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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 12 mai 2010

Séance de 10 heures 

Compte rendu n° 43

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la lutte contre le dopage 2

– Présences en réunion 27

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 12 mai 2010

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Pierre Bordry, président de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), le Colonel Thierry Bourret, chef de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), M. Bertrand Jarrige, directeur des sports au ministère de la santé et des sports, M. Paul Leccia, président du Cercle des nageurs de Marseille, le Docteur Armand Mégret, médecin fédéral de la Fédération française de cyclisme, et le Professeur Michel Rieu, conseiller scientifique de l’AFLD, au sujet de la lutte contre le dopage,

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je suis très heureuse d’accueillir, pour cette table ronde sur la lutte contre le dopage, M. Pierre Bordry, président de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), accompagné de son conseiller scientifique, le professeur Michel Rieu ; le colonel Thierry Bourret, chef de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) ; M. Bertrand Jarrige, directeur des sports au ministère de la santé et des sports ; M. Paul Leccia, président du cercle des nageurs de Marseille, que je félicite pour l’excellence de ses résultats ; et le docteur Armand Mégret, médecin fédéral de la fédération française de cyclisme.

Nous vous remercions, messieurs, d’avoir répondu à notre invitation. Cette rencontre nous paraît importante alors que vont bientôt débuter des événements sportifs majeurs, avec leur lot d’interrogations et parfois, malheureusement, de scandales à propos de l’utilisation de produits dopants.

Les pouvoirs publics sont impliqués dans cette problématique. Le législateur s’est penché à plusieurs reprises sur la prévention et la répression du dopage. Une autorité indépendante a été mise en place dont M. Pierre Bordry est le président. Une ordonnance en date du 14 avril 2010 a transposé dans notre droit les dispositions du nouveau code mondial antidopage et doit prochainement être ratifiée par le Parlement.

C’est dans ce contexte que nous avons souhaité faire un tour d’horizon sur la lutte contre le dopage. Il est en effet important que nous ne nous laissions pas dépasser par des produits ou des procédés toujours plus sophistiqués. Nous attendons de vous, messieurs, que vous nous précisiez l’organisation de la lutte antidopage, l’articulation des interventions françaises et internationales et le rôle joué par les fédérations. Une autre table ronde sera prochainement organisée pour écouter le point de vue des sportifs.

M. Pierre Bordry, président de l’Agence française de lutte contre le dopage. Je vous remercie, madame la présidente, de nous avoir invités pour parler d’une question particulièrement importante sur laquelle le Parlement se doit d’être pleinement informé. Nous sommes très attachés à la transparence et fournirons toutes les réponses que nous pourrons à vos questions.

L’Agence française de lutte contre le dopage a succédé, en 2006, au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD) créé par la loi de 1999 de Mme Buffet, qui a fait beaucoup progresser la lutte antidopage. Le CPLD était une autorité indépendante chargée de la discipline, de la prévention et de la recherche en matière de lutte antidopage. Les contrôles étaient organisés par la direction des sports au ministère des sports et réalisés par le célèbre laboratoire de Châtenay-Malabry, qui était un établissement public administratif dépendant du ministère des sports. La compétence du Conseil s’exerçait sur tout le territoire national, que la compétition soit nationale ou internationale, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

L’AFLD a été créée par la loi d’avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs. Autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, l’Agence a le même statut que l’Autorité des marchés financiers. Mais elle a gardé la même structure et la même composition de son collège que le CPLD. Président de ce dernier, je suis devenu celui de l’Agence.

Indépendant de l’Agence et de son président, le directeur des contrôles conduit son action en fonction du plan général établi chaque année par le collège de l’Agence. Le directeur des analyses est le directeur du laboratoire de Châtenay-Malabry. Jusqu’à récemment, ce poste était tenu par M. de Ceaurriz, une personnalité exceptionnelle, compétente, courageuse, et qui a beaucoup payé de sa personne. Son décès en début d’année nous a conduits à lancer un appel à candidatures au niveau national et international pour assurer son remplacement. En attendant, c’est son adjointe, Mme Lane, qui a fait faire de grandes avancées au laboratoire, notamment en matière d’EPO, qui assure l’intérim.

Le collège de l’Agence est compétent pour la discipline. Il contribue à parrainer la recherche médicale et la recherche scientifique en matière de dopage et fait également de la prévention. Mais il n’a plus la compétence des contrôles lors des compétitions internationales, ce qui est source parfois de difficultés.

Le budget de l’AFLD est principalement alimenté par une subvention de l’État, à laquelle je suis personnellement très attaché car elle garantit l’indépendance à la fois du laboratoire et des contrôles. Mon souhait serait cependant que l’Agence dispose de ressources pérennes, car nous avons toujours eu des difficultés concernant notre budget.

La première difficulté provenait du décret présidant à la mise en place de l’Agence. Le Conseil d’État s’est en effet opposé à ce que ce soit le ministre des sports qui fixe le budget de l’Agence, suggérant que celle-ci adopte elle-même son budget puis qu’elle le transmette au ministère des sports et au ministère du budget, lesquels disposent aujourd'hui d’un délai de quinze jours pour demander une seconde délibération à l’Agence. Comme cette dernière n’est pas obligée de suivre la demande faite par les ministères, elle est libre d’adopter son budget comme elle l’entend.

Néanmoins, nous devons, chaque année, mener des discussions complexes pour obtenir une subvention suffisante. Ces discussions ont été encore plus difficiles cette année.

Le Gouvernement a cherché, au début de l’année, à instituer une taxe sur les licences sportives pour abonder une partie des recettes de l’Agence. Mais le projet s’est révélé très difficile à réaliser. Le montant de la taxe n’était pas suffisant par rapport au coût qu’aurait représenté pour l’Agence le recouvrement de cette taxe. Par ailleurs, cela aurait créé des contentieux avec certaines fédérations dont nous n’aurions jamais su le nombre exact de licenciés.

Le Gouvernement a ensuite proposé, lors du débat budgétaire à l’Assemblée nationale, une augmentation de 0,5 % de la taxe dite Buffet, ce qui aurait rapporté environ 4 millions d’euros, soit à peu près la moitié de la subvention de l’État à l’Agence.

Le Gouvernement ayant retiré cette proposition, la secrétaire d’État chargée des sports, Mme Rama Yade, s’est engagée devant le Sénat à attribuer les 4 millions sur le budget du ministère des sports. Le Journal officiel des débats au Sénat en fait foi. Or, à notre grande surprise, il n’était plus question, au mois de janvier, que de 2 millions d’euros. Nous devions trouver le reste comme nous le pouvions, par exemple en puisant sur notre fonds de roulement.

J’ai réagi par médias interposés en indiquant que j’attendais du Gouvernement qu’il tienne la promesse qu’il avait faite devant le Parlement. Après des discussions complexes, j’ai reçu, il y a quelques jours, une lettre du directeur de cabinet de la ministre m’assurant que les 4 millions d’euros nous seraient versés au mois de juin. Je n’ai aucune raison de douter de cet engagement. Mais vous comprendrez qu’il soit difficile de faire fonctionner une agence avec des incertitudes budgétaires de cette nature.

Comme le changement d’attitude du Gouvernement vis-à-vis de notre subvention était intervenu dans un contexte où le Tour de France 2009, dont le départ était proche, faisait l’objet d’investigations de notre part, cela a pu laisser penser que certains cherchaient à fragiliser le fonctionnement de l’Agence. Mais il n’en a rien été. Cette dernière a pu continuer à fonctionner dans des conditions normales.

Le fonds de roulement de l’AFLD a été constitué lorsque le laboratoire de l’Agence était un établissement public sous tutelle du ministère des sports. La plupart des laboratoires et des entreprises ont un fonds de roulement, mais nous ne faisons aucune « fixation » sur le nôtre. Si le ministère des finances nous en donne l’autorisation, nous sommes prêts à l’utiliser autrement si cela doit aider l’État dans le financement de notre Agence.

Le Tour de France 2008 a été très important pour elle car, du fait d’un conflit entre l’Union cycliste internationale (UCI) et le groupe Amaury, c’est nous qui avons effectué les contrôles antidopage, ce qui, d’une part, nous a conduits à travailler avec les agences nationales ou les autorités nationales existant dans les pays membres du Comité international olympique (CIO) et, d’autre part, nous a valu une reconnaissance internationale.

Nous avons travaillé avec les agences nationales de deux manières. Premièrement, les agences nous ont fourni des renseignements sur les coureurs. Deuxièmement, nous avons renvoyé les sportifs que nous avons détectés positifs devant les autorités nationales concernées. Par exemple, c’est l’autorité autrichienne qui a traité le cas de Bernhard Kohl dont les contrôles s’étaient révélés positifs à l’EPO Cera. À la suite de cela, le gouvernement autrichien a décidé de renforcer les moyens d’action de cette autorité qui, depuis, travaille dans de très bonnes conditions.

De même, c’est l’agence allemande qui, à notre demande, a transmis les documents de positivité à Stefan Schumacher et engagé une procédure contre lui. Celle-ci a été assez longue car M. Schumacher estimait que nous n’avions pas procédé au contrôle dans de bonnes conditions. Mais la sanction de deux ans que nous lui avons infligée a été confirmée par le Conseil d’État puis par le tribunal arbitral du sport.

L’efficacité des contrôles qui, depuis 2008, est reconnue au niveau international, repose à la fois sur le recueil de renseignements sur les sportifs et sur le ciblage effectué ensuite à partir de ces renseignements. En effet, nous ne jugeons pas utile de faire des prélèvements sur tous les sportifs. Comme nous pensons qu’il y a encore, fort heureusement, un nombre important de sportifs qui ne se dopent pas, nous essayons d’utiliser les renseignements pour frapper là où est le mal, sans soumettre tout le monde à des contrôles, ce qui répond également à un souci économique car les prélèvements coûtent cher. Le ciblage est maintenant recommandé par l’Agence mondiale antidopage (AMA).

Grâce à notre reconnaissance internationale, nous participons avec beaucoup d’efficacité et d’intérêt au développement des autorités nationales dans les différents pays du monde. Nous nous réunissons fréquemment, nous échangeons des informations et nous nous soutenons face aux situations complexes. L’AMA a d’ailleurs encore réfléchi, le week-end dernier, aux moyens de renforcer les autorités nationales pour faire face aux fédérations internationales et les empêcher d’être maîtresses du jeu. J’ai d’ailleurs noté avec stupeur que pratiquement toutes les agences nationales avaient des difficultés avec l’UCI.

Dans le cadre d’une loi promulguée en juillet 2008, Mme Bachelot a fait obligation aux personnels du ministère des sports et à ceux de l’AFLD de fournir les informations qu’ils peuvent avoir aux autorités judiciaires. Le travail avec les services de la gendarmerie, de la police judiciaire et des douanes est très utile, à la fois pour le ciblage des sportifs et pour la connaissance des nouvelles méthodes de dopage employées. Dans le Tour de l’Avenir du mois de septembre dernier, qui prépare des jeunes de vingt ans au Tour de France, les douanes ont arrêté un véhicule qui contenait non seulement des produits lourds de dopage, des matériels dopants, des méthodes et des procédés pour se doper, mais également des protocoles pour échapper aux contrôles ou pour ne pas être positif au moment du prélèvement. En Australie, où la lutte antidopage est assez importante, 60 % des produits dopants sont découverts par les douanes.

L’AFLD entretient de bons rapports avec l’Agence mondiale antidopage. Le président de l’AMA vient toujours nous voir quand il est de passage en France. Les initiatives que nous prendrons à l’égard du Tour de France 2010 seront définies en accord avec l’Agence mondiale.

Il est assez troublant de constater que c’est avec le cyclisme que nous avons le plus de difficultés. Il y a actuellement quatre affaires judiciaires lourdes en France concernant des équipes cyclistes, dans des courses internationales comme dans des compétitions nationales. On ne peut pas laisser le cyclisme s’enferrer dans une telle situation. Je précise que, contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, ce n’est pas à cause de l’Agence qu’il y a des dopés, mais c’est grâce à la politique ciblée et efficace qu’elle mène qu’on en découvre. On préférerait ne pas en trouver, d’autant que, depuis la loi Avice de 1984, il est prévu que les fédérations sportives aient une délégation de service public. Les services de l’État devraient être plus attentifs en ce domaine quand la situation n’est pas complètement transparente. Il est arrivé dans le passé qu’une délégation de service public soit retirée à une fédération.

M. Bertrand Jarrige, directeur des sports au ministère de la santé et des sports. Avant de vous présenter l’ordonnance du 14 avril 2010, je rappellerai brièvement le cadre général de la politique antidopage en France, laquelle intègre non seulement la lutte contre le dopage et contre les trafics, mais aussi les actions de prévention, d’éducation et de recherche.

En application de la convention internationale de 2005 contre le dopage dans le sport, adoptée sous l’égide de l’UNESCO, la France a mis en place, depuis 2006, avec la loi Lamour, une législation conforme aux principes du code mondial antidopage, adopté lors de la conférence mondiale antidopage de Copenhague en 2003, puis révisé à Madrid en 2007.

Suivant ces principes, la lutte contre le dopage à l’occasion des compétitions internationales est de la compétence des fédérations sportives internationales ou des organismes sportifs internationaux. En France, tous les autres champs de la lutte contre le dopage relèvent de l’AFLD qui, comme vient de le rappeler son président, est une autorité publique indépendante.

Le ministère de la santé et des sports est, pour sa part, responsable – outre de l’élaboration des lois et règlements – de la politique de prévention du dopage. Il coordonne les activités de recherche dans le domaine du dopage et assure la représentation de la France auprès des organismes internationaux tels que l’UNESCO, le Conseil de l’Europe, l’Union européenne ou l’Agence mondiale antidopage.

En matière de répression des trafics de produits dopants, les autorités judiciaires françaises sont pleinement compétentes sur le territoire national, en liaison avec le ministère de la santé et des sports. Elles disposent d’un office central de police judiciaire – l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique dont je salue le responsable ici présent, le colonel Bourret, et collaborent activement avec Interpol. L’arsenal répressif, comme l’a souligné le président Bordry, a été considérablement renforcé par la loi Bachelot de 2008.

Dans ce cadre général, quelle sont les principales avancées introduites par la récente ordonnance du 14 avril dernier, issue de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST ?

L’objet essentiel de cette ordonnance est de mettre les dispositions de la loi française en conformité avec les principes du code mondial antidopage dans sa rédaction applicable au 1er janvier 2009.

Tout d’abord, l’ordonnance précise la définition du sportif soumis aux règles antidopage ainsi que la distinction entre les manifestations sportives nationales et internationales afin d’éviter toute divergence sur ce point entre la loi française et le code mondial antidopage. Elle étend la compétence de l’AFLD en matière de contrôles aux périodes d’entraînement préparant les compétitions internationales, d’où l’intérêt des renseignements échangés entre les agences nationales dont a parlé le président Bordry.

L’ordonnance prévoit également la possibilité pour l’AFLD de réaliser des contrôles additionnels lors des compétitions internationales, avec l’accord de la fédération internationale compétente ou, à défaut, celui de l’Agence mondiale antidopage.

L’ordonnance précise la composition du « groupe cible » de l’AFLD et la met en cohérence avec les préconisations de l’AMA. Par ailleurs, pour éviter les stratégies d’évitement et l’application de protocoles non détectables lors des contrôles, les sportifs appartenant au groupe cible ont désormais l’obligation d’indiquer leur localisation, y compris pendant les périodes hors compétition et hors entraînement.

En matière d’utilisation des substances ou de méthodes interdites, l’ordonnance précise, conformément aux dispositions du code mondial, les notions d’autorisation d’usage à des fins thérapeutiques – AUT – et de déclaration d’usage.

L’extension de la liste des agissements interdits et de l’éventail des sanctions pouvant être prononcées par l’AFLD permettra une répression plus efficace des faits de dopage et de détention ou de trafic de produits dopants.

Nouveauté importante : l’ordonnance étend aux organismes sportifs internationaux et aux organisateurs de compétitions l’obligation de signaler à l’autorité judiciaire des faits délictueux en matière de détention ou de trafic de produits dopants dont ils auraient connaissance.

Enfin, le délai de prescription en matière disciplinaire pour des faits de dopage est désormais de huit ans à compter du contrôle. Pendant cette période, il peut être procédé à de nouvelles analyses des échantillons, notamment avec des techniques de contrôle qui n’existaient pas au moment où ceux-ci ont été réalisés. Les nouvelles méthodes mises au point par le laboratoire de Châtenay-Malabry ont permis des avancées considérables dans ce domaine.

Les décrets d’application de l’ordonnance font l’objet d’une consultation avec les parties concernées – AFLD, fédérations sportives, Comité national olympique et sportif français – afin de parachever la mise en conformité du droit français avec le code mondial antidopage. Celle-ci est nécessaire pour pouvoir accueillir en France de grandes compétitions internationales.

M. le professeur Michel Rieu, conseiller scientifique de l’AFLD. Mon approche sera un peu plus rébarbative, mais il est important que vous soyez informés des problèmes scientifiques auxquels nous sommes confrontés.

Les techniques ont beaucoup évolué et, depuis 1990, on assiste à un véritable changement d’échelle à la fois dans les trafics et les méthodes utilisées.

Il me paraît important de rappeler quelques grandes notions. D’abord, le dopage a pour objectif principal d’aider le sportif dans sa préparation. Pour cette raison, son usage est étroitement lié à l’entraînement physique et appliqué à distance des compétitions. Ensuite, dans le sport de haut niveau, le dopage est appliqué par des professionnels qui connaissent parfaitement la pharmacologie et la médecine du sport. Enfin, le dopage ne concerne pas seulement les sportifs de haut niveau, mais il touche l’ensemble du milieu sportif, y compris les jeunes. Il constitue un vrai problème de santé publique.

La lutte antidopage se heurte à plusieurs difficultés.

La première vient de ce que, comme je viens de le dire, les protocoles de dopage sont, dans le sport de haut niveau, élaborés par de vrais scientifiques qui connaissent parfaitement les propriétés des médicaments utilisés, leurs effets physiologiques et leurs associations possibles, les vitesses d’élimination des substances et leur période de détection dans les urines, la durée des effets physiologiques et les effets secondaires néfastes des produits. Ils peuvent également accéder, parfois de façon officielle, à des laboratoires capables de détecter la présence résiduelle de produits interdits dans le sang et dans l’urine avant la compétition. Encore plus préoccupant, ils ont connaissance des molécules en cours d’étude avant leur mise sur le marché.

Par ailleurs, la distinction est difficile entre des molécules endogènes, c’est-à-dire naturelles, et des molécules artificielles comme l’EPO ou l’hormone de croissance, ou encore entre des autotransfusions, c’est-à-dire des transfusions du sang d’un même individu conservé, et des homotransfusions à partir du sang d’une autre personne.

La vitesse d’élimination des produits est souvent très grande, ce qui donne des fenêtres de détection très courtes : quarante-huit heures pour l’EPO ou le Salbutamol, c’est-à-dire la Ventoline, quelques heures pour l’hormone de croissance.

Les professionnels du dopage utilisent des protocoles très pertinents reposant sur l’association de médicaments à très faible dose qui se potentialisent les uns les autres. Nous trouvons parfois dans les armoires à pharmacie des sportifs des médicaments dont on sait qu’ils sont utilisés pour le dopage alors que les contrôles se révèlent négatifs.

De nouvelles méthodes sont utilisées à l’aide de molécules innovantes – c’est ce qu’on appelle la pharmacologie intelligente. Nous craignons également qu’il soit fait appel à la thérapie génique.

Les standards de l’AMA posent également des problèmes. Le concept de seuil de substance n’est pas pertinent sur le plan scientifique. Les autorisations pour usage thérapeutique sont parfois de véritables pousse-au-crime. La liste des produits interdits est fermée. Elle laisse peu de place à l’innovation.

Les techniques de fraude ont beaucoup évolué. S’y ajoutent les indiscrétions qui permettent de prévenir les sportifs à l’avance, même dans le cas de contrôles dits inopinés. Les urines sont parfois falsifiées. De même, les règlements fédéraux sont parfois tellement rigides qu’ils rendent quasiment impossibles les contrôles inopinés.

L’AFLD ne peut pas intervenir lors des compétitions internationales. Or, il règne un flou dans la dénomination des rencontres. Nous pouvons évoquer le cas d’une fédération qui annonce 70 compétitions de niveau international alors qu’il ne s’agit, quand on y regarde de plus près, que de compétitions subalternes.

Les contrôles sont également différents selon que les sportifs sont français ou étrangers.

La notion de « passeport biologique », développée par l’UCI et reprise en partie par l’AMA, pose également un problème. Je la comparerai à celle de « profilage biologique » sur laquelle nous travaillons à l’heure actuelle.

Le concept de base est le même : il consiste à utiliser des paramètres biologiques sanguins et urinaires validés dont les variations anormales chez un sportif donné suggèrent l’existence d’un dopage. Cela exige que des prélèvements inopinés soient répétés à des moments opportuns durant toute l’année chez un même sportif, qui constitue sa propre référence.

Mais les objectifs sont très différents. Dans le cas du passeport, la constatation d’une anomalie devrait avoir pour conséquence une interdiction de pratique liée à une décision disciplinaire. Or cette démarche pose des difficultés juridiques majeures parce qu’une suspicion n’est pas une preuve. Dans le cas du profilage, l’analyse des anomalies doit avoir pour résultat l’identification d’une population suspecte de dopage. La sanction n’intervient qu’après réunion de preuves obtenues par la détection des produits dopants incriminés.

Autrement dit, dans le cas du passeport, on passe d’un préciblage à une suspicion, débouchant sur une sanction, alors que, dans le cas du profilage, on effectue, en partant d’un même préciblage, le fléchage d’une population à risque et seule la détection débouche sur une sanction.

Passeport et profilage biologiques sont évidemment astreints aux mêmes contraintes. Les prélèvements doivent être inopinés et s’inscrire dans le cadre des contrôles antidopage, c’est-à-dire être effectués par des médecins préleveurs assermentés et faire l’objet de procès-verbaux officiels. Les modes de recueil, de conditionnement et de conservation des échantillons sont standards. Les analyses sont effectuées au sein d’un laboratoire unique agréé par l’Agence. Il est assuré une confidentialité absolue des résultats aussi bien vis-à-vis du sportif que des cadres fédéraux, y compris des médecins, sauf dans le cas où les résultats suggèrent l’existence d’une pathologie.

Plusieurs évolutions nous paraissent importantes pour l’avenir.

Il faut organiser un débat contradictoire avec le comité de liste de l’AMA, multiplier les contrôles inopinés – pendant les compétitions et en dehors de celles-ci – et être informé des nouvelles molécules potentiellement dopantes – qu’elles soient déjà mises sur le marché ou en phase de recherche clinique – et de leur méthode d’analyse. Il faut également développer les méthodes de détection et rechercher les indicateurs biologiques indirects permettant de dépister les populations à risque, comme dans le dispositif du passeport ou du profilage biologiques.

Il faut mettre fin à la confusion qui existe entre suivi médical longitudinal destiné à assurer la protection de la santé des sportifs et la lutte antidopage proprement dite. Il importe également de mieux finaliser la stratégie des contrôles et, ainsi, de réduire le gaspillage inhérent à une démarche antidopage conduite à « l’aveugle ». Il est essentiel de disposer de données statistiques permettant d’évaluer le volume des populations à risque dans les principales disciplines sportives. Il faudra sans doute avoir aussi un effet dissuasif.

En conclusion, la recherche constitue un atout majeur de la lutte antidopage. La détermination de signes indirects, cliniques et biologiques, permettant d’identifier les individus suspects d’avoir une conduite dopante, et la mise au point de méthodes de détection des produits dopants apportant la preuve du dopage, sont les deux axes de recherche de l’Agence. Ils seront développés au cours du colloque qui aura lieu le 10 juin en même temps que sera présenté le bilan des recherches menées pendant les quatre dernières années.

L’étendue et la nature des médicaments découverts dans les enquêtes effectuées par les forces publiques – douanes, gendarmerie et police –, la présence de certains de ces médicaments étant des plus incongrue chez des sportifs présumés en bonne santé, et la jeunesse de certaines populations touchées – M. Bordry a cité le cas du Tour de l’Avenir ; selon plusieurs études que nous avons menées dans le cadre de l’Union nationale du sport scolaire (UNSS) il ressort que 10 % des jeunes ont été confrontés au problème du dopage – montrent que la lutte contre le dopage représente un enjeu de santé publique qu’il convient de traiter en priorité au niveau national.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je vous remercie, messieurs, pour ces présentations. Je donne maintenant la parole aux députés de la Commission.

M. David Douillet. Je note que le « P » de CPLD ne figure plus dans AFLD. Est-ce à dire que la prévention est aujourd’hui confiée au ministère des sports et que l’Agence ne s’en occupe plus du tout ?

M. Bertrand Jarrige. Elle y participe.

M. David Douillet. Qu’est-il fait aujourd’hui en matière de prévention ? Comme vient de le souligner le professeur Rieu, les produits et les méthodes se compliquent et les tricheurs sont difficiles à attraper car ils ont toujours un coup d’avance. Il conviendrait peut-être de traiter le problème à la racine et de faire comprendre aux jeunes que le dopage est une voie qui n’a rien à voir avec l’esprit sportif et le monde du sport.

Comment se décompose le budget de l’AFLD ? En particulier, quelle est la part qui revient respectivement à la prévention, à la recherche et à la formation des médecins préleveurs ? Des vices de forme ont été invoqués à cause de prélèvements non-conformes, sans doute liés à un manque de formation de ces médecins.

Que penseriez-vous de vous rapprocher des grands laboratoires mondiaux qui travaillent sur les nouvelles molécules pour leur demander d’introduire des marqueurs, comme c’est déjà le cas pour l’EPO, afin d’établir une traçabilité de ces nouvelles molécules et, ainsi, faciliter la détection des tricheurs ?

Mme Valérie Fourneyron. Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir organisé cette table ronde. Il sera également important, comme vous l’avez suggéré, d’entendre des représentants du mouvement sportif français sur ce sujet.

Je remercie M. Pierre Bordry pour la lutte qu’il mène, contre vents et marées, depuis 2006 et pour le rôle moteur joué par son agence sur le plan international.

Je relaie son souhait que l’AFLD soit dotée de ressources pérennes car les péripéties de cette année autour de son financement nous ont inquiétés. Il ne faudrait pas que 2010 soit l’année d’un renoncement national en matière de lutte antidopage. Dans le cadre de l’examen du projet de loi HPST, le rapporteur M. Rolland a dû déposer un amendement s’opposant à ce que, au moyen d’un autre amendement, le gouvernement légifére davantage par ordonnance, ce qui aurait enlevé une bonne partie de l’autonomie de l’AFLD. Alors que la crédibilité de l’Agence a été publiquement remise en cause par le président de l’UCI le week-end dernier à Montréal, j’aimerais avoir des assurances sur la position du Gouvernement.

Quelle est la place du GPS, c’est-à-dire de la localisation des sportifs par le système d’administration et de gestion anti-dopage, dit logiciel ADAMS, dans l’ensemble des procédures de l’Agence ?

Que pensez-vous du nouveau standard pour la procédure d’autorisation d’utilisation à des fins thérapeutiques (AUT) ? On sait que c’est un biais largement utilisé par les sportifs qui se dopent.

Selon M. Jarrige, le ministère des sports coordonne les activités de recherche dans le domaine du dopage. Quels sont les rôles respectifs du ministère et du laboratoire de Châtenay-Malabry en matière de recherche à la fois sur les techniques d’analyse et de dépistage et sur les conséquences des pratiques sportives de haut niveau sur le corps humain ?

À quelles obligations de formation sont tenus les médecins, les cadres fédéraux, les entraîneurs et même les jeunes dans les pôles ? Ces obligations sont-elles respectées ?

Combien existe-t-il d’antennes médicales de prévention du dopage ? Quel bilan faites-vous de leur fonctionnement ?

Comment s’applique le droit du travail français vis-à-vis des sportifs étrangers qui viennent exercer leur activité professionnelle en France ?

La procédure actuelle permet-elle d’aller jusqu’au bout du dispositif de sanction ou considère-t-on que, pour des raisons supérieures, les contrôles positifs peuvent faire l’objet d’un « classement vertical » ?

Mme Marie-George Buffet. Je m’associe à l’hommage rendu par M. Bordry à M. de Ceaurriz pour la qualité du travail de celui-ci et le grand courage dont il a fait preuve dans son combat contre le dopage. J’étends cet hommage à M. Bordry lui-même et à l’ensemble des personnels de l’Agence et du laboratoire de Châtenay-Malabry.

Je me réjouis, madame la présidente, que vous envisagiez d’organiser une autre table ronde. Il me semble en effet très important d’entendre les sportives et les sportifs ainsi que leurs associations et syndicats à la fois sur la prévention, le calendrier sportif et le rôle des antennes médicales de prévention du dopage.

Le comité national olympique et sportif français – CNOSF – est-il toujours partie prenante dans la lutte antidopage ou sentez-vous qu’il y a une banalisation de cette lutte au sein du mouvement sportif ?

La délégation de service public n’a été supprimée qu’une seule fois : à la fédération d’haltérophilie, que nous avons été obligés de reconstruire entièrement ensuite. Mais il faut reconnaître qu’il faut continuellement rappeler aux fédérations qu’elles sont porteuses d’une mission de service public, notamment en matière de santé des sportives et des sportifs.

L’indépendance de l’AFLD vis-à-vis à la fois du monde politique et du monde sportif est essentielle. Ministre des sports au moment où c’est lui qui était chargé de prononcer les sanctions, j’ai connu ce que voulait dire le mot « pressions ». L’indépendance passe, comme vous l’avez souligné, monsieur Bordry, par un budget pérenne et des moyens publics. Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur du budget qui pourrait permettre à l’Agence de se déployer complètement ?

Vous vous êtes félicité de la bonne entente qui régnait entre l’AFLD et l’AMA. Comment va-t-elle se concrétiser dans le déroulement du Tour de France 2010 ?

Sans revenir sur ce qui s’est passé à Tignes en 1998, quelles dispositions sont prises à la fois pour l’entraînement de nos joueurs en France et pour la lutte antidopage pendant la Coupe du Monde en Afrique-du-Sud qui va débuter dans quelques jours ?

Enfin, quelle action est menée par l’Agence et le ministère des sports en direction de l’AMA pour faire évoluer la liste des produits interdits et, notamment, son mode d’élaboration ?

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je confirme qu’il est dans mes intentions d’organiser une nouvelle table ronde où seront conviés les sportifs.

M. Jean Roatta. On parle beaucoup du cyclisme. Mais il y a beaucoup d’autres disciplines où il est demandé de plus en plus d’efforts aux sportifs.

Certains sportifs retournent au sport après avoir été sanctionnés et repartent pour une nouvelle carrière. Ce n’est pas un très bon exemple pour les jeunes sportifs. Ils peuvent en conclure qu’il n’est pas grave de se faire prendre puisque cela n’empêche pas de poursuivre sa carrière.

M. Henri Nayrou. En tant que rapporteur du budget du sport au nom de la Commission des finances, je reviendrai sur les menaces qui ont pesé sur le budget de l’AFLD. Je qualifierai les revirements du Gouvernement de pas très sérieux, pour employer des termes diplomatiques, et de carrément indécents en termes moins diplomatiques. Au moment où les paris ouverts font leur entrée dans le monde du sport, il ne faut pas baisser la garde et encore moins le financement de la lutte antidopage. Une addition d’addictions ferait très mal au mouvement sportif.

M. Jacques Grosperrin. À mon tour, je vous remercie, madame la présidente, d’avoir organisé cette table ronde.

On dit du dopage que c’est un cancer généralisé nécessitant une assistance respiratoire. Je me demande, quant à moi, s’il est guérissable. On a essayé de faire peur aux jeunes en disant que le dopage était très dangereux pour la santé. Il n’est pas prouvé que les personnes qui se sont dopées contractent plus de cancers. On a essayé de décrédibiliser certains sports comme le cyclisme en les qualifiant de dangereux. Or depuis 2008, il y a de moins en moins de cyclistes qui se sont fait prendre et il y a toujours autant de spectateurs lors du Tour de France.

En matière de contrôles antidopage, n’y a-t-il pas une inégalité entre les coureurs français et les coureurs étrangers ? L’UCI n’est pas obligée de vous communiquer la liste des sportifs susceptibles d’être dopés. Par ailleurs, nos compatriotes des régions ultramarines ont plus de produits dopants dans le sang que ceux de l’hexagone.

Ne pourrait-on impliquer les sponsors dans la lutte antidopage en leur suggérant de ne plus soutenir certains types de sports ?

Comme y a fait allusion Mme Buffet, le fait que les Bleus ont gagné la Coupe du Monde en 1988 les a fait échapper aux contrôles qui étaient envisagés. Il règne une vraie hypocrisie en la matière : ceux qui se font prendre sont les moins riches, les moins bons et les moins avisés.

Faut-il criminaliser le dopage, comme le souhaite le comité international olympique ? C’est une question à étudier quand on voit que le dopage touche également les jeunes du Tour de l’Avenir et des championnats de l’Union nationale du sport scolaire (UNSS). À ceux-là, il faudrait également ajouter les jeunes qui étudient pour devenir professeurs de sport ou d’éducation physique. J’ai été professeur à l’UFR de Franche-Comté : je sais que des étudiants prennent des produits pour être plus performants aux épreuves physiques et sportives qu’ils doivent passer. Or, ce sont de futurs éducateurs.

Enfin, il faudrait réfléchir au moyen de récupérer une partie de l’argent mis sur les paris sportifs pour lutter de manière plus efficace contre le fléau du dopage qui est un véritable problème de santé publique.

M. Patrice Debray. M. Bordry souhaite continuer à recevoir une subvention de l’État pour garder son indépendance, ce qui se comprend. Mais ne pourrait-on réfléchir à un partenariat public-privé avec une ou plusieurs fondations abondées par des laboratoires pharmaceutiques, spécialisés notamment dans la fabrication de tests de dépistage ? On pourrait également créer une fondation antidopage afin d’abonder les fonds de l’AFLD.

Quel est par ailleurs le statut des sportifs malades ? Un sportif diabétique, hypertendu ou asthmatique a recours à des substances comme les bêtabloquants, l’insuline ou la cortisone – Lance Armstrong a été traité pour une tumeur maligne. Y a-t-il des règles qui régissent la prise de ces médicaments ? Ces sportifs sont-ils également soumis à un contrôle ?

M. Pascal Deguilhem. Selon les chiffres cités par le professeur Rieu, 10 % des pratiquants sportifs à l’UNSS ont été confrontés au problème du dopage, ce qui tendrait à dire que 100 000 jeunes sur le million de licenciés à l’Union seraient concernés par ce problème ? Quelles mesures de prévention sont prises pour faire face à ce phénomène, si tant est que ce pourcentage soit confirmé ?

Mme Marie-Hélène Amiable. Ma question s’adresse au directeur des sports et concerne la prévention puisque entre 3 et 5 % des enfants et des adolescents déclarent avoir déjà utilisé des produits interdits. Lors de l’examen de la loi d’avril 2006, il avait été préconisé de s’appuyer sur les personnels de l’Éducation nationale pour faire de la prévention et donc de les former sur ces thèmes. Le guide du ministère publié en octobre 2008 insistait aussi sur ce point. Qu’en est-il aujourd’hui ?

M. Christian Hutin. Ma question s’adresse au colonel Bourret. M. Bordry a insisté sur l’importance des investigations dans le cadre de la lutte contre le dopage. Leur nombre est-il en augmentation ?

En tant que président du groupe d’études « Éthique et dopage dans le sport » et vice-président du groupe d’étude de l’amiante, je me suis aperçu que ce sont les mêmes opérateurs judiciaires qui interviennent sur les deux sujets. Les moyens humains de l’OCLAESP sont-ils suffisants pour intervenir sur tous les fronts ?

M. le colonel Thierry Bourret, chef de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. L’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique est relativement récent puisqu’il a été créé par un décret de 2004. Aux deux grandes missions qui lui étaient assignées par le décret – la problématique environnementale et la problématique de la santé publique – est venue s’ajouter celle de l’amiante puisque, sur décision du Garde des sceaux, nous avons été désignés service coordonnateur pour l’ensemble des enquêtes réalisées sur le sujet.

L’Office a commencé avec des moyens très modestes puisqu’il ne fonctionnait au départ qu’avec 19 agents. Aujourd’hui, malgré la révision générale des politiques publiques – RGPP –, il compte 45 agents et ce nombre devrait encore augmenter prochainement.

Un office central n’a pas vocation à traiter l’ensemble des problématiques. L’OCLAESP a une mission d’assistance, d’animation et de coordination, une mission d’observation et de centralisation de l’information, une mission d’assistance auprès de ses partenaires, notamment les ministères, et il doit également traiter toutes les demandes internationales. Comme j’ai l’habitude de le dire, il a derrière lui, pour réaliser ses actions, 140 000 policiers et 100 000 gendarmes.

Le dossier de l’amiante est l’un des plus importants de l’Office puisqu’il mobilise 11 personnels à temps plein, soit presque la moitié de ses moyens enquêteurs, auxquels s’ajoutent 70 enquêteurs qui couvrent l’ensemble du territoire national. Sur les 62 commissions rogatoires qui nous ont été adressées par la justice, plus de 34 ont été rendues et 26 sont en cours. Nous avons bon espoir d’en rendre plus d’une dizaine d’ici à la fin de l’année, de manière à commencer l’année 2011 avec la perspective d’arriver au bout de cette mission très importante.

Concernant le dopage, la montée en puissance de l’Office se poursuit. Un représentant du ministère est venu grossir nos effectifs le 1er janvier. Nous avons mis en place une chaîne dite environnementale et de santé publique afin de spécialiser 600 enquêteurs pour couvrir l’ensemble du territoire national et apporter des réponses aux niveaux départemental, régional et national. Cette chaîne, qui se déploie depuis le 1er septembre, est renforcée par un volet international puisqu’un de nos officiers, détaché à Interpol depuis le 1er septembre, vient élargir nos moyens d’information. Il nous manque encore quelques personnels interministériels. Des places ont été offertes à certaines administrations mais n’ont pas été honorées. Je ne refuserais pas non plus quelques enquêteurs supplémentaires.

Cela étant, malgré la RGPP, l’Office s’inscrit dans une dynamique de développement.

M. Pierre Bordry. Je vais essayer de répondre à toutes les questions qui ont été posées mais, si j’en oublie, sachez que l’Agence est à la disposition des parlementaires. Tous nos dossiers sont ouverts au rapporteur du budget. Il le sait bien, puisqu’il est déjà venu au siège de l’Agence. Je précise également que nous nous sommes rendus devant la commission d’évaluation des politiques publiques pour exposer le fonctionnement de l’Agence et son organisation budgétaire.

M. David Douillet était membre du CPLD et a donc été associé aux actions de prévention organisées par le Conseil. Celles-ci étaient peu de chose, à la fois par manque de moyens et par manque de connaissance sur le sujet. Il faut bien connaître les protocoles de dopage et le dopage lui-même pour pouvoir expliquer aux jeunes ce qu’il faut éviter de faire.

L’AFLD n’a plus, comme M. Douillet l’a noté, le mot « prévention » dans son titre mais elle reste associée aux opérations de prévention, comme à celles menées du temps du CPLD dans la grande étape du Tour de France ou lors du Marathon de Paris. Mais l’Agence rencontre des difficultés financières, difficultés qui ont encore été aggravées cette année du fait d’un manque de visibilité sur son budget.

Je reconnais que nos actions de prévention sont pauvres et que cet état de fait est malheureux.

Si le Gouvernement tient sa promesse, notre budget pour 2010 s’établira à 8,751 millions d’euros, avec une subvention de l’État de 7,8 millions. Nous sommes très attachés à la subvention publique car elle garantit notre indépendance. La partie privée de nos ressources provient des contrôles, prélèvements et analyses que nous réalisons pour d’autres agences nationales antidopage, à leur demande. Nombre d’agences nationales nous font confiance et nous demandent de réaliser des analyses à leur place, soit sur des prélèvements effectués sur des sportifs restés sur leur territoire, soit sur des sportifs de leur nationalité s’entraînant en France. Je viens de recevoir une lettre du président de l’Agence du Luxembourg qui se félicite des travaux du laboratoire de Châtenay-Malabry et des relations avec notre agence alors que, dans le même temps, il vient de recevoir une injonction du président de l’UCI, Patrick McQuaid, de ne plus travailler avec nous.

Notre fonds de roulement se monte à environ 3,9 millions d’euros.

L’Agence emploie, sur son budget propre, 61 agents : 42 au département des analyses – dont 37 scientifiques travaillant au laboratoire –, 7 au département des contrôles et 12 à l’administration générale de l’Agence, auxquels s’ajoutent, grâce à l’Assemblée nationale, 2 autres collaborateurs.

Je ne peux pas encore chiffrer nos besoins pour l’année prochaine car nous n’avons pas fait d’étude sur le sujet. Cependant la localisation des sportifs étant une procédure très lourde, nous devrions sans doute être augmentés en personnels pour tenir notre rang dans cette opération très importante.

Par ailleurs, nous assistons à une judiciarisation de l’intervention disciplinaire : les sportifs positifs viennent maintenant devant le collège de l’Agence accompagnés d’une batterie d’avocats et sont prêts à poursuivre les recours jusqu’au bout. Sachant qu’ils ne peuvent pas se défendre sur le fond, ils attaquent la procédure, d’où l’importance d’avoir des médecins préleveurs bien formés à la fois sur le plan technique et sur le plan juridique.

Ces derniers sont des gens remarquables et dévoués à la cause antidopage, mais ils n’ont pas une formation de juriste. Il est arrivé qu’ils oublient de cocher des cases de procès-verbaux de prélèvement, ce dont les avocats des sportifs savent tirer profit.

Nous faisons de gros efforts de formation. Nous songeons à spécialiser les médecins préleveurs selon les compétitions ou selon leur localisation, et même à créer un corps de médecins préleveurs travaillant principalement pour l’Agence.

Nous travaillons beaucoup avec les représentants du ministère des sports dans les départements. Nous sommes d’ailleurs liés à celui-ci par des conventions. Mais les regroupements qui se dessinent me semblent créer un petit fossé entre les directions régionales des sports d’autrefois et le monde sportif, ce qui nous complique parfois la tâche pour désigner des médecins en accord avec les correspondants départementaux ou régionaux.

Nous n’avons pas de raison, madame Buffet, de penser que le CNOSF soit moins engagé qu’avant. Nous avons participé avec lui et différents représentants du monde associatif à un colloque sur la lutte antidopage, auquel était également présent Interpol.

Je laisse le soin au professeur Rieu de répondre aux questions portant sur le laboratoire, les AUT et la santé des sportifs.

Mme Fourneyron ayant fait allusion à la déclaration de M. McQuaid à Montréal, je m’attarderai quelques instants sur les difficultés que nous connaissons avec cette fédération internationale.

Lors du Tour de France 2009, nous avons tenté d’établir une convention avec l’UCI pour l’organisation des contrôles à la fois pendant la période d’entraînement, qui a lieu en mai et juin, et pendant la compétition elle-même. L’UCI devait nous donner la localisation des cyclistes étrangers sur le territoire national quand ils venaient s’entraîner chez nous. Ces informations ne nous ont pas été fournies ou, quand elles l’étaient, elles nous étaient données la veille pour le lendemain, alors qu’elles sont connues des différentes fédérations internationales. Nos protestations, réitérées quotidiennement, n’ont servi à rien.

En accord avec l’AMA, j’ai demandé, dans un courrier récent, à M. McQuaid de nous donner la localisation des sportifs étrangers venus s’entraîner sur notre sol par le réseau ADAMS. M. McQuaid nous refuse l’accès à ce réseau. J’ai saisi l’AMA. M. McQuaid propose de faire comme l’année dernière, ce que nous ne voulons pas puisque cela n’a pas été efficace.

Au cours de sa réunion qui s’est tenue le week-end dernier, l’AMA a réaffirmé l’intérêt de la localisation des sportifs par le biais du logiciel et la nécessité pour les fédérations internationales et les autorités nationales d’échanger à ce sujet. Si nous ne parvenons pas à obtenir ces informations des fédérations internationales, nous les demanderons aux autorités nationales. Mais le procédé est quand même un peu curieux.

Nous comptons demander à l’UCI de pouvoir procéder à des contrôles additionnels lors du prochain Tour de France. Nous ne souhaitons pas multiplier les contrôles, mais nous voulons qu’ils soient efficaces, c’est-à-dire véritablement inopinés, effectués sur des sites appropriés et destinés à rechercher des molécules que le laboratoire connaît et est capable d’analyser.

Pendant la compétition de l’année dernière, nous avons accepté de travailler avec l’UCI, mais les médecins préleveurs ont rencontré tellement de difficultés dans leur travail, dans l’indifférence totale de l’UCI, que nous avons failli arrêter de procéder aux prélèvements pendant le Tour de France.

Je vous donne un exemple dont ont été témoins de nombreuses personnes, notamment une journaliste. Un médecin préleveur a dû attendre plus d’une heure avant de pouvoir effectuer son prélèvement, ce qui a laissé au sportif tout le temps de procéder à des modifications de paramètres sanguins, voire urinaires. J’ai demandé, le jour même, au secrétaire général de l’Agence qui suivait la course, de clarifier cette affaire en s’entretenant avec le médecin préleveur et les délégués UCI. J’ai moi-même téléphoné à M. McQuaid. Mais nos efforts n’ont servi à rien.

Certains médecins s’aperçoivent parfois, au moment où ils effectuent leur prélèvement, que le cycliste saigne d’un bras, ce qui laisse penser qu’il vient de se faire une perfusion. Mais, quand ils transmettent l’information à l’UCI, cela ne sert à rien. Nous avons jugé utile de rendre publiques ces informations parce que nous nous sommes aperçus que nous n’étions pas la seule agence à connaître des problèmes avec cette fédération internationale.

Nous contrôlons, selon la méthode UCI, peut-être 60 des 150 – environ – compétitions françaises cyclistes dites internationales. Après que ces contrôles, qui étaient gratuits sous la loi Buffet, sont devenus payants pour le niveau international, j’ai dénoncé au mois de septembre la convention que nous avions à l’époque passée avec la Fédération française de cyclisme (FFC), considérant, d’une part, que les prix que nous pratiquions étaient trop coûteux pour nous et, d’autre part, qu’une clarification avec la Fédération internationale était nécessaire afin de ne pas mettre les médecins préleveurs en difficulté. À ce jour, aucune contre-proposition ne nous a été faite, et les contrôles sont effectués, ou non, par cette même Fédération. En effet, alors que la Fédération française a une mission de service public, les compétitions – comme celle de Cholet-Pays de Loire dont on a beaucoup parlé – comptant pour la Coupe de France, mais sous règlement UCI, nous échappent : si le ministère donne bien délégation à la Fédération française pour organiser des compétitions nationales, celle-ci subdélègue en quelque sorte cette organisation à la Fédération internationale, et la course dépend alors de cette dernière en matière de lutte antidopage.

La Fédération nationale doit être attentive à ce que les compétitions qui comptent pour la Coupe de France, voire pour une coupe régionale, ne soient pas nécessairement sous le contrôle de l’Union cycliste internationale. Pour reprendre l’exemple de la course de Cholet où nous avons contrôlé positif un cycliste qui a ensuite fait l’objet de poursuites judiciaires – alors que tout le monde pensait qu’il n’y aurait pas de contrôle –, j’ai fait l’objet de nombreuses pressions pour que les analyses ne soient pas effectuées et je suis très inquiet de telles dérives.

Nos relations ne sont pas aussi tendues avec les autres fédérations internationales. Vous avez ainsi pu lire dans L’Équipe que le président de la Fédération internationale de tennis se félicitait de la bonne entente qui régnait entre nous. Pour ce qui est du football, si des tensions ont pu exister avec des présidents de club, nous nous en sommes expliqués avec ces derniers dans le cadre de la Ligue de football professionnel (LFP) et, depuis, tout se passe bien. Il en va de même avec la Fédération française de Rugby (FFR) et avec de nombreuses autres fédérations.

Les infractions n’existent pas que dans le cyclisme : si nous en avons relevé 24 dans cette discipline au cours de l’année 2009, leur nombre a atteint 18 pour le hockey sur glace, 17 pour le football – le plus souvent du fait du cannabis – et pour le basket-ball, 10 pour l’athlétisme, 9 pour le volley-ball, 8 pour le hockey sur gazon et pour la boxe, 7 pour le hand-ball, 8 pour le rugby, 6 pour le sport automobile et pour la natation, 5 pour le tir à l’arc et pour le triathlon et 4 pour le tennis, pour l’équitation, pour le motocyclisme et pour le ball-trap.

Le bilan du système ADAMS est positif puisque les sportifs participent aujourd'hui à cette banque de données. La difficulté provient du fait que si le code mondial antidopage prévoit des contrôles en et hors compétition, le code du sport français ne les prévoit qu’en compétition et à l’entraînement – sauf heureusement pour le groupe cible de 500 personnes, grâce à l’ordonnance.

Si cette dernière, qui a été préparée dans de bonnes conditions entre les services de l’Agence et le ministère des sports, a été la bienvenue, son résultat final ne nous satisfait pas pleinement. Il en va de même d’ailleurs pour l’Agence mondiale antidopage à laquelle le projet d’ordonnance a été soumis : croyant qu’on lui demandait son opinion, elle a en effet émis un avis assez substantiel dont elle n’a retrouvé que peu d’éléments dans l’ordonnance, et nous risquons d’en trouver les échos dans ses publications où elle mentionne les pays qui se conforment à ses recommandations et les autres. J’aurais préféré, pour ma part, un débat parlementaire, ce qui aurait permis à la fois d’avoir plus d’impact auprès de l’opinion internationale et d’être plus proche de la réalité du terrain. Dans l’ensemble cependant, l’ordonnance va dans la bonne direction.

L’indépendance de l’AFLD a été consacrée par les tribunaux : j’ai été poursuivi pour avoir fait état de pressions que j’avais subies. Le tribunal de grande instance de Paris a ainsi estimé que le président d’une autorité publique indépendante qui subit des pressions a le devoir de les rendre publiques afin que cela ne se reproduise pas, jugement que la Cour d’appel a confirmé en ajoutant qu’un tel président devait même, quand il l’estimait utile, organiser des débats publics, ce que je n’hésite pas à faire pour pouvoir continuer à parler le plus librement possible. L’une des difficultés des autorités indépendantes est en effet qu’en cas de situation conflictuelle elles ne peuvent le plus souvent s’exprimer que par l’intermédiaire du Parlement et, surtout, des médias.

Enfin, certaines règles du code mondial antidopage seront difficiles à transposer en droit français, ce qui ne pourra que renforcer les préventions de l’AMA quant à l’incertitude des positions de notre pays. Pour autant, la relation entre l’AFLD et l’Agence mondiale antidopage est très bonne. Au cours de la réunion de son comité exécutif et de son conseil de fondation le week-end dernier à Montréal, cette dernière a ainsi accepté notre demande tendant à la fois à la modification de l’article 15.1.1 de son code afin de mieux préciser la nature des contrôles additionnels, et au renforcement de ses liens avec Interpol grâce notamment à l’appui du Gouvernement français. L’AMA est à l’écoute concernant nos souhaits en matière de localisation.

M. Bertrand Jarrige. Qu’il me soit permis de souligner en préalable à mes réponses aux intervenants, que l’État apporte bien évidemment son plein soutien à l’Agence française de lutte contre le dopage ; il n’y a aucune ambiguïté sur ce point.

La prévention et l’éducation en matière de dopage sont d’autant plus importantes qu’il ne concerne pas que les sportifs de haut niveau et les sportifs professionnels. Il est également une tentation pour les jeunes – je n’ai malheureusement pas connaissance de l’étude de l’UNSS sur ce fléau – et pour les amateurs de tous niveaux – on a même parlé de candidats à des concours... Et cette tentation est aggravée par les multiples sollicitations sur Internet. Aussi la coopération avec les autorités judiciaires et les douanes est-elle essentielle en complément des actions éducatives.

Si l’État est chargé de la politique en la matière, il la conduit avec la participation de l’AFLD, du Comité national olympique et sportif français et des fédérations. Je n’ai pas d’inquiétude quant à la détermination de ces dernières à conduire des actions en matière de lutte contre le dopage, comme leur en font d’ailleurs obligation, sous le contrôle de l’AFLD, le code du sport et leurs règlements disciplinaires.

Cette politique de prévention et d’éducation passe notamment par la formation. Nous avons ainsi formé l’an dernier 120 formateurs d’acteurs de prévention destinés à éduquer les jeunes contre le fléau du dopage, et chaque région dispose désormais d’au moins deux éducateurs.

En matière de recherche, l'appel à projets intitulé « Dopage et conduites dopantes dans le sport : accélérer la recherche pour améliorer la pertinence des interventions en matière de prévention et de soins », lancé en mai 2008 par le ministère chargé des sports, a abouti en 2009 à la réalisation de quatre études pour un budget global de 121 000 euros. Leur évaluation est en cours, et nous lancerons un nouvel appel à projets, toujours en matière de recherche, en 2011.

De même, nous allons lancer en direction des fédérations sportives un appel à projets relatif à la prévention du dopage afin de connaître leurs meilleures initiatives pour les diffuser largement, de les encourager à mettre en place des démarches innovantes et d’identifier les freins à la prévention.

Pour éduquer, encore faut-il des outils. Depuis deux ans, un groupe de recensement et d’évaluation des outils de prévention des conduites dopantes a ainsi été mis en place, dont les missions et le fonctionnement devraient, dans le cadre d’une réflexion collective, évoluer d’ici à la fin de l’année.

Un travail a par ailleurs été mené concernant l’utilisation non maîtrisée des compléments alimentaires, lesquels peuvent contenir des produits interdits – ce que l’on appelle « le dopage sans le savoir ». Nous avons l’espoir que les conclusions du groupe de travail ad hoc, qui ont trait en particulier à l’étiquetage des produits et à la prévention, permettront de déboucher sur une norme Afnor pour la mise en place d’une démarche qualité.

Les antennes médicales de prévention du dopage (AMPD), au nombre d’une par région, sont implantées en milieu hospitalier et constituent un vecteur essentiel de la stratégie de prévention du ministère. Leur activité progresse régulièrement depuis 2002, que ce soit dans le domaine des soins ou dans celui du conseil et de la prévention. En 2009, le nombre de leurs consultations devrait se situer sous la barre du millier.

Les différentes réformes territoriales des services ne signifient pas que nous baissions la garde en matière de dopage, au contraire. Simplement, ce seront dorénavant les Directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et les Agences régionales de santé (ARS) qui assureront le suivi de ces antennes médicales. Pour sa part, le numéro vert « Écoute dopage » a reçu 1 600 appels en 2009. Nous souhaitons que cet espace d’écoute et de prévention anonyme évolue vers les nouveaux médias de communication.

Le budget en matière à la fois de médecine du sport et de lutte contre le dopage s’élève, en 2010, à 19,4 millions d’euros. Je relèverai, parmi ses principaux éléments : la subvention de 7,8 millions à l’AFLD – montant qui intègre, ce qui rassurera son président, les 4 millions d’euros qui avaient fait l’objet d’une discussion depuis le vote de la loi de finances ; la cotisation de la France à l’AMA, pour un montant de 556 000 euros ; les actions de recherche scientifique, pour 470 000 euros ; les actions nationales de prévention, pour 534 000 euros ; les interventions assurées au niveau régional par les nouvelles directions – hors charges de personnel, notamment la rémunération des médecins préleveurs –, pour 2,6 millions d’euros ; enfin, le financement, à hauteur de 480 000 euros, des antennes médicales, par l’intermédiaire du Centre national pour le développement du sport (CNDS).

Quant au fait que les tricheurs puissent avoir une molécule d’avance et que les tests ne suivent pas la mise sur le marché de nouvelles molécules, Mme Bachelot a pris en 2008, durant la présidence française de l’Union européenne, une initiative tendant à développer la coopération entre les autorités publiques, l’Agence mondiale antidopage, les agences nationales et l’industrie pharmaceutique afin de discerner, en amont de la mise sur le marché de nouveaux médicaments, les potentialités dopantes des nouvelles molécules, et de permettre à la recherche de développer des tests pour identifier ces dernières au moment même où elles seront mises sur le marché. Nous espérons, par ce biais, marquer un point décisif dans cette course entre l’épée et le bouclier – une très grande entreprise pharmaceutique française est prête à collaborer avec nous sur ce sujet.

Au-delà de la recherche sur le dopage, nous nous sommes intéressés aux effets de l’activité physique de haut niveau sur les sportifs et nous avons institué à cet effet au sein de l’Institut national du sport et de l’éducation physique (INSEP), dans le cadre de la réforme de ce dernier, l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (IRMES), qui a été confié au professeur Toussaint.

Pour répondre aux inquiétudes qui ont été exprimées concernant l’évolution de la liste des produits interdits élaborée chaque année par l’AMA, je précise que, conscients qu’il faut être vigilants en ce domaine, nous avons pris l’initiative de constituer, en liaison avec l’AFLD – sans que l’on voie là de procès d’intention –, un comité d’experts scientifiques pour mieux affirmer la position de la France, voire de l’Europe, en la matière.

Pour revenir à notre coopération avec les fédérations sportives et le CNOSF, la possibilité existe, dans les cas extrêmes, de supprimer l’agrément de service public et la délégation de pouvoir de toute fédération qui ne répondrait pas à ses obligations.

Pour ce qui est des compétitions internationales, l’ordonnance précise que seront soumises au code mondial antidopage les manifestations dont les règles sont édictées par un organisme sportif international ou dont les officiels sont nommés par ce dernier. L’AFLD s’inquiète à cet égard d’une dérive qui consisterait à voir se multiplier les manifestations reconnues comme internationales, avec pour conséquence de pénaliser l’activité des organisations nationales antidopage. C’est là un sujet qu’il conviendra d’évoquer avec l’AMA puisque le code mondial avait justement pour objet de clarifier la responsabilité des intervenants et d’éviter des conflits de compétence.

Pour notre part, nous faisons en sorte de rassurer l’Agence mondiale quant à la conformité de notre droit au code mondial antidopage afin de lever des incompréhensions liées peut-être à des différences de culture juridique, sachant toutefois que nous ne pourrons accepter que des décisions prises dans le cadre du droit public français par les fédérations sportives ou par l’AFLD puissent être contestées non pas devant le Conseil d‘État, mais devant le tribunal arbitral du sport, ce qui serait contraire à notre Constitution.

M. Dominique Le Mèner. Concernant les cas avérés de dopage, la sanction peut-elle également toucher celui qui les aura favorisés par la fourniture de moyens ?

M. Pierre Bordry. L’AFLD agit comme régulateur du système disciplinaire national, notamment en vérifiant si les fédérations ont agi comme elles le devaient et en pouvant revenir sur des sanctions si elle les estime trop ou pas assez lourdes. De même, elle saisit le procureur de la République au cas où elle aurait connaissance de la participation à une compétition locale ou régionale d’un sportif interdit pour dopage – plusieurs affaires sont en cours.

Ce qui m’inquiète surtout, c’est, je le répète, lorsqu’une compétition qui compte pour la Coupe de France est inscrite au calendrier par exemple de l’UCI et que la fédération responsable prétend alors que l’AFLD ne peut pas intervenir parce que ce n’est pas une compétition nationale.

M. Paul Leccia, président du Cercle des nageurs de Marseille. Beaucoup ayant déjà été dit, j’insisterai sur la nécessité de renforcer l’information et l’éducation des jeunes sportifs et de leur famille, ce que notre Cercle fait depuis fort longtemps. J’approuve à cet égard l’idée émise par votre Commission d’auditionner également des sportifs, car s’ils sont évidemment au fait des problèmes en la matière, il faut savoir que nos athlètes de haut niveau peuvent être contrôlés à tout moment hors compétition, à l’entraînement ou en compétition et qu’ils ont alors deux heures pour se rendre à l’endroit du contrôle – ce qui implique que nous sachions où ils se trouvent pour les joindre.

Il conviendrait d’ailleurs que la formation des médecins préleveurs soit renforcée, car si nous sommes d’accord pour que des contrôles soient effectués, l’impression prévaut dans nos sports que la répression est un peu exagérée. Il conviendrait ainsi d’apprendre la pédagogie à certains médecins préleveurs car nous ne sommes pas des délinquants : les six cas avérés d’infraction l’an dernier dans la natation se résument en effet à mon avis plus à de la « fumette » qu’autre chose – encore que celle-ci doive bien sûr être combattue.

Si un énorme travail est, de manière générale, à effectuer en matière d’information et d’éducation, notre Cercle s’y emploie pour sa part du mieux possible puisqu’il organise chaque année, avec l’aide de médecins, deux ou trois réunions avec les nageurs et leurs parents afin de leur expliquer les dangers du dopage. Nous sommes donc en phase avec la lutte organisée en la matière, sachant toutefois que la disparition du dopage dans certaines disciplines me paraît utopique.

M. le docteur Armand Mégret, médecin fédéral de la Fédération française de cyclisme. Vous pouvez imaginer combien le sujet étudié ce matin m’interpelle en ma qualité de médecin fédéral de la Fédération française de cyclisme.

Je suis médecin du sport depuis 1976 et du sport de très haut niveau depuis 1978. Après avoir été médecin d’équipes professionnelles jusqu’en 1994 – fonction que j’ai quittée car le dopage ne me permettait plus de pratiquer la médecine comme je l’entendais –, j’ai intégré l’équipe de France avant d’être nommé médecin fédéral national en 1997. Dès 1998, nous avons, avec les services de Mme Buffet, notamment Alain Garnier, chef de la mission Médecine du sport et lutte antidopage au ministère, pris des dispositions d’ordre sanitaire, conscients des dérives qui existaient. Mais ce que nous imaginions de faire à l’époque a été bouleversé par le cataclysme qu’a été le Tour de France de cette année-là. Nous nous sommes alors centrés sur le suivi biologique qui n’était jusque-là qu’un élément de la protection sanitaire.

Jusqu’en 1998, en effet, la médecine du sport, que je pratiquais par passion pour le sport en parallèle à la médecine hospitalière, était une médecine hors-la-loi, car elle n’existait pas en tant que telle. C’est finalement à la suite de cet événement de juillet 1998 qu’elle a pu enfin se structurer, grâce à la loi de Mme Buffet et au CPLD, et je dois rendre ici hommage à Michel Boyon qui a créé avec Michel Rieu, en association avec l’Ordre national des médecins, la Commission médicale. Celle-ci, qui a réuni toutes les parties prenantes – aussi bien des universitaires que des médecins de terrain ou de fédération –, nous a permis de disposer d’un endroit où exposer nos difficultés à exercer la médecine du sport auprès des sportifs et de pouvoir réfléchir à mieux organiser celle-ci.

Il faut bien comprendre que le rôle d’un médecin de fédération est sanitaire : les présidents de fédération, qui ont une délégation de service public portant notamment sur la santé de leurs licenciés, lui confie à ce titre la surveillance médicale. Je parle de surveillance car il s’agissait avant la loi de 2006 d’un suivi médical longitudinal, système mis en place en 1998 et conforté par la loi de Mme Buffet de mars 1999 et qui permettait de détecter des modifications de certains paramètres et d’en déduire qu’il y avait manipulation sous-jacente, mais pas d’en tirer les conséquences – j’y reviendrai.

Si la surveillance biologique a également permis de mettre en évidence des modifications qui pouvaient être liées à des manipulations de produits interdits, elle a surtout révélé l’existence d’autres problèmes tels que l’ostéoporose chez la femme de vingt ans, les troubles du comportement alimentaire – 10 à 15 % du peloton cycliste professionnel français est anorexique, ce qui peut expliquer la prise de certains produits coupe-faim –, ainsi que l’hyperréactivité bronchique – 40 % du même peloton a fait un asthme d’effort prouvé en laboratoire – liée à une hyperventilation en milieu extérieur avec des agressions dues à un air pollué, tantôt froid tantôt chaud. Des anomalies pouvaient donc être liées à des manipulations, mais aussi à des infections.

Ces anomalies, qui faisaient peser une forte suspicion de manipulation sous-jacente, je n’ai jamais pu m’en servir publiquement à l’époque du suivi médical longitudinal, car l’étanchéité était totale, même si la FFC obligeait les sportifs à passer par un réseau fermé de plateaux techniques de médecine du sport où tous les résultats étaient concentrés et où des experts pouvaient nous conseiller sur la conduite à tenir. Si des anomalies étaient trouvées, je ne pouvais en effet en informer que le médecin du sportif, si encore j’en avais l’autorisation : comme tout patient, le sportif avait la propriété de ces informations. Michel Rieu l’a bien dit : il y a vraiment une dissociation à faire entre l’application de sanctions dans le cadre disciplinaire de la lutte contre le dopage, et la prise de décisions médicales dans le cadre sanitaire de la surveillance médicale.

De la loi de Mme Buffet et du suivi médical longitudinal, nous sommes donc passés en 2006 à la loi de Jean-François Lamour : là où l’on ne pouvait qu’informer le sportif, l’on pouvait maintenant prévenir le président de la fédération qu’une anomalie pouvait être une contre-indication médicale, le sportif ayant alors l’obligation de rendre sa licence. Pour ce qui est de la Fédération française de cyclisme, une telle possibilité existait même depuis 2002. J’ai ainsi adressé aux coureurs plusieurs centaines de lettres recommandées avec accusé de réception pour leur demander de procéder à des examens complémentaires à la suite d’une anomalie découverte dans le cadre du suivi.

Aujourd'hui, je milite en faveur d’une véritable médecine d’aptitude auprès du sportif de haut niveau.

Cette médecine d’aptitude, c’est une médecine du travail – Valérie Fourneyron, avec qui j’ai travaillé voilà une dizaine d’années au sein d’un groupe de travail interministériel, ne me démentira pas – qui s’adresse aux sportifs de haut niveau et aux sportifs professionnels. À cet égard, nous ne faisons pas à la FFC de différence entre les deux : ils ont le même suivi biologique, psychologique ou nutritionnel imposé par la loi et la même obligation de passer par des plateaux techniques de médecine du sport pour des épreuves fonctionnelles. L’idée que je défends est de prendre en compte le fait que seul le médecin du travail a la possibilité de détecter une inaptitude à un poste de travail, dont il aura déterminé les risques, et d’en aviser l’employeur, à qui il revient alors de prendre une décision en fonction de cette inaptitude.

On me dira que je m’éloigne de notre débat. Non, car cette pathologie engendrée par le sport de haut niveau peut facilement déclencher des dérapages pour retrouver son état de santé ou pour l’améliorer. Je citerai à cet égard l’exemple de cette skieuse qui, lors des Jeux olympiques d’hiver à Vancouver, a chuté dès la première porte en étant victime d'une rupture de ligament croisé d’un genou déjà opéré – je connais des skieurs qui ont été opérés trois fois à un genou et deux fois à l’autre ! Est-il normal de laisser un sportif de très haut niveau poursuivre sa carrière alors que l’on sait très bien qu’à quarante ans il aura une gonarthrose bilatérale et une prothèse du genou ? N’est-ce pas notre devoir de dire qu’il y a dans ce cas inaptitude ? Une réflexion médicale sur l’aptitude à la pratique du sport de haut niveau doit être menée.

De la même façon que M. Bordry milite pour une agence indépendante en matière de dopage, je milite en faveur d’une autorité médicale indépendante interfédérale d’aptitude, ce qui permettrait, grâce à une mutualisation des moyens – le tout pour un coût moindre et pour un meilleur résultat qu’à l’heure actuelle – d’avoir une gestion administrative cohérente des sportifs de haut niveau et des professionnels et une logistique du suivi biologique également cohérente reposant sur des plateaux techniques de médecine du sport. Pour prendre l’exemple de certaines fédérations, on ne trouve en effet que ce que l’on recherche...

En tout cas, beaucoup a été fait à cet égard au niveau de la Fédération française de cyclisme, que je tiens à défendre fortement sur le plan médical, même si je ne suis pas d’accord avec certaines de ses prises de position. Nous travaillons ainsi avec un seul laboratoire – l’ancien laboratoire Marcel Mérieux devenu Biomnis –, ce qui nous permet de recueillir facilement toutes les données biologiques de nos sportifs. Ce sont ainsi plusieurs milliers de résultats qui nous servent à des études statistiques de haut niveau ou encore à l'analyse, avec l’AFLD, du métabolome. Nous avons ainsi abouti à une meilleure administration des sportifs de haut niveau et des professionnels ainsi qu’à une amélioration de la logistique. Surtout, nous avons pu disposer d’expertises médicales permettant d’adopter une attitude cohérente devant des anomalies et des pathologies rencontrées dans le sport de haut niveau. Pour reprendre l’exemple de ce skieur opéré cinq fois du genou, un règlement clair aurait évité qu’il ait encore droit à une licence.

Certains ici le savent, j’ai en 2007, dans une lettre ouverte, contesté fortement, non pas sur le fond mais sur la forme, l’opportunité et la pertinence du passeport biologique dont Michel Rieu a fait état, qui ne pouvait qu’aboutir à un nombre dérisoire de décisions d’ordre disciplinaire – 5 ou 6 en l’occurrence. Or, 700 coureurs de l’Union cycliste internationale sont soumis à ce passeport, pour un coût de 6 millions d’euros par an. Si M. Bordry disposait d’une telle somme, nul doute qu’il pourrait faire un travail encore plus efficace ! Si, comme l’a dit Michel Rieu, le concept est le même entre le passeport biologique et le profilage, l’efficacité de ce dernier serait beaucoup plus grande, pour un coût bien moindre.

M. le Colonel Thierry Bourret. Vous ayant déjà présenté les missions de l’Office, je reviendrai d’abord sur le constat que peut faire un service enquêteur de la problématique dopage, puis sur les difficultés que nous rencontrons, enfin sur les perspectives d’avenir. Une précaution orale tout d’abord : si je parle au nom d’un service répressif, la question du dopage ne peut être uniquement résolue sous cet angle. C’est le plus en amont possible qu’il faut intervenir grâce à la prévention, même si cette dernière ne peut pas tout régler, d’autant que nous serons à l’avenir encore plus confrontés qu’aujourd'hui à de nouvelles formes de criminalité organisée.

Pour ce qui est du constat, le dopage – c’est une banalité de le dire – ne concerne pas qu’un sport, mais tous les sports, même si l’on parle plus particulièrement de l’un d’entre eux. De même, le dopage ne concerne pas que les sportifs de haut niveau. La problématique en la matière est abordée dès le niveau semi-professionnel, voire amateur. Une enquête débutée voila un mois a ainsi démontré que des adolescents de quatorze ans n’avaient pas trouvé mieux, avant de participer à une épreuve interscolaire, que de se procurer via Internet des produits dopants qui se sont révélés de très mauvaise qualité, avec pour résultat un état physique très dégradé chez deux de ces jeunes. Et l’on sait que des étudiants sont prêts, pour rattraper le temps perdu, à prendre n’importe quel produit leur permettant de ne pas dormir avant un examen.

Force est de constater qu’en matière de dopage, 90 % des cas relèvent de déviances médicales ou de mésusages de médicaments et non de l’usage de stupéfiants, même si des combinaisons de produits ou de procédés peuvent exister.

Une telle situation s’explique aussi par le trafic de médicaments, qu’il s’agisse de médicaments volés, détournés, périmés mais réétiquetés, contrefaits ou encore dénués d’autorisation de mise sur le marché, sans oublier les compléments alimentaires qui contiennent des substances actives, lesquelles sont de fait des médicaments. C’est donc bien à un véritable problème de santé publique que l’on a affaire.

Les produits et les procédés sont par ailleurs de plus en plus perfectionnés. Le sportif qui se dope seul dans une chambre d’hôtel est un mythe. Aujourd'hui, des chaînes complètes s’organisent autour d’un prescripteur de produits, d’un fournisseur, d’un pourvoyeur puis d’un facilitateur qui aide le sportif à prendre le produit. C’est pourquoi, la parade ayant été trouvée, des contrôles antidopage se révèlent négatifs alors que les forces de sécurité trouvent dans le même temps des produits dopants et des protocoles et obtiennent des aveux. Il est vrai que beaucoup d’argent est en jeu. Des repentis nous ont ainsi expliqué que le coût d’une transfusion sanguine peut atteindre 80 000 euros, ce qui comprend une prise de sang enrichi dans une clinique européenne, sa congélation puis sa livraison la veille d’une épreuve – en Ukraine, la même opération revient à 300 euros, sans toutefois les mêmes garanties de qualité !

Les difficultés que nous rencontrons tiennent d’abord à la complexité et à l’évolution constante des produits et des procédés. Nous avons en face de nous des gens extrêmement réactifs qui mettent sur le marché des produits qui ne se retrouvent pas d’une année sur l’autre. En outre, les forces de sécurité doivent faire avec la liberté de circulation des hommes et des marchandises et avec Internet. À cela s’ajoute une forte circulation des sportifs soit pour participer à des épreuves internationales soit pour s’entraîner, avec la difficulté qu’implique pour un service national la présence sur son sol de sportifs étrangers seulement le temps d’une épreuve. Aussi est-il nécessaire de tisser des liens avec nos partenaires étrangers.

On peut également regretter l’absence d’harmonisation des textes à l’échelle européenne – ce qui est interdit chez nous pouvant être autorisé ailleurs. Quant à la remontée de l’information, nous sommes confrontés à une véritable omerta – le mot n’est pas trop fort –, d’autant qu’à la différence du trafic de stupéfiants, le dopage ne se passe pas dans la rue. Il implique un nombre très limité de personnes qui plus est de confiance, ce qui rend bien difficile de pénétrer le milieu.

La dernière difficulté tient à la sensibilité de ces affaires du fait des médias. Il convient ainsi de veiller à ce que des sportifs ne soient pas condamnés avant même d’avoir été jugés.

S’agissant enfin des perspectives d’avenir, deux facteurs apparaissent comme aggravants : Internet, vecteur de plus en plus important de circulation des médicaments, et les paris sportifs, du fait de la loi qui vient d’être adoptée. Tous nos homologues, notamment en Asie où les paris sont autorisés depuis plusieurs années, nous font part des conséquences en termes de dopage : beaucoup plus d’argent étant en jeu, les tentations sont beaucoup plus grandes de fausser les résultats.

Par ailleurs nous constatons de plus en plus souvent l’apparition de formes de criminalité organisée. J’emploie le terme à dessein, au sens de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée. Les cas que nous rencontrons correspondent bien en effet à la définition qu’en donne son article 2, à savoir que « l’expression “groupe criminel organisé” désigne un groupe structuré de trois personnes ou plus [...] agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves [...] pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre », c'est-à-dire du pouvoir. En ce domaine, la solution devra être recherchée sur le plan tant de la prévention que de la répression.

M. le docteur Armand Mégret. J’ai parlé de médecine de travail. Je suggère que le code du travail soit appliqué aux travailleurs étrangers des entreprises étrangères présentes sur le sol français, ce qui permettrait de faire des contrôles de cortisolémie sur le Tour de France et de prendre en conséquence des décisions de contre-indication et de retrait immédiat, sachant qu’un taux de cortisol effondré fait courir, selon nos experts qui sont indépendants des groupes sportifs, un risque mortel.

M. le professeur Michel Rieu. Les autorisations pour usage thérapeutique partaient d’un bon sentiment : pourquoi un diabétique, par exemple, serait-il interdit de sport ? Malheureusement, cette intention de faire en sorte que tout malade chronique ou aigu ayant besoin de médicament puisse obtenir une autorisation de participer à une compétition après que son dossier médical a été accepté par un groupe d’experts, a connu certaines dérives. L’AMA, influencée sans doute par des lobbies exerçant leur activité par l’intermédiaire de fédérations internationales, a ainsi accepté que les corticoïdes, dont on vient de souligner la dangerosité et qui constituent toujours le « fond de sauce » du dopage, ne fassent plus l’objet que d’une déclaration d’usage, sauf lorsqu’ils sont administrés par voie générale, ce qui ne veut rien dire car l’on sait très bien qu’une infiltration dans une articulation ou que l’utilisation d’une pommade transcutanée remplace largement une administration par voie générale. C’est ce qui explique que nous ne trouvions quasiment plus de contrôlés positifs aux corticoïdes lorsque nous effectuons des prélèvements sanguins ou urinaires.

Il en est de même des antiasthmatiques comme le Salbutamol. Si l’asthme d’effort est très répandu dans le sport de haut niveau, les doses de Salbutamol – ou de Ventoline – utilisées dépassent parfois l’entendement. Or, ces produits qui sont aussi des anabolisants et pas uniquement des bronchodilatateurs, non seulement ne font plus l’objet d’une autorisation pour usage thérapeutique, mais ne peuvent plus faire l’objet de déclaration de prélèvement anormal qu’au-delà d’un seuil qui a été fixé à un niveau très élevé. C’est là aussi la raison pour laquelle on ne trouve pratiquement plus de contrôlés positifs aux antiasthmatiques ; il n’y aurait donc plus d’asthmatiques dans le peloton...

Pour ce qui est de l’interaction avec l’industrie pharmaceutique, la mission interministérielle découlant de la loi Buffet et le groupe de réflexion créé alors au sein du CNRS ayant suggéré de marquer les molécules, ils ont reçu de la part de cette industrie une véritable fin de non-recevoir. Nous essayons aujourd'hui, en relation avec le ministère, de relancer la réflexion en la matière avec un groupe de travail créé au sein de l’Agence. Pour autant, si l’industrie pharmaceutique reste extraordinairement méfiante car elle ne peut se permettre de prendre le risque de mettre à mal un brevet alors que la mise sur le marché d’une nouvelle molécule demande dix ans de recherche et coûte des centaines de millions voire des milliards d’euros, elle est aussi consciente que rien ne serait pire pour elle que cette même molécule, utilisée pour le dopage avant même sa mise sur le marché, produise un accident, réduisant à néant son investissement.

Ce sont surtout, à mon avis, des liens personnels tissés avec des chercheurs confirmés de l’industrie pharmaceutique qui permettront, d’une part, de savoir qu’une molécule à l’étude pourrait être utilisée en matière de dopage, d’autre part, de travailler sur cette molécule fournie à titre confidentiel – le rôle de l’administration étant alors d’apporter sa garantie par la mise en œuvre de contrats de confidentialité.

S’agissant de la liste des interdictions, nous marchons main dans la main avec le ministère de la jeunesse et des sports afin de parvenir à constituer un groupe de pression à l’échelon européen, et peut-être au-delà, entre les différentes agences. Je pense au groupe de suivi institué à la suite de la convention européenne de Strasbourg contre le dopage, qui avait tout de même réuni une quarantaine de pays en 1989 et qui avait précédé la convention internationale contre le dopage dans le sport adoptée par l’UNESCO en 2005. Ce n’est selon moi que de cette façon que l’on pourra établir un rapport de forces avec le comité exécutif de l’AMA et son groupe d’experts « Liste », afin que nos contre-propositions soient prises en compte.

Aujourd'hui, la liste sépare les produits qui sont interdits tout le temps et ceux qui ne le sont qu’en compétition. Or, que retrouve-t-on parmi les produits interdits seulement en compétition ? Les stimulants – les amphétamines, par exemple –, les narcotiques et les corticoïdes. Autrement dit, c’est pendant l’entraînement que l’on utilise maintenant les moyens de dopage : les amphétamines pour augmenter les charges de travail ; certains narcotiques pour réduire la douleur, et les corticoïdes, toujours « en fond de sauce ». Tout cela est absurde. Or, un groupe de pression anglo-saxon intervenant auprès de l’AMA souhaiterait même éliminer totalement les corticoïdes de la liste, bien que tout médecin débutant, anglo-saxon ou non, en connaisse parfaitement la dangerosité.

J’ai donc l’espoir que dans les années qui viennent ce rapport de forces que j’appelle de mes vœux permettra d’influencer les positions de l’AMA, sachant cependant que si les fédérations internationales, qui exercent une très forte pression, ont adopté une attitude homogène, la position des États est, au contraire, très diverse.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je vous remercie, messieurs, de votre participation à ce débat qui nous a particulièrement passionnés. Nous aurons sans nul doute le plaisir de nous retrouver pour évoquer à nouveau le sujet.

La séance est levée à douze heures quarante.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 12 mai 2010 à 10 heures

Présents. - Mme Marie-Hélène Amiable, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Monique Boulestin, M. Bruno Bourg-Broc, Mme Marie-George Buffet, M. Patrice Debray, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Delong, M. Bernard Depierre, M. David Douillet, Mme Marianne Dubois, Mme Odette Duriez, Mme Valérie Fourneyron, M. Michel Françaix, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Jacques Grosperrin, Mme Françoise Imbert, Mme Jacqueline Irles, M. Olivier Jardé, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Colette Le Moal, Mme Martine Martinel, M. Gilbert Mathon, M. Jean-Philippe Maurer, M. Michel Ménard, M. Michel Pajon, Mme Françoise de Panafieu, M. Christian Paul, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Jean Roatta, Mme Michèle Tabarot, M. Jean-Louis Touraine.

Excusés. - Mme Sylvia Bassot, Mme Danielle Bousquet, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. Édouard Courtial, M. Yves Durand, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Gérard Gaudron, M. Yvan Lachaud, Mme Geneviève Levy, Mme Muriel Marland-Militello, M. Didier Robert, M. Marcel Rogemont, M. Daniel Spagnou.

Assistaient également à la réunion. - M. Christian Hutin, M. Régis Juanico, M. Henri Nayrou, M. Jean-Luc Pérat.