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Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mercredi 16 novembre 2011

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Claude Bartolone, Président

– Suite de la table ronde du 18 octobre 2011, ouverte à la presse, sur « les produits financiers à risque », avec M. Michel Klopfer, président et fondateur du cabinet Klopfer

M. le président Claude Bartolone. Nous avons souhaité vous entendre, monsieur Klopfer, pour votre grande expérience des finances locales.

Nous sommes désormais bien informés sur le processus qui a conduit à l’apparition des produits structurés et au remplacement progressif des emprunts à taux fixes et à taux variables, jusque-là de règle. Comment vous avez réagi à cette évolution ? Avez-vous conseillé des produits structurés à vos clients ? Leur avez-vous adressé des mises en garde ?

Considérez-vous que les banques, que nous avons reçues, pèchent par omission quand elles réfutent avoir mené une politique commerciale offensive – donner aux commerciaux, par exemple, la consigne de renégocier les contrats tous les deux ans –, ou quand elles nient avoir une marge supérieure sur les produits structurés ?

M. Michel Klopfer prête serment.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Quelles mesures faudrait-il adopter, selon vous, pour protéger demain les collectivités territoriales ? Faudrait-il soumettre les emprunts au code des marchés publics, puisqu’ils échappent largement au contrôle de légalité ?

Les collectivités étant des structures très particulières, notamment dans leurs relations avec les banquiers, j’aimerais savoir quel regard vous portez sur elles. Faut-il les considérer comme de simples personnes morales ou comme des entreprises ?

M. Michel Klopfer, président et fondateur du cabinet Klopfer. En novembre 1994, j’ai été invité par la chambre régionale des comptes d’Aquitaine à animer une formation sur la gestion de dette. Son président, Alain Pichon, a ouvert la séance en me demandant à quel moment il fallait « épingler » les collectivités : fallait-il attendre qu’elles aient perdu de l’argent ? Pour montrer qu’on ne pouvait pas se contenter d’une politique de résultat, je lui ai demandé s’il regretterait d’avoir versé des primes d’assurance contre l’incendie si jamais le magnifique hôtel particulier qui abrite la Chambre régionale, place des Grands hommes à Bordeaux, ne brûlait pas au bout de dix ans. Si j’avais été plus impertinent, je lui aurais posé la question suivante : aurait-il le sentiment d’avoir réalisé une bonne opération s’il avait raflé la mise en pariant le budget de son institution sur le bon cheval dans la 5e course à Longchamp ?

À cette époque, il n’était pas encore question des produits dits « structurés » : il n’existait alors que des produits classiques, tels que les taux fixes, l’Euribor ou le taux annuel monétaire (TAM). Quand le dossier est devenu d’actualité, en octobre 2008, j’ai constaté qu’il y avait souvent une confusion entre les emprunts structurés et ceux à taux variable. Les emprunts à taux variable étant parfaitement corrélés à la structure des budgets, je n’ai rien à en dire. Si je vous ai parlé d’assurance, en revanche, c’est que les produits structurés ont conduit à une situation de contre-assurance. Lorsqu’on s’assure contre l’incendie, les dégâts des eaux ou le vol, on verse quelques centaines d’euros pour être remboursé en cas de sinistre. Or, on a demandé aux collectivités de vendre une assurance : elles ont touché quelques centaines d’euros – c’est la « bonification » bien connue –, pour couvrir les banques contre un risque potentiellement illimité.

Qu’avons-nous fait pendant cette période ? Étant composé d’une quinzaine de personnes, mon cabinet ne peut pas être présent partout. Nous avons tout de même dissuadé un certain nombre de collectivités d’acheter des produits structurés. Lorsque je suis passé dans l’émission d’Yves Calvi, j’ai cité deux grands départements, l’un dirigé par la gauche, l’autre par la droite, le Pas-de-Calais et le Bas-Rhin, qui ne détiennent pas un seul produit structuré.

Pour éviter que la situation actuelle ne se reproduise, il faut comprendre comment on en est arrivé là : il y a eu un effet d’accumulation, qui résulte de la pression exercée par les banques. On aurait d’ailleurs pu aller plus loin : si les élections municipales avaient été décalées d’une année supplémentaire – elles l’ont déjà été de 2007 à 2008 –, les multiplicateurs seraient probablement passés de 5 ou 7 à 10 ou 12. Comme dans « Fantasia », le dessin animé de Walt Disney où les balais de l’apprenti sorcier se multiplient, l’on a fini par ne plus rien maîtriser, contrairement à ce que les banques pensaient.

Lorsque les premiers produits structurés sont apparus, en 1996, ils n’étaient pas bien méchants : il s’agissait de swaps permettant de passer du Pibor à un taux post-fixé, avec une marge zéro – on arrondissait ensuite la marge de la banque en faisant croire au client que l’opération lui coûtait moins cher. Puis, on est progressivement passé à ce que j’ai appelé, dans plusieurs articles, des « tartes aux fraises » : pour que le produit se vende, on a donné aux clients l’impression qu’ils payaient moins cher, en leur offrant des petites « douceurs » au cours des premières années. Or, il fallait bien rémunérer ces « douceurs » et les marges des banques.

Quand les banques se sont aperçues que ces opérations étaient extrêmement profitables, elles les ont industrialisées. Elles ont demandé à leurs commerciaux de proposer de nouvelles renégociations. De grandes collectivités, notamment des départements et des régions, ont ainsi présenté en séance plénière ou en commission permanente des renégociations de dette en affirmant, la bouche en cœur, qu’elles avaient gagné de l’argent, comme si le banquier avait été pris de sympathie à leur égard et leur avait proposé, dans un jeu à somme nulle, de gagner de l’argent contre lui, ce qui est naturellement impossible. Quand on a accordé jusqu’à trois fois deux années de « douceurs », avec trois doublements ou décuplements de marge, comment voulez-vous qu’on n’aboutisse pas à des produits assortis d’options astronomiques sur des durées de quinze ou trente ans ? Les cadeaux initiaux ont été amortis à coups de multiplicateurs de 5 ou de 10. Voilà ce qui s’est passé.

Lorsque la circulaire de 1992 a été conçue, j’ai été auditionné par la Direction générale des collectivités locales (DGCL) et par la Direction de la comptabilité publique (DCP). À cette époque, des incidents avaient eu lieu au Royaume-Uni, à Hammersmith et à Fulham : des collectivités qui avaient « swapé » des montants dix ou cinquante fois supérieurs à leur encours d’emprunt ont réussi à faire condamner les banques par les tribunaux. J’ai donc demandé qu’on s’en tienne strictement au notionnel, ce qui a été fait – on ne peut pas « swaper » sur plus d’une fois son encours en France. En revanche, il est possible de mettre un multiplicateur de 5 ou 7 sur le taux d’intérêt, ce qui conduit exactement au même résultat.

En septembre 2004, à l’occasion d’une séance de formation destinée au bureau de la gestion financière de la DGCL – la M14 était en cours de révision –, j’ai donc attiré l’attention sur l’existence de faux taux fixes et j’ai demandé l’introduction de deux colonnes supplémentaires dans l’annexe sur l’état de la dette, l’une relative aux indices de taux qui peuvent, par leur comportement, modifier l’équilibre du contrat, l’autre sur les indices de change susceptibles d’avoir le même effet. J’ai été entendu. Cela étant, la face du monde n’a pas été bouleversée, car ces colonnes ne sont pas toujours bien renseignées et elles ne font pas partie des documents que tout le monde consulte. Je suis donc revenu à la charge au début de l’année 2007, quand la situation devenait explosive.

Quelle est la différence entre un emprunt structuré et un emprunt toxique ? Vous vous souvenez certainement qu’un volcan islandais est entré en éruption, il y a dix-huit mois, et que le ciel européen en a été perturbé pendant plus d’une semaine. Ce volcan est devenu toxique parce qu’il a perturbé la situation. D’autres volcans actifs, tels que l’Etna et le Stromboli, ne sont pas toujours toxiques, mais ils peuvent aussi se réveiller. De la même façon, on a vendu aux collectivités des produits structurés qui peuvent perturber leur équilibre financier jusqu’en 2030, voire jusqu’au début des années 2040.

J’ai alerté la DGCL sur ce risque et je lui ai demandé d’adopter une réglementation pour y remédier. En effet, si la M14 a permis d’éviter un certain nombre de dérives, notamment les « factures dans les tiroirs » – telle celle du feu d’artifice du 14 juillet, par exemple, qui n’était payée qu’en janvier –, ce problème est revenu par la fenêtre à cause des produits structurés, avec cette différence que le décalage ne se limite plus à une année : on paie les premières fusées trois ou cinq ans plus tard, et le reste pendant trente ans, avec un décuplement du coût. Dans un article publié dans La Gazette des communes, le 9 avril 2007, j’ai donc écrit ceci : « il serait dommageable d’attendre les audits municipaux de l’année prochaine pour que les cadavres sortent des placards ». Or, c’est exactement ce qui s’est produit.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Si l’euro repassait la barre de 1,50 franc suisse, le fonctionnement de la majorité des prêts structurés indexés sur cette devise redeviendrait normal. Ne faut-il donc pas faire la différence entre des emprunts structurés « structurellement » toxiques et d’autres dont le fonctionnement est lié à la conjoncture ? À part vous, visiblement, puisque vous avez prédit que tout finirait mal, personne n’avait envisagé le rapport actuel entre l’euro et le franc suisse.

M. Patrice Calméjane. Vous dites avoir alerté la DGCL, mais il y a aussi l’Autorité de contrôle prudentiel, qui vérifie pour les particuliers et les entreprises, mais aussi pour les collectivités territoriales, me semble-t-il, que les produits mis sur le marché sont respectueux et fiables. L’avez-vous alertée ? Vous a-t-elle répondu ? Sinon, à quoi sert-elle ?

M. Michel Klopfer. Je n’ai pas de relations avec l’Autorité de contrôle prudentiel.

Lorsque les premiers instruments financiers sont apparus – le Matif date de février 1986 et les swaps proposés aux emprunteurs et aux prêteurs se sont développés à partir de la fin des années 1980 –, un trésorier-payeur général a demandé au ministère des finances si les swaps dont il avait connaissance, par l’intermédiaire des comptables du Trésor, étaient légaux. On lui a répondu qu’en application de la loi du 4 septembre 1985, toute opération qui n’est pas spécifiquement réglementée est, par définition, autorisée. À la suite des incidents survenus au Royaume-Uni, la circulaire du 15 septembre 1992 a apporté une réponse qui était tout à fait adaptée en son temps. Mais l’ingénierie financière a considérablement évolué depuis et le texte est désormais complètement obsolète. Il me semble que la réponse apportée par la charte Gissler et par la circulaire du 25 juin 2010 n’est pas non plus à la hauteur de la situation.

En ce qui me concerne, je n’ai pas de carte tricolore et ma société n’est pas régie par un conseil de l’ordre, contrairement aux cabinets d’avocats et d’experts comptables. Nous devons donc définir nous-mêmes notre propre déontologie. Sur ce point, je peux vous dire que j’ai refusé de participer à certaines consultations pour des missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage financière, notamment celles de Saint-Étienne métropole et de Rouen. Constatant que la rémunération proposée était exclusivement proportionnelle aux gains budgétaires de la première année, j’ai proposé un taux de 0 %, au risque de devoir travailler bénévolement, et j’ai signalé à ces collectivités qu’il était très dangereux de faire objectivement de leur conseil un allié de la banque, en l’intéressant aux gains réalisés en leur défaveur.

M. le président. Votre société a-t-elle proposé des produits structurés ?

M. Michel Klopfer. Bien sûr que non.

M. le président. Avez-vous alerté la DGCL par écrit ?

M. Michel Klopfer. J’ai rencontré, à quelques semaines d’intervalle, la DGCL et la DGCP. Bruno Soulié, alors sous-directeur de la DGCP, m’a demandé d’animer une formation pour les chefs des services des études économiques et financières du Trésor, qui s’est déroulée à la fin du mois de mars 2007. J’ai alors présenté un document écrit sous forme de Powerpoint. Je n’ai pas eu la même demande de la part de la DGCL.

M. le président. Vos clients vous paraissent-ils correctement équipés au plan humain et au plan technologique pour comprendre les risques et les marges des banques ? Considérez-vous que votre intervention a permis de rééquilibrer le rapport de force entre les banques et les collectivités ?

M. Michel Klopfer. Je ne voudrais pas que mon propos soit perçu comme une attaque en règle contre les banques en général, ou contre certaines d’entre elles. Les élus ont aussi une part de responsabilité au plan structurel : les banques – je pense à la Caisse des dépôts, à Dexia, à la Caisse d’Épargne et au Crédit agricole –, sont des acteurs extrêmement commodes pour eux. Je rappelle qu’il y a aujourd’hui environ 1 400 sociétés d’économie mixte (SEM), auxquelles il faut trouver des actionnaires minoritaires représentant entre 15 et 50 % du capital, et que 4 % des SEM distribuent des dividendes, ce qui est bien peu. Quand on ne verse pas de revenu financier aux actionnaires, il n’y a pas lieu de s’étonner qu’ils demandent, à un moment ou un autre, un renvoi d’ascenseur.

Et quand le directeur financier n’est pas suffisamment complaisant, c’est au directeur général des services, voire au maire ou au président de la collectivité qu’on s’adresse. Certaines opérations n’ont pu être conclues que grâce à un feu vert donné au plus haut niveau. S’il l’a été, j’imagine que c’est parce qu’on avait des services à demander aux banques au même moment.

Je rappelle, en outre, qu’une collectivité qui s’attache les services d’un cabinet de conseil n’est pas obligée de le consulter sur tous ses actes, ni de suivre son avis. La Cour des comptes a ainsi indiqué, dans un rapport, que mon cabinet avait déconseillé des produits structurés à un organisme de logement social du Nord de la France, sans être suivi pour autant.

En ce qui concerne le franc suisse, j’ai toujours veillé à présenter le risque de manière politique à mes interlocuteurs, afin de donner plus de poids à mon propos : lorsqu’on aménage une zone industrielle ou lorsqu’on achète un terrain pour faire venir une entreprise, on peut perdre de l’argent, faire face à un dépôt de bilan, voire à un chantage à l’emploi, mais on a une ligne de défense contre les critiques de l’opposition, de la presse ou de la chambre régionale des comptes : on a agi pour défendre l’emploi. Quand on boit le bouillon à cause du franc suisse, en revanche, on ne peut opposer aucun motif d’intérêt public. Une entreprise privée peut jouer à quitte ou double l’argent de ses actionnaires, en connaissance de cause, mais on ne peut pas en faire autant quand on est un acteur public. C’est pourquoi je considère que les ventes d’option devraient être prohibées.

J’ajoute que si les collectivités françaises ont évité le piège de placements tels que Icesave, dans lequel leurs homologues britanniques, allemandes et néerlandaises sont tombées, c’est sans doute grâce à l’existence des comptables publics. Les collectivités ont été hypnotisées par un très mauvais ratio : le coût moyen de la dette, qui est un faux critère, comme je l’indiquais déjà dans l’édition de 2005 de mon ouvrage, réédité cinq fois. Il est certes tentant de s’attribuer le ruban bleu de la collectivité la mieux gérée en affichant un taux moyen de la dette de 2 %, mais on peut aussi arriver à 0 % grâce à des ventes d’option susceptibles de conduire, par la suite, à un taux de 15, 20 ou 30 %.

Que penserait-on d’une compagnie d’assurance qui arrêterait ses comptes au 31 décembre en comptabilisant seulement les primes qu’elle a encaissées, et non la valeur mathématique correspondant à la valeur des sinistres qu’elle aura à rembourser ? Son bilan serait faux et le commissaire aux comptes ne le certifierait pas. De même, un constructeur automobile qui accorde à ses clients une garantie sur les pièces et la main-d’œuvre est obligé de comptabiliser au 31 décembre la valeur moyenne des sinistres historiquement constatés. Il faut adopter le même raisonnement pour les collectivités locales.

M. le rapporteur. L’argent étant une ressource comme une autre, pensez-vous qu’il faut appliquer le code des marchés publics aux emprunts ? La loi doit-elle, par ailleurs, imposer un « capping » ? Et s’il y a des incertitudes sur le coût de l’argent, faut-il instaurer des provisions obligatoires ?

En dernier lieu, je reviens sur ma question concernant la nature des collectivités : doit-on les considérer comme des entreprises quand elles s’adressent aux banques ou bien s’agit-il là, selon vous, d’une relation très particulière ?

M. Michel Klopfer. Comme je l’ai indiqué à Éric Gissler lorsqu’il a demandé à me rencontrer, en novembre 2008, peu après avoir été chargé de rédiger ce qui est devenu la charte portant son nom, des provisions sont nécessaires. On ne peut certes valoriser au mark to market – le calcul serait difficile et le contrôle par les préfectures impossible –, mais il faut imposer des provisions, sans quoi certains acteurs jureront, la main sur le cœur – et ils seront parfois sincères – qu’ils ont gagné de l’argent.

Pierre Richard, pour qui j’ai beaucoup de respect, du moins pour ce qu’il a été dans les années 1970 et 1980, vous a dit, au cours de son audition, qu’il a fait gagner de l’argent à ses clients. Or, quand on raisonne ainsi, c’est que l’on ne comptabilise pas les ventes d’options. Cela revient à affirmer que tout va bien quand on arrive au troisième étage, alors qu’on est en chute libre depuis le sixième. Dans certains cas, tout se passe bien, car l’option n’a pas joué. On peut toujours croiser les doigts pour l’avenir, mais une bonne gestion publique ne consiste pas à parier aux courses, même si cela permet parfois de décupler ou de centupler sa mise.

Même modestes, les provisions ont une valeur pédagogique. Quand elles existent on ne peut plus prétendre qu’on a gagné de l’argent. J’ai donc proposé à Éric Gissler une provision fondée sur le taux d’intérêt légal.

M. le rapporteur. Le taux effectif global (TEG) ?

M. Michel Klopfer. Le TEG, qui date de 1985 et qui est calculé selon la méthode actuarielle depuis 1996 – je me suis battu sur ce point pendant des années –, est un taux de référence qui doit figurer dans tout contrat d’emprunt. Le problème est qu’il est devenu une sorte de pensum : de nombreux contrats comportent une clause selon laquelle les parties conviennent qu’il n’est pas possible de calculer le TEG, compte tenu de la structure du financement, et qu’à titre indicatif, sur la base de l’Euribor du 15 septembre 2007, par exemple, il est considéré comme égal à 2,12 %.

M. le rapporteur. Est-ce légal ?

M. Michel Klopfer. Oui, sauf si l’on a oublié de remplir la case où doit figurer le chiffre.

M. le rapporteur. Mais il y a aussi le taux d’usure.

M. Michel Klopfer. Pour un contrat à taux variable, il ne s’applique qu’au taux initial, et non au produit de la formule mathématique retenue – certaines d’entre elles font douze lignes, avec des multiplicateurs partout.

M. Jean Proriol. Vous ne nous avez pas dit beaucoup de bien des swaps. Sont-ils condamnables en soi ?

Je me souviens que le conseil général de la Haute-Loire a décliné l’offre d’une banque, Indosuez, qui proposait ce type de produits à la fin des années 1980. Or, des banques ont affirmé qu’elles n’avaient jamais offert de swaps ni de snowballs à leurs clients. Qu’en pensez-vous ?

Troisième question, les produits « capés » constituent-ils une solution ?

Quant à ces formules de douze lignes qui ressemblent à du grec ou à du chinois, considérez-vous que les collectivités locales sont en mesure de les comprendre ?

Mme Valérie Fourneyron. Je voudrais revenir sur votre profession, qui n’est pas dotée aujourd’hui d’un conseil de l’ordre, et plus généralement sur l’intermédiation. Les collectivités locales, que vous avez essayé d’alerter, du moins certaines d’entres elles, ne disposent pas de toutes les compétences nécessaires pour bien appréhender les produits financiers et nous avons pu constater, au cours des auditions, que certains intermédiaires n’avaient pas les qualifications à la hauteur des enjeux. Comment faire pour aider les collectivités à bien choisir leur conseil ? Faut-il imposer un agrément ou une labellisation ?

M. le président. Nous avons eu beaucoup de difficulté à avoir des réponses des banques sur la différence de marge entre les taux fixes et les produits structurés. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet ?

Par ailleurs, à quel niveau de risque, mesuré d’après la classification de la charte Gissler, faudrait-il se limiter ?

M. Michel Klopfer. Les swaps sont utiles, même pour des produits simples tels qu’un taux fixe ou l’Euribor, qui présentent des risques opposés et nécessitent donc un dosage approprié. Il n’est pas toujours possible, quand on anticipe une évolution défavorable des marchés, de procéder à un remboursement anticipé – on ne peut souvent le faire qu’une fois par an, à l’issue d’un préavis et au prix d’une surfacturation. Au lieu d’attendre, il peut être tout à fait pertinent de faire un swap pour transformer immédiatement la structure.

S’agissant des banques qui ont déclaré en public n’avoir proposé que des prêts – c’est-à-dire aucun swap, contrairement à d’autres acteurs –, je tiens à rappeler qu’il existe d’excellents swaps et d’autres qui sont pourris, et qu’il en est de même pour les prêts.

Par ailleurs, j’estime que la réponse apportée à chaud, entre novembre 2008 et mai 2009, n’était pas à la hauteur de la situation. La charte Gissler est à revoir, comme la circulaire du 25 juin 2010, car elles reposent sur un immense malentendu : les banques ont réussi à faire croire qu’il était question d’instruments de couverture, terme très valorisant dans notre langue – chacun se souvient de la publicité d’une compagnie d’assurance suisse qui représentait un enfant bien au chaud dans une couverture en laine. On a donc l’impression de bien faire quand on souscrit ces produits dérivés. Or, il en existe de deux sortes : les uns constituent un simple échange, sans couverture, les deux parties prenant un risque opposé ; les autres sont des opérations unilatérales par lesquelles une des parties couvre l’autre.

Qu’est-ce qu’un cap ? Par ce terme, on désigne le plafonnement d’un taux variable auquel on est exposé. Ce mécanisme entraîne un coût supplémentaire, correspondant au paiement d’une somme limitée pour couvrir un risque illimité. C’est donc une couverture. Or on est parvenu à faire passer, aux yeux des concepteurs de la charte Gissler et de la circulaire de 2010, pour de tels produits des produits qui ont exactement l’effet contraire, car ils conduisent à recevoir une somme limitée pour couvrir un risque illimité.

Un excellent avis du Conseil national de la comptabilité, datant du 10 juillet 1987, posait pourtant le principe suivant : doit être considéré comme « couverture » un instrument qui réduit la valeur du risque auquel on est exposé. Cet avis était bien connu des services de l’État, car il était cité par la circulaire du 15 septembre 1992. Or, de quoi la catégorie 2 de la charte Gissler est-elle composée ? D’indices portant sur l’inflation, française ou européenne, et sur les écarts d’inflation. L’inflation française est un excellent indice, car les budgets y sont soumis, et l’on peut également admettre l’inflation européenne ; en revanche, il est dangereux de greffer une option, pouvant porter sur une période de trente ans, sur un écart d’inflation qui est de nature spéculative.

En effet, qui va prendre une option sur le dollar ? Une entreprise qui répond à un appel d’offres et qui sait que, si elle est retenue, elle recevra dans un an le règlement de la machine qu’elle doit fabriquer. Elle achètera donc une option de vente de dollars à l’échéance correspondante. Comme cette entreprise, tous ceux qui achètent des options le font sur des durées limitées, en considération d’un risque industriel, opérationnel ou commercial. Qui achète des options sur trente ans ? C’est de la spéculation pure : personne ne couvre un risque commercial sur une telle durée. Or, on a proposé aux collectivités des produits dont le risque était illimité. J’observe, au demeurant, qu’on ne peut plus coter aujourd’hui certains de ces produits, car les salles de marché ont reçu des consignes beaucoup plus strictes depuis 2008 : dans certains cas, elles ne peuvent plus procéder à des cotations sur des durées aussi longues.

Par conséquent, la charte Gissler doit être revue : dès la catégorie 2 et dès les niveaux C2 et C3, elle comporte des risques qui ne sont pas adaptés aux collectivités.

M. le rapporteur. Nous avons donc besoin d’une charte « Klopfer ».

M. Michel Klopfer. Je n’ai rien à vous vendre.

M. le rapporteur. Je plaisantais. Quelle proposition feriez-vous pour sortir de la situation actuelle ? Je rappelle que près de 5 000 collectivités pourraient se trouver dans de véritables difficultés.

M. Michel Klopfer. Comme il n’y a que 900 communes de plus de 10 000 habitants en France, le phénomène va probablement assez loin : je connais, par exemple, des communes de 650 habitants touchées par l’évolution du franc suisse.

Au plan juridique, il peut y avoir matière à inquiéter le prêteur quand l’emprunt ne fait pas référence au TEG, quand les opérations de swaps sont rédigées en anglais – en application de la loi Toubon du 4 août 1994, le contrat est considéré comme illégal –, ou quand les collectivités ont contracté après le 1er novembre 2007, date d’entrée en vigueur de la directive MIF, sans s’être déclarées comme des professionnels, la banque devant, après cette date, s’assurer que son client avait les compétences nécessaires. Selon Aaron Nimzowitsch, grand maître des échecs, « la menace est plus forte que l’exécution » : on peut obtenir, en menaçant de déplacer une pièce mettant en danger le roi adverse, un effet plus fort qu’en le faisant réellement. La simple menace d’un procès peut ainsi conduire les banques à transiger, mais il va de soi qu’il faut ensuite renoncer à s’adresser à elles.

J’ajoute que le problème de la commande publique ne se pose pas qu’en matière de conseil, activité qui ne représente qu’une part minime des coûts d’achat des collectivités locales. S’il y a un domaine où elles doivent encore réaliser des progrès, c’est précisément là. Comme les entreprises, elles pourraient utilement se doter d’acheteurs bien rémunérés, dépendant de la direction générale des services et disposant des budgets nécessaires pour réaliser du sourcing, c’est-à-dire un marketing « achats » consistant à identifier les fournisseurs potentiels, et pour rédiger les cahiers des charges. Dans mon domaine d’activité, je vois souvent des cahiers des charges d’une page et demie, quand le règlement de consultation en fait vingt-cinq ou trente – on s’attendrait plutôt à ce que soit le contraire.

M. le président. Merci pour toutes vos réponses. Le rapporteur vous sollicitera certainement pour des compléments d’information ou pour des propositions plus précises.