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Mardi 2 octobre 2007

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 1

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, M. Jean-Pierre Mustier, directeur général adjoint du groupe Société Générale, M. Richard Hunter, directeur général de l’agence de notation Fitch Ratings, M. Michel Aglietta, économiste, conseiller scientifique du CEPII, M. Henri Bourguinat, économiste, fondateur du laboratoire d’analyse et de recherche économiques, sur la crise financière 2

Commission des Finances,
de l’économie générale et du Plan

Le Président Didier Migaud, après avoir souhaité la bienvenue à M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, à M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, à M. Richard Hunter, directeur général de Fitch Ratings, à M. Jean-Pierre Mustier, directeur général adjoint du groupe Société Générale, à M. Michel Aglietta, économiste, et à M. Henri Bourguinat, économiste, et rappelé les différentes étapes de la crise financière qui s’est déclenchée cet été, a expliqué qu’au moment de s’engager dans l’examen de la loi de finances, la commission des Finances souhaitait mieux appréhender les raisons de cette crise et ses conséquences sur l’économie réelle, en particulier en Europe et en France.

S’adressant à M. Christian Noyer et à M. Jean–Pierre Mustier, le Président Didier Migaud a demandé, s’agissant de la politique de crédit bancaire, ce qu’il faut penser des règles prudentielles en vigueur et ce qu’on peut attendre de la réglementation dite Bâle II ?

Les banques françaises envisagent-elles de modifier leur politique de crédit, notamment à l’égard des entreprises, le gouverneur de la Banque de France peut-il apporter des précisions sur l’exposition des établissements bancaires, sur la qualité de leurs risques et sur la marge de manœuvre de la Banque centrale européenne ? À cet égard il faut rappeler que M. Christian Noyer est dans la « période de silence » – en l’occurrence sur les taux – à laquelle sont soumis les membres du conseil des gouverneurs de la BCE la semaine précédant la réunion statuant mensuellement sur la politique monétaire.

Il a, ensuite, souhaité que MM. Michel Prada, Richard Hunter et Michel Aglietta apportent des précisions sur les procédés de titrisation actuels et sur l’évaluation des risques dont les produits structurés sont porteurs, se demandant s’il n’y avait pas conflit d’intérêts entre les agences de notation et les émetteurs de produits.

Il a enfin demandé si M. Henri Bourguinat pouvait donner les premières pistes d’un renforcement de la gouvernance du système financier mondial.

M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, a d’abord répondu que le système traditionnel de Bâle, ou ratio Cook, qui est applicable jusqu’au 31 décembre 2007 et qui datait de la fin des années 80, n’avait pas été conçu spécifiquement pour couvrir les risques liés aux opérations complexes d’aujourd’hui – telle la titrisation, instrument qui avait notamment permis la répartition des risques liés au crédit – qui se sont développées sous l’effet de l’innovation financière, à l’exemple des dérivés de crédits.

Les superviseurs bancaires ont, depuis plusieurs années, renforcé la finesse de leur analyse, en vérifiant auprès des banques le degré réel d’exposition des risques et en exigeant d’elles qu’elles disposent de fonds propres en conséquence. Le système de supervision internationale, le comité de Bâle, se devait cependant d’évoluer afin de mieux prendre en compte l’ensemble des risques. C'est ce à quoi devrait parvenir Bâle II, la philosophie de ce nouveau système de supervision reposant premièrement sur un calcul des risques sur une base économique et non pas seulement juridique – lorsque figureront au hors bilan des lignes de liquidité, Bâle II obligera ainsi à calculer la probabilité de tirage sur ces lignes, ce qui permettra de déduire l’exposition réelle des banques et donc les provisions à mettre en place – deuxièmement, sur la prise en compte de risques très indirects tels que le risque de réputation ou de liquidités ; troisièmement sur le renforcement de la discipline des marchés, grâce à des règles portant sur la transparence de l’information, sur la comptabilité ou encore sur l’activité de titrisation, tous éléments permettant de renforcer la sécurité du système.

Les meilleures règles prudentielles ne peuvent pas remplacer les bonnes législations. À cet égard il faut rendre hommage au législateur français puisque l’activité de crédit dans notre pays est entièrement couverte par la loi bancaire et par une surveillance appropriée, à l’inverse des États-Unis où les établissements prêteurs ne sont pas réglementés et pratiquement pas surveillés.

Il n’a pas été relevé de modifications sensibles de l’attitude des banques en termes de distribution de crédit, à l’exception du secteur Leverage Buy Out – LBO – et du financement de nouvelles activités de titrisation. Tant le crédit aux entreprises que le crédit aux ménages n’ont pas changé, même si les taux d’intérêt pratiqués ont légèrement augmenté en même temps que les taux du marché, sachant que les taux pratiqués par les banques françaises sont inférieurs à la moyenne de ceux pratiqués dans la zone euro. Les conditions du financement en France restent donc très favorables pour les crédits tant aux entreprises qu’aux ménages. La progression des crédits a été de l’ordre de 1 % au cours du mois d’août, ce qui représente 19 milliards d’euros d’encours de crédits supplémentaires.

Pour ce qui est de l’exposition des banques françaises, la situation du système bancaire national est, d’une façon générale, très satisfaisante. Outre le fait que les risques de crédit sur les marchés subprimes sont négligeables, les expositions indirectes, c’est-à-dire le financement d’entités qui elles-mêmes titrisent des crédits hypothécaires, ne représentent à peu près que 0,2 % du bilan des banques françaises, pourcentage qui ne comporte que très peu de subprimes. L’exposition réelle paraît donc marginale.

Quant à l’activité de portage de parts de titrisation, subprimes ou non, elle correspond à quelque 0,3 % des actifs totaux, la plus grande partie de ces derniers ne pouvant être considérés comme étant à risque. L’actif sur le fond est sain, sauf à imaginer que la totalité des ménages américains deviendrait insolvable.

S’agissant des expositions potentielles, c’est-à-dire des lignes de liquidité sur les fameux conduits dont les sous-jacents pouvaient être ou non composés de subprimes, elles représentent des montants un peu plus élevés, soit 1 à 3 % des actifs des grandes banques françaises, sachant cependant que la part du crédit subprime reste là aussi très faible, de l’ordre du quinzième ou du vingtième du total. L’exposition des banques est extrêmement faible.

Pour ce qui est, enfin, des revenus qui pourraient être impactés, ceux-ci sont assez faibles, soit entre 5 et 11 % s’agissant des banques de financement et d’investissement, pourcentage qui, rapporté à l’ensemble des revenus des groupes consolidés, en représente entre 0,4 et 5 %. Quant à l’activité LBO, qui représentait entre 2 et 6 % du produit net bancaire des banques de financement et d’investissement, le pourcentage, rapporté à l’ensemble des groupes, atteint entre 0,7 et 1,9 %, tous ces impacts étant assez minimes par rapport à la rentabilité des banques françaises.

M. Jean-Pierre Mustier, directeur général adjoint du groupe Société Générale, est d’abord revenu sur les raisons de la crise.

Celle des subprimes a en fait été le déclencheur d’un phénomène beaucoup plus profond, celui de l’évolution du marché du crédit depuis les cinq dernières années du fait du phénomène de désintermédiation, les banques revendant leurs créances à des investisseurs de crédits. Ce développement du crédit, bien au-delà de la capacité de financement des banques, a ainsi permis de financer de grandes acquisitions par des industries ou encore des LBO. L’emballement du crédit qui s’en est suivi a fini par créer une bulle. À cet égard, Bâle II, qui était une adaptation par rapport à un environnement qui s’était raffiné – les règles précédentes étant efficaces, mais trop rustres –, permettra d’avoir une vision beaucoup plus fine des risques. Il faut en effet revenir à une normalité en termes de profil de risques et de liquidités fournies sur le marché du crédit.

Toute crise finit par s’arrêter, mais il faut tirer les leçons de celle-ci : d’une part, le phénomène de désintermédiation a beaucoup apporté à l’environnement, et, d’autre part, les avancées doivent, dans ce domaine comme dans d’autres, être mieux encadrées.

Dans ce contexte, les banques françaises vont-elles avoir tendance à moins prêter ?

S’agissant des prêts aux ménages et aux entreprises, elles n’ont pas de raison de faire moins, puisqu’il s’agit de l’activité traditionnelle des banquiers. On relève cependant, comme en matière de LBO, une attitude beaucoup plus prudente, faute pour les banques de pouvoir revendre les crédits portés dans les bilans.

En ce qui concerne la titrisation, la crise a également montré du bon – par exemple les entreprises peuvent avoir, par ce biais, un accès à des montants de financement qui leur évitent de tirer sur leurs lignes bancaires – et du mauvais : d’autres conduits, tels que l’achat d’actifs de longue durée qui ont dû se restructurer en raison des problèmes de liquidités court terme.

En résumé, cette crise aura été paradoxalement une bonne chose puisqu’elle va permettre une approche plus raisonnée de l’évolution du marché du crédit, une rationalisation de certains produits, et, grâce à Bâle II et à d’autres réformes entraînées notamment par la directive MIF sur les marchés d’instruments financiers, l’émergence d’un contexte réglementaire qui saura s’adapter et encadrer le développement des activités de crédit des banques.

M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, après avoir indiqué qu’il s’exprimerait également en qualité de président du comité technique de l’Organisation internationale des commissions de valeurs – OICV –, qui intervenait en matière de normalisation des règles de surveillance des marchés, a souligné que lui-même et ses collègues ne pourraient apporter véritablement de réponses aux questions posées puisque celles-ci portent sur la première turbulence ou, pour reprendre un mot plus souvent utilisé, sur la première crise née de la combinaison entre, d’une part, un vaste mouvement de désintermédiation intervenu dans un contexte de très forte liquidité, une faible aversion pour le risque, un niveau de taux d’intérêt relativement bas et, d’autre part, une très grande innovation.

Les grands régulateurs, les banquiers centraux et les principales institutions concernées au niveau mondial sont désormais réunis au sein du Forum de stabilité financière, lequel, la semaine dernière, s’est notamment penché sur la crise des marchés en évoquant plusieurs sujets.

La question de la supervision prudentielle a été abordée par les intervenants précédents, mais il y a aussi d’autres sujets. D’abord, le rôle des agences de notation. Ces dernières sont indispensables au fonctionnement du marché et elles ne doivent pas être diabolisées plus que d’autres puisqu’il s’est agi d’un phénomène collectif. En fait, elles interviennent non plus seulement pour noter des émetteurs corporate, mais aussi pour apprécier la solvabilité des sous-jacents des produits de titrisation lorsque le problème n’était pas seulement la mesure de la solvabilité des débiteurs, mais aussi celui de la liquidité des produits structurés.

Répondant à une demande de M. Jean-François Lamour, M. Michel Prada a précisé que les sous-jacents représentaient les actifs correspondant aux crédits qui, inclus dans des produits structurés, sont réunis en paquets que l’on commercialise ensuite par tranche, la difficulté étant de passer de l’identification du risque de chacun des composants à celle de l’ensemble du paquet, avec tous les problèmes de négociabilité de ce dernier que cela entraîne. L’OICV va ainsi examiner les conditions d’élaboration des notations, les possibles conflits d’intérêts, les méthodes de communication, etc.

Il a ensuite abordé le deuxième sujet évoqué par le Forum, à savoir les conditions dans lesquelles les différents produits financiers qui s’échangent sont valorisés, sachant que l’analyse des modèles est d’une très grande difficulté. Si l’on peut estimer que ces derniers fonctionnent de manière satisfaisante dans un contexte donné, ils peuvent en effet, selon les circonstances, ne plus être efficients.

S’agissant du troisième sujet évoqué, la désintermédiation, il faut savoir que, lorsque l’essentiel de l’activité économique est retracé dans les bilans des entités régulées, la maîtrise des phénomènes est sinon facile pour les régulateurs mondiaux, du moins possible. Or, avec la désintermédiation, apparaît nécessairement une perte d’informations. C’est donc la question de la transparence financière qui se pose, question sur laquelle vont se pencher tant le Forum que, sur sa proposition, l’OICV.

Pour ce qui est de la problématique de l’AMF dans ce contexte, le régulateur de marché a une double mission : d’une part, la surveillance du secteur de la gestion d’actifs pour compte de tiers – ou asset management – au moyen de l’agrément et de la surveillance des sociétés de gestion, et, d’autre part, de l’enregistrement des produits afin d’en juger non l’opportunité, mais la lisibilité pour les publics concernés, cela afin de permettre aux investisseurs de prendre leurs décisions en toute connaissance de cause.

Confrontée au problème qui s’est posé dans le courant de l’été, l’AMF a été inspirée par deux considérations principales : l’action des gérants d’actifs confrontés aux difficultés de gestion de certains fonds devait être exclusivement dictée par l’intérêt des clients – ce qui pouvait conduire à prendre des mesures exceptionnelles de suspension des souscriptions et des achats –, et tous les porteurs devaient bénéficier d’une égalité de traitement, le risque étant, dans une situation de demande de rachats importants obligeant à vendre des actifs pour faire face à ces rachats, que l’on vende les actifs les plus liquides, laissant aux derniers porteurs les actifs les plus risqués.

Il faut souligner l’attitude de grande prudence adoptée par l’AMF dans son expression – car intervenaient en cette affaire des éléments non seulement d’ordre technique, mais également d’ordre psychologique –, ainsi que l’étroite coopération entre le régulateur de marché et le régulateur bancaire.

M. Richard Hunter, directeur général, regional credit officer de Fitch Ratings, a d’abord souligné que les notes de son agence de notation internationale sont avant tout des opinions et non des faits, c’est-à-dire des indicateurs de sensibilité relative aux pertes sur créances et non des prédictions sur des taux de défaut. Il est cependant également important de comprendre ce que les notes ne sont pas : elles ne portent pas sur le risque de changement du prix d’une valeur mobilière ou sur sa plus ou moins grande difficulté à être vendue. Elles ne sont en aucune façon une garantie ou une assurance de remboursement, mais constituent un élément d’information parmi d’autres que les gérants et les investisseurs peuvent prendre en considération. Elles ne sont pas non plus des conseils d’investissement ni des recommandations d’acheter ou de vendre.

Pour ce qui est, ensuite, du processus de notation, les critères, publiés sur le site Internet gratuit de l’agence, sont établis, pour les grandes classes d’actifs, par les groupes analytiques et approuvés par des comités méthodologiques, avant qu’un comité, et non un analyste seul, détermine le niveau des notes, l’émetteur pouvant faire appel ou, dans le cas de la finance structurée, pouvant décider de modifier le contenu de son pool d’actifs sous-jacents. La note est ainsi le résultat d’analyses et d’anticipations, et ne reflète pas un fait tangible quelconque. Lorsque les comités méthodologiques décident que les paramètres doivent être modifiés pour mieux tenir compte des informations sur le comportement des actifs sous-jacents, les modèles – qui vont de la simple grille d’évaluation ou de prévision à des outils de régression ou à des simulations stochastiques – sont alors ajustés. Fitch ne structure pas d’opérations pour le compte des émetteurs. Ni l’analyste, ni le comité de notation ne font de propositions sur les actifs à incorporer dans une opération, ni ne suggèrent des niveaux de notes pouvant être visés, ni ne développent des structures juridiques pouvant être appliquées à une opération donnée.

Concernant la notation d’institutions financières, l’analyse ne va pas jusqu’à évaluer chaque instrument de dette détenu en portefeuille par l’entité, mais elle tend à comprendre l’appétit au risque de cette dernière et ses procédures de gestion des risques. Cette analyse reposant sur la communication par l’entité d’informations publiques et confidentielles, cela constitue une difficulté pour le marché entier, compte tenu du faible niveau de transparence en matière de localisation des instruments de dette.

S’agissant, enfin, de la façon dont l’agence gère les conflits d’intérêt inhérents à son modèle économique, le conflit d’intérêt potentiel résulte du fait qu’elle est rémunérée par les entités qu’elle note, ce risque étant géré de plusieurs façons, d’abord en séparant les fonctions commerciales des fonctions d’analyse, ensuite en indiquant clairement qu’elle est rémunérée par les émetteurs, enfin en faisant en sorte que la rémunération des analystes ne dépende aucunement du niveau des honoraires perçus par l’agence dans le cadre des notes sur lesquelles l’analyste lui-même aura travaillé. Les autres modèles économiques ne sont pas nécessairement exempts de conflits d’intérêts potentiels.

Pour autant, l’agence reste ouverte au dialogue et aux suggestions tendant à renforcer la confiance des marchés dans l’indépendance des agences. Ainsi, elle a déjà entrepris de réexaminer les prévisions de pertes en matière de titrisation à la lumière des éléments nouveaux que la crise financière a fait apparaître, en prévoyant de publier prochainement des propositions en forme d’« exposure drafts », afin d’engager un échange constructif avec les acteurs des marchés financiers.

M. Michel Aglietta, économiste, a précisé, faute de pouvoir faire preuve d’autant d’optimisme que les précédents intervenants et estimant, pour sa part, que la crise n’était que dans sa première phase, que le rôle des universitaires est, en la circonstance, de poser des questions.

Si des crises interviennent périodiquement, elles sont toujours différentes dans le détail, ce qui explique que les évaluateurs soient surpris puisque ce sont sur les connaissances passées que l’on fonde les évaluations alors qu’une crise naît toujours d’une innovation.

En l’occurrence, la première caractéristique de la crise a trait à la logique financière : en cas de crise, il y a toujours un lien entre l’expansion du crédit et l’appréciation du prix d’un actif au moins – aujourd’hui l’immobilier ; en 1999, la bourse –, le processus gagnant en puissance suite à l’euphorie des acteurs qui pensent s’enrichir en s’endettant, anticipant une appréciation du prix. Aujourd’hui, il n’existe pas suffisamment de gros investisseurs stabilisants, surtout sur le long terme, pour empêcher cela.

La deuxième caractéristique tient au volume de la titrisation par rapport au crédit bancaire porté au bilan des banques. Si l’on estime, à juste titre, que la titrisation va mieux disséminer le risque, encore faut-il que la qualité des crédits reste la même qu’à l’origine. Or, si l’on était assuré de revendre des crédits dans toutes les conditions, il serait alors certain que ceux-ci ne seraient plus évalués comme avant. Il faut donc que les banques soient incitées à évaluer le crédit titrisé de la même façon que les crédits qu’elles portent elles-mêmes, ce qui implique de leur imposer des règles en la matière.

La troisième caractéristique est que l’investisseur qui achète des crédits structurés ne sait plus quels sont les bons et les mauvais produits structurés, faute de discrimination entre les subprimes et le crédit traditionnel. Alors que le prime mortgage aux États-Unis est de qualité, car garanti par deux agences publiques, le rachat par celles-ci de crédits structurés a conduit les subprimes, anomalie parmi d’autres, à être notés triple A comme le prime mortgage.

Afin d’éviter une telle confusion des investisseurs, il convient de standardiser une grande partie de la titrisation grâce à un marché organisé – telle la bourse de Chicago – qui est plus robuste puisqu’il comprend à la fois de la compensation, un règlement et une instance centrale qui surveille.

Pour M. Henri Bourguinat, économiste, une personne arrivant d’une autre planète aurait pu penser, à entendre les premiers intervenants, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Certes, une économie dynamique a besoin d’une finance prospère et inventive, comme cela a été le cas ces dernières années, mais il n’en reste pas moins que la crise est sérieuse, ne serait-ce que par les conséquences de l’injection de 400 milliards de dollars de liquidités par les banques centrales.

Pour expliquer la crise, ont été successivement mis en cause les subprimes, les agences de notation puis les hedge funds, c’est-à-dire les spéculateurs. Cependant, si ces trois facteurs ont eu leur importance s’agissant du déclenchement de la crise, le fait que celle-ci se soit étendue comme une traînée de poudre à l’échelle mondiale tient fondamentalement à l’organisation de la finance, ou plutôt à ce qu’on peut appeler le génome de la finance : dans l’enchaînement des maillons, quelque chose a grippé, la titrisation de deuxième génération commençant à faire problème du fait de l’éloignement croissant entre celui qui ouvrait le crédit et celui qui en portait le risque. On a ainsi abouti à une « granularité » de ce dernier, les petits grains se retrouvant dans des endroits inattendus, jusqu’aux SICAV de trésorerie.

Les faiblesses de la finance moderne – déjà mises en avant en 2004 – tiennent, d’une part, à cette dissociation du risque, d’autre part, au défaut de traçabilité du risque, enfin, au risque moral, c’est-à-dire à la théorie économique du principal agent : si l’établissement qui ouvre le crédit n’en supporte pas le risque, il a tendance à prendre plus de risques.

Sans aller jusqu’à réformer le système financier international, il convient donc, à court terme, d’amener les banques à une meilleure communication sur les expositions au risque, de mieux étiqueter les produits offerts à la clientèle, et, à moyen et long terme, de mieux structurer les informations au niveau international par le biais de la BRI ou du Fonds monétaire – on savait, par exemple, qu’il y avait, depuis 2006, un problème avec les subprimes –, de revoir les pratiques de consolidation des structures que l’on crée pour gérer ces produits afin d’éviter un déséquilibre entre l’actif et le passif, et, enfin, de porter plus d’attention aux conflits d’intérêts, ce qui ne concerne pas seulement les agences de notation.

Il faut donc se hâter de promouvoir Bâle II et de trouver, en amont, de nouvelles obligations de fonds propres, indicateurs dont la banque centrale se sert comme moyen choc d’intervention, des coupe-circuits, bref de mieux décrypter le génome de la finance.

Le Rapporteur général, a relevé, s’il avait bien compris, que l’exposition au risque subprime était donc marginale et que la crise avait été une bonne chose. Cette disproportion entre l’analyse subjective de la crise et les conséquences constatées de cette dernière explique donc, en partie, la crise de défiance actuelle et, surtout, ses impacts.

À cet égard, Bâle II va-t-il permettre de mettre en place un système de traçabilité de ce type de dérivés de crédits, sachant que le niveau national n’est pas suffisant en matière de régulation ?

S’agissant des incidences sur l’économie, les prêts aux entreprises ne vont-ils pas, dans la situation actuelle, devenir plus coûteux du fait d’une hausse des taux d’intérêt ? De façon plus générale, quels sont les risques de contamination sur l’économie de la crise financière, sachant que des millions de ménages aux États-Unis vont se retrouver insolvables, ce qui va avoir des conséquences sur les actifs titrisés qui se promènent à travers le monde ?

M. Jérôme Chartier a fait part de son sentiment que l’on venait de connaître la première crise légale puisque c’était sur la base de l’investment act de 1977 que les banques avaient été encouragées à prêter voire à surprêter aux familles américaines à faibles revenus pour acquérir leur résidence principale, pratique confirmée par l’administration Clinton en 1995. Certes, c’est également ce qui s’est passé en France, sauf que des restrictions prudentielles plus importantes y avaient cours.

Alors qu’en 2006 les actifs immobiliers américains s’élevaient à 10 000 milliards de dollars, dont 56 % étaient titrisés, donc mutualisés partout dans le monde, et que 11 % des prêts immobiliers étaient en situation d’impayés, doublant en un an, il a fallu attendre le 10 juillet dernier pour que Moody’s commence à abaisser la note de 399 titres liés aux prêts subprimes. Pourquoi un tel délai ?

Si l’on peut se féliciter que le petit épargnant français ait contribué au rapprochement franco-américain en finançant les ménages américains à faibles revenus, on peut se demander, au vu de l’exemple de la BNP, qui a suspendu la notation de trois de ses fonds avant d’annoncer que ses engagements hors bilan seraient remboursés, comment on peut dire aujourd’hui que la crise est terminée et que l’épargnant français peut recommencer à investir.

Selon M. Jérôme Cahuzac, il est ressorti des interventions des personnalités auditionnées, d’abord qu’il n’y avait pas eu réellement de crise, puis qu’il y en avait bien eu une mais que c’était une bonne chose, et, en conclusion, que ce n’était pas une crise mais une turbulence. On ne peut dès lors que s’associer aux questions posées par MM. Gilles Carrez et Jérôme Chartier. Les intervenants estiment-ils que ce qui s’est passé influera négativement sur la croissance française cette année et l’année prochaine, au regard notamment à ce que l’on peut observer en Espagne et en Grande-Bretagne ?

M. Charles de Courson a posé cinq questions :

La crise immobilière américaine ne se traduira-t-elle pas par un effet richesse inversé, donc par la chute de la consommation des ménages américains ? On assisterait alors à une véritable crise qui se transmettrait au reste du monde, à commencer par l’Espagne et la Grande-Bretagne.

Est-il possible de créer un marché organisé et contrôlé de la titrisation au plan international, sachant que c’est l’absence d’un tel marché qui a favorisé toute une série d’excès ?

Les futures règles de solvabilité de Bâle II sont-elles adaptées ? Permettraient-elles d’améliorer vraiment la situation actuelle ?

La « désintermédiation » et la titrisation n’ont-elles pas affaibli la responsabilité bancaire ? Si tel était le cas, ce serait à ces évolutions qu’il faudrait porter remède.

La responsabilité des agences de notations est, en droit, pratiquement nulle. Il n’y a pas de « notateur des notateurs ». L’AMF ou d’autres instances ne pourraient-elles remplir ce rôle ?

M. Dominique Baert a relevé que la crise a connu, pour les banques françaises, deux cheminements : l’un direct, via les investissements exposés aux subprimes qu’elles ont réalisés dans une partie de leurs portefeuilles de placement, et l’autre pour ainsi dire connexe. Devons-nous redouter un « effet de portefeuille » provoqué par les pertes possibles de certains établissements bancaires français ? A-t-on seulement une idée du volume global de ces pertes ? Les montants en cause sont loin d’être négligeables. L’exposition aux subprimes est ainsi évaluée à 281 millions d’euros chez Natixis, à 370 millions chez BNP-Paribas, à 800 millions à la Société générale, à 280 millions au Crédit agricole…

Les chiffres du hors-bilan sont également considérables. Les encours de crédit sur les LBO s’élèvent à 6,3 milliards d’euros chez BNP-Paribas, 5,8 milliards chez Natixis, 4,3 milliards au Crédit agricole, 2,7 milliards à la Société générale.

Sur ces sujets, certains établissements, souvent étrangers, se sont montrés plus transparents. L’Union de banques suisse – UBS – a ainsi annoncé une perte probable comprise entre 360 et 480 millions d’euros. Qu’en est-il pour certains établissements français ?

Par ailleurs, doit-on redouter un effet de liquidité, notamment dans les défaillances ? Beaucoup de liquidités ont été en effet injectées, qu’il faudra rembourser. De plus, l’éventuelle réintroduction du hors-bilan dans le bilan des établissements bancaires changera la forme de ce bilan et modifiera du même coup les ratios prudentiels. Les agences spécialisées abaisseront leur notation, ce qui provoquera une hausse des conditions de refinancement.

Enfin, on ne peut que souscrire à la question de M. Jérôme Cahuzac sur l’effet de frilosité et ses conséquences sur la croissance française.

M. Christian Eckert s’est associé aux questions posées sur la chronologie des événements et sur l’absence d’informations relatives à la crise, pourtant largement commentée aux États-Unis.

Plus fondamentalement, faut-il craindre une crise de même nature au sujet des mécanismes de type LBO ? De LBO en LBO, les entreprises se rachètent et se revendent avec des crédits gagés sur des bénéfices hypothétiques. On a l’impression d’assister à la formation d’une bulle financière qui, outre la grave crise financière que son éclatement pourrait entraîner, induit une crise industrielle : les vues exclusivement financières des acquéreurs d’entreprises privent celles-ci des stratégies industrielles dont elles ont grand besoin.

M. Jean-Yves Cousin a demandé où en est l’application de Bâle II dans le système bancaire français. Le nouveau dispositif, quand il sera définitivement mis en place, permettra-t-il d’éviter des crises semblables à celles que nous traversons ?

Le Président Didier Migaud a résumé le sentiment général de la commission en formulant l’hypothèse que la crise était pour ainsi dire exagérément sous-estimée par les spécialistes auditionnés.

M. Christian Noyer a convenu que ses propos ont pu paraître trop optimistes. La solidité des banques, l’efficacité du système de supervision mis en place par le législateur, et enfin le fait que la Commission bancaire et le prêteur de dernier ressort soient abrités sous le même toit, ont été autant d’atouts pour faire face à la crise. L’exposition est certes réelle et les montants en cause ne sont nullement négligeables. Cependant, rapportés à l’ensemble des risques portés au bilan des banques françaises, aux fonds propres et aux revenus issus des activités bancaires classiques, les revenus provenant des activités de marché de titrisation sont faibles. Sans exclure l’existence, ici ou là, de poches de pertes, les risques sont limités, d’autant que, lorsqu’il s’agit d’actifs titrisés, certains sont de bonne qualité.

Il n’en reste pas moins que les deux questions posées par M. Gilles Carrez et reprises par plusieurs autres commissaires sont cruciales.

Nous avons assisté à une vraie crise de liquidité. Celle-ci n’est pas terminée. Elle frappe l’ensemble de la zone euro, tout comme la zone dollar et la livre sterling. En France, la liquidité provenait en grande partie des OPCVM.

Depuis cet été, la crainte de retraits les conduit à privilégier des valeurs très liquides. Les titres arrivant à échéance ne sont pas renouvelés dans les mêmes proportions. Dès lors, les gestionnaires apportent leurs liquidités à très court terme en dépôt à vue auprès des banques, lesquelles doivent prendre le relais : c’est ainsi qu’elles pourvoient au financement d’entreprises qui n’arrivent plus à placer leurs billets de trésorerie et, plus généralement, qu’elles assurent le relais de ce qui était autrefois financé par des produits structurés. Dès lors, leurs actifs augmentent et leur passif devient plus liquide.

La crise de confiance généralisée se traduit par une méfiance entre les banques et réduit la portée des ajustements interbancaires : on ne prête à d’autres banques qu’à très court terme, craignant d’être soi-même confronté à des problèmes de liquidités. Il en résulte ces problèmes de désajustement de liquidités : les liquidités sont excédentaires dans certaines banques, déficitaires dans d’autres, suivant les périodes. C’est ainsi que certaines banques sont venues chercher de la monnaie à la banque centrale tandis que d’autres lui laissaient leurs liquidités en dépôt au jour le jour.

Depuis le mois d’août, la Banque de France s’efforce de restaurer la confiance pour faire redémarrer le marché interbancaire. L’entreprise se révèle difficile et prendra du temps. Certaines liquidités ont été fournies à trois mois, mais d’autres à vingt-quatre heures, si bien qu’elles étaient remboursées le lendemain : il ne faut donc pas additionner les montants, comme l’ont fait certains journalistes.

La Fed, pour sa part, a élargi les possibilités d’accès, notamment en modifiant les modalités d’utilisation de sa fenêtre d’escompte, mais les efforts des banques centrales sont loin d’avoir restauré les conditions d’un marché normal.

S’agissant maintenant des incidences sur l’économie, on observera d’abord que la crise s’est produite à un moment du cycle différent aux États-Unis et en Europe. Le ralentissement de l’économie américaine commence au milieu de l’année 2006, alors que la zone euro est encore, au milieu de l’année 2007, dans une phase d’accélération ou de fin d’accélération. Le cycle de politique monétaire des deux banques centrales est lui aussi décalé : la Réserve fédérale a commencé à augmenter ses taux au milieu de l’année 2004 et la BCE à la fin de l’année 2005.

La Fed craint que la crise ne provoque un ralentissement du fait de son impact sur les consommateurs, si bien qu’elle a pour l’instant modifié sa politique monétaire. Dans la zone euro, on n’a pas constaté d’impact macroéconomique. Néanmoins, compte tenu des incertitudes, la BCE a décidé au début du mois de septembre de ne prendre aucune décision de mouvement des taux. On a donc considéré début septembre qu’il était trop tôt pour déterminer si la crise pouvait avoir un impact macroéconomique, et donc des conséquences sur la croissance. L’incertitude quant à l’économie internationale s’étant clairement accrue, des répercussions sont possibles pour nous, notamment l’année prochaine.

En tout état de cause, l’incertitude est bien supérieure à ce que l’on pouvait envisager à la fin de juillet ou au début d’août.

En ce qui concerne Bâle II, le dispositif répond assez bien à la question de la prise en compte des risques – notamment les risques hors bilan – pour les banques. Les lignes de crédit seront prises en compte dans les exigences de fonds propres. Les banques devront donc être plus attentives à la qualité des risques.

Ce progrès important ne permettra cependant pas de tout régler. La question de la liquidité, notamment, n’est pas traitée. La France insiste dans les instances internationales pour que l’on achève les travaux sur ce sujet, et l’on peut espérer que la crise accélérera le processus. En matière de liquidités, les règles sont assez rigoureuses en France – trop, selon certaines banques – mais elles sont beaucoup plus dispersées sur le plan international. Or plus il y a de règles communes, plus le système est sûr et permet d’éviter les effets de contagions.

S’agissant de BNP-Paribas et du risque de réputation, il y a eu confusion entre le risque encouru par la banque elle-même et le risque de sa gestion pour compte de tiers. Le souscripteur d’un produit réglementé de type OPCVM a droit à une information complète et transparente : il doit savoir à quel degré de risque il s’expose. Il faudrait qu’il en aille de même pour les produits de taux, car le risque est très différent selon qu’il s’agit de produits reposant sur des bons du Trésor et des dépôts à court terme ou de produits comprenant des éléments exotiques permettant d’afficher un rendement supérieur pendant quelque temps, mais avec des risques accrus.

Quant à la chronologie des événements, on pourra se reporter au numéro de décembre 2006 de la Revue de stabilité financière de la Banque de France. Tous les éléments d’analyse y figurent : sous-évaluation des risques, appétit excessif pour le risque, problèmes intrinsèques au mécanisme de titrisation, manque de transparence, faible liquidité des produits structurés, incertitudes entourant leur valorisation. L’analyse existait bel et bien : sans doute aurait-il fallu lui donner plus d’écho. Au demeurant, les travaux de la Banque des règlements internationaux aboutissaient aux mêmes conclusions. Il convient donc de réfléchir aux moyens d’exercer une influence plus forte ex ante.

Au sujet du LBO, on assiste en effet à une importante baisse des financements. Ceux-ci étaient extrêmement risqués et déraisonnables, ils avaient suscité l’inquiétude des autorités de supervision. Après leur brutale interruption, la Banque de France sera attentive à ce qu’ils repartent sur des bases plus saines.

M. Michel Prada a estimé que les régulateurs ont toujours un problème de communication. Leur style et leur ton, éloignés de la chaleur des débats, font que leur message ne passe pas toujours très bien.

Pourtant, voilà plus de deux ans que le Forum de la stabilité financière et plusieurs autres instances internationales font état de leurs craintes sur ces sujets. Il faut rappeler à cet égard que, au moment de la bulle Internet, la Commission des opérations de bourse – COB – lançait des avertissements sur plus de la moitié des introductions en bourse. Or ces avertissements avaient presque un effet inverse : plus on formulait d’avertissements sur les risques, plus les souscripteurs se précipitaient ! M. Jean-Pierre Mustier a évoqué les raisons pour lesquelles l’enthousiasme général est difficile à tempérer. A contrario, il est toujours très difficile pour le régulateur de sonner le tocsin car l’impact peut aussi être considérable. Il faut donc convenir que les contraintes de communication auxquelles il est soumis sont spécifiques.

L’AMF pense bien entendu qu’il faut améliorer le fonctionnement de la notation et des systèmes d’évaluation. Il pourrait aussi être intéressant de créer des marchés secondaires sur des produits standardisés, sachant cependant que ce ne sont pas les régulateurs qui créent les marchés. Les marchés organisés répondent en général de façon plus flexible et moins dramatique aux évolutions du type de celle que nous avons connue.

Pour ce qui est de la communication au plan domestique, si des progrès sont en effet souhaitables, il n’en reste pas moins que les informations sur les produits en cause étaient claires. Il n’est pire sourd qui ne veut entendre ! Du reste, la plupart des acheteurs de produits dits « dynamiques » sont des investisseurs professionnels, qui ne peuvent ignorer la prise de risque. Le grand public, lui, n’a guère été touché jusqu’à présent. Les conditions de commercialisation et d’information devront certes être améliorées. La directive sur les marchés d’instruments financiers amènera d’ailleurs les acteurs à améliorer leur comportement et leurs méthodes en la matière et permettra de mieux responsabiliser les professionnels.

S’agissant de BNP-Paribas, on peut en effet parler de problème de communication, puisqu’il y a eu confusion entre les fonds propres de la banque et les produits de gestion pour compte de tiers. Mais, quand BNP-Paribas a estimé être en mesure de pouvoir rouvrir ces fonds, elle a expliqué qu’elle le faisait via le marché, dans des conditions qui prenaient en compte de légères pertes sur les actifs. Ce n’est donc pas la même démarche qu’une « mise en face » du compte propre de la banque.

Au total, on ne saurait considérer que les choses sont réglées. La crise n’est pas terminée au États-Unis, mais elle est en cours de solution. Sans céder à une forme de benign neglect, on peut avoir le sentiment que la situation évolue plutôt dans le bon sens. De sérieuses difficultés demeurent néanmoins et un travail considérable reste à faire, notamment pour mieux prendre en compte les problèmes de liquidité et pour améliorer la transparence et la connaissance de ce qui échappe à la sphère régulée. Le sujet de la compréhension des phénomènes qui interviennent hors marché régulé reste largement devant nous.

M. Jean-Pierre Mustier, revenant sur la question de savoir s’il y a eu crise ou non, a remarqué que l’indice Dow Jones a atteint le 1er octobre son plus haut niveau historique. Sans doute cette hausse est-elle imputable à la baisse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale, mais on constate surtout une déconnexion entre l’approche des investisseurs en actions et l’approche des investisseurs de crédit ou celle des banques dans la gestion de leurs liquidités. Les investisseurs en actions conservent une vision positive. Celle-ci est peut-être aujourd'hui décalée, mais elle se traduit par un mouvement de confiance assez fort quant à la capacité des entreprises à continuer d’accroître leurs profits et à la valorisation des marchés d’actions par rapport au marché de taux d’intérêt. Il convient donc de relativiser la crise et de ne pas ressasser ce sujet : il est préférable d’étudier les moyens permettant d’évoluer.

Par ailleurs, si les appels à la transparence sont légitimes, nul ne peut dire aujourd'hui où sont les risques des subprimes, puisque ceux-ci ont été divisés, répartis et vendus. Il s’agit d’un mauvais débat : dans un marché « désintermédié », l’important est de s’assurer que les principaux intervenants – banques, intervenants régulés – sont transparents sur leurs résultats et leurs risques et que les produits qu’ils vendent à leurs clients sont conformes à ce principe de transparence. En revanche, on ne saurait déterminer où est le risque pour le tracer et l’inclure dans un environnement réglementaire : ce n’est pas le bon débat.

La « désintermédiation » permet de donner beaucoup plus d’amplitude au marché du crédit, ce qui a pour effet de soutenir la croissance économique. S’y opposer serait une erreur. Au demeurant, le marché des actions est depuis longtemps « désintermédié » : lorsque la bourse baisse, on ne cherche pas où sont les pertes. Le marché du crédit est en train de connaître la même révolution. L’important est de s’assurer de la transparence des banques sur leurs risques et sur leur solvabilité, et de retravailler l’ensemble des processus de gestion de la liquidité, dont il faut reconnaître qu’ils ont été quelque peu oubliés.

De plus, la nouvelle directive sur les marchés d’investissement permettra de s’assurer que les banques vendent les bons produits aux bons intervenants. Elle donnera en fait un cadre réglementaire à ce que les banques pratiquent depuis longtemps, tout en formalisant la transparence de l’information sur les produits vendus.

Il faut donc accepter que le crédit se « désintermédie » et trouver la manière de bien encadrer ce processus. À cet égard, il n’est pas certain que la création d’un marché organisé de la titrisation, forcément très complexe, résolve le problème. Bâle II permettra déjà d’encadrer la titrisation, puisque les engagements hors bilan de titrisation donneront une charge de fonds propres pour les banques. S’agissant des règles de liquidité, chaque banque doit pratiquer l’autodiscipline et s’assurer, dans des marchés où il leur revient de financer des actifs servant à la transformation de certains produits, que les financements sont adéquats. Dans cet ordre d’idées, la liquidité doit être bien distinguée de la solvabilité.

En ce qui concerne l’impact de cette crise très spécifique sur l’économie, les économistes prévoient un ralentissement de la croissance aux États-Unis et en Europe mais pas de récession. Il existe certes un risque découlant de la possibilité d’un effet richesse inversé. Les mises en vente de maisons se multiplient aux États-Unis et l’on sait que le consommateur américain finançait en fait la croissance en pratiquant l’« equity withdrawal ». Assurément, cet angle de financement va disparaître. Si le risque de récession n’existait pas, la Réserve fédérale n’aurait pas baissé ses taux de 0,5 point. Ira-t-on très loin dans le ralentissement ? Ni les marchés d’actions ni les économistes ne le laissent à penser, mais la probabilité est plus importante qu’au mois de juin.

Pour ce qui est enfin du refinancement, on notera que les entreprises ont pu se refinancer grâce à la « désintermédiation » du crédit, avec des « spreads » – coûts du crédit imputés par les banques au-delà du taux d’intérêt des banques centrales – qui ont été divisés par plus de deux sur les trois dernières années. Tout le monde voulant investir dans le crédit, les entreprises ont trouvé des conditions de refinancement particulièrement attractives, à des taux beaucoup trop bas par rapport au degré de risque. Dans ces conditions, les banques détruisaient de la valeur en prêtant aux entreprises.

On assiste aujourd'hui à un retour à la normale. Les « spreads », certes toujours très bas, vont revenir au niveau de fin décembre 2004. Le refinancement sera donc un peu plus cher pour les entreprises mais les taux resteront raisonnables. En revanche, en cas de récession avérée, la règle du jeu changera : il y aura une restriction du crédit et les intervenants travailleront différemment. Néanmoins les conditions ne paraissent pas réunies aujourd'hui pour laisser prévoir un retournement de la croissance.

M. Richard Hunter a estimé pour sa part que l’on ne peut affirmer que tout va bien quand on sait que le nombre de défaillances va augmenter. Au cours des trois dernières années, on a observé en parallèle un excès de liquidités et un faible taux de défaillances. Pour autant, les défaillances vont se multiplier, notamment dans le LBO et dans certains compartiments du crédit à la consommation. Heureusement, les agences de notation ne délivrent pas que des « AAA » : il y a aussi des « B », voire des « CCC ». Ce sont ces catégories qui connaîtront le plus de défaillances.

Sur la question de la chronologie de l’intervention des agences, on savait dès 2005-2006 que certains emprunteurs de moindre qualité commençaient à avoir accès au marché du crédit immobilier. Les agences ont alors augmenté leurs prévisions de pertes pour ces structures. Si l’on compare le pool de crédits subprime et le pool de crédits prime – de bonne qualité –, le ratio de défaillances est quatre fois plus élevé pour le premier. Les statistiques ont démontré que le nombre de défaillances qui se sont réellement produites est supérieur aux estimations des agences pour les subprimes.

Il faut rappeler que les hypothèses reposaient sur un historique de données de 15 ans pour l’ensemble du marché, contre seulement quelques mois pour les opérations nouvelles. Or, les agences se sont vues reprocher de surestimer les pertes dans le secteur résidentiel sur les 15 dernières années.

Confrontées à des pertes plus importantes qu’attendu, les agences ont néanmoins dû revoir leurs hypothèses. Nous devions donc choisir entre placer la totalité du secteur sous surveillance ou prendre quelques semaines de plus pour identifier les opérations dont la note devait être abaissée – ce qui n’a finalement été le cas que pour 11 % environ du portefeuille. Si nous avions placé les 500 milliards de dollars sous surveillance négative, il est probable que le marché nous aurait critiqué de la même façon. Nous aurions sans doute apporté moins d’informations et le marché ne s’en serait pas mieux porté.

S’agissant enfin de la responsabilité des agences de notation et de l’idée d’instaurer un « notateur des notateurs », on sait que Bâle II prévoit une procédure d’agrément pour les agences de notation : chaque année, celles-ci devront passer devant la commission bancaire pour lui présenter tous leurs résultats et toutes leurs notations. Si, pour une raison quelconque, la commission n’approuve pas ces résultats, elle peut rayer l’agence de la liste. Pour le reste, les agences sont soumises aux règles habituelles relatives à la responsabilité des entreprises. En réalité, c’est plutôt le marché qui les juge. Ainsi, lorsque Moody a revu cette année la notation de certaines banques, le tollé a été tel qu’elle a dû revenir sur ses évaluations ; de même, cet été, des billets de trésorerie adossés à des actifs n’ont pu être renouvelés parce les acteurs n’accordaient pas foi aux notations. Les agences ne peuvent s’en réjouir mais, si la situation perdure, le marché se passera de leurs services et trouvera d’autres moyens de fonctionner.

M Jérôme Chartier a tout d’abord relevé, concernant BNP-Paribas, que le 23 août cet établissement affirmait que « les conditions étaient réunies pour reprendre le calcul de la valeur liquidative ainsi que le rachat des parts des OPCVM des trois fonds investis partiellement dans des titres liés aux subprimes ».

Il a ensuite remercié M. Richard Hunter pour l’honnêteté dont il a fait preuve dans ses propos. Pour reprendre la formule de Georges Ginesta, le métier des agences de notation ressemble à celui des instituts de sondage : lorsque ces derniers ne se trompent pas, on s’en félicite, mais lorsqu’ils se trompent on saisit la Commission des sondages. Une agence de notation ne lit pas l’avenir dans une boule de cristal. En l’occurrence, le problème avait été repéré et la question se posait de l’attitude à adopter : le dire tout de suite ou laisser passer quelques semaines. Du fait de l’ampleur de la crise financière actuelle, on reproche aux agences de n’avoir pas choisi la première solution, mais, si rien ne s’était passé, les agences auraient fait leur métier et personne ne s’en serait aperçu.

M. Henri Bourguinat a rappelé que M. Michel Aglietta et lui-même avaient produit ces dernières années plusieurs publications sur les risques en question.

Le problème de fond est celui de la titrisation, qu’il serait naïf de vouloir démanteler d’un seul coup. L’idée de « granularité » du risque par la titrisation doit être prise au sérieux. Dans la titrisation de première génération, le banquier se contentait de transférer le risque. La titrisation de deuxième génération constitue en revanche des blocs de crédits regroupant des créances qui n’ont pas du tout le même comportement et ne présentent pas le même coefficient de risque, mais qui évolueront de conserve en ce qui concerne l’opinion qu’en auront les souscripteurs. Il faut que l’on prenne conscience de ce changement de cadre. Une réaction des régulateurs est à cet égard souhaitable.

M. Michel Aglietta a souligné que l’effet de richesse inversé jouera forcément. On peut définir l’effet de richesse par le fait que les ménages peuvent consommer plus que leurs revenus courants lorsque l’accroissement du prix de leurs actifs leur permet d’obtenir du crédit supplémentaire et meilleur marché. Aujourd'hui, la richesse des ménages baissant massivement du fait de la chute des prix de l’immobilier – laquelle est loin d’être achevée –, le crédit devient plus cher. En conséquence, conformément au lissage intertemporel de la consommation, les ménages vont consommer moins que leurs revenus. Une étude récente, réalisée par M. Frederic Mishkin, gouverneur de la Fed, a mis en évidence tous les canaux de transmission entre la situation des ménages et l’économie globale.

Par ailleurs, beaucoup de ménages vont se trouver soumis à des contraintes de cash flow pour rembourser des crédits avec des taux d’intérêts qui auront augmenté. C’est en 2006 que la masse énorme des prêts subprime a été réalisée, si bien que la réévaluation des taux interviendra en 2008, et ce pour des ménages déjà extraordinairement endettés. L’hypothèse moyenne est qu’il en coûtera 1 % de croissance de la consommation aux États-Unis l’année prochaine. Il est heureux, à cet égard, que la Fed n’ait pas attendu que le processus économique soit déjà engagé, car il aurait alors été trop tard. Comme à l’époque de M. Greenspan, la Fed fait du risk management. Elle a donc baissé massivement ses taux bien avant que les effets économiques ne soient tangibles, sachant qu’une baisse de taux ne produit ses effets qu’à échéance de six mois au minimum. Les menaces qui se profilent pour le printemps pourraient donc être écartées par l’action actuelle.

L’autre risque important est la baisse du dollar, qui se poursuivra inévitablement puisque les taux d’intérêt américains baisseront plus qu’ailleurs et que le rendement des actifs en dollars diminuera par rapport aux autres monnaies.

Si le glissement du dollar est assez régulier, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, car cela permettra aux États-Unis de rétablir une partie de leur balance commerciale et, par ricochet, de restabiliser le dollar tout en soutenant la conjoncture. Cependant, au vu de la dette accumulée vis-à-vis des non-résidents, on peut craindre que de gros investisseurs institutionnels du monde entier, perdant patience devant la faible rentabilité des actifs en dollars, ne réalisent des arbitrages et ne fassent basculer la monnaie américaine dans la crise. L’économie mondiale entrerait alors en récession : les taux d’intérêt longs des États-Unis monteraient au lieu de baisser et le financement du déficit courant se reporterait de l’extérieur vers l’intérieur.

Beaucoup de choses tiennent donc au doigté de la Fed, comme à chaque période de crise. On l’a vu au Japon : une politique trop attentiste de la part de la banque centrale peut enfoncer dans la récession un pays déjà en crise financière.

Au sujet des agences, il est bien connu, en théorie économique, que le moins efficace des marchés est l’oligopole, puisqu’il prélève des rentes importantes sur l’économie. À un moment où l’on déréglemente de nombreux marchés de service public, il est scandaleux que l’on n’incite pas au développement de la concurrence entre les agences. La titrisation devenant universelle, la place est libre pour la création de nombreuses agences concurrentielles.

Le Président Didier Migaud a remercié les personnalités invitées et souligné le grand intérêt de ces échanges, qui cependant n’épuisent pas le sujet. La commission des Finances se devra de poursuivre sa réflexion afin de présenter des propositions.

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