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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mercredi 10 septembre 2008

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 117

Présidence de M. Didier Migaud, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Tapie, ancien président du groupe Tapie, sur les procédures liées aux contentieux entre le Consortium de réalisation (CDR) et le groupe Bernard Tapie

La commission des Finances, de l’économie générale et du Plan a procédé à l’audition de M. Bernard Tapie, ancien président du groupe Tapie, sur les procédures liées aux contentieux entre le Consortium de réalisation (CDR) et le groupe Bernard Tapie.

Le Président Didier Migaud : Mes chers collègues, nous accueillons M. Bernard Tapie dans le cadre des auditions concernant les procédures et plus particulièrement la sentence arbitrale rendue récemment dans les conflits opposant le CDR et le groupe Tapie. Tous les documents nécessaires à la bonne compréhension du dossier ont pu être rendus publics, la clause de confidentialité ayant été levée à la fois par M. Tapie et par le CDR. Nous disposons donc de toutes les informations, en particulier du compromis d’arbitrage et de la sentence arbitrale pour nourrir les questions.

M. Bernard Tapie va s’exprimer en premier, comme il le souhaite, avant que nous ne passions aux questions des uns et des autres.

M. Bernard Tapie : Monsieur le président, je n’ai rien préparé dans la mesure où je souhaite répondre à toutes les questions que votre assemblée veut me poser. Selon une certaine logique, les questions relatives à l’arbitrage doivent venir en premier, parce qu’il me semble que c’est tout de même l’objet principal de cette audition : tout ce qui a conduit à l’arbitrage ; est-ce que c’était juste ou non ? La sentence était-elle fondée ou non ? Fallait-il faire appel ou non ? J’ai entendu très peu de chose parce que je ne voulais pas me laisser influencer. Par ailleurs, le CDR et le Crédit Lyonnais étant du même côté, je ne pouvais que continuer à entendre ce que j’entends depuis quinze ans. Il n’y avait aucune surprise à en attendre. Deuxièmement, si vous le voulez, on parlera d’Adidas depuis l’origine de la prise de contrôle jusqu’à sa vente. Troisièmement, puisque j’ai vu que le vice-président du MoDem avait refait le procès ce matin, on va refaire le procès ! Je suis d’accord, même s’il a déjà été fait plusieurs fois. Quatrièmement, je répondrai à tout ce à quoi je n’aurais pas encore répondu.

M. François Goulard : Monsieur le président, il est relativement inhabituel que la personne que nous entendons fixe l’ordre des questions.

M. Bernard Tapie : J’ai fait des propositions.

Le Président Didier Migaud : Vous n’avez pas besoin de faire cette observation, je suis capable de réagir.

Si j’ai bien compris, M. Tapie se propose de passer le temps nécessaire pour répondre à l’ensemble de vos questions, quel qu’en soit l’ordre. Cela étant, on peut concevoir que, pour aller jusqu’au bout d’une question, comme nous l’avons fait ce matin, l’on essaye d’épuiser un sujet avant de passer à un autre. Il ne m’apparaît pas illogique que l’on puisse parler de l’arbitrage, du dossier Adidas et du reste, mais on peut faire l’inverse si vous le souhaitez.

Comme nous l’avons fait à chacune des auditions, nous allons demander à M. de Courson, qui est libre dans ses questions, de commencer à vous interroger.

M. François Bayrou : Une phrase seulement. M. Tapie vient de dire que Jean Peyrelevade était vice-président du MoDem, ce qui est exact. Il n’a pas été entendu à ce titre, de même que Bernard Tapie n’est pas entendu en tant que vice-président des Radicaux de gauche, ce qu’il a été pendant suffisamment longtemps. Les personnes ont été entendues, et le seront, au titre de leur responsabilité de chef d’entreprise.

M. Bernard Tapie : Je ne pensais pas que cette précision était vexatoire. C’était flatteur, au contraire !

Le Président Didier Migaud : Il est utile de rappeler que nous sommes réunis en commission des Finances de l’Assemblée nationale, qui n’est pas une juridiction, ni un tribunal, ni, a fortiori, un cirque, un ring de boxe ou de catch ! Je souhaite que, jusqu’au bout, nous le démontrions, à travers nos questions et vos réponses. Je rappelle que cette séance est télévisée comme toutes les autres et que nous travaillons sous le regard de l’opinion. Chacun doit en avoir conscience.

M. Charles de Courson : J’ai neuf questions à poser.

Première question : Monsieur Bernard Tapie, alors que vous aviez acquis 78 % d’Adidas en juillet 1990, vous avez entrepris dès le mois d’août 1991 de revendre cette participation à hauteur de 20 % à la société britannique Pentland, laquelle était prête, en 1992, à racheter le reste de vos titres, mais y a finalement renoncé en octobre 1992 en raison, semble-t-il, d’un audit défavorable. Avez-vous eu connaissance de ce rapport ? Et quelle est votre interprétation du renoncement de Pentland à poursuivre l’opération de rachat ?

M. Bernard Tapie : Bien entendu, je suis au courant de l’expertise Pentland, d’autant plus qu’elle m’a été communiquée à l’époque où elle a été faite. Elle était d’ailleurs suffisamment bonne pour que Robert Louis-Dreyfus, à un moment où à un autre des procédures, explique que ce qui l’a décidé, c’est l’expertise qui avait été faite par Pentland.

Pourquoi Pentland n’a-t-elle pas donné suite ? Pentland était la propriété d’un homme qui venait de vendre pour 7 milliards de francs les 70 % du capital de Reebok qu’il détenait. Mais il était surtout propriétaire de toutes les unités de sourcing – des usines de fabrication – de Reebok. Son intention – on ne l’a su qu’après la prise d’option – était en fait de prendre Adidas pour pouvoir garantir le travail de ses sociétés qui fabriquaient les chaussures Reebok en Chine car, en vendant Reebok, il avait perdu la certitude de ses débouchés. Le conseil d’administration d’Adidas, comme la loi allemande l’y obligeait, a soumis le projet aux syndicats. Ils se sont totalement opposés à ce que l’actionnaire principal soit en même temps le sourcer, c’est-à-dire celui qui allait fabriquer les chaussures pour le compte de la société mère.

Le deuxième paramètre, c’est qu’entre-temps les variations de change lui ont été extrêmement favorables et, en moins d’un an, l’acheteur potentiel a fait pratiquement 300 millions de francs de plus-value en récupérant sa mise. C’est la seule raison pour laquelle Pentland n’a pas donné suite. En plus, cela se situe un an avant la cession des actions Adidas par l’intermédiaire du Crédit Lyonnais.

M. Charles de Courson : Pendant la période allant de juillet 1990 à la fin de 1992, alors que vous avez été nommé ministre dès le mois d’avril de cette année-là, pourriez-vous préciser à la Commission qui gérait la société Adidas, puisque, ce matin, M. Peyrelevade nous a indiqué que la société Adidas était en très grande difficulté sur la période 1992-1993 ? Et quelles ont été les mesures de redressement qui ont été mises en œuvre – par vous ou par d’autres – pendant cette période ?

M. Bernard Tapie : Pardonnez-moi d’être un peu long, mais je vais être obligé de refaire l’histoire d’Adidas à partir du moment où j’en prends le contrôle.

Adidas, c’est 20 milliards de francs de chiffre d’affaires, pratiquement celui de Nike, qui fait entre 1,5 milliard et 2 milliards de bénéfice, tandis qu’Adidas perd entre 1,5 milliard et 2 milliards. Adidas fait son chiffre d’affaires avec 11 000 employés, dont 9 500 en Europe, Nike avec 7 000 employés, dont 6 500 en Asie du Sud-Est.

Sur le plan du marketing pur, le marché est le suivant : 30 % de croissance sur le sportswear, 5 % sur le sport. Adidas fait 75 % de son chiffre d’affaires dans le sport, le reste dans le sportswear ; Nike, c’est l’inverse. Inutile de vous dire qu’à la limite, c’est un des redressements les plus faciles à opérer, à condition de mettre en œuvre trois principes : un, repositionner la marque sur le plan marketing, ce que je fais en débauchant le patron du marketing de Nike, M. Strasser ; deux, je forme un état-major digne de cette maison en débauchant d’Airbus M. Friderichs, qui était l’ancien ministre des Finances allemand, et Mme Gilberte Beaux, qui travaillait avec M. Goldsmith, le premier devenant président du directoire, la seconde présidente du conseil de surveillance ; trois, malheureusement, on procède à une délocalisation. Quand on prend le contrôle d’une affaire qui travaille dans le textile, les temps de réponse se situent entre trois et quatre ans, tous ceux qui ont fait un peu d’industrie le savent. Et c’est sept ans dans l’automobile. La prise de contrôle date de mi-1990 ; les premiers effets bénéfiques des transformations et mesures qui sont prises ne se ressentiront qu’à partir de 1993. Les premières années, au contraire, les charges liées à la restructuration coûtent très cher, notamment le licenciement de près de 4 000 personnes. Le bilan d’Adidas ne deviendra conforme à ce qu’on attendait qu’à partir de 1993, et l’exercice 1994 dégage déjà un bénéfice de 500 millions de deutsche marks.

La question a d’ailleurs été posée à tous moments de la procédure. Je vous lis la synthèse faite dans la sentence arbitrale : « Il résulte en effet des différents témoignages et pièces comptables versées au débat que l’ensemble des mesures prises de 1990 à 1992 a produit ses effets à partir de 1994. […] La présentation des comptes… est tendancieuse car elle met l’accent sur le bilan et le résultat de 1991 et 1992. » Évidemment, quand on fait le bilan l’année qui suit les restructurations, ce n’est pas brillant ! « Aussi est-ce à juste titre que les liquidateurs invoquent le coût de ces restructurations […] Quant aux baisses du chiffre d’affaires,… » Vous verrez dans tous les témoignages – tous – que le redressement a été opéré « aux trois quarts », selon l’expression de M. Galbois, directeur financier d’Adidas mis en place par le Crédit Lyonnais. Ce n’est pas moi qui l’ai engagé ! Il déclare : « …le redressement était assuré aux trois quarts, un quart seulement était dû au nouveau management, comme la mise aux normes comptables internationales nécessaires à l’introduction en bourse. » Autrement dit, toutes les structures qui ont été mises en place l’ont été par Gilberte Beaux, Bob Strasser, et par M. Friderichs.

M. François Goulard : Vous dites que le redressement lancé était quasiment garanti. Manifestement, ce n’était pas l’opinion du banquier, qui s’est inquiété fin 1992. Ce n’était pas non plus l’opinion des acheteurs éventuels puisque, d’après nos informations, alors même que les mesures de restructuration avaient été décidées et le management changé, ils ne se précipitent pas pour acheter une entreprise qui est si bien partie. Il y a sur la place de Paris des gens qui ne sont pas totalement idiots et qui sont capables, quand ils voient qu’une entreprise a pris des mesures de redressement tout à fait décisives, d’anticiper d’un an ou un an et demi. Comment expliquez-vous le décalage entre la présentation que vous faites et la réalité des appréciations des banquiers, qui, à cette époque-là, ne se précipitent pas pour vous prêter, et de la Commission bancaire qui demande au Crédit Lyonnais et à la SDBO de constituer des provisions sur les crédits qui vous sont consentis ? Pourquoi ne trouve-t-on pas pléthore d’acheteurs à un prix somme toute très raisonnable, d’après vos déclarations ?

M. Jérôme Cahuzac : Votre appréciation, monsieur Tapie, tranche un peu avec ce qu’on a entendu jusqu’à présent. Ce matin en particulier, il nous a été dit que les concours des banques allemandes, qui contribuaient au bon fonctionnement d’Adidas et en assuraient la trésorerie, n’acceptent de continuer qu’à la condition que le management soit changé, ce qui me semble contradictoire avec ce qui vient d’être indiqué. Si le nouveau management avait mis l’entreprise sur de bons rails, pourquoi les banques créancières de votre société exigeaient-elles le changement du management ?

M. Bernard Tapie : J’en viens à ce par quoi je voulais terminer. Vous êtes en train d’utiliser les déclarations de M. Peyrelevade pour contester ce que je dis. Mais ça va être comme ça tout le long ! C’est comme ça depuis 1996. Il va de soi qu’à partir du jour où il y a eu contestation entre le Crédit Lyonnais et moi, deux versions se sont opposées. Elles sont simples.

M. François Goulard : La Commission bancaire, ce n’est pas M. Peyrelevade.

Le Président Didier Migaud : Vous ne pouvez pas poser des questions à M. Tapie sans prendre le temps d’écouter ses réponses !

M. Bernard Tapie : Vous assénez des certitudes sous prétexte qu’elles ont été dites par M. Peyrelevade. Que ce soit sur le portage, sur les comptes, la cession d’Adidas, l’absence d’acheteurs, la situation de faillite, le fait qu’Adidas ne valait plus rien, il dit la même chose depuis 1996. C’est ce qui a été dit devant le tribunal de commerce, et ils ont perdu ; devant la cour d’appel, et ils ont perdu ; devant les arbitres, et ils ont perdu. Je veux bien que le seul qui dise la vérité dans ce dossier, ce soit M. Peyrelevade, sauf que tous les magistrats qui ont eu à étudier le dossier – non pas des déclarations, mais des éléments tangibles, prouvés – lui ont donné tort. Voilà ! Moi, je prétends le contraire. Les banques allemandes n’ont jamais dit qu’elles allaient retirer leurs concours si le management n’était pas changé. C’est totalement faux. La banque allemande a exigé soit que l’on vende des filiales, soit que l’on recapitalise. C’est la première voie que nous avons choisie : on a vendu Arena et Le Coq Sportif. Et les banques allemandes ont été satisfaites de la décision qui a été prise. Personne ne s’en est plaint !

L’un de vous a dit que les acheteurs ne se précipitaient pas. On se moque du monde ! Le mandat de vente est donné en décembre 1992, et M. Louis-Dreyfus est trouvé en janvier 1993. On a mis un mois pour solliciter tout Paris et constater que personne ne voulait d’Adidas ! M. Louis-Dreyfus a fait savoir qu’il était intéressé par Adidas depuis septembre. Il l’a dit et il n’a jamais menti. Depuis septembre, des conversations entre ses avocats, ses conseils et les gens de Clinvest – ce n’est ni SDBO, ni le Crédit Lyonnais qui a fait l’opération – étaient en cours et ils ont accepté. Ils ont fait signer le mémorandum qui faisait office de mandat de vente un mois avant…

M. François Goulard : Le mandat de vente, ce n’est pas le mémorandum.

M. Bernard Tapie : Si, si ! Lisez-le. On va prendre le temps qu’il faut. Il est évident qu’aucun des acheteurs potentiels réels – ils sont connus, ils ont fait des déclarations dans les journaux – n’a été approché : Nike a demandé à être reçu, il ne l’a pas été ; Reebok aussi, il ne l’a pas été non plus ; mieux, le directeur général adjoint, M. Iagui, avait fait une proposition en association avec M. Jacobs, le patron des chocolats Suchard, et il n’a pas été reçu. Il est donc totalement faux de dire que personne ne voulait d’Adidas. Après coup, lorsqu’il a bien fallu expliquer toute la gymnastique du portage, de la fausse vente, de la fausse option, etc., il va de soi que les avocats du CDR, qui sont brillants – l’un des meilleurs tandems de Paris –, n’allaient pas dire devant le tribunal de commerce qu’on m’avait fait une entourloupe, qu’on avait profité d’une option que j’avais donnée pour effectuer une vente à soi-même, par l’intermédiaire de sociétés off shore, et prendre son bénéfice ailleurs.

Ils ont joué sur deux points majeurs. L’un avait une réelle consistance en droit et soulevait une réelle interrogation, c’est celui de la recevabilité de la plainte. Tant qu’il n’était pas tranché, aucun des deux camps n’était tranquille. Le second, qui avait son importance aussi, c’était de présenter la mariée dans le pire état possible, pour que, au cas où la plainte serait recevable, l’indemnité soit en rapport.

J’espère que vous êtes conscients que tout ce qu’on raconte n’a aucune incidence sur le portage. Si toute la théorie du Lyonnais développée par M. Aubert et répétée par M. Peyrelevade était vraie, consultez tous les avocats que vous voulez, cela ne change rien. On ne les a pas attaqués pour avoir diffamé ou parce que j’étais mis en faillite. On les a attaqués parce qu’ils avaient un mandat qu’ils n’ont pas respecté, et parce qu’ils avaient été contrepartie, c’est-à-dire pour avoir pris un profit sur une vente qu’ils étaient chargés d’assurer. Le reste, c’est bien pour la presse, mais ça n’a strictement aucun intérêt. Cela ne change rien au fond, en droit. Je veux bien qu’on en parle, si vous pensez avoir une chance d’être bien meilleurs que tous les magistrats qui se sont penchés sur le sujet, en ayant écouté contradictoirement la parole des uns et des autres – les professionnels, ceux du parquet et ceux du siège. Je veux bien que vous vous substituiez à eux parce que M. Peyrelevade a déclaré ceci ou cela. Mais soyons sérieux ! Un procès, ce n’est pas une déclaration faite un matin devant une Commission. Il faut des preuves, des analyses, des expertises, des contre-expertises, un débat contradictoire, des plaidoiries avant de rendre un jugement. Un tribunal, ce n’est pas qu’un échange de points de vue. Pensez-vous un instant que ce que M. Peyrelevade a dit ce matin, et M. Aubert la semaine dernière, n’a pas été dit par les avocats du Lyonnais ? Si quelque chose a été occulté, vous devez évidemment le relever car cela voudrait dire que, peut-être, il y a encore des choses à faire. La justice doit trancher à condition que tout soit sur la table. Mais pas d’après des bavardages. Il faut des preuves, des éléments concrets !

M. Charles de Courson : Troisième question : le 12 décembre 1992, vous avez, monsieur Tapie, signé un mémorandum confiant à la SDBO la vente, au plus tard le 15 février 1993, de la société Adidas pour 317 millions d’euros, soit 2,085 milliards de francs. Ce délai de deux mois est extrêmement bref. Pourquoi une telle précipitation ? M. Peyrelevade nous a indiqué ce matin qu’il s’agissait d’une quasi-vente forcée du fait de la situation financière extrêmement dégradée de vos affaires.

M. Bernard Tapie : On en revient à ce que je viens de dire. J’ai quitté mon groupe sur la recommandation expresse de mon Premier ministre, qui considérait qu’il était incompatible d’être à la tête d’une affaire industrielle et ministre. J’ai eu la vanité de croire à l’époque que c’était bien plus important pour ma vie, pour mon avenir et celui de mes concitoyens, d’être ministre que de rester industriel ; et j’ai franchi le pas. De ce fait, il a fallu régler le problème de la propriété de mes actions dans l’industrie. Un mémorandum a donc été signé, pas seulement avec la SDBO et le Lyonnais, mais aussi avec mes deux actionnaires principaux qui étaient les AGF et le Crédit Lyonnais. On a décidé de transformer l’ensemble de mes actifs industriels en actifs patrimoniaux. À l’époque, BT Finance est en bourse. Quand je quitte BT Finance, sa capitalisation boursière est de 600 millions ou 700 millions de francs. Deux actifs ne sont pas cotés : Adidas et les actions de TF1, que j’ai achetées 100 millions de francs et qui, l’année qui suit ma mise en liquidation, valaient en gros 3 milliards de francs. C’est vous dire à quel point on aurait été en faillite si j’étais resté à la tête de mes affaires. Rien qu’Adidas et TF1 m’auraient largement permis de rembourser le solde des crédits de la banque, qui était de 600 millions de francs en tout.

Il est temps que l’Assemblée nationale sache comment j’ai été mis en liquidation de biens. Ça va l’éclairer sur la situation difficile que l’on me prête. L’épisode des meubles, c’est un scandale de l’avoir raconté comme ce matin. C’est totalement faux ! Il était prévu qu’on devait confirmer l’expertise de la valeur des meubles. L’échéance tombait le 24 mars. Vous savez tous, sans être avocat, que ce qui se jouait conditionnait la survie du groupe. Le 24 mars, la production de la confirmation de la valeur n’est pas fournie. Le 25, tout est lancé : le passif est rendu exigible. Le 25 après-midi, on reçoit la confirmation des valeurs, c’est-à-dire que l’expertise arrive au siège du Lyonnais à ce moment-là. On était en retard de cinq heures ! Vous voyez ce que c’est que la brutalité ! J’étais client depuis dix-sept ans. Dix-sept ans sans un incident ! Un client qui, parce qu’il est ministre, a cédé le contrôle de ses affaires dirigées par l’ancien adjoint de Mme Gilberte Beaux et qui devient président, après avoir été directeur général. Et il oublie, parce que cela n’est pas précisé, qui devait fournir la contre-expertise.

M. Charles de Courson : Vous n’avez pas répondu à ma question, monsieur Tapie.

Vous avez signé ce mémorandum le 12 décembre 1992.

M. Bernard Tapie : Bien sûr !

M. Charles de Courson : Si votre analyse est exacte, selon laquelle vos affaires étaient florissantes dans deux de leurs composantes qui vous permettaient de rembourser toutes les dettes de toutes vos autres activités, pourquoi avez-vous signé ? Et dans un délai aussi bref : deux mois ? Pourquoi ne pas avoir vendu vous-même, comme vous aviez essayé de le faire avec Pentland, puisqu’il y avait pléthore de candidats ?

M. Bernard Tapie : J’ai pris un engagement absolu, solennel et irrévocable de ne plus avoir aucune activité, ni aucune intervention au sein de mon groupe, ni dans les sociétés de mon groupe. L’épisode Pentland se passe quand j’étais dans les affaires.

Le mémorandum dont vous me parlez, n’importe quel juriste le voit, c’est exactement la transformation par un banquier du patrimoine industriel de son client en patrimoine non industriel. Il est tellement peu industriel qu’on précise de monter ensemble une société à capital-risque avec la plus-value qui sera faite. Bien sûr, j’étais d’accord sur le prix puisque c’est celui qui figure dans le mandat de vente. Mais il faut lire les accessoires. Nous allons vous remettre, monsieur de Courson, une note contradictoire avec votre rapport qui est tout à fait conforme à la réalité, à quelques omissions près. On complétera. Il faudra que vous fassiez part à toute l’Assemblée des contreparties de l’abandon de cette plus-value. Autrement dit, si, effectivement, on est à l’agonie et qu’on donne 2 milliards, vous pensez bien que la banque en reste là. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Elle dit : « Vous recevrez une rente de 600 000 francs par mois pendant une vingtaine d’années. Vous allez avoir 50 % d’une société de capital-risque qui est entièrement financée par nous. » Autrement dit, pour quelqu’un qui est à l’agonie, et qu’on sauve des eaux, on fait une rente annuelle, on fait cadeau de 50 % des actions d’une société de capital-risque. C.Q.F.D. Franchement, en le lisant, ce mémorandum, on se rend compte qu’il organise la séparation entre une banque et son client qui change de métier. Ce n’est pas du tout un couperet placé sur le cou d’un type à l’agonie.

M. Charles de Courson : Vous ne répondez toujours pas à ma question.

M. Bernard Tapie : Si, je vous ai répondu.

M. Charles de Courson : Pourquoi signez-vous ce mandat ?

M. Bernard Tapie : Le mémorandum n’arrive pas au moment de Pentland. Qu’est-ce que vous racontez ?

M. Charles de Courson : Nous en sommes au 12 décembre 1992, jour où vous signez un mémorandum avec le Crédit Lyonnais que vous chargez de vendre…

M. Bernard Tapie : …toutes les sociétés.

M. Charles de Courson : …votre participation dans Adidas à un prix de 2,085 milliards de francs,…

M. Bernard Tapie : …au moins !

M. Charles de Courson : …c’est-à-dire le prix auquel vous aviez passé un pré-accord avec Pentland, qui ne s’est pas réalisé.

M. Bernard Tapie : Non, non, non !

M. Charles de Courson : Mais si, puisque, à la suite de l’audit, Pentland a renoncé.

M. Bernard Tapie : La base de l’accord Pentland, c’était 3 milliards ; le mémorandum, c’était 75 % égalent 2 milliards.

M. Charles de Courson : Vous avez signé ce mémorandum. Et je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Pourquoi ne vous occupez-vous pas vous-même, comme pour Pentland, de la vente de votre participation dans Adidas ?

M. Bernard Tapie : Je ne me suis pas plus occupé de la vente à Pentland ! Je n’avais aucune raison de m’en occuper.

M. Charles de Courson : Ce sont vos affaires !

M. Bernard Tapie : Si je l’avais fait, en même temps que j’étais ministre, vous auriez dit : « Mais, comment ? Quel est ce mélange des genres ? » Le Crédit Lyonnais était dans son rôle puisqu’il était mandataire. Ce qui serait intéressant, c’est qu’on vous le donne, ce mémorandum ! Comme ça, vous verrez ce qu’il y a dedans.

Le Président Didier Migaud : On va le distribuer.

M. Bernard Tapie : Le mandat n’était pas seulement limité à Adidas, il concernait toutes les sociétés du groupe.

M. Patrick Lemasle : Vous étiez ministre à l’époque.

M. Bernard Tapie : Mais je ne peux plus parler…

Le Président Didier Migaud : Restons calmes. Certains de nos collègues font remarquer que vous étiez ministre à l’époque.

M. François Goulard : Rassurez-vous, monsieur Tapie, nous essayons seulement de comprendre un dossier complexe. Nous ne faisons pas le travail de la justice. On a lu certains documents, on essaie de s’y retrouver et de savoir si l’État a bien fait d’engager un arbitrage et si les résultats de cet arbitrage sont plutôt protecteurs des intérêts des contribuables. C’est notre travail. La commission des Finances se préoccupe des intérêts de l’État et des contribuables.

M. Bernard Tapie : On en est loin, là !

M. François Goulard : Sans doute, mais il est nécessaire de tout expliquer pour comprendre.

M. Bernard Tapie : Oui, oui…

M. François Goulard : Vous êtes d’accord ?

M. Bernard Tapie : Tout à fait.

M. François Goulard : J’en reviens à la question de Charles de Courson. Vous êtes un homme d’affaires avisé, personne ne peut dire le contraire.

M. Bernard Tapie : Il paraît.

M. François Goulard : Vous n’êtes ni naïf, ni débutant. Vous êtes d’accord pour dire que ce mandat de vente est inhabituel…

M. Bernard Tapie : Ah, non !

M. François Goulard : Mais si. Premièrement, il était inhabituel dans la durée du mandat : deux mois y compris la trêve des confiseurs, c’est extrêmement court. Deuxièmement, vous vous engagez à accepter l’acheteur qui est présenté par la SDBO. Là, je n’arrive pas à comprendre. Quelqu’un d’avisé demanderait à vérifier si c’est dans son intérêt, si le prix proposé lui convient, et les conditions car il n’y a pas que le prix. Pourquoi avoir accepté si vous étiez complètement libre de vos mouvements, s’il n’y avait pas le problème du remboursement des prêts à la SDBO ? Pourquoi un mandat de cette nature, qui ne correspond pas du tout à un mandat classique en pareille matière, et qui était, vu d’aujourd’hui, plutôt contraire à vos intérêts dans la mesure où il valorisait Adidas à 2,08 milliards, contre 3 milliards ?

M. Jérôme Cahuzac : La question de Charles de Courson est importante. Si vos affaires sont florissantes, et si Adidas est une entreprise intéressante pour tout investisseur, comment se fait-il que vous n’ayez pas conclu avec ceux qui se sont présentés ? Votre réponse a été, sans la caricaturer, que, à l’époque, vous étiez en train de changer de métier et que, en tant que ministre, vous ne deviez pas vous en occuper vous-même. C’est une réponse plutôt convaincante car il est difficile de faire plusieurs choses à la fois.

Dans ces conditions, pouvez-vous nous indiquer quand vous avez vendu vous-même votre participation dans TF1 ? Vous en souvenez-vous ?

M. Bernard Tapie : Je vais être précis. C’était en 1991, avant d’être ministre. Et le mémorandum a été conclu après ma nomination en tant que ministre. Et c’est à cause de ça qu’il a vu le jour.

Que les choses soient très claires : si je ne suis pas ministre, Adidas est toujours ma propriété et il vaut 40 milliards de francs. J’aurais vraisemblablement été un peu frustré de ne pas avoir été ministre, mais beaucoup plus heureux dans la vie !

M. Charles de Courson : Vous avez été nommé ministre, une première fois, par un décret d’avril 1992 et le mémorandum a été signé le 12 décembre 1992. Vous aviez déjà été ministre.

M. Bernard Tapie : Je n’ai pas fait le mémorandum avant. Ça va de soi.

M. Charles de Courson : Vous venez de dire l’inverse.

M. Bernard Tapie : Je ne veux pas qu’il y ait d’ombre. Reprenons l’ordre chronologique. On me propose d’être ministre. Je réunis M. Albert et M. Haberer – c’est facile de vérifier, ils sont vivants tous les deux – qui sont chacun président d’une société importante, l’UAP et le Crédit Lyonnais, chacun administrateur de BT Finance et je ne donne pas ma réponse sans les avoir consultés. Je leur ai demandé si c’était une lâcheté de ma part d’accepter et de laisser mon groupe entre les mains d’un président désigné. J’ai commis une faute car, évidemment, quand vous vous adressez à des patrons d’une entreprise nationalisée, ça les intéresse d’avoir un ministre dans leurs relations. Je crois ne pas avoir posé la bonne question. Bref, ils m’ont conseillé d’accepter et je leur ai demandé quoi faire. On a alors décidé avec M. Haberer, et les services de Clinvest, de faire un mémorandum de séparation et d’opérer la conversion dont je vous ai parlé. Quand a-t-on signé le document ? Quand il peut prendre effet sur le principal, qui porte sur trois choses – vous allez retrouver l’origine du découvert de la banque qui n’a rien à voir avec ce qu’on vous a raconté : premièrement, sortir BTF de la bourse – ce dont je n’ai rien à faire – et le financement est assuré ; deuxièmement, obtenir 100 % des actions Adidas, les enfants Dassler en détenant encore 5 % avec les minoritaires de BT Finance, et l’essentiel de la dette due à la SDBO, soit 600 millions de francs, qui, je vous le rappelle, est loin des milliards qui ont été provisionnés le jour du dépôt de bilan, représente la sortie de la bourse et une partie du rachat aux minoritaires. Cette dette est née de cette action-là et c’était obligatoire pour que le mémorandum prenne effet. Vous n’avez qu’à lire.

M. Charles de Courson : Quatrième question : la SDBO, ou le groupe Crédit Lyonnais, vous a-t-elle, au cours des mois de janvier et février 1993, tenu informé, par oral ou par écrit, des recherches ou des éventuelles négociations qu’elle menait pour trouver un acquéreur ? De votre côté, l’avez-vous interrogée quant à l’état d’avancement de ses recherches ? Ignoriez-vous les modalités de l’opération qui avait été conclue avec Robert Louis-Dreyfus, alors même que la presse en faisait état, notamment dans un article publié dans le Nouvel Observateur le 18 février 1993, c’est-à-dire encore dans la période de deux mois ?

M. Bernard Tapie : On est juste après. L’avez-vous, cet article ?

M. Charles de Courson : Certainement.

M. Bernard Tapie : Pourriez-vous le lire pour m’expliquer en quoi j’étais au courant de l’opération de Louis-Dreyfus ?

M. Charles de Courson : On est à l’intérieur du délai. Le mémorandum donnait deux mois. L’article, intitulé « Adidas, sortie sur mesure pour Tapie – Comment le Crédit Lyonnais et les AGF ont pris tous les risques au profit de Robert Louis-Dreyfus et des frères Saatchi » est signé de Thierry Philippon : « Le nouveau président et ses amis, eux, ont obtenu une faveur. Robert Louis-Dreyfus nous a confirmé lundi qu’ils avaient une option d’achat sur les titres détenus par les sociétés publiques à un prix supérieur de 30 % au prix actuel durant les deux prochaines années. S’ils redressent l’affaire, lui et ses associés achèteront les actions Adidas possédées par les nationalisées françaises à un prix supérieur au prix actuel, avec une jolie plus-value en perspective. Et si cela tourne mal ? Les entreprises publiques conserveront leurs actions. Bref, en cas réussite, l’essentiel de la plus-value sera pour les investisseurs privés ; en cas d’échec, les trois sociétés publiques en supporteront les conséquences. » En lisant cela dans la presse, ne vous êtes-vous pas inquiété ?

M. Bernard Tapie : Ou je ne comprends plus le français, et il va falloir que je retourne à l’école, ou alors, si cet article veut dire qu’on a vendu à des sociétés off shore avec une promesse de vente...

M. Charles de Courson : Non.

M. Bernard Tapie : Vous me dites que j’étais au courant. Cet article ne m’a pas choqué. Si un seul député ici présent comprend, à la lecture de cet article, que la totalité du capital d’Adidas a été capté par des sociétés off shore domiciliées aux îles Caïman et qu’elles ont consenti une option d’achat à Robert Louis-Dreyfus à 4,4 milliards, alors, effectivement, j’étais au courant ! Mais je vous retourne votre question. Quand on me sort un papier pareil pour prouver que j’étais au courant, c’est qu’on est à poil, monsieur le député ! L’article du Nouvel Obs dit seulement que M. Louis-Dreyfus a eu une option sur 34 % du capital et qu’il fera d’ailleurs une jolie plus-value. On se moque du monde ! Il aurait mieux valu ne pas le produire ! On peut gloser des années, mais dites-vous bien que les gens qui ont eu à juger cette affaire sont compétents et sans a priori. Et c’est avec des arguments comme ceux-là qu’ils ont fini par se lasser. On me dit que j’étais au courant. Je me demande comment c’était possible. Un peu de bon sens ! Si cette affaire s’était passée comme vous le dites, cela veut dire qu’il y aurait eu au milieu une banque, très intelligente…

M. Charles de Courson : Je vous ai posé une question, monsieur Tapie, et j’attends votre réponse. Étiez-vous informé, ou pas ? Par la presse, ou tout autre moyen.

M. Bernard Tapie : Je vais vous prouver que ce ne pouvait pas être le cas. Il y a au milieu une banque, honnête et intelligente ; et, de chaque côté, il y a deux imbéciles. Le premier imbécile, c’est moi. La banque me dit : « On va vous acheter 2 milliards et, je vous préviens, on donne une option à M. Louis-Dreyfus à 4,4 milliards. » Et je lui réponds : « Bon, eh bien, OK, gardez la différence ! » Je suis vraiment un type à psychanalyser d’urgence. Vous qui me prêtiez tout à l’heure des qualités de bon sens… Il vous semblera peut-être que j’aurais demandé, en cas de levée de l’option, qu’il faudrait m’en rajouter un petit bout. Eh bien, non, je ne dis rien ! Quant à Robert Louis-Dreyfus, c’est encore pire ! Lui, on lui dit : « Voilà, on vous vend une merde 2 milliards, mais si vous êtes bon et que vous la redressez, on vous la vendra 4,4 milliards ! » Et lui de répondre : « C’est une bonne idée. » On se moque du monde ! Il n’y a pas d’un côté deux imbéciles et, au milieu, une banque fabuleuse ! J’ai répondu à votre question.

M. Charles de Courson : Une question complémentaire : vous paraît-il anormal que des prêts à recours limité qui ont été faits par le Crédit Lyonnais au tour de table réuni aient été consentis aux nouveaux acquéreurs d’Adidas ?

M. Bernard Tapie : Oui, sauf si c’est à 0,5 %. Il y a deux solutions : ou bien ce qu’a dit M. Peyrelevade est vrai, et à ce moment-là, vous devez immédiatement déposer plainte pour abus de biens sociaux. Qu’est-ce que c’est que ce président de banque nationalisée qui prête à 0,5 % à des sociétés domiciliées aux îles Caïman qu’il ne connaît pas, et qui accepte de supporter la perte éventuelle et de laisser 30 % en cas de gain ? Je me demande comment vous avez pu ne pas vous saisir de cette question.

M. Charles de Courson : Il s’agit non pas de M. Peyrelevade, mais de M. Haberer.

M. Bernard Tapie : J’ai bien entendu. Mais laissez-moi vous dire qu’entre les principes élaborés et le débouclage effectif, M. Peyrelevade a pris le relais.

M. Charles de Courson : M. Peyrelevade a pris ses fonctions en novembre 1993.

M. Bernard Tapie : Il n’était pas obligé de suivre.

M. Charles de Courson : C’est sous la présidence de M. Haberer que cette opération a été montée. Elle a été dénouée sous le mandat de M. Peyrelevade. Ne peut-on pas dire, en inversant vos propos, que les grands gagnants étaient les actionnaires du tour de table qui se sont fait financer par une banque publique, laquelle prenait tous les risques en cas d’échec, et qui se seraient partagé les bénéfices en cas de succès ?

M. Bernard Tapie : Je suis obligé de tempérer ce que je viens de dire car, comme c’était fait à l’avance, évidemment, ils prenaient zéro risque. Ils n’auraient jamais accepté de financer à 0,5 % une chose dont ils savaient qu’elle ne valait rien du tout. Le risque aurait été bien trop grand. Par conséquent, ils ne prenaient aucun risque. Pour vous le prouver, il faut se poser une question qui est restée sous-jacente : s’agissait-il d’une option ou d’une vente ? L’option n’avait-elle pas pour objectif de dissimuler la vente ? Je n’apporterai pas de preuve de ma version, mais je peux apporter des preuves que la thèse qu’ils avancent ne tient pas.

Premièrement, Robert Louis-Dreyfus est associé à son ancien associé dans Saatchi & Saatchi. Ils ont pris l’engagement de faire moitié-moitié sur toutes leurs opérations, y compris celle-là. Trois mois après l’option, M. Louis-Dreyfus rachète à son associé britannique le bénéfice de l’option au prix final. L’option court toujours et il achète quand même la part de son associé au prix final avec un financement du Lyonnais.

Deuxièmement, s’ils ont financé des sociétés off shore qu’ils ne connaissent pas, on les défère devant le juge d’instruction pour abus de biens sociaux. Je ne peux pas leur faire l’injure de croire qu’ils ont pris un tel risque. Ils ont financé des sociétés derrière lesquelles ils sont. Tous les arguments que j’ai entendus pour dire qu’ils n’étaient pas en cause, y compris la lettre fournie ce matin du patron de la Citibank qui certifie ne pas connaître les sociétés…

M. Charles de Courson : Nous avons une lettre d’accompagnement, mais le document intéressant, c’est la lettre qui a été lue ce matin. Il y a deux fonds off shore concernés : Omega, pour 19,9 % des actions, et le fonds Coatbridge pour 15 %. Les deux banques qui les avaient montés ont écrit que c’étaient elles et leurs filiales qui étaient à l’origine de ces fonds et que le groupe Crédit Lyonnais n’avait rien à voir là-dedans. Quand vous dites que ces fonds off shore étaient pilotés par le Crédit Lyonnais et qu’il y a eu des retours, nous avons reçu ce matin la preuve du contraire.

M. Bernard Tapie : C’était une attestation.

M. Charles de Courson : Une attestation.

M. Bernard Tapie : Oui, c’est ça.

M. Charles de Courson : S’agissant de ces deux fonds – il n’y en a pas d’autre dans les actionnaires –,…

M. Bernard Tapie : Si, vous verrez. On va en parler.

M. Charles de Courson : …il n’y a pas eu de retour au Crédit Lyonnais, d’après les faits recensés.

Dernière question dans ce cadre : le Crédit Lyonnais disposait d’un nantissement des actions Adidas. N’avez-vous pas été étonné que, plutôt que de faire ce montage, il n’ait fait pas jouer ce nantissement ? Comment interprétez-vous cela ?

M. Bernard Tapie : Sur la première question, le fonds construit pas Citycorp est signé Henri Filho, directeur général de Clinvest. Tout ça, ce sont des notes confidentielles que l’on a grâce à Mme Joly ! Formidable. Elle a perquisitionné au siège du Lyonnais. Avant que tout ne brûle. Après, c’était plus difficile de retrouver les pièces. Parmi les pièces récupérées, on a la preuve que tout ce montage est bidon. À propos des fonds construits par Citicorp, M. Filho écrit à M. Haberer : « Ces fonds construits offrent un maximum de discrétion. Il n’y aura pas de lien capitalistique, rassurez-vous, avec le Crédit Lyonnais et AGF. Son financement sera assuré par l’émission d’obligations convertibles de City Star, à un taux symbolique qui seront souscrites par le Crédit Lyonnais et les AGF et dont le produit sera affecté, après au moins deux échelons de protection, à une entité portant les titres BTF Gmbh. Derrière, il y a la note : « part CL dans le fonds général, 92,5 % du fonds lui-même ».

Une parenthèse à propos de l’affaire Executive Life dans laquelle j’ai été cité comme témoin. Je suis allé à Washington de bonne foi, pensant qu’il n’y avait aucun problème. Ils avaient en fait monté un tribunal devant lequel je devais passer comme témoin. Les avocats savent qu’il faut prêter serment et quels sont les enjeux si on ne dit pas tout à fait la vérité. On m’a demandé d’abord de confirmer que City Star faisait partie des sociétés qui ont porté les actions Adidas. Je me suis demandé pourquoi on me posait cette question. On a su par l’avocat de la société Executive Life qu’il s’agissait en fait de la même société que celle qui avait porté les actions City Star. Dans les deux pays, le Crédit Lyonnais déclarait qu’il n’avait rien à voir avec City Star. Pourtant, elle a servi dans les deux cas. City Star était la société centrale, même si elle n’avait pas en tant que telle la majorité du capital.

Ensuite, M. Gille, directeur général du Lyonnais, dont M. Peyrelevade a fait, à juste titre, l’apologie ce matin, avertit, dans une note du 21 janvier 1993 adressée au président de Clinvest, M. Deraison – les documents vous seront remis – : « La participation de la banque dans le groupe Pinault est logée provisoirement dans une structure de portage de Citibank. Pour les États-Unis, c’est une preuve parmi d’autres que la banque a tenté de dissimuler des liens avec l’homme d’affaires. Ce portage n’a pas été déclaré aux autorités américaines. On risque gros. »

M. Charles de Courson : Je connais un peu le sujet Executive Life, mais cet argument ne vaut rien dans ce qui nous occupe parce qu’il concerne une tout autre affaire. On peut en parler puisqu’il y a eu une transaction aux États-Unis. C’est une dénonciation qui a tout révélé, mais je ne vois pas le lien avec l’affaire Adidas.

M. Bernard Tapie : Ils ont pourtant utilisé la même société de portage. Ce doit être un hasard !

M. Charles de Courson : Ce n’est pas parce qu’on a utilisé une société qui, dans une autre affaire, a fait un montage irrégulier, que, dans le cas précis, il l’était aussi. En termes juridiques, cela s’appelle de la confusion. Reprenons le premier argument.

M. Bernard Tapie : Soit. M. Pinault a été interrogé sur la fameuse City Star. Il a répondu : « Ce que le président de la banque, M. Deraison, m’a dit, c’est que City Star était une société qui appartenait au groupe Lyonnais. Il avait besoin de mon agrément pour transférer mes actions Clinvest à toute autre société. À cette occasion, il m’a expliqué que City Star était une société du même groupe que le Lyonnais. » C’est contraire à toutes les déclarations, à la lettre, à la note, à tout ce que vous voulez. Si ce n’était pas le cas, qui pourrait croire que le Lyonnais aurait financé à 0,5 % en ayant la totalité du bénéfice, sauf la commission de maquillage – puisque c’est bien de cela qu’il s’agit ? C’était évident pour tout le monde. En tout cas, cela n’a pas échappé à toutes les juridictions.

M. Charles de Courson : Alors, monsieur Tapie, pourquoi, d’après vous, le Crédit Lyonnais n’a pas fait jouer le nantissement dont il bénéficiait ?

M. Bernard Tapie : Il a fait mieux. Il n’a pas saisi les actions d’Adidas, il s’est fait attribuer les actions de la société mère.

M. Charles de Courson : Pourquoi ?

M. Bernard Tapie : Pour avoir les mêmes avantages. Heureusement que les avocats du Lyonnais étaient meilleurs que les analystes qui disent aujourd'hui que la banque aurait pu saisir les actions ! Si les actions Adidas avaient été saisies en vertu du nantissement, je déposais le bilan le lendemain matin, et tout échappait au Crédit Lyonnais pour passer dans les mains d’un administrateur judiciaire qui aurait ou proposé un plan de continuation, ou vendu aux enchères, ou fait une location-gérance à Robert Louis-Dreyfus. Il n’y avait plus besoin de financer puisque les actions auraient appartenu au syndic. S’ils avaient fait ça, ç’aurait été la pire des folies car les actions Adidas leur échappaient. Je vais même plus loin : c’est la raison d’être de l’option. Ceux qui connaissent un peu le droit des affaires vous diront qu’il faut dix-huit mois pleins entre le moment où vous faites une manipulation douteuse et celui où elle devient définitive sans que le tribunal de commerce puisse revenir en arrière. Si la banque avait fait la vente en direct à Robert Louis-Dreyfus, le tribunal de commerce aurait disposé, dès lors que j’étais mis en liquidation, de la possibilité d’annuler la vente.

Ils ont fait mieux. Les avocats du Lyonnais ont été bien plus intelligents. Ils ont voulu faire d’une pierre deux coups. Et j’en viens à l’essentiel. Le crime était parfait, a dit Me Weil, un des plus grands avocats de la place. On vend Adidas et on lui pique les actions BT Finance, ce qui me privait de toute possibilité d’aller réclamer quoi que ce soit sur Adidas. C’était l’enjeu de la recevabilité. Si mes actions Adidas avaient été mises sous séquestre, j’allais immédiatement chez un syndic qui empêchait la vente. Cela ne veut pas dire qu’ils perdaient le profit du nantissement, mais ils perdaient la totalité de la gestion, en tout cas, la destination finale. Vous pensez bien qu’ils n’allaient pas s’engager là-dedans. Par contre, ils ont voulu rendre irrecevable ma demande à récupérer mon bien. Je rappelle que GBT, ma société personnelle, est propriétaire d’une part importante du capital de BT Finance, elle-même propriétaire d’Adidas. Les seuls à pouvoir se prévaloir d’un droit quelconque sur Adidas, c’est BT Finance. Le jour où on a capté les actions de BT Finance, on a cru définitivement m’empêcher de réclamer quoi que ce soit au titre d’Adidas.

Ils ont même fait une autre opération pour être sûrs de leur coup. Quand on retire un titre de la bourse, il reste toujours quelques dizaines de petits porteurs qui, soit ne sont pas au courant, soit opposent un refus et gardent leurs actions. Le retrait de la cote ne leur ayant pas permis de récupérer 100 % du capital, ils tentent d’obtenir auprès de la COB un retrait obligatoire. La loi dispose que, si vous avez moins de 5 % du capital à l’extérieur, vous pouvez obliger les actionnaires restants à vendre. C’est un expert qui décide du prix. Or, la COB refuse, trouvant la ficelle un peu grosse et comprenant qu’on veut priver de toute possibilité de recours les actionnaires. La cour d’appel confirme. Ils se retrouvent dans l’impossibilité d’aller au bout de leur crime parfait. Les petits porteurs demandent à leurs associés de déposer plainte contre le Crédit Lyonnais pour les avoir spoliés. Comme ce sont les mêmes, évidemment, ils ne le font pas. Le tribunal désigne un administrateur ad hoc qui, devant l’étendue de l’arnaque, demande réparation et assigne le Crédit Lyonnais pour 7 milliards de francs. Pas 300 millions d’euros. C’est à ce moment-là que nous avons attrait à la procédure et que nous allons pouvoir montrer qu’en étant signataire du mandat de vente, on devient par ricochet lié au sort d’Adidas. C’est vrai qu’on a les jetons parce que les arguments contre la recevabilité sont forts. À partir de là, j’ai la chance d’avoir des avocats formidables qui vont démontrer que j’ai raison. La Cour de cassation consacre la recevabilité, comme le mentionne le rapport de M. de Courson. On n’a pas perdu en cassation, c’est même le contraire. Je peux vous garantir, et je parle sous l’œil de mon avocat, qu’en revenant de la Cour de cassation qui n’a invoqué aucun des deux moyens que nous avions soulevés – la contrepartie et le manque de loyauté dans l’exercice du mandat – pour consacrer la recevabilité, nous savons que nous avons gagné. Nous savons que l’on ne pourra plus nous arrêter, sauf à un prix démesuré. Donc, la saisie des actions de BT Finance était bien plus intéressante que le simple fait de récupérer les actions Adidas.

M. Charles de Courson : Pour l’information de la Commission, c’est une ordonnance du juge-commissaire au tribunal de commerce de Paris qui attribue, le 25 octobre 1995, à la SDBO les actions de BT Finance, devenue après son redressement judiciaire la CEDEP, pour une somme de 76,2 millions. C’est donc plus tard.

M. François Goulard : Dès l’origine, vous nous dites que récupérer les titres nantis aurait été, pour le Crédit Lyonnais, une victoire à la Pyrrhus parce que vous auriez déposé le bilan le lendemain. Mais pour quel motif ? Les choses allaient-elles si mal que vous puissiez déposer le bilan ?

M. Bernard Tapie : Pardonnez-moi mais pour actionner un nantissement, il faut forcément que le crédit correspondant ne puisse pas être remboursé !

M. François Goulard : Cela change un peu la présentation que vous avez faite.

M. Bernard Tapie : Pas du tout !

M. François Goulard : Je voudrais comprendre. Vous dites que, si le nantissement avait été exercé, vous auriez déposé le bilan immédiatement. Cela veut dire qu’il n’y avait pas d’alternative aux crédits de la SDBO et du Crédit Lyonnais.

M. Bernard Tapie : Pas du tout !

M. Jérôme Cahuzac : Nous essayons de comprendre pourquoi le Crédit Lyonnais a renoncé aux droits attachés au nantissement qu’il avait. Vous nous dites que vous auriez déposé le bilan, après nous avoir dit que l’entreprise Adidas allait très bien, au point que nous apprenons, et c’est un élément nouveau pour nous, que les repreneurs se bousculaient. Si Adidas va très bien, c’est une raison supplémentaire pour que le Lyonnais fasse jouer son nantissement. Si son but est de vous spolier, puisque telle est la théorie sur laquelle vous prospérez, son intérêt était de récupérer son nantissement sans effort. À propos, pourriez-vous nous confirmer si, oui ou non, vous avez été obligé de recapitaliser Adidas ? Tout à l’heure, vous nous avez expliqué que les banques allemandes avaient demandé la vente de plusieurs sociétés, dont Arena, ou une recapitalisation ? Il nous a semblé que vous aviez recapitalisé, ce qui, d’ailleurs, n’est pas un signe de bonne santé.

M. Frédéric Lefebvre : Concernant le portage, j’ai interrogé M. Peyrelevade ce matin, pour lui demander si, quand il était président de l’UAP, il avait des liens avec vous, avec le Crédit Lyonnais. Déclarant que c’est la première fois qu’il s’exprime sur le sujet, il ajoute qu’il a M. Haberer au téléphone qui explique qu’il veut en sortir, vu la situation catastrophique, et qui lui demande comme un service de rester jusqu’au bout de l’opération. Êtes-vous au courant ? Est-ce que cela vous dit quelque chose ? C’est en tout cas la version qui nous a été donnée ce matin par M. Peyrelevade. Or, cela me semble très important parce que…

Le Président Didier Migaud : C’est autre chose. M. Tapie vous répondra, mais revenons au sujet.

M. Michel Bouvard : Un point important a été abordé, celui de la structuration du capital de la société off shore. Deux hypothèses sont possibles : cette société a un lien capitalistique avec le Crédit Lyonnais, ou elle n’en a pas. Ce matin, on nous a apporté une lettre déclarative niant le lien. À l’instant, M. Tapie nous fournit un autre document, indiquant le contraire. Le sujet mérite d’être approfondi. En fonction de ce qui sera avéré, l’une des deux parties a fourni des informations fausses, à nous et, vraisemblablement, à des tiers. Je souhaiterais arriver, autant que faire se peut, à une clarification sur le capital des sociétés off shore. Rien que le fait que ce soient des sociétés off shore avec lesquelles travaille une banque nationalisée est un point d’interrogation.

M. François Bayrou : Nous en étions, avant les deux dernières questions, à la question de savoir si votre thèse reflétait la réalité. Pour résumer, si j’ai bien compris, selon votre avocat, Bernard Tapie vend ses affaires, non pas parce qu’il a des difficultés économiques, mais parce qu’il veut être ministre. Ses affaires se portent bien et, au fond, le Crédit Lyonnais y voit une bonne affaire. Il organise un montage compliqué pour capter l’entreprise Adidas.

M. Bernard Tapie : C’est la même affaire qu’Executive Life.

M. François Bayrou : Cela n’a rien à voir.

M. Bernard Tapie : C’est la même. Avec les mêmes acteurs.

M. François Bayrou : Vous venez de citer, en en faisant la louange, M. Filho. Voici ce qu’il écrit le 17 novembre 1992, dans une note interne : « Le groupe Bernard Tapie n’a plus désormais les moyens d’assurer normalement le paiement des agios, de telle sorte que l’endettement étant appelé à croître plus vite que la valeur d’Adidas via BTF Gmbh, le groupe se dirige irréversiblement vers l’insolvabilité. » Je conforte même ses propos par une autre note du 24 novembre 1992, citée dans le rapport d’expert : « Aussi M. Tapie réagit-il avec violence et menace, puisqu’il est ruiné, de tout faire sauter en déposant les bilans de BTF, » – c’est exactement ce que vous venez de dire –…

M. Bernard Tapie : Pas la peine d’être violent.

M. Francois Bayrou :…« des sociétés industrielles et d’Adidas ». Ce n’est pas inintéressant dans le contexte de la signature du mémorandum. « Derrière l’outrance, spontanée ou calculée, et la manœuvre d’intimidation, existe une réalité cruelle qui peut le pousser au désespoir et au drame. » Vous aviez usé des talents dramatiques qui sont les vôtres depuis longtemps.

M. Bernard Tapie : Continuez. On ne va pas faire les commentaires.

M. François Bayrou : J’ai le droit de faire des commentaires. Je crois même avoir été élu pour ça !

Le Président Didier Migaud : Continuez.

M. François Bayrou : « Il demande avec agressivité qu’une chance lui soit donnée sous forme d’un montage qui pourrait être celui-ci… » Suit la description du montage.

Je voudrais savoir si vous attribuez ces notes à la malveillance de la SDBO à votre endroit, qui, jusqu’alors, n’avait pas été prouvée, à M. Filho et à son incompétence, ou bien s’il y avait à cette époque des difficultés économiques assez graves pour vous obliger, en effet, à suivre le schéma que l’on vous imposait.

M. Bernard Tapie : À la question de savoir si le Crédit lyonnais aurait pu capter directement les actions d’Adidas s’il l’avait voulu, je réponds négativement. L’exécution de l’option et du nantissement impliquerait en effet qu’Adidas ait été en difficulté ; or, dans ce cas-là, il aurait fallu procéder à un dépôt de bilan. Je rappelle en outre que c’est de BTF qu’il s’agit, non de GBT. La note interne que vous avez citée, de surcroît, a permis de faire condamner le Crédit lyonnais en cour d’appel – parfois, à vouloir bien faire, on se tire une balle dans le pied ! – : « Aux motifs que (…) les décisions avaient été prises au sommet par le Crédit lyonnais : en témoignait la note du 17 novembre 1992 adressée à M. Haberer, alors président du Crédit lyonnais, relative à la restructuration du capital de BTF GmbH - Adidas - sollicitant son accord pour une opération qui visait à remplacer un risque groupe Tapie par un risque Adidas "qui paraît de bien meilleure qualité", note qui avait été approuvée par M. Haberer et appliquée ; qu’alors Clinvest avait porté sa participation dans Adidas de 10 % à 19,9 % conformément à la décision de M. Haberer qui avait visé une note du 9 décembre 1992 et donné l’autorisation demandée en indiquant : « C’est conforme au schéma imaginé » par la note précédente du 17 novembre 1992 ».

M. François Bayrou : Il s’agit du schéma que je viens d’évoquer.

M. Bernard Tapie : Les juges de la cour d’appel ont eu connaissance de cette note et la conclusion qu’ils en ont tirée crédibilise la note précédente expliquant l’ensemble du montage.

M. Jérôme Cahuzac : Vous faites référence à un arrêt que la Cour de cassation a cassé.

M. François Goulard : Cet arrêt, en effet, n’existe plus.

M. Bernard Tapie : Je fais référence à un document qui a permis à la justice de le casser.

Le Président Didier Migaud : Je rappelle qu’il s’agit d’une cassation partielle.

M. Bernard Tapie : En effet.

J’ajoute que, si les notes ou les informations dont il a été maintes fois question relèvent des débats contradictoires qui ont déjà alimenté les différentes juridictions, il est inutile d’y revenir : les magistrats ont jugé en leur âme et conscience. Le problème, hélas, vient de ce que les membres de la Commission ont été persuadés qu’un document capital avait été dissimulé.

M. François Bayrou : Pas plus que nous ne tenons à défendre une thèse opposée à la vôtre, nous ne sommes ni des experts, ni des juges : nous sommes réunis parce que 400 millions d’euros d’argent public viennent de vous être attribués et que cela suscite un certain nombre de questions pour des parlementaires chargés de défendre le contribuable.

Qu’en est-il, en particulier, de la décision politique visant à recourir à l’arbitrage ?

En outre, pourquoi avez-vous vendu à l’automne 1992 et à un prix que vous avez vous-même fixé une société que vous estimiez être par ailleurs en excellente santé financière ?

Le Président Didier Migaud : Nous n’en sommes pas encore à la question de l’arbitrage.

M. Bernard Tapie : Monsieur Bouvard, votre question, sans être capitale, est néanmoins importante car elle permet de souligner le caractère mafieux du système consistant à utiliser des banques étrangères off shore alors que le portage n’est pas une activité illicite et que le Crédit Lyonnais aurait pu fort bien faire appel à des sociétés ayant pignon sur rue ! Je ne vois non plus pas M. Peyrelevade – car c’est de lui qu’il s’agit…

M. François Bayrou : Non.

M. Bernard Tapie : Si.

M. Jérôme Cahuzac : Non.

M. Bernard Tapie : Je ne vois donc pas non plus M. Peyrelevade se livrer à ce genre d’opération pour des raisons fiscales. Je rappelle, de plus, que les 5 % des actions des enfants Dassler ont été achetés directement par le Crédit Lyonnais dans le cadre d’une société off shore luxembourgeoise alors que rien ne l’y obligeait ; l’ayant droit en était alors le directeur général de Clinvest, M. Filho, et nul n’a jamais pu savoir quel avait été le débouclage de l’opération. Vous n’allez tout de même pas me dire – et M. Peyrelevade, je le répète, était aux commandes – qu’il était obligatoire d’en passer par là !

Quoi qu’il en soit, le problème n’est pas tant, en l’occurrence, qu’un portage ait été réalisé, mais qu’un mandataire ait obtenu un profit.

M. Michel Bouvard : C’est pourquoi il est important d’éclaircir l’actionnariat des sociétés off shore.

M. Bernard Tapie : Évidemment !

Le Président Didier Migaud : Il faut prendre garde aux différentes périodes et bien garder à l’esprit que telle ou telle personne, présente lors de la première phase d’une opération, n’est plus en fonction lors de son débouclage. M. Haberer était en l’occurrence à l’origine de celle qui nous préoccupe, mais il est vrai que M. Peyrelevade a dû lui aussi prendre un certain nombre de décisions.

M. Frédéric Lefebvre : Il était présent, en particulier, lors de la décision du portage.

M. Bernard Tapie : Pas en tant que responsable du Crédit Lyonnais, mais en tant que président de l’UAP.

M. Charles de Courson : Cinquième question : monsieur Tapie, vous avez acquis 80 % d’Adidas en juillet 1990 pour 1,6 milliard ; vous avez ensuite revendu cette participation en février 1993 pour 2,85 milliards de francs, réalisant ainsi une plus-value de 400 à 485 millions.

M. Bernard Tapie : Zéro !

M. Charles de Courson : Or, vous estimez avoir été victime du Crédit Lyonnais, qui a fait bénéficier M. Robert Louis-Dreyfus ainsi que d’autres actionnaires d’une option d’achat de la totalité de la société pour 4,75 milliards en 1994. Dans la mesure où vous auriez été privé de la plus-value que vous auriez pu réaliser si vous aviez vendu directement à la société de M. Louis-Dreyfus, à quelle banque auriez-vous pu vous adresser, compte tenu de votre situation financière, afin qu’elle vous prête les fonds nécessaires ?

M. Bernard Tapie : Le Crédit Lyonnais, je le répète, m’a prêté 250 millions pour acheter Adidas à hauteur de 1,6 milliard, soit moins d’un quart de cette somme – je ne compte pas en effet au nombre de ceux qui ont été financés à 100 %. Par ailleurs, mon groupe BTF valant 500 millions et disposant de surcroît de 75 % d’Adidas, comment n’aurais-je pas pu trouver 600 millions ? Le problème, en fait, n’était pas là ! Pourquoi, en outre, sommes-nous restés dans le cadre d’un crédit à court terme de deux ans ? M. de Courson a lui-même convenu que c’est parce que nous souhaitions en terminer.

M. Charles de Courson : C’est un mode de fonctionnement que vous avez accepté.

M. Bernard Tapie : En effet, mais promesse avait été faite de passer à un crédit à moyen terme.

M. Charles de Courson : Vous disposiez d’un document écrit ?

M. Bernard Tapie : Bien sûr que non ! C’est pour cela que nous n’avons rien dit !

M. Charles de Courson : Pourquoi avez-vous donc signé le mémorandum ?

M. Bernard Tapie : J’ai déjà fait état de mes responsabilités politiques d’alors…

M. François Goulard : Pourquoi avoir donné mandat à la SDBO ? Il s’agit certes d’un prêteur de deniers, mais spécialisé en particulier dans le marché de l’art et qui n’a aucun savoir-faire en matière de vente d’entreprises.

M. Bernard Tapie : J’ai signé avec le groupe Crédit Lyonnais mais le droit ne recoupe pas toujours le fait : tout a été réalisé par Clinvest qui, censément, n’était ni la SDBO, ni le Crédit Lyonnais ! J’étais en outre client de la SDBO depuis dix-sept ans et les négociations ont été menées avec M. Haberer. J’ajoute que le président de la SDBO était directeur général du Crédit Lyonnais : les liens de parenté étaient donc patents.

M. François Hollande – usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres : MM. Peyrelevade et Tapie développent des thèses opposées, d’où leur contentieux : M. Tapie a fait état du « caractère mafieux » du comportement du Crédit Lyonnais et M. Peyrelevade a quant à lui utilisé le terme « malhonnête » à l’endroit de son contradicteur. La justice s’étant prononcée, j’en viens au seul sujet pertinent pour notre Commission : pour quelle raison une procédure d’arbitrage a-t-elle été engagée ? À quel moment, monsieur Tapie, avez-vous demandé un tel recours ? Est-ce le Crédit Lyonnais qui l’a voulu ?

Le Président Didier Migaud : M. Tapie considérant en outre que les décisions de justice lui avaient été plutôt favorables, pourquoi avoir demandé un arbitrage ?

Avant que M. Tapie ne réponde à cette question, considérez-vous, monsieur de Courson, qu’il a répondu à la vôtre ?

M. Charles de Courson : Sur la forme, assurément ; sur le fond, c’est une autre question, si j’ose dire.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Je souhaite que M. de Courson continue de poser ses questions dans l’ordre logique qu’il a élaboré de manière à faciliter la compréhension de ce dossier fort complexe.

M. René Couanau : Il ne s’agit pas de refaire un procès mais de comprendre – et M. Tapie en conviendra – que nous sommes mandatés par les électeurs pour poser un certain nombre de questions. Pourquoi, en dépit des décisions de justice, une procédure d’arbitrage a-t-elle été mise en place ? Qu’aviez-vous à craindre d’un procès, monsieur Tapie, si votre dossier était aussi solide que vous le dites ?

M. Charles de Courson : Ma sixième question concerne précisément la procédure d’arbitrage, dont je rappelle qu’elle a été demandée par les mandataires liquidateurs : considériez-vous alors, monsieur Tapie, qu’une sentence arbitrale aurait été plus favorable que la poursuite de la voie juridictionnelle ?

Le Rapporteur général : Cette question est en effet centrale. Selon certains, la sentence arbitrale n’a pas été dans la ligne de la chose jugée par la Cour de cassation. Or, l’arrêt de la Cour de cassation confirme la recevabilité des liquidateurs du groupe Tapie. En outre, il casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris – il n’est pas possible de faire grief au Crédit Lyonnais de ne pas avoir proposé au groupe Tapie les mêmes conditions de financement qu’aux acquéreurs des actions Adidas, soit, les prêts à recours limité. En revanche, la Cour de cassation ne se prononce pas sur le grief du portage et des contreparties au mandat de vente conféré à la SDBO. Confirmez-vous cette analyse, monsieur Tapie ? Si oui, quel intérêt aviez-vous à la procédure d’arbitrage alors que vous pouviez la perdre et que vous étiez en position de force après l’arrêt de la Cour de cassation ?

M. Bernard Tapie : Il n’y a qu’une seule réponse à l’ensemble de ces questions : mon âge. J’ai soixante-cinq ans et cette affaire dure depuis quinze ans ; selon mes avocats, la procédure aurait pu perdurer encore dix années. Si j’avais eu quarante ans, croyez-moi, j’aurais continué ! Par ailleurs, M. de Courson a déclaré que l’État, lui, avait tout le temps ; outre qu’il a ainsi fait preuve de cynisme à mon endroit, je rappelle que l’Union européenne avait également fait savoir aux deux parties que leur différend durait depuis déjà trop longtemps. J’ajoute que mon gain sera constitué par le solde entre ce que je dois et ce que je reçois. Or, le temps joue en l’occurrence pour moi puisque mes dettes sont figées depuis 1995, à la différence de ce que je dois recevoir. Enfin, je tiens à signaler que la publication des frais d’avocat du CDR ne manquerait pas d’être stupéfiante.

Pour faire un bon accord, il faut être deux, et le CDR, en ce qui le concerne, a voulu échanger une diminution de la durée de ce conflit contre la certitude de la limitation du risque. La vraie question est là : le CDR s’est-il trompé sur l’évaluation du risque qu’il y aurait à poursuivre l’action en justice ? Quant à moi, je n’ai pas l’intention de racheter le Phocéa ou l’Olympique de Marseille et je ne me situe en rien dans une perspective financière : je regrette simplement que les représentants légaux du CDR et de l’EPFR n’aient pas exposé devant la Commission leur véritable motivation.

Pourquoi donc ne pas retourner devant la cour d’appel ? Premier élément : la recevabilité est définitive : il fallait en finir. Deuxième élément : l’annulation de l’attribution, comme l’a dit l’ancien président de l’EPFR, constituait un danger terrible, l’acte d’attribution des actions de BTF ayant été contraire à la loi. Or, si un mandataire ne respecte pas son mandat, la vente qu’il a opérée est nulle et, en cas d’impossibilité d’annulation, l’affaire est payée à sa valeur du jour du jugement. Quelle est la première chose que le Crédit Lyonnais a fait savoir au liquidateur ? Il n’y aura pas d’arbitrage si ce dernier ne renonce pas expressément à la remise en cause de l’attribution. Troisième élément : dans le pire des cas, la banque était certaine de limiter les risques. Entre le moment où l’arbitrage a été décidé et où il a été rendu public, cinq mois se sont écoulés. La rédaction du mémoire d’arbitrage a fait l’objet d’intenses discussions où chacun des camps en présence devait répondre devant des organismes de tutelle. Le Crédit Lyonnais a accepté de recourir à l’arbitrage parce que les obligations qui étaient faites à mon groupe pour que l’arbitrage soit accepté étaient sans commune mesure avec le risque de perdre devant la cour d’appel. De surcroît, je pouvais, moi, réclamer un dû devant cette juridiction et, cette fois, j’aurais eu une valeur de référence : sous la présidence de M. Chirac, M. de Villepin étant Premier ministre et M. Breton ministre des Finances, les actions BTF des petits porteurs ont été rachetées 37 euros, les frais de justice s’élevant à 85 euros par action. Devant la cour d’appel, j’aurais pu arguer avoir 7,5 millions d’actions.

Une procédure est une procédure : un basculement en ma faveur s’est donc produit, mais je rappelle qu’en son commencement, les arbitres avaient plutôt tendance à croire la version de mes adversaires.

Je note, enfin, que les arbitres ont vérifié la faisabilité juridique de cette procédure, laquelle s’est révélée effective puisque cette affaire concernait deux sociétés commerciales. Ils ont ensuite reçu de chacune des parties une suggestion d’arbitrage et la procédure a suivi son cours « en droit ». C’est remarquable : il a suffi que je gagne pour que tout le monde remette en cause le principe de l’arbitrage ! J’ai même entendu dire que cette procédure aurait été « influencée » ; dans Libération, M. François Bayrou a évoqué « le plus gros détournement d’argent public opéré uniquement sur une décision purement politique ».

M. François Bayrou : J’ai parlé de « spoliation ».

M. Bernard Tapie : Or, il n’est absolument pas possible de voir la main du pouvoir dans la décision de recourir à l’arbitrage.

M. Jérôme Cahuzac : Le cas échéant, pourriez-vous dire le contraire ?

M. Bernard Tapie : Oui.

M. François Bayrou : Il y a eu des instructions écrites…

M. Bernard Tapie : S’agissant de ne pas faire de recours en annulation, mais je parle, en l’occurrence, de l’entrée dans la procédure d’arbitrage ! Si l’arbitrage avait été le fait du prince, M. de Courson, qui, depuis tant d’années, me témoigne tant d’affection se serait élevé là contre !

Le Président Didier Migaud : Il n’est pas niable que des instructions ont été données.

M. Charles de Courson : En dehors de votre âge, vous n’avez donné aucun argument expliquant le recours à cette procédure. Pour le reste, vous vous mettez à la place de l’État alors que ce n’est pas la vôtre ! Par ailleurs, vous avez déclaré que le CDR était une société anonyme de droit commun. Or, ce n’est pas le cas car, si une société anonyme vise à faire des bénéfices, le CDR, lui, ne le peut pas.

M. Bernard Tapie : Mais si !

M. Charles de Courson : La loi portant création de l’EPFR a, de plus, conféré à celui-ci des pouvoirs de surveillance sur celui-là, le CDR ne pouvant prendre certaines décisions sans l’accord ou la non-opposition de l’EPFR. Le procès-verbal de la délibération du 10 octobre 2007 sur le recours à l’arbitrage précise que « le président a mis aux voix la non-opposition de l’EPFR à l’organisation de l’arbitrage par le CDR sous la condition d’obtenir l’accord écrit du Crédit Lyonnais sur la prise en charge de la contribution forfaitaire en cas de condamnation avant la régularisation du compromis d’arbitrage et l’engagement de la procédure d’arbitrage ainsi que la rédaction de la lettre au président du CDR en ce sens. Les deux propositions sont adoptées à l’unanimité des présents ». En ce qui me concerne, j’avais quitté quelques minutes plus tôt le conseil d’administration après avoir considéré que le recours à l’arbitrage était d’une légalité douteuse. Un éminent universitaire a également reconnu qu’il y avait là un vrai problème. Par ailleurs, je n’ai pas fait preuve de cynisme en disant que l’État n’avait pas d’âge : la procédure pouvait encore durer de quatre à six ans, étant entendu que l’arrêt de la Cour de cassation avait confirmé un certain nombre de points de façon définitive. Enfin, le recours à l’arbitrage impliquant toujours des interprétations politiques, il me semblait plus opportun de laisser la justice se prononcer jusqu’à la fin.

J’ajoute, monsieur Tapie, que vous avez eu beaucoup de chance puisque le CDR n’a pas inscrit la partie des dettes portant intérêts.

Pourriez-vous par ailleurs confirmer que le plafond de 290 millions relatifs à l’indemnisation au titre du préjudice économique a bien été choisi à l’aune du montant de la plus-value réalisée par le Crédit Lyonnais lors de la revente d’Adidas ? Le préjudice moral, quant à lui, a été fixé à 50 millions dans la convention d’arbitrage alors que, d’après le CDR, vous aviez d’abord demandé 100 millions, somme qui avait été validée. Qu’en est-il exactement ?

Le Président Didier Migaud : Il convient de distinguer les temps de la décision d’avoir recours à l’arbitrage, de la rédaction du compromis et, enfin, de la sentence arbitrale ainsi que de la décision de réaliser ou non un recours en annulation. Les représentants de l’État, à chacune de ces phases – et c’est légitime –, ont dû recevoir des instructions de leur ministre de tutelle.

M. Frédéric Lefebvre : J’ai eu l’occasion de rappeler ce matin que nul ne s’est manifesté pour critiquer la procédure d’arbitrage lors de sa phase d’élaboration.

M. Charles de Courson : Vous avez dit, monsieur Tapie, qu’aucune instruction n’avait été donnée quant au recours à l’arbitrage. Or, le procès-verbal du 10 octobre 2007 précise que, selon M. Leclercq, représentant du Trésor public, « les administrateurs représentants de l’État ont reçu instruction du ministre de se prononcer en faveur de la proposition soumise pour avis par le CDR en conseil d’administration de l’EPFR ».

M. Jérôme Chartier : Depuis le début du recours, combien y a-t-il eu de tentatives d’arbitrages ou de transactions – à votre initiative, monsieur Tapie, ou à celle du CDR – visant à réduire le temps de la procédure classique ? Pourquoi n’auraient-elles pas été suivies ? Est-ce de votre fait ou de celui du CDR ?

M. Jérôme Cahuzac : Nous avons tous été sensibles, monsieur Tapie, à votre argument concernant votre état-civil, même si, connaissant votre sens de la comédie, nous restons un peu dubitatifs. Quoi qu’il en soit, dans ces conditions, pourquoi avoir refusé les conclusions de la médiation Burgelin, laquelle vous aurait fait gagner du temps ?

Mme Marie-Anne Montchamp : Pourriez-vous nous éclairer sur la manière dont ont été fixés contradictoirement les montants des plafonds figurant dans le compromis d’arbitrage avec d’une part, les attentes du mandataire et, d’autre part, celles du CDR ?

M. Jean-Pierre Brard : Sauf erreur de ma part, Monsieur Tapie, vous n’aviez pas un sou vaillant lors de l’achat d’Adidas. Existe-t-il de nombreuses banques prêtant de l’argent dans de telles conditions ? De plus, le choix des arbitres résultant d’un commun accord entre les deux parties sur la base de leurs propositions, pouvez-vous nous faire connaître les vôtres ? De surcroît, selon vous, la rémunération des arbitres ferait l’objet d’une grille tarifaire, mais, selon M. Thomas Clay, grand juriste auditionné ce matin par la Commission, un tel arbitrage aurait tout aussi bien pu être réalisé à titre bénévole. Enfin, puisque nous parlons de préjudice moral, je rappelle qu’à la suite du décès accidentel d’un enfant et dès lors que la responsabilité d’une collectivité locale a été engagée, une famille est indemnisée à hauteur de 30 000 euros ; la somme s’élève à 45 000 euros pour une victime de l’amiante. Vous, vous allez recevoir 45 millions. Où se situe votre préjudice moral ? Est-il moral que les Français soient en l’occurrence mis à contribution à hauteur de 11 euros par famille afin de financer ce préjudice ?

M. François Goulard : C’est parce que, selon M. Tapie, les risques de pertes potentielles étaient majeurs que le CDR, donc l’État, aurait eu intérêt à recourir à la procédure d’arbitrage. Or, si tel était le cas, comment expliquer que le CDR ait été en Cour de cassation alors que la cour d’appel vous avait octroyé 135 millions ? En outre, si les informations dont nous disposons sont exactes, c’est vous qui avez pris contact avec le CDR pour aller à l’arbitrage, et non l’inverse. Enfin, une véritable négociation a-t-elle eu lieu avec le CDR quant au montant maximal des sommes pouvant vous revenir au terme de l’arbitrage ?

M. Frédéric Lefebvre : Je note que la procédure d’arbitrage mise en œuvre a été critiquée après que la décision eut été rendue et non dans la phase où cette procédure a été décidée. En outre, j’ai demandé ce matin à M. Peyrelevade si, lorsqu’il était président de l’UAP, il avait été au courant du portage. Il a répondu par l’affirmative alors que M. de Courson prétend le contraire. En 1994, M. Peyrelevade déclarait d’ailleurs à la commission d’enquête : « Je savais, côté UAP, que nous participions au portage parce que j’avais donné des instructions à mes collaborateurs afin que nous ne dépassions pas le stade du portage en termes de prise de risque. » Enfin, M. Peyrelevade a déclaré ce matin que M. Haberer lui avait demandé de rester dans cette opération. Celui qui semble se considérer comme un chevalier blanc me paraît fort présent tout le long de cette affaire, et comme président de l’UAP, et comme président du Crédit Lyonnais.

M. Philippe Vigier : Il est compréhensible que les Français soient choqués par la somme de 50 millions due au titre du préjudice moral. N’aurait-il donc pas été plus élégant de s’en tenir à l’indemnisation due au seul préjudice économique ? Cette somme est d’autant plus choquante que vous avez servi la République au plus haut niveau, monsieur Tapie.

M. David Habib : La somme accordée au titre du préjudice moral est en effet choquante alors que les Français connaissent de grandes difficultés et que des collectivités territoriales n’obtiennent aucune subvention. Nous avons par ailleurs le sentiment qu’en tant que justiciable, vous avez bénéficié d’un certain nombre de faveurs. C’est le dégoût qui l’emporte face à une telle décision arbitrale.

M. Bernard Tapie : Il y a eu deux tentatives de transactions : la première, lorsque M. Fabius était ministre des Finances. Les mêmes avocats et les mêmes acteurs lui ont tenu presque mot pour mot le même discours que lors de l’affaire Executive Life : « Nous ne risquons rien, nous sommes sûrs de nous, nous n’avons fait aucune connerie et il n’y a pas de préjudice. » La facture s’est élevée à un milliard de dollars. La confiance de M. Fabius quant au pronostic très favorable de mon dossier était donc très limitée. À cela s’ajoute que les élections présidentielles ont eu lieu un mois et demi après la décision du ministre des Finances d’avoir recours à l’arbitrage.

Le Président Didier Migaud : La transaction ou l’arbitrage ?

M. Bernard Tapie : La médiation. M. Jean-Pierre Aubert, PDG du CDR, y était lui farouchement opposé.

M. François Bayrou : Il a accepté la médiation plurielle.

M. Bernard Tapie : M. Fabius est parvenu à le convaincre, mais M. Jospin a été battu aux élections.

Le Président Didier Migaud : Il n’y a donc pas eu de transaction.

M. Bernard Tapie : En effet.

La seconde fois, c’est moi qui ai demandé une médiation par l’intermédiaire de M. Hortefeux ; M. Sarkozy, ministre des Finances, en a fait part à M. Aubert, qui a répondu négativement. Un peu plus tard, on m’a fait savoir qu’il n’y avait pas d’hostilité absolue à l’endroit de la médiation à condition de choisir les médiateurs. C’est alors moi qui m’y suis opposé en faisant savoir aux liquidateurs que, dans ces conditions, tout le monde croirait à la combine. J’étais donc favorable à l’arbitrage et défavorable à la médiation.

M. Jérôme Cahuzac : Il s’agit de la médiation Burgelin ?

M. Bernard Tapie. En effet.

M. Jérôme Cahuzac : Combien M. Burgelin vous avait-il proposé ?

M. Bernard Tapie : Rien !

M. Jean-Pierre Brard : Combien de millions ?

M. Bernard Tapie : Rien !

M. Jérôme Cahuzac : Laissez-nous apprécier ce qui, selon vous, correspond à « rien » ! Quel est le chiffre proposé par M. Burgelin ?

M. Bernard Tapie : Il n’y a pas eu de proposition.

M. Jérôme Chartier : Au sujet de cette médiation, une formule est revenue à plusieurs reprises lors des auditions précédentes : « ni riche ni failli ». Est-ce à cela que vous faites allusion ?

M. Bernard Tapie : Non, c’est autre chose.

Si vous me le permettez, monsieur le président, je voudrais terminer ma réponse à M. de Courson. Lorsque l’on est en situation d’obtenir un rapport, le liquidateur est obligé de recueillir mon accord. En d’autres termes, il ne lui faut pas mon accord pour entrer en médiation, mais il le lui faut pour sortir de la médiation. Or je refuse toute proposition. Il est inutile de se raccrocher à ce que M. Burgelin ou M. Ricol auraient écrit dans un rapport.

M. Jérôme Cahuzac : Ce n’est pas un rapport, c’est une médiation.

M. Bernard Tapie : Le rapport du médiateur n’existe pas. Il n’y en a pas. Il y a des suggestions. La vérité est simple : ce n’est qu’à ce moment que j’ai l’occasion de refuser la médiation, et je la refuse. Quant à la formule « pas riche, pas pauvre », elle ne veut rien dire.

La médiation n’existe pas. C’est moi qui ai posé toutes les conditions pour qu’elle n’existe pas. C’est d’ailleurs heureux : vu ce qu’a soulevé l’arbitrage, qu’est-ce que ç’aurait été !

On m’accuse également d’avoir bénéficié d’un régime spécial pour mon hôtel particulier. M. le rapporteur de Courson a même dit que je « squattais ».

M. Jérôme Cahuzac : Et vous l’avez attaqué en diffamation.

M. Bernard Tapie : Non. Je vous souhaite, monsieur Cahuzac, de vous faire insulter un seul jour comme je le suis depuis des années et des années au seul motif qu’il s’agit de moi ! Ni moi ni ma famille ne squattons la maison.

M. Jérôme Cahuzac : Je ne vous ai pas insulté. Ce n’est pas moi qui ai dit cela.

Le Président Didier Migaud : Du calme !

M. Bernard Tapie : Depuis quinze ans, quatre présidents se sont succédé à la tête du tribunal de commerce et on a assisté à deux alternances politiques. Si j’ai réussi à rester dans l’hôtel particulier, vous vous doutez bien que ce n’est pas le fait du prince mais parce que, en droit, je le peux.

Enfin je vais pouvoir m’expliquer. Vous arrêterez de dire que j’ai eu un régime de faveur !

Juste après le prononcé de la liquidation des biens, les liquidateurs, pensant aller dans le sens des conclusions du rapport Péronnet, m’envoient un collège de six experts. Manque de chance, comme ceux-ci ne sont pas aux ordres du juge, ils remettent un rapport dont les conclusions sont à l’opposé. Je vous renvoie au jugement : « Il ressort de ce qui précède que la SDBO a eu un comportement condamnable tel que le définit la jurisprudence en matière de responsabilité bancaire. » Le tribunal de commerce la condamne donc à une provision de 600 millions de francs et demande une expertise pour déterminer le montant réel du préjudice. La banque arrive à faire sauter la provision, mais le jugement n’est en aucun cas annulé.

De nouveau devant le tribunal de commerce, je soutiens l’argumentaire suivant : le Crédit Lyonnais a fait appel ; ma famille a des titres à revendiquer l’occupation de l’hôtel ; je propose que nous en partions dès l’instant où la cour d’appel aura pris position, sans attendre la cassation. Ainsi, si la cour d’appel confirme le jugement, cela m’aura évité de me retrouver à la rue avec toute ma famille ; si elle l’infirme, je partirai dans un délai de huit jours.

Or, à chaque fois que nous nous sommes retrouvés devant la cour d’appel pour trancher, le Crédit Lyonnais, sûr de son fait, a demandé un sursis à statuer. On ne peut en même temps retarder la décision de justice sur les fautes éventuelles et réclamer ma tête parce que j’occupe l’hôtel ! D’autant que les tribunaux successifs et le parquet mettaient comme condition que l’intégralité des frais soit à ma charge. Il n’y avait là aucun passe-droit : c’était la moindre des choses que d’attendre la décision de la cour d’appel. Ce n’était pas un actif qui continuait d’entraîner des pertes.

Au tout début, cependant, il a été envisagé de vendre. Il est inutile de vous rappeler l’épisode : six mille personnes dans la rue pour la visite, plusieurs cars de police… Vu le cirque auquel la vente publique a donné lieu, on n’a pas vu les vrais acheteurs. Aucun acheteur sérieux n’a voulu, après deux jours de visite intensive, entrer dans ce « merdier » dont le Crédit Lyonnais est à l’origine.

Voilà pourquoi, dans un premier temps, l’hôtel n’a pas été vendu. Dans un deuxième temps, tous les juges commissaires et tous les présidents de tribunal qui se sont succédé ont estimé qu’il n’aurait pas été normal de vendre.

Pour ce qui est de la fixation du montant maximum de la demande, il va de soi que je n’ai participé à aucune négociation et que je ne suis pour rien dans les accords qui ont été passés : je n’en avais pas le droit. Je crois néanmoins avoir compris que, concernant le préjudice principal, on a retenu comme butée deux éléments qui nous renvoient à la question de M. Chartier sur le principe « pas riche, pas pauvre ».

Premier élément : à combien fixer le maximum pour que, en fait, il ne me reste pas grand-chose ? Le calcul a été fait à l’envers, en tenant compte du fait que je serais imposé deux fois. J’entends bien les sommes que l’on indique mais on en est très loin – et, entre nous, c’est dommage… Le groupe Bernard Tapie, au moment où il va toucher, sera soumis à l’impôt sur les sociétés, dont on ne pourra même pas déduire le remboursement des dettes, à l’exception des dettes sœurs.

Deuxième élément : puisque l’on est en liquidation, les sociétés seront, conformément à la loi, dissoutes. Il résultera de cette dissolution un boni de liquidation qui sera soumis à une première imposition.

On a en outre déduit les dettes, dont 163 millions pour la banque - retrait de la bourse, rachat aux petits porteurs, etc., mais certainement pas l’achat de mon hôtel particulier - et 250 millions d’euros - ce que nous acceptons de payer - à 300 millions - ce qui est demandé - pour le fisc. Les autres dettes sont comprises entre 15 et 20 millions d’euros : des contentieux étant en cours, on ne connaît pas encore leur montant précis.

Un fois réalisé ce calcul « à l’envers », il reste, en gros, l’indemnisation pour préjudice moral. Il faudra peut-être en déduire mes frais personnels : j’ai eu la chance de trouver des avocats qui ont accepté depuis douze ans pour l’un et onze ans pour l’autre de n’être payés que si je gagne en fin de parcours.

M. de Courson a fait un tableau…

M. Charles de Courson : Un tableau indicatif !

M. Bernard Tapie : Soit, mais il comporte deux éléments contestables.

En premier lieu, je ne vois pas comment vous pouvez établir un pronostic fiscal alors que, franchement, c’est impossible – pas même dans une fourchette. On sait que c’est un complément de prix, que ce sera au moins le complément de prix lié à la plus-value, mais on ne sait pas à quelle époque ce sera raccroché.

On a fait appel à mon sens de la responsabilité. Aux termes de l’arrêt de la cour d’appel, l’éventuelle différence entre l’imposition actuelle et celle que j’aurais dû payer à l’époque est prise en charge par la partie adverse : s’il n’y a pas d’arnaque, c’est bien l’impôt de l’époque que je dois payer. Or j’ai personnellement fait savoir que je refusais que l’État, pour quelque raison que ce soit, paie mes impôts.

M. Charles de Courson : La commission des Finances en a été informée.

M. Bernard Tapie : En second lieu, vous avez indiqué que le CDR a eu la faiblesse de ne pas réclamer d’intérêts sur ses dettes. Les arbitres lui ont néanmoins accordé ces intérêts, mais sur les seuls crédits qui pouvaient être concernés, à savoir les crédits hypothécaires.

M. Charles de Courson : Je ne parlais pas du crédit hypothécaire concernant l’hôtel de Cavoye, où vous avez été logé gratuitement, mais des crédits consentis pas la SDBO. Il aurait fallu inscrire toutes les dettes à moyen et à long terme et on a oublié de le faire.

M. Bernard Tapie : Veuillez m’excuser. Ce n’est pas cela que j’ai compris.

Cela étant, vous avez fait figurer dans votre tableau des sommes très incertaines, d’une part en ce qui concerne les impôts, d’autre part en ce qui concerne l’actualisation. Sans doute avez-vous mal lu l’accord : nous n’avons pas fixé le montant de l’actualisation à 105 millions, nous avons fait passer le plafond de 115 à 105 millions. C’est tout différent car le montant versé pourrait très bien être, par exemple, de 80 millions.

M. Charles de Courson : Je n’ai rien dit d’autre.

M. Bernard Tapie : Un autre chiffre n’a rien à faire dans ce tableau. À l’époque où mes titres BTF ont été attribués à la SBDO, ils ont été expertisés 75 millions d’euros, somme que nous avons portée à l’actif de notre bilan et qui doit être placée en face de dépenses qui ne figurent pas aujourd'hui – et c’est bien normal – dans votre tableau. On ne peut la considérer comme faisant partie du profit que je pourrais tirer de la sentence arbitrale.

M. François Goulard : Il s’agit tout de même de la SDBO.

M. Bernard Tapie : Arrêtez de jouer sur les mots et ayez au moins un peu de bonne foi ! Nous parlons ici des conséquences de cette sentence. Vous n’allez pas y ajouter le prix du bateau que j’ai vendu ou mes cachets d’acteur !

Ce tableau étant censé expliquer aux membres de la commission des Finances combien je gagne du fait l’arbitrage, il faut en retrancher les 75 millions d’euros issus des actions BTF. On retrouve alors la fourchette que j’ai annoncée : entre 25 et 40 millions.

Il y a un autre élément capital. Mon sens civique, auquel on a fait appel, est ce qu’il est mais il existe. Qu’est-ce que cela peut bien faire de savoir combien il me reste si l’on ne met pas en regard ce que j’ai coûté ou rapporté ?

M. Jean-Pierre Brard : Rapporté ?

M. Bernard Tapie : Nous ne croisons apparemment pas les mêmes personnes dans la rue. Vous, vous ne voyez que des gens qui crient au scandale. Mais ne me faites pas ce plan-là ! Je viens du même coin que vous…

M. Jean-Pierre Brard : Il y a longtemps que vous l’avez abandonné.

M. Bernard Tapie : Vous ne pourrez pas me la faire ! J’ai été à l’école à la Courneuve, au lycée à Aubervilliers…

M. Jean-Pierre Brard : Vous l’avez oublié !

M. Bernard Tapie : Pas du tout ! Et ceux que je rencontre ne disent pas ça, je vous le garantis !

Qu’est-ce qui est important ? Imaginons que je gagne un milliard d’euros mais que, parce que j’ai réussi à prendre Adidas au nez et à la barbe de tout le monde, je rapporte au contribuable 20 milliards d’euros : je mérite une médaille ! En revanche, si j’avais coûté un milliard de dollars, comme cela a été le cas du CDR dans l’affaire Executive Life, même s’il ne me restait rien, je serais un citoyen pris en sponsoring par l’État de manière scandaleuse.

Voilà pourquoi je trouve dommage – le mot est faible – qu’on n’ait mentionné à aucun moment ce que j’ai rapporté aux contribuables. Dans sa sentence, le tribunal arbitral regrette, comme toutes les juridictions qui se sont succédé, qu’une banque nationalisée n’ait jamais fourni d’information claire et nette sur le bénéfice qu’elle a tiré de cette opération.

Lors de son audition, M. Jean-Pierre Aubert, homme d’une totale intégrité, a estimé le gain à environ un milliard de francs, dont il a déduit le montant du compte courant qui a été capitalisé. Selon lui, le total ne faisait pas beaucoup. Non seulement je conteste cette estimation mais je remarque que, au moment de l’introduction en bourse, le Crédit Lyonnais se voit verser une prime : 1,2 milliard de franc, selon l’aveu même de M. Peyrelevade dans Le Monde. Nous apprenons par un broker financier que cette prime se monte en réalité à au moins 1,6 milliard. Par sommation interpellative, M. Robert Louis-Dreyfus est interrogé sur l’exactitude de ce chiffre. Celui-ci indique qu’il est tenu au secret mais que le chiffre est beaucoup plus élevé que 1,6 milliard de francs.

Il faut donc retenir un gain d’au moins 1,6 milliard et y ajouter la différence entre le prix de la revente - 4,4 milliards - et celui de l’achat - 2 milliards pour les 75 % que j’ai acquis -. En outre, les 5 % de titres des enfants Dassler ont été achetés sur la base de ce prix de 2 milliards et ils ont été revendus au pis lors de l’introduction en bourse – alors que la capitalisation était de 11 milliards –, au mieux bien après. Car chacun semble oublier que la valeur était de 20 milliards un an après et de 30 milliards deux ans après.

En additionnant tous ces éléments, on est à 4,5 milliards de francs, pas à 500 000 et quelques !

La vraie question, c’est de savoir pourquoi M. Peyrelevade ne peut pas nous donner un chiffre. Même vous, monsieur Bayrou, la réponse va vous choquer : entre l’achat pour 2 milliards, l’introduction en bourse et ce qui s’est passé après, grâce à ce montage, le Crédit Lyonnais n’a pas payé un franc d’impôt. Cette affaire a permis une évasion fiscale de plusieurs centaines de millions d’euros !

Je me suis engagé formellement à donner le chiffre précis de ce qui me restera en fin de compte et je n’ai aucune raison d’en avoir honte. Mais vous devez reconnaître que cela représente, dans l’hypothèse la plus défavorable, moins de 10 % du gain que j’ai fait réaliser à l’État.

M. Brard s’est demandé comment j’ai pu obtenir un prêt. Je crois avoir déjà répondu à cette question. Du reste, sur le 1,6 milliard, le Crédit Lyonnais ne m’a prêté que 250 millions. Je ne fais pas partie de ceux qui ont été financés à 100 % par la banque.

M. Jean-Pierre Brard : Et le reste ?

M. Bernard Tapie : Le reste, ç’a été la vente des titres TF1, l’utilisation d’une partie de mon compte courant, un emprunt auprès des Allemands et des Japonais : il n’y avait même pas d’autre banque française. Il faut donc rester très relatif.

Le Président Didier Migaud : Vous souhaitez que l’on prenne en considération ce que vous avez pu rapporter à l’État. Dans le même temps, vous faites observer que le montage réalisé a permis une évasion fiscale : là, l’État n’a par définition rien touché !

M. Bernard Tapie : Je parle de ce qui a été encaissé.

M. François Goulard : Et les pertes du Crédit Lyonnais depuis ?

M. Bernard Tapie : Franchement, nous n’en sommes plus à l’époque où l’on me rendait responsable de la faillite du Lyonnais ! La Metro Goldwyn Mayer était dans le coup mais à part cela, rappelez-vous, c’était moi : j’étais copain avec Béré, il suffisait que je pousse la porte du Crédit Lyonnais et que je demande un milliard pour qu’on me file un milliard ! Or, dans le même moment, ils savaient que je rapportais ces sommes-là. Ce n’est pas indécent, c’est carrément dégueulasse !

M. Charles de Courson : Je voudrais corriger certaines inexactitudes dans les propos de M. Tapie.

S’agissant de la seule véritable médiation, celle de 2004, on ne peut dire qu’il y a eu des contacts préalables. Je l’explique à la page 9 de mon mémoire : « À la demande des mandataires liquidateurs, une médiation confiée à Jean-François Burgelin, ancien procureur près la Cour de cassation, est alors ordonnée par la cour d’appel de Paris par arrêt du 12 novembre 2004. Le principe du recours à une médiation avait été autorisé par la conclusion d’un protocole d’accord auquel le représentant de l’Assemblée nationale au conseil d’administration de l’établissement public de financement et de restructuration – EPFR - s’était d’ailleurs montré défavorable. » J’avais en effet voté contre.

« La médiation se soldera, au bout de cinq mois, par un échec en raison du refus opposé par Bernard Tapie aux propositions du médiateur, ces dernières le laissant en effet en situation de débiteur net. »

M. Bernard Tapie : Je n’ai pas dit le contraire.

M. Charles de Courson : Ces propositions figurent en annexe. Le propre d’une médiation, c’est qu’il faut que les parties acceptent ce que proposent les médiateurs.

Le Président Didier Migaud : M. Tapie a dit qu’il n’avait pas accepté.

M. Charles de Courson : Oui, mais on ne peut nier l’existence de propositions.

En ce qui concerne l’hôtel de Cavoye, j’ai indiqué à plusieurs reprises devant la commission des Finances – les comptes rendus en font foi – que je m’étais étonné, au sein du conseil d’administration, de ce que Bernard Tapie puisse continuer à l’occuper gratuitement alors qu’il avait été mis en liquidation et que l’hôtel faisait partie de la liquidation.

M. Bernard Tapie : C’est la loi.

M. Charles de Courson : J’avais même demandé qui payait la taxe d’habitation et la taxe foncière.

M. Bernard Tapie : Moi.

M. Charles de Courson : Et je suis allé vérifier, en application de la loi, qui payait.

Comme je l’ai dit à la commission des Finances, le CDR avait commis à l’époque une erreur de procédure en oubliant de faire appel d’une décision qui, de ce fait, était devenue définitive.

Vous avez par ailleurs nié avoir engagé une action en diffamation contre moi, monsieur Tapie. Vous l’avez pourtant fait. Mais, la veille du jour prévu pour les auditions devant la Cour, vous vous êtes désisté.

J’en viens au point le plus important. Votre thèse consiste à contester le tableau figurant à la page 20 de mon mémoire. Celui-ci visait à établir une estimation prudente à partir des informations recueillies auprès de l’EPFR et vérifiées avec le président du CDR. Au demeurant, les observations de M. Tapie ne contredisent pas ce que j’affirme sauf en ce qui concerne les actions BTF attribuées, par décision de justice, à la SDBO à hauteur de 76 millions d’euros. Ce transfert est bien destiné à atténuer les 163,2 millions de créances de la SBDO.

M. Bernard Tapie : Cela n’a rien à voir avec la médiation.

M. Charles de Courson : Mais c’est conforme à la sentence arbitrale. Le sous-total donne donc une très bonne estimation du montant avant paiement de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu. Quant aux sommes payées au titre de l’IR, de l’ISF ou de la CSG, elles bénéficieront du bouclier fiscal. Il reste une incertitude sur le taux appliqué au boni de liquidation. J’ai encadré mon estimation par deux hypothèses : le taux de 17 % appliqué aux plus-values et celui de 33 % dans le cas où l’on considérerait qu’il s’agit d’un revenu de droit commun.

Le total est donc très différent des montants indiqués par M. Tapie. Il reste une variable, c’est le montant des frais d’avocat restant à sa charge et qui viendront en déduction. Il est parfaitement libre de nous le dire ou non.

Cela étant, je maintiens qu’il lui restera plus de 20 à 40 millions d’euros « net net », comme il l’a affirmé dans un communiqué.

M. Yves Censi : Je m’étonne de la différence entre les montants évoqués par M. Tapie et ceux évoqués par M. de Courson. Selon vous, monsieur Tapie, on a effectué un calcul « à rebours ».

M. Bernard Tapie : On en a beaucoup tenu compte. Mme Lagarde elle-même a dit que la plus grande partie de ce qui me serait donné reviendrait à l’État.

M. Yves Censi : Peut-être, mais la sentence arbitrale est censée déterminer ce qui est dû après toute une série de péripéties économiques et commerciales. Alors que le débat, notamment dans les médias, se focalise sur la question du préjudice moral, il serait préférable de s’en tenir à l’aspect purement financier.

M. Jérôme Cahuzac : Pour information, la médiation de M. Burgelin proposait à M. Tapie 140 millions d’euros. On peut estimer que ce n’est « rien ». Ce n’est pas notre avis.

Les calculs que vous avez tenté de faire devant nous, monsieur Tapie, visaient à montrer que, une fois défalqués les dettes, les impôts et le reste, il ne vous restait, de votre point de vue, pas assez. Mais je maintiens que 140 millions d’euros, ce n’est pas rien.

Vous avez également soutenu que le Crédit Lyonnais ne vous a prêté « que » 250 millions de francs. Pourtant, dans le mémorandum dont vous nous avez fait distribuer la copie, les prêts s’élèvent à environ 900 millions de francs.

M. Bernard Tapie : Nous parlons de l’opération Adidas. Je veux bien répondre aux questions mais il y a des limites. On n’est pas au café du commerce !

M. Jérôme Cahuzac : Je comprends que l’évocation de ces sommes vous gêne, mais cela prouve, précisément, que nous ne sommes pas au café du commerce. Le document fait apparaître des prêts avoisinant 900 millions alors que vous avancez le montant de 250 millions. D’où vient l’éventuelle confusion ?

M. Bernard Tapie : Tout simplement de ce que vous n’avez pas écouté !

M. François Bayrou : Pour comprendre, avez-vous dit, il fallait lire ce mémorandum, lequel prévoyait, si je comprends bien, une pension de 600 000 francs par mois.

M. Bernard Tapie : Ce n’est pas dans le mémorandum. C’est la contrepartie que les parties ont acceptée et qui figure dans un document…

M. François Bayrou : Secret ?

M. Bernard Tapie : …qui est le travail préparatoire et signé du mémorandum.

M. François Bayrou : Je le note, comme disaient autrefois les Guignols de l’info.

M. Bernard Tapie : Je vous enverrai ce document dans les quarante-huit heures.

M. François Bayrou : Par ailleurs, vous niez avoir été financé à 100 % pour l’acquisition d’Adidas. Vous affirmez avoir réalisé des actions TF1, etc. Je voudrais, à ce sujet, citer le rapport commandé par Mme Eva Joly.

M. Bernard Tapie : Le rapport Péronnet, donc…

M. François Bayrou : Vous en avez cité beaucoup d’autres. « BTF GmbH ne disposant, pour toute ressource, que de son capital de 0,5 million de deutschemarks, soit 1,7 million de franc, a dû recourir à l’emprunt pour financer l’intégralité de l’acquisition d’Adidas. À cette fin, un crédit de 1,6 milliard de francs a été obtenu le 31 juillet 1990 auprès d’un pool bancaire dont les chefs de file étaient la SDBO… »

M. Bernard Tapie : Pour combien ?

M. François Bayrou : Cinq cents millions de francs, soit 31,25 % du prêt.

M. Bernard Tapie : Ça, c’est le pool français. Soyez précis !

M. François Bayrou : Je le suis. Je vais vous citer l’intégralité de la répartition. « Le montant du crédit permettait de couvrir le prix d’acquisition de 80 % des actions Adidas, les frais d’acquisition ainsi que les six premiers mois d’intérêts. La répartition des engagements au sein du pool s’établissait ainsi : SDBO, 500 millions, soit 31,25 % ; banque du Phénix, 250 millions, 15,63 % ; BNP, 200 millions, 12,5 % ; Bank of Tokyo, 300 millions, 18,75 % ; Long Term Credit Bank, 150 millions, 9,38 % ; Hypobank, 100 millions, 6,25 % ; Bayerische Vereinsbank, 100 millions, 6,25 %. Total : 1,6 milliard pour 100 %. » Je pourrais même vous indiquer le taux d’intérêt.

Au-delà de la rhétorique de M. Tapie, je voulais préciser ces faits.

M. François Goulard : Tout peut en effet s’expliquer si l’on admet la thèse initiale de M. Tapie : la société Adidas était véritablement en redressement, le mandat de vente a été conclu pour lui permettre, alors qu’il était au Gouvernement, de céder son actif dans de bonnes conditions… Or plusieurs éléments infirment cette thèse que les arbitres ne traitent pas véritablement. La justice a très largement examiné les questions subséquentes – le mandat, le portage – mais n’a pas résolu la question de fond : avez-vous, monsieur Tapie, pris librement la décision de vendre cette société, ce qui vous met en position de victime de la non-exécution d’un mandat, ou votre situation vous obligeait-elle de vendre à un banquier, le mémorandum et le mandat étant alors un moyen de vous sauver et de réaliser une plus-value nette de 200 millions de francs alors que la banque aurait pu vous contraindre de tout vendre immédiatement sans rien tirer de cette opération ?

M. Bernard Tapie : C’est comme si l’on revenait au début de l’audition.

M. Jean-Pierre Brard : Eh oui, vous n’avez pas convaincu.

M. Bernard Tapie : Je m’en fous, ce n’est pas vous le juge !

M. Charles de Courson : M. Tapie prend pour argument qu’il a plus rapporté à son banquier qu’il ne lui a coûté. Heureusement ! Sinon, comment vivraient les banques ? De même, un chef d’entreprise peut-il se prévaloir de payer l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu pour justifier une indemnisation ? Cela n’a rien à voir : c’est un argument de tribune !

M. Bernard Tapie : Parce que le reste a quelque chose à voir, sans doute ?

M. Charles de Courson : En outre, vous ne prenez pas en compte les coûts de plusieurs entreprises du groupe Bernard Tapie qui ont déposé leur bilan.

M. Bernard Tapie : Aucune n’a déposé son bilan !

M. Jean-Pierre Brard : Et les licenciements ? Et les gens laissés sur le sable ?

M. Charles de Courson : En effet, qu’en est-il du coût des licenciements ? Vos arguments n’ont rien à voir avec le débat qui occupe la Commission.

M. Bernard Tapie : On en revient au point de départ et à ce que toutes les juridictions ont confirmé.

Aux termes de la condamnation du tribunal de commerce, « il ressort de ce qui précède que la SDBO a eu un comportement condamnable tel que le définit la jurisprudence en matière de responsabilité bancaire ». En appel, l’avocat général affirme : « La responsabilité du Crédit Lyonnais est engagée par manquement à son devoir de loyauté, dès lors qu’il avait l’assurance d’espérer que la participation serait cédée à terme pour plus de 4 milliards de francs. Le silence qu’il a conservé est de nature à avoir privé le vendeur d’une chance sérieuse de gain. Le mandataire n’a pas le droit de se porter contrepartie ni d’acquérir les biens qu’il est chargé de vendre ni, plus généralement, de se comporter déloyalement envers sont mandant. »

Venons-en à l’arrêt de la cour d’appel : « Le caractère de portage ressort au demeurant des propres déclarations de M. Peyrelevade […]. En réalisant une opération de portage, propos qu’il a nuancé ensuite dans une lettre adressée […] à l’expert Tourin, et que le CDR explicite en affirmant que le dirigeant de la banque, qui n’est pas expert en droit mais banquier, a voulu parler d’un portage économique.

« Les nouveaux dirigeants du Crédit Lyonnais – M. Peyrelevade – ont reconnu le portage conçu et réalisé par et pour la banque par la précédente direction – M. Haberer –. Avec une constance inexplicable, les dirigeants de la structure de défaisance […], qui n’ont aucune responsabilité dans les agissements répréhensibles antérieurs du Crédit Lyonnais et de ses filiales, et dont le rôle était précisément de défaire ce que les banques avaient mal fait, s’obstinent à défendre des pratiques critiquables, comme à soutenir que la qualification de mandat ne peut être donnée à la mission confiée à la SDBO, l’enjeu de la qualification juridique étant précisément l’interdiction pour le mandataire d’acquérir les titres du mandant. Ils accréditent ainsi la réalité de l’acquisition par personne interposée et portent atteinte à l’image, à la réputation et à la crédibilité d’un établissement financier dont il a pu être dit qu’il peine à reconnaître ses erreurs et à en assumer les conséquences. »

M. Jérôme Cahuzac : Le jugement de la cour d’appel confirme-t-il ou annule-t-il celui du tribunal de commerce ?

M. Bernard Tapie : L’appel de la décision du tribunal de commerce n’a pas été jugé.

« Il apparaît en conséquence, poursuit la cour d’appel, que le groupe Crédit Lyonnais, en se portant contrepartie par personne interposée et en n’informant pas loyalement son client, n’a pas respecté les obligations résultant de son mandat. »

Quelles sont, ensuite, les conclusions de l’avocat général de la Cour de cassation ? « Cette dissimulation préjudiciable à ces sociétés constitue, comme l’ont dit les juges d’appel, une faute énorme par manquement au devoir de loyauté de la part des mandataires. C’est donc le manquement à ce devoir de loyauté qui résulte de la violation caractérisée et intentionnelle de l’obligation d’information qui constitue la faute majeure reprochée au mandataire. Ce qu’il y a lieu de retenir, et qui justifie l’arrêt attaqué, est que l’aboutissement de l’opération de reprise a pour effet de renforcer », etc.

La sentence arbitrale…

M. François Goulard : Si je puis me permettre, vous avez sauté un élément important : l’arrêt de la Cour de cassation.

M. Bernard Tapie : Si la Cour de cassation avait cassé les deux moyens qui viennent d’être évoqués, ce serait une omission coupable. Mais je fais exprès de ne mentionner que la démonstration des fautes qui n’ont pas été cassées. Vous pourrez passer encore des heures à me demander quelle était la valeur d’Adidas, quel était mon endettement, etc., ce n’est pas le sujet !

M. François Goulard : Pour nous, si !

M. Bernard Tapie : Dans ce cas, faites-vous avocat ou changez la loi. La loi répond aux deux questions posées par les liquidateurs et sur lesquelles porte l’arbitrage : la faute dans l’exercice du mandat et le fait que la banque se soit portée contrepartie. Tout le reste, c’est du charabia. Cela ne pèse rien au regard du droit.

M. François Goulard : Je rends hommage à votre compétence en matière juridique acquise au cours de ces années. Bien sûr, pour des raisons de procédure, la Cour de cassation n’a retenu qu’un seul moyen. Ce qui me gêne, c’est que, sur le plan juridique, son arrêt démolit complètement toute la construction de la sentence arbitrale.

M. Bernard Tapie : C’est faux. Donnez-moi un exemple !

M. François Goulard : Le portage, l’interdiction de se porter contrepartie…

Le Président Didier Migaud : Reprenons l’arrêt de la Cour de cassation :

« Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

« Casse et annule, mais seulement du chef des condamnations prononcées contre le CDR créances et le Crédit Lyonnais, l’arrêt rendu le 30 septembre 2005, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ».

La Cour casse donc sur un moyen et renvoie devant une cour d’appel pour juger les autres moyens.

M. Bernard Tapie : Eh oui ! Comment osez-vous dire qu’elle casse tout, monsieur Goulard ? Où avez-vous vu cela ?

Le Président Didier Migaud : L’objectivité veut que nous lisions les décisions. C’est après que la Cour de cassation les a renvoyées devant la cour d’appel que les deux parties ont décidé de recourir à l’arbitrage.

Le Rapporteur général : Ma seule intervention dans ce débat a été précisément pour rappeler ce qu’est l’arrêt de la Cour de cassation et en quoi la sentence arbitrale est bien dans la ligne de cet arrêt. Je suis heureux que vous repreniez ces éléments, monsieur le président.

Comme cette analyse continue à faire débat – peut-être faudra-t-il que nous fassions procéder à une expertise juridique –, je tiens à préciser que la Cour de cassation confirme la recevabilité des demandes des liquidateurs et casse le jugement de la cour d’appel de Paris sur un point : selon elle, on ne peut faire grief au Crédit Lyonnais de ne pas avoir consenti les mêmes conditions de financement à l’occasion de l’acquisition Adidas, en l’occurrence les prêts à recours limité.

M. Bernard Tapie : Je vous signale que c’est un moyen que nous n’avons pas soutenu.

Le Rapporteur général : En revanche, la Cour de cassation ne se prononce pas sur le grief du portage et des contreparties au mandat de vente confié à la SDBO. Dans le cas de figure d’un renvoi devant la cour d’appel, on aurait pu aboutir à une annulation de l’attribution des actions BTF à la SBDO. Dès lors, on n’aurait plus eu aucune base pour les évaluations. La loi ou la jurisprudence disposent que c’est alors la valorisation de l’entreprise aujourd'hui qui fait foi. C’est un point fondamental : si le CDR a décidé de recourir à la procédure d’arbitrage, c’est très certainement en considération de ce type de risque. Le président Migaud a raison : on ne peut faire dire à l’arrêt de la Cour de cassation ce qu’il ne dit pas.

Le Président Didier Migaud : M. Thomas Clay, que nous avons entendu ce matin et qu’on ne peut suspecter de sympathies particulières, a été clair sur ce sujet.

M. Bernard Tapie : Ces arguments sont d’autant plus incontestables que ce n’est pas la chambre commerciale de la Cour de cassation qui a statué mais l’assemblée plénière. J’hésite à expliquer pourquoi le Premier président a saisi la Cour dans cette formation à huit jours d’une décision que la chambre commerciale devait prendre. Si chacun faisait son boulot, vous sauriez pourquoi le président Canivet a repris l’affaire.

M. François Bayrou : Pourquoi ?

M. Bernard Tapie : Parce que les avocats du CDR ont eu connaissance, huit jours avant la sentence, du projet de décision. C’est arrivé à l’oreille de nos avocats et, lorsque le président Canivet l’a appris, il a immédiatement dessaisi la chambre commerciale au profit de l’assemblée plénière.

M. François Bayrou : Qu’en concluez-vous ?

M. Bernard Tapie : Qu’il est heureux que cela se soit passé dans ce sens. Si ç’avait été mes avocats qui avaient eu la proposition de jugement entre les mains huit jours avant, on vous aurait entendu – et vous auriez eu raison !

M. Charles de Courson : Avez-vous la preuve de ce que vous avancez ?

M. Bernard Tapie : L’avocat du CDR à la Cour de cassation vous le dira.

Quoi qu’il en soit, cette décision représentait pour nous à la fois un grand risque et un grand poids. La Cour aurait pu estimer que nous n’étions pas pleinement recevables et que nos moyens n’étaient pas forts. Dans ce cas, c’en était fini : il n’y avait plus d’affaire.

M. Charles de Courson : Comme il s’agit d’un arrêt en assemblée plénière, le renvoi ne concerne pas seulement le dispositif final : il porte également sur les argumentaires développés dans le corps de l’arrêt. Or celui-ci rappelle que, selon les avocats de la maison Tapie, l’opération constituait un portage mais que, « attendu que, si l’arrêt relève tout d’abord que les banques ont commis des fautes en se portant cessionnaires des parts qu’elles avaient pour mandat de céder et en manquant à leur obligation d’informer loyalement leur mandant, il se borne ensuite, pour caractériser l’existence et apprécier l’étendue du préjudice causé par les manquements imputés au groupe Crédit Lyonnais, à retenir que celui-ci n’a pas respecté ses obligations de banquier mandataire en s’abstenant de proposer au groupe Tapie le financement constitué par les prêts à recours limité consentis à certaines des sociétés cessionnaires ; que, la cour d’appel ayant ainsi retenu que cette abstention constituait la seule cause du préjudice dont elle accordait réparation, il ne peut lui être utilement reproché d’avoir relevé l’existence d’autres manquements qui ne constituent pas le soutien de sa décision ; que le moyen, inopérant, ne peut être accueilli ».

La Cour n’a donc pas confirmé la thèse des avocats de M. Tapie.

M. Bernard Tapie : Elle ne l’a pas infirmée non plus.

M. Charles de Courson : Elle n’a pas tranché sur l’existence du portage…

M. Bernard Tapie : Bien sûr. Personne ne le nie !

M. Charles de Courson : …mais elle a écarté la thèse de la cour d’appel sur ce point.

M. Bernard Tapie : Elle a écarté les deux thèses.

M. Charles de Courson : Absolument. Dans l’hypothèse d’un renvoi, la cour d’appel aurait dû se prononcer à la fois sur l’attendu et sur le dispositif final.

Le Président Didier Migaud : M. Thomas Clay a considéré ce matin que cette question était délicate et que l’on ne pouvait se faire une opinion définitive en la matière.

M. François Bayrou : M. Jean-Pierre Aubert a soutenu devant la Commission une thèse qui me semble très éclairante. S’il était contre l’arbitrage, c’est qu’il lui semblait qu’il n’existait pas de risque juridique important, surtout après l’arrêt de la Cour de cassation. Celle-ci a confirmé l’irrecevabilité du vendeur, BTF.

M. Bernard Tapie : Pas du tout ! Ce n’est pas BTF, c’est le mandataire ad hoc pour le compte des petits porteurs !

M. François Bayrou : Je vous rapporte ce que M. Aubert nous a dit.

M. Bernard Tapie : Il a aussi dit qu’il n’y avait pas de risque avec Executive Life…

M. François Bayrou : Peut-être prêterez-vous quand même attention aux propos d’une personne dont vous avez souligné tout à l’heure la parfaite intégrité.

M. Bernard Tapie : Tout à fait.

M. François Bayrou : Selon M. Aubert, seul GBT était recevable. Or, étant actionnaire, le groupe ne peut réclamer dédommagement d’une perte subie par sa filiale.

M. Bernard Tapie : Ridicule !

M. François Bayrou : C’est peut-être ridicule, monsieur. Pour moi, cela mérite que l’on y réfléchisse.

M. Bernard Tapie : Je vais vous répondre.

M. François Bayrou : Je ne sais pas si c’est à vous de le faire : il s’agit là d’une appréciation portée sur la sentence, qui pourrait déterminer un éventuel recours.

M. Aubert a en outre remarqué que l’obligation contractuelle entre GBT et BTF, à savoir la remontée de 185 millions du second vers le premier, a été accomplie.

Le Crédit Lyonnais et la SDBO sont des personnes morales distinctes. Le mandat ayant été confié à la SDBO, ce n’est pas le Crédit Lyonnais qu’il faut mettre en cause.

Enfin, je partage la lecture de François Goulard : la décision de la Cour de cassation affaiblit votre raisonnement juridique. De ce point de vue, la sentence arbitrale mériterait d’être examinée d’un peu plus près.

M. Bernard Tapie : Le maintien des deux autres moyens implique que j’ai le droit de contester l’exécution du mandat et de ses conséquences, sans limitation des demandes que l’on peut formuler.

Par ailleurs, la Cour de cassation fait dire à la cour d’appel ce qu’elle ne dit pas. À aucun moment la cour d’appel n’affirme que le Crédit Lyonnais aurait dû m’accorder un crédit comparable : elle dit seulement qu’il aurait pu le faire, manière humoristique de constater qu’on aurait pu au moins me donner ce que l’on avait donné aux sociétés offshore.

M. François Bayrou : C’est vous qui vouliez vendre pour être ministre !

M. Bernard Tapie : Vous n’allez tout de même pas me rendre responsable de l’arrêt de la cour d’appel sur un moyen que je n’ai pas soulevé !

M. Charles de Courson : Ce que vous dites est juste s’agissant de l’arrêt de la cour d’appel : « Les mandataires liquidateurs peuvent en revanche, à juste titre, soutenir que les 78 % du capital d’Adidas auraient pu être vendus directement à M. Robert Louis-Dreyfus en décembre 1994, si le groupe Crédit Lyonnais avait respecté ses obligations de banquier mandataire en proposant le financement constitué par les prêts à recours limité au groupe Tapie de sorte que la plus-value aurait été répartie dans ce cas dans la proportion rappelée précédemment : 1/3 au vendeur, 2/3 à la banque. » Cela, la Cour de cassation l’a annulé en affirmant qu’il n’existe aucun droit au prêt.

M. Bernard Tapie : Nous sommes d’accord.

Le Président Didier Migaud : Les précédentes auditions ont montré qu’il existe des points de vue différents sur ce sujet. Revenons-en aux questions posées sur les arbitres et sur le préjudice moral.

M. Bernard Tapie : Les deux parties avaient convenu de dresser une liste des arbitres potentiels en retenant des personnes dont la notoriété, l’honorabilité et l’impartialité étaient incontestables. Contester M. Jean-Denis Bredin sous prétexte qu’il a été radical de gauche jusqu’en 1978 est aussi ridicule que de rappeler que M. Pierre Mazeaud est membre de l’UMP. M. Mazeaud a raisonné en son âme et conscience, indépendamment de la politique. M. Bredin, membre de l’Académie française, est un grand humaniste, et il a déjà rendu des arbitrages internationaux.

M. Jean-Pierre Brard : Vous ne répondez pas à la question.

M. Bernard Tapie : La liste comportait une quinzaine de noms. M. Bredin est professeur de droit, M. Mazeaud est ancien président du Conseil constitutionnel. Il fallait un magistrat mais celui-ci ne pouvait être issu de la cour d’appel de Paris, qui avait eu à connaître du dossier, ou de la Cour de cassation, qui venait de rendre un jugement. C’est tout naturellement que le choix s’est porté sur l’ancien président de la deuxième cour d’appel de France, celle de Versailles.

Nos amis les médias ont produit toute une littérature sur la proposition d’arbitrage et sur le nom des arbitres. Or personne n’a soulevé aucune objection !

M. François Bayrou : Nous n’étions même pas au courant !

M. Bernard Tapie : Vous lisez tout de même les journaux, monsieur Bayrou. En plus, une personne que vous connaissez très bien savait parfaitement que l’on se dirigeait vers un arbitrage. Personne ne pouvait l’ignorer. La désignation des arbitres et la détermination des contours, obligations et restrictions ont été largement débattues.

M. François Bayrou : Confidentiellement.

M. Bernard Tapie : Non, c’était dans la presse. Et tout le monde, dans les organes de décision, était au courant des plafonds – c’est d’ailleurs moi qui ai demandé qu’on lève les secrets…

M. Jean-Pierre Brard : Vous n’avez toujours pas répondu à mes questions. Sur les trois arbitres, lequel avez-vous désigné ?

M. Bernard Tapie : Aucun. Il arrive fréquemment que les deux parties choisissent séparément un arbitre chacune et qu’elles se mettent d’accord sur le président, mais ce n’a pas été le cas car il ne fallait pas que tel arbitre se sente le candidat d’une partie. L’accord s’est fait sur les trois noms.

M. Jean-Pierre Brard : Et la rémunération ?

M. Bernard Tapie : Je crois qu’il existe des barèmes fixés par la chambre de commerce afin de tenir compte du temps passé et du nombre de personnes mobilisées. Ce travail implique en effet un nombre impressionnant d’assistants et de démarches payantes, et ce pendant sept ou huit mois. Vous faites un véritable procès d’intention. Je ne vois pas comment les arbitres auraient pu dépasser le montant des honoraires habituellement versés pour de telles prestations.

Le Président Didier Migaud : Et le préjudice moral ?

M. Bernard Tapie. C’est un point capital pour le regard que l’opinion publique porte sur cette affaire. Il faut d’abord préciser que le préjudice remonte à quinze ans et que le montant de l’indemnité est actualisé : l’euro d’aujourd'hui vaut à peu près la moitié de son équivalent d’il y a quinze ans.

M. Jean-Pierre Brard : Un gamin qui meurt aujourd'hui, c’est 30 000 euros.

M. Bernard Tapie : Ce n’est pas moi qui définis ce montant !

Dans le cadre de cet arbitrage, trois hommes ont estimé le préjudice que j’ai subi. Libre à vous de dire que cela ne le vaut pas. Mais, contrairement à vous, les arbitres ont passé trois heures à m’écouter et à me tenir sur le gril pour que je fasse l’inventaire de ce qui s’est passé.

On vient de m’accuser d’être un « favorisé ». Bien entendu, personne n’échappe aux maladies, aux décès, aux divorces et chacun peut faire valoir, à un moment ou à un autre, une forme de détresse qui peut ou non prêter à indemnité. On a chacun sa dose. En ce qui me concerne, les juges ont examiné tout ce qui m’a été fait depuis 1995. Il ne vous aura pas échappé que, jusqu’en 1994, j’étais un honnête homme. Puis ont commencé les inculpations, les perquisitions, etc. Chaque fois que j’apparais – sauf au théâtre, où je n’emmerde personne et où, par conséquent, on m’accepte – je me trouve au cœur d’un débat et d’une médiatisation qui, dans le cas d’espèce, sont insupportables.

M. François Goulard : N’est-ce pas normal pour un homme public ?

M. Bernard Tapie : Si c’est pour des fautes que j’ai commises, c’est la moindre des choses : personne ne m’a obligé à être connu. Mais que l’on continue cette polémique et cette médiatisation outrancière même quand je gagne, c’est totalement irrationnel et injustifié.

J’aurais voulu que ceux qui me contestent vivent un mois seulement l’enfer que j’ai vécu pendant quinze ans. Un enfer où je suis obligé de changer le nom de mes enfants car ils ne peuvent plus aller à l’école sous le nom de Tapie. C’est peut-être de l’humour de mettre sur une poubelle un nom qui n’est pas le vôtre. Mais quand c’est le vôtre et qu’il est porté par vos enfants, par votre femme, par votre famille, cela fait mal. Toutes les inculpations dont j’ai fait l’objet – les faux tableaux, les ventes de meubles… – se sont terminées par des non-lieux mais cela, on ne l’a jamais fait savoir. Quand ma femme passe une journée entière à chialer dans les chiottes parce qu’une multitude de personnes est en train d’ouvrir les placards pour regarder quel dentifrice j’utilise, ce n’est pas normal !

Bien sûr, ce n’est pas Tchernobyl, mais c’est ce que j’ai subi en permanence, à petit feu, de la part d’un coupable qui, en plus, s’est enrichi sur mon dos. C’est pour ces fautes que les arbitres peuvent lui dire de payer. Je n’ai rien à réclamer : j’ai demandé mon dû. Des arbitres largement aussi crédibles et honnêtes que vous ont décidé de me l’accorder.

Un jour, la justice a condamné un journaliste pour avoir traité un homme de « Tapie breton », parce que, selon la justice, mon nom était devenu une injure publique. Sans doute ne mesurez-vous pas l’énormité du problème. C’est comme si je m’appelais « enfoiré », « pourri », « ordure »… Or, même si j’ai fait des fautes – et j’en ai fait –, je ne mérite pas du tout ce traitement, et surtout pas de la part de la banque qui a gagné de l’argent sur mon dos.

Ce que je pense, c’est que vous avez eu beaucoup de chance que les parties aient limité au préalable le montant de la condamnation. Vous m’opposez que l’État n’indemnise pas certaines personnes pour des fautes qu’il a commises. Mais ce n’est pas dans mon cas qu’il faut vous insurger, c’est dans tous les autres cas ! L’État a tous les droits dans ce pays, y compris de foutre un type en taule pendant vingt ans et de l’en ressortir en disant : « On s’excuse et on vous donne 10 000 balles. » Le scandale, c’est que l’État se protège parce que, dans ce pays, il n’a jamais tort ; ce n’est pas quand vous m’indemnisez de ce que vous m’avez volé. Je suis content que des personnes du niveau de M. Mazeaud et de M. Bredin disent non, disent qu’il faut que l’État soit responsable et paie lorsqu’il commet une faute.

Quant à la démagogie qui consiste à demander à combien d’enfants malades correspond l’indemnité… Je ne vous demande pas, monsieur Bayrou,…

M. Jean-Pierre Brard : C’est moi qui avais posé la question.

M. Bernard Tapie : …combien de poliomyélites on aurait pu soigner avec vos frais de campagne présidentielle !

Les arbitres ont donné ce qu’ils ont voulu donner. Ils ont estimé un prix. Ce qui comptera, c’est ce que je ferai de cette somme. Croyez-moi, ce ne sera ni pour racheter le Phocéa ni pour racheter l’Olympique de Marseille. Je ferai ce que me dictera ma conscience.

Le Président Didier Migaud : Merci, monsieur Tapie.

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