Accueil > Travaux en commission > Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 6 février 2008

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 57

Présidence de M. Didier Migaud, Président

– Audition, ouverte à la presse, de représentants de l’intersyndicale du secteur semi-public économique et financier, sur la distribution du Livret A et le financement du logement social

Le Président Didier Migaud a rappelé que cette audition se situe dans le prolongement des réunions organisées depuis trois semaines par la commission des Finances sur le thème du Livret A et du financement du logement social.

Ce sont aujourd’hui quatre membres de l’intersyndicale du secteur semi-public économique et financier qui sont auditionnés, cette intersyndicale comprenant également des organisations d’autres structures telles que IXIS, la CNP, la Banque Palatine, le Crédit foncier, la Banque de France, IEDOM, IEOM, l’Agence française de développement, OSEO, Ubifrance et Natixis. La contribution écrite que les représentants syndicaux ont communiquée est par ailleurs distribuée aux membres de la Commission.

La commission des Finances est très attentive à l’évolution du dossier de la distribution du Livret A et aux conséquences de sa banalisation sur le circuit du financement du logement social, mais également sur la façon dont serait désormais assurée l’accessibilité bancaire pour tous. Il est notable que ces deux aspects de cette question préoccupent les représentants syndicaux : le rôle du Livret A dans la lutte contre l’exclusion bancaire et la centralisation des fonds collectés par la CDC à des fins d’intérêt général.

M. Jean-Philippe Gasparotto a remercié M. le Président et l’ensemble de la Commission pour leur accueil. L’intersyndicale du secteur semi-public économique et financier existe depuis plus de dix ans. L’un de ses actes fondateurs a d’ailleurs été son intervention dans le cadre de la réforme du statut des caisses d’épargne en 1999. S’agissant des questions liées au Livret A, elle intervient au sein d’un collectif plus vaste – « Pas touche au Livret A » – rassemblant des associations de mal-logés, de locataires, d’élus locaux et de consommateurs. Une campagne de sensibilisation de l’opinion sur les menaces que fait peser la banalisation du Livret A sera lancée cette après-midi devant La Poste de la rue du Louvre, à Paris. Le livret « Pas touche au Livret A » comprend une carte à envoyer au Président de la République afin que les citoyens puissent témoigner de leur attachement au système actuel.

Depuis la modification du statut des caisses d’épargne et la transformation des services financiers de La Poste en Banque postale, il était à craindre que des menaces finissent par peser sur le Livret A, en particulier, sur sa distribution par l’oligopole de La Poste, des Caisses d’épargne et du Crédit Mutuel.

L’intersyndicale a été reçue par la Commission européenne en septembre 2006, lorsque Bruxelles a commencé ses investigations et que la procédure a été engagée par quatre banques françaises ainsi que l’établissement de crédit ING. Malgré les arguments avancés, l’injonction faite au Gouvernement français de généraliser la distribution du Livret A à l’ensemble des banques privées européennes a été effective en mai 2007. Or cela risque d’entraîner très rapidement un tarissement de la ressource du Livret A et de menacer l’inclusion bancaire, qui est pourtant l’une de ses missions essentielles.

Bruxelles, néanmoins, ne remet pas en cause la centralisation des fonds d’épargne du Livret A à la CDC non plus que le rôle éminent de ce dernier dans le financement du logement social. La décision de Bruxelles a fait en outre l’objet d’un recours de la part du Gouvernement, des Caisses d’épargne et de la Banque postale. Celui-ci doit être maintenu, comme y incite d’ailleurs la jurisprudence de 2005 relative au livret bleu.

L’intersyndicale est en revanche beaucoup plus inquiète s’agissant des préconisations du rapport Camdessus : abandon de la centralisation à 100% de l’encours du Livret A à la CDC, application de la déliaison des prêts, fin de la mission d’inclusion bancaire, possibilité de créer un établissement public différent de la CDC dédié à la gestion des fonds d’épargne.

M. Nicolas Galépidès a rappelé que, à l’occasion des deux rencontres avec la commission Camdessus, l’intersyndicale avait particulièrement insisté sur l’accessibilité bancaire et le lien du réseau postal avec le Livret A. La remise en question de ce modèle entraînerait, en effet, de graves risques sociaux.

Si le Livret A, à l’origine, ne constituait pas un outil visant à favoriser l’inclusion bancaire, aujourd’hui, un titre de séjour provisoire suffit pour en ouvrir un et domicilier un salaire, bénéficier de relevés d’identité ou retirer des chèques de banque gratuits jusqu’à 1 000 euros. Environ 1,4 million d’opérations ont lieu chaque mois aux guichets de La Poste. Certaines personnes – dont les gens du voyage, qui ne peuvent pas justifier d’une adresse –, n’ont pas d’autres cartes de retrait, certains clients retirent leurs derniers billets de 10 euros - compte tenu de la limite préconisée par M. Camdessus – et, enfin, à titre d’anecdote, une guichetière de La Poste, à Caen, a même délivré récemment 30 centimes à un client qui a fait la queue pour percevoir cette somme.

Le droit au compte ne fonctionne pas ou, à tout le moins, fonctionne mal. La charte de bonne conduite évoquée par M. Camdessus, quant à elle, ne peut que laisser perplexe. Il ne faut donc pas remettre en cause les équilibres de l’accessibilité bancaire, d’autant qu’ils sont liés à l’équilibre territorial.

Le délai de cinq ans dont bénéficie La Poste servira à la « mise en forme » des 17 000 points de contact qui forment le réseau postal, lequel connaît une importante mutation entre les relais Poste – une quinzaine d’opérations y sont possibles contre 400 pour les bureaux de poste – et les agences postales communales. Outre qu’un plan de résorption de ce réseau est en cours - il ne reste plus que 4 500 bureaux de plein exercice – les relais Poste ne peuvent pas, quant à eux, faire des opérations sur le Livret A.

M. Bruno Aguirre a considéré que l’intérêt général et les intérêts particuliers des réseaux collecteurs sont liés. Le Livret A existe depuis près de deux siècles : la première caisse d’épargne de France, devant laquelle l’intersyndicale manifestera cette après-midi rue du Louvre, a été fondée en 1878. La CDC a, elle, été créée en 1816 et c’est à partir de 1837 que les fonds y ont été centralisés. Le Livret A a été conçu alors que les assurances sociales n’existaient pas, l’épargne populaire étant censée permettre de faire face aux aléas de l’existence.

Faut-il on non remettre en cause ce modèle ? C’est la vraie question.

Cet équilibre permet non seulement de préserver l’épargne populaire, notamment à partir de fonds centralisés à 100% à la CDC, mais aussi d’œuvrer en faveur de l’aménagement du territoire, comme en témoigne la question de l’implantation des bureaux de poste. En outre, 1 000 agences de Caisses d’épargne environ devraient être supprimées. A cela s’ajoute une baisse de la rémunération du Livret A, fixée par le rapport Camdessus à 0,40 %. Pourquoi donc modifier l’équilibre existant et un modèle qui a fait ses preuves ?

M. Claude Bertrand a rappelé que les documents transmis à la Commission contiennent une analyse du rapport Camdessus, mais également un certain nombre de propositions.

Des dysfonctionnements ont certes été constatés, mais ce n’est pas une raison pour considérer que les Caisses d’épargne ne pourraient pas continuer à distribuer le Livret A. La loi de 1999 leur confère en effet des missions d’intérêt général et de financements que leurs dirigeants, en revanche, ne semblent pas considérer comme prioritaires : il faut se montrer vigilant à leur endroit et accroître les contrôles.

M. Charles de Courson a noté qu’il y avait deux hypothèses : soit le maintien du statu quo – or, selon la plupart des observateurs, le duopole n’est pas tenable –, soit la « banalisation » du Livret A. À quelles conditions, dans ce second cas, un certain nombre de risques peuvent-ils être évités ?

Quid, de plus, du régime fiscal des Livrets ? Environ 7 % des détenteurs sont au plafond, mais eux seuls, à la différence de la clientèle populaire – qui n’est pas imposable – profitent de l’exonération. Est-ce justifié ?

M. Michel Bouvard a rappelé que c’est le mode de distribution du Livret A qui soulève des problèmes et non le Livret A en lui-même.

Le Président Didier Migaud a noté que sa fiscalisation, en revanche, pouvait aussi en être un.

M. Michel Bouvard a ensuite indiqué que, dès lors que le chef de l’État a considéré que le mode de distribution du Livret A devait être ouvert, il importe surtout de savoir comment éviter les inconvénients qui ont été à juste titre soulignés : problème de la bancarisation des publics défavorisés, niveau de centralisation par rapport aux besoins en logements sociaux etc.

N’est-il pas possible d’imaginer un relèvement du plafond du Livret A afin de dégager des ressources ?

La rémunération à 0,40 % n’étant donc pas satisfaisante, la modulation des rémunérations par rapport à la typologie des réseaux et à la nature des encours est-elle préférable ?

Enfin, le rapport Camdessus propose que, à la place d’une centralisation totale du Livret A à la CDC soit mise en place une centralisation regroupée du Livret A, du livret de développement durable et du livret d’épargne populaire. Est-il donc possible d’envisager une centralisation regroupant l’ensemble des produits de l’épargne réglementée sachant que cela, selon M. Camdessus, permettrait d’assurer le même volume de centralisation auprès de la CDC ?

M. Jean-Pierre Balligand a salué la campagne initiée par l’intersyndicale.

Comment défendre l’épargne administrée ? Il faut certes se battre contre la banalisation du Livret A, même si la question se pose de son équité fiscale. En outre, cette épargne étant réputée liquide, la question de son siphonage ne s’en pose pas moins, car que se passera-t-il lorsque la bourse sera redevenue attractive ? Quel sera le comportement des distributeurs du Livret A sachant que des produits financiers de substitution ont déjà été proposés dans les Caisses d’épargne à des détenteurs solides ?

Le risque est là qui, à terme, peut conduire à la mort programmée de l’épargne défiscalisée remplissant des missions d’intérêt général, alors qu’il n’est même pas possible, aujourd’hui, de financer le logement social et la reconstruction de certains quartiers. M. Camdessus, lui, se contente d’affirmer qu’il ne croit pas que les choses se passeront ainsi.

En outre, quid des établissements du duopole ? Un problème se posera en particulier à La Poste, la Banque postale n’ayant jusqu’à présent pas le droit de distribuer tous les produits financiers. La compétition s’exacerbera donc entre les banques de proximité. Il est de surcroît notable que ce n’est pas l’Europe qui s’est saisie de cette question : ce sont les banquiers français qui ont saisi la Commission européenne pour demander la fin du duopole de distribution, un certain nombre d’entre eux ayant eu peur de l’efficacité de La Poste dans la collecte de l’épargne.

Enfin, les banquiers préfèreront payer des pénalités plutôt que d’organiser l’inclusion bancaire et La Poste, quant à elle, ne pourra la réaliser. Le Livret A, aujourd’hui, sert précisément à cela.

M. Jean-Philippe Gasparotto a fait observer, à propos de la question de M. de Courson quant aux éléments qui pourraient limiter les effets de l’éventuelle mise en œuvre de la banalisation demandée par Bruxelles, que le Livret A est un ensemble constitué à la fois du duopole de distribution, de la centralisation des fonds à la Caisse des dépôts, de la possibilité d’ouvrir un livret dans n’importe quel point du territoire mais aussi à l’étranger, en déposant seulement 1,50 euro sans même justifier de son identité, le tout étant défiscalisé et placé sous la garantie de l’État. Il est donc très difficile d’envisager une évolution de cet ensemble sans se situer dans une perspective à long terme.

Ce qui fait la solidité du Livret A et l’attachement que lui portent les ménages, c’est que ces derniers disposent d’une analyse portant sur 200 ans pour vérifier cette solidité. Qu’ils soient ou non aisés, ils savent que ce produit a résisté à toutes les turbulences de l’histoire économique. On peut considérer que les titulaires de Livrets A n’ont jamais été spoliés : même si le taux d’intérêt nominal a parfois été inférieur à l’inflation, mais c’était alors le cas de tous les produits financiers. Si on calcule sur plusieurs dizaines d’années le différentiel entre le taux d’inflation, le taux du Livret A et le taux de tous les autres produits d’épargne concurrents, le Livret A l’emporte de loin en matière de lutte contre la spoliation, les ménages le savent.

M. Gérard Bapt a rappelé que, pour parer aux dangers potentiels pour le Livret A et pour le duopole, on a émis l’idée d’une compensation par une augmentation du plafond. S’agirait-il d’une parade efficace ?

M. Jean-Philippe Gasparotto a répondu que l’intersyndicale a en effet proposé de relever le plafond, qui ne l’a pas été depuis 1991. Au vu des comportements d’épargne et des statistiques disponibles, un plafond de 20 000 euros paraîtrait tout à fait correct. Dans l’ensemble des réseaux distributeurs, 2,39 % des livrets sont au plafond. En outre, dans l’ensemble des réseaux distributeurs, 570 000 personnes détiennent des livrets fiscalisés sans être titulaires d’un Livret A ou d’un livret bleu. Par ailleurs 2 500 000 personnes détiennent un livret fiscalisé alors que leur Livret A ou bleu n’est pas au plafond. C’est dire les marges de progression que permettrait une augmentation du plafond, y compris dans le réseau actuel.

M. Charles de Courson a souligné que l’on observe depuis vingt ans un basculement vers l’épargne fiscalisée et vers l’assurance-vie, cette dernière étant également distribuée par l’un des deux réseaux. On voit bien que ce basculement est d’autant plus important que le niveau des dépôts est élevé. Dans ces conditions, faut-il maintenir le système d’exonération qui favorise surtout les dépôts des plus importants, ou aller vers une autre approche, à partir d’un certain montant d’intérêt ? Serait-il possible de le faire uniquement pour le Livret A ?

La fiscalité de l’épargne évolue vers des taux « flat » qui sont actuellement, CSG et CRDS comprises, à 26 ou 27 %. Pour tous ceux qui ont des taux marginaux à l’avant-dernière ou à la dernière tranche, le prélèvement forfaitaire est plus intéressant que la déclaration. Comment peut-on envisager l’évolution des choses dans un contexte de concurrence ?

M. Jean-Philippe Gasparotto a observé que le Livret A était davantage qu’un produit au regard de ses fonctions d’inclusion bancaire et de financement de missions d’intérêt général. Pour l’usager, ce qui en fait l’intérêt, c’est la simplicité. Ce ne serait plus le cas dès lors que l’on entrerait dans un dispositif où il faudrait faire des calculs pour voir où est son intérêt en fonction de la tranche fiscale dans laquelle on se situe.

Les statistiques sur le comportement d’épargne des détenteurs montrent que les gros livrets ne sont pas détenus par les ménages les plus aisés, mais par les plus âgés : parce que les épargnants ont confiance dans le produit, parce que le dépôt est très simple, ils déposent leurs liquidités, parfois d’un faible montant, mais tout au long d’une période de vingt ou trente années et cela finit par faire de gros livrets.

Certes, M. Balligand a jugé que les effets de la banalisation ne se feraient pas sentir à court terme, mais il faut prendre en considération le fait que près de 40 % des clients de la BNP, 38 % des clients du Crédit agricole, plus de 30 % des clients de la Société Générale et même plus de 20 % des clients du groupe HSBC ont un Livret A ou bleu. Dès lors que l’une de ces banques aurait la possibilité de distribuer le Livret A, elle proposerait immédiatement à ses clients d’en ouvrir un chez elle pour simplifier leurs opérations et les clients n’y verraient pas d’inconvénients. On pourrait donc assister, dès lors que la porte serait ouverte, à un transfert d’épargne extrêmement rapide des banques qui distribuent actuellement ces livrets vers les banques classiques. Cela pénaliserait beaucoup la Banque postale en particulier, avec un impact rapide sur le montant de son encours global et sur son niveau de commissionnement.

M. Charles de Courson a insisté sur le problème du niveau de la rémunération. On voit déjà que, lorsque l’on tarde à remonter les taux d’intérêt, les Livrets A se vident. Il y a donc bien un problème de compétitivité par rapport aux autres produits. Ne conviendrait-il pas d’en tirer toutes les conséquences pour la Banque postale, en levant, en cas de banalisation, les limites qui lui sont imposées ? À défaut, on tuerait tout simplement la Banque postale.

M. Claude Bertrand a constaté à son tour que, si tout le monde peut distribuer le Livret A, les établissements qui se voient aujourd’hui imposer des limites vont demander à pouvoir tout distribuer. Si tous les établissements distribuent le Livret A et si son taux de rémunération est faible, il n’y aura pas d’intérêt pour l’établissement à conserver l’argent sur ce livret s’il est mieux rémunéré sur un autre produit, notamment l’assurance-vie. Les banques feront donc tout pour que leurs clients transfèrent les fonds.

À ce jour, on évoque une rémunération qui chuterait de 1,3 et 1 % à 0,4 %. Les Caisses d’épargne ont mis cette information à profit pour annoncer la fermeture de 1 000 agences. Cela encouragera également un glissement des fonds vers des produits mieux rémunérés.

Surtout, si on banalise toute la distribution, on banalisera également les missions. Dès lors, plus aucun établissement ne se sentira tenu de remplir des missions d’intérêt général, cela a d’ailleurs été annoncé en comité de groupe des Caisses d’épargne et l’on peut s’attendre à ce que La Poste fasse de même. Mieux vaudrait donc qu’il soit inscrit dans la loi que certains établissements doivent continuer à exercer ces missions. Pour l’instant, ils distribuent en contrepartie un produit qui correspond en outre à ces missions.

Avec la banalisation, les fonds vont s’éloigner très rapidement des Livrets A et bleu, notamment des plus gros, et la question de l’inclusion bancaire de la population défavorisée sera posée. Il faudra également être vigilant quant au type d’agences proposé : aller vers des guichets automatiques exigeant de disposer d’une carte ne permettrait plus aux personnes les plus modestes d’effectuer des opérations courantes.

Il faut donc bien être conscient que l’on parle de la banalisation de tout ce qui est lié aujourd’hui au Livret A et qu’il faut bien, dans ce cadre, se demander ce que deviendront les missions d’intérêt général. Dans ces conditions, aucun élément ne paraît à même de rendre la banalisation plus supportable, sauf à imposer à toutes les banques de remplir de telles missions.

M. Jean-Philippe Gasparotto a souhaité revenir sur l’idée, portée par le rapport Camdessus, de rompre avec le principe de centralisation totale du Livret A et de fixer un taux intermédiaire des deux tiers, en regroupant le Livret A et le livret de développement durable, c’est-à-dire l’ancien Codevi. Même si, à partir des chiffres de cette année, on parviendrait ainsi à un même niveau d’épargne centralisée, on ne saurait oublier que, à la création du Codevi, le taux de centralisation était de 93 %, mais qu’il est rapidement passé à 50 % et que l’on n’est plus aujourd’hui non pas à 9 %, mais à 6,5 %. Dès lors que l’on abandonnerait le principe de la centralisation totale, il est probable que les banques exerceraient une pression pour abaisser le taux de centralisation, ce qui provoquerait un tarissement de la ressource.

Le rapport Camdessus propose par ailleurs de réserver l’épargne centralisée sur le Livret d’épargne populaire, soit environ 50 milliards d’euros, au financement d’autres missions d’intérêt général que le logement social. Le taux de rémunération du LEP est plus élevé de 70 points de base que celui du Livret A. Même d’un point de vue fiscal, cela ne paraît pas totalement justifié et il serait sans doute possible de revenir à 50 points de base d’écart et de financer en effet d’autres missions que le logement social.

M. Nicolas Galépidès a rappelé que Bruxelles a reconnu l’existence d’une « mission impérieuse d’intérêt général ». La Banque postale l’évalue à 550 millions d’euros et la Commission à 420 millions. C’est à partir de ces calculs que M. Camdessus est parvenu à une rémunération de 0,4 %. Cependant cette notion de mission impérieuse ouvre la porte à une aide d’État qui pourrait être versée à la Banque postale. Comme les autres banques, celle-ci a pour métier de gagner de l’argent ; elle se tourne actuellement vers des clientèles patrimoniales ; elle cherche à nouer des alliances ; elle a obtenu l’ouverture du crédit à la consommation et de l’assurance dommages, mais, dans le même temps, elle demeure la seule à s’adresser à la population défavorisée.

Par ailleurs, la campagne « pas touche au Livret A » ne signifie pas que les syndicats n’appellent pas de leurs vœux une amélioration du système et ils proposent des pistes pour cela.

M. Bruno Aguirre a à son tour souligné que si le système doit se réformer, il fonctionne pour l’instant de manière satisfaisante, en particulier d’un point de vue social.

Il est vrai que les dirigeants de la Banque postale et des Caisses d’épargne ont en quelque sorte scié la branche sur laquelle les établissements sont assis, en particulier en menant des opérations contraires aux missions d’intérêt général pourtant rappelées clairement dans l’article 1er et dans l’article 6 de la loi portant réforme des Caisses d’épargne. Peut-être le législateur n’a-t-il pas été assez prudent, en 1999, en laissant à une seule personne la possibilité de conduire une telle évolution. Charles Milhaud porte la lourde responsabilité d’avoir fait évoluer les Caisses d’épargne vers un statut coopératif, mais en laissant passer la chance de s’engager totalement dans cette voie. Tout cela a fragilisé l’image des Caisses mais aussi celle du Livret A porté par ce réseau.

Il convient donc de stigmatiser le comportement des dirigeants, mais on ne saurait pour ce motif remettre en cause le fonctionnement de l’ensemble du Livret A qui procure un véritable dividende social à la nation. Au cas où on le banaliserait, les banques feraient en sorte de siphonner les fonds du Livret A au profit de produits plus rémunérateurs en vue de dégager un dividende non pas pour la nation, mais pour les actionnaires.

Le Président Didier Migaud a remercié les participants à cette audition.

*

* *