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Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mercredi 12 octobre 2011

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 10

Présidence M. Claude Bartolone, Président

Auditions sur le thème : « Comment évaluer l’encours des emprunts toxiques ? »

– M. Alain LEVIONNOIS, président de la CRC Picardie

– M. Marc LARUE, président de section à la CRC PACA

– M. Patrick BARBASTE, premier conseiller à la CRC d’Alsace

– M. Christian CHAPARD, premier conseiller à la CRC du Nord-Pas-de-Calais

– M. Martin LAUNAY, premier conseiller à la CRC Pays de la Loire

M. le président Claude Bartolone. La table ronde qui s’ouvre à présent réunit des magistrats des chambres régionales des comptes (CRC) ayant eu à connaître la situation d’endettement de nombreuses collectivités, et dont l’analyse a contribué au rapport public thématique sur la gestion de la dette publique locale, présenté en juillet 2011.

Cette table ronde doit nous permettre d’apprécier l’encours des emprunts toxiques dans la dette publique locale, et la part qu’il représente au sein de cette dette. Mais de nombreuses autres questions seront abordées aussi, touchant l’information sur les risques de dette et les règles de la comptabilité des collectivités locales, le renforcement des moyens de contrôle interne et externe, et bien sûr les moyens d’aider les collectivités en grave difficulté.

Aussi je vous remercie d’accueillir : M. Alain Levionnois, Président de la CRC de Picardie, M. Marc Larue, président de section à la CRC de Provence-Alpes-Côte d’Azur, M. Patrick Barbaste, premier conseiller à la CRC d’Alsace, M. Christian Chapard, premier conseiller à la CRC du Nord-Pas-de-Calais et M. Martin Launay, premier conseiller à la CRC des Pays de la Loire.

Les personnes auditionnées prêtent serment.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Paradoxalement, alors qu’une règle d’or impose aux collectivités territoriales de présenter leurs budgets en équilibre, les caractéristiques de leurs dettes restent entourées de flou. Il est ainsi impossible de déterminer précisément l’encours total de la dette des acteurs publics locaux, ni de quels types d’emprunt ces encours sont constitués, d’en connaître la maturité moyenne ou la ventilation par type de taux d’intérêt. Le rapport se borne à estimer que l’encours de la dette locale atteint 30 à 35 milliards d’emprunts structurés, dont 10 à 12 milliards présenteraient un risque potentiellement élevé.

J’aurai trois questions en relation avec cette situation : quels sont les remèdes que l’on peut apporter afin d’en finir avec la mauvaise connaissance des prêts et cette concentration des risques ? Comment, aussi, parvenir à une meilleure transparence de la gestion de la dette des collectivités ? Enfin – question la plus brutale – qui porte la responsabilité de la situation très difficile à laquelle certaines collectivités sont confrontées ?

M. Alain Levionnois, président de la CRC Picardie. Nous sommes très honorés d’avoir à vous rendre compte des travaux que nous avons menés. Notre équipe a en réalité travaillé sur trois rapports successifs : le premier a pris la forme d’une insertion au rapport annuel de la Cour des comptes publié en février 2009, le deuxième a consisté en une nouvelle insertion de suivi au titre du rapport annuel de février 2010 et le troisième a été un rapport thématique de la Cour sur la gestion de la dette locale, publié en juillet 2011.

Ce dernier rapport est le fruit d’une analyse plus approfondie, sous la responsabilité de Marc Larue et des autres rapporteurs ici présents, qui s’est appuyé sur l’ensemble des CRC de métropole.

Pour répondre à votre première question relative aux moyens d’améliorer la gestion de l’encours de prêts à risque, je rappellerai que la direction générale des finances publiques (DGFiP) du ministère des finances avait engagé, dès 2009, un essai de recensement des prêts structurés à risque figurant dans les comptes des collectivités territoriales, par l’intermédiaire des trésoriers payeurs généraux et des agents comptables du Trésor public. Ce recensement, qui a servi de base aux travaux d’Éric Gissler et à l’élaboration d’une charte de bonne conduite, s’est révélé aléatoire et assez peu probant : peu d’agents comptables avaient une connaissance précise de ces produits et ils ne disposaient pas non plus d’outil leur permettant de mesure le risque. La charte Gissler a constitué, de ce point de vue, une démarche intéressante de classification même si nous émettons, dans notre rapport du mois de juillet dernier, quelques réserves quant aux décisions qui en ont découlé.

De son côté, le conseil de normalisation des comptes publics a émis un certain nombre d’avis et proposé la modification des annexes comptables des budgets locaux. L’un de ces avis propose également une classification intéressante de ces produits. Il me semble que c’est un progrès important.

Toutefois, la notion d’emprunt à risque demeure assez imprécise. Dans une certaine mesure, un emprunt à taux fixe fait courir un risque à la baisse des taux : dans les années quatre-vingt, les taux fixes des emprunts des collectivités atteignaient 17 % ; c’est d’ailleurs à cette époque qu’est apparue la notion de gestion active de la dette.

L’encours global de la dette locale – 163 milliards d’euros – est aujourd’hui bien connu, grâce aux données de l’INSEE, mais indéniablement il reste des progrès à accomplir en matière de classification des composantes de cette dette.

Je serai beaucoup plus bref pour répondre à votre deuxième question sur les frais financiers. Il est impossible de prédire l’avenir de ces produits : Comment va évoluer la parité entre l’euro et le franc suisse ? Quelle sera la forme de la courbe des taux dans les prochains mois ? Je ne suis pas en mesure de le savoir.

M. le rapporteur. Comment garantir la sincérité des comptes locaux dans ces conditions ?

M. Alain Levionnois. C’est une question difficile. Un contrat d’emprunt est un contrat de droit civil. Les juridictions civiles et commerciales sont seules compétentes pour en connaître. La seule affaire jugée, en la matière, opposait les caisses d’épargne et une société anonyme d’habitat local ; c’est le tribunal de commerce qui a rendu la décision.

M. le président Claude Bartolone. À Toulouse.

M. Alain Levionnois. Tout à fait. Les contrats d’emprunt ne sont donc pas des contrats administratifs. Cela pose deux difficultés. D’abord, les collectivités territoriales ne sont pas familières de la procédure civile. Par ailleurs, pour le juge judiciaire, le contrat fait loi entre les parties et l’intérêt général n’y a guère sa place.

M. Alain Levionnois, président de la CRC Picardie. Le propre de la décentralisation, c’est d’avoir libéralisé les possibilités pour les collectivités territoriales de s’administrer et donc d’emprunter librement, sans autorisation administrative préalable.

M. le président Claude Bartolone. Il y a la dimension commerciale dans l’opération de prêt aux collectivités, mais aussi une dimension administrative – et des normes applicables que les produits structurés n’ont pas permis de respecter : la sincérité de l’équilibre des budgets votés, l’information des organes délibérants. Quelles sont les règles qui vous paraîtraient devoir être précisées pour avoir sincérité et transparence ?

M. Alain Levionnois. Votre question renvoie à l’une des recommandations faites dans le rapport public de juillet 2011, à savoir le renforcement de l’information et l’association des assemblées délibérantes aux décisions relatives à l’emprunt. L’une des particularités du contrat d’emprunt, c’est qu’il doit être conclu rapidement. Il ne peut que s’agir d’une décision exécutive du responsable au sein de la collectivité, et la soumettre aux délais de la délibération ne serait pas adapté. Il ne serait pas pertinent de remettre en cause cette délégation de compétence aux exécutifs locaux, alors que son champ a été constamment élargi par la loi au cours des dernières années. Mais une délégation de compétence doit avoir comme contrepartie un pouvoir de contrôle, qui nous paraît actuellement insuffisant. D’où la recommandation de prévoir par la loi que les gestionnaires locaux aient à rendre compte de leurs choix en matière d’endettement, dans un rapport annexé au budget, qui pourrait faire l’objet d’un débat. Ces questions peuvent éventuellement paraître complexes au conseiller municipal « de base », mais il pourra tout au moins demander des explications, ce qui forcerait le responsable à formaliser ses choix et à les expliquer. Ce rapport représenterait un outil pour les assemblées délibérantes, et cette évolution ne pourrait avoir qu’un effet positif et représenter un progrès en termes de transparence.

M. Patrice Calméjane. Vous évoquez les collectivités, mais vous êtes aussi les contrôleurs des gestionnaires. Or l’article R. 231-2 du code des juridictions financières prévoit notamment que « sont vérifiées dans les locaux des services gestionnaires les pièces justifiant les catégories de dépenses ou de recettes publiques fixées par arrêté du ministre chargé du budget pris sur proposition du premier président de la Cour des comptes et du procureur général près ladite cour ». Au vu de l’absence de consigne précise qu’ont reçu l’ancien préfet et l’ancien trésorier-payeur général que nous avons auditionnés, avez-vous eu l’occasion de faire des recommandations sur les éléments devant faire l’objet d’un contrôle ?

En outre, quel est le niveau de formation des agents de vérification de la Cour qui ont été confrontés à des produits aussi complexes que les emprunts structurés ? Les comprendre requiert une expertise pour les comprendre ; il a aussi été évoqué des documents contractuels rédigés en langue étrangère. Avez-vous fait appel à des experts extérieurs pour comprendre des produits sur lesquels vous n’avez pas eu de formation initiale ?

M. le président Claude Bartolone. Pour faire le lien entre ces interventions, j’ajouterai un cas tiré de mon expérience personnelle. Lors de ma première rencontre avec mon directeur financier, il m’a expliqué que nous étions passés d’un taux de gestion de la dette de 3,90 % à 3,15 %. Sans audit externe, je n’aurai jamais pu me rendre compte que cette gestion active de la dette cachait une perte potentielle d’un tiers, qui n’apparaissait nulle part. Or nous aurions dû être informés de cette perte.

M. Marc Larue, président de section à la CRC PACA. Comme nos différents rapports l’ont souligné depuis 2009, l’absence d’outil statistique national pose un problème. Il semble désormais se mettre en place, mais en son absence nous avons dû nous appuyer sur des chiffres de conseils extérieurs.

Notre expérience des contrôles sur le terrain nous pousse à préconiser de travailler dans deux axes :

– l’amélioration de l’information des assemblées délibérantes dans les collectivités territoriales, par un débat obligatoire sur la dette et la stratégie de la dette : ces contrats sont souvent aujourd’hui approuvés sans débat, et l’obligation de rendre compte a posteriori des décisions prises ne suffit pas. La situation des hôpitaux, où la décision est prise par le directeur seul en vertu de ses pouvoirs propres, montre a contrario l’intérêt d’un débat, même si les personnes n’ont pas de compétence particulière en la matière. L’obligation pour le gestionnaire de formaliser pour expliquer présente en effet des vertus en soi en montrant la dangerosité des produits complexes ;

– la mise en place d’un système de provisionnement : ces produits n’ont pas été réglementés, et l’innovation financière rend impossible de prévoir quels seraient les nouveaux produits qui pourraient apparaître. Dans ce contexte, l’obligation de provisionner nous apparaît comme une solution pérenne. L’analyse de la situation nous a montré que certaines personnes ont cru réellement pouvoir emprunter à des taux inférieurs à ceux du marché, ce qui n’est pas possible, mais dans certains cas les banques l’ont peut-être laissé croire. Le système de provisionnement que nous proposons a pour objet de compenser le gain lié au recours à un taux d’intérêt inférieur à celui du marché.

Dès 2005-2006, nous avons attiré l’attention dans nos contrôles sur ces nouveaux produits et mis en garde les gestionnaires contre leur complexité et leurs risques. Le fait que les responsables financiers et commerciaux des banques ne comprenaient parfois pas eux-mêmes les caractéristiques de ces produits nous a confirmés dans la conviction qu’ils posaient problème.

S’agissant de la réaction des autres instances de contrôle et notamment du rôle joué par le contrôle de légalité et les comptables publics, nous abordons dans notre rapport le problème posé par les contradictions des textes applicables en ce qui concerne les documents à produire au contrôle de légalité en matière d’emprunts. De notre point de vue, même si le contrat de prêt est un contrat privé, il nous semble qu’il devrait être transmis obligatoirement au contrôle de légalité.

M. le Rapporteur. Vous évoquez le taux du marché : il convient de faire la différence entre produits structurés et produits toxiques. Un emprunt structuré devient toxique quand son taux d’intérêt dépasse le taux usuraire. Le problème n’est pas uniquement ce taux, mais le coût de la sortie qui n’était pas prévisible. Faut-il protéger les collectivités en appliquant comme limite le taux de l’usure ?

M. Marc Larue. La logique des emprunts structurés est d’échanger une bonification de taux à court terme contre un risque important. Si on veut provisionner par rapport au risque de sortie, on aura une difficulté. Le vice de départ de ces produits c’est le taux bonifié inférieur au marché qui a été affiché, et anesthésié la perception du risque. Si on neutralise cet avantage par l’obligation de provisionner, on fait perdre l’intérêt de recourir à ces produits.

M. le président Claude Bartolone. S’il y avait eu obligation de provisionner le risque, bon nombre de ces produits n’auraient pas été souscrits, car pour nombre d’entre eux, le jour même de leur signature, il y avait un risque.

À partir de quels faits, quelle information, les conséquences néfastes de ces produits ont-elles été appréhendées par les chambres régionales des comptes ?

M. Patrick Barbaste, premier conseiller à la CRC d’Alsace. Notre équipe a des formations initiales variées. Nous avons dispensé un certain nombre de formations et élaboré des guides d’enquête au profit des équipes de vérification ; nous avons aussi pu faire appel à des experts extérieurs.

Les juridictions financières soulignent que la dette locale est comptabilisée en valeur nominale et non en valeur financière. Ceci est une difficulté structurelle pour évaluer les risques et les charges financières à venir.

Le Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP), créé par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2008, a commencé à examiner la question en février 2009 et a publié des informations sur les annexes du budget. La compréhension de la formule de calcul de l’indexation permet de faire des projections et de constater que des taux d’intérêt à deux chiffres pouvaient être atteints.

Le second axe de travail du CNOCP concerne le provisionnement, tout en sachant que la difficulté en matière de finance locale est la difficulté budgétaire à passer la provision. Nous en sommes tous conscients : si on retient l’intégralité de la soulte de sortie pour le montant de la provision, certaines collectivités, même importantes, pourront se retrouver en difficulté, car cela représentera deux ou trois fois leur épargne brute. Nous avons écarté ce schéma pour envisager de provisionner les échéances de l’exercice suivant, par exemple.

Depuis l’apparition des difficultés, les collectivités essaient de réaménager en figeant avec la banque les conditions à un taux fixe même élevé, parfois sur seulement deux ou trois échéances, et en repoussant donc le problème sur l’avenir, et en rééchelonnant les échéances. Certaines arrivent à sortir de leurs positions à la faveur de fenêtres de marchés.

Concernant le montant des frais financiers que cela peut engendrer, étant donné qu’il est quasi impossible de disposer de visibilité par exemple, sur le niveau des changes à six mois, il est impossible de les anticiper à vingt ou trente ans. Au surplus, on ne connaît pas le poids de chacune des stratégies structurées dans l’encours des collectivités. Le système de provisionnement devrait verrouiller la réapparition de ce problème à l’avenir. Pour l’encours déjà souscrit, les produits à barrière ou snowball ne sont pas tous sortis de leur phase bonifiée, donc il faut craindre que l’on relève encore des éhcances très dégradées dans l’avenir.

M. le Rapporteur. En étudiant un cas limite, on pourrait imaginer qu’une collectivité avec 200 millions d’euros de dette, dont 95 % d’emprunts structurés assis sur les parités du dollar ou du franc suisse, se retrouve avec des taux d’intérêt de 28 ou 30 %. Comment faire pour payer 60 millions d’intérêt par an ? Comment équilibrer le budget ? Par 50 points de fiscalité ?

M. Jean-Louis Gagnaire. L’exemple limite présenté par le Rapporteur montre que cette situation est intenable. Avant même d’y arriver, certains maires auditionnés nous ont dit qu’ils seraient dans l’incapacité d’élaborer leur budget et contraints de remettre cette situation entre les mains du préfet.

Je comprends l’intérêt de votre proposition de mettre en place des provisionnements pour prendre en compte les risques. Mais en comptabilité privée, il s’agit de provisionner le risque avéré et non hypothétique, quitte à l’ajuster en fonction de la réalisation de ce risque. Dans le cas des collectivités, comment mesurer ce risque ? Si pour l’avenir, ce système aura un effet préventif, en dégradant immédiatement la qualité des comptes des collectivités concernées, il ne règle pas le passé.

Une question essentielle est celle de la soulte demandée pour sortir de ces prêts : on ne connaît pas sa valeur a priori, qui est réactualisée en permanence. J’ai le sentiment qu’elle est calculée à la tête du client, en fonction de la capacité à négocier des petites communes ou des établissements hospitaliers qui eux, avaient un réseau à leur appui.

Vous appelez à diversifier l’offre de prêts, mais la période actuelle se caractérise par une pénurie d’offres de prêts. Comment diversifier l’offre de prêt dans ses conditions ? Les grandes collectivités pourraient s’adresser au marché obligataire, comme auparavant, libérant capacités de financement pour les collectivités plus petites, mais l’audition du gouverneur de la Banque de France par la commission des Finances a montré que cette raréfaction de l’offre de prêt n’a pas été encore correctement appréhendée.

M. Jean Proriol. Je ne suis pas convaincu que le système du provisionnement soit facile à intégrer. Dans le secteur privé, vous provisionnez aussi pour diminuer vos impôts. Dans les établissements hospitaliers, j’ai constaté que des tentatives de provisionner le coût des futurs départs en retraite ont été battues en brèche par les autorités de tutelle, qui défendent que rien ne presse. Quels critères proposez-vous pour quantifier la provision ?

M. le président Claude Bartolone. Je vais complexifier cette question du provisionnement. Comment doit-on l’évaluer ? Par ailleurs, pensez-vous que l’on devrait interdire la souscription de certains produits de la Charte Gissler ? Il est impossible de prévoir les évolutions des taux de change à plus de six mois ; à dix ans, cela peut dépendre de facteurs économiques et géostratégiques. Comment un élu local, quelle que soit sa formation, peut-il prendre des risques pour sa collectivité pour les vingt années à venir ? Ne doit-on pas mettre des barrières parmi les produits structurés susceptibles d’être proposés aux collectivités territoriales ?

M. Alain Levionnois. La question d’une éventuelle interdiction de certains types d’emprunts pose de multiples difficultés.

Les prêteurs voulaient placer leurs produits, leur démarche était commerciale ; les stress-tests n’étaient pas adaptés et les prêteurs considéraient les risques comme inexistants lorsqu’ils ont proposé leur souscription.

Aujourd’hui la courbe des taux étant normale, les produits de pente ne semblent pas poser de problèmes. Mais un retournement n’est jamais à exclure. On ne parle que des produits assis sur le franc suisse, mais cela n’est que le dernier accident, pas le prochain.

M. le Rapporteur. Ma question allait plus loin. En cas de difficultés, la collectivité pourra toujours augmenter ses taux d’imposition. C’est le contribuable qui va payer.

M. Alain Levionnois. Depuis 1982, s’il apparaît un déséquilibre dans le budget ou le compte administratif d’une collectivité territoriale, avant de prendre une mesure d’office, le préfet doit saisir la chambre régionale des comptes. Quand cela arrive – rarement, mais notamment récemment à Hénin-Beaumont et au Portel – le surendettement est un facteur d’explication mais pas le seul. La CRC propose alors un plan de redressement, qui ne se limite pas à une augmentation des impôts. Si la loi impose un équilibre des comptes, lorsque la CRC est saisie d’un déséquilibre, elle peut proposer un plan de redressement sur plusieurs années, lorsqu’il n’est pas possible de revenir à l’équilibre dans le même exercice. La règle de l’équilibre ne permet pas de changer le plomb en or ; il nous faut tâcher de revenir à l’équilibre à terme.

M. le Rapporteur. Cela revient à ne pas fermer le robinet des intérêts à verser…

M. Marc Larue. Si la collectivité a souscrit certains produits assis sur le cours du yen ou du franc suisse, il est possible d’aménager cette dette pour limiter les frais financiers pendant un ou deux ans, en espérant que le marché s’améliore. Le rapport ne propose pas une structure de défaisance, mais il nous semble possible d’améliorer le traitement actuel, un peu artisanal, de l’encours de dette toxique, étant entendu que les collectivités les plus importantes ne sont pas celles qui en ont le plus besoin. Cela pourrait permettre aux collectivités d’attendre et de saisir les opportunités qui se présenteraient pour sortir de certains produits, alors qu’aujourd’hui le risque joue à plein. Il est donc possible à nos yeux d’améliorer la gestion actuelle du risque sans avoir besoin de créer une structure de défaisance.

M. le président Claude Bartolone. Aucun d’entre vous, contrôleurs sur le terrain, n’a encore répondu à ma question : doit-on continuer à autoriser aux collectivités de souscrire l’intégralité des produits classés par la charte Gissler, ou faut-il interdire certaines classes de produits aux collectivités ?

M. le Rapporteur. Faut-il légiférer ?

M. Alain Levionnois. Quel est le statut de la Charte Gissler ? C’est un accord entre quatre banques et l’Association des maires de France. Mais comme elle fait référence, elle peut être en quelque sorte considérée comme une norme professionnelle par le secteur, ce qui peut de ce point de vue être regardé comme satisfaisant.

Mais comme les prêteurs sont intéressés à la vente de produits structurés, permettant de réaliser de plus fortes marges que les produits proposés dans les années 2000, le compromis trouvé pourrait être amendé. Certains produits pourraient être exclus de la charte. Les produits de pente, avec effet de levier, risquent de basculer un jour : mieux vaut les interdire dès aujourd’hui. Les emprunts adossés sur des indices hors zone euro n’ont pas de justification pour être souscrits par les collectivités, car il y a tout ce qu’il faut sur le marché européen. La complexité ne se justifie pas. Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales n’empêche pas que le législateur contrôle et encadre les conditions d’exercice de cette liberté locale. La jurisprudence du Conseil constitutionnel l’a réaffirmé à de nombreuses reprises : ainsi, sa décision relative à la loi du 2 mars 1982 avait partiellement censuré le texte adopté car il prévoyait que certains actes des collectivités territoriales seraient exécutoires de plein droit. À la suite de cette décision, il a été précisé que les actes seraient exécutoires après publication et transmission au préfet. Il y a donc une place pour le contrôle.

Aussi la loi ou la charte pourrait interdire les produits à effet de levier et assis sur des indices hors zone euro. Nous l’avons écrit et nous le confirmons.

M. Le président Claude Bartolone. Donc vous préconisez bien d’interdire les produits actuellement classés au-dessus de C 3 par la charte Gissler.

M. Christian Chapard, premier conseiller à la CRC du Nord-Pas-de-Calais. Je vais concentrer mon intervention sur les cas pratiques qui ont été évoqués. Dans le premier cas qui concernerait une collectivité ou un établissement public dont la structure de la dette serait caractérisée par une part importante de produits fortement risqués, il conviendrait d’être à l’affût de toutes les possibilités de renégociation. Il faudrait aussi inverser le rapport de forces avec les établissements bancaires afin d’être en mesure de renégocier dans de bonnes conditions. Enfin, il pourrait être préconisé de souscrire des produits de couverture des risques pris, afin de passer les échéances difficiles.

Dans le second cas, c’est-à-dire lorsqu’il est expliqué à un élu que la gestion active de la dette a permis de baisser le coût total de la dette, il y a lieu qu’il se demande à partir de quelles informations ce coût a été défini. Dans l’appréciation de la situation, les risques pris apparaissent-ils vraiment, avec la valeur de marché des produits souscrits ? Les soultes renégociées y figurent-elles ? Il faut intégrer dans le résultat présenté les risques pris et notamment les provisions afférentes.

M. le président Claude Bartolone. Vous le faites remarquer avec justesse, dans le cas de ma collectivité, il a fallu que je provoque un audit pour avoir un état des risques pris. Au contraire, les fonctionnaires pensaient, de bonne foi, me présenter une bonne nouvelle, avec une dette bien gérée et une économie de 0,8 point.

M. Christian Chapard. Le gestionnaire qui souscrit, signe ou renégocie les contrats devrait avoir une vision des risques et du coût potentiel. Mais pour établir un bilan d’une gestion active de la dette, il faut toutes les données, et notamment les soultes souvent compensées, qui peuvent être demandées aux prêteurs.

Prévoir des provisions, c’est essentiel : ce n’est pas qu’une question fiscale, mais aussi consacrer une part des ressources actuelles pour faire face à des aléas pouvant survenir dans le futur en conséquence de décision de gestion actuelle.

M. Patrice Calméjane. J’aurai deux questions.

Pourriez-vous nous confirmer que les produits swap doivent être provisionnés dans les budgets des collectivités territoriales ? En prenant en compte la situation des petites communes que nous avons auditionnées la semaine dernière, faut-il prendre en compte la taille des collectivités pour déterminer quel type de produits ils peuvent être en droit de souscrire ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Au terme des négociations, il demeurera un volant incompressible d’emprunts structurés. Les collectivités territoriales concernées souhaitent pouvoir transférer ces encours vers une structure de mutualisation qui serait en position de négocier avec les banques, à charge pour elles de rembourser leur quote-part de capital et d’intérêts. C’est un modèle assez différent de celui de la bad bank de Dexia.

M. le Rapporteur. Il existe une directive européenne sur les marchés d’instruments financiers (MIFID) qui distingue la clientèle professionnelle et non-professionnelle. Les collectivités territoriales sont classées dans cette seconde catégorie. La loi française, par ailleurs, définit l’usure et fixe des taux maximums applicables aux prêts à taux variable. N’est-il pas envisageable de se fonder sur les dispositions existantes pour protéger davantage les collectivités et les citoyens qui, par leurs impôts, leur assurent des ressources ?

M. Martin Launay, premier conseiller à la CRC Pays de la Loire. Pour répondre à votre question relative au taux de l’usure, je rappelle que ceux-ci sont des taux de marchés majorés.

Je reviens sur l’interdiction des produits structurés. Les raisons du développement des produits structurés sont à rechercher dans le souci des banques au début des années 2000 d’améliorer leur rentabilité alors que leurs marges sur les produits « classiques » proposés aux collectivités locales étaient très faibles, ce qui les a poussées à commercialiser des emprunts structurés, plus rémunérateurs pour elles.

Aujourd’hui, ces produits structurés ne sont plus proposés en l’état par les banques en ce qui concerne les nouveaux prêts. Cependant, la créativité des banques n’a pas ralenti pour autant. Il me semble donc inopérant d’interdire dans la loi certains types de produits risqués qui ne sont plus commercialisés et encore moins d’interdire ceux qui pourraient apparaître dans le futur, le législateur ne pouvant être aussi réactif que les financiers sont créatifs.

M. le président Claude Bartolone. Le véritable obstacle à la renégociation réside, à mon avis, dans les indemnités de remboursement anticipé et les pénalités de sortie insurmontables qui sont imposées aux collectivités qui tentent de renégocier leurs contrats.

Je rappelle aussi que les représentants des petites communes nous ont expliqué qu’on ne leur proposait pas d’autre type de produits pour leurs emprunts ; la seule proposition qu’on leur faisait était le produit appelé TO-Fix.

Enfin, j’attire l’attention de nos collègues sur l’évolution préoccupante de la parité entre l’euro et le franc suisse. Celle-ci est, pour l’heure, artificiellement contenue à 1,22 par la banque centrale helvétique mais on peut se demander combien de temps celle-ci pourra tenir le cours de sa monnaie.

M. le Rapporteur. Je partage le point de vue du Président. Le vrai problème est celui de la soulte demandée aux collectivités désireuses de rembourser leurs emprunts structurés. Ce coût résulte des couvertures souscrites par les établissements de crédit mais dont les collectivités territoriales ne sont pas responsables.

M. Martin Launay. La soulte, comme le problème du stock de dette, est effectivement un obstacle difficilement surmontable pour les collectivités ayant déjà souscrit des emprunts structurés. Il n’y a pas, à cet égard, de solution miracle.

Cette question renvoie d’ailleurs à celle du partage de la responsabilité. Ce n’est pas parce que l’on est incapable d’évaluer le risque lorsqu’on analyse un contrat d’emprunt, que l’on ne peut pas voir qu’il existe un risque dans cet emprunt.

J’ajoute que votre proposition de plafonner au niveau de l’usure le taux des contrats de prêts en cours aboutirait à limiter la rémunération des créanciers et leur occasionnerait des pertes en raison du fait que les banques retournent les positions pour neutraliser le risque dans leur bilan et doivent se refinancer.

M. le président Claude Bartolone. J’entends vos remarques : ce n’est pas le moment, pour les collectivités de renégocier leurs contrats car le contexte économique ne leur est pas favorable. Mais est-il souhaitable de différer cette renégociation et tenter de gagner du temps ? Cela conduit à transmettre les difficultés au prochain maire pour solder la situation. On a vu que des emprunts avaient été souscrits la veille des élections.

M. Alain Levionnois. L’expression « renégociation d’emprunt » prête à confusion. Elle est souvent comprise de travers, faisant croire qu’il est possible d’alléger la charge d’un emprunt, alors qu’il s’agit d’un reprofilage, d’un agencement différent d’une dette qui reste la même. Le premier rapport public particulier de la Cour des comptes avait attiré l’attention sur ce point dès 1991, et ces phénomènes y sont très bien expliqués. En pratique, l’emploi de ce terme par les professionnels devrait être banni. Et si cela avait un sens, on pourrait même souhaiter qu’il soit interdit par la loi.

L’affaire Dexia est un sujet grave, qui conduit à s’interroger sur le coût de la ressource financière pour les collectivités à l’avenir, car on peut s’attendre à ce que les taux s’élèvent à l’avenir. Les marges bancaires ont déjà augmenté. De plus, le coût des ressources bancaires est majoré par le taux des CDS qu’elles doivent acheter pour garantir leurs prêteurs. Le marché interbancaire est aujourd’hui très dégradé. En outre, la mise en œuvre des dispositions sur les ratios de liquidité de l’accord de Bâle III va contribuer à majorer le coût du crédit. La dette des collectivités s’est à nouveau mise à augmenter, son coût va se renchérir.

On peut certes allonger les durées de remboursement, mais on ne peut penser que l’on fera des économies. L’idée de caper les taux par la loi se heurte peut-être à un problème de constitutionnalité ; il faudrait l’étudier ; cela aurait en tout cas des conséquences importantes sur le marché financier, qui ne le supporterait sans doute pas.

Les contrats de prêts des collectivités ne sont pas des contrats relevant du droit administratif, domaine dans lequel l’autorité publique peut, lorsqu’un motif d’intérêt général le justifie, résilier unilatéralement le contrat sous réserve de dédommagements. Si l’on s’inspirait de cette idée pour encadrer les conditions de l’offre de prêt, dans le cadre du droit privé, l’opération serait déséquilibrée, ce qui découragerait les banques de prêter, ou bien elles se prémuniraient en facturant leur manque à gagner éventuel d’une autre manière. On ne voit pas là de solution, c’est pourquoi la règle de la provision présente des avantages.

La règle d’or de l’équilibre budgétaire des collectivités présente un inconvénient : elle joue sur une année mais n’intègre pas de pluri annualité. Or l’emprunt est une recette nette qui équilibre le budget de l’année mais c’est aussi une dépense future. Cette présentation masque la réalité des budgets futurs, qui présenteront des dépenses alourdies de frais financiers. Un emprunt d’une durée de quarante ans a des conséquences sur les comptes jusqu’en 2050 ! Le système de la provision, que la Cour a préconisé déjà trois fois, remédierait à cette faiblesse de la loi relative à la présentation des comptes des collectivités. Nous sommes conscients du fait que le principe du provisionnement obligatoire (réglementé) a soulevé des réticences. Par exemple, une première version de la réglementation M 14, apparue en 1996, prévoyait une provision pour différé d’amortissement applicable aux emprunts obligataires. Ce système a été abandonné en 2006 ; toutes les provisions réglementées ont été supprimées, et il ne reste plus que des provisions pour risques et charges. Il nous paraît utile de prévoir un complément au système actuel pour améliorer la fiabilité et la sincérité des comptes.

M. le président Claude Bartolone. Je vous remercie pour les nombreuses informations et idées qui ont été émises, dont le rapporteur fera certainement un grand usage.