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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 30 janvier 2008

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 53

Présidence de M. Didier Migaud, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Camdessus, gouverneur honoraire de la Banque de France, sur la distribution du Livret A et le financement du logement social

Le Président Didier Migaud a indiqué que la commission des Finances reprenait sa série d’auditions sur la distribution du livret A et le financement du logement social en accueillant M. Michel Camdessus, auteur d’un rapport remis au Premier ministre en décembre dernier sur « la modernisation de la distribution du livret A et des circuits de financement du logement social ».

Ce rapport a été demandé à M. Camdessus en parallèle avec le recours que le Gouvernement a déposé auprès du juge communautaire à l’encontre de la décision de la Commission européenne, en date du 10 mai 2007, qui demande à la France de modifier sa législation afin de supprimer ce qu’elle considère comme des entraves aux règles du marché intérieur du fait des droits spéciaux de distribution des livrets A et bleu.

La commission des Finances a déjà entendu le président du groupe La Poste ainsi que, ce matin, les dirigeants de la Caisse des dépôts et consignations et Mme Christine Boutin, ministre du logement, sur cette question. Elle entendra, la semaine prochaine, l’intersyndicale du secteur semi-public économique et financier, l’Union sociale pour l’habitat ainsi que Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie et des finances, qui clôturera les auditions sur ce sujet.

Le rapport de M. Camdessus, qui lie la généralisation de la distribution du livret à une réforme d’ensemble du circuit de financement du logement social, suscite quelques interrogations. Pour beaucoup de parties prenantes à ce dossier, il semble reposer sur des hypothèses très optimistes, tant en ce qui concerne la question de l’accessibilité bancaire que s’agissant de la pérennité d’un mode de financement du logement social qui a fait ses preuves jusqu’ici.

Les propositions relatives à la Caisse des dépôts ont pu sembler contradictoires à certains. La Caisse serait confortée dans son rôle d’acteur pivot du logement social mais, en même temps, elle serait concurrencée puisqu’il est proposé d’élargir le financement aidé dans ce domaine à l’ensemble du secteur bancaire, ce qui soulève la question de la centralisation de la collecte au niveau de la Caisse des dépôts.

Le Président Didier Migaud a remercié M. Michel Camdessus d’avoir répondu à l’invitation de la Commission et lui a proposé, pour ouvrir la discussion, de présenter les principales orientations retenues dans son rapport.

M. Michel Camdessus s’est dit honoré d’avoir à nouveau l’occasion de s’exprimer devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale.

C’est en effet la décision de la Commission européenne qui a conduit le Premier ministre à demander une étude de la réforme de la distribution du livret A, dans la perspective de mettre la France en conformité avec les règles communautaires tout en préservant scrupuleusement les missions d’intérêt général qui sont attachées à ce produit : le logement social, mais aussi l’accessibilité bancaire. En d’autres termes, puisqu’il faut changer, peut-on faire de nécessité vertu ?

Sur la situation actuelle, la position exprimée dans le rapport est plutôt pessimiste. Malgré les efforts consentis pendant tant d’années pour résorber ce problème, il existe en France plus d’un million de personnes mal logées ou sans domicile fixe. Récemment, le Gouvernement a décidé de doubler l’effort en faveur du logement social et le Parlement a adopté la loi instituant le droit au logement opposable. L’harmonie préétablie entre la production de ressources par le livret A et les besoins de logement, sur laquelle on a longtemps vécu, sera-t-elle préservée dans ces conditions ? La question ne concerne pas seulement le volume des ressources, mais aussi la capacité à les bonifier, ce qu’a si bien fait, jusqu’à présent, la Caisse des dépôts et consignations.

L’analyse développée dans le rapport est que cette harmonie historique est en danger. À partir de 2013 environ, non seulement la ressource de base risque de se révéler insuffisante, mais la capacité de bonification par la CDC risque également de s’amenuiser et même de disparaître. Du reste, on peut penser que le taux des prêts consentis par la Caisse au logement social est déjà très élevé au regard de la capacité des personnes logées dans les HLM à acquitter leurs loyers.

Actuellement, le livret A apporte au logement social une ressource qui coûte 4,12 % alors que l’on prête à 3,8 %, ce qui constitue un élément de déficit patent. De plus, il apparaît que le logement financé à quarante ans n’est en fait pas remboursé au bout de cette période : en moyenne, ce sont les deux tiers de l’immobilisation initiale qui restent à rembourser, ce qui soumet la trésorerie des organismes d’HLM à une tension de plus en plus forte et explique qu’ils soient peu enclins à construire et que leur capacité à assurer l’entretien et la rénovation se réduise. En dehors même de la décision de Bruxelles, il existe donc un problème auquel il faut faire face.

On sait bien qu’il est impossible d’augmenter les loyers des HLM en valeur réelle car les locataires ont de plus en plus de mal à les payer. On sait également que l’état des finances publiques ne permettra pas au Gouvernement de trouver dans le budget des moyens de subvention à la mesure de l’effort supplémentaire qui serait nécessaire. Comment, dès lors, trouver les ressources tout en maintenant la garantie de l’État sur ce financement ? On est contraint de se focaliser très étroitement sur le coût primaire de la ressource : le taux du livret A et le taux des commissions versées aux établissements collecteurs.

Or le rapport a pu établir que, si l’on cesse de surrémunérer le livret A – étant entendu qu’il y a surrémunération lorsque l’on sert, sur cette ressource à vue, des intérêts supérieurs à ce que représentent l’inflation et une petite marge – et si l’on ramène les commissions des trois groupes qui collectent cette ressource à un niveau normal, on dégagera 2 milliards d’euros par an, soit 75 % du montant actuel des aides à la pierre. Cette analyse ne vaudra à son auteur aucun ami, puisque les mal logés ne constituent pas un groupe de pression et que ceux dont on va resserrer les commissions sont très hostiles à cette idée.

Le Président Didier Migaud a demandé à M. Michel Camdessus à quel taux il estimait le « niveau normal » des commissions.

M. Michel Camdessus l’a évalué à 0,40 %, sachant qu’une période de transition doit être ménagée pour les organismes collecteurs.

M. Michel Bouvard a remarqué que la commission et la CDC s’étaient prononcées ce matin en faveur de ce chiffre.

M. Michel Camdessus a poursuivi en estimant que cette formule se serait traduite, si elle avait été appliquée en 2007, par le financement de 80 000 PLUS – prêts locatifs à usage social – non plus à 3,80 % mais à 2,4 % et par celui des 20 000 PLAI – prêts locatifs aidés d’intégration – budgétés à 1,40 % au lieu de 2,80 %.

L’intérêt de cet exercice serait de réduire la pression sur les loyers tout en ramenant à l’équilibre le financement des nouveaux HLM, qui laisse, à l’heure actuelle, une importante immobilisation non financée.

Une autre fonction très importante du livret A est d’assurer l’accessibilité bancaire. C’est dans les années soixante-dix, quand l’administration des finances se battait pour empêcher les Caisses d’épargne de remplir une fonction bancaire, que l’on avait imaginé que le livret A pourrait servir d’instrument de bancarisation. Aujourd’hui, 370 000 personnes ou foyers en France ne disposent que de cet instrument. Il faut bien entendu chercher à continuer à les bancariser, mais aussi se demander s’il n’est pas possible de les bancariser mieux.

Le législateur ayant décidé de créer le droit au compte, douze fonctions bancaires de base sont devenues obligatoires et gratuites. Si la loi était appliquée dans toute sa rigueur, il ne ferait aucun doute que le droit au compte permet de mieux bancariser les plus pauvres que le régime traditionnel du livret A. Dans la réalité, on observe que les personnes bancarisées par le seul livret A sont pour ainsi dire des citoyens de seconde zone, qui sont obligés de passer par des espèces pour l’essentiel de leurs transactions, qui ne peuvent faire des virements et doivent se contenter de mandats, qui ne disposent pas de carte de retrait, etc.

L’argument sociologique selon lequel un miséreux n’osera pas entrer dans une banque cossue est bien connu. Il n’en reste pas moins que la loi est la loi et que Bruxelles nous donne l’occasion de faire un pas de plus dans son application. En effet, la Commission accepte l’exonération fiscale du livret A du fait de ses deux fonctions sociales, le logement social et l’accessibilité bancaire. Si le Gouvernement en vient à généraliser la distribution de ce livret à l’ensemble des banques, il sera en droit de passer avec celles-ci une convention aux termes de laquelle elles s’engageront à rendre l’accessibilité de droit commun beaucoup plus effective. C’est ce qui est principalement proposé dans ce rapport.

Quelques considérations ont également été formulées sur la Caisse des dépôts et sur la manière dont ses opérations devraient être retracées dans les comptes publics, mais c’est un point moins substantiel que les deux premiers.

M. Jean-Louis Dumont s’est dit étonné de la vision des organismes d’HLM qui ressort des propos de M. Camdessus et atteste, en tant que président d’un conseil de surveillance, qu’il signe les tableaux d’amortissement avant chaque opération et que bien peu sont à échéance de cinquante ans. Il existe en revanche des prêts à cinquante ans pour l’achat du foncier, ce qui a permis de débloquer, il y a quelques années, de nombreuses opérations.

De plus, les organismes d’HLM ne sont pas responsables d’une nouvelle norme comptable. La pratique de provisionnements sur le long terme pour de grosses réparations est courante. Si un organisme fait faillite, c’est qu’il a été mal géré : on ne peut incriminer les normes. Si la construction a été entravée, c’est aussi parce que Bercy, du temps de Pierre Bérégovoy, a considéré qu’il risquait d’y avoir trop de logements sociaux si l’on maintenait le rythme de construction de l’époque.

Il est indéniable, cependant, qu’une modernisation est nécessaire et qu’il faut une gouvernance et des contrôles.

On relèvera cependant que les opérations de développement social des quartiers, les DSQ, ont pu être réalisées sans augmentation de loyer pour le résident et ont même abouti à des diminutions de charges grâce aux travaux d’isolation thermique.

Le livret A est si ancien qu’il doit paraître bien désuet aux milieux bancaires. La modernisation consiste souvent, hélas, à casser ce qui marche bien pour le remplacer par un dispositif dont on n’est pas sûr qu’il fonctionnera. Bien que la Caisse des dépôts fasse l’objet de critiques de la part des organismes d’HLM, elle reste un outil irremplaçable, qui permet d’identifier parfaitement la concentration de fonds et grâce auquel la collecte a résisté à bien des vicissitudes.

Pour stigmatiser le livret A, on fait mine de s’indigner que des personnes riches en tirent profit. Pourtant qu’y a-t-il de choquant à ce qu’un cadre supérieur remplisse son livret si cet argent permet d’assurer une solidarité nationale au bénéfice du logement locatif social ?

S’il est entendu que la banalisation de la distribution est à l’ordre du jour, au moins faudrait-il que la centralisation reste assurée par un organisme contrôlé, même s’il est de bon ton d’accuser la CDC d’être trop rémunérée. L’ouverture de la collecte pourrait au demeurant se faire par appel d’offres, ce qui permettrait une mise en concurrence sur le taux de commission.

En tout état de cause, une telle évolution doit être accompagnée d’une volonté politique. Celle qu’a exprimée Mme Christine Boutin ce matin a emporté l’adhésion générale.

Plusieurs questions demeurent néanmoins. Ce rapport met-il la CDC en cause ? Vise-t-il, dans une perspective libérale, à laisser au marché le soin de réguler la construction de logements ? Assistera-t-on à la fin d’une gestion administrée du logement social, garantie de l’équité républicaine ?

M. Yves Censi a estimé que les propositions du rapport apportent une réponse concrète au problème du coût réel de la ressource financière. En revanche, rien n’est suggéré quant à la disproportion qui existe entre les tranches de dépôt et quant au montant des encours. Le rapport indique que la création du livret A rénové nécessite une loi pour fixer un plancher et un plafond de dépôt autorisés, tout en permettant que la capitalisation défiscalisée des intérêts puisse se faire au-delà du plafond pour les livrets l’ayant atteint. Or les encours qui atteignent ou dépassent le plafond actuel de 15 245 euros représentent 5 % des comptes, mais presque 40 % de l’encours total, tandis que les 26 millions de dépôts compris entre 0 et 152 euros correspondent à moins de 1 % de l’encours total.

Dans ces conditions, ne s’éloigne-t-on pas de la vocation originelle du livret A ? On pourrait à tout le moins éviter que la rémunération exonérée porte sur les intérêts capitalisés au-delà du plafond, ce qui représenterait une économie de 150 millions d’euros.

M. Jean-Pierre Balligand a précisé qu’il est membre et ancien président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et affirmé avoir plus apprécié l’intervention orale de M. Camdessus que son rapport, dont le parti pris est difficilement compréhensible.

Certes, on ne peut que souscrire à la volonté de réduire le coût de la ressource pour éviter, comme cela s’est parfois produit, que les taux de la Caisse ne soient supérieurs à ceux du marché. Pour le reste, les Caisses d’épargne sont devenues adultes, mais l’évolution de la Banque postale, où le livret A remplit en effet une fonction bancaire pour les plus défavorisés, n’est pas simple et il reste à démontrer que le monde bancaire a l’intention de jouer le jeu pour appliquer réellement la loi instituant le droit au compte.

On espère faire redescendre le coût de la collecte de 0,8 % vers 0,4 %. Sachant que ce sont les banquiers privés qui ont intenté le recours devant la Commission européenne, il faudra veiller à ce que ce coût soit en effet le plus modique possible afin d’améliorer le financement des missions d’intérêt général afférentes au livret A : le logement social, mais aussi l’Agence nationale de rénovation urbaine et différentes actions relatives au monde urbain, comme par exemple le plan Hôpitaux. Il serait à cet égard préférable de centrer plus précisément la ressource sur le défi du logement social.

On s’explique mal pourquoi le rapport propose d’instituer, en lieu et place de la CDC qui pourtant ne prend pas de rémunération dans le dispositif actuel, un organisme indépendant qui ferait son travail. Il est peu probable que M. Camdessus se soit mis en tête, pour clore sa belle carrière, de liquider la Caisse des dépôts ! Peut-être existe-t-il en revanche une demande de la part du monde bancaire ? Celui-ci, après avoir obtenu satisfaction quant à son recours, se défend de contester que la centralisation soit intégralement assurée par la Caisse, mais il se peut que, une fois la banalisation acquise, il demande à disposer d’une partie de l’argent disponible. Le rapport propose d’ailleurs que 30 % des sommes collectées soient mises à la disposition du réseau bancaire. Dans la crise de liquidité actuelle, cela peut se concevoir, mais cela sert-il l’intérêt général ? Actuellement, le logement social est financé à plus de 70 % par le livret A. C’est pourquoi la centralisation des fonds par la CDC, qui assure sa mission avec une certaine déontologie, paraît indispensable, et c’est pourquoi le rapport soulève beaucoup d’interrogations dans le monde du logement social et parmi les élus de toutes tendances.

M. Charles de Courson a posé trois séries de questions à M. Camdessus.

La première concerne la banalisation. Celle-ci va-t-elle élargir la collecte ? Si oui, cet élargissement sera-t-il durable ?

La deuxième concerne la centralisation. Certains sont partisans du maintien d’une centralisation à 100 %, d’autres non. Il semblerait bien que le taux minimum de centralisation soit d’ordre législatif. Quel doit-il être ?

La troisième porte sur la collecte sur le livret A. Peut-on décider de sa banalisation sans entraîner la banalisation d’autres produits ?

M. Michel Bouvard a débuté par une question qui a interpellé la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, relative à l’apparition d’un établissement spécifique dédié aux fonds d’épargne, que M. Camdessus avait abordé à la fin de son propos. La Cour des comptes avait fait une observation, qui portait sur l’apparition des sommes détenues par les fonds d’épargne sur les bilans de l’État ou de la Caisse d’épargne, mais rien ne semblait poser de problème, qu’il s’agisse de l’identification des sommes ou de la manière dont elles sont gérées et affectées. Quelle est donc la raison d’être de cet établissement, dont on ne comprend pas bien l’utilité ? Le fait de disposer d’un établissement ad hoc ne permettra pas de construire davantage de logements, ni d’avoir une ressource moins chère ni de simplifier le système. L’interrogation est totale, et l’hostilité de la commission de surveillance entière.

Sur le coût de la ressource et sur la rémunération des réseaux, l’analyse est partagée. Le rapport prévoit, s’agissant de la rémunération des réseaux, une période transitoire de cinq ans, mais, dans cinq ans, le public défavorisé qui a besoin de cette bancarisation spécifique aura-t-il trouvé une solution qui fera que la charge qui pèse sur la Banque postale et sur les Caisses d’épargne n’existera plus et qu’on pourra passer à un niveau de rémunération des réseaux équivalent pour tout le monde ?

M. Michel Bouvard s’est interrogé ensuite sur l’affectation des sommes qui seraient gardées par les banques. Dès lors que la centralisation ne sera plus faite entièrement à la Caisse des dépôts, les banques auront accès à une épargne défiscalisée. La défiscalisation de l’épargne suppose que la nation, dans son ensemble, fasse un effort pour que cette épargne soit utilisée pour l’intérêt général. Comment les banques pourront-elles, à partir de cette épargne défiscalisée, financer des missions qui relèvent de l’intérêt général ?

La Caisse des dépôts exerce une mission de prêteur principal du logement social : 80 % des prêts aux organismes d’HLM sont effectués au travers du livret A, donc principalement par la Caisse des dépôts. Cette centralisation a un avantage : la sécurisation du dispositif. On peut avoir une vision claire de la situation des organismes. Cela peut expliquer les observations qu’a formulées Jean-Louis Dumont.

Parfois, des récriminations sont formulées contre la Caisse par les organismes. C’est en effet elle qui leur fait remarquer que leurs comptes sont fragilisés, que leur taux de recouvrement n’est pas suffisant, qu’ils ont trop de logements vacants, etc. Elle joue ainsi bénévolement le rôle de conseiller des organismes d’HLM. Elle fait ce que ne font pas les trésoriers principaux avec les organismes d’HLM qui ont gardé le Trésor pour assurer les fonctions de comptabilité et de recouvrement.

Qu’en sera-t-il, dès lors que les prêts pourront être accordés par d’autres, dans des proportions significatives ? Cette vision d’ensemble disparaîtrait. Comment sécuriser l’ensemble du dispositif ? Comment éviter que des garanties d’emprunt accordées par les collectivités locales puissent être mises en jeu ?

Le rapport évoque le financement du PLU et des PLAI. M. Michel Bouvard a exprimé le sentiment que les PLS étaient considérés d’une manière différente.

M. Michel Camdessus a répondu qu’il n’en était rien.

M. Michel Bouvard s’est dit convaincu que les PLS répondaient à un besoin, compte tenu du différentiel de loyers qui existe aujourd’hui entre le parc social, y compris dans son niveau de loyers le plus élevé, et le marché libre.

Enfin, le système unifié actuel est aussi celui qui a permis la bonification des prêts qui étaient accordés. Certes, le fait de prêter à un coût inférieur à celui de la ressource n’est pas satisfaisant. Il faut espérer que les efforts qui seront consentis demain en matière de baisse de rémunération des réseaux et d’amélioration du coût de la ressource, permettront de prêter à des conditions équivalentes à la ressource, voire légèrement supérieures. Néanmoins on ne peut pas exclure le fait qu’il y ait à nouveau besoin de bonifications.

De 2004 à 2008 inclus, c’est une somme conséquente de 400 millions d’euros qui aura été consacrée par la Caisse des dépôts, sur les ressources de la section générale, à la bonification. Si, demain, apparaît un différentiel entre les coûts de la ressource et le coût des prêts, qui sera capable de bonifier, surtout si la ressource budgétaire de l’État n’est effectivement plus suffisante pour investir massivement dans le logement social ?

Le Président Didier Migaud a souligné que plus de la moitié des détenteurs de livret A avaient des encours inférieurs à 150 euros, ce qui représente 0,7 % des encours. Il s’est demandé comment on pouvait répartir équitablement, entre toutes les banques, cette mission d’accessibilité bancaire.

M. Michel Camdessus a commencé par répondre aux questions du président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts.

Pourquoi suggérer la mise en place d’un établissement public qui aurait une structure juridique autonome ? Aujourd’hui, les fonds d’épargne de la Caisse des dépôts sont l’objet d’une comptabilité vérifiée, certifiée, et évidemment parfaitement correcte.

D’abord, il s’agit là d’une très grande mission publique : 204 milliards d’encours sur le logement des moins favorisés de notre pays. Or ces 204 milliards ne sont consolidés réellement ni dans les écritures de l’État ni dans celles de la Caisse des dépôts. Donner la personnalité juridique publique à ces comptes-là irait dans le sens d’une plus grande transparence.

Ensuite, en raison de la parfaite intégrité de sa gestion et de sa connaissance profonde du logement social, la Caisse des dépôts mérite qu’on renforce son rôle et qu’on la mette en mesure de gérer le financement du logement social d’une manière moderne. Or, aujourd’hui, la gestion financière de ce secteur social est extrêmement hypothéquée dans ses choix. Elle n’a que la ressource du livret A et le matelas qui lui permet de bonifier. À certains moments, la ressource du livret A est à des taux inférieurs à ceux du marché obligataire. À certains moments, elle connaît des chutes de pression.

Enfin, on assiste à une sorte de récession séculaire du livret A par rapport à l’ensemble de l’épargne française : alors qu’il en représentait 20 % il y a une vingtaine d’années, il n’en rassemble plus que 6 ou 10 %.

Si l’on veut que le logement bénéficie du meilleur financement possible, il faut libérer la capacité d’innovation de la Caisse des dépôts et sa capacité d’action, pour qu’elle soit à tout moment en mesure de produire le cocktail de financement qui soit le meilleur marché possible. C’est la raison pour laquelle il a été suggéré que la garantie de l’État puisse être donnée à des obligations dont la destination exclusive serait le logement social. Certes, la Caisse des dépôts peut bénéficier de la garantie de l’État, mais il serait souhaitable que cette garantie soit circonscrite au domaine du logement social.

Il y a toutes les raisons de créer un cadre juridique propre et de faire en sorte que la ressource du livret A soit réservée, comme les financements obligataires, au logement social, les autres emplois de la Caisse des dépôts étant financés par le LEP ou d’autres ressources. Cela reviendrait à établir une sorte de muraille de Chine entre le logement social et les autres emplois.

Enfin, il serait normal qu’à cette occasion, le régime de la garantie et de sa rémunération soit clarifié une bonne fois pour toutes. La rémunération de la garantie de l’État s’exerce par un prélèvement, peut-être pas arbitraire, mais souvent inattendu dans son montant, et qui dépend des autres contraintes budgétaires pesant sur le ministère des finances.

M. Michel Bouvard a remarqué que le montant du prélèvement n’était pas inattendu, puisqu’il portait, s’agissant des fonds d’épargne, sur la totalité des résultats.

M. Michel Camdessus lui a rétorqué que cela aggravait le cas du ministre des finances ! La garantie de l’État vaut un certain taux – 0,05 %, par exemple – et il n’est pas normal que celui-ci varie suivant les résultats de l’année.

La création d’une structure comme celle-là aurait le mérite de la transparence et de la clarté, et elle préserverait le caractère sacro-saint du financement du logement social. Certes, la Caisse des dépôts saurait le faire, même sans ce cadre juridique, mais ces 204 milliards d’euros méritent tout de même un cadre autonome et quelque peu sécurisé.

Cette proposition n’est pas du tout inspirée par une défiance quelconque à l’égard de la Caisse des dépôts, bien au contraire. Elle vise à lui accorder plus de liberté, notamment sur le plan stratégique.

M. Michel Bouvard s’est interrogé sur la période transitoire de cinq ans. Est-ce la bonne période ? Nul ne le sait. Comment les gens vont-ils réagir ? Le nombre des personnes bancarisées par le livret A est en régression très importante. De 700 000 au début de ce siècle, il est passé à 300 000 aujourd’hui. Combien seront-ils ultérieurement ? Quelle sera leur adaptation au droit au compte ? On ne le sait. C’est la raison pour laquelle on a suggéré qu’un observatoire y regarde de plus près et donne son avis au Gouvernement qui pourrait éventuellement, au vu des faits, décider de prolonger cette période d’un an ou deux.

La centralisation et l’affectation des sommes laissées aux banques ont fait l’objet d’une autre série de questions.

La centralisation ne devrait poser aucun problème. Ce qui est proposé constituerait la prorogation à l’identique de ce qui existe. Il y a en effet aujourd’hui à peu près 200 milliards d’épargne détaxée : 140 sur le livret A, 60 sur l’ancien Codevi devenu livret de développement durable, ce dernier étant centralisé à hauteur de 10 %. Si on les mettait ensemble et maintenait à l’identique le taux de centralisation, le système auquel on aboutirait serait entièrement centralisé à 70 % et décentralisé à 30 %. Que faire alors de ces 30 % ? La fiscalité doit en effet avoir une fonction d’intérêt général. Voilà pourquoi on a proposé de proroger la situation actuelle : cette partie décentralisée financerait les PME et les dépenses de développement durable. Tel serait donc toujours le cas, sauf si le Gouvernement en décidait autrement.

La fusion, à terme, du livret A et du Codevi permettrait, par ailleurs, une simplification tout à fait désirable et limiterait les fraudes, par cumul des plafonds, notamment.

La plupart des personnes interrogées sur l’hypothèse de la généralisation de la distribution ont répondu que, pendant les premières années, on aurait trop d’argent et qu’ensuite on risquait de ne pas en avoir assez. Que peut-on faire pour se prémunir contre ce qu’on appelle la cannibalisation ou le siphonage, expressions pittoresques mais coûteuses ?

Comme on ne sait pas exactement ce qui va se passer, on a pensé qu’il serait très utile de donner la possibilité au comité directeur du logement social, s’il y a trop d’argent collecté, de réduire le taux de centralisation, et de le relever s’il n’y en a pas assez. Suivant le niveau des taux sur le marché obligataire, suivant la disponibilité de telle ou telle autre ressource, le Gouvernement disposerait d’un moyen de régulation conjoncturelle, dont il manque aujourd’hui. On ne risque pas que le curseur se déplace progressivement de 70 %, à 60 %, etc. jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’argent pour le logement social. Cependant il serait utile, pour le logement social, de faire en sorte que ce curseur puisse se déplacer en fonction des besoins effectifs et de l’état des marchés de l’argent.

La fonction de prêteur principal de la Caisse des dépôts a déjà été évoquée. Celle-ci a en effet une fonction importante de sécurisation du dispositif, du fait de sa connaissance complète de ses clients. Elle joue un rôle de conseil qu’il convient de préserver et qu’on ne propose évidemment pas de remettre en cause. On le rehausse même un peu, en augmentant le standing de la MIILOS, un bon organisme d’inspection qui mérite d’être mieux exploité.

Les propositions formulées en ce domaine ne sauraient, en quelque manière que ce soit, réduire la sécurité du dispositif, donc exposer davantage les collectivités locales à la mise en jeu de cette garantie.

Le PLS est très utile : c’est la mise en adjudication d’une petite partie des ressources collectées par le livret A pour que les banques les distribuent à travers leur propre réseau. En fait, le dispositif de financement du logement social manque de soupapes de sécurité à ses deux extrémités. Une réunion a eu lieu hier entre le Président de la République et les organisations du logement social ; en effet, on ne fait pas assez pour les gens qui vivent dans des taudis. Du côté du PLAI et des plus déshérités, on a besoin de moyens adaptés, mais on en a besoin aussi du côté du PLS, pour que le système respire. Certaines personnes qui n’ont plus leur place dans les HLM parce que leur train de vie s’est amélioré doivent pouvoir se loger ailleurs et laisser leur place à d’autres. Voilà pourquoi le PLS a encore des services à rendre, même s’il est vrai qu’il pourrait être amélioré.

Il n’est pas question de remettre en cause l’intégrité de la Caisse des dépôts. Les propositions du rapport sont-elles libérales ou sociales ? Elles sont en tous cas basées sur la constatation des réalités et sur le fait que plus il y a d’acteurs sur un marché, plus on a de chances de collecter davantage et de mettre en concurrence les imaginations et les initiatives, ce dont tout le monde peut tirer bénéfice. En tout cas, rien, dans les propositions, ne saurait remettre en cause l’équité républicaine.

Cela étant, que faut-il faire des intérêts au-delà des plafonds ? En raison de l’extrême difficulté des mesures d’application qu’il faudra prendre, on a décidé qu’à ce stade, il valait mieux ne pas trop charger la barque et on ne s’est pas prononcé. Reste que la question se pose et qu’il y a quelque chose d’irritant à constater que 44 % des encours viennent de livrets qui sont au plafond. On est bien loin de l’épargne populaire !

Nul ne sait ce que deviendra la collecte, mais des propositions fortes ont été formulées pour éviter qu’il y ait une décollecte, notamment en maintenant la centralisation au même niveau qu’aujourd’hui. En laissant 30 % de la collecte aux banques, on fait en sorte que ces dernières y soient intéressées.

Cette répartition permettra d’éviter un comportement cannibalesque de la part des banques. Il suffit de regarder la télévision : allez chez X, allez chez Y., mais Z en donne davantage… La menace est permanente. Elle est aussi partout : dans les journaux, un petit écureuil avec ses noisettes propose des plans d’assurance-vie à 4,35 %. Il faut bien comprendre que toutes les banques auront cette tentation, car nous vivons dans une économie hyperfinanciarisée.

Il ne s’agit pas d’interdire ce comportement par des mesures administratives, mais de faire en sorte que la Caisse des dépôts puisse jouer sur plusieurs leviers afin qu’il y ait toujours le nécessaire pour financer le logement social.

Deux autres éléments permettraient de se prémunir contre la cannibalisation.

D’abord les banques ont dit elles-mêmes qu’elles ne seraient pas hostiles à la mise en place du dispositif suivant : collectant sur le livret A rénové elles garantiraient le maintien, pendant une période de trois à cinq ans, du niveau de collecte atteint pendant un exercice donné. Ces banques seraient obligées de conserver la ressource pendant trois ou cinq ans. Ce ne serait pas une éternité, mais c’est tout de même une assez longue période en matière d’économie monétaire. On pourrait sans doute obtenir ce genre de comportement des banques, au moment où on leur donnerait le droit de distribuer un instrument détaxé.

Par ailleurs, il se trouve que la directive « marchés d’instruments financiers » – la directive MIF – qui vient d’entrer en application, prévoit l’encadrement juridique du devoir de conseil des banques commerciales à leurs clients. Celles-ci n’ont pas le droit de leur dire n’importe quoi ; ainsi elles ne pourront pas ne pas leur indiquer que l’instrument à vue ou liquide, de loin le plus rémunéré, aujourd’hui comme demain, sera le livret A. Si elles violaient cette règle, elles pourraient être poursuivies. Une règle ne saurait suffire à prévenir les abus. Néanmoins, en ajoutant cela aux autres éléments qui viennent d’être exposés, on devrait pouvoir se protéger de la décollecte.

Il n’est pas prévu de modifier les règles de la centralisation des autres produits que le livret A. Il est simplement proposé de réduire le taux de rémunération du LEP, car il est tout à fait excessif.

On peut craindre que pendant très longtemps les cas sociaux les plus difficiles ne restent à La Poste ou dans les Caisses d’épargne, même si elles ont tendance, en devenant banques de droit commun, à laisser un peu s’effacer leurs préoccupations sociales. Il est proposé, dans le rapport, un cahier des charges d’accessibilité bancaire. Les banques devront ainsi montrer tous les deux ou trois ans à l’observatoire ce qu’elles font pour aller dans le sens de l’accessibilité bancaire.

Il est également proposé que si l’observatoire se rendait compte de l’existence d’un écart trop flagrant entre ce que font les unes et ce que font les autres, on institue entre elles un système de péréquation : celle qui en feraient le moins paieraient une certaine somme pour dédommager celles qui en feraient le plus. C’est le système du Play-or-pay, qui est appliqué dans bien des domaines. Si les banquiers ne veulent pas qu’il soit mis en œuvre, ils devront se montrer zélés en respectant les dispositions législatives relatives au droit au compte.

Le Président Didier Migaud a remercié M. Michel Camdessus pour ses réponses très complètes.

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