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Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mardi 18 octobre 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 12

Présidence M. Claude Bartolone, Président

Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème : « L’obligation de conseil des établissements de crédits », avec la participation de :

– M. Richard ROUTIER, professeur à l’université de Strasbourg, auteur de « Obligations et responsabilités du banquier » paru en juillet 2011

– Me Bruno WERTENSCHLAG, avocat associé, et M. Olivier POINDRON, consultant, cabinet FIDAL

− M. Gilles SÉBÉ, président de Seldon Finance

M. le président Claude Bartolone. Après avoir conduit un premier cycle d'auditions au cours duquel nous avons entendu le témoignage des « plaignants », ceux qui se considèrent comme victimes des emprunts structurés – les représentants des collectivités territoriales, grandes ou petites, les établissements hospitaliers, les organismes chargés du logement social, nous en venons à l’analyse des produits financiers qui ont été proposés par les banques et à la relation entre les banques et leurs clients.

Ayant entendu des spécialistes des prêts bancaires dont la fonction est le conseil, notamment aux collectivités, nous accueillons des juristes spécialisés dans le droit bancaire : M. Richard Routier, professeur à l'université de Strasbourg et auteur de « Obligations et responsabilités du banquier » paru en juillet 2011 ; Me Bruno Wertenschlag, avocat associé, et M. Olivier Poindron, consultant, du cabinet FIDAL ; M. Gilles Sébé, président de Seldon Finance.

Cette table ronde doit nous permettre de comprendre plus précisément quels devoirs s'imposent aux banques dans le cadre d'une approche et d'une négociation avec une collectivité locale, et ce que recouvre l'obligation de conseil du banquier – obligation d'informer, de conseiller et de mettre en garde imposée par le code civil. Dans tous les cas qui nous ont été exposés au cours des auditions, il est apparu clairement que les banquiers n'ont jamais mis en garde la collectivité locale sur les risques qu'elle prenait en s’engageant dans une opération spéculative. Les banquiers ne se sont pas non plus pliés aux règles de bonne conduite qui s'imposent aux prestataires de services d'investissement, codifiées par le code monétaire et financier avant même la transposition de la directive relative aux marchés d'instruments financiers.

Il n'y a pas, en France, de jurisprudence relative à la dette structurée des collectivités locales. Les contrats de prêts et de swaps structurés sont des conventions de droit privé ; la collectivité peut donc en demander l'annulation au juge judiciaire. Auparavant, elle peut tenter d'obtenir une transaction, mais encore doit-elle pour cela pouvoir faire état de manquements bien définis. Votre éclairage permettra d’affiner la caractérisation des fautes commises par les banques. Comment les collectivités en grave difficulté, et notamment les petites, peuvent-elles mettre en cause la responsabilité de leur banque ?

(Conformément aux dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Richard Routier, Bruno Wertenschlag, Olivier Poindron et Gilles Sébé prêtent successivement serment).

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Les banques, qui ont rivalisé d’imagination au cours des dernières années pour proposer des produits de plus en plus sophistiqués à la clientèle très particulière qu’est celle des collectivités territoriales, peuvent-elles voir leur responsabilité mise en cause pour des présentations trompeuses et des informations incomplètes ? Certains des cas dont vous avez eu à connaître font-ils apparaître des manœuvres pour lesquelles la nullité du contrat peut-elle être invoquée ? Que penser d’appellations telles que « taux fixe structuré » ou d’un contrat intitulé « Tofix » alors qu’il est tout sauf à taux fixe ?

M. Richard Routier. Il faut se poser la question de savoir sur quel fondement on peut engager la responsabilité de la banque. J’ai lu dans la presse que des actions pénales étaient engagées pour tromperie ou escroquerie. L’exercice de la voie pénale présente des avantages mais aussi des inconvénients. L’un de ces inconvénients est qu’elle est d’interprétation stricte, si bien que de telles actions ont peu de chances d’aboutir, d’autant qu’il faut pouvoir démontrer l’existence d’un élément intentionnel qui, étant donné l’aléa des marchés et le fait que les signataires des contrats n’étaient pas forcément au courant de ce qu’ils signaient, sera difficile à rapporter.

L’action civile me semble plus féconde en ce que de nombreux chefs de responsabilités peuvent être envisagés : le manquement à l’obligation de mise en garde et de conseil mais aussi d’autres manquements, à analyser au cas par cas. Le conseil s’impose en cas de démarchage de la banque qui propose de restructurer un emprunt. La mise en garde est due à tout emprunteur non averti ; on s’interrogera donc sur le point de savoir si une collectivité territoriale peut être considérée comme non avertie alors qu’elle est souvent assistée par un cabinet de conseil. Mais le fait que le client ait à ses côtés une personne avertie ne dispense pas le banquier de son obligation de mise en garde, la jurisprudence est très claire à ce sujet.

Certaines associations se placent sur le terrain de l’illicéité de l’indexation pour absence de lien direct avec l’objet du contrat ou avec l’activité d’une des parties. À mon sens, des actions de ce type ne pourraient prospérer car le code monétaire et financier dispose expressément que pour les contrats financiers l’indexation est libre.

En résumé, sur le seul terrain du devoir de mise en garde ou de l’obligation de conseil, qui me semble le plus fécond s’agissant d’un banquier dispensateur de crédits, on peut penser que l’action civile aurait des chances d’aboutir – en fonction des dossiers bien sûr, car il ne faudrait pas que le contrat contienne la reconnaissance qu’un avis a été donné par l’établissement financier.

M. le rapporteur. Selon le journal Libération, quelque 5 500 collectivités sont touchées. Ce seul élément donne à réfléchir. Qu’une dizaine de communes se soient méprises, soit, mais face à un tsunami d’une telle ampleur, comment imaginer que toutes aient commis la même erreur en même temps ?

M. Bruno Wertenschlag. Il existe énormément de pistes permettant de mettre en cause la responsabilité des établissements financiers qui ont commis des fautes. En amont, on trouve la plus simple : l’obligation d’information, particulièrement marquée pour le milieu bancaire, qui propose des produits autrement plus compliqués à évaluer que ne l’est une nouvelle voiture. En matière financière, les produits les plus simples – les prêts à taux fixes – sont déjà d’une appréhension complexe ; les choses deviennent extraordinairement compliquées, sinon pratiquement impossibles à comprendre, quand l’emprunt structuré est fondé sur un taux d’intérêt qui peut varier d’année en année en fonction de la parité entre l’euro et le franc suisse. L’obligation d’information a sa traduction dans le code civil et dans le code monétaire et financier ; quelles sont alors les voies de justice propres à contraindre les banques, à défaut d’avoir pu négocier avec elles, à en rabattre sur ce qu’elles pourraient exiger pour que nous débouclions le contrat, c’est-à-dire la fameuse valeur de marché qui représente des sommes parfois astronomiques ? La première voie judiciaire consiste à essayer d’épingler les établissements financiers sur le manquement à leur obligation d’information, définie par des textes précis accessibles à tout lecteur, même non juriste : tout établissement financier est tenu d’exécuter les contrats « de bonne foi », c’est-à-dire de manière loyale, professionnelle et transparente, et de communiquer des informations dont le contenu ne soit pas trompeur. À cet égard, il y a lieu de se demander, comme le fait votre rapporteur, s’il est bien transparent et loyal d’intituler « Tofix » un contrat de prêt à taux structuré. Cela peut déjà caractériser un manquement à une obligation d’information de base : on ne qualifie pas de « fixe » un produit spéculatif dont le taux d’intérêt est erratique !

De l’examen de nombreux contrats souscrits par des collectivités territoriales et de l’analyse de centaines de lignes de swaps, il ressort qu’une interprétation visiblement faussée a été faite de la circulaire du 15 septembre 1992, selon laquelle les collectivités territoriales peuvent souscrire des produits de couverture, la souscription de produits spéculatifs leur étant interdite. Or certains établissements prêteurs, au lieu de rappeler la difficulté qui pouvait se présenter de ce fait, ont déclaré ou fait déclarer dans la documentation commerciale, dans les pré-confirmations et dans les actes d’emprunt que les collectivités savaient que le produit considéré était conforme aux objectifs de couverture visés par la circulaire. Est-ce là une information loyale et transparente ?

Enfin, pour tous ceux dont le rôle est d’essayer d’obtenir l’annulation ou la résiliation des contrats litigieux, la marge cachée est une question centrale car on est au cœur de l’information que le banquier doit donner à son client. Le code monétaire et financier dispose que le banquier doit prendre toutes dispositions pour empêcher qu’un conflit d'intérêts ne porte atteinte aux intérêts de leurs clients ; il lui interdit en particulier de réaliser un gain au détriment de son client. Or, que disent les experts financiers des produits structurés à ce sujet ? En termes simples – ce qui n’est pas toujours le cas… – que la marge réalisée par la banque est d’autant plus élevée que le risque pris par le client est important ! Il y a là un réel conflit d’intérêts. Je ne dis pas que ces types de contrats auraient dû être proscrits, mais que les banques, avant de les faire souscrire, auraient dû expliquer à leur client que le mécanisme proposé – une période de prêt bonifié suivie d’une période, beaucoup plus longue, de prêt erratique – a un coût mais aussi un prix, celui que la banque encaisse. Cela n’a pas été dit.

On voit qu’en amont de la question du conseil au client se pose celle du droit à une information honnête et loyale.

M. Gilles Sébé. À chaque fois que ces produits étaient vendus aux entreprises, une alerte figurait en dernière page des contrats, soulignant leur absence de liquidité ; Les banquiers s’étaient entendus pour qu’aucun contrat de prêt structuré passé avec une collectivité territoriale ne comporte cette mention. Ces contrats, c’était la poule aux œufs d’or ; ils ont d’ailleurs fait l’âge d’or de Dexia mais aussi de la Société générale et d’autres établissements financiers intervenus sur ce marché après les années 2000. Cela n’a jamais été dit, sinon par l’auteur anonyme d’un opuscule intitulé Confessions d’un banquier pourri, selon lequel les produits vendus aux collectivités locales avaient pour acronyme interne « POTT », autrement dit : « Prends l'oseille et tire-toi »… Cela dit tout de la volonté des banques de réaliser des marges exorbitantes sur ces prêts dont la particularité est d’être établis pour plus de trente ans – les entreprises empruntent plutôt à dix ans.

On a commencé par introduire dans les contrats un petit virus qui a créé quelques difficultés, ce qui a permis de vendre ensuite au client un produit un peu plus risqué, puis un autre qui l’était davantage, la banque prenant sur chaque opération une marge complémentaire. Déjà, les premiers produits structurés qui, n’étaient pas très risqués, prévoyaient une marge de 50 centimes alors que la marge sur les prêts consentis jusqu’alors était de l’ordre de 5 centimes, 10 centimes au plus ; l’amélioration de la marge était donc sensible d’emblée. De surcroît, alors que les mécanismes proposés étaient de plus en plus risqués, le banquier a toujours présenté le gain d’intérêt qui avait été réalisé mais masqué à chaque vente la perte en capital. Les collectivités n’ont jamais été informées que si elles étaient conduites à rembourser ces contrats par anticipation elles encourraient une pénalité comprise dans une fourchette de 10 à 30 % sur le capital restant dû. Par un effet boule de neige voulu, plus nombreux étaient les produits à taux structurés vendus, plus sûres étaient les banques de voir leurs clients revenir, contraints de négocier sans contrepartie. Le virus ayant été inoculé, on a dérivé peu à peu vers des produits à ce point « exotiques » que les banques elles-mêmes ne maîtrisaient plus ce qu’elles vendaient. Quelques brillants matheux avaient mis au point une « machine à cash » qu’il n’y avait aucune raison de jamais arrêter ; d’ailleurs, on ne pouvait pas l’arrêter, car l’essence même du produit était de jouer contre les marchés - ce que le banquier n’a jamais expliqué à la collectivité. Le modèle financier suivi étant mauvais – une période de remboursement de trois ou quatre ans à taux fixe faible, voire à taux nul avant les élections, suivie d’une période de remboursement à des taux progressifs explosifs pour restaurer la marge –, on allait dans le mur.

La volonté de tromper de certains banquiers – pas tous – est évidente. Des renégociations en série ont eu lieu, en Bretagne par exemple, qui ont conduit de multiples petites collectivités à passer d’un produit risqué à un autre qui l’était plus encore, avec une même date d’échéance : la banque, parce qu’elle avait certainement pris des options pour des centaines de millions d’euros, a vendu ces produits en bloc. Et l’on exige aujourd’hui de petites collectivités qui veulent se débarrasser de produits fondés sur l’évolution du taux de change entre le yen et le dollar ou l’euro et le franc suisse une pénalité pour remboursement anticipé de 7 millions d’euros, pour un encours de 3 millions !

Le mécanisme était très organisé et les banquiers, qui avaient une connaissance approfondie des marchés, trouvaient pour interlocuteurs bien peu de spécialistes capables de dire « non » à leurs propositions. Et lorsqu’il se produisait qu’un directeur financier refuse ces produits, on le court-circuitait en traitant avec l’adjoint aux finances puis, si besoin était, avec le maire directement. Tout a été fait pour que les collectivités signent ces contrats. Ensuite, on la flambée de l’Euribor a fait peur, et cela a permis aux banquiers d’enchaîner les marges successives. La volonté de tromper me semble évidente.

M. le rapporteur. En dépit de cela, aucune des procédures lancées par les collectivités n’a abouti. Pourquoi ?

M. Gilles Sébé. Parce que certaines transactions ont eu lieu, restées secrètes. Mais Dexia, qui a à connaître de nombreux litiges, est aujourd’hui en grande difficulté ; pourra-t-elle poursuivre ces transactions ? On notera que les choses ont commencé à bouger le jour où l’on a évoqué des actions pénales.

M. Richard Routier. L’action pénale a pour intérêt que le secret bancaire, opposable au juge civil, ne l’est pas au juge répressif ; mais le danger est qu’elle prend du temps. Et, pendant ce temps, les délais de prescription commencent à courir sans que l’action civile ait été engagée, alors que c’est le meilleur moyen de pression que vous pouvez exercer sur les banques pour les amener à négocier.

M. le président Claude Bartolone. Pour ce que vous en savez, les chiffres avancés par le journal Libération vous paraissent-ils vraisemblables ? Avez-vous une idée du nombre de banques concernées ?

M. Bruno Wertenschlag. À supposer que nous disposions des instruments statistiques nécessaires pour répondre à cette question, ce qui n’est pas le cas, nous ne pourrions, en tant qu’avocats, vous en dire le moindre mot. J’observe simplement que, le temps passant, les grandes familles d’organismes concernées par ce douloureux problème qui, au départ, affirmaient crânement ne pas avoir de difficultés, sortent peu à peu du bois - l’article de Libération a dû jouer un rôle. À ce jour, on est dans l’incapacité de définir l’étendue du désastre et le nombre d’organismes ou de collectivités territoriales concernées. Pendant un temps, il était honteux de déclarer avoir souscrit de ces emprunts – c’était un effet du lobbying des banques, qui visait à faire admettre que les fautifs étaient les emprunteurs. Maintenant, la parole se débride.

M. Gilles Sébé. N’étant pas avocat, je parlerai plus librement. L’article de Libération donne une bonne panoplie des collectivités ayant souscrit ce type de contrats. Dexia a été le premier vecteur de diffusion de ces produits. Les caisses d’épargne et le Crédit agricole ont été beaucoup moins actifs, et l’ont été plus tardivement. Tous les produits vendus à ces 5 500 collectivités sont des produits structurés, mais tous ne sont pas toxiques. Nous avons 1 500 collectivités locales clientes ; pour elles, les « produits de pente » ne sont pas très bien cotés et il est difficile d’en sortir car ils n’ont plus de marché, mais ils sont peu risqués pour l’instant. En revanche, pour les produits fondés sur l’évolution des taux de change, la carte de Libération est extrêmement optimiste : la pénalité est maintenant égale à 200 pour cent, voire 250 pour cent du capital. La carte publiée par Libération a fait beaucoup de bruit et suscité une prise de conscience soudaine chez des maires qui n’étaient pas conscients d’avoir ce type de produits en stock – ce qui en dit long sur la manière dont les choses leur ont été présentées. La situation des collectivités qui ont souscrit les produits de dernière génération est bien pire que ne le décrit Libération. Les produits fondés sur l’évolution du taux de change entre le franc suisse et l’euro sont d’une volatilité extrême ; ils ne conviennent en aucune manière aux collectivités territoriales, dont les budgets sont assez stables.

M. Henri Plagnol. Je le confirme : après la publication de l’article de Libération, plusieurs maires ont découvert qu’ils avaient sérieusement matière à s’inquiéter. Il est exact aussi que les pénalités actuellement demandées sont bien supérieures à celles qu’évoque le journal.

Vous nous avez dit de manière assez convaincante qu’il est possible d’obtenir quelque chose au civil. Mais que se passe-t-il pendant la procédure contentieuse ? L’obstacle principal me paraît être que, le recours n’étant pas suspensif, les emprunts sont cristallisés sans possibilité de négociation ; de nombreuses collectivités hésitent pour cette raison à franchir le pas. Qu’en pensez-vous ? Par ailleurs, que peut-on obtenir ? La résiliation du contrat peut-être, et sinon ? Les coûts auxquels les collectivités sont exposées sont tels que même un jugement mitigé peut ne pas suffire à les tirer d’affaire. Enfin, saisir la juridiction administrative vous semblerait-il pertinent, sachant que, souvent, les emprunts les plus dangereux ont été souscrits très peu de temps avant les élections, parfois même à une semaine du premier tour sinon entre les deux tours ? Dans quelle mesure un maire peut-il engager sa commune pour trente ans à la veille d’une échéance électorale, au moment où aucun contrôle ne peut s’exercer ni le conseil municipal être informé ?

M. Bruno Wertenschlag. La collectivité territoriale qui a souscrit un contrat de droit privé est justiciable des tribunaux judiciaires ; elle a tous les devoirs et tous les droits d’une personne privée. Au nombre de ses devoirs, elle a celui de ne pas se faire justice à elle-même : elle ne doit donc surtout pas interrompre ses paiements avant que la justice ne se soit prononcée sur la licéité du contrat. Outre que cela froisserait le juge, cela créerait de sérieuses difficultés de financement ultérieur. Cependant, le débiteur en mesure d’apporter la preuve de difficultés financières peut, sur le fondement des articles 1244-1 et suivants du code civil, obtenir du juge le report du paiement des sommes dues, dans la limite de deux ans. Mais les collectivités territoriales doivent aussi s’interroger sur leurs modalités de fonctionnement, quelque peu rigides.

M. Henri Plagnol. Je connais beaucoup de collectivités qui excluent le contentieux car elles ne peuvent prendre le risque d’avoir à payer ce que les banques leur réclament. La commission doit s’interroger sur la possibilité de prise en charge du risque contentieux, sinon cette voie échouera très largement.

M. Marc Francina. Les collectivités concernées peuvent-elles verser au trésorier-payeur, pour séquestre, les annuités dues aux établissements financiers dans ce contexte ?

M. Bruno Wertenschlag. Saisir un juge civil pour lui demander d’annuler un contrat ou de le résilier à la charge de la banque ne crée pas en soi un incident de paiement ; ce qui le crée, c’est de ne pas payer ce que l’on doit. Aussi conseillons-nous à nos clients d’assigner et de continuer à honorer leurs obligations même s’ils en contestent le fondement. Mais si la collectivité débitrice apporte la preuve de son impossibilité de payer ou des graves difficultés dans lesquelles le paiement la placerait, elle obtiendra du juge des délais de paiement qui peuvent atteindre deux ans. Dans cet intervalle, on obtient une décision de justice.

M. Richard Routier. Il ne serait pas opportun d’agir comme vous le suggérez, monsieur Francina ; il faut, comme cela a été indiqué, demander l’application des dispositions de l’article 1244-1 du code civil. Ce que l’on peut obtenir par une action en responsabilité pour manquement à l’obligation de conseil ou au devoir de mise en garde, monsieur Plagnol, c’est la reconnaissance d’un préjudice pour perte de chance – la chance de ne pas avoir pu renoncer à contracter. On ne pourra demander la réparation intégrale de ce préjudice, car il est de l’essence même de toute « chance » de comporter un « aléa » ; mais s’il existe une forte probabilité que la collectivité, eût-elle été informée, n’aurait pas contracté, la jurisprudence a déjà reconnu des taux d’indemnisation de 90 pour cent de la créance de la banque.

M. le président Claude Bartolone. Quel est votre avis sur la charte Gissler ? Traduit-elle un progrès juridique ? Que contribue-t-elle à éclaircir ? Estimeriez-vous judicieux de la compléter en mentionnant l’obligation de plafonner le taux des prêts aux collectivités territoriales ?

M. Richard Routier. La charte Gissler a le mérite d’exister, mais elle ne règle pas le problème : les produits classés « D » et « E » sont encore très nocifs et continuer de proposer ces classes de produits paraît déraisonnable. Les collectivités locales et les hôpitaux veulent préserver leur liberté de gestion et expliquent qu’ils se sont maintenant dotés de gestionnaires de dette compétents. Mais, d’une part, la science des marchés n’est pas une science exacte et les personnes les plus compétentes ont déjà pu accumuler des pertes considérables ; d’autre part, la liberté contractuelle connaît des limites dans bien des pans de notre droit. Cette affaire est l’occasion de revenir à un principe simple : l’argent public ne doit pas permettre la spéculation de ceux qui le manipulent. Or les prêts structurés sont des produits spéculatifs. Votre commission doit s’interroger sur le fait que la charte Gissler pérennise ces pratiques.

M. Olivier Poindron. Outre que la classification du risque établie dans la charte Gissler est assez contestable, il faut dénoncer le champ des obligations d’information et de conseil auxquelles les banquiers consentent par cette charte. Le scandale de ce texte, c’est que les banques « consentent à respecter » certaines obligations préexistantes à la charte. Elles sont définies dans les articles 1147 et 1134 du code civil, inchangés depuis 1804, dans les règles de bonne conduite du code monétaire et financier et dans le règlement général de l’Autorité des marchés financiers, et très supérieures à celles établies dans la charte. De surcroît, les obligations ainsi définies ne seraient pas rétroactives ; cela est proprement monstrueux puisque des obligations plus larges préexistaient à la charte.

M. Gilles Sébé. Le problème est qu’un produit classé peu dangereux dans la charte Gissler peut se révéler explosif. Si, demain, la Grèce fait défaut, il y aura flambée de taux courts et tous les produits de pente qui paraissaient peu risqués peuvent présenter un risque très grave. La charte Gissler ne donne pas une vision correcte du risque dans le temps. C’est un document ponctuel, et surtout un moyen subtil, pour les banques, de différer les contentieux.

Je reviens à la question posée par M. Plagnol : que peut-on espérer d’un contentieux ou d’une négociation ? Par la négociation, nous avons obtenu l’abandon total des pénalités et le retour au taux fixe que les banques avaient fait abandonner aux collectivités ; par le contentieux, on obtient ce qu’a expliqué M. Routier.

Certaines collectivités n’ont pas suivi nos conseils et bloqué leurs paiements ou décidé de ne verser que la part correspondant à un taux fixe ; d’autres se sont déclarées en désaccord avec l’interprétation de la formule. C’est un chemin risqué. Si on le suit, deux possibilités se présentent : l’une est de faire un dépôt auprès de la Caisse des dépôts, dépôt qui produit des intérêts qui permettront, en cas de condamnation finale, de payer une partie des intérêts intercalaires ; l’autre est de ne pas payer en espérant que le préfet ne procèdera pas à l’inscription d’office de la dépense – ce qui est pour l’instant le cas : les banquiers n’ont jamais obtenu l’inscription d’office de cette dépense.

M. Bruno Wertenschlag. Il est de jurisprudence constance que les contrats qui n’ont pas pour objet direct une mission de service public relèvent du juge judiciaire. Le juge administratif interviendrait dans la seule hypothèse où, au cours du procès judiciaire, se poserait un problème de la légalité – par exemple : la collectivité avait-elle la capacité de souscrire ? Mais cela ne soulagera pas la collectivité ni ne règlera en entier la question de la légalité du produit.

M. le rapporteur. La directive européenne de 2004 sur les marchés d'instruments financiers (MiFID), transposée en droit français, classe les collectivités territoriales dans la clientèle non-professionnelle. Ne peut-on trouver là une piste légale à explorer, par exemple en se référant à la proscription des taux usuraires ?

M. Gilles Sébé. Il n’y a pas de taux d’usure pour les taux variables.

M. Olivier Poindron. La législation relative à l’usure n’est pas applicable en l’espèce : le code de la consommation prescrit que le taux effectif global (TEG) donné dans le contrat l’est à titre indicatif, et c’est ce taux qui est rapporté au taux de l’usure. En cette matière, le seul angle d’attaque possible serait que le TEG ait été omis au contrat.

M. Richard Routier. En dehors de l’usure – car depuis 2003, il est beaucoup plus difficile de se placer sur ce terrain –, la jurisprudence a déjà décidé que le fait d’avoir affaire à un professionnel ne dispense pas le banquier, le cas échéant, de son devoir de mise en garde. Les collectivités locales pourront bénéficier de cette jurisprudence. Peu importe que ce soit un professionnel personne privée ou personne publique : si le juge considère qu’au regard de la complexité du produit, la personne publique n’était pas avertie, il prononcera la réparation.

M. le président Claude Bartolone. Messieurs, je vous remercie pour vos contributions à nos travaux. Elles complètent utilement le tableau général que nous sommes en train de dresser.

M. le président Claude Bartolone. La table ronde qui s’ouvre à présent réunit des magistrats des chambres régionales des comptes (CRC) ayant eu à connaître la situation d’endettement de nombreuses collectivités, et dont l’analyse a contribué au rapport public thématique sur la gestion de la dette publique locale, présenté en juillet 2011.

Cette table ronde doit nous permettre d’apprécier l’encours des emprunts toxiques dans la dette publique locale, et la part qu’il représente au sein de cette dette. Mais de nombreuses autres questions seront abordées aussi, touchant l’information sur les risques de dette et les règles de la comptabilité des collectivités locales, le renforcement des moyens de contrôle interne et externe, et bien sûr les moyens d’aider les collectivités en grave difficulté.

Aussi je vous remercie d’accueillir : M. Alain Levionnois, Président de la CRC de Picardie, M. Marc Larue, président de section à la CRC de Provence-Alpes-Côte d’Azur, M. Patrick Barbaste, premier conseiller à la CRC d’Alsace, M. Christian Chapard, premier conseiller à la CRC du Nord-Pas-de-Calais et M. Martin Launay, premier conseiller à la CRC des Pays de la Loire.

Les personnes auditionnées prêtent serment.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Paradoxalement, alors qu’une règle d’or impose aux collectivités territoriales de présenter leurs budgets en équilibre, les caractéristiques de leurs dettes restent entourées de flou. Il est ainsi impossible de déterminer précisément l’encours total de la dette des acteurs publics locaux, ni de quels types d’emprunt ces encours sont constitués, d’en connaître la maturité moyenne ou la ventilation par type de taux d’intérêt. Le rapport se borne à estimer que l’encours de la dette locale atteint 30 à 35 milliards d’emprunts structurés, dont 10 à 12 milliards présenteraient un risque potentiellement élevé.

J’aurai trois questions en relation avec cette situation : quels sont les remèdes que l’on peut apporter afin d’en finir avec la mauvaise connaissance des prêts et cette concentration des risques ? Comment, aussi, parvenir à une meilleure transparence de la gestion de la dette des collectivités ? Enfin – question la plus brutale – qui porte la responsabilité de la situation très difficile à laquelle certaines collectivités sont confrontées ?

M. Alain Levionnois, président de la CRC Picardie. Nous sommes très honorés d’avoir à vous rendre compte des travaux que nous avons menés. Notre équipe a en réalité travaillé sur trois rapports successifs : le premier a pris la forme d’une insertion au rapport annuel de la Cour des comptes publié en février 2009, le deuxième a consisté en une nouvelle insertion de suivi au titre du rapport annuel de février 2010 et le troisième a été un rapport thématique de la Cour sur la gestion de la dette locale, publié en juillet 2011.

Ce dernier rapport est le fruit d’une analyse plus approfondie, sous la responsabilité de Marc Larue et des autres rapporteurs ici présents, qui s’est appuyé sur l’ensemble des CRC de métropole.

Pour répondre à votre première question relative aux moyens d’améliorer la gestion de l’encours de prêts à risque, je rappellerai que la direction générale des finances publiques (DGFiP) du ministère des finances avait engagé, dès 2009, un essai de recensement des prêts structurés à risque figurant dans les comptes des collectivités territoriales, par l’intermédiaire des trésoriers payeurs généraux et des agents comptables du Trésor public. Ce recensement, qui a servi de base aux travaux d’Éric Gissler et à l’élaboration d’une charte de bonne conduite, s’est révélé aléatoire et assez peu probant : peu d’agents comptables avaient une connaissance précise de ces produits et ils ne disposaient pas non plus d’outil leur permettant de mesure le risque. La charte Gissler a constitué, de ce point de vue, une démarche intéressante de classification même si nous émettons, dans notre rapport du mois de juillet dernier, quelques réserves quant aux décisions qui en ont découlé.

De son côté, le conseil de normalisation des comptes publics a émis un certain nombre d’avis et proposé la modification des annexes comptables des budgets locaux. L’un de ces avis propose également une classification intéressante de ces produits. Il me semble que c’est un progrès important.

Toutefois, la notion d’emprunt à risque demeure assez imprécise. Dans une certaine mesure, un emprunt à taux fixe fait courir un risque à la baisse des taux : dans les années quatre-vingt, les taux fixes des emprunts des collectivités atteignaient 17 % ; c’est d’ailleurs à cette époque qu’est apparue la notion de gestion active de la dette.

L’encours global de la dette locale – 163 milliards d’euros – est aujourd’hui bien connu, grâce aux données de l’INSEE, mais indéniablement il reste des progrès à accomplir en matière de classification des composantes de cette dette.

Je serai beaucoup plus bref pour répondre à votre deuxième question sur les frais financiers. Il est impossible de prédire l’avenir de ces produits : Comment va évoluer la parité entre l’euro et le franc suisse ? Quelle sera la forme de la courbe des taux dans les prochains mois ? Je ne suis pas en mesure de le savoir.

M. le rapporteur. Comment garantir la sincérité des comptes locaux dans ces conditions ?

M. Alain Levionnois. C’est une question difficile. Un contrat d’emprunt est un contrat de droit civil. Les juridictions civiles et commerciales sont seules compétentes pour en connaître. La seule affaire jugée, en la matière, opposait les caisses d’épargne et une société anonyme d’habitat local ; c’est le tribunal de commerce qui a rendu la décision.

M. le président Claude Bartolone. À Toulouse.

M. Alain Levionnois. Tout à fait. Les contrats d’emprunt ne sont donc pas des contrats administratifs. Cela pose deux difficultés. D’abord, les collectivités territoriales ne sont pas familières de la procédure civile. Par ailleurs, pour le juge judiciaire, le contrat fait loi entre les parties et l’intérêt général n’y a guère sa place.

M. Alain Levionnois, président de la CRC Picardie. Le propre de la décentralisation, c’est d’avoir libéralisé les possibilités pour les collectivités territoriales de s’administrer et donc d’emprunter librement, sans autorisation administrative préalable.

M. le président Claude Bartolone. Il y a la dimension commerciale dans l’opération de prêt aux collectivités, mais aussi une dimension administrative – et des normes applicables que les produits structurés n’ont pas permis de respecter : la sincérité de l’équilibre des budgets votés, l’information des organes délibérants. Quelles sont les règles qui vous paraîtraient devoir être précisées pour avoir sincérité et transparence ?

M. Alain Levionnois. Votre question renvoie à l’une des recommandations faites dans le rapport public de juillet 2011, à savoir le renforcement de l’information et l’association des assemblées délibérantes aux décisions relatives à l’emprunt. L’une des particularités du contrat d’emprunt, c’est qu’il doit être conclu rapidement. Il ne peut que s’agir d’une décision exécutive du responsable au sein de la collectivité, et la soumettre aux délais de la délibération ne serait pas adapté. Il ne serait pas pertinent de remettre en cause cette délégation de compétence aux exécutifs locaux, alors que son champ a été constamment élargi par la loi au cours des dernières années. Mais une délégation de compétence doit avoir comme contrepartie un pouvoir de contrôle, qui nous paraît actuellement insuffisant. D’où la recommandation de prévoir par la loi que les gestionnaires locaux aient à rendre compte de leurs choix en matière d’endettement, dans un rapport annexé au budget, qui pourrait faire l’objet d’un débat. Ces questions peuvent éventuellement paraître complexes au conseiller municipal « de base », mais il pourra tout au moins demander des explications, ce qui forcerait le responsable à formaliser ses choix et à les expliquer. Ce rapport représenterait un outil pour les assemblées délibérantes, et cette évolution ne pourrait avoir qu’un effet positif et représenter un progrès en termes de transparence.

M. Patrice Calméjane. Vous évoquez les collectivités, mais vous êtes aussi les contrôleurs des gestionnaires. Or l’article R. 231-2 du code des juridictions financières prévoit notamment que « sont vérifiées dans les locaux des services gestionnaires les pièces justifiant les catégories de dépenses ou de recettes publiques fixées par arrêté du ministre chargé du budget pris sur proposition du premier président de la Cour des comptes et du procureur général près ladite cour ». Au vu de l’absence de consigne précise qu’ont reçu l’ancien préfet et l’ancien trésorier-payeur général que nous avons auditionnés, avez-vous eu l’occasion de faire des recommandations sur les éléments devant faire l’objet d’un contrôle ?

En outre, quel est le niveau de formation des agents de vérification de la Cour qui ont été confrontés à des produits aussi complexes que les emprunts structurés ? Les comprendre requiert une expertise pour les comprendre ; il a aussi été évoqué des documents contractuels rédigés en langue étrangère. Avez-vous fait appel à des experts extérieurs pour comprendre des produits sur lesquels vous n’avez pas eu de formation initiale ?

M. le président Claude Bartolone. Pour faire le lien entre ces interventions, j’ajouterai un cas tiré de mon expérience personnelle. Lors de ma première rencontre avec mon directeur financier, il m’a expliqué que nous étions passés d’un taux de gestion de la dette de 3,90 % à 3,15 %. Sans audit externe, je n’aurai jamais pu me rendre compte que cette gestion active de la dette cachait une perte potentielle d’un tiers, qui n’apparaissait nulle part. Or nous aurions dû être informés de cette perte.

M. Marc Larue, président de section à la CRC PACA. Comme nos différents rapports l’ont souligné depuis 2009, l’absence d’outil statistique national pose un problème. Il semble désormais se mettre en place, mais en son absence nous avons dû nous appuyer sur des chiffres de conseils extérieurs.

Notre expérience des contrôles sur le terrain nous pousse à préconiser de travailler dans deux axes :

– l’amélioration de l’information des assemblées délibérantes dans les collectivités territoriales, par un débat obligatoire sur la dette et la stratégie de la dette : ces contrats sont souvent aujourd’hui approuvés sans débat, et l’obligation de rendre compte a posteriori des décisions prises ne suffit pas. La situation des hôpitaux, où la décision est prise par le directeur seul en vertu de ses pouvoirs propres, montre a contrario l’intérêt d’un débat, même si les personnes n’ont pas de compétence particulière en la matière. L’obligation pour le gestionnaire de formaliser pour expliquer présente en effet des vertus en soi en montrant la dangerosité des produits complexes ;

– la mise en place d’un système de provisionnement : ces produits n’ont pas été réglementés, et l’innovation financière rend impossible de prévoir quels seraient les nouveaux produits qui pourraient apparaître. Dans ce contexte, l’obligation de provisionner nous apparaît comme une solution pérenne. L’analyse de la situation nous a montré que certaines personnes ont cru réellement pouvoir emprunter à des taux inférieurs à ceux du marché, ce qui n’est pas possible, mais dans certains cas les banques l’ont peut-être laissé croire. Le système de provisionnement que nous proposons a pour objet de compenser le gain lié au recours à un taux d’intérêt inférieur à celui du marché.

Dès 2005-2006, nous avons attiré l’attention dans nos contrôles sur ces nouveaux produits et mis en garde les gestionnaires contre leur complexité et leurs risques. Le fait que les responsables financiers et commerciaux des banques ne comprenaient parfois pas eux-mêmes les caractéristiques de ces produits nous a confirmés dans la conviction qu’ils posaient problème.

S’agissant de la réaction des autres instances de contrôle et notamment du rôle joué par le contrôle de légalité et les comptables publics, nous abordons dans notre rapport le problème posé par les contradictions des textes applicables en ce qui concerne les documents à produire au contrôle de légalité en matière d’emprunts. De notre point de vue, même si le contrat de prêt est un contrat privé, il nous semble qu’il devrait être transmis obligatoirement au contrôle de légalité.

M. le Rapporteur. Vous évoquez le taux du marché : il convient de faire la différence entre produits structurés et produits toxiques. Un emprunt structuré devient toxique quand son taux d’intérêt dépasse le taux usuraire. Le problème n’est pas uniquement ce taux, mais le coût de la sortie qui n’était pas prévisible. Faut-il protéger les collectivités en appliquant comme limite le taux de l’usure ?

M. Marc Larue. La logique des emprunts structurés est d’échanger une bonification de taux à court terme contre un risque important. Si on veut provisionner par rapport au risque de sortie, on aura une difficulté. Le vice de départ de ces produits c’est le taux bonifié inférieur au marché qui a été affiché, et anesthésié la perception du risque. Si on neutralise cet avantage par l’obligation de provisionner, on fait perdre l’intérêt de recourir à ces produits.

M. le président Claude Bartolone. S’il y avait eu obligation de provisionner le risque, bon nombre de ces produits n’auraient pas été souscrits, car pour nombre d’entre eux, le jour même de leur signature, il y avait un risque.

À partir de quels faits, quelle information, les conséquences néfastes de ces produits ont-elles été appréhendées par les chambres régionales des comptes ?

M. Patrick Barbaste, premier conseiller à la CRC d’Alsace. Notre équipe a des formations initiales variées. Nous avons dispensé un certain nombre de formations et élaboré des guides d’enquête au profit des équipes de vérification ; nous avons aussi pu faire appel à des experts extérieurs.

Les juridictions financières soulignent que la dette locale est comptabilisée en valeur nominale et non en valeur financière. Ceci est une difficulté structurelle pour évaluer les risques et les charges financières à venir.

Le Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP), créé par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2008, a commencé à examiner la question en février 2009 et a publié des informations sur les annexes du budget. La compréhension de la formule de calcul de l’indexation permet de faire des projections et de constater que des taux d’intérêt à deux chiffres pouvaient être atteints.

Le second axe de travail du CNOCP concerne le provisionnement, tout en sachant que la difficulté en matière de finance locale est la difficulté budgétaire à passer la provision. Nous en sommes tous conscients : si on retient l’intégralité de la soulte de sortie pour le montant de la provision, certaines collectivités, même importantes, pourront se retrouver en difficulté, car cela représentera deux ou trois fois leur épargne brute. Nous avons écarté ce schéma pour envisager de provisionner les échéances de l’exercice suivant, par exemple.

Depuis l’apparition des difficultés, les collectivités essaient de réaménager en figeant avec la banque les conditions à un taux fixe même élevé, parfois sur seulement deux ou trois échéances, et en repoussant donc le problème sur l’avenir, et en rééchelonnant les échéances. Certaines arrivent à sortir de leurs positions à la faveur de fenêtres de marchés.

Concernant le montant des frais financiers que cela peut engendrer, étant donné qu’il est quasi impossible de disposer de visibilité par exemple, sur le niveau des changes à six mois, il est impossible de les anticiper à vingt ou trente ans. Au surplus, on ne connaît pas le poids de chacune des stratégies structurées dans l’encours des collectivités. Le système de provisionnement devrait verrouiller la réapparition de ce problème à l’avenir. Pour l’encours déjà souscrit, les produits à barrière ou snowball ne sont pas tous sortis de leur phase bonifiée, donc il faut craindre que l’on relève encore des éhcances très dégradées dans l’avenir.

M. le Rapporteur. En étudiant un cas limite, on pourrait imaginer qu’une collectivité avec 200 millions d’euros de dette, dont 95 % d’emprunts structurés assis sur les parités du dollar ou du franc suisse, se retrouve avec des taux d’intérêt de 28 ou 30 %. Comment faire pour payer 60 millions d’intérêt par an ? Comment équilibrer le budget ? Par 50 points de fiscalité ?

M. Jean-Louis Gagnaire. L’exemple limite présenté par le Rapporteur montre que cette situation est intenable. Avant même d’y arriver, certains maires auditionnés nous ont dit qu’ils seraient dans l’incapacité d’élaborer leur budget et contraints de remettre cette situation entre les mains du préfet.

Je comprends l’intérêt de votre proposition de mettre en place des provisionnements pour prendre en compte les risques. Mais en comptabilité privée, il s’agit de provisionner le risque avéré et non hypothétique, quitte à l’ajuster en fonction de la réalisation de ce risque. Dans le cas des collectivités, comment mesurer ce risque ? Si pour l’avenir, ce système aura un effet préventif, en dégradant immédiatement la qualité des comptes des collectivités concernées, il ne règle pas le passé.

Une question essentielle est celle de la soulte demandée pour sortir de ces prêts : on ne connaît pas sa valeur a priori, qui est réactualisée en permanence. J’ai le sentiment qu’elle est calculée à la tête du client, en fonction de la capacité à négocier des petites communes ou des établissements hospitaliers qui eux, avaient un réseau à leur appui.

Vous appelez à diversifier l’offre de prêts, mais la période actuelle se caractérise par une pénurie d’offres de prêts. Comment diversifier l’offre de prêt dans ses conditions ? Les grandes collectivités pourraient s’adresser au marché obligataire, comme auparavant, libérant capacités de financement pour les collectivités plus petites, mais l’audition du gouverneur de la Banque de France par la commission des Finances a montré que cette raréfaction de l’offre de prêt n’a pas été encore correctement appréhendée.

M. Jean Proriol. Je ne suis pas convaincu que le système du provisionnement soit facile à intégrer. Dans le secteur privé, vous provisionnez aussi pour diminuer vos impôts. Dans les établissements hospitaliers, j’ai constaté que des tentatives de provisionner le coût des futurs départs en retraite ont été battues en brèche par les autorités de tutelle, qui défendent que rien ne presse. Quels critères proposez-vous pour quantifier la provision ?

M. le président Claude Bartolone. Je vais complexifier cette question du provisionnement. Comment doit-on l’évaluer ? Par ailleurs, pensez-vous que l’on devrait interdire la souscription de certains produits de la Charte Gissler ? Il est impossible de prévoir les évolutions des taux de change à plus de six mois ; à dix ans, cela peut dépendre de facteurs économiques et géostratégiques. Comment un élu local, quelle que soit sa formation, peut-il prendre des risques pour sa collectivité pour les vingt années à venir ? Ne doit-on pas mettre des barrières parmi les produits structurés susceptibles d’être proposés aux collectivités territoriales ?

M. Alain Levionnois. La question d’une éventuelle interdiction de certains types d’emprunts pose de multiples difficultés.

Les prêteurs voulaient placer leurs produits, leur démarche était commerciale ; les stress-tests n’étaient pas adaptés et les prêteurs considéraient les risques comme inexistants lorsqu’ils ont proposé leur souscription.

Aujourd’hui la courbe des taux étant normale, les produits de pente ne semblent pas poser de problèmes. Mais un retournement n’est jamais à exclure. On ne parle que des produits assis sur le franc suisse, mais cela n’est que le dernier accident, pas le prochain.

M. le Rapporteur. Ma question allait plus loin. En cas de difficultés, la collectivité pourra toujours augmenter ses taux d’imposition. C’est le contribuable qui va payer.

M. Alain Levionnois. Depuis 1982, s’il apparaît un déséquilibre dans le budget ou le compte administratif d’une collectivité territoriale, avant de prendre une mesure d’office, le préfet doit saisir la chambre régionale des comptes. Quand cela arrive – rarement, mais notamment récemment à Hénin-Beaumont et au Portel – le surendettement est un facteur d’explication mais pas le seul. La CRC propose alors un plan de redressement, qui ne se limite pas à une augmentation des impôts. Si la loi impose un équilibre des comptes, lorsque la CRC est saisie d’un déséquilibre, elle peut proposer un plan de redressement sur plusieurs années, lorsqu’il n’est pas possible de revenir à l’équilibre dans le même exercice. La règle de l’équilibre ne permet pas de changer le plomb en or ; il nous faut tâcher de revenir à l’équilibre à terme.

M. le Rapporteur. Cela revient à ne pas fermer le robinet des intérêts à verser…

M. Marc Larue. Si la collectivité a souscrit certains produits assis sur le cours du yen ou du franc suisse, il est possible d’aménager cette dette pour limiter les frais financiers pendant un ou deux ans, en espérant que le marché s’améliore. Le rapport ne propose pas une structure de défaisance, mais il nous semble possible d’améliorer le traitement actuel, un peu artisanal, de l’encours de dette toxique, étant entendu que les collectivités les plus importantes ne sont pas celles qui en ont le plus besoin. Cela pourrait permettre aux collectivités d’attendre et de saisir les opportunités qui se présenteraient pour sortir de certains produits, alors qu’aujourd’hui le risque joue à plein. Il est donc possible à nos yeux d’améliorer la gestion actuelle du risque sans avoir besoin de créer une structure de défaisance.

M. le président Claude Bartolone. Aucun d’entre vous, contrôleurs sur le terrain, n’a encore répondu à ma question : doit-on continuer à autoriser aux collectivités de souscrire l’intégralité des produits classés par la charte Gissler, ou faut-il interdire certaines classes de produits aux collectivités ?

M. le Rapporteur. Faut-il légiférer ?

M. Alain Levionnois. Quel est le statut de la Charte Gissler ? C’est un accord entre quatre banques et l’Association des maires de France. Mais comme elle fait référence, elle peut être en quelque sorte considérée comme une norme professionnelle par le secteur, ce qui peut de ce point de vue être regardé comme satisfaisant.

Mais comme les prêteurs sont intéressés à la vente de produits structurés, permettant de réaliser de plus fortes marges que les produits proposés dans les années 2000, le compromis trouvé pourrait être amendé. Certains produits pourraient être exclus de la charte. Les produits de pente, avec effet de levier, risquent de basculer un jour : mieux vaut les interdire dès aujourd’hui. Les emprunts adossés sur des indices hors zone euro n’ont pas de justification pour être souscrits par les collectivités, car il y a tout ce qu’il faut sur le marché européen. La complexité ne se justifie pas. Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales n’empêche pas que le législateur contrôle et encadre les conditions d’exercice de cette liberté locale. La jurisprudence du Conseil constitutionnel l’a réaffirmé à de nombreuses reprises : ainsi, sa décision relative à la loi du 2 mars 1982 avait partiellement censuré le texte adopté car il prévoyait que certains actes des collectivités territoriales seraient exécutoires de plein droit. À la suite de cette décision, il a été précisé que les actes seraient exécutoires après publication et transmission au préfet. Il y a donc une place pour le contrôle.

Aussi la loi ou la charte pourrait interdire les produits à effet de levier et assis sur des indices hors zone euro. Nous l’avons écrit et nous le confirmons.

M. Le président Claude Bartolone. Donc vous préconisez bien d’interdire les produits actuellement classés au-dessus de C 3 par la charte Gissler.

M. Christian Chapard, premier conseiller à la CRC du Nord-Pas-de-Calais. Je vais concentrer mon intervention sur les cas pratiques qui ont été évoqués. Dans le premier cas qui concernerait une collectivité ou un établissement public dont la structure de la dette serait caractérisée par une part importante de produits fortement risqués, il conviendrait d’être à l’affût de toutes les possibilités de renégociation. Il faudrait aussi inverser le rapport de forces avec les établissements bancaires afin d’être en mesure de renégocier dans de bonnes conditions. Enfin, il pourrait être préconisé de souscrire des produits de couverture des risques pris, afin de passer les échéances difficiles.

Dans le second cas, c’est-à-dire lorsqu’il est expliqué à un élu que la gestion active de la dette a permis de baisser le coût total de la dette, il y a lieu qu’il se demande à partir de quelles informations ce coût a été défini. Dans l’appréciation de la situation, les risques pris apparaissent-ils vraiment, avec la valeur de marché des produits souscrits ? Les soultes renégociées y figurent-elles ? Il faut intégrer dans le résultat présenté les risques pris et notamment les provisions afférentes.

M. le président Claude Bartolone. Vous le faites remarquer avec justesse, dans le cas de ma collectivité, il a fallu que je provoque un audit pour avoir un état des risques pris. Au contraire, les fonctionnaires pensaient, de bonne foi, me présenter une bonne nouvelle, avec une dette bien gérée et une économie de 0,8 point.

M. Christian Chapard. Le gestionnaire qui souscrit, signe ou renégocie les contrats devrait avoir une vision des risques et du coût potentiel. Mais pour établir un bilan d’une gestion active de la dette, il faut toutes les données, et notamment les soultes souvent compensées, qui peuvent être demandées aux prêteurs.

Prévoir des provisions, c’est essentiel : ce n’est pas qu’une question fiscale, mais aussi consacrer une part des ressources actuelles pour faire face à des aléas pouvant survenir dans le futur en conséquence de décision de gestion actuelle.

M. Patrice Calméjane. J’aurai deux questions.

Pourriez-vous nous confirmer que les produits swap doivent être provisionnés dans les budgets des collectivités territoriales ? En prenant en compte la situation des petites communes que nous avons auditionnées la semaine dernière, faut-il prendre en compte la taille des collectivités pour déterminer quel type de produits ils peuvent être en droit de souscrire ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Au terme des négociations, il demeurera un volant incompressible d’emprunts structurés. Les collectivités territoriales concernées souhaitent pouvoir transférer ces encours vers une structure de mutualisation qui serait en position de négocier avec les banques, à charge pour elles de rembourser leur quote-part de capital et d’intérêts. C’est un modèle assez différent de celui de la bad bank de Dexia.

M. le Rapporteur. Il existe une directive européenne sur les marchés d’instruments financiers (MIFID) qui distingue la clientèle professionnelle et non-professionnelle. Les collectivités territoriales sont classées dans cette seconde catégorie. La loi française, par ailleurs, définit l’usure et fixe des taux maximums applicables aux prêts à taux variable. N’est-il pas envisageable de se fonder sur les dispositions existantes pour protéger davantage les collectivités et les citoyens qui, par leurs impôts, leur assurent des ressources ?

M. Martin Launay, premier conseiller à la CRC Pays de la Loire. Pour répondre à votre question relative au taux de l’usure, je rappelle que ceux-ci sont des taux de marchés majorés.

Je reviens sur l’interdiction des produits structurés. Les raisons du développement des produits structurés sont à rechercher dans le souci des banques au début des années 2000 d’améliorer leur rentabilité alors que leurs marges sur les produits « classiques » proposés aux collectivités locales étaient très faibles, ce qui les a poussées à commercialiser des emprunts structurés, plus rémunérateurs pour elles.

Aujourd’hui, ces produits structurés ne sont plus proposés en l’état par les banques en ce qui concerne les nouveaux prêts. Cependant, la créativité des banques n’a pas ralenti pour autant. Il me semble donc inopérant d’interdire dans la loi certains types de produits risqués qui ne sont plus commercialisés et encore moins d’interdire ceux qui pourraient apparaître dans le futur, le législateur ne pouvant être aussi réactif que les financiers sont créatifs.

M. le président Claude Bartolone. Le véritable obstacle à la renégociation réside, à mon avis, dans les indemnités de remboursement anticipé et les pénalités de sortie insurmontables qui sont imposées aux collectivités qui tentent de renégocier leurs contrats.

Je rappelle aussi que les représentants des petites communes nous ont expliqué qu’on ne leur proposait pas d’autre type de produits pour leurs emprunts ; la seule proposition qu’on leur faisait était le produit appelé TO-Fix.

Enfin, j’attire l’attention de nos collègues sur l’évolution préoccupante de la parité entre l’euro et le franc suisse. Celle-ci est, pour l’heure, artificiellement contenue à 1,22 par la banque centrale helvétique mais on peut se demander combien de temps celle-ci pourra tenir le cours de sa monnaie.

M. le Rapporteur. Je partage le point de vue du Président. Le vrai problème est celui de la soulte demandée aux collectivités désireuses de rembourser leurs emprunts structurés. Ce coût résulte des couvertures souscrites par les établissements de crédit mais dont les collectivités territoriales ne sont pas responsables.

M. Martin Launay. La soulte, comme le problème du stock de dette, est effectivement un obstacle difficilement surmontable pour les collectivités ayant déjà souscrit des emprunts structurés. Il n’y a pas, à cet égard, de solution miracle.

Cette question renvoie d’ailleurs à celle du partage de la responsabilité. Ce n’est pas parce que l’on est incapable d’évaluer le risque lorsqu’on analyse un contrat d’emprunt, que l’on ne peut pas voir qu’il existe un risque dans cet emprunt.

J’ajoute que votre proposition de plafonner au niveau de l’usure le taux des contrats de prêts en cours aboutirait à limiter la rémunération des créanciers et leur occasionnerait des pertes en raison du fait que les banques retournent les positions pour neutraliser le risque dans leur bilan et doivent se refinancer.

M. le président Claude Bartolone. J’entends vos remarques : ce n’est pas le moment, pour les collectivités de renégocier leurs contrats car le contexte économique ne leur est pas favorable. Mais est-il souhaitable de différer cette renégociation et tenter de gagner du temps ? Cela conduit à transmettre les difficultés au prochain maire pour solder la situation. On a vu que des emprunts avaient été souscrits la veille des élections.

M. Alain Levionnois. L’expression « renégociation d’emprunt » prête à confusion. Elle est souvent comprise de travers, faisant croire qu’il est possible d’alléger la charge d’un emprunt, alors qu’il s’agit d’un reprofilage, d’un agencement différent d’une dette qui reste la même. Le premier rapport public particulier de la Cour des comptes avait attiré l’attention sur ce point dès 1991, et ces phénomènes y sont très bien expliqués. En pratique, l’emploi de ce terme par les professionnels devrait être banni. Et si cela avait un sens, on pourrait même souhaiter qu’il soit interdit par la loi.

L’affaire Dexia est un sujet grave, qui conduit à s’interroger sur le coût de la ressource financière pour les collectivités à l’avenir, car on peut s’attendre à ce que les taux s’élèvent à l’avenir. Les marges bancaires ont déjà augmenté. De plus, le coût des ressources bancaires est majoré par le taux des CDS qu’elles doivent acheter pour garantir leurs prêteurs. Le marché interbancaire est aujourd’hui très dégradé. En outre, la mise en œuvre des dispositions sur les ratios de liquidité de l’accord de Bâle III va contribuer à majorer le coût du crédit. La dette des collectivités s’est à nouveau mise à augmenter, son coût va se renchérir.

On peut certes allonger les durées de remboursement, mais on ne peut penser que l’on fera des économies. L’idée de caper les taux par la loi se heurte peut-être à un problème de constitutionnalité ; il faudrait l’étudier ; cela aurait en tout cas des conséquences importantes sur le marché financier, qui ne le supporterait sans doute pas.

Les contrats de prêts des collectivités ne sont pas des contrats relevant du droit administratif, domaine dans lequel l’autorité publique peut, lorsqu’un motif d’intérêt général le justifie, résilier unilatéralement le contrat sous réserve de dédommagements. Si l’on s’inspirait de cette idée pour encadrer les conditions de l’offre de prêt, dans le cadre du droit privé, l’opération serait déséquilibrée, ce qui découragerait les banques de prêter, ou bien elles se prémuniraient en facturant leur manque à gagner éventuel d’une autre manière. On ne voit pas là de solution, c’est pourquoi la règle de la provision présente des avantages.

La règle d’or de l’équilibre budgétaire des collectivités présente un inconvénient : elle joue sur une année mais n’intègre pas de pluri annualité. Or l’emprunt est une recette nette qui équilibre le budget de l’année mais c’est aussi une dépense future. Cette présentation masque la réalité des budgets futurs, qui présenteront des dépenses alourdies de frais financiers. Un emprunt d’une durée de quarante ans a des conséquences sur les comptes jusqu’en 2050 ! Le système de la provision, que la Cour a préconisé déjà trois fois, remédierait à cette faiblesse de la loi relative à la présentation des comptes des collectivités. Nous sommes conscients du fait que le principe du provisionnement obligatoire (réglementé) a soulevé des réticences. Par exemple, une première version de la réglementation M 14, apparue en 1996, prévoyait une provision pour différé d’amortissement applicable aux emprunts obligataires. Ce système a été abandonné en 2006 ; toutes les provisions réglementées ont été supprimées, et il ne reste plus que des provisions pour risques et charges. Il nous paraît utile de prévoir un complément au système actuel pour améliorer la fiabilité et la sincérité des comptes.

M. le président Claude Bartolone. Je vous remercie pour les nombreuses informations et idées qui ont été émises, dont le rapporteur fera certainement un grand usage.