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Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mardi 6 décembre 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Claude Bartolone, Président

Adoption du rapport

La Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux s’est réunie le mardi 6 décembre 2011 à 17 heures, sous la présidence de M. Claude Bartolone, pour examiner le rapport d’enquête de M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur.

M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, cette réunion est la dernière puisque les travaux de notre commission d’enquête, créée le 8 juin 2011, prendront fin le 8 décembre lorsque nous remettrons notre rapport au président de l’Assemblée nationale.

Nombre d’entre vous en sont convenus lors de notre précédente réunion, ces travaux, qui se sont déroulés dans un climat d’écoute et de coopération particulièrement favorable, ont été à la fois éclairants, édifiants et constructifs.

Éclairants, car les données que notre rapporteur a obtenues et synthétisées fournissent un état des lieux et des chiffres incontestables, qui permettent de mesurer l’ampleur du problème. Avec 10 690 prêts structurés recensés, qui représentent un encours d’emprunts à risque de 18,8 milliards d’euros, on ne peut plus soutenir, comme le faisait notamment le Gouvernement au début de nos travaux, que le problème est limité à quelques cas isolés parmi les grosses collectivités.

Édifiants, car nos auditions ont montré comment les établissements bancaires, avec lesquelles les acteurs publics locaux avaient historiquement noué des relations de confiance, leur ont proposé de façon systématique, notamment à de nombreuses petites communes qui ne disposaient pas des outils nécessaires à la gestion financière du risque, des produits potentiellement toxiques. Ces emprunts indexés sur des formules toujours plus complexes, toujours plus exotiques, se sont développés sans provoquer de réaction de l’État, qui a manqué à sa mission de surveillance et de contrôle des pratiques commerciales des prêteurs au secteur local.

Enfin, nos travaux ont été constructifs : la commission d’enquête a cherché à déterminer les responsabilités de chacun, mais aussi la manière dont les acteurs publics pourraient apurer les éléments toxiques de leur endettement. Nous nous sommes également accordés sur la nécessité de règles propres à épargner désormais aux collectivités et aux établissements publics les conséquences financières de risques sous-jacents dont ils ne peuvent mesurer toute la portée.

Notre rapporteur, M. Jean-Pierre Gorges, a présenté la semaine dernière ses propositions sur la gestion du stock des emprunts à risque et sur les mesures à adopter. Le projet de rapport a été mis, comme c’est la règle, à la disposition des membres de la commission d’enquête du vendredi 2 décembre à aujourd’hui à seize heures. Certains d’entre vous en ont pris connaissance et ont fait part de leurs points de vue au rapporteur, lequel va nous préciser le sort qu’il a réservé à leurs remarques. Nous devons aujourd’hui nous prononcer sur ce projet de rapport. S’il est adopté, il fera l’objet d’un dépôt au Journal officiel et, sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret, il sera imprimé et distribué.

M. Gorges et moi-même présenterons le résultat des travaux de la commission d’enquête au cours d’une conférence de presse qui aura lieu le 15 décembre à midi. Je remercie ceux de nos collègues qui ont déjà annoncé qu’ils se joindraient à nous. Dans l’intervalle, aux termes de l’instruction générale du Bureau, le rapport doit rester confidentiel. Vous avez été invités à transmettre au secrétariat de la commission, avant le 7 décembre à midi, vos éventuelles contributions écrites, qui pourront être publiées en annexe.

À l’issue de ce travail, nous offrons aux acteurs publics la perspective de sortir d’une passe dangereuse. Je rappelle qu’à peine 50 % des produits sont sortis de la période de bonification. Nombre des personnes que nous avons auditionnées nous l’ont confirmé, le problème que nous nous sommes donné tant de mal à mettre au jour est encore à venir.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Notre commission ayant examiné mes propositions mercredi dernier, j’indiquerai simplement les précisions qui résultent des observations formulées par plusieurs membres au cours de notre précédente réunion ou après consultation du projet de rapport.

Tout d’abord, les banques sont encore plus sévèrement mises en cause. Le projet de rapport ne permettra pas à leurs représentants de s’exonérer de leurs responsabilités. Cela étant, il paraît difficile d’employer des termes relevant de l’incrimination pénale, bien que nous ayons découvert que 1 700 collectivités de moins de 10 000 habitants avaient contracté des prêts à risque après que certains nous avaient certifié sous serment qu’ils n’avaient pas démarché les petites collectivités…

Les responsabilités de l’État à travers ses différentes administrations sont elles aussi clairement décrites. Nous avons également mentionné la responsabilité certes ambiguë des agences de notation, qui ne notent qu’une vingtaine de collectivités, mais qui ont commis des erreurs.

Nous affirmons ensuite la nécessité d’encadrer le secteur du conseil financier aux acteurs publics locaux, comme l’a proposé plusieurs fois M. Gagnaire : la vérification des qualifications nécessaires, la certification des intervenants et le recours à une charte de bonnes pratiques sont désormais requises. On a vu en effet que, dans certaines grandes villes, les conseillers financiers avaient été recrutés « à la bonne franquette » malgré leur rémunération élevée et les conséquences potentielles de leurs actes.

En outre, nous encourageons le recours aux émissions obligataires et à une agence mutualiste de financement des collectivités territoriales. J’ai personnellement l’intention de recourir, pour ma ville, aux émissions obligataires, seul moyen de pallier le manque de liquidité, à moins de me tourner vers les banques chinoises qui me démarchent très activement.

Par ailleurs, l’interdiction des produits structurés aux petites communes et aux petits établissements publics a été supprimée des préconisations, afin de ne pas distinguer les acteurs locaux en fonction de leur taille. En effet, cela n’est pas justifié dès lors que nous encadrons suffisamment la gestion des emprunts : le maire d’un village peut être très compétent, alors que les grandes communes n’ont pas fait la preuve qu’elles disposaient des compétences nécessaires.

Si l’obligation de provisionnement pour risques a été maintenue, il est précisé que « ces provisions devraient être fixées à un niveau minimal, pour ne pas peser sur la capacité d’investissement des acteurs publics locaux, tout en étant suffisamment dissuasives pour décourager la prise de risque que recèlent certains produits structurés ». Le principe du provisionnement obligatoire a gêné certains d’entre vous. Mais lui seul a fait quasiment disparaître les produits toxiques dans le secteur marchand, comme M. Gagnaire l’a rappelé. Il faut absolument le dire dans le rapport. D’autre part, seule l’obligation des provisions garantit la sincérité d’une comptabilité, dans un sens comme dans l’autre, d’ailleurs : on est aussi fautif si l’on perçoit un produit alors que l’on a levé l’impôt en vue d’une charge.

Enfin, ce principe incitera les collectivités, y compris celles qui bénéficient encore de la période bonifiée, à confier leurs prêts toxiques au pôle d’assistance et de transaction dans le délai de six mois qui leur sera imparti, puisque celles qui ne l’auront pas fait devront provisionner pour compenser le risque de taux. Les collectivités auront le marché en mains sachant que, plus l’opération intégrera de collectivités, notamment en période de bonification, plus elle sera avantageuse pour tout le monde. Les collectivités qui n’entreront pas dans la structure devront provisionner les risques pris.

Le seuil de provisionnement sera fondé sur un prix de marché : soit sur le taux d’usure, soit sur le taux de marché sous la forme « Euribor + x », afin de protéger la collectivité malgré la variabilité du taux sur l’année. On ne peut pas exonérer les collectivités du respect de la règle d’or au moment où l’on envisage de l’étendre à l’État, qui pourrait lui aussi être amené à provisionner compte tenu des variations de taux auxquelles sont soumis ses emprunts.

Ensuite, afin d’éviter que des emprunts ne soient conclus juste avant ou pendant les élections, ce qui soustrairait le responsable à l’obligation d’en rendre compte et empêcherait tout contrôle démocratique, il est proposé que les délégations consenties par les assemblées délibérantes aux exécutifs locaux prennent fin dès l’ouverture de la campagne officielle. Il est indispensable de le préciser, car si la déontologie interdit par exemple de signer un gros contrat de délégation de service public (DSP) juste avant l’échéance électorale, on nous a fait part de situations incroyables où les élus avaient conclu des contrats entre les deux tours ! Cela étant, si une urgence survient au cours de ces quelques semaines, l’assemblée délibérante pourrait autoriser une souscription d’emprunts par délibération expresse. Dans ce cas, la décision sera transparente et pourra même nourrir le débat politique.

Des parlementaires et des représentants des élus locaux participeront au pôle d’assistance et de transaction, pour que les collectivités concernées ne soient pas seules avec les représentants de l’administration et les banquiers. Ce pôle ne sera toutefois pas une structure dotée de la personnalité juridique, qui nécessiterait l’adoption préalable d’une loi, car il doit être mis sur pied très rapidement : chaque jour, en effet, des emprunteurs sortent de la période bonifiée, ce qui, on l’a vu, pénalise tous ceux qui prendront part au processus de transaction.

Les grands principes de la renégociation ont été précisés.

Les gains réalisés par la personne publique du fait de la bonification des taux d’intérêt devront être réintégrés dans le bilan des charges financières dont elles sont redevables. Quand on défait, on défait tout !

Les banques prendront en charge les encours à risque dans le cadre de la renégociation des prêts existants. Il leur reviendra de gérer ces encours toxiques comme elles le souhaitent, par débouclage immédiat ou conservation des positions jusqu’à éventuelle amélioration de la situation sur les marchés. Par exemple, si la renégociation aboutit à un taux fixe de 5 % mais que la banque obtient par la suite sur les marchés un taux de 3 %, elle dégagera deux points de marge supplémentaires, et sera gagnante, mais il faut jouer le jeu jusqu’au bout. Ceux qui veulent éviter cela n’ont qu’à en rester aux conditions antérieures. Si les banques sont fautives, c’est uniquement dans la mesure où elles ont traité les collectivités comme des entreprises, sans tenir compte de la différence entre le cycle des emprunts structurés, qui se retourne au bout de deux, trois ou quatre ans, voire davantage, et le cycle annuel auquel obéissent les collectivités du fait de la règle d’équilibre budgétaire. Peut-être faudrait-il le dire plus explicitement.

Enfin, en ce qui concerne la menace ultime d’une intervention du législateur pour limiter le montant des intérêts, nous avons pris en considération les observations des meilleurs juristes de la commission d’enquête, en particulier Charles de La Verpillière. La loi ne peut modifier un contrat de manière rétroactive sauf pour un motif d’intérêt général suffisant ; or, ici, 5 000 collectivités sont concernées.

De ce point de vue, l’ordonnance de référé rendu le 24 novembre dernier concernant la Ville de Saint-Étienne me semble très importante bien qu’elle ne tranche pas sur le fond : saisi en référé par la Royal Bank of Scotland PLC, le tribunal de grande instance de Paris a estimé que, dans l’attente de la décision sur le fond, la cessation du versement des échéances de ses emprunts par la ville ne constituait un trouble manifestement illicite, dans la mesure où la légalité des produits spéculatifs souscrits par la collectivité était sérieusement contestée par le juge du fond.

Il est normal de rembourser le capital et une partie des intérêts. Mais cette ordonnance de référé est un avertissement : si les 18 milliards d’encours étaient bloqués pendant des années par des procédures judiciaires, qui paierait finalement le portage ? Ni les collectivités ni les banques n’ont intérêt à s’engager dans cette voie judiciaire potentiellement très coûteuse. Nous proposons donc une prise en charge des frais de portage de la toxicité en attendant le retournement du cycle du produit, dont la banque pourrait profiter.

M. Henri Plagnol. Je remercie le rapporteur et les fonctionnaires qui l’assistent d’avoir intégré aussi vite au rapport les éléments que je leur ai transmis hier en fin d’après-midi.

Je reste inquiet des conséquences de l’obligation de provisionnement, même dans sa nouvelle rédaction, sur les collectivités dont les finances sont les plus dégradées. Je comprends que ce principe incite à la vertu et soit idéalement souhaitable, mais il asphyxiera leurs capacités d’emprunt et d’investissement.

Ce point est toutefois mineur au regard de ma préoccupation principale : les conditions des nouveaux contrats issus de l’accord global de transaction. J’en approuve tout à fait l’esprit général, et je sais gré au rapporteur d’avoir déjà intégré une partie de mes observations. Mais notre rapport sera lu de près et nous devons être particulièrement vigilants. Or la rédaction est imprécise voire contradictoire.

Je suis d’accord avec le premier principe : les gains résultant des taux d’intérêt bonifiés doivent être réintégrés dans le bilan des charges financières dues par les collectivités, car rien ne justifie que celles-ci gagnent de l’argent. Selon le deuxième principe, « la charge d’intérêts supérieure à un taux “normal”, correspondant au taux fixe ou variable que le marché proposait à la date de souscription de l’emprunt à renégocier, devra faire l’objet d’un effort financier réparti entre la collectivité et l’établissement prêteur ». Si cela renvoie au fait que la collectivité renonce à la bonification, soit ; mais s’il s’agit d’un autre partage, je ne suis pas d’accord. La rédaction devrait être précisée, afin de ne pas être en contradiction avec le troisième principe : « les nouveaux contrats de prêt, à taux fixe ou à taux variable, consacreront ainsi le portage par les banques de la partie toxique des emprunts ».

Enfin, je regrette que l’on ne mentionne pas, sous forme d’une incidente, l’éventualité que la Caisse des dépôts contribue au portage pour ne pas affecter la solvabilité des banques. Le directeur général de la Caisse nous a semble-t-il été ouvert à cette solution et cela rassurerait collectivités et banques.

Pour le reste, je salue ce très bon rapport.

M. le rapporteur. Premièrement, je rappelle que les emprunteurs qui confieront leurs contrats d’emprunts au pôle d’assistance et de transaction n’auront pas à inscrire de provisions. Les autres devront le faire, car le contraire reviendrait à nier le caractère toxique des produits. Deuxièmement, leur démarche volontaire devrait être soutenue par les services de l’État en s’abstenant de mettre en cause la sincérité des comptes pendant la période de négociation de la solution mutualisée.

Sur le second point, la collectivité ne peut pas se contenter de renoncer à sa bonification : ce serait trop facile, car il y a eu des pertes liées aux risques pris. Il faut donc qu’elle porte aussi la partie toxique, mais cette charge peut être raisonnable. La banque conservera la toxicité, et la collectivité assumera le coût du portage.

C’est certainement la Caisse des dépôts qui garantira le coût de portage le moins élevé. Mais, de toute façon, la banque devant provisionner, le dilemme est de savoir si Dexia devra se financer sur le marché, où elle s’expose à des risques considérables, ou bien se tourner vers la Caisse des dépôts. Quoi qu’il en soit, il faut imputer à la collectivité le portage de la toxicité, qui ira en diminuant au fur et à mesure de l’amortissement du prêt. C’est le minimum.

M. Henri Plagnol. La rédaction, qui mentionne « un effort financier réparti », n’est donc pas assez précise. En l’état, elle va dissuader certaines collectivités d’entrer dans le processus de transaction. Aujourd’hui, la médiation Gissler me permet d’obtenir à peu près l’équivalent de ce que nous nous apprêtons à proposer !

M. le rapporteur. La rédaction sera précisée en ce sens. En tout cas, nos propositions seront bien plus avantageuses que ce que l’on peut attendre de la médiation Gissler.

M. Henri Plagnol. N’oublions pas que ce sont les gestionnaires actuels des collectivités qui vont assumer la hausse d’impôts correspondant à ces frais financiers, supérieurs aux frais d’aujourd’hui. Il ne faut donc pas mettre la barre trop haut.

M. le rapporteur. Mais nous ne devons pas verrouiller par avance la négociation. N’incitons pas les banques à engager une action en justice ! Je vous ai donné un ordre de grandeur : pour les collectivités, le coût supplémentaire au taux du marché est marginal.

M. le président. Je comprends le problème. Mais M. Plagnol n’a pas tort : si nous jugeons que ce sont les banques qui portent la plus lourde responsabilité, nous ne pouvons trop en demander aux collectivités.

M. le rapporteur. Les collectivités ont aussi une responsabilité. C’est pourquoi elles doivent financer le portage de la toxicité.

M. le président Claude Bartolone. Oui, mais M. Plagnol relève un autre risque : si le coût du portage est trop important, elles se retrouveront dans une situation dangereuse.

M. Henri Plagnol. La rédaction consacre le portage de la partie toxique par les banques et répartit l’effort financier entre les collectivités et l’établissement prêteur. Il est nécessaire de préciser cela avant adoption du rapport.

M. le président. Puisqu’il s’agit d’un point sensible, nous laisserons au rapporteur le soin de peaufiner la rédaction.

M. Marc Francina. Le seuil de 10 000 habitants me pose problème. Pour les communes classées station de tourisme, cela peut déboucher sur des situations difficiles.

M. le rapporteur. C’est pour cela que nous avons supprimé toute différenciation en fonction de la taille des communes. Ce problème est résolu.

M. Serge Janquin. L’ampleur et la gravité des problèmes avaient de quoi nous inquiéter. Nous étions au pied d’un volcan en éruption. Si celui-ci n’est pas éteint, nous voyons du moins comment protéger les collectivités et les établissements publics qui vivent à sa base.

Je salue les propositions du rapporteur, mais la question de M. Plagnol est judicieuse. Il faut gérer l’arbitrage, sans préjuger du résultat – puisque le pôle devra négocier le partage des responsabilités – et en apportant cependant des garanties afin qu’on ne pénalise pas les collectivités plus que de raison. Pour définir cet équilibre, je suggère la formule : « à due proportion des responsabilités des uns et des autres. » L’expression ne préjuge pas de la solution qui prévaudra lors de l’arbitrage collectif.

Enfin, puisque les collectivités préparent le budget pour 2012, il faut préciser les montants à provisionner pour éviter tout rejet par l’organisme de tutelle. Le rapport peut-il formuler une proposition, du type « Euribor + points », qu’elles pourraient opposer en cas de contrôle ?

M. Marc Goua. Je partage les craintes de M. Plagnol. Pourquoi ne pas écrire que l’emprunt renégocié fera l’objet d’un effort financier réparti entre la collectivité et l’établissement prêteur, en instaurant une limite, par exemple le taux moyen constaté pour les nouveaux crédits, éventuellement assorti d’une marge de 100 points de base ? Après avoir été anormalement faibles pendant des années, les taux reviennent à la normale avec le retour de l’inflation. Du coup, certaines banques présentent des propositions avec des marges plus importantes. Si chacun doit assumer ses responsabilités, il me semble néanmoins essentiel de prévoir une limite, sachant que la rédaction actuelle – selon laquelle l’effort financier sera « réparti entre la collectivité et l’établissement prêteur » – n’a pas de traduction concrète.

M. Henri Plagnol. Exactement !

M. Patrice Calméjane. Je vous ai adressé en début d’après-midi une contribution. Vous souhaitez interdire aux représentants des collectivités de contracter des emprunts en période préélectorale,…

M. le rapporteur. Non, ce n’est pas ce que je propose.

M. Patrice Calméjane. …mais l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales dispose déjà que « Le maire peut […] être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat […] de procéder, dans les limites fixées par le conseil municipal, à la réalisation des emprunts destinés au financement des investissements prévus par le budget. » Appuyons-nous sur la loi en vigueur avant d’en rédiger une autre. Le problème vient de ce que des conseils municipaux n’ont pas limité le pouvoir des maires, ou que des élus ont renégocié des emprunts supérieurs à l’autorisation. Les mesures proposées risquent tout au plus de priver les collectivités d’opportunités d’acquisitions intéressantes pendant les quatre mois qui entourent l’élection. N’entravons pas la gestion du quotidien !

Enfin, dans un souci de lisibilité, je propose d’indiquer à la fin du rapport les ratios actuels demandés aux collectivités territoriales et les informations complémentaires qui devront désormais être apportées aux conseils municipaux et aux citoyens.

M. Jean-Louis Gagnaire. Si juste que soit son analyse, un rapport d’enquête ne crée pas en lui-même de droits nouveaux. Cependant, il pourrait comporter en annexe une marche à suivre expliquant ce qu’il est possible de faire, compte tenu de la réglementation et de la législation actuelles, et les premières mesures réglementaires à prévoir, puisqu’il est impossible de légiférer pendant les prochains mois. Nous pourrions accompagner ce mode d’emploi d’un calendrier destiné à inscrire notre travail dans la durée, puisque, même après les échéances électorales, nous ne lâcherons pas prise. Tel est le message qu’il faut faire passer aux banques et aux élus.

En principe, on ne négocie pas des emprunts en période électorale, mais ce sera toujours possible, en procédant à une convocation expresse de l’assemblée délibérante. Cela dit, même si les collectivités bien gérées n’en souscrivent pas à ce moment-là, il n’est pas impossible qu’une opportunité se présente. La commission pourrait se contenter de rappeler que les collectivités doivent faire de l’abstention de souscrire des emprunts à de telles périodes une règle normale de gestion sur le plan déontologique sinon juridique.

M. le président Claude Bartolone. Le rapport d’enquête ne peut évidemment pas modifier la loi. Ayant mesuré l’ampleur du désastre, nous avons cherché à en sortir par un compromis. Écartant l’idée que toutes les collectivités ou les banques aillent en justice, le rapport propose une solution médiane, plus intéressante pour tous, mais ses préconisations sont nécessairement limitées. Si nous promettions aux collectivités que l’État supportera tous les frais, vous seriez nombreux à dénoncer cette dérive gauchisante ! On ne peut pas non plus ne rien proposer aux collectivités et les renvoyer aux propositions des banques, qui sont prohibitives. Quant à la négociation Gissler, il faudrait un siècle pour la mener collectivité par collectivité. À tout le moins, nos propositions pourront être reprises par des décrets gouvernementaux ou renvoyées à la prochaine législature.

M. le rapporteur. Le but de la commission d’enquête est non d’écrire les procédures mais de définir une méthode pour amener tout le monde à s’installer autour de la table, sachant que les banquiers ont commis suffisamment de fautes pour courir un risque en allant devant les tribunaux.

Cela dit, chacun a le droit de conserver un prêt. La collectivité que je dirige en a souscrit deux : un emprunt Helvétix, dont la période bonifiée court jusqu’à fin 2012, et pour lequel je suis prêt à entrer dans le dispositif, et un prêt euro-dollar et euro-franc suisse, dont la variation paraît raisonnable. L’an dernier, où nous avions constitué une provision sur la base d’un taux de 10 %, celui-ci s’est maintenu à 6,25 %, ce qui a dégagé un excédent de 200 000 euros.

La solution proposée par M. Gissler consiste à faire payer aux collectivités une soulte en plus du capital, tout en prolongeant l’emprunt sur des années. C’est la méthode qu’on propose aux particuliers surendettés : on transforme leurs mensualités de 500 euros sur dix ans en mensualités de 400 euros sur vingt ans, mais je me méfie du financement à la Crazy George’s ! Dès lors que les collectivités apportent une masse importante, la banque peut prévoir une structure pour la gérer, à charge pour les collectivités de porter les sommes qu’elles n’auront pas versées en attendant des jours meilleurs. Nous proposons un partage du risque : la banque prendra la toxicité, avec le risque de la conserver, quand les collectivités paieront – le moins cher possible –, le portage de la toxicité. Si nous avions négocié à un taux normal, nous aurions obtenu l’Euribor majoré d’une marge de l’ordre de 200 points de base. Ajoutons à cette somme les frais liés au portage de la toxicité. Si nous en sortons ainsi, c’est l’idéal ! Mais M. Janquin a raison : évitons une rédaction fermée. Ne compromettons pas, par une formule trop stricte, le regroupement des collectivités, qui les mettra en position de force dans la négociation. À côté des autres possibilités – conserver l’emprunt, aller en justice ou recourir à la médiation –, nous proposons une solution originale, alors que, si chaque collectivité agit pour son compte, la jurisprudence sera contradictoire, les procédures mettront des années à aboutir et les élus peuvent avoir à payer des soultes ou des intérêts très élevés. Il faut conjurer cette menace, sans priver les collectivités des outils dont elles disposent actuellement. Cela dit, il convient sans doute de distinguer plus nettement les intérêts et le portage de la toxicité.

Mme Valérie Fourneyron. Je salue la qualité du rapport et j’insiste sur le problème du court terme. Quelle que soit la solution retenue, quelles provisions faut-il inscrire dans le budget de 2012 pour qu’il passe le contrôle de légalité ?

M. le rapporteur. Les collectivités qui entreront dans le dispositif n’auront pas de provision à constituer, puisqu’elles bénéficieront d’un retour à un taux normal. En revanche, les autres devront le faire, ce qui les incitera à rejoindre la transaction. Tant que durera la procédure de règlement, il faut que l’État contrôle la sincérité des budgets en tenant compte de la situation.

M. le président Claude Bartolone. Certains élus des petites collectivités ont annoncé qu’ils démissionneraient si on les oblige à provisionner les sommes attendues.

M. le rapporteur. Le rapport devra être plus précis sur les obligations des préfets : il ne faut pas instaurer dès le 1er janvier 2012 une obligation de provisionnement, en attendant que la procédure se mette en place.

Monsieur Calméjane, c’est l’assemblée délibérante qui donne délégation au maire…

M. Patrice Calméjane. Certains maires ont souscrit un emprunt de 100 millions, alors qu’ils n’avaient pas la possibilité de le faire.

M. le rapporteur. La procédure de contrôle par les élus n’a pas fonctionné, et le problème est le même avec les délégations de service public : à quoi s’engage un maire qui signe une DSP de 50 millions d’euros juste avant les élections ?

Mme Valérie Fourneyron. La souscription des emprunts a lieu aujourd’hui dans un contexte très différent. Auparavant, les élus attendaient la fin de la mandature, mais ceux qui ont attendu fin 2011 pour contracter un prêt se heurtent à la faiblesse des liquidités bancaires et à l’explosion des marges. Il est probable que les levées d’emprunt s’effectueront plus tôt, lors de la prochaine législature.

M. Daniel Boisserie. Je m’interroge sur un passage évoquant la possibilité, au cas par cas, d’envisager une subvention d’équilibre afin de permettre le rétablissement du budget des plus petites collectivités, dans certains cas. De quelle subvention s’agit-il ? Serait-elle ponctuelle ou renouvelable ?

M. le rapporteur. La procédure existe déjà pour les communes se trouvant dans une situation budgétaire impossible à résoudre, qui a été évoquée par M. Richert. Je n’étais pas très favorable à cette éventualité, mais, même si nous réglons 95 % des cas, il restera toujours des situations insolubles. On ne peut demander au dispositif de régler toutes les difficultés, sans quoi il deviendra une usine à gaz. Laissons à l’État le soin de dénouer les cas les plus difficiles, et traitons le cas des 5 000 collectivités confrontées au même problème.

M. Daniel Boisserie. Le passage ne concerne que les petites collectivités, particulièrement fragiles ?

M. le rapporteur. Si elles possèdent les mêmes produits que les autres, ils seront défaits en même temps par le traitement que nous proposons.

L’État fera ce qu’il fait déjà aujourd’hui pour les collectivités en difficulté avérée. Mais il ne s’agit pas de donner à l’État le rôle de garant.

M. le président. Quand nous les avons auditionnés, le ministre et les représentants de la direction générale des collectivités locales (DGCL) ont dit n’avoir reçu aucune demande de subvention d’équilibre. Selon le directeur de la DGCL, une telle opportunité serait complexe à mettre en œuvre, mais je me suis assuré qu’elle existe.

Je rappelle que, dans une commission d’enquête, il revient au rapporteur de prendre ou non en compte les amendements au rapport qui lui sont adressés.

La Commission adopte le rapport de M. Jean-Pierre Gorges à l’unanimité.

M. le président Claude Bartolone. J’ai eu plaisir à présider cette Commission. Grâce à vous, je me suis senti moins seul. La situation a changé depuis que j’ai posé pour la première fois le problème des produits structurés, au congrès de l’Assemblée des départements de France, à Orléans. Nous avons mis en évidence le nombre de collectivités touchées, tout comme la complexité du dossier et les dangers qu’il représente.