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Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mercredi 23 novembre 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Claude Bartolone, Président

Table ronde, ouverte à la presse, sur « Le rôle de l’État » :

– M. Éric Jalon, directeur général des collectivités locales (DGCL) au ministère de l’intérieur ;

– M. Philippe Parini, directeur général des finances publiques (DGFiP) au ministère du budget ;

– M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor.

M. le président Claude Bartolone. Nous recevons aujourd’hui les représentants des trois grandes administrations d’État chargées, au niveau central, de l’organisation du contrôle exercé sur les collectivités territoriales.

Si nous n’avons pas procédé à des auditions extensives des représentants de l’État au niveau local que sont les préfets et les directeurs départementaux des finances publiques, c’est que l’audition de l’ancien préfet et de l’ancien trésorier-payeur général de la Loire a montré de manière édifiante les limites du contrôle d’État.

Au-delà du constat, nous nous interrogerons sur les solutions concrètes et viables que peuvent proposer les services de l’État pour venir en aide aux acteurs locaux concernés et pour éviter que pareille situation ne se reproduise.

Je vous remercie d’accueillir M. Éric Jalon, directeur général des collectivités locales au ministère de l’intérieur ; M. Philippe Parini, directeur général des finances publiques au ministère du budget ; et M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor.

MM. Éric Jalon, Philippe Parini, Ramon Fernandez prêtent successivement serment.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Je m’intéresserai successivement au diagnostic, aux réformes que le législateur devrait envisager pour l’avenir et à la manière de traiter le stock d’emprunts.

Sur le premier point, Monsieur Jalon, l’État a lancé par l’intermédiaire de vos services une opération de recensement des emprunts structurés des collectivités. En avez-vous tiré un état des lieux ? Nous pourrions ainsi croiser ces données et celles que nous ont fournies les banques.

Le contrôle exercé par l’État sur les collectivités territoriales comporte deux aspects : le contrôle de légalité et les vérifications du comptable public. Selon M. Michel Morin, ancien préfet de la Loire, le contrôle de légalité était purement formel, a minima, ne portait pas sur les emprunts dont nous parlons et était exercé par des fonctionnaires qui n’étaient pas assez formés pour comprendre les complexités des produits bancaires dont nous parlons. Peut-on s’en satisfaire ? Je rappelle que les collectivités sont soumises à la règle d’or et que ces contrats sont extrêmement aléatoires.

D’autre part, aux termes de la circulaire du 25 juin 2010, « les services de la DGCL assurent une mission de soutien aux services préfectoraux dans le cadre du contrôle budgétaire, et sur les questions spécifiques au financement des collectivités locales ». Dix-huit ans séparent ce texte de la circulaire du 15 septembre 1992 – abstraction faite d’une circulaire de 2003 sur les délégations de compétences en matière d’emprunt –, alors que le monde bancaire est éminemment variable : peut-on dire que les services centraux se sont montrés assez réactifs ?

Quand les services déconcentrés vous ont-ils fait part de leurs interrogations pour la première fois ? On sait que si un élu local présente des comptes non équilibrés, l’État reprend la main : avez-vous été alerté à ce stade ?

M. Éric Jalon, directeur général des collectivités locales. Le recensement se fonde sur trois sources. La première est l’étude réalisée par le cabinet FCL à partir d’un panel de collectivités représentant plus de 50 % de l’encours de la dette totale au 1er janvier 2010, étude reprise par la Cour des comptes dans le rapport sur la gestion de la dette publique locale qu’elle a publié en juillet dernier.

Désireux d’améliorer notre connaissance du stock, nous avons en outre entrepris le 5 septembre dernier, avec les services du ministère de l’économie et des finances, un recensement complet des produits à risque. Il alimentera le rapport que nous devons remettre au Parlement en juin 2012, aux termes de l’article 5 de la loi de finances rectificative promulguée le 2 novembre. Il s’agit de consolider l’encours de dette par strates de collectivités à partir de la classification Gissler telle qu’elle figure dans la charte et dans la circulaire du 25 juin 2010, en identifiant les collectivités qui ont des lignes de crédit classées 4 à 6 et/ou D à F. Nous n’avons pas encore tous les résultats, mais nous disposons de données significatives. Sur les vingt-trois régions recensées, onze ont des lignes de crédit ainsi classées, qui représentent 5,08 % de l’encours de leur dette. Sur quatre-vingt-huit départements, cinquante-huit sont concernés, pour 8,2 % de l’encours. La proportion de communautés urbaines est de huit sur seize, pour 850 millions d’euros, et celle des communautés d’agglomération est de trente-huit sur quarante-neuf recensées, pour 624 millions d’euros. Pour exploiter les données plus fines qui concernent les autres communautés d’agglomération et l’ensemble du bloc communal, nous n’aurons pas trop du temps qui nous reste avant la remise du rapport. En effet, les obligations de recensement sont récentes : elles découlent notamment des nouvelles annexes rendues obligatoires par les arrêtés du 16 décembre 2010. Les préfectures ainsi que les services locaux de la DGFiP pourront dorénavant procéder à de nombreuses vérifications auprès des collectivités.

Je laisse à M. Parini le soin de présenter le troisième recensement, réalisé sous l’égide de la DGFiP et qui porte uniquement sur les produits d’emprunt adossés à la parité entre l’euro et le franc suisse.

M. Philippe Parini, directeur général des finances publiques. Il ressort de ce recensement, effectué en septembre, que ces emprunts structurés représentent au total un capital initial de 3,6 milliards d’euros et n’ont été souscrits que par 537 collectivités, dont 91 seulement concentrent 50 % de l’encours total.

M. Éric Jalon. J’en viens à votre deuxième question, monsieur le rapporteur. Le contrôle de légalité exercé par les préfectures est soumis à un cadre très particulier, quelque peu subtil et qui a été précisé par plusieurs décisions de jurisprudence au cours de la période considérée. Les contrats de prêt relèvent du droit privé, ce qui entraîne plusieurs conséquences. Premièrement, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans un arrêt de 2003 cité par la circulaire de 2010, lorsque ces contrats sont annexés à une délibération transmise aux services préfectoraux, ils sont déjà exécutoires. Deuxièmement, si le préfet obtenait l’annulation d’un acte auquel est annexé le contrat de prêt, cela ne frapperait pas celui-ci de nullité mais permettrait seulement à l’une des parties de saisir le juge des contrats, qui n’est pas le juge administratif.

Vous m’avez demandé ensuite si les dix-huit ans qui séparent les circulaires témoignent d’une réactivité suffisante des services de l’État. Je vous répondrai que la réactivité s’apprécie en fonction de l’alerte et que l’alerte, en l’occurrence, a été tardive : ce sont les crises de l’automne 2008 qui ont ouvert le débat sur l’endettement local et les produits souscrits. Voilà qui répond à votre quatrième question. Inutile de vous rappeler ce qui se disait à l’époque, et que Philippe Richert a souligné la semaine dernière en évoquant le congrès des maires de 2008 : les administrations, les associations et les collectivités étaient d’accord pour considérer que ces questions relevaient de la liberté d’administration accordée aux collectivités territoriales par les lois de décentralisation de 1982. Depuis, si l’on met à part la circulaire de 1992, nous n’étions intervenus ni par voie réglementaire ni par circulaire ; si nous avions tenté de le faire, nous n’aurions pas été entendus.

M. le rapporteur. Monsieur Parini, avez-vous vu les emprunts structurés se développer ? Quelles ont été les réactions ?

D’après M. Terrasse, ancien trésorier-payeur général de la Loire, pour régler les remboursements d’emprunt, les comptables publics n’exigeaient d’autres pièces justificatives que le tableau d’amortissement et les avis d’échéance et de domiciliation, conformément au décret de 1983. S’agissant d’emprunts structurés, c’est manifestement insuffisant. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, selon la circulaire du 25 juin 2010, est seul déconseillé l’usage spéculatif des instruments de couverture des risques. Tous les autres produits – assis sur des indices exotiques, présentant des effets de levier –, même interdits par la charte Gissler citée en annexe, ne sont que déconseillés. Peut-on vraiment parler d’encadrement par l’État ?

M. Philippe Parini. Sur le premier point, je vous répondrai comme M. Jalon : on ne m’a pas communiqué d’informations particulières. À l’époque, j’étais sur le terrain, comme trésorier-payeur général. Je me suis donc renseigné auprès de mes collaborateurs : aucune collectivité ne s’est adressée à nous, fût-ce pour nous demander conseil. Ce n’est qu’au moment où ces problèmes ont été portés sur la place publique que nous avons été amenés à les étudier.

Sur le deuxième point, depuis les lois de décentralisation, le rôle du comptable public est très précisément défini : il participe au contrôle de légalité, mais il n’est absolument pas juge de l’opportunité des mesures. Les pièces qu’il demande ne servent donc qu’à vérifier la réalité de la dépense, non à en évaluer la pertinence. Dès lors, il suffit qu’elles en justifient l’origine et le montant exact – d’où le tableau d’amortissement. Le comptable n’a pas à en faire un autre usage dès lors que le contrat est signé. Que l’on s’en satisfasse ou non, du point de vue juridique, il n’a pas à en faire plus.

M. le rapporteur. Mais s’agissant d’un produit dont le taux d’intérêt est appelé à évoluer de manière imprévisible, le TPG comprend que le tableau d’amortissement ne correspond à rien : un taux exact aujourd’hui sera erroné demain. Aucun ne vous a-t-il fait part de ses doutes ?

M. le président. Les cabinets de conseil Finance active et Klopfer nous ont dit avoir donné l’alerte sur ces produits, notamment auprès de la DGCL, dès 2005, lors de réunions de travail. Je comprends qu’il faille appliquer les textes sur les relations entre l’État et les collectivités ; mais quand un signal d’alerte est émis, comment est-il reçu ? Est-il expertisé ?

M. Philippe Parini. Si un signal d’alerte nous est adressé, nous en accusons évidemment réception et les services de la DGFiP en parlent avec le préfet et avec le maire. Mais, comme l’a dit M. Jalon, on ne nous a pas alertés !

Monsieur le rapporteur, vous me demandez en somme si l’examen technique et strictement comptable dont le comptable public est chargé aurait dû le conduire à s’auto-alerter. Outre que l’exercice est difficile, comment aurait-il été reçu s’il s’y était essayé ? Le tableau d’amortissement, dites-vous, montre une composante variable. Mais n’est-ce pas ce qui faisait justement le charme du produit au moment où il a été choisi ? En contrepartie du risque, les taux étaient alors intéressants. Les décideurs ont arbitré au nom du principe de libre administration des collectivités territoriales. Quant au comptable, il n’avait besoin que des pièces citées pour vérifier la régularité du mandatement de dépense. Ni en droit ni en opportunité, il n’aurait été dans son rôle s’il avait indiqué de sa propre initiative que le produit choisi comportait une part de risque tel qu’il refusait de payer la dépense à laquelle la collectivité s’était engagée.

M. le rapporteur. Vous parlez de la période bonifiée. Mais par la suite, que fait un trésorier-payeur général ou municipal face à des échéances assurées comportant des intérêts colossaux sans rapport avec le tableau communiqué initialement ? Demain, ce pourrait être le cas dans 5 000 collectivités. Si le législateur ne fait rien, quel sera le pouvoir du comptable public ? Devra-t-il payer alors qu’aucune pièce ne le justifie ?

M. Philippe Parini. Le comptable est dans une relation de subordination avec l’ordonnateur. Dès lors qu’il dispose du contrat et du tableau d’amortissement joint, il doit payer même s’il constate une aggravation de la somme par rapport au contrat initial. S’il ne le fait pas, il sort de son rôle. Le comptable n’est qu’un comptable ! Si le contrat existe, s’il n’est pas dénoncé, si des éléments financiers lui sont adjoints, et si l’ordonnateur lui demande de payer, il doit s’exécuter.

M. le président. Monsieur Jalon, vous dites que les difficultés ont été constatées à partir de 2008. Mais selon certains documents qui nous ont été remis, plusieurs spécialistes ont émis dès 2005, notamment lors de réunions de travail avec la DGCL, des réserves sur les produits en question, en particulier sur ceux qui dépendent de parités entre monnaies. Avez-vous procédé à des expertises ? Comment prend-on conscience du danger ?

M. Éric Jalon. Je distingue les doutes, même s’ils émanent de spécialistes, des signaux d’alerte venus du terrain. Il est possible qu’en 2005 ou 2006, mes services aient été en contact avec des spécialistes qui les ont avertis à propos de tel ou tel produit. Nous n’en avons pas retrouvé la trace, mais si d’autres vous l’ont fournie, je ne le nie pas. Simplement, à cette époque, ces doutes n’étaient pas corroborés par des alertes émises sur le terrain. Celles-ci ne nous sont parvenues que fin 2008 ; nous n’avons pas tardé à réagir, puisque les ministères de l’intérieur et de l’économie ont réuni dès novembre 2008 les principales associations d’élus et les établissements financiers, ce qui a abouti à la signature de la charte Gissler un an plus tard.

M. Patrice Calméjane. Vous avez rappelé que la libre administration des collectivités est inscrite dans la Constitution. La Constitution dispose également que, dans les collectivités territoriales, « le représentant de l’État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge […] du contrôle administratif et du respect des lois ».

Ce cadre général étant défini, il existe des règles plus précises, par exemple, pour les communes, les règles budgétaires de la M14. Mais comment établir un budget sincère quand on ne connaît pas le montant des intérêts que l’on va devoir payer dans l’année ? Dès lors, comment un produit dont le mécanisme même ne permet pas de présenter des budgets sincères à moyen terme a-t-il pu être autorisé ? Les emprunts en question représentaient parfois 50, 70 ou 80 % du montant des investissements annuels, quelle que soit la taille de la commune ; cela n’aurait-il pas dû vous alerter ? Je ne m’explique pas que la préfecture ait laissé passer des montants pareils !

D’autre part, l’on ne vous aurait pas communiqué d’informations particulières. Les représentants de l’Autorité de contrôle prudentiel nous ont indiqué qu’ils avaient émis des alertes en 2008. Cependant, ces produits existent toujours, même si on en a limité le nombre. Comment expliquer de tels dysfonctionnements dans les relations entre l’État central et les organes de contrôle ?

Vous faites valoir que les actes sont déjà exécutoires au moment où ils sont communiqués à l’État. Va pour la première fois, mais la deuxième ? Pourquoi le préfet ou le TPG n’ont-ils pas réagi ? Malheureusement, les produits se sont ajoutés les uns aux autres. L’alerte n’a donc servi à rien. Nous voulons comprendre comment tout cela a fonctionné afin d’éviter que nos collectivités soient de nouveau confrontées aux mêmes difficultés.

M. Daniel Boisserie. Monsieur Jalon, que le contrat soit déjà exécutoire au moment où il vous parvient ne vous empêchait pas d’avertir la collectivité des risques encourus. Cela a-t-il été fait par vos services ?

Monsieur Parini, vous faites valoir que le comptable n’est qu’un comptable, comme toute sa hiérarchie, jusqu’au trésorier-payeur général. Faut-il comprendre que son devoir de conseil n’existe plus ?

M. le rapporteur. Une anecdote : le budget de ma collectivité a été placé sous le contrôle de la Cour des comptes pour défaut de provision alors qu’un recours était engagé contre un contrat de délégation de service public. Je ne suis même pas certain que les textes m’y obligeaient. Le cas dont nous parlons est un peu similaire : la collectivité ne dispose pas des réserves nécessaires pour honorer un contrat aléatoire.

M. Henri Plagnol. Nous comprenons bien que nous avons en face de nous des hauts fonctionnaires qui n’étaient pas aux affaires à l’époque et qui doivent assumer la continuité de l’action menée – comme les nouveaux élus dans les collectivités locales, d’ailleurs. Je n’en suis pas moins très frustré de vos réponses, messieurs.

Je rappellerai d’abord que la Cour des comptes, dans son récent rapport sur la gestion de la dette publique locale, signale des défaillances de l’État dans l’exercice de sa mission générale de contrôle.

Monsieur Jalon, comment la DGCL, chargée de guider les collectivités locales, a-t-elle pu laisser les banques – dont Dexia, qu’elle connaissait fort bien – leur proposer un produit intrinsèquement dangereux ? Gager la gestion des finances locales sur des options de change portant sur de très longues durées – au-delà de la période pleine de charme dont a parlé M. Parini – n’a aucun sens, ni intellectuel ni économique. Nos contribuables électeurs ne comprennent pas. Comment se fait-il que la DGCL n’ait pas soulevé le problème très tôt, et a fortiori quand les premières alertes ont été données ?

Monsieur Parini, je vous entends sur le rôle du comptable. Mais les collectivités les plus touchées aujourd’hui étaient sous le coup de la procédure dite d’alerte, qui implique que le TPG et le préfet avertissent chaque année le maire, par écrit, que ses ratios se dégradent. On a donc laissé des collectivités locales surendettées, visées par une procédure d’alerte, s’en prémunir artificiellement en restructurant la quasi-totalité de leur dette grâce à des taux d’intérêt minorés pour quelques années, sans que jamais les TPG ne s’inquiètent de la nature des emprunts. Si ce n’est pas une défaillance du contrôle, qu’est-ce donc ? Lorsqu’on s’inquiétait publiquement, en conseil municipal, du niveau de la dette, aucun des participants n’avait la moindre idée de la teneur des emprunts !

Enfin, le Trésor est chargé d’une mission générale de surveillance des risques systémiques. Comment expliquer que personne n’ait perçu quoi que ce soit avant l’effondrement de Dexia, qui a obligé l’État à la recapitaliser en apportant sa garantie ? L’État a manqué à sa mission première en échouant à protéger le système financier et les collectivités locales contre des risques extrêmes, ce qu’il va payer très cher, même s’il fait tout pour en limiter le coût, ce qui est compréhensible. Les parlementaires attendent des réponses à ces questions ; et, au-delà d’eux, les contribuables électeurs qui vont trinquer !

M. Jean-Pierre Balligand. Ma question s’adresse au directeur du Trésor, car je doute qu’il soit pertinent d’interpeller la DGCL et la DGFiP sur ces questions. Mes propos vont sembler hérétiques à nombre de mes collègues. Mais s’il y a défaillance dans cette affaire, elle est en effet liée au risque systémique qui découle du phénomène suivant : des prêts bancaires ont été consentis à des taux beaucoup trop bas, et partant, à des taux d’intermédiation bancaire infimes, du fait d’une bataille colossale entre banquiers pour se garder des parts de marché. Depuis que les règles de Bâle III obligent ces banquiers à provisionner, tout le monde fuit, parce que les prêts aux collectivités locales n’ont plus aucun intérêt par rapport aux autres prêts. Mais à l’époque, dans les grandes collectivités, il n’y avait aucun lieu de donner l’alerte au moment de la signature du contrat puisque les taux étaient très bas, très inférieurs à ceux des prêts classiques que les petites collectivités, elles, avaient l’habitude de souscrire. Le conseil général que je présidais avait 15 à 17 % de prêts structurés parmi ses emprunts, parce qu’il y gagnait de l’argent. En revanche, Vervins, la commune de 3 000 habitants dont je suis le maire, souscrit depuis plus de dix-sept ans des prêts à taux fixe : lorsque les taux sont bas, on est prêt à payer 0,4 % de plus pour s’épargner des ennuis quand on n’a ni cadre A ni directeur financier pour piloter les opérations.

À l’avenir – car que faire du passé ? –, il nous faudra absolument un dispositif permettant d’apprécier le risque systémique. Car c’est bien de cela qu’il s’agissait : il n’est pas normal que les banquiers prêtent de l’argent pour rien. Il faut bien qu’ils s’y retrouvent ! Lorsque j’ai découvert la structure des prêts qui avaient été contractés par Laval ou par Saint-Étienne, au moment où mes collègues y ont été élus, j’ai été effaré ; puis j’ai pris connaissance du taux consenti à l’époque de la signature et des différés de paiement accordés, totalement inédits à mes yeux malgré mon expérience. Qu’ils soient de droite ou de gauche, des responsables de collectivités ont réalisé des travaux un an et demi avant le renouvellement des mandats, sans acquitter la moindre échéance : ils les laissaient à leur successeur !

La direction du Trésor – et la Commission bancaire – sont en cause parce que la supervision macro-financière, qui aurait permis de déceler le risque systémique, a manqué. Loin de moi l’intention de dédouaner les banquiers. Mais à la date de la signature du contrat, le risque était nul et les conditions très intéressantes ; quelques années plus tard, parce que le contexte global a entièrement changé, le système bascule. Il faut en tirer les leçons.

M. le président. En effet, il s’agit moins ici de revenir sur le passé que de fixer des règles pour l’avenir. Quelle est votre position ? La Commission bancaire a mis en évidence un risque systémique dès son rapport pour 2001. Les auditions auxquelles nous avons procédé ont également montré, malgré quelques arrangements avec la vérité de la part de l’ancienne équipe dirigeante de Dexia, qu’il y avait quelque intérêt à proposer des produits structurés puisque la marge dégagée atteint 0,9 %, contre 0,2 % pour les prêts à taux fixe à vingt ans. On s’est en outre aperçu – et je ne parle pas seulement de l’article paru hier dans un grand quotidien du matin – que l’on avait donné instruction aux commerciaux d’aller démarcher les collectivités pour leur proposer de passer d’un taux fixe à un taux structuré. Et nous avons assisté impuissants à ce spectacle.

Vous invoquez l’autonomie des collectivités ; le ministre nous a rappelé en quels termes l’Association des maires de France avait revendiqué son indépendance. Toutefois, en matière budgétaire, les règles ont été durcies, notamment par la M14, parce qu’il aurait semblé dangereux de ne pas le faire. Tout le monde s’est rallié à l’obligation d’amortissement. Il est vrai que vous n’avez pas entendu parler des prêts toxiques lorsque les collectivités en bénéficiaient, grâce à des taux inférieurs à ceux du marché, avant de passer la patate chaude à leur successeur.

Comment mieux observer ce qui se passe ? Comment améliorer la situation ? Enfin, et même s’il est toujours facile de juger a posteriori, considérez-vous à titre personnel que l’administration aurait dû modifier certaines procédures ?

M. Éric Jalon. Je suis désolé, mais je n’ai pas la même lecture que M. Plagnol du rapport de la Cour des comptes. La Cour souligne les difficultés auxquelles se heurte le contrôle de légalité du fait notamment du cadre juridique auquel il est soumis, mais elle ne parle pas de défaut dans l’exercice du contrôle de légalité, sinon de la même manière qu’elle évoque le défaut de contrôle interne des collectivités qui ont souscrit ce type de produits.

Ensuite, selon la circulaire de 1992, « l’engagement des finances des collectivités locales dans des opérations de nature spéculative ne relève ni des compétences qui leur sont reconnues par la loi, ni de l’intérêt général ». Sur ce fondement, on aurait pu exciper du caractère spéculatif de certains contrats, notamment ceux qui touchent aux options de change, explicitement visés ici. Mais il aurait fallu démontrer ce caractère spéculatif, ce qui est beaucoup plus facile ex post qu’ex ante. Je rappelle que la même instruction interministérielle jugeait aussi « légitime pour une collectivité locale de développer une politique de gestion de la dette visant d’une part à profiter des évolutions qui lui sont ou seraient favorables, d’autre part à prévenir les évolutions de taux qui sont ou lui seraient défavorables ».

En outre, il ne s’agit que d’une circulaire. Vous me demandez si nous aurions dû interdire certains produits par voie de circulaire – car il se trouve que c’est sous cette forme que nous intervenons. Dois-je vous rappeler la hiérarchie des normes ? Les produits dont nous parlons sont légaux. Je suis heureux que, par l’intermédiaire de votre commission d’enquête, le Parlement s’interroge sur la nécessité d’en proscrire certains. Mais, à l’époque dont nous parlons, ils étaient autorisés par la loi, et la circulaire ne pouvait outrepasser les limites que lui assigne la jurisprudence quasi ancestrale du Conseil d’État.

La disproportion entre certains produits et les ressources qui doivent permettre aux collectivités de rembourser n’en est pas moins problématique. Que faire aujourd’hui ? Désormais, nous alertons très régulièrement les collectivités par l’intermédiaire des préfectures, par voie électronique. J’ai adressé en mars 2011 une note appelant l’attention des préfets sur certains produits et leur demandant d’engager des démarches auprès des collectivités. En outre, nous nous adressons directement aux collectivités dont nous savons qu’elles ont souscrit certains produits, notamment des produits de pente. Je dois dire que, dans la plupart des cas, nous ne rencontrons qu’un succès d’estime. Si tel est le cas en 2011, je n’ose imaginer l’accueil qui nous aurait été réservé en 2002, en 2000 ou en 1997 !

Enfin, nous avons créé, à la demande de nos ministres respectifs, une cellule de suivi commune. Sa première réunion a eu lieu au mois d’octobre et plusieurs des personnes ici présentes y ont assisté. Les recensements en cours permettront une approche plus fine, qu’il faudra sans doute compléter par un suivi des produits susceptibles d’être proposés, bien que le flux de produits à risque semble s’être tari depuis la circulaire Gissler.

M. Philippe Parini. M. Balligand a largement anticipé sur ce que je m’apprêtais à répondre.

La nature du produit rendait-elle les comptes insincères ? C’est à dessein que j’ai parlé du charme du produit, fût-il vénéneux. Outre que, juridiquement, nous n’avions pas à nous mêler de la structuration de l’emprunt, si l’on ne veut prendre aucun risque, il faut se limiter aux emprunts à taux fixe. Un emprunt à taux variable classique comporte déjà un risque. J’ajoute que les comptes sont examinés année par année, à partir d’un contrat déjà signé dont nous ne gérons que le taux d’amortissement.

En ce qui concerne le rôle du comptable, il comporte en effet un aspect réglementaire et une dimension de conseil. Je note que notre mission de conseil s’est étendue au conseil fiscal depuis la fusion entre la direction générale de la comptabilité publique et la direction générale des impôts. Dans cette fonction de conseil, nous n’intervenons en principe que si nous sommes sollicités. Toutefois, nous pouvons le faire spontanément lorsqu’une situation nous paraît particulièrement délicate. Mais la nature de ces produits ne justifiait pas, du moins au début, que nous intervenions à ce titre. Au demeurant, je ne suis pas personnellement certain que nous aurions été bien reçus.

Enfin, monsieur Plagnol, il est exact qu’au-delà du contrôle budgétaire, nous devons veiller, avec la préfecture, au respect des grands équilibres. Il ne s’agit que de quelques ratios basiques et nous faisons preuve, dans nos lettres, d’une grande diplomatie, pour ne pas donner l’impression de porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Peut-être, comme vous l’avez dit, certains sont-ils sortis de la zone d’alerte au prix d’un risque infiniment plus important. Cela signifie qu’au stade non du contrôle de légalité, mais du contrôle budgétaire, une approche plus qualitative serait nécessaire. Peut-être cela correspond-il à ce que vous envisagerez pour l’avenir.

Monsieur le président, vous avez l’amabilité de vous enquérir de notre sentiment personnel. J’ai été TPG dans un département proche du vôtre de 1998 à 2002, à l’époque où ces produits se développaient sans qu’apparaisse encore l’extrême danger dont ils étaient porteurs. C’était un département francilien puissant, doté d’équipes municipales solides. La principale banque qui proposait ces produits était très bien introduite auprès des collectivités et il ne venait à l’idée de personne, quelles que soient ses opinions politiques, de demander au service du Trésor public des conseils en matière de gestion financière. D’autant que l’environnement auquel ces produits étaient adossés n’était pas le même qu’aujourd’hui : c’est ce changement qui a révélé leur toxicité. S’il faut admettre une responsabilité collective, l’administration en prendra sa part ; mais des règles prudentielles devraient être imposées à ceux qui choisissent les produits. Des emprunts sur quarante ou cinquante ans sont dangereux du seul fait de leur durée, quelle que soit la nature initiale du risque, quelle que soit la construction du contrat.

Pour être honnête et équitable, il faudrait revoir la date de conclusion des contrats, leur présentation, leur adéquation au principe de bonne administration et la réduction de la charge financière annuelle. Mais les collectivités, à qui l’on avait confié quinze ans auparavant la libre administration de leurs finances, ne sollicitaient alors aucun conseil particulier des services de l’État, ce que je comprenais fort bien.

M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor. Comme d’autres, nous avons pris connaissance de ces problèmes au moment où ils sont apparus au grand jour, en 2008. Nous avons participé dès cette époque, avec la DGCL et la DGFiP, aux réunions au cours desquelles les ministres ont cherché des solutions avec les acteurs locaux et la communauté bancaire.

De manière générale, pour que la direction du Trésor – sorte de direction des risques – puisse activer les signaux d’alarme si un risque émerge, encore faut-il qu’elle en ait connaissance. Nous nous efforçons donc depuis quelques années de créer des structures et des processus qui permettent d’identifier les risques. La fusion de la Commission bancaire et de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles a donné naissance à l’Autorité de contrôle prudentiel – en lien étroit avec l’Autorité des marchés financiers –, qui joue le rôle de tour de contrôle capable d’identifier différents types de risques et d’acteurs, donc de fournir des indices multiples. S’y ajoute le Conseil de régulation financière et du risque systémique (COREFRIS), créé l’année dernière, et qui réunit autour du ministre le gouverneur de la Banque de France, le président de l’Autorité des normes comptables, le président de l’Autorité des marchés financiers et plusieurs personnalités extérieures. Il a pour but d’identifier les facteurs de risque pour l’économie française.

Certaines pratiques de financement des collectivités locales auraient pu être concernées, mais, pour être franc, je doute qu’il ait été possible d’identifier le problème avant qu’il n’apparaisse. Cela étant, à condition que les mécanismes d’alerte fonctionnent et que les collectivités locales appellent l’attention des pouvoirs publics, le sujet peut être porté sur la table d’un comité comme le COREFRIS. Il en va de même du secteur immobilier, par exemple, auquel on pourrait étendre les remarques de M. Balligand sur le niveau anormal des marges et sur la compétition au sein du milieu bancaire.

M. Charles de La Verpillière. Les hauts fonctionnaires que nous auditionnons aujourd’hui sont assez convaincants lorsqu’ils répondent à la question suivante : l’État avait-il les moyens juridiques d’empêcher les collectivités de souscrire et d’honorer ces emprunts ? La DGCL ne pouvait sans doute pas recourir à des textes ayant une force contraignante suffisante, les préfets ne pouvaient exercer un contrôle réel sur les souscriptions en elles-mêmes et les comptables du Trésor ne pouvaient suspendre les paiements dès lors qu’on leur fournissait les contrats et des éléments de calcul vérifiables.

Mais la véritable question, qui nous renvoie à toutes les auditions précédentes, est celle-ci : l’État pouvait-il empêcher les banques de proposer ces produits ? Sur ce point, le directeur général du Trésor, qui a eu la chance de parler le dernier, a été un peu rapide. M. Balligand a parfaitement raison : ceux qui ont un point de vue très général sur le financement de l’économie auraient dû se demander par quel miracle des banques pouvaient proposer aux collectivités territoriales des taux nuls ou très bas pendant quatre ou cinq ans. D’autant que les banques en question n’étaient guère nombreuses et que la plus active était très connue. S’il y a eu défaillance de l’État – qui n’est pas seul responsable –, c’est plutôt sur ce point.

M. Thierry Carcenac. Monsieur Parini, vous avez dit que 537 collectivités étaient concernées, dont 91 concentraient la moitié de l’encours. Ce chiffre inclut nécessairement des régions, des départements et des communes, dont de petites communes. Or, si les grandes collectivités disposent de services qui assistent les élus en la matière, les autres sollicitent plutôt les conseils de l’ancien percepteur. Quelle est la formation de ces agents ? L’a-t-on modifiée ?

D’autre part, comment l’État peut-il aider les collectivités locales, par exemple par l’intermédiaire de France Trésor, à sortir de contrats léonins qui prévoient des indemnités de remboursement anticipé colossales, parfois égales à l’encours de la dette ? Il a installé le médiateur, me direz-vous ; mais quelle est l’étendue de ses pouvoirs ?

M. le président. J’ai mentionné le rapport de la Commission bancaire pour 2001. Qui lit ces rapports ? Servent-ils à quelque chose ? M. de La Verpillière l’a parfaitement montré, il était concrètement difficile pour les différents services d’intervenir auprès des collectivités locales. Mais de premiers indices jetaient le doute sur les produits proposés par les banques – notamment par Dexia, qui occupait près de la moitié du marché. À quel stade ce type de signal est-il pris en considération ?

M. Éric Jalon. Pour que nous empêchions les banques de proposer ce type de produits, il aurait sans doute fallu une intervention législative.

M. Charles de La Verpillière. Non : il s’agit d’un secteur réglementé.

M. Éric Jalon. Quoi qu’il en soit, je doute que nos interlocuteurs, notamment les collectivités locales et leurs gestionnaires, aient souhaité à l’époque que nous interdisions ces produits.

M. le rapporteur. Une réglementation différente s’impose aux banquiers selon qu’ils traitent avec un particulier ou avec une entreprise. Mais une collectivité n’est pas une entreprise. Quel est son statut ? Partant, à quels critères le contrat qui la lie à une banque doit-il satisfaire ?

M. Éric Jalon. Si tant est que ce point pose un problème, la charte Gissler le résout a minima puisque le quatrième engagement stipule que les établissements bancaires reconnaissent le caractère de non-professionnel financier des collectivités locales. Les choses sont désormais claires.

M. le rapporteur. Cela vaut pour l’avenir ; mais Dexia, qui se présentait comme « la banque des collectivités », aurait dû adapter son comportement.

M. Éric Jalon. À ma connaissance, avant même la charte, les collectivités étaient protégées comme les autres emprunteurs par le code monétaire et financier, le code de la consommation et le code civil.

Il y a trois manières de sortir d’un contrat : soit l’exécuter jusqu’à son terme, soit en modifier les modalités en accord avec l’autre partie, soit en obtenir l’annulation devant le juge des contrats. Certaines collectivités ont tenté la voie du contentieux en invoquant le défaut de conseil ; je ne connais pas toute la jurisprudence, mais je ne crois pas qu’elles aient obtenu gain de cause. Ainsi la petite commune de Terville a-t-elle été déboutée en 2009 par un juge judiciaire.

M. le président. Je cite le rapport de la Commission bancaire pour 2001 : « Le marché des collectivités locales continue d’être très concurrentiel. La gestion dynamique de la dette par les emprunteurs, combinée à l’évolution favorable des taux d’intérêt, a permis de réduire, au cours de ces dernières années, le poids des frais financiers (4,5 % du total des recettes de fonctionnement en 2001, contre 9 % en 1996). Les marges nettes restent faibles et leur connaissance exacte demeure imparfaite. Cette situation se traduit parfois pour les prêteurs par des manques à gagner importants en termes de marge. À cet égard, le règlement n° 97-02 du Comité de la réglementation bancaire et financière sur le contrôle interne des établissements de crédit invite les prêteurs à veiller à la rentabilité de leurs opérations de crédit, à prendre des mesures pour identifier de la manière la plus exhaustive possible les produits et les charges afférents à ces opérations et à estimer le risque de défaut du bénéficiaire au cours de l’opération de crédit. »

M. Philippe Parini. Je me suis renseigné auprès de mes collaborateurs. J’ignore si nous avons été informés de ce rapport, s’il nous a été officiellement transmis, mais, si tel est le cas, nous n’en avons manifestement pas tiré les conséquences puisque nous ne sommes pas spontanément intervenus.

Monsieur Carcenac, les 537 collectivités dont j’ai parlé sont uniquement celles qui ont souscrit des produits adossés sur la parité entre l’euro et le franc suisse. L’ex-DGCP a instauré, à partir de 2007, des formations à l’analyse de la structuration des emprunts à l’intention de nos comptables. Une vingtaine de sessions ont été organisées au total. Elles ne sont pas extrêmement pointues : les comptables ne sont pas des traders. Mais nous les proposons désormais, en lien avec les services préfectoraux, aux collectivités locales, ce qui facilite le dialogue.

M. Ramon Fernandez. Le Trésor aurait-il dû surveiller les banques de plus près ? La politique de prêt bancaire aux collectivités locales n’est pas de notre ressort et nous n’en étions pas tenus informés. Les représentants de l’ACP ont dû vous donner des explications sur le système de surveillance des établissements bancaires. En revanche, si nous constatons une difficulté, nous pouvons proposer pour le compte du Gouvernement, en lien avec les autres directions compétentes, des mesures réglementaires, législatives ou de place afin de mettre fin à certaines pratiques dommageables. Ainsi avons-nous installé la médiation d’Éric Gissler, qui a donné lieu à la charte, et demandé aux banques, avec qui nous avons des échanges réguliers, de renoncer à des pratiques qui avaient été révélées comme peu acceptables.

Encore faut-il avoir connaissance de ces agissements. C’est possible lorsque l’Etat est actionnaire d’un établissement bancaire ou qu’il est représenté au conseil d’administration, ce qui ne valait pas pour Dexia. D’autre part, pour toutes les raisons déjà rappelées, les collectivités locales ne font pas partie des entités économiques que nous avions à surveiller. Si l’on nous demande de le faire, nous le ferons, mais cela ne faisait pas partie de nos missions.

Le danger que signale le rapport de la Commission bancaire à propos des marges insuffisantes concerne le prêteur, non l’emprunteur. Les mêmes préoccupations se manifestent aujourd’hui dans le secteur immobilier, comme je l’ai dit. Cela fait partie des risques sur lesquels nous pouvons appeler l’attention aux côtés du gouverneur de la Banque de France et du président de l’ACP : c’est le rôle du COREFRIS. Nous le faisons aujourd’hui pour les prêteurs, nous pourrions le faire aussi pour les emprunteurs.

M. Patrice Calméjane. Il a été fait allusion aux seize ratios issus de la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République. Lors d’une conférence de presse, il y a une quinzaine de jours, le Premier ministre a annoncé que des informations supplémentaires devraient être ajoutées au budget des collectivités. Avez-vous des propositions à formuler à ce sujet ? Je dois rédiger un rapport de quatre pages pour justifier l’utilisation des 300 000 euros que reçoit ma collectivité au titre de la dotation de solidarité urbaine, mais quand nous listons les seize ratios sans aucun commentaire à la fin du compte administratif, personne ne trouve à y redire. Même si vous n’avez pas à juger de l’opportunité de l’action de la collectivité, de quelles informations commentées les assemblées délibérantes devraient-elles à votre avis disposer qui les éclairent sur la structure des budgets, notamment en vue de l’alternance ? Si les ratios sont inutiles, qu’on les supprime ; sinon, qu’on leur donne leur chance.

M. le rapporteur. Maintenant que le diagnostic se précise, comment aménager le système actuel afin d’éviter que cette situation ne se reproduise ? La négociation des contrats doit-elle être soumise au code des marchés publics ? La M14 est-elle adaptée ? Faut-il obliger les collectivités à provisionner pour garantir la sincérité des comptes ? Devrait-on exclure certaines catégories d’emprunts ?

D’autre part, le recul aidant, avez-vous des propositions à soumettre au législateur ?

M. Éric Jalon. Des réflexions sont en cours. Le ministre vous a parlé la semaine dernière de ce qui avait déjà été fait et de ce qui était envisagé. En outre, plusieurs dispositions annoncées par le Premier ministre et rappelées par M. Calméjane ont été adoptées dans le cadre du projet de loi de finances.

Devrait-on soumettre les contrats de prêt au code des marchés publics ? Il faudrait consulter les associations de collectivités sur ce point, mais je doute que les procédures lourdes que cela impliquerait soient compatibles avec la gestion active de la dette, dont le principe n’est pas en cause même si ses modalités ponctuelles ont posé des problèmes.

En revanche, nous souhaitons, monsieur Calméjane, rendre plus qualitatif le contrôle budgétaire exercé par les préfectures. Nous déployons actuellement une application de transmission dématérialisée des budgets locaux, « Actes-budgétaires », qui permettra à long terme, en automatisant le contrôle des grands équilibres et des ratios, de libérer des agents préfectoraux pour cette approche qualitative.

Parallèlement, nous enrichissons les annexes aux budgets et aux comptes locaux. On juge souvent ces annexes très, voire trop nombreuses. Mais la nouvelle annexe A2.9, rendue obligatoire en décembre 2010 par la DGFiP et la DGCL, présente une répartition de l’encours de dette selon le niveau de risque des emprunts et la structure des produits, sur le modèle de la typologie Gissler. Ainsi, les informations qu’elle contient seront connues et du réseau préfectoral qui l’exploitera et des assemblées délibérantes. Plus généralement, toujours avec la DGFiP, nous refondons les différentes annexes conformément à un avis rendu par le Conseil de normalisation des comptes publics en juillet 2011.

Que faut-il imposer, que faut-il interdire ? La piste du provisionnement pour risques retenue par la Cour des comptes me semble la plus prometteuse. Le Conseil de normalisation des comptes publics y travaille également, mais son avis ne devrait pas être publié avant l’été 2012. À quelles conditions les collectivités souscrivant des emprunts à taux variable – et lesquels – devront-elles provisionner ? Et dans quelles proportions, étant donné la difficulté d’appréciation du risque ? Il semblerait raisonnable de se régler sur le montant du bonus escompté de la période bonifiée, pour garantir une couverture suffisante du risque et, surtout, un effet dissuasif, le gain issu de la période bonifiée étant annulé par la charge de la provision. L’éventail des produits concernés reste également à déterminer, ainsi que le champ de l’obligation : sera-t-elle limitée au flux ou pourrait-elle s’étendre au stock, piste délicate mais pas exclue ?

À ces éléments s’ajoutent le recensement et le suivi des produits et des situations dans l’ensemble du secteur public local, auxquels nous procédons depuis 2008 et de manière plus formelle depuis quelques semaines.

M. Philippe Parini. Nous explorons également ces pistes puisqu’il s’agit d’un travail commun à nos deux directions. J’ai gardé de mon expérience sur le terrain l’idée que l’administration d’État, à commencer par la mienne, a fini par s’habituer à la décentralisation ; il serait dommage de revenir en arrière par des voies détournées. Il faut faire attention lorsqu’on parle d’autorisation préalable, de régulation, de code des marchés publics. Restons cohérents. En revanche, le regard de l’État présente quelque intérêt. Ce principe vaut de manière générale en matière de gouvernance. Or le regard que nous portons sur la situation financière des collectivités pourrait être plus aigu.

Mais, pour cela, nous avons besoin d’éléments financiers précis. C’est le rôle des annexes, qui, même si elles peuvent paraître contraignantes, nous fournissent une base de discussion avec les collectivités une fois certains contrôles traités automatiquement. Dans ce dialogue singulier avec le responsable de la collectivité, le comptable est bien dans son rôle de conseil. Je suis donc disposé non seulement à tirer parti des annexes existantes, mais à en développer de nouvelles, sur lesquelles porterait ce regard extérieur, malheureusement moins présent depuis quelques années. Le terme de conseil peut être mal compris ; il ne s’agit ni de tutelle ni de contrôle, simplement de remarques dont nos interlocuteurs seront libres de tenir compte ou non. Mais il faut que les règles soient claires, pour que l’on ne vienne pas nous reprocher en cas de problème de ne pas être intervenus davantage.

Cette action, en lien avec celle des collectivités elles-mêmes, serait parfaitement conforme à la vocation de la DGFiP, dont l’un des cœurs de métier est le partenariat avec les collectivités, dont elle tient les comptes, dont elle assure les recettes, dont elle paie les dépenses. Et je nous en donnerai les moyens.

M. le président. La décentralisation est un enjeu récurrent de nos travaux. Aucun des membres de notre commission d’enquête n’envisage de la remettre en cause. Mais, selon une métaphore que j’affectionne, ce n’est pas parce que l’on a le permis de conduire qu’il n’y a pas de code de la route. Pourquoi l’accès des collectivités locales aux produits d’emprunt ne serait-il pas réglementé ? Lorsque les produits structurés ont été introduits sur le marché des prêts aux collectivités, le conseil général de la Banque de France a envisagé, selon l’un de ses membres, d’en limiter la part à 50 % du stock de dette. Vous voyez qu’il ne s’agissait pas de remettre en cause la décentralisation ! Les élus locaux ne supporteraient pas que l’État leur dise qu’ils ont droit à ceci mais pas à cela ; en revanche, des normes financières sécuriseraient la gestion des collectivités. Car, nos auditions le montrent bien, celles-ci n’étaient pas en mesure d’expertiser les nouveaux produits qu’on leur proposait.

M. Éric Jalon. Le contrôle interne aux collectivités et la transparence vis-à-vis de leurs assemblées délibérantes sont deux éléments essentiels. Je précise à ce sujet que les annexes que nous préparons pour nous conformer à l’avis du Conseil de normalisation des comptes publics devront notamment indiquer la période de bonification des prêts, les frais financiers afférents – commissions, pénalités, etc. – et les coûts de sortie. Elles s’ajouteront à la nouvelle annexe A2.9 pour offrir une vue complète de la situation dans chaque collectivité, ce qui nous manquait jusqu’à présent. Les textes seront publiés fin 2011 et s’appliqueront donc au compte administratif 2012 et au budget primitif 2013.

Enfin, aux termes de l’article introduit dans le projet de loi de finances pour 2012 à la suite des annonces du Premier ministre, article qui porte le numéro provisoire 47 sexdecies, « chaque année, le Gouvernement dépose en annexe au projet de loi de finances un rapport qui comporte une présentation de la structure et de l’évolution des dépenses ainsi que de l’état de la dette des collectivités territoriales ». Ces informations seront donc également transmises au Parlement qui pourra s’en saisir.

M. le rapporteur. La matière dont vous parlez peut être difficile à comprendre pour un conseil municipal. L’information est nécessaire mais non suffisante : ce sont bien les élus qui ont finalement signé les contrats dont nous parlons. En outre, ces éléments sont fournis à un moment donné alors que, dans le cas des prêts structurés, les conditions, notamment le coût de sortie, sont soumises à des variations quotidiennes. D’ailleurs, dans les négociations en cours, les banquiers conseillent aux collectivités de conserver leur taux pendant deux ans, en affirmant que la situation va s’améliorer et que la parité euro-franc suisse va finir par remonter !

M. le président. Il est en effet difficile d’expliquer un produit complexe à des personnes qui ne sont pas des expertes. On ne peut pas dire que les contrats n’ont pas été présentés aux collectivités. Mais, dans mon département, les comptes rendus des réunions de la commission permanente montrent qu’elle n’a rien trouvé à y redire, car peu de ses membres comprenaient vraiment ce qui leur était exposé. Bon nombre d’entre nous n’auraient pas mieux compris à leur place, d’ailleurs. Comme l’a dit M. Parini, de quelque transparence que l’on fasse preuve, certains sujets restent hermétiques à qui n’en est pas expert.

M. Ramon Fernandez. Comme la DGFiP et la DGCL, le Trésor juge opportune la politique de provisionnement préconisée par la Cour des comptes, qui permettrait de tenir compte du point de vue budgétaire et comptable des risques inhérents à certains produits.

Faut-il interdire certains produits ou instaurer des seuils ? La Cour l’a également suggéré. Le débat est complexe et suppose de mesurer les conséquences de telles dispositions sur la libre administration des collectivités locales. Le recours à l’emprunt est libre dans un cadre légal. Cela étant, si le Parlement ou d’autres services de l’État envisagent d’écarter certains produits a priori, nous nous associerons à leur réflexion. Mais comme l’a dit M. Parini, si l’on voulait maîtriser absolument tous les risques, il faudrait interdire jusqu’aux taux variables…

M. le président. Sans aller jusque-là, les représentants de l’ACP nous ont dit qu’il ne devrait pas être possible d’emprunter dans une monnaie lorsque l’on ne perçoit pas de recettes libellées dans cette monnaie. Il faudrait inscrire ce principe quelque part !

M. Ramon Fernandez. Je suis parfaitement d’accord. Certains produits ne sont absolument pas justifiés. Les emprunts indexés sur le cours du franc suisse n’ont rigoureusement aucun sens. Et je trouve pour le moins curieux que certaines collectivités locales souhaitent recourir à ce genre de pratiques financières, même si cela n’est pas de ma responsabilité.

Enfin, sans attendre les conclusions des travaux engagés, nous travaillons à étendre la charte Gissler à un plus grand nombre de banques, notamment aux banques étrangères.

M. le rapporteur. Personnellement, je ne comprends pas qu’on emprunte à taux fixe ! Il fut un temps où les taux atteignaient 15 %, voire 17 %. Les produits structurés ont contribué à faire baisser les taux. Le problème n’est donc pas là. Dans le logement social, d’ailleurs, tous les emprunts sont à taux variable puisqu’ils sont adossés sur le livret A. Mais il faut un encadrement : les taux variables peuvent être « capés ». Or on peut dire de certains produits que le banquier les a vendus sans protection.

La gestion active de la dette est nécessaire et l’argent, qui est une matière première comme une autre, doit être payé à sa juste valeur. La Suisse a déjà limité à 1,2 le taux de change euro-franc suisse ; si elle décidait que le franc fort lui coûte trop cher et ramenait le taux à 1,44, plus aucune collectivité ne voudrait mettre fin à son contrat ! Le problème de ces produits, c’est l’absence d’airbag.

Le diagnostic est maintenant clair et nous sommes plutôt d’accord sur les préconisations. Les collectivités ne peuvent pas à la fois réclamer l’autonomie et tenter de passer la patate chaude à d’autres quand elles sont dans l’embarras. On voit donc comment préparer l’avenir. Mais comment traiter le stock ? Avez-vous des propositions sur ce point ? Le problème concerne notamment les collectivités qui vont entrer dans la période toxique. Nous en parlions hier avec les représentants de l’association « Acteurs publics contre les emprunts toxiques » : l’encours problématique atteint aujourd’hui 15 milliards d’euros, dont 7 très toxiques. Aujourd’hui, la majorité des collectivités gagnent de l’argent car les taux sont très faibles. Mais demain, une bonne partie d’entre elles ne pourra pas présenter des comptes sincères. Comment les aider ? Comment traverser cette période intermédiaire ?

M. Jalon a rappelé les trois manières de sortir d’un contrat. La perspective de l’exécuter jusqu’à son terme a de quoi en affoler quelques-uns si la conjoncture reste la même. C’est ce qui a motivé la création de notre commission d’enquête. On peut aussi tenter de faire annuler le contrat. La voie moyenne est la négociation, à propos de laquelle on dit souvent qu’une mauvaise négociation vaut mieux qu’un bon procès. Avez-vous des suggestions à ce sujet ?

M. le président. Monsieur Jalon, la semaine dernière, nous avons entendu l’ancienne équipe dirigeante de Dexia soutenir qu’elle n’avait jamais proposé certain produit aux villes de moins de 10 000 habitants, avant de nous apercevoir que celles-ci avaient été la cible prioritaire du démarchage des banques et notamment de Dexia. Le ministre nous a également dit en votre présence qu’il fallait que les petites villes sortent de ces emprunts. Comment faire ? Et selon vous, les solutions qui permettront de traiter le stock et le flux devraient-elles être modulées en fonction de la taille de la collectivité ?

M. Éric Jalon. J’ai bien entendu le ministre, mais, avant la taille, c’est le risque que nous devons prendre en considération. Tel est l’objet des recensements en cours. Pour chaque collectivité, il faut tenir compte des deux facteurs : sa taille et sa capacité financière, d’une part, le risque auquel ses emprunts l’exposent, d’autre part.

La première solution possible est la médiation. La mission de M. Gissler, dont il vous aura rendu compte lors de son audition, a été prolongée conformément à la recommandation conjointe des administrations concernées.

Deuxièmement, depuis quelque temps, nous conseillons régulièrement aux préfets d’inciter les collectivités qui sont encore en période de bonification ou qui ont souscrit des produits conjoncturellement avantageux, tels les produits de pente, à sortir de ces contrats pendant que les conditions leur sont encore favorables. Je vous l’ai dit, cette démarche n’a pour l’instant qu’un succès d’estime.

Troisièmement, la DGCL analyse chaque année la situation de certaines communes, généralement de petite taille, dont le déséquilibre budgétaire a justifié la saisine de la chambre régionale des comptes par le préfet, et propose au ministre chargé des collectivités territoriales et au ministre du budget de leur attribuer une demi-douzaine de subventions d’équilibre. À ce jour, aucune collectivité n’a sollicité ni obtenu de l’État une subvention d’équilibre en raison du surcoût généré par l’explosion d’un emprunt toxique.

M. Philippe Parini. Sur les solutions possibles, je n’ai rien à ajouter aux propos dÉric Jalon, dont l’administration est la première concernée. J’indiquerai simplement que, pour choisir la bonne, nous avons besoin d’un état de l’art extrêmement précis. Nous l’avons établi pour les emprunts indexés sur le franc suisse, les banques en ont fait une partie de leur côté, mais les chiffres sont assez hétérogènes et le moment où la situation va se dégrader diffère selon les produits souscrits. Nous sommes prêts à y travailler plus largement pour aider les autres services de l’État ; mais il faudra également que les banques nous fournissent leurs données. Quoi qu’il en soit, aucune des trois voies que vous avez évoquées ne pourra servir de solution universelle, car les situations, les engagements souscrits et les dates de fin de bonification sont très variables. Seul un état des lieux complet permettra à chaque structure de choisir l’une ou l’autre de ces formules.

M. Ramon Fernandez. Il faut tout faire pour inciter les collectivités à sortir des contrats tant que les soultes et les pénalités ne sont pas prohibitives.

M. le président. Actuellement, ce sont les soultes qui posent le plus de problèmes. Nous l’avons encore vérifié hier avec l’association « Acteurs publics contre les emprunts toxiques ». Pour l’instant, les banques déconseillent aux collectivités concernées de sortir de leurs contrats, sauf à l’une d’entre elles qui connaît de graves difficultés. Mais de toute façon, comment mettre fin au contrat quand la soulte est égale au montant du capital ?

M. le rapporteur. Je ne pense pas qu’il faille traiter différemment petites et grandes collectivités. Il ne faudrait pas donner l’impression que ceux qui ont fait des erreurs vont recevoir des subventions. Tout le monde doit être traité de la même manière.

Cinq mille collectivités sont potentiellement en difficulté. Certes, quelques-unes seulement ont un stock de dette constitué à 80 ou 90 % d’emprunts structurés. Mais cinq mille collectivités doivent traiter avec quelques banques. Comment simplifier la situation ? La médiation Gissler a déjà beaucoup fait, mais cette voie prendrait des siècles ; or c’est maintenant qu’il faut agir, tant que l’on est encore dans la période bonifiée. Selon la loi des 80/20, environ 20 % des produits génèrent 80 % de surplus toxiques. Certains, à tort, confondent l’encours de la dette, les intérêts et leur partie toxique. On ne peut pas évaluer la toxicité à 15 milliards d’euros : la partie toxique est celle qui vient en surplus des intérêts qu’il aurait normalement fallu payer. C’est quand cette part toxique dépasse un certain seuil que la situation devient inacceptable.

Les constructeurs remplacent bien une voiture haut de gamme quand beaucoup d’acheteurs se plaignent de dysfonctionnements de la boîte de vitesses. Or, bien qu’il n’y ait pas encore de jurisprudence, on sait déjà qu’indépendamment des retournements de conjoncture qui rendent toxiques certains produits, des mécanismes prudentiels n’ont pas été respectés – surtout par les banquiers, même si les collectivités doivent assumer la liberté qu’elles revendiquent. De son côté, le législateur n’avait peut-être pas assez encadré les pratiques en vigueur. Bref, la responsabilité est partagée. Je l’ai dit, une mauvaise négociation vaut mieux qu’un bon procès. Ne suffirait-il pas de rappeler quelques voitures défectueuses ? Car en remplaçant un petit nombre de produits abondamment souscrits, on soulagerait tout le monde. Je songe aux produits adossés sur le franc suisse, dont on pourrait montrer qu’ils n’étaient pas prudents, pas capés, pas vendus dans des conditions sérieuses, etc. Au lieu de conclure partout des contrats de swaps bilatéraux avec les collectivités, qui impliqueraient de régler des soultes affolantes, les banquiers conserveraient par-devers eux les instruments de couverture des prêts qu’ils ont consentis mais proposeraient à leurs clients des taux raisonnables, à condition qu’ils assument une part du risque puisqu’ils ont signé un contrat. Seuls sept ou huit produits et trois ou quatre banques resteraient alors en lice.

Mais, pour parvenir à cette solution, nous avons besoin de l’État. Quand la Grèce est en difficulté, l’État est le premier à aider le pays et les banquiers qui, ne l’oublions pas, auraient pu tout perdre ; quand les banques ont des problèmes, il vient à leur secours. C’est à lui de demander que ces produits soient échangés contre des produits normaux, adaptés à la gestion des collectivités, c’est-à-dire, à mon sens, des taux variables en lien avec la réalité économique et avec le coût de l’argent, de type « Euribor plus x ». La collectivité prendrait sa part du risque et la banque gérerait la toxicité.

M. Éric Jalon. Les relations avec les banquiers n’étant pas de mon ressort, je ne répondrai pas sur ce point. Je souhaite simplement dissiper une ambiguïté : les subventions d’équilibre ne sont ni un remède au déséquilibre budgétaire ni un encouragement adressé aux mauvais gestionnaires, mais un indice a contrario du fait que, pour l’instant, aucune collectivité ne doit le déséquilibre de son budget au dérapage de ses taux d’intérêt.

M. le rapporteur. Cela va venir !

M. le président. La moitié de l’encours est encore en période de bonification, et ce n’est que cette année que le volume et les taux commencent à être problématiques. Un grand quotidien économique du matin fournit dans son édition d’aujourd’hui un argumentaire presque entièrement rédigé. Le rapporteur a dit qu’elles gagnaient de l’argent, mais en fait, les collectivités ont reporté leurs pertes sur les années à venir.

M. Éric Jalon. Permettez-moi de ne pas me prononcer sur des cas particuliers. Certains produits, notamment de pente, représentent une part importante des emprunts structurés ; par les alertes que nous transmettons à notre réseau, nous incitons les collectivités à en sortir dans les meilleures conditions tant que cela est encore possible.

M. le président. Sur les très nombreuses collectivités concernées, une centaine à peine a fait appel à M. Gissler avec succès. On imagine le travail qui l’attend si les demandes de sortie se multiplient l’année prochaine ou au cours des deux ans à venir.

M. Éric Jalon. Tout dépend de la part du risque dans l’encours total de la collectivité.

M. Jean Proriol. Au congrès des maires, dont j’arrive, je n’ai guère entendu de déclaration ou de demande à ce sujet. On a l’impression que les maires concernés ne s’en vantent pas… Un maire de mon département, président d’une communauté d’agglomération, m’a confié : « Moi, j’ai fait du franc suisse, et jusqu’à présent, j’ai gagné ! Il me reste deux ou trois ans, je vais peut-être perdre un peu, mais je ne tremble pas. » Cela étant, son emprunt est assez simple.

Interdire les taux variables me paraît inconcevable. De même, lorsque nous avons autorisé La Poste à proposer des crédits à la consommation, après en avoir débattu dans l’hémicycle, l’établissement a été mis en garde à propos du crédit revolving, mais il n’était pas question d’interdire cette pratique, qui fait partie de la panoplie de tout banquier actif dans ce domaine. Les taux sont simplement « capés » par le seuil d’usure. On sait où cela finit : à la Banque de France, et ce sont les banquiers qui trinquent car ils doivent accepter une réduction de la dette.

M. Bartolone a évoqué les commissions permanentes des conseils généraux ou régionaux. Pour y avoir siégé, je peux vous dire que nous traitions des dossiers de 500 pages en une heure, même sous la présidence de M. Giscard d’Estaing, pourtant très sourcilleux sur les taux non classiques.

On a également parlé des strates de collectivités. Mais il serait bien difficile d’autoriser telle commune à souscrire des produits que l’on interdit à telle autre.

En revanche, en ce qui concerne le stock, il faut encourager les communes à sortir de ces contrats si elles le peuvent, du moment qu’elles peuvent absorber la soulte proposée, surtout quand l’emprunt ne date que de deux ou trois ans. Mais il n’y a ni solution miracle ni opération systémique envisageable.

M. le président. S’il y avait une solution miracle, nous n’aurions pas eu besoin de commission d’enquête !

M. Jean Proriol. Cela étant, nous sommes ravis quand notre percepteur dresse le bilan de la situation financière de la commune et nous le présente de sa propre initiative. Mais je doute que les percepteurs fassent de même pour toutes les communes qui relèvent de leur compétence.

M. le président. Merci, messieurs, de votre contribution.