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Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mercredi 30 novembre 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Claude Bartolone, Président

Présentation du rapport aux membres de la Commission d’enquête.

M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, notre commission a été créée le 8 juin 2011, et son existence juridique prendra fin le 8 décembre. Nous voici donc arrivés au terme de nos travaux.

Nous avons tenu 23 auditions, deux débats d'orientation, entendu 80 personnes. Les auditions ont été souvent passionnantes et fort animées vu l’importance des enjeux pour les élus que nous sommes.

Notre rapporteur, M. Jean-Pierre Gorges, a élaboré un projet de rapport. Nous allons aujourd’hui entendre son diagnostic, et prendre connaissance de ses propositions, qui porteront à la fois sur la gestion du stock des emprunts à risque et sur les mesures qui devraient être adoptées à l’avenir pour éviter que de tels errements ne se reproduisent.

Avant de lui donner la parole, je vous informe que le projet de rapport sera mis, comme c'est la règle, en consultation dans les bureaux de la commission des finances pour les membres de la commission d'enquête uniquement. La consultation prendra fin le mardi 6 décembre à 16 heures.

Nous nous réunirons enfin une dernière fois, ce même mardi 6 décembre à 17 heures pour nous prononcer sur le projet de rapport. S’il est adopté, il fera l’objet d’un dépôt au journal officiel et, sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret, il sera imprimé et distribué.

M. Gorges et moi-même prévoyons une conférence de presse le 15 décembre à 12 heures. Naturellement, les collègues qui souhaiteront se joindre à nous seront les bienvenus dans la salle des conférences de presse. D'ici là, les textes prévoient que le rapport demeure confidentiel.

La parole est maintenant à M. Jean-Pierre Gorges.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Au cours des six mois écoulés, j’ai beaucoup travaillé avec le secrétariat de la commission d’enquête afin de rassembler un maximum d’éléments objectifs et quantifiables. En ma qualité de Rapporteur, j’ai obtenu copie d’une demi-douzaine de rapports confidentiels de l’Inspection générale des finances et de l’ancienne Commission bancaire. J’ai également obtenu que les sept établissements de crédit actifs sur le marché des prêts au secteur local lèvent le secret bancaire : j’ai pu me faire communiquer les montants et les caractéristiques des 10 690 contrats de prêts souscrits par des acteurs publics locaux.

J’en viens aux grandes lignes de mon rapport.

La première partie du rapport est consacrée à la description des emprunts et des swaps structurés, avec des exemples précis des formules utilisées. Ces éléments sont désormais bien connus des membres de la commission, aussi je vous propose de nous concentrer sur l’état des lieux.

L’encours total des prêts structurés souscrits atteint 32,125 milliards d’euros pour l’ensemble des acteurs publics locaux (communes, EPCI et syndicats, départements, régions, établissements publics de santé et organismes du logement social). Toutefois cet encours doit être rapporté au volume global d’endettement des mêmes acteurs, qui atteignait 276,8 milliards d’euros fin 2010. Si l’on retient un périmètre plus restreint, limité aux collectivités territoriales, l’encours total atteint encore 23,323 milliards d’euros.

Au sein des emprunts structurés, l’encours à risque est évalué à 18,807 milliards d’euros pour l’ensemble des acteurs publics locaux, soit 58,6 % du total. Même au niveau des seules collectivités territoriales, cet encours à risque représente 13,648 milliards d’euros, ce qui dépasse l’estimation avancée en juillet par la Cour des comptes. En toute logique, il faut ajouter le notionnel jugé à risque des swaps structurés, soit 2,530 milliards d’euros (38,6 % du total).

Les petites communes de moins de 10 000 habitants ne sont pas épargnées puisqu’elles ont souscrit pour 3,049 milliards d’euros d’emprunts structurés, aujourd’hui considérés comme risqués à hauteur de 56 %. Cela confirme l’impression que nous avions retirée de l’audition des maires de Trégastel et Sassenage, notamment.

Pour le portefeuille clientèle du seul Dexia :

– 1 595 petites communes sont concernées sur 2 229 communes clientes du groupe et 3 575 clients toutes catégories confondues ;

– 2,18 milliards d’euros d’emprunts structurés ont été souscrits, dont 1,44 milliard à risque soit 66,1 % alors que la moyenne est de 56 % toutes banques confondues.

J’affirme donc que, contrairement à ce qu’ont avancé les anciens responsables de Dexia lors de leur audition, les petites communes ont fait l’objet d’un démarchage intensif. On est passé de la confection de produits sur-mesure pour les grandes collectivités, à une phase d’industrialisation et de commercialisation sans discernement.

Ce cas n’est pas isolé : les mêmes communes représentent 577 millions d’euros chez BPCE et 250 millions d’euros au Crédit agricole CIB, mais les structures qui leur ont été vendues étaient nettement moins risquées.

La deuxième partie du rapport montre que les responsabilités ont été partagées entre les élus qui ont souvent manqué de vigilance ou ne disposaient pas des compétences nécessaires pour comprendre les risques sous-jacents aux emprunts qu’ils contractaient, les banques qui ont développé une politique commerciale systématique et très agressive, souvent trompeuse, et enfin, le troisième responsable, l’État, avec un contrôle limité localement et une certaine myopie de l’administration centrale face aux alertes qui apparaissaient ici ou là.

Les élus ont parfois manqué de vigilance. Les exécutifs locaux n'ont pas toujours souscrit des emprunts structurés en connaissance de cause. De plus, certaines collectivités qui ont contracté se trouvaient déjà dans une situation de vulnérabilité financière. Compte tenu du niveau de leur endettement et de leurs charges financières, elles n’ont pas pu recourir à des emprunts classiques, dont la charge aurait été trop lourde.

Il me semble que les élus ont presque toujours été de bonne foi, et qu’il n’y a eu aucune malversation : les capacités de financement dégagées ont été utilisées dans le sens du service public, selon la politique de gestion choisie pour la collectivité. Les financements ainsi obtenus ont pu contribuer à de grands projets structurants (réaménagement urbain, reconversion des friches industrielles par exemple à Saint Étienne) en lissant le financement de projets de long terme. Dans les petites communes, les prêts structurés ont permis d’investir dans des travaux de réfection de la voirie ou de bâtiments communaux. Le recours aux produits structurés a pu s’accompagner d’une réduction de l’endettement global et d’une amélioration de la capacité d’autofinancement.

Les exécutifs locaux n’ont pas su prendre la mesure des risques induits par ce type de produit, pour plusieurs raisons qui sont économiques d’abord, liées à l’asymétrie d’information entre la banque et son client ensuite, et enfin institutionnelles : ni les assemblées délibérantes, ni l’opposition (faute d’information assez complète), ni les services de l’État n’ont su éclairer la décision des élus ; le contrôle et le conseil, internes comme externes, ont été défaillants.

La faiblesse de l’information contenue dans les annexes budgétaires a rendu inopérant le pouvoir de contrôle des assemblées délibérantes : ces annexes ne rendaient compte que de l’évolution de l’endettement, et non de sa structure.

Le rapport examine aussi le rôle joué par les cabinets de conseil aux collectivités qui a été ambigu.

La politique commerciale des établissements bancaires a été systématique et agressive. Le rapport décrit le contexte très concurrentiel qui a conduit les banques, dans les années 2000, à prêter largement en dessous du coût de la ressource financière. Comme elles ne pouvaient plus se rémunérer sur les produits classiques, les banques ont dû imaginer d’autres moyens de reconstituer leurs marges commerciales. C’est ainsi qu’elles ont proposé des produits plus sophistiqués à marge commerciale plus élevée, marge totalement indécelable par le client qui ne pouvait plus comparer les offres des concurrents. Les banques ont adopté une politique commerciale offensive, demandant à leurs commerciaux de proposer aux emprunteurs des restructurations : dans certains cas, les commerciaux ont démarché la collectivité pour « renégocier » la dette tous les deux ans, en majorant les marges à chaque fois.

L’étendue de la responsabilité des banques est actuellement en jeu devant les tribunaux. Environ quinze collectivités ont annoncé avoir saisi les tribunaux pour obtenir l’annulation du contrat de prêt. Plusieurs dizaines de collectivités se trouvent également dans une phase précontentieuse, ayant confié leur dossier à un conseil. Le rapport analyse les chefs de responsabilité qui sont invoqués, comme l’obligation de conseil et d’information, et l’obligation de mise en garde qui suppose que le banquier attire l’attention de son client sur les dangers potentiels d’une opération donnée.

Les mesures qui ont été prises sont d’ampleur limitée. La charte Gissler représente une avancée, mais elle est encore insuffisante. La médiation instituée par le Gouvernement porte sur un nombre de dossiers assez faible. La médiation a été demandée pour 102 dossiers au total : les renégociations définitives réalisées sont au nombre de 12 auxquelles il faut ajouter 13 solutions temporaires.

Je sais par ailleurs que beaucoup d’élus locaux attendent les résultats des travaux de notre commission d’enquête, avant d’entamer toute démarche.

Le contrôle des services de l’État a été trop limité sur le terrain et peu vigilant en administration centrale. Le contrôle de légalité, réalisé par le préfet, n’a pas permis d’identifier les risques associés aux produits structurés. Les services préfectoraux n’avaient pas reçu d’instruction particulière en matière de produits structurés de la part de l’administration centrale. Les personnels n’avaient généralement pas la formation nécessaire pour traiter d’enjeux financiers d’une telle complexité. Enfin, les services préfectoraux n’ont que trop rarement été alertés par les assemblées délibérantes.

Le contrôle de régularité des opérations budgétaires et comptables, exercé par le comptable public, présentait des insuffisances, notamment à cause du fait que les conventions d’emprunt ne figurent pas dans les pièces justificatives devant être transmises aux comptables publics. Ceux-ci ne bénéficiaient d’aucune instruction spécifique quant aux produits structurés et ne pratiquaient que peu la mutualisation de leurs informations : ces instructions ne sont venues qu’en 2008. Les agents ne pouvaient donc que s’appuyer que sur la circulaire de 1992, mais celle-ci ne concerne que les swaps.

Pourtant, les juridictions financières ont joué leur rôle d’alerte à plusieurs reprises sur les risques associés des produits structurés. Mais il semble que l’administration n’a guère tenu compte de ces alertes.

La troisième et dernière partie du rapport – sans doute, la plus attendue – est consacrée aux propositions.

Le financement des collectivités territoriales doit être une priorité nationale. Or comme nous avons pu le constater, l’insuffisante liquidité du marché du crédit pèse sur les collectivités. Les tours de table sont aujourd’hui plus difficiles à boucler pour les acteurs locaux. En partie du fait de l’absence de marge, mais surtout parce que les règles prudentielles de « Bâle III » vont leur imposer d’avoir beaucoup plus de ressources liquides, des clients n’effectuant pas de dépôts sont aujourd’hui moins intéressants. Face à la raréfaction de l’offre bancaire, l’ajustement se fait par les prix. Les émissions obligataires apparaissent comme une solution d’avenir, mais elles ne sont aujourd’hui accessibles qu’aux grandes collectivités : elles ne représentent que 5,6 milliards d’euros, levés essentiellement par les régions et les communautés urbaines.

La puissance publique doit s’impliquer davantage. Avec Dexia, un acteur majeur du crédit au secteur local disparaît. Dexia Municipal Agency, qui assure le financement des collectivités territoriales françaises, aujourd’hui filiale à 100 % de Dexia, serait cédée à la Caisse des dépôts, pour 65 % de son capital, et à la Banque postale pour 5 %. L’encours de prêts structurés sera repris avec une garantie de l’État. Mais la nouvelle structure commerciale ne sera opérationnelle qu’en juin 2012.

Au-delà des fonds débloqués par la Caisse des dépôts, les incertitudes sont nombreuses. La création d’une agence de financement des collectivités territoriales est une piste intéressante, mais sa mise en place est conditionnée par la résolution de plusieurs questions relatives à ses modalités de création et de fonctionnement. Elle ne pourra pas être opérationnelle à court terme pour pallier le manque de financement aux collectivités.

Les dérives passées rendent nécessaire de mettre en place, pour l’avenir, un encadrement strict des modalités d’endettement des collectivités.

Comme la gestion des deniers publics ne peut être une question de spéculation, je vous propose de mettre en place un cadre législatif précisant les produits financiers accessibles aux acteurs publics, adaptés à leurs moyens de fonctionnement, comprenant :

– l’interdiction pure et simple des produits structurés ou dérivés pour les petites collectivités et les petits établissements publics : il paraît nécessaire de limiter les possibilités d’emprunts des communes de moins de 10 000 habitants, comme des établissements publics de moins de 20 000 habitants, aux produits à taux fixe ou à taux variable indexés sur un indice de la zone euro.

– l’interdiction des produits structurés ou dérivés avec multiplicateur pour l’ensemble des collectivités territoriales : l’engagement des finances locales ne peut se faire qu’en poursuivant un intérêt général présentant un caractère local. La charte Gissler a permis de mettre en place une première échelle d’appréciation des risques pris par les acteurs locaux les ayant souscrits. Les produits à effet de levier, classés parmi les produits les plus risqués, présentent donc un caractère spéculatif qui n’apparaît pas compatible avec une utilisation des deniers publics à des fins d’intérêt général.

– la mise en place d’un capping global pour tous les prêts aux collectivités territoriales, aux hôpitaux ou aux organismes du logement social. Aussi les futurs contrats d’emprunt devraient être obligatoirement assortis d’un taux maximal ou capping, défini de façon évolutive, de façon à prendre en compte l’évolution des conditions de marché.

S’il faut réglementer le marché des prêts, il convient aussi de renforcer l’information des élus et responsables sur les caractéristiques de l’endettement par une adaptation du cadre budgétaire et comptable. Il est en outre nécessaire d’assurer la sincérité de l’équilibre réel du budget des collectivités territoriales. C’est pourquoi je propose de prévoir l’inscription dans la loi des principes suivants :

– l’obligation d’un débat sur la dette dans les assemblées délibérantes, pouvant être articulé avec le débat sur les orientations générales du budget ;

– l’introduction de nouvelles annexes au compte administratif, permettant aux assemblées délibérantes comme aux citoyens de connaître précisément la structure de la dette des collectivités territoriales. Cette amélioration de l’information et de la transparence a été commencée avec la réforme des instructions comptables intervenues le 16 décembre 2010 ;

– l’obligation de provisionner les risques pris, à un niveau représentatif des risques de charges financières supplémentaires souscrites. Ce provisionnement pourrait être déterminé par référence à la valeur de marché des produits souscrits, ou par rapport à un taux de marché normal. Ainsi, les produits présentant une période bonifiée tout en cachant des risques sous-jacents devraient perdre leur intérêt pour les emprunteurs.

Dans le même esprit, je vous propose de renforcer l’encadrement juridique pour faire respecter ces règles, en prévoyant l’application du contrôle de légalité aux contrats de prêt, même s’ils relèvent du droit privé, sans pour autant les soumettre au code des marchés publics.

L’information du Parlement devrait être renforcée par deux moyens : un rapport annuel sur la dette locale, présentant des données complètes et agrégées, dont le principe a déjà été esquissé dans le projet de loi de finances pour 2012 ; un renforcement des prérogatives des commissions d’enquête parlementaires à l’égard des établissements de crédit, en prévoyant explicitement que le secret bancaire ne leur est pas opposable, comme c’est déjà le cas pour les autorités de supervision et les agences de notation.

Enfin, le sujet majeur de nos travaux est bien la solution à proposer pour traiter le stock existant d’emprunts toxiques. Pour cela, l’État pourrait jouer un rôle moteur pour assurer une renégociation des produits toxiques, sans défaisance.

Nous avons écarté la création d’une structure de défaisance, pour deux raisons : le coût de la capitalisation d’une structure de gestion de passifs qui serait prohibitif et le risque de favoriser la déresponsabilisation des emprunteurs. Cette solution pourrait être vue comme une incitation à continuer de prendre des risques en matière de gestion financière, dont les conséquences seraient assumées en fin de compte par le contribuable national.

Aussi la solution proposée repose-t-elle sur un regroupement des acteurs publics locaux pour négocier avec leurs créanciers, non plus collectivité par collectivité, mais produit par produit. Un pôle d’assistance et de transaction, s’appuyant sur les moyens des services de l’État, serait mis en place. Les collectivités et établissements publics volontaires seront invités à donner à ce pôle un mandat de gestion des emprunts structurés.

Le pôle pourra ainsi engager en leur nom un processus de renégociation de chacune des gammes de produits structurés avec les banquiers les ayant commercialisés. Afin de respecter le principe de libre administration des collectivités, cette participation ne pourra se faire que de façon volontaire.

La négociation aura pour objectif de convertir chaque type de prêt structuré en prêt classique, à taux fixe ou à taux variable. On obtiendrait, il faut l’espérer, un accord banque par banque, produit par produit. Cela imposera la répartition de l’effort financier entre la collectivité et l’établissement prêteur, en déduisant les éventuels gains obtenus en terme de charge d’intérêt du fait des taux d’intérêts bonifiés de la première période de l’emprunt. À l’issue de ce processus de renégociation, et après examen par les services de l’État, il serait possible, au cas par cas, d’envisager une subvention d’équilibre afin de permettre le rétablissement du budget des plus petites collectivités, dans le cas où elles ne pourraient assumer l’effort financier et fiscal susceptible de rétablir des conditions d’endettement plus sûres pour l’avenir.

Le rôle de la médiation Gissler pourrait être recentré sur les produits atypiques ou fortement toxiques, présentant un caractère de dangerosité plus avéré, tels que les produits avec des effets de structure cumulatifs de type « snowball ».

M. le président. Au nom de ses membres, j’aimerais remercier le rapporteur et le secrétariat de la commission d’enquête pour le travail fourni. Le constat et les propositions me paraissent solides.

M. Bernard Derosier. La première partie du rapport que nous a présenté notre rapporteur m’apparaît comme l’exact reflet de ce que nous avons entendu. N’étant pas concerné directement par les emprunts toxiques, je peux rappeler que nos propositions doivent se situer au-delà de ces clivages, et respecter les principes d’autonomie et de responsabilité, fondateurs de la décentralisation. C’est au cadre légal de protéger les collectivités locales et leurs élus.

Parmi les propositions, il me semble qu’il convient de mettre en place un cadre légal interdisant aux banques de proposer des emprunts structurés pour les petites communes et pour les petits EPCI. Il serait plus juste de formuler l’interdiction aux banques de proposer des emprunts avec multiplicateur, plutôt que de limiter la capacité d’appréciation laissée aux assemblées délibérantes.

Par ailleurs, depuis 1982, le concept de contrôle de légalité m’a toujours irrité. Je ne suis pas contre le contrôle du respect des lois, mais il ne convient pas de donner trop de moyens à ce pouvoir préfectoral. Il lui est ainsi tout à fait loisible de demander copie des contrats en annexe des délibérations transmises.

Enfin, la présentation exonère un peu trop l’État. Les chambres régionales des comptes, les trésoriers généraux payeurs ont aussi eu leur part de responsabilité. C’est pourquoi l’État doit aussi remplir sa mission de solidarité, en prenant une part plus importante dans la résolution des difficultés.

M. Henri Plagnol. Je voudrais souligner l’excellence du travail réalisé. Mes observations rejoignent celle de M. Derosier ; il n’y a donc pas de clivage partisan. Mais, il me semble que cette présentation va un peu trop loin dans les obligations de provision que l’on impose aux collectivités territoriales : l’obligation de provisionnement, qui risque d’achever de freiner la capacité d’investissement des collectivités locales, ne me semble pas opportune pour elles ou bien elle doit être minimale ; si on l’aborde, le ministère des Finances et les juridictions financières vont rendre les obligations de provision très contraignantes.

Quant au contrôle de légalité, il n’est pas adapté aux contrats de prêt. On pourrait plutôt prévoir qu’une copie du contrat soit envoyée au trésorier-payeur général qui respectera la confidentialité.

Les émissions obligataires devraient être encouragées par notre rapport, notamment pour les collectivités moins importantes, par un soutien à la proposition de loi qui a été déposée.

La responsabilité des banques devrait être qualifiée, dans le corps du rapport, par l’emploi des termes « usuraire » et « spéculatif » pour qualifier leurs pratiques. Le montage de résorption est intéressant, mais manque de précision sur la structure de portage. Sans aller vers une structure de défaisance, la structure de portage devrait garantir les conditions des prêts, notamment grâce à un adossement à la Caisse des dépôts.

M. Dominique Baert. Mes observations vont rejoindre celles de M. Plagnol. Ce rapport marquera une étape de la réflexion, et un document de référence. Mais il ne sera qu’un rapport d’étape ; il conviendrait qu’une évaluation soit prévue, après les prochaines échéances électorales.

L’obligation de provisionnement des risques pris est une idée qui circule depuis un certain temps, mais qui soulève de nombreuses questions, sur la définition des risques à provisionner, et sur le montant de ces provisions. S’il s’agit de provisionner à hauteur du « mark to market », cela va au-delà de la capacité des collectivités territoriales. Les chambres régionales des comptes elles-mêmes sont incapables actuellement de définir ce risque pris. Par ailleurs, ces provisions conduiront à dégager des ressources, qui seront déposées sur les comptes des correspondants du Trésor, au bénéfice de la dette de l’État. Il convient de mieux encadrer cette proposition.

Cette présentation ne souligne pas assez la responsabilité des établissements bancaires, et de certains d’entre eux en particulier. Les produits structurés et les swaps des banques étrangères sont parfois plus toxiques que ceux proposés par Dexia. Le terme de « dol » devrait être présent dans le corps du rapport, car c’est sur ce fondement que de nombreuses collectivités ont assigné les banques.

Il ne faudrait pas non plus oublier la responsabilité des agences de notation pour les collectivités qui disposaient d’une notation. Les agences de notation encourageaient à la gestion active de la dette pour la modération des charges financières.

J’étais favorable à la mise en place d’un capping ; reste la question clé du montant des soultes à payer lors de la renégociation des prêts. Il ne faut pas idéaliser les résultats à attendre de la négociation ; la menace de l’intervention législative doit toujours être présente.

M. Louis Giscard d’Estaing. À mon tour, je voudrais souligner combien les travaux de cette commission d’enquête ont été intéressants et utiles. Aussi, la présentation par le rapporteur de ses conclusions correspond à ce que l’on pouvait espérer, c’est-à-dire, d’une part, un diagnostic parfaitement partagé des tenants et aboutissants de la situation qui a conduit à ces emprunts toxiques et, d’autre part, des préconisations pour remédier à ce qui a été constaté. En félicitant le rapporteur Jean-Pierre Gorges, un collègue parfaitement pertinent dans son travail, je souhaiterais d’abord aborder la question de l’autonomie des collectivités locales.

À ce sujet, nous sommes dans l’ambiguïté entre leur responsabilité, dans le cadre de l’autonomie des collectivités locales, et la solidarité de l’État. Concernant les décisions prises par celles-ci, le contrôle de l’État n’existe qu’a posteriori, et si les trésoriers constatent éventuellement le stock de dette, ils ne rentrent pas dans le détail. Dans une collectivité, comme celle dont j’ai la responsabilité municipale depuis cinq ans maintenant, nous avions un crédit-bail à taux fixe à 9,70 % souscrit en 1992 sur vingt ans et qui se terminera l’année prochaine. Un crédit-bail de cette nature est un poids terrible. Pourtant, il est inscrit hors dette car il ne fait pas partie des engagements du stock de dette. Sur ce plan-là, l’analyse qui nous est faite par les services de la trésorerie ne comporte pas cet aspect qualitatif de la nature des risques financiers pour la collectivité.

Deuxième remarque sur l’excellent principe de solidarité financière équilibrée proposé par Jean-Pierre Gorges : on met dans un même pot commun les gains constatés par rapport à des taux fixes et les pertes éventuelles pour faire en sorte qu’il n’y ait pas, d’une part, des gagnants à court terme, notamment dans la période précédant les échéances municipales, et d’autre part, des perdants qui aujourd’hui se tourneraient vers la responsabilité de l’État qui n’était pas partie prenante dans la décision initiale de souscription.

Troisième point, le contrôle de légalité n’a pas la capacité d’intervenir si ce n’est a posteriori et encore faudrait-il que ces contrats soient déclarés illicites ou illégaux. Les chambres régionales des comptes (CRC) exercent aussi un contrôle a posteriori. Dernière évocation, le rôle de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) qui a succédé à la Commission bancaire. Nous avons auditionné, ce matin, la secrétaire générale de l’ACP qui a évoqué la création d’un pôle commun ACP-AMF visant à contrôler les pratiques commerciales des établissements bancaires et financiers. Ce contrôle commun devrait vérifier que les pratiques commerciales de distribution de certains produits et de certains contrats soient autorisées par ces deux autorités.

M. Charles de La Verpillière. Je m’associe aux félicitations qui ont été adressées à notre rapporteur et à tous ceux qui l’ont aidé. Je reviens très rapidement sur deux points. L’idée de la renégociation mutualisée est excellente : il faut bien être conscient qu’elle n’aura des chances d’aboutir qu’avec les banques qui ont encore des perspectives et des espoirs de commercialiser des prêts aux collectivités territoriales et donc seront incitées à faire des gestes ; en revanche, ce sera peut-être plus dur avec Dexia qui n’a plus rien à perdre. Par ailleurs, l’idée d’une loi qui menacerait de caper a posteriori les contrats poserait un problème de constitutionalité au nom du principe de liberté contractuelle. Cela pourrait donner lieu à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

M. Patrice Calméjane. Ce type de commission représente bien un parlement moderne : par la transparence avec laquelle on peut travailler avec l’ensemble des collègues quelles que soient les étiquettes politiques, par les auditions et la clarté des questions qu’on a pu poser et bien entendu par le travail qui a pu être fait avec les personnels de l’Assemblée nationale. Pour revenir à notre sujet, je trouve que nous sommes aimables avec les personnes qui ont prêté serment et qui nous ont juré ne pas avoir vendu ce type de produits aux petites collectivités. Nous avons aussi auditionné des élus qui nous ont dit qu’ils n’en avaient pas pris. Il faut rappeler que des personnes ont prêté serment et nous ont raconté des histoires devant cette commission. Constatant ces mensonges, nous pourrions bénéficier d’un rapport de force favorable pour aider les collectivités qui ont un réel problème. Par ailleurs, ce sujet montre, premièrement, que nous touchons les limites des lois de décentralisation : nous voyons que revendiquer une extrême liberté de gestion peut entraîner des risques importants pour certaines collectivités. Aussi, alors que certains politiques ont sciemment fait des opérations d’embellissement de bilans ou de budgets à l’approche d’échéances électorales, il n’y a pas de sanctions, autres que démocratiques. Deuxièmement, il est vrai qu’il n’y a pas eu de contrôle des services comptables ou autres de l’État. En effet, les chambres régionales des comptes ou les comptables publics ne pouvaient exercer leur rôle de contrôle étant donné que la nature des produits concernés ne correspondait pas aux nomenclatures comptables des collectivités.

Enfin, je suis d’accord avec les mécanismes proposés par le rapporteur. Par contre, il y a un bémol concernant le nécessaire retournement de situation sur un certain nombre de produits. Je voudrais être un peu plus pessimiste que le rapporteur et dire que les ratios avec le franc suisse par exemple ne sont pas prêts de se retourner. Un élément pose également problème dans ces contrats : le calcul de la soulte de sortie qui doit être cotée, non par la banque concernée, mais par deux autres établissements proches. J’ai quand même un petit doute sur la façon dont tout cela peut être calculé de sorte qu’il serait souhaitable d’introduire un élément de neutralité dans le sujet. Pour finir, il faut demander à nos collègues des autres collectivités de s’ouvrir un petit peu plus concernant les éléments à rendre publics sur les dettes. Avoir un volume de dette c’est une chose, voir ce qu’il y a à l’intérieur c’est différent : il faut trouver des outils pour renforcer l’information de l’assemblée délibérante et des citoyens.

M. Jean-Louis Gagnaire. À mon tour de remercier le rapporteur, le président et les équipes de l’Assemblée nationale. On peut être satisfait du travail fait en commun dans une saine ambiance. En effet, il pouvait y avoir au départ une certaine méfiance par rapport à la situation de telle ou telle collectivité. Au fur et à mesure qu’on est rentré dans la « boîte noire », on a pris conscience du désastre. À cet égard, on a vu qu’il n’y avait pas quelques cas particuliers, mais un effet de contamination massive et on a à peu près compris le mécanisme mis en place avec la complicité ou à l’insu des élus, cela reste à déterminer au cas par cas.

Un aspect n’a pas encore été abordé, celui de la qualification des cabinets de conseil : il faut que nous ayons un système de certification de ceux-ci. Sur la question du contrôle de légalité, nous sommes à peu près tous d’accord : celui-ci n’est pas opérant en réalité tel qu’il est aujourd’hui exercé par les préfets. En revanche, il me semble que rien n’interdit que les chambres régionales des comptes soient consultées pour avis sur un certain nombre de produits qui sortent de l’ordinaire. Les CRC me semblent tout à fait aptes à fournir ce type d’avis dès lors que cela concerne des masses importantes de crédits ; c’est quand même la Cour des comptes qui a vu la première les risques encourus. Enfin, je pense inévitablement qu’il faut aller vers le provisionnement des risques dans la mesure où, ayant à faire à des produits capés, le risque sera connu. À titre de comparaison avec la comptabilité privée, la provision limite le risque, ce qui évite de bâtir des budgets insincères. Par ailleurs, les amortissements ne sont pas suffisamment utilisés par les grandes collectivités. Or, cela éviterait, pour les fins de mandats, de laisser des cadavres dans les placards. Autant le provisionnement des risques sur le passé est impossible, autant le provisionnement sur les prêts à venir doit être supportable.

Pour le reste, il faudra distinguer Dexia des autres banques. Dexia ayant été recapitalisée par la Caisse des dépôts et consignations à hauteur de six milliards d’euros, j’ai le sentiment que l’on a à faire à une structure de défaisance. Il ne faudrait pas que Dexia porte seule toutes les responsabilités : les autres banques ne doivent pas passer entre les mailles du filet. Enfin, je vous invite les uns et les autres à lire le compte rendu de la Commission des affaires économiques de ce matin avec Philippe Val, de la Banque Postale, qui a donné un certain nombre d’indications éclairantes sur les mécanismes mis en place.

M. Thierry Carcenac. Je me joindrai aux félicitations déjà exprimées quant au travail accompli. Je crois que l’état des lieux comme les propositions sont de bonne qualité.

S’agissant de l’autonomie des collectivités locales, je crois qu’il faut faire attention à la manière dont on peut encadrer celle-ci. Il nous faut toutefois renforcer la transparence, et les propositions du rapport vont en ce sens.

En ce qui concerne les contrôles, je rappelle que les collectivités locales payent des frais de conseil aux comptables publics. Étant donné que les indemnités des comptables publics sont plafonnées, les collectivités locales se substituent à l’État dans le financement de ces activités de conseil. Leur mission n’est donc pas seulement de contrôler les écritures comptables. Plutôt que de renforcer le contrôle de légalité du préfet, le trésorier-payeur devrait avoir connaissance du contrat d’emprunt. On pourrait ainsi avoir un mécanisme d’alerte, les trésoriers-payeurs étant formés et pouvant recevoir l’appui de l’agence France Trésor.

S’agissant des provisions, le principe ne me choque pas mais il est nécessaire que celles-ci soient plafonnées à un certain taux, par exemple au taux normal de marché. Dans le cas contraire, selon le type de taux et le type de produits, les provisions seraient plus ou moins élevées. Par exemple, pour les produits indexés sur la parité entre l’euro et le franc suisse dont les taux atteignent 24 %, les provisions seraient trop importantes. C’est pourquoi il serait préférable de les limiter au taux normal de marché.

Quant à l’insuffisance de liquidité, il s’agit ici d’une vraie préoccupation. Je me souviens qu’avant les lois de décentralisation, des conférences réunissant la caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales (CAECL), l’État et la totalité des banques avaient lieu pour discuter des investissements dans les départements. Avec ce système, lorsque le budget est voté, il est possible de connaître les investissements qui vont être réalisés et le montant des prêts qui vont être sollicités. On pourrait constituer un pool composé des différents banquiers afin de voir de quelle façon l’on peut répartir l’épargne locale, et le cas échéant, évaluer l’opportunité de recourir à d’autres moyens de financement via notamment une agence de financement intervenant directement sur les marchés. À l’échelle du territoire et en partenariat avec les banques, on devrait parvenir à trouver comment financer les collectivités locales. Ceci est d’autant plus nécessaire que toutes les collectivités vont dorénavant souscrire des emprunts à taux fixes ou des emprunts à taux variables autorisés par la charte Gissler, ce qui réduira les possibilités de financement.

M. Jean Proriol. Tout d’abord, je me félicite du bon déroulement de cette commission d’enquête. Je crois que M. le président, M. le rapporteur et tous les membres de la commission ont été à la hauteur de leur mission.

Ensuite, je m’interroge sur un point : il manque aux collectivités un relevé d’ensemble leur présentant l’état de leur endettement. Dexia faisait ce type de bilan et continue de le faire encore. Le trésorier-payeur en réalise quelquefois mais ne rédige pas les documents lui-même. Ne faudrait-il pas confier à un organisme la mission d’enregistrer les différents emprunts souscrits par les collectivités dans les différentes banques, qu’elles soient françaises, étrangères ou coopératives ?

M. le président. Tout d’abord, sur la question de la décentralisation, il est vrai que nous y sommes maintenant tous attachés. Lorsque l’on se rappelle les débats qui ont animé l’Assemblée nationale au moment où Pierre Mauroy présentait ses premiers textes, l’on voit les progrès qui ont pu être faits et l’on remarque que la décentralisation est aujourd’hui acceptée par tous.

Cependant, il faut que l’on se détermine : soit l’on considère qu’il faut préserver une autonomie totale, ce qui empêche d’appeler l’État en recours ; soit l’on fixe une règle du jeu, qui existe déjà dans bon nombre de secteurs. Le fait qu’il puisse y avoir une norme financière n’ôterait pas de pouvoir aux collectivités locales. Une autre solution consisterait à exiger que chacun des produits financiers mis sur le marché porte un label de l’État : s’il y a un tel label, l’État apporte sa garantie mais si les élus veulent sortir de ce secteur « surveillé », ils le peuvent.

Je pense qu’il faut que nous tranchions cette question car cela constitue l’un des éléments qui sera très observé par nos collègues élus et sur lequel nous sommes attendus. J’insiste sur ce point : il y a de nombreux sujets sur lesquels aujourd’hui les collectivités locales sont soumises à des normes. Chacun constate, qu’à tous les niveaux, il n’y a pas eu d’expertise suffisante : on en déduit qu’une norme devrait obliger les uns et les autres à porter une attention plus soutenue aux souscriptions d’emprunts.

J’ai eu l’occasion de vivre ces dysfonctionnements. Un rapport intermédiaire de la chambre régionale des comptes a été dressé, qui ne disait mot sur les produits structurés. Entre le rapport intermédiaire et le rapport définitif a été publié le rapport thématique de la Cour des comptes ; les membres de la chambre régionale des comptes ont souhaité récupérer leur document pour y effectuer des modifications.

S’il n’y a pas une norme financière a priori, comment voulez-vous qu’a posteriori les uns et les autres n’aient pas regardé de manière légère les différentes propositions faites aux collectivités locales en matière d’emprunts ? Sur ce point, je pense que cela est d’autant plus important que nous avons constaté une situation d’asymétrie grave de l’information entre les élus et les banques.

J’ai été très marqué par l’intervention de M. de Romanet, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Il a été très précis et a eu des gestes d’ouverture mais un point m’a un peu inquiété. Vous l’avez entendu rendre un hommage appuyé au personnel de Dexia qui a été maintenu. Mais la situation est tout de même compliquée car nous allons avoir une structure privée, avec du personnel privé, dont l’essentiel de l’activité concernera les collectivités qui ont des produits structurés, qui aura à négocier et donc à accepter des pertes au nom de ses actionnaires privés pour pouvoir sortir les collectivités des difficultés. Si tous les établissements doivent être cités, la responsabilité de Dexia est plus grande vu son rôle historique auprès des collectivités.

Quant aux provisions : même si la récente ordonnance de référé du TGI de Paris à propos de la ville de Saint-Étienne est intéressante, la ville a tout de même été obligée de provisionner. Cette question de provision porte plus sur le stock que sur le flux car sur ce dernier, nous proposons des solutions. Les provisions pourront être calculées sur la mesure du delta entre le taux et le cap. Il faut évidemment introduire une différence entre le stock et les nouveaux emprunts.

M. le rapporteur. Je vais répondre à un certain nombre de questions. D’une manière générale, sur la responsabilité, j’ai souligné dans le projet de rapport la bonne foi des collectivités, qui n’avaient pas les compétences nécessaires. Au départ, on a pensé que les banques ont fourni aux collectivités de l’argent bon marché pour leurs investissements. Mais ensuite, nous avons compris que les restructurations de prêts ont touché tout le monde, y compris les petites collectivités. Il y a au moins 1 700 collectivités de moins de 10 000 habitants qui ont contracté des prêts structurés. S’agissant des mensonges, je suis d’accord pour transférer tout cela à un procureur. Les produits sont incompréhensibles ; la démarche a été agressive. Quand on passe de 500 à 35 000 personnes dans une entreprise, il y a là une démarche agressive et on sent bien que les autres banques ont dû suivre ; et ce, d’autant que des banques étrangères sont arrivées en concurrentes sur le marché.

Sur la partie du rapport relative au diagnostic, on peut aller plus loin mais il faut tout de même que l’on puisse mettre tout le monde ensuite autour de la table. Ce qui m’intéresse, c’est que les collectivités confient un mandat de gestion du prêt, que les banques prennent une part du risque, et que l’État qui a été plutôt passif les oblige à une conciliation. Il s’agit d’un système qui permet que la charge de la toxicité soit portée par tous. L’idée est de dire que ce qui est toxique ce ne sont ni les collectivités dont on parle, ni les élus, ni les banques, mais les produits.

S’agissant des obligations, la clé de voûte du système, ce sont les provisions. La comptabilité privée le montre bien : la sincérité des comptes est garantie par la provision dans les deux sens, pour les dépenses comme les recettes à venir. Les provisions ne sont pas une dépense. Elles perturbent certes le ratio dette/autofinancement, mais il s’agit d’une dépense fictive. Si l’on impose un cap, on provisionnera quelque chose de très faible qui tombera tous les ans. C’est une dette fictive qui est remise en cause tous les ans. Je vous mets en garde quant au point suivant : on a aujourd’hui des emprunts à taux fixe et à taux variable, dont les produits structurés ; le produit de demain, nous ne le connaissons pas encore. La banque doit toujours gagner sur l’intermédiation, sur le prix de l’argent et sur les mouvements. Pour la protection, on pourrait dire que ce n’est pas la taille de la commune qui importe. À partir du moment où l’on met un capping et que l’on provisionne, on tient le système mécaniquement et on l’a protégé. On ne peut pas faire intervenir le trésorier-payeur, ce n’est pas son rôle. En revanche, on doit renforcer le contrôle de la sincérité des comptes au niveau du préfet : on ne peut laisser en dehors du contrôle une partie des comptes d’une collectivité. La provision est une charge fictive qui rétablit la sincérité des comptes.

M. Henri Plagnol. Je mets en garde les membres de la commission quant à la préconisation d’un système lourd de provisions, car je crains que cela ne bloque la capacité des collectivités à souscrire des emprunts.

M. le rapporteur. La provision est un moyen d’empêcher la collectivité de se risquer à une gestion financière dangereuse ; si les collectivités avaient inscrit par elles-mêmes de manière volontaire cette charge dans leurs comptes, le déséquilibre que risquait d’entraîner l’emprunt aurait été visible et les situations que nous connaissons ne se seraient pas produites.

Je propose que si une collectivité entre dans le dispositif proposé par mon rapport, elle n’ait pas à effectuer de provisionnement pour ses emprunts passés. Pour l’avenir, il me paraît essentiel de prévoir ce mécanisme comptable, qui correspond d’ailleurs aux exigences de l’instruction M14, selon lequel la collectivité inscrit une provision calculée par rapport à un taux d’intérêt EURIBOR + N à fixer. Je redis qu’il s’agit d’une charge fictive revue tous les ans. La conséquence n’en sera d’ailleurs pas très lourde si on adopte concomitamment le principe d’emprunt capé. Ainsi, les collectivités seront protégées à l’avenir des nouveaux produits financiers de gestion dynamique qui seront certainement imaginés par les cerveaux fertiles des établissements bancaires.

La Commission bancaire n’avait pas pour mission de protéger les clients emprunteurs des banques ; ce sera maintenant inscrit dans la mission de l’Autorité de contrôle prudentiel.

L’idée de sanctions émise par M. Calmejane est pertinente : les représentants des banques n’ont pas tous été de bonne foi lors de nos auditions, je considère même que les représentants de Dexia ont clairement menti sur plusieurs points. La responsabilité de certains élus est lourde également, lorsqu’ils ont signé un emprunt entre les deux tours des élections locales.

J’approuve la suggestion d’une labellisation des cabinets de conseil. Ce serait un progrès, car la Commission a constaté des situations alarmantes en ce domaine.

M. Dominique Baert. Un système de provisions pourrait être visé par le trésorier-payeur municipal, ce qui constituerait un élément d’analyse et d’alerte.

M. Patrice Calméjane. Il serait tout de même important que le Trésorier-payeur général puisse regarder la teneur du contrat lorsqu’il procède au paiement. Ainsi, dans le cas d’un produit d’emprunt complexe, il pourrait émettre un avis, une alerte, transmis à la collectivité.

M. Dominique Baert. La révision générale des politiques publiques a fait du TPG le chef des services économiques et financiers de l’État en région ; il me semble que le préfet n’interviendra plus ce domaine.

M. le rapporteur. L’analyse faite par le trésorier-payeur municipal donnerait en effet une information complémentaire. L’équilibre à établir n’est pas facile : il convient de préserver l’autonomie de gestion des collectivités, et imposer un seuil en fonction du nombre d’habitants paraît délicat car on a vu que des erreurs avaient été commises dans de grandes collectivités, et qu’il peut y avoir des compétences de gestion financière dans une petite collectivité.

Si l’encadrement juridique des produits financiers eux-mêmes est suffisamment précis, on peut éviter de créer un seuil entre les différentes collectivités selon leur taille et éviter cette forme d’inégalité.

M. Dominique Baert. Il convient d’être prudent dans la formulation du système de provision qui sera proposé. Je viens d’assister à un rapport de la chambre régionale des comptes consacré à la Communauté urbaine de Lille : deux préconisations posent difficulté, et ce sont justement la définition des documents annexes au compte administratif et le provisionnement. La chambre le préconise, mais n’indique pas sur quelle base. La provision doit être adossée au risque, mais la difficulté est d’évaluer ce risque : si nous prenons le « mark to market » de l’ensemble du stock de la dette, nous aboutissons à une provision négative de 170 millions d'euros, ce qui donne une provision matériellement impossible à inscrire. Beaucoup de collectivités peuvent se trouver dans ce cas de montants très importants. Pourtant, cela représente juste le coût de cession d’une créance présentée sur le marché, c’est très aléatoire. Y a-t-il lieu de le fixer à 10 %, ou à 5 % du mark to market ? Pourquoi provisionner intégralement aujourd’hui un risque futur et incertain, sur une durée de vingt-cinq ans par exemple ?

M. le président. La provision pourrait être fonction du taux qui aurait dû être payé selon le marché. Sur la base d’un taux fixe à vingt ans par exemple.

M. Dominique Baert. Oui, mais les opérations peuvent être « swapées » six ou sept fois, et par conséquence les flux ne seront pas faciles à reconstituer et la collectivité risque d’être obligée de demander au prestataire bancaire de la calculer avec des modèles économiques. Je suis d’accord sur la nécessité de provisionner mais il ne faut pas valider l’idée que l’intégralité de la provision doit être établie sur le mark to market.

M. le président. À propos de responsabilité des élus, je précise, pour votre information, qu’en ce qui concerne un dossier du département de la Seine-Saint-Denis qui a été porté en justice, le contrat d’emprunt avait été signé le 8 février 2008 soit juste avant les élections cantonales. Lorsque le fonctionnaire des services financiers a fait l’appel aux fonds, le document n’a été soumis ni à l’élu aux finances, ni encore moins au président du conseil général. Voici un exemple de la manière dont ces dérives pouvaient intervenir : le fonctionnement des collectivités locales est donc largement améliorable.

En conclusion, je vous invite à prendre connaissance du rapport qui sera mis à votre disposition. Vous pourrez proposer de joindre des contributions à ce rapport, que vous ferez parvenir au secrétariat de la commission.