Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mercredi 2 novembre 2011

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 14

Présidence M. Claude Bartolone, Président

Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème : « La politique commerciale des filiales françaises de banques étrangères »

− Audition de M. Pascal Poupelle, responsable France Belgique et Luxembourg au sein du groupe Royal Bank of Scotland ; de M. Marc Pandraud, président du groupe Deutsche Bank France ; de M. Alain Gaudry, responsable des activités de marché du groupe Deutsche Bank France ; et de M. Jean Christophe, directeur général de la filiale française du groupe irlandais Depfa Bank plc et directeur général de la Deutsche Pfandbriefbank.

M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition des représentants des filiales des banques étrangères qui ont été actives, durant la décennie passée, sur le marché du crédit aux collectivités locales. Nous accueillons donc M. Pascal Poupelle, responsable France, Belgique et Luxembourg au sein du groupe Royal Bank of Scotland ; M. Marc Pandraud, président du groupe Deutsche Bank France accompagné de M. Alain Gaudry, responsable de la succursale « activités marché » ; et M. Jean Christophe, président de la filiale française du groupe irlandais Depfa Bank.

Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté de répondre à nos questions. Comme j'ai eu l'occasion de le rappeler à vos collègues, représentants les banquiers historiques des collectivités territoriales, nous nous interrogeons sur les politiques commerciales qui ont conduit les établissements bancaires à placer des produits structurés et qui mettent aujourd'hui certaines collectivités dans une situation délicate.

Vos établissements étaient considérés, au début des années 2000, comme des « nouveaux venus » sur le marché des prêts aux collectivités territoriales. Or, certains intervenants nous ont expliqué qu'il s'agissait alors d'un marché mature, où les marges étaient très faibles. Dès lors, pourquoi vous être implantés sur un marché longtemps chasse gardée de quelques acteurs français ? Quels étaient les objectifs de vos maisons mères à l'époque, et en particulier quels types de produits vous ont-elles chargés de placer auprès des collectivités territoriales françaises ? Quelles étaient les instructions et contraintes particulières qu'elles ont pu vous donner ?

MM. Pascal Poupelle, Marc Pandraud, Alain Gaudry et Jean Christophe prêtent successivement serment.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Pourriez-vous présenter vos établissements respectifs, nous préciser s’ils sont agréés en France et à quel régulateur ils sont soumis ? Quand et pourquoi vous êtes-vous portés sur le marché des collectivités territoriales ? Quelle est la nature de votre offre – prêts à taux fixe ou variable, prêts structurés, produits dérivés ? Comment se décompose le produit net bancaire sur un prêt structuré ? Est-il le même que pour un prêt classique ? Le coût en fonds propres est-il différent ?

M. Pascal Poupelle, responsable France, Belgique et Luxembourg au sein du groupe Royal Bank of Scotland. Merci tout d’abord de nous donner l’opportunité de contribuer aux travaux de votre commission d’enquête. Le groupe Royal Bank of Scotland est né, comme son nom l’indique, en Écosse, il y a plus de 250 ans, et il s’est implanté en France il y a douze ans environ, pour accompagner les grandes entreprises dans le financement de leur croissance, la gestion de leurs risques – c’est une de nos spécialités – et, plus généralement, dans leur stratégie.

Les relations de Royal Bank of Scotland avec le secteur public local remontent à 2001. Comme pour les entreprises, nous avons dès le départ décidé de cantonner notre activité aux grands clients : tous nos clients collectivités locales comptent plus de 50 000 habitants, à trois exceptions près, qui font tout de même plus de 30 000 habitants. Mais cette activité reste marginale puisque, au cours des quatre dernières années, elle n’a représenté que 1 % de notre chiffre d’affaires en France. Assez logiquement, c’est en proposant des solutions de gestion du risque de taux que RBS est entrée en relation avec les collectivités locales, puisqu’elles sont des emprunteurs à très long terme et doivent ipso facto gérer leur risque de taux et que nous sommes reconnus comme des experts dans ce domaine. Nous n’avons accordé des financements qu’à partir de 2005

Nous avons veillé à respecter nos devoirs d’information et de mise en garde, en particulier la circulaire du 15 septembre 1992 et son exigence de ne procéder qu’à des opérations de couverture du risque de taux. Nous avons évidemment vérifié les pouvoirs des signataires qui engageaient nos clients. Et, au-delà de la vérification formelle des pouvoirs, nous avons eu en permanence le souci de nous assurer de la compétence de nos interlocuteurs. Dans les grandes collectivités locales, ils nous sont toujours apparus comme compétents, voire souvent très compétents, en tout cas, comme des professionnels de bon niveau, formés aux techniques financières, rompus aux montages complexes comme les partenariats public-privé (PPP) par exemple. En somme, nos interlocuteurs comprenaient les avantages et les risques des contrats qu’ils signaient, d’autant qu’ils étaient souvent conseillés par des cabinets d’experts indépendants. Ils ont souvent mis les banques en concurrence en procédant à de véritables appels d’offre. Et l’État, par le biais du contrôle de légalité, n’a jamais objecté à la gestion des risques pratiquée par les collectivités locales.

En définitive, notre sentiment fait écho à celui exprimé par nos confrères français : les collectivités locales ont mis en œuvre des stratégies financières articulées, pour dégager des marges de manœuvre compte tenu des contraintes qui étaient les leurs. Elles ont échangé la certitude d’une réduction de leurs charges financières pendant quelques années contre un risque futur, dont elles avaient tous les éléments pour mesurer l’ampleur éventuelle.

Aujourd'hui encore, la majorité de nos clients du secteur public local sont satisfaits des contrats qui nous lient, mais certains connaissent des difficultés, du fait des conséquences de la crise financière et de la distorsion parfois extrême de certains paramètres de marché, soit que les taux qu’ils doivent payer deviennent difficilement supportables compte tenu de leurs ressources financières, soit que les risques futurs liés à ces contrats leur paraissent aujourd'hui trop élevés. Dans de telles situations, nous adoptons une attitude commerciale classique : nous sommes dans une relation pérenne avec nos clients, puisque les contrats conclus sont souvent de très long terme, et leur problème est également le nôtre. C’est en maintenant un dialogue permanent que nous trouverons ensemble les meilleures solutions, notre objectif étant d’aplanir les difficultés. D’ailleurs, à plusieurs reprises, nous avons trouvé des solutions à la satisfaction de nos clients, et nous continuons à en chercher activement avec tous ceux d’entre eux qui sont dans une posture de dialogue.

M. Marc Pandraud, président du groupe Deutsche Bank France. La Deutsche Bank est présente en France depuis 1970, par le biais d’une succursale, qui emploie aujourd'hui 300 professionnels à Paris. Je l’ai rejointe il y a trois ans, et, depuis mon arrivée, nous avons essayé de développer nos activités avec les grandes entreprises. C’est dans l’ADN de la Deutsche Bank de gérer des grandes contreparties. Nous sommes aujourd'hui reconnus, selon certains classements, comme la première ou la deuxième banque internationale à Paris. Nous comptons aujourd'hui 800 clients en France, dont 14 acteurs publics locaux.

La crise a changé les repères. Même les plus grandes institutions ont souffert de la dislocation des marchés, et il faut avoir conscience que la linéarité de certains paramètres était un élément important dans l’appréciation du risque collectif tant par les banques que par les collectivités locales. Depuis 2008, les acteurs bancaires en ont souffert autant que leurs clients. Je voudrais m’attaquer à une idée reçue : quand un client est malheureux, sa banque l’est aussi, parce que, à long terme, un client qui ne gagne pas d’argent en fait perdre à sa banque.

Avec la crise, les collectivités locales ont été confrontées à des problèmes. Les banques ont-elles contribué à la prise de conscience ? Nous avons une règle à la Deutsche Bank : tous les mois, nous communiquons à nos clients le mark to market de leurs positions. Quand nous avons vu certains contrats se dégrader, il était de notre responsabilité de faire prendre à nos clients la mesure de la situation et de trouver avec eux des solutions. Dans quelques cas, les clients n’ont pas souhaité entrer en négociation avec nous et nous avons aujourd'hui quelques contentieux, trois exactement, au sujet desquels je me sens tenu par le secret bancaire. Je répondrai de manière aussi transparente que possible à vos questions mais je ne citerai pas le nom de ces clients ni n’entrerai dans le détail des dossiers.

M. le président. Je vous rappelle que le secret bancaire est opposable pour les réunions en public, quand le huis clos n’a pas été prononcé. L’article 6 alinéa 7 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 dispose expressément que toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déposer sous réserve des dispositions de l’article 226-13 du code pénal qui réprime la violation du secret professionnel. La définition du secret bancaire retenue par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier englobe toutes les « opérations de crédit effectuées, directement ou indirectement, par un ou plusieurs établissements de crédit ; les opérations sur instruments financiers, de garantie ou d’assurance destinées à la couverture d’un risque de crédit ; […] les cessions ou transferts de créances ou de contrats. » Elle est donc très large, même si plusieurs exceptions sont ménagées en faveur des autorités de régulation, des agences pour les besoins de la notation des produits financiers, ou encore des personnes avec lesquelles les établissements négocient certaines opérations bancaires. Mais, en fonction des besoins d’information du rapporteur, il pourra vous demander certaines précisions qui ne figureront pas au rapport qu’il présentera.

M. le rapporteur. Pourquoi des filiales de banques étrangères se sont-elles implantées sur le marché des prêts structurés aux collectivités locales françaises ? À cause des marges ?

M. le président. Notre curiosité est d’autant plus vive que vous étiez spécialisés dans les grandes entreprises privées. Quel attrait ce nouveau marché pouvait-il présenter ?

M. Marc Pandraud. Il n’y a pas lieu d’opposer public et privé. Les filiales internationales de la Deutsche Bank ont pour contrepartie des clients de taille importante, aux besoins sophistiqués. Nous sommes une banque de marché. Notre première mise en relation avec une collectivité locale doit dater de 2002, mais, sans être en contact direct, nous étions déjà contrepartie de banques françaises pour apporter des solutions. Il s’agissait d’un marché où le nombre d’intervenants était réduit et nous avons été sollicités.

M. Alain Gaudry, responsable des activités de marché du groupe Deutsche Bank France. Pour être précis, notre première entrée en relation date de 2001, et les contacts avec les 14 clients contreparties, sur lesquels nous avons communiqué à M. le rapporteur des informations, remontent pour l’essentiel à 2005-2006. Nous sommes donc un acteur marginal sur ce marché, et nous sommes intervenus après avoir été sollicités, en particulier par des conseils financiers, qui souhaitaient mettre les banques traditionnelles en concurrence avec d’autres établissements, ou qui cherchaient à diversifier l’offre pour limiter la concentration.

M. le rapporteur. Aviez-vous des problèmes de liquidité ?

M. Alain Gaudry. Non, nous sommes une banque d’investissement et les opérations en cause sont surtout des opérations de swap, c'est-à-dire sur produits dérivés.

M. Jean Christophe, directeur général de la succursale française du groupe irlandais Depfa Bank plc et directeur général de la Deutsche Pfandbriefbank. J’ai la particularité de porter une double casquette, de directeur général de la filiale de Depfa Bank, banque dont le siège est en Irlande, et de PBB, une banque allemande dont je suis le responsable à Paris. Dans le cadre de la restructuration du groupe Hypo Real Estate, il a été décidé que Depfa n’aurait plus d’activité nouvelle et que la Deutsche Pfandriefbank, issue de la restructuration, porterait les nouvelles opérations, notamment en France qui est, en dehors de l’Allemagne, notre principal marché stratégique.

Le profil de notre banque est un peu différent des autres dans la mesure où Depfa Bank était présente sur le marché depuis 1994, mais par le biais d’intermédiaires. Entre 1997 et 2000, nous avions ainsi un accord avec le Crédit Lyonnais en vertu duquel nous refinancions la quasi-totalité des crédits qu’il distribuait aux collectivités locales. Étant une banque sans réseau, nous nous procurions des ressources sur les marchés au moyen des covered bonds, et, désormais, des pfandbriefe, l’instrument allemand et l’un des plus vieux en Europe, notre vocation première étant le financement du secteur public. Nous étions là avant les produits structurés et nous serons là après.

Nous sommes arrivés tardivement sur le marché des produits structurés, sous la pression de nos clients, pour éviter d’être exclus des appels d’offre : quand nous mettions en place des prêts classiques, ils faisaient immédiatement ou presque l’objet d’échanges de taux avec d’autres banques. Comme n’importe quel acteur économique, nous nous sommes demandés comment assurer notre présence sur le marché. Notre première opération structurée date de 2004, et le pic de cette activité a été observé entre 2005 et 2008. Depuis 2002, Depfa était spécialisée dans le financement du secteur public, en général, dont les collectivités locales. À la fin septembre 2011, notre portefeuille en France était d’un peu moins de 7 milliards, dont 2 milliards sur les acteurs publics locaux français – collectivités, hôpitaux, organismes HLM, établissements publics de coopération communale. Nous finançons les projets directement, et les PPP.

Nos succursales – Depfa et PPB – sont agréées en France, la première étant soumise au régulateur irlandais et la seconde au régulateur allemand, la BaFin, et elles sont soumises à un reporting allégé auprès du régulateur français.

En ce qui concerne notre cible, nous nous sommes concentrés sur les clients de taille moyenne à grande. Un seul de nos clients compte moins – à peine moins – de 20 000 habitants. Notre effectif n’a jamais dépassé cinq commerciaux pour la France.

M. le rapporteur. J’en reviens aux marges : sont-elles plus élevées sur les produits structurés que sur les prêts classiques ?

M. Alain Gaudry. La marge correspond à la différence entre le taux facturé au client, d’une part, et le coût de la couverture, d’autre part. Plus les produits sont complexes, plus les coûts de couverture sont élevés. M. Mariani vous a expliqué que Dexia n’était pas une banque d’investissement et qu’elle se couvrait systématiquement auprès de ces établissements. En ce qui nous concerne, quand nous commercialisons des produits structurés, nous nous couvrons par nous-mêmes, en montant des opérations de micro-couverture par exemple.

M. le président. Pourriez-vous nous dire quelle marge vous preniez sur un prêt à taux fixe, à vingt ans par exemple ? Nous pourrons comparer.

M. Pascal Poupelle. Royal Bank of Scotland a, en France, deux succursales, l’une d’origine britannique, qui dépend de la Financial Services Agency britannique ; l’autre d’origine néerlandaise provenant du rachat d’une partie du groupe ABN Amro, il y a trois ans, et sous la surveillance du régulateur néerlandais. Nous répondons également au régulateur français, l’Autorité de contrôle prudentiel.

L’origine des relations de Royal Bank of Scotland avec les collectivités locales françaises se trouve dans la demande qu’elles exprimaient en matière de gestion du risque de taux, l’un des domaines d’expertise de notre maison mère. Mais RBS a très peu prêté, l’offre se concentrant sur des échanges de taux, des swaps.

S’agissant des revenus générés, ils sont très comparables à ceux que nous dégageons sur nos autres grands clients. Il n’y a pas de différence de nature. Les opérations en question sont complexes pour nous aussi. Nous sommes non pas des intermédiaires, mais des contreparties durables de nos clients. Nous fabriquons les produits que nous vendons, mais nous devons également gérer le risque pendant toute leur durée. Si nous concluons un contrat d’échange de taux sur quinze ans, voire plus, notre groupe porte le risque et doit le gérer. Il peut nous arriver, notamment lorsqu’une crise provoque des discontinuités de paramètres de marché, de perdre beaucoup d’argent. Il est donc difficile de faire le bilan économique de ces opérations avant terme. Nous savons ce que nous avons gagné sur des produits complexes une fois les opérations effectivement terminées.

M. le rapporteur. Les spécialistes disent que la marge serait proportionnelle au risque encouru, d’autant plus confortable que le produit est risqué. Est-ce vrai ?

Mme Valérie Fourneyron. Le prêt structuré était pour vous une activité marginale, mais les conséquences ne le sont pas pour les collectivités. À combien se monte l’encours de cette activité en France ? Combien de collectivités sont concernées ?

Vous dites avoir été « sollicités », notamment par des conseils. S’agissait-il d’une démarche individuelle ou globale des collectivités ?

M. Poupelle vient de nous expliquer avec un luxe de détails que toutes les précautions possibles avaient été prises – respect des circulaires, vérification des pouvoirs et de la compétence des interlocuteurs – mais cela ne correspond pas à l’impression que nous avons. Vous étiez peut-être persuadés que les élus que vous aviez en face de vous étaient extrêmement compétents et comprenaient parfaitement les produits hors charte Gissler que vous leur proposiez, mais nous avons des doutes.

Nous avons auditionné les collectivités et elles sont nombreuses à se rendre compte qu’elles ne pourront pas respecter les échéances, dont le taux dépasse parfois 30 %. Au prix du marché, il sera également impossible de sécuriser les emprunts toxiques. Quelle va être votre attitude envers vos clients ?

M. Jean-Louis Gagnaire. On a l’impression que vous avez reçu, avant d’entrer, des éléments de langage : vous tenez tous le même discours, mais vous ne répondez pas aux questions.

S’agissant des commerciaux, les avez-vous rémunérés en fonction de leurs résultats ? Avez-vous sollicité les responsables financiers des collectivités territoriales – c’est une accusation très grave qui a été portée contre vous – en les invitant à des séminaires, ou autres, pour leur expliquer le bien-fondé de souscrire des produits structurés ? Nous avons pu nous faire une idée de l’insistance des commerciaux auprès des collectivités territoriales et je m’étonne que vous ayez trouvé les élus et les responsables extraordinairement compétents. Pourquoi ne pas les avoir immédiatement recrutés dans vos établissements ? Nous connaissons les limites de nos collaborateurs, sachant comment ils ont été recrutés.

Il y a peu de contentieux dans les établissements français. On ne peut pas en dire autant de vous. Ainsi, la Cour fédérale de Karlsruhe a condamné la Deutsche Bank à plus de 500 000 euros pour défaut de conseil et elle doit encore rendre son verdict dans sept dossiers comparables. En outre, dix-sept autres procès contre la Banque sont en cours devant les juridictions inférieures. Même si le droit allemand n’est pas transposable en France, la Cour a relevé le conflit d’intérêt puisque la banque gagne de l’argent quand son client en perd. Beaucoup de ceux qui ont été auditionnés ici ont aussi dénoncé le manquement à l’obligation de conseil. Quant à Royal Bank of Scotland, elle est mise en cause aux États-Unis et au Royaume-Uni. Passez-vous, les uns et les autres, des provisions quand une collectivité française dépose plainte contre vous ? Et pourquoi opposez-vous une fin de non-recevoir quand vos homologues français préfèrent discuter avec leurs emprunteurs ?

Enfin, quels sont vos liens avec Dexia ?

M. Patrice Calméjane. Messieurs, on est venu vous chercher, dites-vous. Mais le milieu bancaire est un milieu fermé. Alors, comment avez-vous fait la différence, pour pouvoir entrer dans le cercle ?

Et les produits que vous avez commercialisés en France sont-ils interdits ailleurs, ou au moins encadrés ?

M. le président. En cherchant, j’ai trouvé que le taux de marge sur les crédits à taux fixes à vingt ans en 2006-2007 était compris dans une fourchette de 0,05 et 0,20 point. Il s’agissait donc de produits d’appel, non rentables. Je connais très bien le monde des élus, et je les vois mal manifester devant le siège d’une banque étrangère pour réclamer des produits structurés. En revanche, je suis persuadé que la faiblesse des marges sur les produits classiques explique ce brusque engouement pour les produits complexes. Quelles étaient vos marges ? Vous deviez bien les communiquer puisque la Cour de Karlsruhe a condamné un établissement pour « marge cachée ».

M. Pascal Poupelle. Nous avons 2 milliards d’euros d’encours environ, essentiellement sous forme de contrats d’échange de taux. Sur 160 contrats, une dizaine est aujourd'hui problématique, mais je ne préjuge pas de la suite. Sur le notionnel, 75 % sont classés dans la Charte Gissler. Sur les 25 % qui restent, 16 % portent sur des contrats de change. Ce sont eux surtout qui ont le plus mal évolué.

Nous sommes en contentieux avec deux collectivités locales, mais, contrairement à ce qui a été dit, nous sommes toujours disposés au dialogue. Nous n’avons jamais refusé le dialogue avec l’un quelconque client mais nous considérons que celui qui décide de nous assigner choisit de le rompre.

Monsieur Gagnaire, vous nous reprochez de gagner de l’argent quand nos clients en perdent.

M. Jean-Louis Gagnaire. C’est la Cour de Karlsruhe qui le dit, et qui a parlé de conflit d’intérêt.

M. le rapporteur. Plus le produit est à risque, plus la banque gagne de l’argent.

M. Pascal Poupelle. Encore une fois, je ne pense pas que, quoi qu’ait fait la Royal Bank of Scotland avec le secteur public local en France, il y ait eu le moindre conflit d’intérêt. Nous accuser de gagner de l’argent quand nos clients en perdent va contre le bon sens. M. Pandraud vous l’a dit, un banquier, lorsqu’un de ses clients est en difficulté, l’est aussi. L’intérêt bien compris d’une banque, c’est d’abord de ne pas traiter avec des clients en difficulté, et, par voie de conséquence, de ne pas les mettre en difficulté. Cela fait partie de nos préoccupations quotidiennes.

Que faire donc, quand un client ne peut pas assumer les charges liées au contrat qui nous lie ? C’est une situation malheureusement classique dans nos métiers, mais une banque n’est payée que si son client peut honorer ses engagements. Nous adoptons donc une attitude de dialogue permanent, tout en recherchant des opportunités au fur et à mesure de l’évolution des marchés. Parfois, nous procédons par étapes sur la voie de la solution, qui n’est pas toujours immédiate compte tenu de l’évolution des paramètres de marché. Elle est même parfois extrêmement difficile à trouver, nous en sommes bien conscients.

Lorsque j’ai parlé de compétences tout à l’heure, je rappelle que la plus petite collectivité cliente chez nous compte plus de 30 000 habitants. Les équipes en face de nous étaient les responsables des services financiers. L’on peut regretter que, jusqu’à la crise de 2008 et ses manifestations sur la dette des collectivités locales, la plupart des élus aient été assez éloignés de ces sujets et qu’ils aient délégué assez largement, mais cela correspondait à une réalité : la Royal Bank of Scotland a eu assez peu souvent affaire aux élus directement, même si nous prenions la peine de vérifier les pouvoirs. Je suis d’accord, les élus n’ont que rarement les compétences financières pour gérer des dettes importantes, qui plus est à très long terme.

Non, nos commerciaux n’étaient pas rémunérés au résultat au moyen d’un système de commissionnement.

Avons-nous prodigué des invitations somptuaires aux équipes des collectivités locales ? Non. Nous avons fait des séminaires à Londres pour organiser des rencontres avec nos équipes de marché, pour montrer comment les produits que les collectivités souscrivaient chez nous étaient « fabriqués » et gérés, ce qui me semble dans l’ordre des choses.

La politique de provision est extrêmement confidentielle, mais les principes sont simples. Nous ne provisionnons que lorsque nous avons des clients qui sont dans l’impossibilité manifeste d’honorer leurs engagements à notre égard.

M. le rapporteur. En avez-vous aujourd'hui ?

M. Pascal Poupelle. Nous n’avons aujourd'hui aucune provision sur le secteur public local en France puisque aucun de nos clients n’est dans une telle situation.

Nous n’opposons jamais de fin de non-recevoir, je le souligne à nouveau.

Le groupe Royal Bank of Scotland travaille avec les entreprises, mais aussi avec les institutions financières, que ce soit en France ou ailleurs. Nous avons donc avec Dexia des relations de banquiers, par exemple en lui permettant d’adosser certaines de ses opérations, pour compte propre dans le cadre de sa gestion de bilan, ou pour le compte de sa clientèle qui a souscrit auprès d’elle des produits structurés. Vous savez que j’ai été le dirigeant de Dexia Crédit local pendant quelques années, mais je ne le suis plus.

Par rapport aux banques françaises, nous apportions, Marc Pandraud vous l’a expliqué, une forme nouvelle de concurrence par un élargissement de l’offre, notamment en matière de gestion du risque de taux.

M. le président. Vous avez vous-même évoqué votre vie passée chez Dexia. Vous devez donc connaître les marges qui étaient pratiquées. Quelles étaient-elles, en particulier sur les produits qui utilisent un effet levier supérieur à 10, et qui étaient en effet très compliqués ?

M. Pascal Poupelle. Je ne parlerai pas de Dexia, je ne suis pas habilité à le faire, d’autant que vous aviez Pierre Mariani en face de vous tout à l’heure. Le groupe RBS a très peu prêté aux collectivités locales, parce que, comme Deutsche Bank, nous n’avions pas d’instrument efficace de refinancement des prêts aux collectivités locales, contrairement à Depfa par exemple. Il était donc exclu de distribuer des prêts dans les conditions que vous avez dites, monsieur le président. S’agissant de Dexia, avant la crise de 2008, le refinancement des portefeuilles de prêts par des obligations foncières était idéal, puisque l’émetteur était noté AAA, et, à l’époque, courtisé par les investisseurs et les marchés. Une situation aussi favorable explique qu’aient pu être consentis des prêts avec des marges aussi limées. Par ailleurs, les banques mutualistes, du type BPCE ou Crédit Agricole, disposaient à l’époque d’importantes liquidités dont elles croyaient le coût très faible.

M. le président. Une dernière tentative avant de laisser la main au rapporteur. J’entends ce que vous dites, mais vous avez dû expliquer à vos actionnaires ce que vous espériez en entrant sur ce marché. Pas un conseil d’administration n’accepterait de devoir attendre trente ans avant de savoir combien les opérations rapportent.

M. Pascal Poupelle. Certes, les banques n’ont pas vocation à faire des opérations non économiques. En tout état de cause, la rentabilité des opérations sur dérivés avec le secteur public local français était comparable à notre activité avec les grandes entreprises ou les grandes institutions financières.

M. le président. Combien ?

M. Pascal Poupelle. Il m’est difficile de vous répondre dans l’absolu dans la mesure où nous, nous gérons le risque sur toute la durée des produits que nous vendons. Quand une crise comme celle de 2008 survient au cours de la vie d’un produit, une banque de marché perd beaucoup d’argent.

M. le rapporteur. Nous tournons autour du pot. Les banques, que j’ai fréquentées pendant vingt-cinq ans, prennent des marges en se couvrant. Si vous ne l’avez pas fait, cela veut dire que vos banques ont elles aussi souscrit des produits toxiques pour leur propre compte. Ce n’est pas ce que nous ont dit vos homologues des établissements français, qui nous ont précisé que le coût de sortie qu’ils facturaient correspondait à celui de la couverture. Quels sont les mécanismes de couverture que vos établissements ont utilisés pour conclure ces opérations ? Et à quel prix l’avez-vous fait ?

M. Pascal Poupelle. Tous les établissements ne procèdent pas de la même façon. Dexia par exemple ne gère pas ses risques de marché, elle adosse ses opérations auprès d’autres banques, notamment auprès de RBS. Un groupe comme Royal Bank of Scotland, en revanche, fait métier de gérer ses risques. Pour les opérations simples sur les dérivés de taux, appelées dans notre jargon opérations « vanille », la couverture est parfaite parce que nos traders, qui sont installés à Londres, ont les instruments pour faire un adossement sur toute la durée du produit. En revanche, lorsque nous faisons des opérations dites « exotiques », la gestion du risque est beaucoup plus complexe car les contrats ne peuvent pas être adossés de façon parfaite pour toute leur durée. Ces contrats sont inscrits dans le livre de négociation, ou trading book, où est agrégé l’ensemble des opérations de la banque que doivent gérer les traders. Contrairement à l’idée reçue, les traders sont des gestionnaires de risque et, jour après jour, année après année selon la durée des opérations à gérer, ils font en sorte d’éviter que des chocs de marché ne fassent perdre à la banque des sommes importantes dans la gestion de ses risques. Certes, nous dégageons des marges au début, mais l’intérêt économique d’une opération ne peut se mesurer qu’in fine. Oui, ces opérations de gestion sont en général rentables sur la durée, en fonction des cycles de marché, et elles contribuent à la rentabilité de nos fonds propres.

M. le rapporteur. Il faut attendre vingt ans pour savoir à quoi s’en tenir ?

M. Pascal Poupelle. C’est un peu plus complexe que cela car, à l’échéance, nous aurons du mal à faire le bilan exact. Si, au cours de la vie du produit, il y a des pertes considérables de trading, comme en 2008 quand les paramètres de marché ont évolué de façon totalement imprévisible, elles ne sont pas attribuées à un client en particulier. Et plus les opérations sont complexes, plus les risques à gérer le sont.

M. le président. Avez-vous une comptabilité analytique par client ?

M. le rapporteur. Vous venez de dire que ce n’était pas réalisable !

M. Pascal Poupelle. Nous avons bien sûr une comptabilité analytique par client, mais, comme toutes les comptabilités analytiques, elle repose sur des conventions.

M. le président. Monsieur Pandraud, allez-vous nous éclairer sur la formation des marges ?

M. Marc Pandraud. Je commencerai par répondre à M. Gagnaire. En tant que dirigeant français, je ne me permets pas de m’exprimer sur une décision de la justice allemande concernant ma maison mère, mais je tiens à souligner que je ne vois pas le moindre conflit d’intérêt dans les dossiers qui nous occupent. Nous sommes la contrepartie, et non le conseil des collectivités. D’ailleurs, la plupart d’entre elles en ont, et ils nous mettent de manière quasiment systématique en concurrence, en fonction d’un cahier des charges.

Premièrement, s’agissant des marges, il faut tuer l’idée selon laquelle il existerait un collectif qui se mettrait d’accord pour définir des marges trop élevées. Dans une précédente audition, vous avez même parlé, monsieur Gagnaire, de « prédateurs ». Je ne me considère absolument pas comme président d’une banque prédatrice. Nous apportons des solutions en faisant au mieux. Nous gérons les risques au niveau global c'est-à-dire que, pour un produit donné, la structure de coût n’est pas la même à la Deutsche Bank qu’à la Royal Bank of Scotland. Mais, ce qui importe, c’est de se rendre compte que, si nous n’avions pas été le mieux disant, nous n’aurions pas fait l’opération.

Deuxièmement, nos commerciaux ne sont pas rémunérés à la commission, même s’il est évident que l’obtention de résultats est nécessaire pour ces fonctions. Nos professionnels sont formés non seulement aux techniques, mais à l’évaluation du risque client. Ils évaluent avec lui le risque, et ils anticipent en quelque sorte la relation commerciale. Nous ne sommes pas conseil, mais nous essayons de comprendre les besoins en dialogue avec le client dans le cadre d’un cahier des charges. En tout état de cause, un client, on essaie de le garder. Le comportement est donc important tout comme l’est la réponse à la demande du client. En tant que président de la Deutsche Bank, il est essentiel pour moi que mes collaborateurs respectent le code de déontologie qui a été mis en place.

M. Alain Gaudry. L’encours total des swaps avec nos 14 contreparties s’élève à 1,2 milliard d’euros. Il s’agit du notionnel de ces swaps et non de financements. Sur nos 14 contreparties, seules 5 ont traité avec Deutsche Bank des produits hors charte Gissler. Le mark to market de ces produits hors charte Gissler avec ces 5 contreparties s’élève à environ 250 millions d’euros.

Nous avons actuellement 3 contentieux en cours, et nous sommes en phase de négociation intense avec l’une de ces contreparties. Nous n’opposons pas de fin de non-recevoir à nos clients, nous restons à leur côté. Nous étudions la santé financière de nos clients en permanence. Depuis 2008, nous leur demandons des mises à jour régulières de leur situation financière. Ainsi, nous sommes en mesure de leur proposer des restructurations, sous forme notamment d’allongement de la durée des swaps, de passages à taux fixe et dans certains cas de financements à des coûts attractifs. Nous maintenons donc nos relations et poursuivons nos discussions avec nos clients, à l’exception de ceux qui ont choisi de rompre le dialogue.

M. Jean Christophe. Notre situation est plus proche de celle de Dexia car, quand nous offrions un produit structuré à notre clientèle, nous nous retournions vers une banque d’investissement pour acheter la couverture. Notre intervention apportait indirectement aux collectivités une mise en concurrence des banques d’investissement, pour obtenir le meilleur prix. Chez Depfa, l’objectif était de réaliser sur les opérations structurées une marge d’environ 0,4 point, soit 40 points de base, qu’il faut comparer aux 70-80 points de base qui prévalaient au début des années quatre-vingt-dix et aux conditions actuelles – soit 150-200 points de base – que les collectivités paient aujourd'hui. Il s’agit évidemment d’une moyenne. En tout état de cause, lorsque nous obtenions un marché, c’est parce que nous proposions le meilleur prix.

M. le rapporteur. Faut-il comprendre que vous vous comportiez davantage comme un négociant que comme un banquier, dans la mesure où vous achetiez des produits de couverture au lieu de les fabriquer ?

M. Jean Christophe. Nous intervenions à la fois comme structurateur et intermédiaire. Nous n’avions pas, en ce qui nous concerne, toutes les équipes de trading pour construire le produit. Nous contactions les banques d’investissement en leur exprimant nos besoins et en leur demandant leur meilleur prix.

Contrairement aux banques françaises, nos interlocuteurs n’étaient quasiment jamais les élus. Il s’agissait surtout des directeurs financiers des collectivités. Notre plus petit client étant une collectivité d’un peu moins de 20 000 habitants. Nous avions affaire aux services financiers, ceux de villes moyennes ou grandes, de grands hôpitaux. Lorsque nous avons traité des swaps, tous nos clients se sont déclarés comme professionnels dans le cadre de la MIF.

M. le rapporteur. Vous faites systématiquement signer un papier ? Comment considérez-vous une collectivité locale, comme une entreprise ou comme un particulier ?

M. Jean Christophe. Depfa Bank a appliqué les critères de la MIF aux collectivités, pour savoir si elles pouvaient être considérées comme des professionnels. Elles ont été informées par notre siège du fait qu’elles étaient classées comme tels.

M. le président. Quelle est la qualification des personnels qui, dans votre banque, s’occupent des produits structurés ?

M. Jean Christophe. Les personnels en contact direct avec les collectivités sont des bac+3 ou bac+5. Ils sortent d’écoles de commerce ou d’ingénieur.

M. le président. Et au-dessus d’eux, ceux qui conçoivent les produits, participent à leur confection et forment les commerciaux ?

M. Jean Christophe. Compte tenu de nos effectifs, nous n’avons pas la même approche que dans un grand réseau qui forme ses commerciaux aux produits qu’ils vendent. La frontière existe entre ceux qui parlaient aux clients, qui étaient basés à Paris, et ceux qui parlaient aux banques d’investissement, qui étaient basés à Londres. Mais leur formation était très similaire : école de commerce ou école d’ingénieur.

M. le président. C’est un point important. Je connais les collectivités et autant leur capacité budgétaire est incontestable, autant leur compétence financière me paraît plus limitée. D’ailleurs, quand une grande collectivité veut faire de la gestion active, elle s’adresse à l’extérieur, faute d’avoir la compétence en interne.

M. Jean Christophe. La quasi-totalité des clients était accompagnée d’un conseil financier.

En ce qui concerne notre portefeuille clients, un seul client a réalisé sa première opération structurée avec nous. Tous les autres en avaient déjà l’expérience, ne serait-ce que parce que nous sommes arrivés assez tardivement sur le marché.

J’ai créé notre succursale de Paris en 2000. Quand nous avons élargi notre offre de produits structurés à partir de 2005 et surtout 2006, nous envoyions des offres relativement exhaustives. Aucune, il est vrai, ne précisait que le taux pouvait atteindre 30 ou 40 %, mais il était écrit que, sur la base de l’historique, de l’expérience, du consensus de marché, le taux pouvait se dégrader. Des exemples de taux de 12 % ou 14 % étaient donnés. Cela étant, on a toujours indiqué que le risque pouvait être illimité. Le document fourni, de vingt ou vingt-cinq pages, présentait le produit et son mode de fonctionnement d’après les données historiques, et il y avait une réunion d’explication avec les collectivités. D’après les échos que j’ai eus, y assistaient des gens qui connaissaient ce type de produit et posaient des questions extrêmement pertinentes. Soit nos interlocuteurs donnaient l’impression de posséder les compétences nécessaires, soit ils étaient accompagnés de leur conseil financier.

M. Patrice Calméjane. Les produits que vous avez commercialisés en France sont-ils autorisés ou interdits à l’étranger ?

M. Jean Christophe. C’est très variable. En Allemagne, il n’y avait aucun encadrement et certains produits appelés snowballs ont été offerts en toute légalité. L’Italie a introduit des restrictions extrêmement sévères à la fin des années quatre-vingt-dix, ou au début des années 2000, parce que certaines collectivités étaient en difficulté. L’Espagne interdit tout effet de levier. Aux Pays-Bas, les organismes de logement social peuvent souscrire des produits structurés, mais obligatoirement couverts par un cap. Je ne connais pas bien le cas du Royaume-Uni, où nous ne sommes pas très actifs sur les produits structurés, qui est très particulier, notamment avec les prêts LOBO (Lender’s option, borrower’s option). Ce sont des prêts à échéance extrêmement longue, jusqu’à soixante-dix ans, assortis de clauses de rendez-vous offrant des options de sortie à la fois à l’emprunteur et au prêteur. Mais ce ne sont pas des produits exotiques.

M. Jean-Louis Gagnaire. Une précision. J’ai cité la Cour de Karlsruhe, qui a considéré qu’il y avait une « situation de conflit d’intérêt ». Même si l’on ne peut pas transposer le droit allemand en droit français, peut-être les juridictions françaises pourraient-elles conclure dans le même sens après les plaintes qui ont été déposées. L’argument de l’information du client n’a pas tenu devant la Cour, étant donné le déficit de connaissance entre les collectivités et vos commerciaux qui sont, eux, bien formés. Vous avez reconnu que, la plupart du temps, les élus n’étaient même pas associés aux discussions. Je suis d’ailleurs étonné que vous puissiez dire que vous vérifiiez que les élus étaient bien informés alors que les représentants de l’État ont dit strictement le contraire : ils étaient dans l’incapacité de savoir si les élus avaient été correctement informés. Le Trésor, les préfets, et même la Cour des comptes considèrent que l’information des élus est très défaillante. Elle a d’ailleurs formulé des préconisations.

M. le rapporteur. Avez-vous fait l’objet de contrôles sur pièces ou sur place de l’Autorité de contrôle prudentiel sur cet aspect de votre activité ?

MM. Pascal Poupelle, Alain Gaudry, Jean Christophe. Non.

M. le président. Vous nous expliquez avoir élargi la concurrence. Mais en quoi ? Sur le taux bonifié ? Compte tenu de la complexité des contrats proposés et les effets de levier sur lesquels reposaient les produits, les produits étaient difficilement comparables.

M. Marc Pandraud. J’ai reçu aujourd'hui même une consultation en vue d’une contractualisation d’un emprunt. Il s’agit donc d’une opération courante. « Les offres comporteront une proposition à taux fixe. Il est libre aux concurrents de proposer des produits adaptés et/ou innovants. » Voilà la preuve que le besoin existe encore aujourd'hui.

M. Alain Gaudry. Comment sommes-nous entrés en relation avec des grandes collectivités à partir de 2005-2006 ? Nous avons été contactés par les conseils financiers des collectivités, qui nous présentaient des cahiers des charges dans lesquels étaient indiqués le montant du swap, la maturité, le taux d’intérêt souhaités. Dans certains cas, lorsqu’il s’agissait de remplacer des opérateurs en cours avec d’autres établissements financiers, une soulte négative devait être reprise par Deutsche Bank. Nous proposions alors une palette de produits, nous en discutions avec les conseils financiers et la collectivité. Ils nous mettaient ensuite en concurrence avec 3 ou 4 banques. In fine, la collectivité décidait.

M. le rapporteur. La direction du Trésor vous a-t-elle sollicitée pour connaître les encours globaux de produits structurés que vous déteniez sur les collectivités ?

M. Pascal Poupelle. Oui, il y a quelques mois.

M. Marc Pandraud. Également.

M. Jean Christophe. Il me semble que oui et nous avons fourni à votre commission les données sur l’intégralité de notre portefeuille.

M. le président. Vous connaissez la charte Gissler. À votre avis, à quel niveau faut-il plafonner le risque encouru par les collectivités locales ? Par ailleurs, M. Lemaire, le patron des Caisses d’Épargne, a déclaré en 2010 qu’il regrettait que son groupe ait distribué ce type de produit. Qu’en pensez-vous ?

M. Pascal Poupelle. Nous n’avons pas signé la charte Gissler, parce que nous n’avons pas été invités à le faire. Certaines associations d’élus ne l’ont pas signée non plus. En revanche, nous l’avons appliquée dès sa publication et nous en respectons les principes. Nous allons même au-delà parce que notre démarche commerciale peut être plus restrictive, en fonction de la taille de nos clients, et de ce que nous estimons être leur niveau de compétence, et aussi de la diversification de leur dette. La diversification est un critère très important : qu’une grande collectivité ait 5 % de sa dette en produit très risqué, selon la charte Gissler, peut se justifier en termes de stratégie financière, alors que s’endetter exclusivement en emprunts risqués serait peu responsable. Il est difficile de fixer une limite absolue. Tout dépend du client, de la diversification de la dette. D’ailleurs, ce sont des aspects que nous avons toujours pris en compte dans nos démarches. Encore aujourd'hui, nos concours ne portent pas sur plus de 8 % de l’ensemble des dettes de nos clients.

Quant aux déclarations de M. Lemaire, je lui en laisse la responsabilité, n’étant pas au fait des activités qu’il disait regretter.

M. Marc Pandraud. Une nouvelle fois, je vous remercie de nous avoir conviés à participer au travail en profondeur que votre commission a engagé.

Je terminerai en citant M. Masselus, que M. Gorges connaît bien puisqu’il est son adjoint aux finances, pour se remettre dans la perspective. Il insiste sur le fait que « lorsque nous effectuons de tels choix, nous disposons des marges de manœuvre nécessaires. » Il précise : « Depuis plusieurs années, nous nous efforçons d’optimiser nos charges financières, et le taux moyen d’intérêt est de 2,81 % pour les encours de la ville, 2,89 % pour ceux de l’agglomération, alors qu’il serait de 4,5 %, voire de 5 % si j’avais à l’époque souscrit ces emprunts à taux fixe. Cette stratégie, poursuit-il, a permis de financer plusieurs équipements importants. » J’enchaînerai en soulignant que l’important, en matière financière, est la réactivité. Un produit peut dans certaines circonstances ne pas répondre aux attentes des uns et des autres, de la banque comme de la contrepartie, mais il faut assumer. Dans mon métier, qui est de conseiller des entreprises, il faut tenir un langage de vérité. Quelquefois, quand les choses dérapent, on préfère la politique de l’autruche et les risques ne vont qu’en s’aggravant.

La seule recommandation que je me permettrai, à titre personnel, c’est que les collectivités et les banques resserrent leurs liens de proximité, de manière à tenir un discours de responsabilité partagée. Je souhaiterais que, dans le sillage de cette commission d’enquête, soit édité un code de fonctionnement aussi détaillé que possible. Nous, banquiers, exerçons la profession sans doute la plus réglementée, alors que bon nombre de nos contreparties – les hedge funds notamment – ne le sont pas. Plus on est réglementé, plus on est responsable, plus les relations sont transparentes. C’est tout ce que je souhaite. Je suis à votre disposition pour en parler avec vous. J’ai rejoint la Deutsche Bank en 2008 et j’ai regardé systématiquement son comportement pendant la période concernée. Je n’ai pas le moindre doute, nous avons appliqué les règles scrupuleusement, et même l’esprit des règles.

M. Jean Christophe. En 2011, PBB a demandé à être signataire car nous entendons continuer à accompagner nos clients dans leurs opérations de financement. La demande a été adressée à M. Gissler et nous attendons la réponse. Nous considérons la charte comme une avancée. Nous l’appliquons mais la demande de produits exotiques est devenue quasi inexistante. Nous n’offrons aucun effet de levier. Si j’avais une recommandation personnelle à faire, et nous avions soulevé cette question avant la crise auprès de la Direction générale des collectivités locales, ce serait la transparence dans les comptes des acteurs publics.

M. le rapporteur. Elle existe.

M. Jean Christophe. Oui, mais elle était limitée. Une opération souscrite pour un montant réduit pouvait être répétée avec plusieurs banquiers sans que cela se sache. Avant la crise, nous avions demandé une plus grande transparence. La charte impose certaines obligations mais elles ne datent que de 2009. Elles permettront de mieux suivre ce que font nos clients et d’avoir une vision globale du risque.

M. le président. Messieurs, je vous remercie.