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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mardi 6 mars 2012

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 24

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur le bilan de la mise en œuvre de la loi n° 2010-1149 du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 6 mars 2012

La séance est ouverte à dix-sept heures.

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles organise une table ronde sur le bilan de la mise en œuvre de la loi n° 2010-1149 du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques, avec la participation de M. Éric Garandeau, président du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), accompagné de M. Lionel Bertinet, adjoint au directeur du cinéma ; de Mme Jeanne Seyvet, Médiateur du cinéma, accompagnée de Mme Isabelle Gérard, chargée de mission ; de M. Victor Hadida, président de la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF), accompagné de Mme Julie Lorimy, déléguée générale ; de M. Christian Oddos, représentant le Syndicat des distributeurs indépendants (SDI) ; de M. Éric Lajesse, vice-président des Distributeurs indépendants réunis (DIRE), accompagné de Mme Sylvie Corréard, déléguée générale ; de M. Jean Labé, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), accompagné de M. Marc-Olivier Sebbag, délégué général ; de M. Patrick Brouiller, président de l'Association française des cinémas d'art et d'essai (AFCAE), accompagné de M. Jean-Pierre Villa, président de Cinélia ; et de M. Éric Raguet, président de l'Association nationale des cinémas itinérants (ANCI), accompagné de M. Michel Schotte, vice-président.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Pour son ultime réunion de la législature, la Commission des affaires culturelles et de l'éducation a voulu réunir l'ensemble des parties prenantes à la mise en œuvre d'une loi dont nous pouvons être légitimement fiers : celle qui organise l’équipement numérique des salles de cinéma. Je tiens à ce propos à remercier Michel Herbillon, qui a été l’auteur et le rapporteur de ce texte, ainsi que Marcel Rogemont, qui représente avec lui notre Commission au sein du comité de suivi de la loi.

Je suis très heureuse d'accueillir les personnalités qui, par leur action quotidienne, contribuent à cette entreprise de numérisation. Nous serons attentifs, mesdames, messieurs, au jugement que vous portez sur la mise en œuvre de la loi, ainsi qu’aux observations que vous pourrez formuler à cet égard.

M. Michel Herbillon. Nous sommes très heureux de nous retrouver tous à nouveau pour un bilan qui relève des tâches d’évaluation que nous avons toujours à cœur de mener. En l’occurrence, ce travail porte sur une loi, celle du 30 septembre 2010, qui a été votée sans opposition, ce qui n’est pas si fréquent. Au sein de notre Commission, puis en séance, nous avions tenu à faire en sorte qu’un certain nombre de principes soient respectés. Nous voulions ainsi que soient préservées la diversité culturelle et la diversité de l’offre cinématographique, que soit maintenu le maillage extrêmement dense des salles de cinéma sur notre territoire, et que le dispositif prévu soit simple et rapidement opérationnel. Il s’agissait aussi de garantir la neutralité de la contribution numérique à l’égard de la distribution, de la programmation et de la circulation des films. Un an et demi après le vote de cette loi, nous pouvons prendre acte que tous ces principes ont été respectés.

Nous avions également prévu des mécanismes destinés à garantir la bonne mise en œuvre de ce texte : nous avons ainsi créé un comité de concertation professionnelle, qui a notamment rendu neuf recommandations, et un comité de suivi parlementaire, qui s’est réuni à deux reprises et qui a vocation à proposer au besoin des modifications de la loi – ce qui n’a pas été nécessaire jusqu’à présent. En outre, nous avons renforcé les pouvoirs d’intervention du Médiateur du cinéma.

Notre objectif était simple : nous voulions assurer le dynamisme de notre industrie cinématographique tout en préservant le caractère unique du modèle français du cinéma, unanimement reconnu de par le monde comme le confirme l’actualité récente.

Les parlementaires ne peuvent que juger favorablement l’application de cette loi : un an et demi après son vote, près des deux tiers de nos écrans sont aujourd’hui numérisés, ce qui place la France en tête des pays européens, devant la Grande-Bretagne et l’Allemagne, et au troisième rang mondial, après les États-Unis et la Chine.

Cette loi a également permis que s’établissent de nouveaux rapports entre exploitants et distributeurs. J’imagine que les professionnels ici présents reviendront sur ce point, de même que sur les difficultés qui ont pu survenir.

Ce texte s’inscrit dans le dispositif plus global d’aide à la numérisation animé par le Centre national du cinéma (CNC) en faveur des salles ne percevant pas, du fait de leur programmation essentiellement de continuation, suffisamment de contributions de la part des distributeurs pour couvrir au moins 75 % du coût de leurs investissements. Selon les estimations du CNC, la mesure devrait concerner un millier de salles réparties entre 750 établissements. L’examen des premières demandes d’aide à la numérisation montrent que deux catégories de salles n’avaient pas été identifiées comme ayant besoin d’aides publiques et devront donc recourir au dispositif du CNC : les salles qui ont des copies en continuation et celles qui procèdent à une mutualisation des contributions. Grâce aux mécanismes en place, aucune salle ne sera écartée du processus de numérisation.

Par ailleurs, vingt et une régions sur vingt-deux ont apporté une contribution financière au dispositif.

Au titre des évolutions futures, il serait bon enfin d’évoquer deux catégories particulières d’établissements cinématographiques qui devraient être aidés une fois que les études complémentaires auront été menées à bien : les établissements « peu actifs », soit ceux qui programment moins de cinq séances hebdomadaires en moyenne sur l’année, et les circuits itinérants qui posent des problèmes particuliers s’agissant notamment de la nature des écrans.

M. Marcel Rogemont. Je m’en tiendrai à quelques observations. Tout d’abord, un an et demi après le vote de ce texte, il semblerait que nous ayons bien légiféré. À vous de nous dire, à présent, si des adaptations vous paraissent nécessaires, étant entendu qu’il appartiendra au comité de concertation d’en délibérer. La contribution numérique a pu en effet susciter quelques inquiétudes : nous resterons attentifs sur ce point et Mme le Médiateur nous dira si elle a été elle-même saisie à ce sujet.

Il nous faut également noter que les collectivités locales se sont fortement mobilisées en faveur de la numérisation. L’excellent rapport du CNC a du reste souligné l’importance de l’effort ainsi consenti.

Enfin, je vous présente les excuses des députés socialistes. Réunis aujourd’hui à la demande de leur candidat à la Présidence de la République, ils ne pourront en effet participer à cette table ronde.

M. Éric Garandeau, président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Nous sommes très honorés de participer à ce débat portant sur le bilan de la loi du 30 septembre 2010. Je remercie particulièrement les membres du comité de suivi parlementaire, Michel Herbillon et Marcel Rogemont ici présents ainsi que leurs homologues sénateurs Jean-Pierre Leleux et Serge Lagauche, qui ont pu contribuer à la mise en œuvre de cette loi au cours des derniers semestres. La période a requis un travail intense de tous : du CNC, mais aussi des exploitants de salles, qui ont fait face à une véritable révolution technologique, industrielle et culturelle.

Après Michel Herbillon, je me réjouis, comme toutes les équipes du Centre, qu’un film français, The Artist, ait obtenu cinq Oscars, qu’Intouchables ait enregistré quasiment six millions d’entrées en Allemagne après les dix-neuf millions réalisées en France, et plus globalement qu’au cours de 2011 – année de transition comme le sera encore 2012 –, nous ayons atteint le chiffre historique de 216 millions de spectateurs, avec 41,6 % de parts de marché pour le film français. Le succès se poursuit en ce début de 2012 puisque, la semaine dernière, quatre films français étaient parmi les six premiers au box office : Les Infidèles, The Artist, La vérité si je mens ! 3 et Zarafa. En outre, les parts de marché de nos productions ont encore augmenté en janvier, pour atteindre 47 %.

Ces résultats couronnent le travail des créateurs, des producteurs, des distributeurs, mais aussi celui des exploitants de cinéma, et témoignent du soutien du public français, très cinéphile. Le CNC, qui est un peu la clé de voûte de cet ensemble au même titre que les chaînes de télévision qui investissent dans le cinéma, s’efforce à chaque fois d’agir sur tous les éléments qui concourent à cette réussite. Nous travaillons à la fois sur les œuvres, sur les salles et sur les publics, selon un mode de fonctionnement qui est aujourd’hui reconnu par les autres pays.

La numérisation a joué un rôle particulièrement important dans l’augmentation de la fréquentation des salles. Mais elle nous confronte aussi à des défis pour l’avenir.

S’agissant du bilan, en tant que modestes praticiens de la loi de la loi de septembre 2010, nous pouvons dire que, par les principes qu’elle a posés, elle a orienté l’action du CNC comme celle des exploitants et des distributeurs, ainsi que les relations entre ces deux acteurs économiques majeurs. En outre, elle nous a permis, par sa souplesse, de nous adapter aux réalités du terrain, dont nous n’avions pas toujours exactement mesuré la complexité. Je pense en particulier au problème posé par les circuits itinérants. Nous nous réjouissons d’être aujourd’hui en mesure de vous apporter des précisions sur la façon dont nous entendons traiter cette question. Cela se fera vraisemblablement dans le cadre du dispositif législatif actuel, qui, je le répète, s’est révélé suffisamment directif et souple pour être utilisé à cette fin.

À la fin de 2011, plus de deux tiers des écrans étaient numérisés ; à la fin de février, nous en étions à 71,1 %, soit 4 000 écrans sur les 5 465 que compte notre pays. En outre, il est intéressant de noter que la majorité des établissements équipés ont moins de quatre écrans. Certes, la grande exploitation est aujourd’hui numérisée à plus de 98 % mais, en 2011, ce sont les cinémas relevant de la petite exploitation qui ont enregistré la plus forte progression – elle a été de 153 % par rapport aux chiffres de fin 2010 ! C’est le résultat des mesures financières prévues par la loi. Vous l’avez dit, pour la numérisation des salles, la France se situe au troisième rang mondial, après les États-Unis et la Chine, et au premier rang européen, avec une progression globale de plus de 75 % par rapport à fin 2010. C’est la croissance la plus importante observée au niveau international.

La fréquentation des salles a elle aussi connu une augmentation spectaculaire et c’est dans la petite exploitation qu’elle a été la plus forte, atteignant 10 %, contre 2 % dans la grande exploitation. On peut sur ce point aussi mesurer l’impact de la numérisation.

Qu’en est-il des perspectives ? En 2011, le CNC a apporté son soutien financier à la numérisation de 597 écrans regroupés au sein de 448 établissements, pour un montant de 28,1 millions d’euros. Je précise que 82 % de ces établissements sont classés « art et essai ». Compte tenu du temps nécessaire pour instruire les dossiers, pour déployer les nouveaux outils informatiques et pour collecter les données sur les salles afin de vérifier leur éligibilité à notre plan de numérisation, l’année 2012 sera décisive. Nous constatons d’ores et déjà une accélération dans le rythme d’engagement et de décaissement des crédits du CNC. Nous avons prévu d’apporter notre soutien à la numérisation d’environ 1 200 écrans regroupés au sein de 850 établissements, pour un montant qui devrait être légèrement supérieur à 80 millions d’euros. Nous atteindrions ainsi une dépense de quelque 110 millions d’euros, approchant du montant de la réserve inscrite dans nos comptes – 125 millions d’euros. Le calibrage financier était donc aussi pertinent que le calibrage juridique.

S’agissant des salles peu actives – elles sont au nombre de 380 – et des circuits itinérants, qui jusqu’ici ne pouvaient pas faire l’objet d’un soutien, même technique, nous avons pu recenser les équipements nécessaires. Nous soutiendrons l’acquisition d’autant de projecteurs numériques qu’il y a de projecteurs 35 mm, dans la limite de quatre par circuit. La France a joué un rôle moteur pour la mise au point de ces équipements spécifiques. Il a fallu en effet convaincre des entreprises internationales de développer des prototypes respectant les normes de qualité que nous avons fixées et auxquelles les auteurs et les artistes sont très attachés. Notre aide en faveur des circuits itinérants pourra couvrir jusqu’à 90 % des dépenses de numérisation, comme pour les salles fixes. Nous espérons que les collectivités territoriales apporteront elles aussi leur contribution et, si les premiers tests techniques se révèlent concluants, le dispositif pourra être mis en œuvre dès juillet 2012.

Pour conclure, je voudrais mentionner le rôle essentiel joué par les comités institués par la loi : le comité de suivi parlementaire et le comité de concertation professionnelle, qui a permis que les négociations entre les distributeurs et les exploitants se déroulent au mieux, sur la base des neuf recommandations et avec la contribution du Médiateur. Je tiens également à souligner le rôle déterminant joué par les collectivités territoriales : la totalité des régions et un grand nombre de départements et de villes ont ainsi institué depuis un an des dispositifs d’aide complémentaires de celui du CNC. Plus la mobilisation était forte et plus le taux de numérisation a été important. La Bretagne, l’Aquitaine et l’Île-de-France sont ainsi très largement équipées aujourd’hui.

Au-delà de ce bilan très positif, il importera de rester très attentif à l’achèvement du plan – l’ensemble du parc doit être numérisé d’ici à la fin de l’année – et d’examiner les conséquences de la numérisation sur la programmation des salles. Comme toute technologie, celle-ci permet en effet le meilleur comme le pire, selon l’usage qu’on en fait. La diversité de la programmation, la multiprogrammation restent des questions essentielles. Nous veillerons à ce que la diversité de la programmation des salles, qui fait la force de notre système, soit non seulement préservée mais même améliorée grâce à la numérisation.

Merci encore d’avoir voté cette loi.

Mme Jeanne Seyvet, Médiateur du cinéma. Mesdames, messieurs, je me réjouis de vous rencontrer. La loi du 30 septembre 2010 a élargi le champ d’action du Médiateur aux litiges relatifs à la négociation des contrats sur les contributions numériques, et à la façon de justifier les montants de ces contributions. En outre, le comité de concertation, dont le travail a été fort utile, a bien voulu associer le Médiateur au débat et j’en remercie ses membres.

S’agissant de la mise en œuvre de la loi, peu de litiges ont été portés à la connaissance du Médiateur. Avant la publication du texte, nous avions été saisis de six demandes informelles émanant d’exploitants qui se plaignaient des conditions, discriminatoires à leurs yeux, que leur soumettaient des distributeurs. Il y a eu sept saisines officielles depuis la promulgation de la loi – six en réalité, l’une d’entre elles ayant été déposée avant que nous ne soyons compétents en la matière. Toutes les six ont abouti à un accord, soit avant même la réunion de médiation, soit en médiation. Depuis le vote de la loi, nous avons été saisis de seize nouvelles demandes informelles, mais selon un rythme qui s’est ralenti au fil du temps puisque, après le dépôt des sept premières dès octobre-novembre 2010, nous n’en avons reçu que neuf, et plus une seule depuis octobre 2011.

Ces demandes ne font pas apparaître un problème qui serait prépondérant par rapport aux autres. Elles portaient en effet sur des questions diverses : la négociation d’un contrat à long terme, les modalités de versement de la contribution, la fixation de son montant, jusqu’au principe même du versement de la contribution. Nous avons également été saisis d’un cas pouvant faire apparaître des liens irréguliers entre contribution numérique et programmation des salles.

En tout état de cause, tout cela est très peu au regard des 120 saisines et des plus de cent demandes informelles que doit traiter le Médiateur chaque année. Malgré l’importance que prend la numérisation dans le travail quotidien des distributeurs et des exploitants, nous avons donc eu à connaître de peu de litiges. C’est le signe que les différents acteurs ont bien travaillé ensemble, et d’abord au sein du comité de concertation, les neuf recommandations ayant permis de poser l’essentiel des conditions pratiques nécessaires.

Quels sont les problèmes à venir ? En premier lieu, peu de contrats de longue durée ont été signés entre exploitants et distributeurs. Un litige entre un grand distributeur et un tiers-collecteur a empêché ainsi une de ces signatures. Notre aide a parfois permis la signature d’un contrat provisoire, mais ce n’est pas toujours possible. Dans certains cas, il y a donc eu versement d’une avance et non pas d’une contribution. Tout n’est pas sécurisé et c’est normal, les contrats de longue durée n’étant pas encore tous signés.

D’autre part, si beaucoup de choses ont été dites sur les effets potentiels du passage au numérique, nous ne sommes pas capables pour notre part, à ce stade, de porter un jugement. Comme l’a dit Éric Garandeau, ce type de technologie peut donner le pire comme le meilleur en fonction de l’usage qu’on en fait. On a donc anticipé les effets positifs, liés à la souplesse de la technologie qui permet de servir davantage de salles en sorties nationales, mais également les effets négatifs susceptibles d’affecter les pratiques d’exploitation des films en salle : ainsi un accroissement du nombre de multidiffusions et le renforcement de la multiprogrammation – mais est-ce un bien ou un mal ? Cependant, rien n’est encore clairement établi, en attendant les études que le CNC va engager.

La diversité des niveaux de contribution, de virtual print fee (VPF), induit-elle une concurrence entre salles dans la phase actuelle de transition ? En induira-t-elle lorsque certaines salles seulement auront récupéré le montant de leur investissement ? Rien ne nous permet de le savoir pour le moment.

S’agissant des craintes portant sur le délai d’accès aux films, nous serons également éclairés par les résultats de l’étude du CNC. Je le répète, nous ne sommes qu’au début du processus et, même si beaucoup de choses ont été faites en matière d’équipement et d’accompagnement des investissements, une deuxième étape reste à franchir, avec la signature des contrats de longue durée et avec la prise en compte des effets potentiels sur la programmation et sur la diversité de l’exploitation en salle.

M. Victor Hadida, président de la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF). Nous ne pouvons que tirer notre chapeau à ceux qui ont élaboré la loi du 30 septembre 2010 ! Au regard du bouleversement technologique en jeu et du changement de fonctionnement que ce texte impliquait, les difficultés ont été moins grandes qu’on ne pouvait le redouter. Il est vrai que le comité de concertation a permis de « déminer » nombre des problèmes pratiques. Nous remercions donc la représentation nationale pour l’excellent travail qu’elle a accompli. Cette loi a eu un important effet régulateur et a favorisé la compréhension entre les différents segments de la profession.

Je partage les propos de Mme la Médiatrice s’agissant du nombre des litiges comme des craintes pour l’avenir. Les difficultés qui se posent pour la conclusion des contrats à long terme viennent du fait que les opérateurs sont eux-mêmes en cours de négociation. Ils sont d’autant plus précautionneux qu’on leur demande de s’engager pour de nombreuses années. En tout état de cause, il y a versement de contributions, même si c’est sous forme d’avances, et l’esprit de la loi est respecté.

S’agissant des craintes qui portent sur la diffusion, nous espérons toujours qu’elles seront vaines. Des engagements ont été pris à propos de la multidiffusion, c’est-à-dire de la mobilisation de plusieurs salles pour un même film. Feront-ils l’objet d’ajustements quand nous serons définitivement entrés dans l’ère du numérique ? Nous l’ignorons encore. Les dix-huit mois qui viennent de s’écouler donnent une tendance mais celle-ci est très fragile. Les épiphonèmes constatés se corrigeront peut-être d’eux-mêmes. Il faudra cependant y être attentifs car le risque pour la diversité est bien réel.

L’année 2012 est extrêmement importante : c’est celle qui verra l’achèvement du basculement. Pour l’heure, le support est encore double – diffusion en 35 mm et numérique – et la diffusion de certaines œuvres s’en trouve freinée. Il convient donc d’intensifier le processus. L’aide au double support doit rester importante cette année pour ne pas pénaliser les dernières salles utilisant les copies en 35 mm. Il faut prendre en compte les problèmes des petites salles et la situation des entreprises de distribution et des films les plus fragiles.

Au regard des grands principes que vous avez énoncés, il s’impose en effet de préserver la diversité, d’intensifier les aides en faveur de tous mais, particulièrement, des plus fragiles, et d’être attentifs aux effets néfastes que pourrait avoir la numérisation sur la diffusion et l’exploitation en salle.

M. Christian Oddos, représentant du Syndicat des distributeurs indépendants (SDI). Je souscris à tout ce qui a été dit sur les effets positifs de cette loi. Alors que nous craignions que le développement du numérique ne nous entraîne vers un marché purement concurrentiel, elle a permis, complétée par l’excellent travail du comité de concertation, d’établir un cadre général vertueux. Mais je voudrais appeler l’attention sur quelques difficultés telles que la période de transition, qui devrait durer encore au moins deux années, pourrait se révéler très délicate pour les distributeurs les plus fragiles.

Qu’en est-il d’abord de la transparence, qui était un des objectifs majeurs de la loi ? Les distributeurs sont en train de négocier des contrats de longue durée mais, si les rapports sont très cordiaux avec nombre de groupements de salles indépendantes, et les contrats d’ailleurs déjà passés, les négociations avec des circuits ou avec des tiers opérateurs plus puissants sont parfois très difficiles : ils demandent des contributions jusqu’à 46 % plus élevées que celles des salles indépendantes ! Ce qui pousse à s’interroger plus précisément sur la mécanique d’ensemble du système. Nous souhaitons que soit très vite constituée une entité indépendante à même de réunir des informations sur le financement et sur la durée d’amortissement des équipements, ainsi que sur la sortie du modèle économique de la contribution, puisqu’il est établi que les distributeurs ne doivent participer qu’au premier équipement des salles.

Le principe de la contribution est fondé sur les économies que le numérique fait réaliser aux distributeurs. Mais ceux-ci supportent d’autres frais qui doivent également être pris en compte : la fabrication des disques durs, éventuellement leur transport, la fabrication de la clé nécessaire pour chaque salle… Surtout, les distributeurs indépendants doivent gérer concomitamment les deux formats, numérique et 35 mm, alors que les ayants droit – producteurs ou vendeurs pour les films étrangers – n’en fournissent le plus souvent qu’un seul. Ainsi les films « fragiles » ne sortent plus qu’en numérique parce que le distributeur n’a pas les 25 000 ou 30 000 euros que coûterait le tirage d’un master en 35 mm. L’équation économique devient impossible. J’ai l’exemple d’un film qui est sur le point de sortir en trente-cinq copies, dont le distributeur avait pensé qu’elles pourraient presque toutes être numériques : on lui en demande en fait dix-sept en 35 mm. À raison de 850 euros chacune, auxquels s’ajoutent les 25 000 euros du tirage, on arrive à un coût de plus de 2 000 euros pièce, sans amortissement assuré ! Si le distributeur ne consent pas cet investissement, une vingtaine de salles n’auront pas le film. S’il le fait, il se mettra en péril – d’autant qu’il s’agit d’un film français et qu’il ne recevra donc aucune aide du CNC. Bref, si le producteur ne met pas les deux masters à la disposition du distributeur, c’est à ce dernier qu’incombera la mission de préserver la diversité de l’offre.

Cet objectif de maintenir la diversité culturelle était au fondement de la loi. Pour notre part, nous sommes soucieux de diffuser les films de patrimoine et les courts-métrages, notamment ceux destinés au jeune public. Nous avions cru comprendre, à la lecture de la loi et des recommandations du comité de concertation, qu’ils ne seraient pas soumis à la contribution numérique puisqu’ils ont déjà été diffusés en salle. Or, soit qu’ils aient une interprétation différente de la loi, soit qu’ils refusent d’appliquer les recommandations du comité, certains tiers ou circuits ne partagent pas cette conception. Les contrats à long terme qu’ils nous proposent, et que nous refusons pour l’instant, ne prévoient donc pas d’exonération de contribution numérique pour ce type de films. Si nous signons, nous subirons des facturations injustifiées et si nous en restons au système actuel, ce qui n’est pas invraisemblable puisque les tiers opérateurs ne peuvent valider un contrat comportant des éléments non vérifiés nous continuerons à payer la contribution maximale pour tous les types de films…

Ces deux années sont donc des plus inquiétantes pour des distributeurs déjà fragilisés et risquent de fortement entraver leur travail en faveur de la diversité de l’offre.

M. Éric Lajesse, vice-président des Distributeurs indépendants réunis européens (DIRE). DIRE regroupe douze sociétés de distribution indépendantes, dont Pyramide, Les films du Losange ou Haut et Court par exemple, qui ont « sorti » entre autres films Habemus Papam de Nanni Moretti, L'exercice de l'État de Pierre Schoeller, Melancholia de Lars von Trier, Une Séparation de Asghar Farhadi ou Le Havre d’Aki Kaurismäki. Notre part de marché avoisine 8 %.

Pour dresser un bilan de cette mutation profonde que connaît le secteur, il faut d’abord se demander si les objectifs visés par la loi – et approuvés par l’ensemble de la filière, distributeurs en tête – ont bien été atteints.

Le premier était de réaliser la mutation de l'ensemble du parc dans les meilleurs délais. De ce point de vue, l'organisation économique retenue a porté ses fruits, avec d'une part la forte contribution des distributeurs à l'équipement des salles et, d'autre part, le plan d'aide sélective à l'équipement mis en place par le CNC. On estime que la quasi-totalité des salles seront équipées dans six mois, soit deux ans seulement après la promulgation de la loi.

Ensuite, il fallait prendre garde à ne pas déstabiliser les différents acteurs. Préserver la maîtrise des exploitants sur leur offre de films et celle des distributeurs sur leurs plans de sorties était donc un autre objectif essentiel, lui aussi globalement atteint. Les dispositions de la loi ont permis la déconnexion entre la fixation et le versement des VPF, d’une part, et les choix de distribution ou de programmation, d’autre part. Enfin, le Médiateur a joué un rôle très positif dans les quelques affaires qui lui ont été soumises.

En revanche, nous conservons de fortes interrogations sur trois points cruciaux. Le premier, ce sont les conditions de négociation des VPF. Si la loi précise que le montant de cette contribution doit être négocié entre les parties à des conditions équitables, transparentes et objectives, la réalité a plutôt été celle du rapport de forces classique, déterminé par la taille des opérateurs. Les salles appartenant à des groupes ont obtenu des distributeurs les VPF les plus élevés et un taux de couverture des équipements qui peut approcher de 90 %. Il est bien difficile alors de faire le lien entre la réalité des coûts et celle des économies réalisées par les opérateurs…

Deuxième difficulté : la loi prévoit que les distributeurs doivent pouvoir suivre précisément l'amortissement des équipements numériques qu’ils financent. Michel Herbillon avait proposé qu’ils puissent demander l'aide du CNC à cet effet. Je confirme que, comme il l’avait prévu, les distributeurs indépendants n'ont pas les moyens de vérifier, en cette matière complexe, les informations transmises par les exploitants ou par les tiers investisseurs : plafonds, dépenses éligibles, taux de couverture, autres sources de contribution… Je souhaite donc que le comité de concertation constitué par le CNC se saisisse du sujet et, en particulier, qu’il tienne compte des ressources perçues par les salles auprès d'acteurs extérieurs à la filière cinématographique, par le biais du « hors film ». Ce suivi est d'autant plus indispensable que les équipements seront amortis bien avant le terme des dix ans fixé par la loi, en raison de l’accélération de la rotation des films.

Enfin, la caisse de répartition envisagée par le législateur pour redistribuer les VPF en cas d’élargissement ou de continuation de la programmation n'est pas encore en place et la complexité du système imaginé fait douter qu’elle le soit jamais. Nous souhaitons que le comité de concertation analyse les pratiques des acteurs et propose les mesures de simplification nécessaires.

J’en viens aux conséquences économiques de la mutation pour les distributeurs indépendants, conséquences dont certaines n'avaient pas été anticipées. Le postulat de départ était que le numérique ferait réaliser de très importantes économies aux distributeurs et qu’ils devaient donc, et par voie de conséquence les producteurs avec eux, contribuer à cette mutation. Le raisonnement était en grande partie fondé – et c’est pourquoi les distributeurs ont accepté cette mécanique –, mais l’expérience des derniers mois montre qu’il doit être nuancé.

D’abord, de nouveaux coûts de gestion sont apparus au sein des sociétés de distribution. Des recrutements sont ainsi en cours pour assurer le suivi des DCP (Digital Cinema Package), c’est-à-dire des masters numériques, ce qui à l'échelle de nos sociétés entraîne une augmentation non négligeable de la masse salariale. On assiste d’autre part depuis plusieurs semaines à des transferts de coûts des exploitants vers les distributeurs, en particulier pour ce qui est du transport des DCP. On envisage certes de développer les plateformes de diffusion pour parvenir à une dématérialisation totale de la transmission des œuvres aux salles, mais même cela ne se fera pas à coût nul. Quoi qu’il en soit, on peut penser que certaines catégories d'exploitants ont vu une partie de leurs coûts de fonctionnement diminuer. DIRE est donc favorable à un audit du CNC sur ces mouvements de coûts et sur la réalité des économies réalisées par les différentes parties.

Ensuite, le numérique, par la dématérialisation du support, a encore accentué le déséquilibre déjà très grand entre distributeurs indépendants et grandes exploitations ou groupes intégrés : déprogrammations sauvages en cours de semaine, développement du hors film, accélération du turn-over accentuant la concentration et condamnant encore plus radicalement les films les plus fragiles… Les distributeurs ont les plus grandes difficultés à suivre la réalité de la programmation. Leur visibilité, lorsqu'ils définissent leur plan de sorties et les investissements nécessaires, est de plus en plus faible. Ils supportent des frais de sortie croissants alors que leur capacité d'amortissement devient de plus en plus aléatoire. Cet effet indirect du tout numérique aura un fort impact sur l'équilibre de ces sociétés. Les phénomènes déjà constatés de stagnation de la recette moyenne par spectateur et de diminution du nombre total d’entrées par film – à l’exception d’un ou deux chaque année, qui nous permettent de préserver globalement notre faible part de marché – vont aller en s'amplifiant.

C'est pourquoi la réforme de l'aide à la distribution engagée par le CNC est pour nous cruciale. Je tiens à remercier Éric Garandeau et Olivier Wotling, directeur du cinéma du CNC, pour la qualité de nos échanges à ce sujet et j’espère qu’il sera pleinement tenu compte de la situation que je viens de décrire.

M. Jean Labé, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF). Nous n’étions pas préparés à une telle diatribe !

M. Éric Lajesse. Pour en finir avec les conséquences de la mutation, je rappelle que la loi visait à assurer « la plus large diffusion des œuvres cinématographiques conforme à l'intérêt général » et, à ce propos, je veux redire l'attachement très profond des distributeurs indépendants à l'Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC), qui, tout en prenant en compte comme il se doit l’irruption du numérique, doit poursuivre sa mission d'aménagement culturel du territoire et de diffusion d’œuvres cinématographiques exigeantes.

Enfin, un mot de l’avenir. Dans son rapport, M. Herbillon avait très clairement indiqué que les contributions n’étaient dues que pour l'installation initiale des équipements, non pour leur renouvellement. Compte tenu de tout ce que je viens d’exposer, j'affirme que les mutations technologiques qui ne manqueront pas de se produire encore dans les années à venir, à tous les niveaux de la filière, ne pourront pas être assumées à nouveau par les distributeurs, et donc par les producteurs. Même si nous n’en sommes qu'au début, il apparaît déjà que la numérisation accélère une concentration du marché qui était à l'œuvre depuis de nombreuses années. Le maintien de la diversité doit passer par un « rebasage » des conditions économiques d'exercice de la profession de distributeur indépendant, au-delà des aides sélectives et automatiques. Des marges de manoeuvre effectivement dégagées par la numérisation dépendra la survie de ce secteur.

M. Jean Labé. Et moi qui allais dire que tout ne se passait pas si mal, malgré les difficultés inhérentes à une telle mutation ! Je ne m’attendais pas à un discours aussi violent.

Je voudrais toutefois remercier la représentation nationale pour cette loi. Malgré de nombreuses difficultés d’application, c’est un bon texte. Nombre des problèmes qui ont été évoqués, tel un renchérissement incontestable pour les distributeurs, sont liés à la coexistence des deux supports, 35 mm et numérique. Mais personne n’avait imaginé que le basculement se ferait aussi vite : il devrait être quasiment achevé à la fin de 2012, et c’est alors qu’on pourra réellement juger l’économie du numérique et évaluer la diminution des coûts.

L’effort des distributeurs ayant été évoqué, laissez-moi vous parler de celui des exploitants. Comme l’a souligné la médiatrice, très peu de contrats à long terme sont encore signés. Une grande majorité des distributeurs s’acquittent de leurs VPF, mais quelques-uns en restent à des promesses et n’ont toujours rien versé au bout de dix-huit mois. En outre, de même qu’on a pu constater des défauts dans la remontée des recettes des salles vers les distributeurs – le CNC s’y est d’ailleurs intéressé –, on constate aujourd’hui des délais de paiement de la contribution tout à fait anormaux de la part de certains distributeurs. Les exploitants subissent souvent un retard de six à huit mois ! D’où des coûts supplémentaires importants, une trésorerie compromise et le paiement d’agios. Bref, le problème principal pour les exploitants est de parvenir à signer ces contrats à long terme. On comprend qu’il y ait eu des difficultés au début, mais la loi date maintenant d’un an et demi !

Certains distributeurs, en contradiction avec la loi, font encore des tentatives pour lier la programmation, et en particulier le nombre de séances, au paiement des VPF. Il faut rappeler à ce propos deux définitions élaborées par le comité de concertation : la multidiffusion est le fait de diffuser le même film dans plusieurs salles d’un établissement afin de répondre à la demande du public, comme cela a été le cas récemment pour Intouchables ; la multiprogrammation, elle, consiste en la diffusion de plusieurs films dans la même salle. La multidiffusion réduit donc la diversité alors que la multiprogrammation la favorise – elle devient même indispensable en raison de l’augmentation constante du nombre de films.

Nous pensons donc que la mutation se déroule globalement bien, mais nous attendons des informations plus précises de l’étude sur les évolutions de la programmation que le comité de concertation a demandée au CNC. Des bruits courent en effet, que nous ne pouvons vérifier. On entend par exemple dire que certaines salles ont tendance à ne pas demander de VPF pour s’assurer la diffusion de tel film – des salles dont l’équipement a été payé par les collectivités territoriales et qui n’ont donc pas le même souci d’amortissement que les salles privées.

M. Michel Herbillon. Est-ce fréquent ?

M. Jean Labé. Il semblerait, bien que ce soit difficile à vérifier : comment savoir qu’un exploitant et un distributeur se sont mis d’accord ? C’est pourquoi le CNC réfléchit au moyen de contrôler que le nombre de points de projection du film correspond aux VPF payés. Si audits il doit y avoir, ils se feront aussi chez les distributeurs !

M. Éric Lajesse. Nous sommes prêts !

M. Jean Labé. Il se dit aussi que, dans certaines salles, le nombre annuel de sorties nationales varierait selon que les distributeurs leur payent ou non des VPF. Nous espérons que les études en cours tireront tout cela au clair. Si ces faits étaient avérés, ce serait tout à fait contraire à la loi, et également très préjudiciable. Prenons par exemple l’opération Cinenum d’aide à la numérisation des petites salles : la ventilation entre avance et subvention se fonde sur la moyenne des sorties nationales passées, et donc des contributions futures. Si cette moyenne venait à être modifiée, les salles pourraient se trouver en difficulté pour rembourser le CNC.

Enfin, nous nous interrogeons tous sur la façon dont évoluera la diffusion une fois advenue l’ère numérique, lorsque les équipements seront amortis. Le paiement des VPF aujourd’hui, comme auparavant le tirage des copies 35 mm, est un frein à « la plus large des diffusions ». Lorsque ces contributions auront disparu, quelle sera la programmation des salles ? La tendance est à élargir les combinaisons de sorties, c’est-à-dire le nombre de copies, de nombreux films. Si les quatre ou cinq films les plus demandés, sur la quinzaine qui sort chaque semaine, font l’objet de combinaisons extrêmement larges, la diversité s’en ressentira.

M. Patrick Brouiller, président de l’Association française des cinémas d’art et d’essai (AFCAE). Je remercie à mon tour l’Assemblée nationale d’avoir élaboré et voté cette loi, mais il faut comprendre que ce n’est qu’une étape. Pour ma part, j’ai « basculé » toutes mes salles en numérique la semaine dernière mais j’ai une dette d’un million chez le banquier : tout ne fait donc que commencer, et il faudra bien sept ou huit ans pour faire le point ! En attendant, il faut se féliciter de l’excellent plan d’aide pour les établissements d’un ou deux écrans, dont les salles indépendantes ont largement bénéficié.

La force de cette loi va résider dans notre capacité collective à la faire appliquer correctement. Or il semble qu’on assiste à certaines dérives. En ce qui me concerne, il m’aura fallu travailler jusqu’à la semaine dernière pour monter mon projet, régler les problèmes techniques, commander le matériel et être livré. Je n’entre donc que maintenant dans la phase active de programmation et de négociation. Or, s’il faut rendre hommage aux distributeurs indépendants français, les plus vertueux, qui ont signé des contrats de longue durée avec des collecteurs indépendants et nous procurent des films intéressants, on peut s’interroger sur d’autres pratiques. Ainsi, parmi les distributeurs américains, qui ont tous signé avec un nouvel entrant – un collecteur investisseur que je ne citerai pas –, deux nous somment de signer les contrats qu’ils nous envoient sans aucune négociation préalable. La médiatrice peut se rassurer : elle aura du travail – ce n’était qu’une question de temps ! D’autres Américains n’ont pas de contrat et payent d’office 450 euros, sans contrepartie. Ce qui nous amène à la nécessité de la transparence : il est tout à fait normal que chacun, dès lors qu’il participe à l’investissement, puisse suivre l’évolution du remboursement. Enfin, il y a les majors françaises : elles sont formidables, elles sont d’accord sur tout, elles vont signer… mais cela fait six mois que nous attendons !

Il faut remettre un peu de sens dans tout cela. Depuis des mois, nous négocions, nous essayons de tout régler par nous-mêmes avant de nous rendre chez la médiatrice. Mais si tout se joue, comme vous avez pu le constater, à fleurets mouchetés, sans opposition ouverte, la volonté de ne pas avancer n’en est pas moins manifeste. Nous serions donc très favorables à un contrôle exercé par le CNC. On ne peut pas téléphoner à la médiatrice au moindre problème ! Il faut pouvoir contrôler les pratiques d’entente – celles par exemple de distributeurs qui assurent à un exploitant un film qui fera beaucoup d’entrées, du moment qu’il ne leur demande pas de contribution... Et il ne s’agit pas de films qui sortent en trente copies, mais en cinq cents ! Cela pourrait avoir un effet direct, en peu de temps, sur la programmation et sur le maintien de la diversité.

Enfin, la loi est fondée sur une notion d’équité, et non d’égalité. Mais où se trouve le curseur ? Les contributions s’étagent aujourd’hui entre 350 et 650 euros, et vous vous doutez bien que ce ne sont pas les grandes enseignes qui perçoivent le minimum ! Si l’on veut préserver la diversité des lieux de diffusion, il faut veiller à ce que le numérique ne vienne pas renforcer la concentration. Je comprends parfaitement qu’il y ait un écart entre mes salles situées de l’autre côté du périphérique et celles des Champs-Élysées, mais quand il atteint 40, voire 50 %, je pense que l’esprit de la loi n’est plus respecté.

Le passage au numérique est une affaire importante. Je suis émerveillé qu’il ait déjà pu être réalisé dans 75 % des salles, grâce aux aides. Cette loi, qui a beaucoup de vertus, ne doit pas être affaiblie par des effets pervers ou par des comportements indus.

M. Éric Raguet, président de l’Association nationale des cinémas itinérants (ANCI). L’ANCI a à peine un an, et nous voici déjà invités à la table des grands ! Nous vous en sommes reconnaissants. Les acteurs de terrain savent que nous avons « les mains dans le cambouis » toute la journée, mais ce n’était pas forcément perçu au niveau national. La création de l’ANCI et le travail mené depuis trois ans avec le CNC ont permis de valoriser cette action. Je laisse Michel Schotte vous donner quelques éléments chiffrés.

M. Michel Schotte, vice-président de l’ANCI. Nous sommes effectivement honorés d’être ici, puisque nous touchons seulement 1,2 % des spectateurs – mais aussi la moitié des communes françaises ! Les circuits itinérants, qu’ils utilisent des salles fixes ou les salles polyvalentes des municipalités, offrent en effet du cinéma à des gens très éloignés de l’offre des centres villes et des multiplexes. En fait, je m’occupe pour ma part d’un multiplexe de vingt-trois salles en milieu rural !

Il y a environ 130 circuits itinérants en France, qui couvrent 88 départements et 2 300 communes. Ils assurent 37 000 séances pour 1,5 million d’entrées et réalisent 6 millions de chiffre d’affaires par an, le tout pour un prix de place abordable – 3,91 euros en moyenne. Mais notre économie est fragile : un projectionniste assure une seule séance à la fois, après avoir roulé pendant une demi-heure ou trois quarts d’heure et installé son matériel – puis remballage, et retour… Tout cela ne serait sans doute pas possible sans le soutien de l’État et des collectivités territoriales, mais nous nous appuyons dans la proportion de 70 à 75 % sur nos fonds propres et le passage au numérique pose pour nous un problème de survie. Si nous ne trouvons pas de solutions financières et techniques avant la fin de l’année, nous sommes morts. C’est pourquoi la déclaration de M. Garandeau nous rassure beaucoup.

Nous sommes très attachés à la diversité de l’offre : nous projetons des blockbusters américains ou français mais nous sommes à 70 % labellisés « art et essai ». Nous menons également une action très importante d’éducation à l’image : nous participons quasiment tous aux dispositifs « École et cinéma », « Collège au cinéma » et « Lycéens au cinéma », formant ainsi les futurs spectateurs de toutes les salles de France.

Nos outils, ce sont les projecteurs et les camionnettes. Or il n’existe pas encore de projecteurs numériques. Grâce à la collaboration du CNC depuis trois ans, puis à celle de la FNCF qui a pris récemment conscience de notre existence, nous sommes en discussion avec deux fabricants qui doivent nous fournir avant juillet des appareils semi-portables – ils pèseront quand même quarante kilos. L’engagement financier du CNC est confirmé et nos adhérents attendent avec impatience la publication du Cinenum consacré aux circuits itinérants. Il ne restera qu’à essayer les projecteurs des deux fabricants pendant quatre mois. Mais nos inquiétudes demeurent fortes : nous n’avons plus accès aux copies en 35 mm, sauf en dixième, voire vingtième semaine. C’est une catastrophe pour nos spectateurs : le public rural ou suburbain ne doit pas en être réduit aux films de patrimoine !

M. Éric Raguet. Nous vivons en effet une période difficile. Nous avons de moins en moins accès aux copies 35 mm. Pour la région Rhône-Alpes par exemple, nous avons dans ce format deux copies en version originale et deux en version française de The Descendants ! Il faut trouver le moyen de soutenir le plus longtemps possible la programmation des itinérants, qui ne seront pas passés au tout numérique à la fin de 2012 : il faut compter en effet, si les projecteurs sont prêts à l’automne, le temps de fabrication, le temps d’équipement des salles, le temps de formation du personnel… Nous y travaillons. Il faut mettre en place une organisation, peut-être avec l’ADRC, qui réserve un programmateur spécifique aux circuits itinérants et nous donne une visibilité à l’échelon national pour notre programmation.

Pour ce qui est du financement, on nous annonce un taux de 90 %, à peu près comme pour les écrans fixes. Notre problème, c’est que nous pouvons utiliser jusqu’à quatre projecteurs pour un seul numéro d’exploitation. Or, même si nous ne connaissons pas encore le prix de ceux qui vont être mis au point, on peut penser que l’aide publique ne couvrira au mieux que le coût de trois, dans la mesure où elle est plafonnée par la règle européenne de minimis à 200 000 euros. Ne peut-on demander une dérogation à l’Europe pour pouvoir financer quatre machines lorsque c’est nécessaire ? Sinon, la quatrième restera à notre charge, sur nos fonds propres.

Pour ce qui est des délais, si le dispositif Cinenum « itinérants » est publié en juillet, nous devrions connaître les prix des fabricants assez vite. Mais c’est la règle de minimis qui nous cause le plus de souci. Il en va vraiment de la survie de notre activité.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Merci pour ces exposés particulièrement intéressants. Nos collègues Michel Herbillon et Marcel Rogemont sont très présents à vos côtés – et je leur sais gré de leur travail –, mais il était important que l’Assemblée puisse ainsi faire le point avec vous sur la mise en œuvre de la loi.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 6 mars 2012 à 17 heures

Présents. – M. Eric Berdoati, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, Mme Sophie Delong, M. Gilles d'Ettore, M. Jacques Grosperrin, M. Michel Herbillon, M. Dominique Le Mèner, M. Alain Marc, M. Jean-Philippe Maurer, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, Mme Michèle Tabarot, Mme Marie-Hélène Thoraval

Excusés. – Mme Marie-Hélène Amiable, Mme Sylvia Bassot, M. Bruno Bourg-Broc, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. Jean-François Copé, Mme Pascale Crozon, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Françoise Guégot, Mme Jacqueline Irles, M. Yvan Lachaud, M. Pierre Lequiller, M. Georges Tron