenté de 24 % pour les chaînes hertziennes et de plus de 50 % pour celles de la TNT.

La redevance reste le meilleur outil pour améliorer le financement des chaînes publiques, parallèlement au maintien de recettes publicitaires. Ce point a été largement débattu dans la commission Copé. Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris si les parlementaires qui ont quitté celle-ci déploraient l’absence d’augmentation ou au contraire la souhaitaient... Les professionnels, eux, en tout cas, recommandent de l’augmenter, une première étape pouvant consister à la mensualiser afin de la rendre moins douloureuse pour les ménages. Les chaînes publiques doivent se financer différemment des chaînes privées, donc avoir de moins en moins de recettes publicitaires.

M. Nicolas Bordas, président de l’Association des agences conseil en communication. Je vous remercie, à mon tour, madame la présidente, de l’organisation de ce débat. Je salue ce qui a été dit sur le rôle de la publicité dans l’économie, qu’il n’était pas inutile de rappeler ici. La question n’est pas en effet, comme l’a dit M. Bloche, de savoir si on est pour ou contre la publicité – c’est d’ailleurs encourageant pour nos métiers. Les professionnels qui conseillent les annonceurs en matière de publicité télévisée sont unanimes à penser que ce serait une excellente mesure que de la maintenir avant 20 heures sur les chaînes publiques, pas seulement pour des raisons financières mais aussi de prospective. Il y aura de plus en plus de passerelles entre Internet et la télévision et ce serait pénaliser considérablement France Télévisions pour ses recettes futures que de ne pas autoriser cette passerelle entre les programmes d’avant 20 heures et les sites Internet, d’autant que, de plus en plus, la télévision sera reçue par Internet.

M. Dominique Delport, président de l’Union des entreprises de conseil et achat média. Sur un total de dépenses de communication de trente milliards d’euros, dix milliards sont dépensés dans les médias, dont seulement un peu plus de trois milliards à la télévision, alors que les dépenses de marketing direct et sur d’autres supports s’élèvent à vingt milliards. Ces vingt milliards, eux, sont engagés sans aucune régulation ni contrainte de financement résultant de la fameuse exception franco-française en matière de création culturelle, qui honore notre pays et plaît à nos concitoyens. On l’a vu avec Google, 800 millions d’euros de dépenses de publicité se sont transférés d’un support à un autre en moins de cinq ans, et ces 800 millions contribuent assez peu à la création de contenus en France. Il faut donc réfléchir aux moyens de ne pas déséquilibrer tout le système entre médias et hors médias. L’ensemble des agences que nous représentons au sein de l’UDECAM pensent qu’il serait opportun de maintenir la publicité en journée sur France Télévisions car ses antennes diffèrent assez de celles des autres chaînes. Les annonceurs en tout cas étaient tous désireux de continuer à investir, d’où le surplus de 140 millions d’euros de recettes publicitaires en journée engrangé l’an passé par France Télévisions. Et ce mouvement continuera dans la mesure où certains publics, notamment seniors, regardent massivement France Télévisions et où il serait extrêmement coûteux d’aller les chercher comme cible sur d’autres chaînes.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Il me reste à remercier tous les participants à cette première table ronde.

La table ronde se termine à onze heures.

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Hervé Brossard, président d’Omnicom Media Group, M. Stéphane Courbit, président de Lov Group, Mme Sophie Deschamps, co-présidente de l’atelier « modèle culturel et de la création » de la Commission pour la nouvelle télévision publique, M. Patrice Duhamel, directeur général de France Télévisions, chargé de l’antenne, du développement et de la diversification, M. Damier Cuier, directeur général de France Télévisions, chargé de la gestion, des finances et des ressources humaines, M. Philippe Santini, directeur général de France Télivisions Publicité (FTP), M. Pierre Gauthier, secrétaire du comité d’entreprise de France Télévisions Publicité, M. Guillaume Pannaud, président de TBWA Paris, M. Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), M. Guy Seligmann, président de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM), et M. Nicolas Traube, co-président de l’atelier « modèle de gouvernance » de la Commission pour la nouvelle télévision publique, sur la publicité sur les antennes de la télévision publique

Cette table ronde débute à onze heures cinq.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Nous aborderons dans un seul ensemble les deux thèmes envisagés pour cette deuxième table ronde : le bilan qualitatif de la suppression de la publicité après vingt heures et l’éventualité d’une suppression totale de la publicité sur les antennes de la télévision publique.

M. Patrice Duhamel, directeur général de France Télévisions, chargé de l’antenne, du développement et de la diversification. Madame la présidente, nous n’avons pas à distribuer de bons ou de mauvais points : aussi me contenterai-je de vous donner mon point de vue de responsable des contenus du service public, qu’il s’agisse de l’an passé ou des enjeux actuels.

La réforme éditoriale satisfait les téléspectateurs : si on en croit les sondages, ils ont plébiscité le fait que les programmes de la soirée débutent désormais à vingt heures trente-cinq, soit trente minutes plus tôt qu’auparavant, ce qui permet d’entamer la troisième partie de soirée à vingt-trois heures trente au lieu de minuit trente. Des moyens plus importants – c’est le seul bémol que nous avions déjà signalé il y a un an – nous permettraient d’alimenter la production de cette dernière partie de soirée qui nous paraît recéler un potentiel intéressant en termes de créativité. Nous avons néanmoins réussi à réaliser des grilles de qualité.

Il convient toutefois de rappeler que ce que Patrick de Carolis, toutes les équipes de France Télévisions et moi-même avons appelé le « virage éditorial » était engagé depuis 2005. Ce n’est donc pas l’annonce en 2008 de la suppression de la publicité après vingt heures ni la réforme engagée au début de 2009 qui ont provoqué ce virage. En revanche, il est vrai que jusqu’à cette dernière, certaines prises de risque éditoriales pouvaient affecter le niveau des recettes publicitaires – ainsi la diffusion en direct, pour la première fois à la télévision française en première partie de soirée, d’un opéra retransmis des Chorégies d’Orange, qui s’est traduite par une baisse de celles-ci, de 400 000 à 500 000 euros. De ce point de vue, l’arrêt de la publicité après vingt heures ne peut que nous encourager à prendre encore davantage de risques et à accentuer la politique engagée en la matière à partir de l’automne 2005. Du reste, jamais depuis trente-cinq ou quarante ans, la télévision publique n’avait retransmis autant de spectacles vivants – théâtre ou opéra –, pris autant de risques en matière de fictions, ou développé à ce point la grande fiction patrimoniale française ou internationale – citons les adaptations de Guerre et Paix ou de nouvelles de Guy de Maupassant ou les grands succès que nous avons obtenus sur le plan documentaire.

Mme Karine Blouet a évoqué ce point dans la précédente table ronde : je tiens à confirmer que jamais la différence n’a été aussi grande qu’aujourd'hui entre l’offre de la télévision commerciale et celle de la télévision publique, ce qui est du reste tout à fait normal.

Depuis janvier 2008, Patrick de Carolis, Damien Cuier, Philippe Santini et moi-même avons observé avec une grande attention les débats portant sur les ressources. N’étant pas des acteurs politiques, nous n’avions pas à faire de déclarations publiques sur les propositions de la majorité ou de l’opposition en la matière. Ce que je puis affirmer, en tant que directeur général chargé des antennes, c’est que si la suppression de la publicité après vingt heures représentait un enjeu éditorial, la suppression de la publicité avant vingt heures ne comporte, quant à elle, aucun enjeu de cet ordre. S’agissant des principales émissions, notamment des journaux télévisés, les plages horaires resteront les mêmes. Quant aux contenus, le service public continuera de proposer, le matin et l’après-midi, un mélange de jeux, de divertissements et de magazines d’accueil des personnalités de la société civile. Du reste, cette grille de programmes n’est pas propre à la télévision française : quel que soit le modèle économique, la BBC, la RAI ou les télévisions publiques espagnole ou allemande offrent durant la journée des magazines, quelques documentaires, comme c’est surtout le cas de France 5, des jeux ou des divertissements. Je ne vois pas en vertu de quelle stratégie éditoriale la grille pourrait évoluer en journée. Je le répète : la suppression de la publicité avant vingt heures ne répond à aucun enjeu éditorial.

M. Damien Cuier, directeur général de France Télévisions, chargé de la gestion, des finances et des ressources humaines. Depuis que la loi a été votée, nous nous sommes mis à la recherche de solutions pour la société France Télévisions Publicité – FTP –, qui était la première concernée par la perspective de suppression totale de la publicité. C’est pourquoi, dès le mois de mars 2009, nous avons cherché à pérenniser l’activité de FTP.

France Télévisions Publicité a généré en 2007, c'est-à-dire avant la suppression de la publicité après vingt heures, quelque 800 millions d’euros de recettes publicitaires pour le compte de France Télévisions, sur les différents espaces commercialisables des chaînes et des sites du groupe – le chiffre d’affaires propre au régisseur FTP s’élevant, quant à lui, à une soixantaine de millions d’euros.

La perspective d’une suppression de la publicité sur les écrans du groupe a eu pour conséquence de diminuer considérablement ces recettes publicitaires, puisque notre chiffre d’affaires est tombé dès 2008 à 600 millions d’euros et qu’il ne dépassera que légèrement 400 millions en 2009. Si la publicité est totalement supprimée à la fin de l’année 2011, les recettes résiduelles s’élèveront à terme à quelque 100 millions d’euros. La responsabilité de l’actionnaire France Télévisions est donc de rechercher, en liaison avec FTP, des solutions assurant le maintien de l’activité et le développement de la société, en fonction d’un double objectif : tout d’abord, en tant qu’actionnaires, nous avons pour devoir de maintenir, voire d’accroître la valeur de FTP. Nous devons ensuite maintenir l’activité des 280 collaborateurs de FTP, voire développer de nouveaux espaces commerciaux.

C’est en fonction de ces éléments que nous avons engagé, l’été dernier, une procédure d’ouverture du capital de France Télévisions Publicité et c’est sur décision du conseil d’administration, au début du mois de février, que nous sommes entrés en négociation exclusive avec le consortium Lov-Publicis. Le conseil d’administration nous a également demandé de veiller à la sécurité juridique de l’opération.

Le cahier des charges de France Télévisions et celui de la privatisation de FTP reposent sur la suppression totale, à la fin de 2011, de la publicité sur les chaînes publiques. C’est, je le répète, dans cette perspective que nous avons ouvert la procédure d’ouverture du capital.

Nous serons donc évidemment intéressés par tous les échanges à venir du groupe de travail qui, si j’ai bien compris, sera organisé sur le sujet à l’initiative de Jean-François Copé, le maintien ou la suppression de la publicité étant un élément déterminant pour l’avenir de FTP et de France Télévisions comme pour les négociations que nous conduisons actuellement.

M. Philippe Santini, directeur général de France Télévisions Publicité (FTP). Cette table ronde permet à France Télévisions Publicité et à ses collaborateurs, qui ont été oubliés dans le débat sur la publicité dans l’audiovisuel public, de s’exprimer enfin.

Ce dossier a une dimension politique : il appartient au Président de la République et à la représentation nationale de définir le cadre de l’activité de FTP. Le premier l’a fait dans son discours du 8 janvier 2008, la seconde dans la loi Trautmann, puis dans la loi du 5 mars 2009. À chaque fois, nous nous sommes adaptés sans faire de commentaires et, depuis treize ans, nous avons démontré notre capacité à nous adapter ou à rebondir.

Ma responsabilité de chef d’entreprise est d’anticiper, ce qui est devenu très difficile depuis deux ans. Il nous appartient de définir les conditions d’un fonctionnement industriel sans oublier les préoccupations sociales, qui sont essentielles. Or, depuis deux ans, les 280 collaborateurs de France Télévisions Publicité ne savent pas ce qu’il adviendra d’eux dans deux ans puisque nous sommes privés de toute visibilité. Quelle que soit la future réglementation, nous avons besoin de la connaître rapidement afin de pouvoir anticiper ses effets.

L’ouverture du capital répond à une vision stratégique de l’entreprise : jusqu’à aujourd'hui, France Télévisions Publicité a réussi à autofinancer son développement en prenant en régie des chaînes qui ne font pas partie de l’univers capitalistique de France Télévisions, notamment des chaînes du câble et du satellite, comme Euronews ou TV5 Monde. Quand TF1 diffuse 14 000 écrans, nous en diffusons 167 000 ! FTP a la première plateforme numérique en Europe. Nous sommes à ce point performants que nous somme chargés de l’administration informatique – le back-office – de la Radiotélévision marocaine. L’ouverture du capital permettra à la régie de France Télévisions de trouver de nouveaux territoires et de croître, tout en préservant l’ensemble de l’outil de travail, collaborateurs compris.

Ce n’est pas chose facile que de gérer une entreprise dont les 280 collaborateurs sont dans l’incertitude ! Je tiens à leur rendre hommage. Ils ont tenu depuis deux ans et réalisé en 2009 une performance extraordinaire. En effet, là où le leader annonce un chiffre d’affaires en recul de 11 %, nous avons obtenu une progression de 15 %, soit un écart de 26 % ! FTP est une entreprise dynamique et performante. C’est un leader en termes d’innovation.

M. Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques – SACD. Je tiens à confirmer les propos de M. Patrice Duhamel : le virage éditorial a bien été pris par France Télévisions avant la suppression de la publicité après vingt heures puisqu’il faisait partie du programme de M. Patrick de Carolis. Il suffit de regarder, dans le cahier des charges du groupe, le niveau des obligations patrimoniales souscrites. Celles-ci concernent la fiction, l’animation, le documentaire de création et les retransmissions de spectacles vivants, c’est-à-dire le cœur de la création française – plus d’une fiction française sur deux et près de 80 % des documentaires sont réalisés par France Télévisions. Or ces niveaux d’obligations sont très nettement supérieurs à ceux des chaînes privées – le rapport est parfois du simple au double.

M6 est, quant à elle, le premier diffuseur de fictions étrangères, avec 88 % de fictions américaines aux heures de forte écoute – ce sont les chiffres du Centre national de la cinématographie. Cette chaîne n’a donc pas à se plaindre de son niveau d’obligations !

En matière de publicité, il convient de considérer la réforme dans son ensemble pour évaluer son impact. S’il est vrai que la présence de la publicité a diminué sur les chaînes publiques – ce qui est une bonne chose –, cette présence a crû sur les chaînes privées. Alors que celles-ci ne cessent de se plaindre, elles ont profité d’une augmentation des volumes horaires de publicité – portés de six à neuf minutes –, du passage de l’heure glissante à l’heure d’horloge, et de l’instauration d’une seconde coupure publicitaire dans la diffusion des œuvres patrimoniales – fictions ou documentaires. Comme, de plus, le spectateur français reçoit, grâce à la TNT, un plus grand nombre de chaînes privées que de chaînes publiques, la publicité a globalement augmenté.

Comme nous sommes attachés au bon fonctionnement du service public, nous étions favorables à une augmentation de la redevance, qui nous paraissait le meilleur moyen de le financer. Peut-être serait-il également souhaitable d’assujettir à la redevance les propriétaires de résidences secondaires, qui ne sont pas des damnés de la terre ! Exception faite des chaînes privées qui en bénéficieraient, personne de raisonnable ne peut penser que la suppression de la publicité en journée serait conforme à l’intérêt public. Une telle suppression n’aurait aucune influence sur les programmes. Elle serait en revanche préjudiciable aux annonceurs qui perdraient des cibles publicitaires, et aux publicitaires eux-mêmes. Une telle mesure pourrait contribuer à affaiblir le marché publicitaire audiovisuel au moment où celui-ci a à faire face à une concurrence déloyale sur Internet, via les sites et les moteurs de recherche. Telle est du reste la raison pour laquelle j’invite les parlementaires à réfléchir à une taxation de Google !

M. Marcel Rogemont. Je comprends, madame la présidente, la difficulté qu’il y a à mener de front, dans la même matinée, trois tables rondes, la deuxième ne comptant qu’un seul intervenant, qui a confondu les travaux en Commission avec une conférence de presse ! Il est en effet désagréable que le président du groupe UMP se soit servi ainsi de la Commission…

Mme la présidente Michèle Tabarot. M. Jean-François Copé est intervenu, non en tant que président du groupe UMP, mais en tant que président de la commission qui est à l’origine de la loi sur la réforme de l’audiovisuel, loi qui fait l’objet de notre table ronde.

M. Marcel Rogemont. Cette commission n’existe plus.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Elle s’est encore réunie il y a peu.

M. Marcel Rogemont. Je tiens simplement à rappeler à M. Copé qu’il ne suffit pas de proférer une idée pour qu’elle devienne juste. Au cours des vingt dernières années, aucun socialiste n’a proposé la suppression totale de la publicité ! En revanche, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy avait proposé d’augmenter, non pas la redevance, mais la présence de la publicité sur France Télévisions. Je tenais à le rappeler.

Monsieur Duhamel, vous avez rappelé que France Télévisions n’avait pas attendu la loi de mars 2009 pour faire évoluer sa ligne éditoriale : quel lien établissez-vous entre publicité et ligne éditoriale ?

Par ailleurs, qu’en est-il de l’effet d’aubaine qu’on ne cesse d’évoquer à seule fin de nier qu’il se soit produit ? Il ne faut tout de même pas oublier que 450 millions d’euros de recettes publicitaires sont devenus disponibles, faute d’être allés à France Télévisions. Si aucun effet n’en est attendu, pourquoi réclamer l’application totale de la loi en supprimant la publicité également en journée alors que, dit-on, le bénéfice en serait nul pour les chaînes privées ?

Enfin, on ne saurait réduire la question de la publicité à une question financière. Je ne me prononcerai pas sur le fait de savoir s’il est bon que le groupe France Télévisions ne dépende que de Bercy pour ses sources de financement. En revanche, on peut peut-être se demander ce qu’il adviendrait d’une entreprise dont la quasi-totalité des ressources ne dépendrait pas de son activité…

Mme Françoise de Panafieu. Monsieur Duhamel, le législateur avait dans l’idée de supprimer totalement, en deux étapes, la publicité sur les chaînes de France Télévisions. Il se peut maintenant que sa position évolue, mais quelques précisions sur l’enjeu éditorial nous seraient utiles. Selon vous, il n’est pas le même selon que la publicité est supprimée en soirée ou en journée. Cependant, la suppression en journée entraînerait nécessairement une modification des grilles horaires. Cela permettrait-il de prendre plus de risques ? Comment envisagez-vous l’évolution des programmes dans cette hypothèse ?

M. Didier Mathus. Je tiens à saluer l’évolution du groupe UMP. Les propos de M. Jean-François Copé et de M. Christian Kert nous laissent en effet penser que l’UMP est désormais favorable au maintien de la publicité avant vingt heures, ce qui nous paraît une mesure raisonnable, tout d’abord en raison de l’enjeu financier : 400 millions d’euros. Compte tenu de la crise des finances publiques, j’imagine mal qu’on prélève 400 millions d’euros sur les contribuables qui ne sont pas protégés par le bouclier fiscal pour satisfaire un caprice du Président de la République.

Maintenir la publicité avant vingt heures rend en revanche la privatisation de la régie publicitaire inenvisageable d’un point de vue moral et financier. Comment imaginer qu’on maintienne une recette publicitaire de 400 millions d’euros tout en donnant la régie à un opérateur privé ? En effet, la République repose sur quelques lois morales qu’on est obligé, de temps à autre, de respecter, compte tenu surtout des conditions dans lesquelles la privatisation a été amorcée. J’ai posé sur le sujet deux questions d’actualité sans obtenir de véritable réponse. Le Gouvernement est manifestement gêné par les conditions dans lesquelles cette privatisation pourrait s’effectuer, conditions qui la rendraient totalement illégitime.

Pourriez-vous nous répondre sur le sujet, monsieur Kert ? Selon Jean-François Copé, la question ne regarde que le conseil d’administration de France Télévisions. Il s’agit toutefois d’une entreprise à 100 % publique et peut-être la représentation nationale est-elle en droit d’émettre un avis sur cette question ! Je le répète, les conditions dans lesquelles la privatisation a été amorcée sont moralement choquantes. Monsieur Courbit, comment admettre que siège au conseil d’administration de la société qui reprendrait cette régie M. Alain Minc qui a suggéré à l’Élysée la suppression de la publicité ?

M. Bernard Debré. Un consensus semble se dégager entre les partis politiques et parmi les professionnels de l’audiovisuel sur la nécessité de maintenir la publicité en journée…

L’explosion de la publicité sur Internet a-t-elle une influence sur les marchés publicitaires des chaînes de télévision ?

M. Patrick Bloche. Je regrette de n’avoir pu répondre à Jean-François Copé. En effet, son habillage du changement de position de la majorité avait quelque chose de rustique : comment peut-on affirmer qu’on est favorable au maintien de la publicité en journée uniquement parce qu’un tel maintien n’aurait pas le même impact qu’en soirée ? L’argument est faible.

La réalité est tout autre : il s’agit de 400 millions d’euros, ce qui n’est pas rien compte tenu du déficit abyssal de l’État ! L’enjeu, c’est d’assurer, l’année prochaine, le financement de l’audiovisuel public. Nous nous réjouissons, en tant que députés de l’opposition, qu’on maintienne la diversité du financement, non seulement parce que cela représente une sécurité, mais également parce que cela contribue à desserrer la tutelle budgétaire imposée par la loi de mars 2009 – pour ne pas parler de la tutelle politique qui résulte de la nomination du président de France Télévisions par le Président de la République.

Toutefois, un sujet n’a pas encore été évoqué ce matin, c’est celui de la redevance. Si le budget de l’État ne peut combler la perte de 400 millions d’euros de recettes publicitaires, soit on maintient la publicité en journée, soit on augmente la redevance. Or, comme le ministre de la culture a non seulement affirmé que la vente de la régie publicitaire lui posait un problème déontologique, mais également qu’il était favorable à l’augmentation de la redevance, nous voici en pleine confusion !

La vente de France Télévisions Publicité concerne les parlementaires : si Jean-François Copé a habilement botté en touche, c’est qu’il était gêné. Comme Didier Mathus l’a rappelé, cette vente soulève des questions de moralité et de cohérence. Si la publicité est maintenue en journée, il est évident que France Télévisions Publicité doit rester une filiale de France Télévisions et qu’il convient d’arrêter immédiatement le processus de privatisation.

M. Franck Riester. Nos collègues socialistes sont toujours aussi caricaturaux. Jean-François Copé avait d’autant plus de légitimité à s’exprimer sur la question du financement de l’audiovisuel public qu’il a présidé la commission sur la réforme de ce même audiovisuel public !

De très nombreux objectifs de cette excellente réforme ont été atteints : on peut donc saluer le travail des dirigeants de France Télévisions.

L’objectif était de recentrer le groupe sur ses missions de service public à la fois en le libérant de la pression de l’Audimat et en assurant son financement : la réussite a été au rendez-vous, que ce soit en termes de confort pour le spectateur, de qualité des programmes ou de financement, puisque l’État a tenu ses engagements en la matière et que les recettes de publicité en journée n’ont pas manqué.

Par ailleurs, l’audiovisuel français repose sur deux piliers : le secteur public et le secteur privé, et M. Rogard a eu raison de rappeler que la loi de mars 2009 comportait un assouplissement des contraintes du marché publicitaire – la seconde coupure, le passage de l’heure glissante à l’heure d’horloge et l’augmentation des quotas de volume horaire de publicité.

Le contexte économique ayant évolué avec le surgissement de la crise, qui n’a pas été sans incidence en matière sociale comme sur le secteur de la publicité, il n’est pas illégitime de se demander s’il convient d’aller jusqu’au bout de la réforme. Du reste, la loi de mars 2009 a été complétée par une clause de revoyure en 2011, à l’initiative de M. Christian Kert.

Il a semblé à de nombreux députés et sénateurs préférable d’anticiper ce rendez-vous afin de préciser le cadre dans lequel France Télévisions devra évoluer dans les prochaines années. Il convient en effet d’offrir une plus grande lisibilité à tous les acteurs du secteur, notamment aux salariés de France Télévisions Publicité et de France Télévisions ainsi qu’aux annonceurs.

Jean-François Copé a donc eu raison de proposer la création d’un groupe de travail en vue de décider avant 2011 du maintien ou non de la publicité avant vingt heures.

Si jamais le législateur maintenait la publicité avant vingt heures, quelle serait la décision des dirigeants de France Télévisions quant à la privatisation de la régie publicitaire ? Et s’ils souhaitaient maintenir celle-ci – la décision leur appartient –, comment envisageraient-ils de poursuivre la négociation déjà engagée avec le consortium Lov-Publicis ?

M. Michel Françaix. Nous nous racontons tous des histoires ! Comme tous les parlementaires, au sein de la commission Copé, souhaitaient que la télévision française demeure une télévision de qualité, il fallait, de l’avis des socialistes, s’intéresser autant à la télévision publique qu’à la télévision privée, puisque le téléspectateur moyen passe de l’une à l’autre sans demander d’autorisation à personne.

La commission s’est également interrogée sur la qualité des programmes. Or, comme à gauche nous avons toujours pensé qu’il était impossible de réaliser une quelconque réforme si elle n’était pas financée – les recettes de France Télévisions sont inférieures à celles des télévisions publiques des grands pays voisins –, il était à nos yeux évident que nous allions droit dans le mur, notamment en raison du blocage de l’Europe ou de l’impossibilité d’augmenter la redevance.

Chacun peut aujourd'hui constater que nous avions raison puisque nous ne pouvons pas améliorer la qualité de la télévision. Je laisse à Jean-François Copé son optimisme au milieu de la cacophonie générale. Mais oublions le passé et regardons l’avenir.

Puisque, en raison de l’état des finances publiques, un consensus paraît se dégager pour maintenir la publicité sur le service public avant vingt heures, il importe de se donner les moyens, à la fois, de préserver une télévision de qualité et de permettre à la télévision publique et à la télévision privée de continuer de vivre côte à côte.

Dès lors, quid des négociations actuelles en vue de privatiser la régie publicitaire de France Télévisions ? Les arrêter serait d’autant plus légitime que c’est la régie publique qui a le mieux réussi dans cette période difficile, en augmentant son chiffre d’affaires de 16 %. Faudrait-il la récompenser en la vendant à des organismes privés qui ont connu des baisses atteignant 17 % ? Mais il est évident que le Président de la République se désintéresse de la question du maintien de la publicité avant vingt heures, à partir du moment où ses amis pourront acheter la régie publicitaire de France Télévisions ! Nous ne saurions accepter la privatisation de celle-ci car ce serait au détriment du service public. Le départ se fera donc entre ceux qui veulent renforcer celui-ci, tout en laissant leur chance aux chaînes privées, et ceux qui continueront de l’affaiblir de manière sournoise. Telle est la véritable question !

Monsieur Duhamel, j’aimerais savoir si vous aurez les coudées franches pour conserver la régie publicitaire au sein de France Télévisions – mais peut-être serait-il préférable de poser la question à M. Jean-François Copé ou à M. Christian Kert…

Mme la présidente Michèle Tabarot. Nous aurions dû inviter M. Jean-François Copé à la deuxième table ronde !

J’ai rappelé qu’il s’était exprimé en tant que président de la commission sur la réforme de l’audiovisuel.

M. Michel Herbillon. Il est normal que Jean-François Copé se soit exprimé ce matin puisque nous continuons de travailler sur des questions qui ont été agitées au sein de la commission sur la réforme de l’audiovisuel qu’il a présidée, questions auxquelles le vote de la loi de mars 2009 n’a pas donné de réponse définitive – le débat de ce matin le montre suffisamment !

Par ailleurs, nos collègues socialistes posent des questions dont ils connaissent parfaitement la réponse. Le fait que nous anticipions le rendez-vous prévu par la loi, loin d’être un drame, traduit notre volonté de nous adapter à la situation nouvelle créée par la crise économique, laquelle a affecté le secteur de la publicité. Les parlementaires n’ont pas à s’excuser d’anticiper le débat sur la question du financement de l’audiovisuel public telle qu’elle se pose à travers celle du maintien ou de la suppression de la publicité en journée. Dois-je rappeler que M. Patrice Duhamel nous a assuré que notre réponse n’aurait aucun impact sur les programmes ? Il est bon que les parlementaires témoignent de leur capacité d’adaptation à l’évolution de la situation afin de faire de nouvelles propositions, d’autant que vous connaissez parfaitement l’hypothèque européenne qui pèse sur la taxe sur les fournisseurs d’accès.

Nous avons déjà longuement débattu de la redevance, monsieur Bloche : était-il nécessaire de rappeler la position récente du ministre de la culture et de la communication sur le sujet ?

Vous faites mine, également, de ne pas connaître la réponse à la question que vous posez sur la privatisation de la régie publicitaire. Il est évident qu’à partir du moment où la publicité serait maintenue en journée, il ne serait plus possible d’envisager la cession de la régie dans les mêmes conditions.

Je tiens à mentionner, pour finir, un modèle de télévision publique qui n’a maintenu la publicité qu’en journée : c’est celui de la télévision allemande.

M. Christian Paul. Le printemps 2010 est décidément pour l’UMP le temps des regrets, et nous assistons de sa part, sur la question de la publicité, à un rétropédalage qui ne relève d’ailleurs que du bon sens.

Jean-François Copé s’est livré à un exercice d’autosatisfaction sur les moyens dont France Télévisions a disposé après la suppression de la publicité après vingt heures : le compte y est-il vraiment ? La capacité de production est-elle pérennisée ?

Si le Gouvernement ou la majorité maintiennent la publicité en journée, la privatisation est-elle toujours fondée et convient-il d’entendre M. Courbit ce matin ?

La migration de la publicité vers Internet n’enlève-t-elle pas beaucoup de son intérêt à une interdiction ?

Enfin, si Bruxelles interdit à la taxe sur les opérateurs de communications électroniques de renflouer les finances de France Télévisions, cette manne viendra-t-elle soutenir la création culturelle française ?

M. Yves Censi. Je suis étonné d’entendre nos collègues socialistes s’inquiéter du péril qui menacerait le financement du service public de la télévision, alors que la loi visait précisément à le protéger – et non à mettre ce service public sous tutelle du budget ! Chacun connaissait le manque de dynamisme des ressources publicitaires et savait que le développement de la publicité sur Internet avait pour corollaire son effondrement dans l’audiovisuel. De plus, dois-je vous rappeler que la loi organique relative aux lois de finances exclut toute taxe affectée ? Vous confondez la problématique des ressources et celle des dépenses. Il s’agit du budget de l’État !

M. Marcel Rogemont. Pourquoi avoir inscrit ces taxes dans la loi ?

M. Yves Censi. Votre inquiétude n’est pas fondée.

Par ailleurs, l’UMP n’a opéré aucun retour en arrière : nous maintenons notre ligne initiale.

Le modèle économique inscrit dans la loi de mars 2009 n’avait soulevé chez moi qu’une seule réticence, tenant au fait que la taxe sur les recettes publicitaires croîtrait en proportion inverse du nombre de téléspectateurs du service public. Mais l’élévation de la qualité, après la suppression de la publicité en soirée, s’est-elle accompagnée d’une augmentation ou d’une réduction de l’audience ?

Puisque l’objectif était d’éviter la soumission à la dictature de l’Audimat, quels sont les critères de performance économique de ce nouveau modèle ? Comment peut-on, du reste, apprécier cette performance s’il n’y a plus de publicité et qu’on exclut tout critère lié à l’Audimat ?

Mme la présidente Michèle Tabarot. Monsieur Rogemont, la table ronde a été décidée en accord avec M. Bloche, qui souhaitait qu’on aborde ces sujets ce matin.

On ne saurait donc, à la fois, nous demander d’organiser une table ronde, afin de nous préparer suffisamment tôt au rendez-vous fixé par la loi, et nous faire des procès d’intention lorsque nous répondons à la demande des parlementaires, en nous accusant de rétropédalage.

M. Marcel Rogemont. Madame la présidente, je ne vous ai, à aucun moment, mise en cause.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je suis à la fois présidente de cette Commission et membre de l’UMP.

M. Marcel Rogemont. J’ai seulement noté que le président du groupe UMP est venu faire sa conférence, puis est reparti.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Il a été convié en tant que président de la commission sur la réforme de l’audiovisuel, pour faire le point un an après le vote de la loi.

M. Christian Kert. C’est le débat sur l’audiovisuel qui recommence, avec tous ses clichés ou presque !

Évitons les caricatures ! Le président Copé n’a à aucun moment cherché à se défausser du problème de la régie. Il n’a fait que distinguer cette question de celle du financement du service public.

En ce qui concerne cette dernière, à laquelle est liée notre présente réflexion sur la publicité, nous ne pratiquons pas de rétropédalage puisque, dès l’examen de la loi de mars 2009, nous avons beaucoup insisté, un peu contre le Gouvernement, pour que la clause de rendez-vous de novembre 2011 soit l’occasion non seulement de faire le bilan des dispositions adoptées, mais également, de revenir, si la situation l’exigeait, sur les termes de la loi – c’est ce que le texte prévoit.

Nous devons faire face à une situation nouvelle – du reste le calendrier nous y conduit. Un consensus paraît se dégager, qui englobe jusqu’au sénateur Jack Ralite, dont je salue la présence ce matin et qui a rédigé une proposition de loi visant à maintenir la publicité.

En ce qui concerne la régie publicitaire, elle relève de la compétence de France Télévisions, dans le cadre du plan d’affaires : la décision a été prise après mûre réflexion par le conseil d’administration du groupe. Je tiens moi aussi à saluer la qualité du travail effectué par les personnels de France Télévisions Publicité et l’énergie que M. Santini a dû déployer pour maintenir le moral des troupes.

L’externalisation de la publicité a été envisagée parce que la loi prévoyait sa suppression totale sur les chaînes publiques et qu’il ne resterait plus, pour l’essentiel, que le parrainage. La réflexion a également porté sur les avantages que France Télévisions pourrait retirer de cette externalisation. Il convient de ne pas négliger le fait que le repreneur assure la responsabilité du fonctionnement de la régie, y compris la gestion des personnels, ce qui représente un allégement de la charge. De plus, l’entrée dans le capital a été fixée à 20 millions d’euros, qui profiteront à France Télévisions. Par ailleurs, il n’est pas amoral de confier à une régie publicitaire privée le soin de chercher des annonceurs. Dans de nombreux pays européens, les régies publicitaires ont été externalisées depuis longtemps.

Il va de soi que, si la publicité est maintenue, la négociation ne pourra se poursuivre dans les mêmes conditions. Il conviendra de la suspendre pour en définir de nouvelles. Un repreneur préférera payer une commission sur un volant publicitaire supérieur à celui qui était envisagé. C’est du commerce, assurément, mais les intérêts de France Télévisions ne seront pas lésés.

À mes yeux, les parlementaires devront donner un avis, celui de suspendre la négociation aux conditions actuelles. Je ne suis pas pour autant persuadé qu’il faille remettre en cause l’externalisation de la régie publicitaire, qui a été souhaitée par les responsables de la régie et par les personnels – ce dernier point est à vérifier –, d’autant qu’elle donnera l’occasion à une nouvelle équipe publicitaire de répondre à des enjeux du type cross media, avec la recherche de nouveaux produits que la régie publicitaire de France Télévisions ne s’autorisait pas à effectuer.

Laissons France Télévisions travailler. Jean-François Copé a eu raison de soutenir que cette externalisation ne relevait pas directement de notre responsabilité mais que nous aurons notre mot à dire.

Nous devons, non pas accuser, mais interpeller M. Stéphane Courbit sur la question du conflit d’intérêts que nos collègues socialistes ont soulevée et à propos de laquelle le ministre a parlé de problème déontologique, puisque M. Courbit, qui est producteur, pourrait devenir régisseur publicitaire. J’aimerais connaître le montant de sa participation dans la maison de production Banijay : n’est-elle effectivement que de 30 % ? Cela fait une grande différence, pour un actionnaire, d’être unique, majoritaire ou minoritaire ! Pense-t-il être en capacité, un jour, de jouer de l’une ou de l’autre de ses activités pour peser sur la programmation de France Télévisions ? Nous devons savoir si le risque existe. Pour le reste, il conviendra de disposer de la période de suspension des négociations pour nous pencher sereinement sur la question.

M. Patrice Duhamel. Je tiens à rassurer M. Françaix : j’ai le sentiment d’avoir les coudées franches.

Mme de Panafieu et M. Rogemont m’ont demandé quel lien il convenait d’établir entre la publicité et notre stratégie éditoriale : en journée, avant vingt heures, je le répète avec force et conviction, il n’existe aucun lien, sinon marginal, tenant aux horaires, entre la stratégie éditoriale des programmes de six heures à vingt heures et la présence ou l’absence de la publicité. Nous avons une stratégie de bouquets. Sur France 2, nous diffusons l’après-midi des magazines, puis du divertissement et de la fiction européenne ; sur France 3, les travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, puis de la fiction européenne et des jeux avant la tranche d’information ; sur France 4, beaucoup de fictions françaises et étrangères ; sur France 5, du documentaire et du débat ; sur France Ô, qui deviendra une antenne nationale le 14 juillet prochain, des émissions sur la diversité, l’ouverture sur le monde et la musique. Nous conserverons cette stratégie, que la publicité soit ou non maintenue avant vingt heures.

Monsieur Censi, France Télévisions a connu, en 2009, comme toutes les chaînes historiques, une érosion certaine de son audience, en raison de la progression constante de la TNT et des « autres télévisions ». Le dernier week-end de Pâques, ces dernières sont passées de 28 à 35 % de l’audience. Chaque semaine, elles franchissent un nouveau cap, en raison notamment du passage de nouvelles régions au tout numérique – après l’Alsace et la Normandie, ce sera bientôt le tour des Pays de la Loire et de la Bretagne. Notre érosion est semblable à celle des opérateurs privés. Notre virage éditorial n’a donc eu aucun effet global sur l’audience. En revanche, sur le premier trimestre de l’année 2010, le groupe France Télévisions résiste beaucoup mieux à l’accélération de la concurrence que les opérateurs privés. Nous connaissons un recul de 1,5 % par rapport à 2009, alors que nos concurrents privés reculent de 5 % à 6 %. C’est une des raisons pour lesquelles, en dehors de l’attachement de nombreux annonceurs, grands ou petits, au service public et du talent propre de France Télévisions Publicité, nos recettes ont été l’année dernière supérieures aux prévisions et continuent de l’être au premier trimestre de cette année.

De plus, je tiens à rappeler une nouvelle fois que le service public n’a jamais vécu dans un climat de dictature de l’Audimat. Une telle dictature interdit la programmation d’une émission dont on craint la faible audience. Nous essayons de prouver le contraire, ce qui ne nous interdit pas d’avoir, dans le même temps, un objectif d’audience, ou encore de statut ou de puissance. France Télévisions est le premier groupe public européen en audience – 32 %. Les télévisions publiques britannique, allemande, italienne ou espagnole font moins bien, alors que notre bouquet d’antennes est le moins important. En effet, aujourd'hui, France Télévisions dispose de quatre antennes, plus France Ô en Île-de-France – nous posséderons cinq antennes nationales à compter du 14 juillet –, quand les Britanniques en possèdent neuf, les Allemands, huit, les Italiens et les Espagnols six ou sept.

En ce qui concerne la performance des programmes, nous disposons d’un instrument, à nos yeux aussi important que le baromètre quantitatif de l’audience : il s’agit d’un baromètre qualitatif, qui repose sur un échantillon de 10 000 téléspectateurs, dont 5 000 donnent, chaque jour, des notes sur 10 aux programmes qu’ils ont vus sur nos cinq antennes la veille. Le nombre des notes approchant 10 est de plus en plus important, ce qui prouve que les téléspectateurs apprécient le travail que nous effectuons sur la qualité des programmes. Par-delà la question de l’audience, notre performance économique consiste à produire la meilleure qualité au prix le plus raisonnable, sachant que la télévision coûte très cher. En matière de magazines, de divertissements et de jeux, nous avons, depuis trois ans, réduit les coûts de 20 %. Cet effort doit être poursuivi.

M. Nicolas Traube, coprésident de l’atelier « modèle de gouvernance » de la Commission pour la nouvelle télévision publique. Lors de leurs auditions devant la commission Copé, les professionnels s’étaient efforcés de répondre avec pragmatisme à une question d’ordre politique. La disparition totale de la publicité ne serait pas négative en soi pour France Télévision, car elle serait cohérente avec l’objectif d’un service public entièrement financé par d’autres voies, ce qui permettrait de diminuer les tensions pouvant exister autour de cette ressource entre les diffuseurs privés et publics, les chaînes privées devant cohabiter avec des chaînes publiques qui leur prennent des téléspectateurs.

Aujourd'hui, il est difficile, en raison de la situation économique et financière, d’imaginer que les 400 millions d’euros de recettes publicitaires puissent avoir une autre source que la publicité. Je souhaiterais l’instauration d’un système souple, qui n’obligerait pas à passer de nouveau devant le législateur pour faire évoluer la donne dans le service public en fonction des conditions économiques nouvelles. Il serait bien que le législateur adopte, en la matière, un texte qui, loin d’être trop contraignant, lui permette, année après année, de réviser les besoins de financement du service public. Il faut savoir que la publicité sera bientôt l’objet d’un nouvel affrontement, en raison du développement d’Internet, dont nous ignorons d’ailleurs le montant des recettes publicitaires.

En ce qui concerne les relations de France Télévisions avec France Télévisions Publicité, admettons qu’il est difficile pour une société de perdre le contrôle d’une filiale dont les ressources ne laissent pas d’être relativement importantes, tout en demeurant marginales. Dans ce cas, une ouverture du capital est certes bienvenue parce qu’elle permet à la régie d’accéder à de nouvelles activités, en faisant appel à des spécialistes des nouvelles technologies d’Internet par exemple, mais je pense que, si France Télévisions est en mesure d’exercer un vrai contrôle sur la gestion de sa filiale, la vie du groupe en sera facilitée.

M. Damien Cuier. L’éventualité d’une suppression de la publicité à la fin de l’année 2011 est un élément déterminant pour l’opération que nous conduisons depuis plus d’un an. Nous avons interrogé plusieurs investisseurs potentiels pour connaître leurs offres de reprise. Dans le cadre d’une suppression de la publicité, toutes les réponses que nous avons obtenues visaient à une prise de contrôle majoritaire de la régie. L’offre du consortium Lov-Publicis s’est révélée être la mieux-disante : aussi le conseil d’administration de France Télévisions nous a-t-il autorisés à entrer en négociation exclusive avec lui.

Si la publicité est maintenue en journée – hypothèse qui n’entre pas dans le cadre légal actuel –, France Télévisions conserverait des recettes commerciales propres d’un montant substantiellement plus élevé que dans le cadre d’une suppression. Si, comme l’a souligné Philippe Santini, nous nous adaptons au cadre qui est fixé pour France Télévisions, il convient toutefois de rappeler que, pour nous, la perspective de suppression de la publicité se calcule en mois. Or une telle échéance se prépare, comme se préparerait l’hypothèse inverse : nous aimerions savoir le plus tôt possible à quoi nous en tenir.

Je pense par ailleurs que le maintien de la publicité en journée ne clôt pas toute réflexion sur l’ouverture du capital de la régie. Je rappelle qu’en 2007, c'est-à-dire avant la réforme, la régie générait un chiffre d’affaires de 800 millions d’euros et que nous sommes passés depuis la réforme à 400 millions d’euros. Or, France Télévisions n’a pas aujourd'hui la capacité financière de développer la régie au-delà de ces 400 millions d’euros. Le maintien de la publicité en journée ne va donc pas contre l’ouverture du capital de la régie.

Enfin, le changement de modèle économique s’est traduit par un plan d’affaires qui prévoit un retour progressif à l’équilibre de France Télévisions. Pour savoir si « le compte y est », il conviendrait de connaître le délai du retour à l’équilibre. Grâce notamment à ses performances d’audience, les performances de recettes publicitaires sont en 2009 plus importantes que prévues : la perspective d’un retour à l’équilibre s’en trouve rapprochée. Elle reste toutefois fragile du fait que le plan d’affaires impose à France Télévisions de réaliser des synergies, qui se traduisent notamment par la division par deux du rythme de progression des dépenses par rapport au précédent contrat d’objectifs et de moyens – exigence que nous respectons. La situation est donc assainie, mais il convient de la pérenniser. L’équilibre d’exploitation de France Télévisions est prévu pour 2011 et l’équilibre net pour 2012.

M. Pierre Gauthier, secrétaire du comité d’entreprise de France Télévisions Publicité. Je vous remercie, madame la présidente, de me recevoir en tant que représentant des 280 collaborateurs de France Télévisions Publicité, qui sont depuis plus de vingt-quatre mois dans l’incertitude, comme l’a rappelé le directeur général de l’entreprise.

Les députés s’interrogent aujourd'hui sur le fait de savoir s’il convient de mener à son terme l’application de la loi de mars 2009 ou de marquer une pause en maintenant la publicité en journée. En tant que publicitaire, je me réjouirais si cette dernière solution était adoptée. Monsieur Kert, en tant que représentant au conseil d’administration de France Télévisions, vous devrez participer à la décision sur l’ouverture du capital de France Télévisions Publicité : je me permets de vous rappeler que nous nous inscrivons dans une logique d’entreprise et non dans une logique politique et que le temps politique est différent du temps de l’entreprise. Or, comme l’a souligné M. Cuier, il est important de se donner le temps de mettre en œuvre les décisions prises afin de garantir leur efficacité. Les salariés de France Télévisions Publicité ont souvent été salués dans les discours des hommes politiques ou des représentants du groupe, mais leur patience est à bout. La pépite publicitaire de la régie pourrait très vite se transformer en plomb si les atermoiements se poursuivent et qu’en fin de compte on en arrive à 150 licenciements, comme le plan d’affaires de l’entreprise le prévoit déjà.

Bien que nous soyons dans l’ignorance du lendemain, nous n’avons pas posé le crayon et nous avons continué de travailler pour recueillir les 410 millions d’euros qui permettent à France Télévisions de réduire son déficit par rapport aux prévisions.

M. Stéphane Courbit, président de Lov Group. Je suis heureux de pouvoir répondre non seulement aux questions, mais également aux critiques et aux attaques dont je suis l’objet depuis le début du processus d’ouverture du capital et que je trouve injustifiées. La dernière en date vient de M. Mathus, qui a affirmé que les conditions qui ont présidé à ce processus étaient douteuses.

Certes, c’est le Président de la République qui a souhaité la disparition de la publicité sur la télévision publique. Toutefois, ce n’est pas lui qui a lancé le processus d’ouverture du capital : c’est France Télévisions. De la même manière, nous ne nous sommes pas portés candidat : c’est le banquier du vendeur, en l’occurrence Rothschild, qui est venu nous solliciter.

L’appel d’offres a répondu aux normes en matière d’ouverture du capital ou de privatisation d’une entreprise publique, sous le contrôle de l'Agence des participations de l'État (APE) et de la Commission des participations et des transferts (CPT). Il ne visait à privilégier personne.

En ce qui concerne le calendrier, la réflexion a débuté au printemps 2009, mais c’est au mois d’août que nous avons été contactés. Le 29 septembre a eu lieu la présentation de la société et de sa stratégie ; le 9 octobre, nous avons remis une première offre indicative, le 23 novembre une offre ferme et début décembre une lettre complémentaire. Le 3 février, le conseil d’administration de France Télévisions s’est prononcé en faveur de notre offre ; le 4 février, s’est déroulée une audition devant la CPT ; le 7 février, une lettre d’exclusivité a été signée ; le 24 février, nous avons rencontré le comité d’entreprise et le 1er mars, celui-ci s’est prononcé à l’unanimité en faveur de notre offre de reprise.

Or, c’est seulement après ces dix étapes, qui ont pris huit mois, qu’on évoque un possible conflit d’intérêts ou un problème de déontologie. Si tel était vraiment le cas, on aurait pu s’en apercevoir plus tôt !

De fait, il n’existe, d’un point de vue juridique, aucun conflit d’intérêts : l’article 3 du contrat de régie est suffisamment clair sur ce point. Une première commission, dirigée par M. Damien Cuier, était censée rechercher d’éventuels conflits d’intérêts en ce qui concerne Publicis : elle n’en a trouvé aucun. En ce qui concerne Lov, je n’ai reçu aucune conclusion officielle mais on nous a dit que nous devrions choisir entre nos deux investissements et décider si nous gardions, ou non, une participation dans Banijay, qui est une société de production dont nous ne possédons que 32 % du capital – Lov n’est pas une société de production mais d’investissement dans l’immobilier, l’énergie, l’audiovisuel et les jeux en ligne. Le prétexte avancé était qu’il n’y avait pas de solution juridique. Or, s’il est vrai qu’il n’y a pas de solution juridique, c’est tout simplement parce qu’il n’y a pas de problème juridique !

Nous avons alors entendu évoquer l’éthique et la déontologie : je trouve cela insultant et diffamatoire.

C’est insultant pour les collaborateurs de France Télévisions, car, en l’absence de conflit d’intérêts au sens juridique du terme, ils ne pourraient se laisser influencer qu’en manquant à la déontologie. C’est diffamatoire pour nous, puisque, en l’absence de fondement juridique, nous ne pourrions faire pression sur eux que par des moyens illégaux.

Patrice Duhamel a souligné qu’il n’avait jamais programmé ses émissions en fonction de l’audience supposée et donc d’éventuelles recettes publicitaires : j’en suis ravi car cela prouve bien l’absence de tout conflit d’intérêts concernant le dirigeant d’une entreprise qui conserverait une activité de production tout en devenant actionnaire de la régie.

Il appartient aux parlementaires et au Gouvernement de décider s’il convient de maintenir la publicité en journée. En tant que citoyen français, je ne suis ni favorable à l’augmentation de la redevance audiovisuelle ni défavorable au maintien de la publicité en journée, publicité qui ne m’a, du reste, jamais gêné en tant que téléspectateur.

Le processus d’ouverture est-il uniquement lié à la disparition de la publicité ? Nous saurons nous adapter. Nous avons été mandatés pour un processus d’ouverture du capital dans un cadre donné. Le fait que la publicité pourrait être maintenue est prévu dans l’appel d’offres et fait l’objet de clauses de prix complémentaires. La pertinence de l’ouverture de la régie n’est donc pas liée à la disparition de la publicité.

En ce qui concerne l’interruption du processus d’ouverture du capital de la régie de France Télévisions, je tiens à rappeler, monsieur Bloche, qu’il existe aussi une morale dans les affaires. Chacun sait qu’on ne peut de manière unilatérale interrompre un processus de vente, d’autant que, je le répète, l’hypothèse du maintien de la publicité est prévue. Nous avons pris beaucoup de coups : il serait un peu fort qu’on nous dise maintenant que le maintien de la publicité entraîne l’interruption du processus de vente, d’autant que nous sommes prêts à nous adapter !

Je rappelle que le dossier France Télévisions, pour important qu’il soit – nous y avons passé beaucoup de temps –, n’est vital ni pour Publicis ni pour Lov. Publicis réalise 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, Lov, 1,5 milliard. Damien Cuier a rappelé que la commission de régie de France Télévisions Publicité s’élevait à quelque 60 millions d’euros : cet enjeu ne saurait donc en rien changer la donne de nos deux groupes.

Enfin, monsieur Traube, la baisse des recettes d’une chaîne publique n’est pas une fatalité. De très belles chaînes européennes ne disposent plus de recettes publicitaires : cela n’empêche pas la BBC, qui est dans ce cas, de réaliser 1,2 milliard d’euros de recettes en activités annexes – organisation de concerts et de spectacles ou édition de DVD. France Télévisions peut suivre cet exemple. Cela ne dépend pas, assurément, de France Télévisions Publicité. Du reste, TF1 fait 40 % de son chiffre d’affaires hors la publicité et M6 la moitié. France Télévisions est loin d’atteindre un tel résultat parce qu’on a longtemps considéré qu’il ne convenait pas de mélanger le service public et l’argent. La BBC démontre le contraire.

À M. Françaix qui a parlé de cadeau fait aux amis du Président de la République, je tiens à rappeler que le processus d’ouverture s’est fait sur trois critères objectifs : financier, social et industriel. Nous avons été les mieux-disants en matière sociale – je tiens du reste à noter que le maintien de la publicité permettra d’évacuer ce critère, puisqu’il ne sera plus nécessaire de réaliser un plan social. Nous avons été également les mieux-disants du point de vue financier – là encore, le maintien de la publicité changera les données. Enfin, grâce à Publicis – M. Lévy n’a pu venir ce matin –, notre projet industriel était séduisant. C’est à son sujet, du reste, qu’il convient de se demander s’il faut ou non maintenir le processus d’ouverture.

Parler de cadeau est insultant pour tous ceux qui ont validé ce projet – l’APE, la CPT, le conseil d’administration de France Télévisions. De plus, si une offre mieux-disante avait été proposée, elle l’aurait remporté. Cela signifie que tous les autres candidats n’ont pas voulu du cadeau parce qu’ils le jugeaient trop cher !

Enfin, je tiens à souligner, monsieur Mathus, que M. Alain Minc n’est pas au conseil d’administration de Lov mais possède 3 % de Financière Lov. Or l’offre a été faite, depuis le premier jour, non par Financière Lov mais par Lov Group Investment. Chez Vivendi, les actionnaires de SFR ne sont pas les mêmes que ceux de Canal Plus : il en est de même de Lov.

On peut aimer ou ne pas aimer Alain Minc – je lui témoigne pour ma part le plus grand respect. Toutefois, je ne pense pas qu’on puisse voir en lui un homme malhonnête. Du reste, deux ans ont passé entre l’évocation de la disparition de la publicité et le début du processus d’ouverture : il n’aurait pu faire le lien entre les deux.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Comme vous l’avez souligné, M. Maurice Lévy, président de Publicis, avait été invité ce matin. Ne pouvant venir, il m’a adressé un courrier qui rappelle certains des points que vous avez évoqués.

M. Damien Cuier. M. Stéphane Courbit a évoqué la clause de complément de prix : elle n’a pas été explicitement prévue en cas de maintien de la publicité, le processus ayant été engagé dans le cadre de la loi de mars 2009. Toutefois, afin de protéger les intérêts financiers de France Télévisions, nous avons indiqué qu’en cas de « surperformance » par rapport aux hypothèses de recettes transmises à tous les repreneurs, et quelles qu’en soient les causes, France Télévisions profiterait d’un complément de prix qui serait versé par l’acquéreur, et ce jusqu’en 2014. Cette clause couvre donc le cas du maintien de la publicité mais également d’autres cas de figure, comme un décalage de l’extinction de l’analogique d’une année ou, plus largement, des surperformances que pourrait réaliser la régie par rapport aux hypothèses financières sur lesquelles les différents repreneurs ont fondé leurs prix.

Par ailleurs, lors du conseil d’administration de France Télévisions, la direction a reçu mandat d’entrer en négociation exclusive avec Lov-Publicis et d’approfondir la discussion. Le conseil a exigé de Patrick de Carolis qu’il assortisse la cession de clauses permettant d’éviter que des conflits d’intérêts ne menacent l’indépendance éditoriale de France Télévisions ou que les intérêts de France Télévisions et du marché audiovisuel de la production ou des agences médias ne soient lésés.

Deux groupes de travail ont rendu leurs conclusions. Notre procédure se déroule au grand jour. Nous avons toutefois la nécessité, dans le cadre de la négociation exclusive, qui emporte des droits et obligations réciproques des deux partenaires, d’échanger ces points avec Lov-Publicis dans le cadre du secret des affaires, afin que le consortium puisse réagir officiellement à des propositions qui n’ont pas encore été transmises à ce stade ni par la voie de nos avocats ni directement – c’est une étape complémentaire qui prend du temps. Dès lors que ces clauses auront été définitivement stabilisées, elles seront incorporées au dossier et vous en aurez connaissance.

Nous avons pour devoir d’informer le conseil d’administration de la nature de ces clauses afin qu’il puisse juger si elles sont suffisantes ou non. Le débat d’aujourd'hui ne porte pas sur d’éventuels conflits d’intérêts mais, à titre principal, sur le maintien de la publicité en journée, qui constitue un élément fondamental du dossier, sur lequel les autres repreneurs n’ont pas eu l’occasion de se prononcer puisque la seule hypothèse retenue était la suppression de la publicité prévue par la loi. Si la publicité en journée était maintenue, il conviendrait d’adapter les modalités d’ouverture du capital. Dans le cadre d’une décision d’entreprise, il appartiendra au conseil d’administration de France Télévisions de statuer prochainement sur le sujet.

M. Patrice Duhamel. La diversification des recettes du groupe est un objectif.

Les spécialistes le savent – ce point a du reste évoqué au sein de la commission Copé –, il est très difficile de comparer la situation de France Télévisions à celle de la BBC pour la simple raison que nous ne disposons pas des droits, contrairement à notre consœur d’outre-manche. C’est une différence fondamentale !

M. Stéphane Courbit a évoqué la question des conflits d’intérêts. Ne tournons pas autour du pot ! Nous avons créé deux groupes de travail sur le sujet. En effet, la décision du conseil d’administration d’ouvrir une négociation exclusive avec Lov-Publicis s’est accompagnée, le 3 février, pour le président de France Télévisions et son équipe, d’un second mandat portant sur les solutions à apporter à d’éventuels conflits d’intérêts ou problèmes déontologiques. Dois-je rappeler que le mandat d’un conseil d’administration réunissant, autour de son président, des parlementaires, des personnalités qualifiées et des représentants de l’État, est un acte juridique fort ? Damien Cuier et moi-même avons réuni chacun notre groupe de travail – le mien réunissait les producteurs. Nous avons procédé à des auditions, notamment à celle de M. Courbit. Je tiens à insister sur ce point : aucun problème de personne ne s’est posé. Il n’y a donc aucun risque de diffamation, monsieur Courbit. La conclusion du groupe du travail – la presse en a fait état – aurait été la même qu’elle que soit la personnalité du producteur : il fallait éviter tout risque de suspicion afin de préserver la sérénité nécessaire aux arbitrages de contenus de France Télévisions – il y en a une quinzaine par jour. Alors que nous passons nos journées à débattre avec toutes les organisations de producteurs et d’auteurs, depuis quatre ans et demi que je dirige ce groupe avec Damien Cuier, j’ai rarement eu l’occasion d’assister à une telle unanimité dans les prises de position de toutes les organisations – notamment l’Union syndicale de la production audiovisuelle, le Syndicat des producteurs indépendants, le Syndicat des producteurs et créateurs d’émissions de télévision, la Société civile des auteurs multimédia – : toutes ont affirmé, sans viser personne, que le risque d’installation d’un climat de suspicion existait bien.

Je tiens à préciser que les productions de Nagui sur les antennes de France Télévisions sont d’une grande qualité.

M. Stéphane Courbit. Je n’ai jamais pensé que la conclusion de la commission sur les conflits d’intérêts constituait une attaque personnelle. Le contrat prévoyant que France Télévisions avait la liberté de sortir du processus de négociation en cas de conflit d’intérêts, je tiens à ce qu’il soit précisé qu’il n’y en a pas sur le plan juridique. Des fantasmes sont évidemment toujours possibles. Ne demandons pas, dans ces conditions, à Lov de choisir en ses deux investissements : Banijay ou la régie de France Télévisions Publicité. En l’absence de tout fondement juridique, nous sommes en pleine fantasmagorie !

Du reste, monsieur Duhamel, le fait que France Télévisions, comme vous l’avez rappelé, ne vivait pas sous la dictature de l’audimat évite tout risque de conflit d’intérêts.

Je tiens à rappeler, pour le cas où la suspicion ressurgirait après la conclusion du processus, le mécanisme mis en place lors de la fusion TPS-CanalSat ou du rachat par TF1 des chaînes du groupe AB, en vue de surveiller les engagements comportementaux. Un médiateur, nommé par le ministre, doit rendre un rapport trimestriel. En ce qui me concerne, je ne m’opposerai à la mise en place d’un tel mécanisme.

Je le répète : il n’y a aucun fondement juridique aux éventuels problèmes d’ordre déontologique qui ont été soulevés.

M. Hervé Brossard, président de Omnicom Media Group. Si nous avons interpellé M. Frédéric Mitterrand et Mme Christine Lagarde, c’est en raison de l’incertitude du marché, qui a été le premier à réagir. Notre intervention ne visait donc ni Publicis ni Stéphane Courbit. Nous tenions simplement à souligner le fait que le cas que nous examinons aujourd'hui peut se reproduire. Demain, d’autres groupes de communication pourront avoir des participations croisées – je pense à Havas ou même à Omnicom – dans des régies ou des centrales d’achat. Nous avons donc besoin de connaître la règle du jeu en la matière. Or elle n’existe pas ! La loi Sapin de 1993 a clarifié les rôles des différents acteurs mais n’a pas abordé ce cas de figure qui, je le répète, se reproduira. Jamais nous n’avons procédé à des attaques personnelles ni suspecté personne lorsque nous nous sommes adressés aux deux ministres concernés. Nos avocats nous avaient du reste assurés qu’il n’y avait aucun problème d’ordre juridique : c’est précisément la raison pour laquelle nous nous tournons vers les parlementaires. Établissez une règle du jeu afin de mettre fin à la suspicion qui pèse sur le métier de publicitaire. Nous avons demandé aux deux ministres des garanties de parfaite confidentialité, une parfaite équité dans l’accès aux écrans ainsi que l’égalité de traitement entre les différentes chaînes, voire entre les différents médias. Mesdames et messieurs les parlementaires, nous vous demandons de bien vouloir vous pencher sur ces questions qui concernent l’avenir la profession. Les marchés sont actuellement très perturbés. Nous avons besoin de votre aide pour recouvrer toute la sérénité nécessaire.

Mme Sophie Deschamps, coprésidente de l’atelier « modèle culturel et de la création » de la commission pour la nouvelle télévision publique. On nous a demandé de réserver une matinée entière pour participer à une table ronde avec les parlementaires : ils sont partis, ce qui est d’une grossièreté invraisemblable !

Sommes-nous chez « Oui-Oui à la ferme » ? Lors de la commission Copé, nous étions nombreux à être défavorables à la suppression de la publicité car elle ne permettait pas de pérenniser le financement des chaînes publiques : c’est pourquoi nous avons obtenu le compromis d’une suppression partielle dans l’attente d’un financement réellement pérenne du groupe France Télévisions. Nous avions également reçu l’engagement que l’intégrité du groupe serait garantie, et qu’il ne ferait donc l’objet d’aucune privatisation. Je tiens à rappeler que nous avons travaillé sur la suppression de la publicité alors que l’annonce en avait été faite avant toute réflexion préalable, ce qui est totalement stupéfiant pour tous ceux qui réalisent des émissions pour la télévision – nous ne présentons aux téléspectateurs que des émissions achevées !

Nous en étions arrivés à la conclusion qu’il serait imprudent de supprimer totalement la publicité, préconisation, qui est devenue, dans la loi de mars 2009, une clause de rendez-vous. Or nous apprenons aujourd'hui par les médias qu’au moment même où France Télévisions se réforme en global media – je salue le travail de MM. de Carolis et Duhamel visant à transformer les quarante-neuf sociétés du groupe en une société unique –, la société qui rapporte de l’argent à l’entreprise sera totalement ou en partie privatisée, ce qui est une atteinte à l’intégrité du groupe. Cette annonce ne « passe » ni sur le plan de l’image, ni en termes de communication auprès des sociétés de producteurs et d’auteurs, puisqu’elle est contraire aux promesses qui leur avaient été faites.

Il n’est pas question, à mes yeux, de supprimer actuellement la publicité en journée et de priver ainsi France Télévisions de tout financement pérenne : en effet, l’Europe remet en cause le versement des 400 millions d’euros et, si la redevance est indexée, elle n’est jamais augmentée ! Je rappelle que nous préconisions le financement de France Télévisions par la redevance, car c’est la seule solution, du reste adoptée par la Grande-Bretagne et par l’Allemagne : elle constitue en effet le seul impôt pérenne permettant d’assurer le financement de France Télévisions. On ne saurait jongler avec l’argent du groupe, que nous souhaitons défendre – nous avons travaillé six mois d’arrache-pied à cette fin.

M. Guy Seligmann, président de la Société civile des auteurs multimédia – SCAM. Je relèverai une petite erreur historique : le parti socialiste a été partisan, en la personne du Premier ministre Michel Rocard, de la suppression totale de la publicité dans le service public.

M. Patrick Bloche. Il y a vingt ans.

M. Marcel Rogemont. Je n’ai évoqué que les vingt dernières années.

M. Guy Seligmann. Il ne faut pas oublier que c’est François Mitterrand qui y a renoncé, craignant de faire un trop beau cadeau à TF1 privatisé.

M. Michel Françaix. La question a donc été tranchée par les socialistes.

M. Guy Seligmann. Elle l’a été par François Mitterrand seul.

M. Marcel Rogemont. Je le répète : je n’ai évoqué que les vingt dernières années.

M. Guy Seligmann. J’ai également connu des députés du parti socialiste favorables à la suppression de la redevance.

Aux yeux de la SCAM, un service public fonctionne mieux sans publicité – tel avait été précisément le sens de notre action auprès de Michel Rocard.

Toutefois, compte tenu de la situation économique, ce n’est pas le moment de la supprimer en journée – la table ronde de ce matin n’a fait que le confirmer.

Monsieur Duhamel, si je reprends l’exemple de la BBC – je laisse de côté BBC One, qui est pire que TF1 et M6 réunis –, l’absence de publicité dans l’après-midi ouvre des espaces aux documentaires, indépendamment des magazines et des reportages sur le jardinage !

Je suis donc favorable au maintien de la publicité à l’heure actuelle. Toutefois, comme l’a proposé M. Traube, si la loi de mars 2009 doit être modifiée, il serait bien d’y prévoir, comme possibilité, la suppression totale de la publicité sur France Télévisions, à condition, comme l’a souligné Mme Sylvie Deschamps, que le financement du service public soit pérennisé.

M. Guillaume Pannaud, président de TBWA Paris. Les conclusions du groupe du travail de France Télévisions sur les producteurs sont connues ; ce n’est pas le cas des conclusions du groupe de travail sur le risque de distorsion de concurrence pour les agences de communication. Or, comme M. Hervé Brossard l’a noté, nous sommes en la matière dans un flou juridique. Selon la loi Sapin, une agence de conseil ne peut percevoir un quelconque avantage de la part du vendeur. Or, s’agissant du groupe Publicis, le vendeur, la régie et l’acheteur auraient des participations croisées. Qu’en est-il, dans ces conditions, de la notion d’« avantage » ? S’il n’y a pas, à proprement parler, de problème juridique, il est toutefois très difficile d’interpréter l’esprit de la loi. C’est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir nous aider en précisant les textes.

La distorsion éventuelle de concurrence serait d’autant plus forte en région, où France 3 a une part de marché extraordinaire et où le groupe Publicis occupe la position de leader. Il faut prendre garde à ne pas créer les conditions d’une situation de quasi-monopole.

M. Philippe Santini. Monsieur Pannaud, vous avez oublié de préciser que vous appartenez au même groupe que M. Brossard.

M. Guillaume Pannaud. Je ne m’en cache pas.

M. Philippe Santini. C’est une précision importante.

Il s’agit, de plus, d’un groupe américain. Enfin, je ne vous ai jamais rencontré en tant que client, contrairement à M. Hervé Brossard, qui est un de mes clients principaux.

Mesdames et messieurs les députés, la création pour Renault, qui est un des premiers investisseurs français, est assurée par Publicis. Qui fait l’achat d’espace ? Votre groupe, monsieur Pannaud. Ne s’agit-il pas en l’occurrence d’un conflit d’intérêts ?

M. Patrick Bloche. La table ronde a été passionnante. Je regrette, monsieur Courbit, que le temps nous manque pour considérer les éléments que vous avez développés. Je tiens toutefois à préciser, au nom des députés socialistes, que votre personne n’est pas en cause. Nous restons sur le terrain des réalités : à nos yeux, il y a bien conflit d’intérêts. Le ministre de la culture et de la communication vous a du reste demandé de choisir entre l’activité de producteur et celle de publicitaire.

M. Stéphane Courbit. Certaines attaques, bien ciblées, ne pouvaient s’adresser qu’à moi.

M. Patrick Bloche. Nous désirons rester sur le terrain financier ou historique.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je vous remercie, mesdames et messieurs, de votre participation à cette table ronde.

La séance est levée à treize heures cinq.

——fpfp——

Informations relatives à la Commission

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation a désigné M. Gilles d’Ettore rapporteur pour avis sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à l’action extérieure de l’État (n° 2339).

La commission des affaires culturelles et de l’éducation a désigné les membres de la mission d’information, commune avec la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur la protection des droits de l’individu face à la révolution numérique :

 

Groupe politique

M. Patrick Bloche

SRC

M. Bruno Bourg-Broc

UMP

    M. Jean-Jacques Gaultier

UMP

Mme Françoise Guégot

UMP

    Mme Muriel Marland-Militello

UMP

Mme Martine Martinel

SRC

Mme Françoise de Panafieu

UMP

M. Christian Paul

SRC

M. Franck Riester

UMP

M. Marcel Rogemont

SRC

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 7 avril 2010 à 9 heures

Présents. - M. Marc Bernier, Mme Gisèle Biémouret, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Monique Boulestin, M. Bruno Bourg-Broc, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. Jean-François Copé, Mme Pascale Crozon, M. Patrice Debray, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Delong, M. Bernard Depierre, Mme Marianne Dubois, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Gérard Gaudron, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Jacques Grosperrin, Mme Françoise Guégot, M. Michel Herbillon, Mme Françoise Imbert, Mme Jacqueline Irles, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, M. Pierre Lequiller, M. Claude Leteurtre, M. Alain Marc, Mme Muriel Marland-Militello, Mme Martine Martinel, M. Gilbert Mathon, M. Jean-Philippe Maurer, M. Michel Ménard, Mme Françoise de Panafieu, M. Christian Paul, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Daniel Spagnou, Mme Michèle Tabarot, M. Francis Vercamer

Excusés. - Mme Marie-Hélène Amiable, Mme Sylvia Bassot, Mme Danielle Bousquet, M. Édouard Courtial, M. David Douillet, M. Yves Durand

Assistaient également à la réunion. - M. Yves Censi, M. Didier Mathus