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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 2 décembre 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 40

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Examen du projet de loi de finances rectificative pour 2009 (n° 2070) (M. Gilles Carrez, Rapporteur général) 2

– Présences en réunion 26

La Commission examine, sur le rapport de M. Gilles Carrez, Rapporteur général, le projet de loi de finances rectificative pour 2009 (n° 2070).

M. Didier Migaud, Président. L’ordre du jour appelle l’examen du troisième projet de loi de finances rectificative pour l’année 2009, sur lequel nous avons entendu, il y a dix jours, les ministres Christine Lagarde et Éric Woerth. Nous aurons 135 amendements à examiner. Avant de donner la parole au Rapporteur général, je ferai deux observations :

En premier lieu, la Cour des comptes vient de remettre au Parlement un rapport sur les mouvements de crédits dont il est demandé ratification. Ce document sera annexé au rapport du rapporteur général. La Cour relève qu’à côté de certaines ouvertures de crédit répondant à la condition d’urgence prévue par la LOLF, il en est d’autres qui ont été rendues nécessaires du fait d’importantes sous-dotations en loi de finances initiale. La Cour observe également que certaines ouvertures ont été gagées par des annulations qui n’ont pas manqué de créer des situations d’insuffisance, lesquelles n’ont pas toutes été prises en compte dans le projet de loi de finances initiale pour 2010. Ce qui signifie que d’ores et déjà, le projet de loi de finances pour 2010 est entaché du même défaut d’insuffisances de certains crédits… Ce problème est récurrent, même si quelques progrès ont été enregistrés. Il pose la question de la sincérité de la loi de finances initiale, question qui pourrait un jour être soumise au Conseil constitutionnel.

Autre problème relevé par la Cour : le Gouvernement prend l’habitude de couvrir, en cours d’exercice, une insuffisance de crédit initiale par un décret d’avance et d’annulation qui ponctionne une dotation dans un autre programme, voire une autre mission et de rouvrir pour cette mission un crédit par loi de finances rectificative : cette façon de faire revient à contourner l’autorisation parlementaire.

En second lieu, ce collectif contient plusieurs dispositions relatives à la lutte contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux. Elles vont dans le bon sens, certaines avancées sont réalisées. Mais il reste beaucoup à faire. La mission d’information de la Commission avait fait des propositions qui sont loin d’être toutes reprises et nous aurons de nombreux amendements à ce sujet.

PREMIÈRE PARTIE :

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L'ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE PREMIER

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

RESSOURCES AFFECTÉES

A.– DISPOSITIONS RELATIVES AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Article premier : Compensation des transferts de compétences aux départements par attribution d’une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers

La Commission examine l’amendement CF 113 2ème rectifié de M. Thierry Carcenac.

M. Thierry Carcenac. La commission consultative d’évaluation des charges (CCEC) a constaté qu’il subsistait une dette à l’égard des départements au titre de la compensation des charges résultant du transfert du revenu minimum d’insertion (RMI) pour les années 2004 à 2006. Elle s’élève à 11,065 millions d’euros pour les « emplois vacants » et à 2,6 millions d’euros pour les « emplois disparus », soit un total de 13,6 millions d’euros. Cette dette est reconnue par l’État qui envisage un remboursement échelonné jusqu’en 2012. L’amendement propose un remboursement immédiat de cette somme aux collectivités.

M. le Rapporteur général. Je suis favorable à cet amendement et je salue le travail réalisé par la CCEC. À de rares exceptions près, le remboursement se doit d’être concomitant avec le transfert de charges. L’attribution d’une fraction de taxe intérieure sue les produits pétroliers (TIPP) aux départements fournit la possibilité de réaliser cet ajustement en fin d’année. Nous ne ferons probablement pas l’économie d’un débat avec le Gouvernement sur la vacance ou la disparition d’un certain nombre d’emplois, mais c’est un autre sujet.

M. Thierry Carcenac. Le remboursement de cette dette est d’autant plus légitime que l’État ne la conteste pas. Le ministère des affaires sociales excipe simplement de l’absence de crédits pour proposer un étalement des versements.

M. Charles de Courson. Comment s’effectuera la répartition de ces sommes entre les départements ?

M. le Rapporteur général. C’est la CCEC qui répartira les montants entre les départements au regard des charges réelles supportées par chaque département, lors de sa plus prochaine réunion.

M. René Couanau. N’existe-t-il pas d’autres dettes de l’État à l’égard des départements ? Les conseils généraux semblent souffrir de ce que l’ensemble des charges transférées par l’État n’aurait pas été compensé. Est-ce vrai ? Ce débat ne doit pas perdurer, au risque de voir s’installer une défiance entre l’État et les collectivités territoriales. Il doit être assaini par une discussion franche sur les chiffres.

M. Henri Emmanuelli. J’avais demandé l’an dernier au ministre du budget, M. Éric Woerth, de faire vérifier par son cabinet l’état des comptes du département que je préside. Malgré son accord verbal, rien n’a été fait et pour cause : la compensation du transfert des charges du RMI, promise à l’euro près, n’a pas été réalisée ! Et pourtant on ne peut parler de laxisme dans la gestion : le département des Landes comptait 4 500 Rmistes, chiffre qui a été réduit de 500 après vérification des dossiers.

Le même phénomène est constaté pour l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), qui devait être financée à l’origine pour moitié par l’État, pour moitié par les conseils généraux. Or, les départements financent aujourd’hui 72 % de ce dispositif, l’État n’en assumant plus que 28 %. Le financement de l’APA coûte 42 millions par an à mon département. Je pourrais également évoquer une somme de 5 millions d’euros avancée par le département des Landes à l’État pour éviter la suspension des travaux d’une autoroute, somme que le Conseil général ne parvient pas aujourd’hui à se faire rembourser.

M. Jean-Claude Mathis. Ce débat est récurrent au sein des conseils généraux. Je voudrais toutefois faire remarquer que le montant des remboursements est toujours basé sur l’année qui précède l’exercice en cours, ce qui peut parfois donner l’impression trompeuse d’une insuffisance de crédits. Mais l’État tient globalement sa parole. Lorsqu’il s’engage à verser une somme, il le fait même si, comme cela a été le cas dans le département de l’Aube, le conseil général réalise des économies en gestion.

M. le Rapporteur général. Si toutes les dettes de l’État à l’égard des départements sont en voie d’apurement, n’oublions pas que le Gouvernement doit encore verser 108  millions d’euros aux régions au titre des formations sanitaires et sociales et 105 millions d’euros au titre de la formation professionnelle des jeunes de moins de 26 ans. Par ailleurs, je souscris totalement aux propos de M. Henri Emmanuelli et de M. Jean-Claude Mathis.

M. Thierry Carcenac. Cette dette de l’État répond à une dépense obligatoire des départements. Si elle n’est pas rapidement remboursée, nous risquons de compter une dizaine de départements qui ne pourront pas boucler leur budget. L’annonce par M. Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités actives, d’une revalorisation de 1,2 % du RSA socle au 1er janvier 2010 ne manque pas d’inquiéter : avec une DGF qui n’augmentera que de 0,6 %, les départements devront assumer le solde de l’augmentation…

M. Henri Emmanuelli. Pour sortir de cette situation, je propose que soit créée au sein de la commission des Finances une mission d’information sur ce sujet ou, à défaut, qu’il soit fait appel à l’expertise d’un cabinet d’audit extérieur.

M. le Rapporteur général. La commission des Finances gagnerait à créer une mission d’information sur le financement du RSA. La déclaration de Martin Hirsch annonce une nouvelle dépense à la charge des départements, sans compensation.

La Commission adopte l’amendement CF 113 2ème rectifié, puis l’article 1er ainsi modifié.

Article 2 : Compensation des transferts de compétences aux régions par attribution d’une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Article 3 : Affectation d’une fraction du produit des amendes forfaitaires de police à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) au titre du Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD)

La Commission examine les amendements CF 142 du Rapporteur général et CF 66 de M. Jean-Pierre Brard, qui peuvent être soumis à une discussion commune.

M. le Rapporteur général. Il s’agit d’un sujet que nous connaissons bien, celui de l’utilisation du produit des amendes normalement perçues par les collectivités locales au profit du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). L’amendement propose de réduire de 55 à 35 millions d’euros le montant prélevé sur le produit des amendes forfaitaires au profit du FIPD. En effet, ce prélèvement, instauré de façon prétendument temporaire en 2007, a été renouvelé chaque année, en contradiction avec la règle d’affectation du produit des amendes forfaitaires à la section d’investissement des communes. Son augmentation est d’autant moins envisageable que la recette totale des amendes forfaitaires en 2009 accuse un rendement inférieur de 10 % à la prévision initiale. C’est pourquoi l’amendement CF 142 propose de maintenir le montant du prélèvement au profit du FIPD au même niveau que les années précédentes.

M. Jean-Pierre Brard. Mon amendement CF 166 n’a pas le même objectif. Les sommes du FIPD devraient être affectées non pas au développement de la vidéosurveillance, mais à des dispositifs de prévention de la délinquance des mineurs comme le soutien scolaire, par exemple. C’est pourquoi le prélèvement sur le produit des amendes doit être affecté au fonds de solidarité en faveur des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des catastrophes naturelles.

M. Thierry Carcenac. Le produit des amendes devrait être réparti par le Comité des finances locales, et non capté par le Gouvernement. Il faudrait par ailleurs améliorer le mode de répartition de ce produit.

M. Marc Laffineur. À combien s’élèvent les amendes de police en 2008 et en 2009 ?

M. le Rapporteur général. La valeur du point s’élevait à 21 euros en 2008, et atteindrait seulement 19 euros en 2009 s’il n’y avait pas de prélèvement au profit du FIPD. Compte tenu de ce prélèvement, le point s’élève à 17,50 euros en 2009. Compte tenu de l’amendement CF 142, le montant du produit des amendes réparti par ce Comité des finances locales atteindrait 485 millions d’euros. La loi de finances initiale prévoyait 600 millions d’euros.

L’objectif est de stabiliser le montant moyen des amendes autour de 20 euros.

S’agissant par ailleurs du compartiment des amendes des radars automatiques, le système est ainsi stabilisé : les communes perçoivent 100 millions d’euros et les départements 30 millions d’euros. Le reste de la recette est partagé entre l’agence de financement des infrastructures de transport (AFIT) et le compte d’affectation spéciale Radars.

M. Hervé Mariton. À moyen terme, les radars automatiques coûteront plus cher qu’ils ne rapporteront. L’affectation du produit des amendes aux investissements de sécurité routière doit être maintenue. La banalisation des amendes comme recette normale des collectivités locales n’est pas souhaitable.

En outre, je regrette que le mode de répartition des recettes induise une hiérarchisation entre départements et communes de moins de 10 000 habitants.

M. Michel Bouvard. Il n’y a pas de hiérarchisation ! La répartition du produit des amendes entre communes par les départements fonctionne très bien, et permet notamment de financer les transports communaux.

La Commission adopte l’amendement CF 142, l’amendement CF 66 devenant ainsi sans objet.

La Commission adopte l’article 3 ainsi modifié.

B.– AUTRES DISPOSITIONS

Article 4 : Reversement par la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) du trop perçu à l’occasion de la reprise de la dette du Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (FFIPSA) et apurement partiel de la dette de l’État envers ladite caisse

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Article 5 : Affectation du produit du droit de consommation sur les tabacs

La Commission adopte l’article 5 sans modification.

Article 6 : Clôture du compte de commerce « Opérations industrielles et commerciales des directions départementales et régionales de l’équipement »

La Commission adopte l’article 6 sans modification.

TITRE II

DISPOSITIONS RELATIVES A L’ÉQUILIBRE
DES RESSOURCES ET DES CHARGES

Article 7 : Équilibre général du budget, trésorerie et plafond d’autorisation des emplois

La Commission adopte l’amendement de coordination CF 146 du Rapporteur général et l’article 7 ainsi modifié.

Elle adopte ensuite la première partie du projet de loi ainsi modifiée.

SECONDE PARTIE :

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

TITRE PREMIER

AUTORISATIONS BUDGÉTAIRES POUR 2009 – CRÉDITS

CRÉDITS DES MISSIONS

Article 8 : Budget général : ouvertures et annulations de crédits

La Commission examine l’amendement CF 86 de M. Patrice Martin-Lalande.

M. Patrice Martin-Lalande. Il s’agit d’un amendement d’appel, sur les crédits de la mission Médias, visant à pousser le Gouvernement à prendre des engagements en séance publique sur le contenu du contrat d’objectifs et de moyens de France Télévision. La disparition progressive de la publicité sur les chaînes de l’audiovisuel public constitue une chance pour France Télévision, qui peut désormais s’appuyer sur une ressource budgétaire stable et prévisible, alors que le marché de la publicité télévisuelle est en décroissance. En contrepartie, il convient que France Télévision prenne des engagements plus précis en termes de bonne gestion, et que les éventuels excédents de recettes tirés de la diffusion de messages publicitaires soient exclusivement consacrés à la réalisation et au maintien d’un résultat équilibré pour le groupe.

M. le Rapporteur général. Je suis favorable à l’objectif de cet amendement, mais dans la mesure où c’est un amendement d’appel, je propose que M. Martin-Lalande le redépose en séance publique.

L’amendement CF 86 est retiré.

La Commission adopte l’article 8 sans modification.

Article 9 : Comptes spéciaux : ouvertures et annulations de crédits

La Commission adopte l’article 9 sans modification.

TITRE II

RATIFICATION DE DÉCRETS D’AVANCE

Article 10 : Ratification de deux décrets portant ouverture et annulation de crédits à titre d’avance

La Commission adopte l’article 10 sans modification.

TITRE III : DISPOSITIONS PERMANENTES

I.– MESURES FISCALES NON RATTACHÉES

A.– Lutter contre la fraude

Article 11 : Levée du secret professionnel entre les ministères financiers et le ministère de l’Intérieur dans le cadre des activités lucratives non déclarées portant atteinte à l’ordre public et à la sécurité juridique

La Commission adopte l’article 11 sans modification.

Article 12 : Alignement du traitement fiscal des activités illicites sur les activités occultes

La Commission examine l’amendement CF 139 du Rapporteur général.

M. le Rapporteur général. L’article 12 prévoit d’aligner le traitement fiscal des activités illicites sur celui des activités occultes, mais seulement pour les activités illicites passibles d’au moins un an d’emprisonnement. Les autres activités illicites resteraient donc fiscalement mieux traitées que les activités licites occultes.

L’amendement propose d’étendre cet alignement à toutes les activités illicites, y compris celles qui sont passibles d’une peine de moins d’un an d’emprisonnement.

M. Charles de Courson. Quel régime s’applique pour les activités à la fois illicites et occultes ?

M. le Rapporteur général. La distinction entre les deux notions est floue, et l’amendement permet de mettre un terme à cette confusion.

La Commission adopte l’amendement CF 139, et l’article 12 ainsi modifié.

Article 13 : Lutte contre les activités lucratives non déclarées

La Commission examine l’amendement CF 144 du Rapporteur général.

M. le Rapporteur général. Mon amendement a pour objet d’étendre la base du revenu imposable aux sommes d’argent utilisées comme monnaie d’échange dans le cadre des trafics. En effet, ces sommes ne sont pas considérées comme un bien meuble ayant servi à commettre des trafics, tandis que d’autres monnaies d’échange, comme les pierres précieuses, le sont.

M. le Président Didier Migaud. C’est un amendement de bon sens.

La Commission adopte l’amendement CF 144.

La Commission examine l’amendement CF 143 du Rapporteur général.

M. le Rapporteur général. Mon amendement a pour objet d’assurer que la majoration des droits de 80 %, appliquée lors de l’imposition d’activités occultes licites ou illicites, soit également appliquée dans le cadre d’une imposition fondée sur la présomption d’un revenu égal à la valeur vénale des biens objet du trafic.

La Commission adopte l’amendement CF 143, puis adopte l’article 13 ainsi modifié.

B.– Lutter contre les paradis fiscaux

Article 14 : Mesures de lutte contre les États ou territoires non coopératifs et fixant des obligations documentaires relatives à la politique des prix de transfert

La Commission examine les amendements CF 2 de M. Daniel Garrigue et CF 120 de M. Henri Emmanuelli.

M. Daniel Garrigue. Je suis étonné que certains États ou territoires de la Communauté européenne n’entrent pas dans la catégorie des États ou territoires non coopératifs. Or la situation est loin d’être claire pour un certain nombre d’entre eux ; ainsi trois États membres (Luxembourg, Belgique et Autriche) persistent à rester en dehors de la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne. Cette directive fait actuellement l’objet d’une discussion et rien ne permet d’imaginer un changement d’attitude de leur part. C’est l’harmonisation fiscale européenne qui se profile derrière ce problème. La rédaction de l’article 14 est a priori discutable et serait un mauvais signal envoyé à ces États membres.

M. Henri Emmanuelli. Il ressort de toutes les auditions réalisées que les principaux trafics sont réalisés avec le Luxembourg. Je comprends le souci du Rapporteur général de respecter les règles communautaires, et je suis prêt à risquer un recours devant la Cour de justice des communautés européennes (CJCE).

M. Charles de Courson. Je m’interroge sur le périmètre du 3ème alinéa. Les îles anglo-normandes (Île de Man, Jersey et Guernesey), sous la souveraineté d’un État membre de la Communauté européenne, figureront-elles sur la liste ?

M. le Rapporteur général. Il s’agit d’une question complexe où il faut distinguer la liste initiale, applicable au 1er janvier 2010, et ses évolutions ultérieures. Au 1er janvier 2010, les État et territoires considérés comme non coopératifs dans la liste initiale devront remplir quatre critères :

– ne pas faire partie de la Communauté européenne (il existe une convention européenne d’assistance administrative, qui s’applique au Luxembourg) ;

– avoir fait l’objet d’un examen par l’OCDE (ceux qui n’en ont pas fait l’objet sont des pays qui ne présentent pas d’enjeux importants) ;

– ne pas avoir conclu de convention d’assistance administrative avec la France permettant un échange complet de renseignements ;

– ne pas avoir conclu avec au moins douze État ou territoires une telle convention d’assistance administrative.

À compter du 1er janvier 2011, cette liste initiale sera mise à jour annuellement. Ainsi, par exemple, si la France estime que la convention d’assistance administrative n’est pas appliquée correctement, elle pourra décider d’inclure le Luxembourg dans la liste des États ou territoires non coopératifs. Elle pourra aussi saisir le Forum de l’OCDE et porter le débat au sein des institutions européennes.

M. Daniel Garrigue. Je ne suis pas convaincu par l’explication du Rapporteur général. Il ne suffit pas d’avoir conclu une convention d’assistance administrative. L’article 14 opère en deux temps : en 2010 les conditions sont rigoureuses et à partir de 2011 on s’en remet très largement à l’OCDE, avec un simple contrôle par les pairs. Or, au sein de l’Union européenne, sans parler de la place de Londres et ses processus d’optimisation fiscale, le Luxembourg restera très opaque à tous les égards tant qu’il n’aura pas adopté la directive sur la fiscalité de l’épargne.

M. le Rapporteur général. Ma première lecture de l’article 14 m’avait incité à partager votre analyse. En fait, la réalité est inverse. Le raisonnement présuppose pour 2010, compte tenu du contexte international, qu’un maximum d’États sont de bonne volonté. La liste initiale des États ou territoires non coopératifs qui en résulte est très restreinte du fait des quatre critères et ne comprend que 23 pays. Cette liste a vocation, par les mécanismes de mise à jour prévus, à être étoffée tout au long de sa vie au fur et à mesure de la mise en œuvre, ou de l’absence de mise en œuvre des engagements. Nous déposons aussi un amendement qui vise le cas où la France n’a pas de convention d’assistance administrative avec un État ou territoire, alors qu’elle lui aurait demandé d’en conclure une plus d’un an auparavant. En d’autres termes, si l’on prend l’exemple de pays européens, si le Luxembourg ne respecte pas la convention d’assistance administrative ou si l’Autriche ne conclut pas une telle convention alors que la France le lui demande, ces États seront ajoutés sur la liste.

M. le Président Didier Migaud. J’entends votre raisonnement mais il reste une ambiguïté, et ce n’est pas ce que nous avions souhaité dans notre mission sur les paradis fiscaux. Il faut que la France puisse établir sa propre liste à partir de bases, non seulement incontestables, mais aussi complètes. Si la France estime qu’un pays ne respecte pas sa convention, elle doit pouvoir l’inclure dans la liste. La rédaction de l’article 14 n’offre pas la garantie que ce dispositif couvre les États membres de la Communauté européenne. S’agit-il d’un problème de comptabilité avec les traités européens ?

M. le Rapporteur général. La rédaction est claire, à partir du 1er janvier 2011, tout État ou territoire – même européen – qui ne respecte pas sa convention peut être ajouté à la liste initiale. Le commentaire de l’article 14 qui figurera dans mon rapport le dit explicitement. Sur la compatibilité avec le droit communautaire, le sujet se posera bien entendu.

M. le Président Didier Migaud. Il faudra que le ministre le précise explicitement.

M. Jean-Pierre Brard. Le fait même que le Rapporteur général ait eu un doute à sa première lecture pose problème. On risque malgré le débat parlementaire – et on sait bien ce qu’en fait Bercy – d’aller vers des sollicitations qui ne correspondent pas à l’esprit du travail que nous avons réalisé. Quant aux précisions que pourra nous apporter le ministre, on voit la lenteur avec laquelle on avance vis-à-vis du Lichtenstein, et je crains un artifice. Je pense que notre lutte contre les paradis fiscaux a d’autant plus de chances d’aboutir qu’elle est lisible par l’opinion publique. Plus sa lecture est compliquée et moins le consensus entre nous, pourtant très large dans notre pays, aura de chance d’exister. Au Luxembourg il faut ajouter l’Autriche, le Royaume-Uni (îles de Man et anglo-normandes) et les Pays-Bas (île de Saint Martin par exemple). Si à chaque fois il faut renvoyer à des dispositions particulières, cela signifie qu’à chaque fois il faudra engager des négociations. On connaît par ailleurs l’inefficacité de l’OCDE ; j’ai eu récemment l’occasion de participer à un colloque où les responsables de cette organisation l’ont eux-mêmes confessé. Des consensus politiques échappent aux personnes qui font fonctionner l’OCDE. Il faut donc veiller à préserver le consensus entre nous avec des dispositions simples, claires, qui n’entraînent pas une lecture multiple du texte pour être sûr de l’interprétation qu’il faut lui donner.

M. le Président Didier Migaud. Le Lichtenstein n’est pas dans la Communauté européenne. Nous serions rassurés si nous avions une confirmation de l’interprétation par le ministre.

M. Jean-Claude Mathis. Je m’interroge également sur l’obligation qui sera faite aux entreprises à partir du 1er janvier 2010 de fournir une documentation complète en matière de pratiques de prix de transfert. L’article 14 du projet de loi renvoie à un décret en Conseil d’État : au vu des délais nécessaires, comment feront les entreprises à partir du 1er janvier, puisqu’elles seront soumises à une nouvelle obligation légale ?

M. le Rapporteur général. J’aurai l’occasion de revenir sur ce point, puisqu’un amendement est déposé pour prévoir dans la loi le contenu de cette documentation. S’agissant de la liste, au départ, elle est en effet la plus réduite possible. Ainsi, pour les conventions qui ont été signées récemment par la France, que ce soit avec l’île de Man le 26 mars dernier, avec le Liechtenstein le 22 septembre dernier, ou encore avec Jersey ou Guernesey les 23 et 24 mars derniers, elles ne sont pas encore entrées en vigueur, et ces États bénéficient à juste titre d’une présomption favorable. Mais si les années suivantes, il s’avère qu’ils n’appliquent pas de manière satisfaisante la convention qui les lie, ils seront ajoutés à la liste. L’amendement CF 148 que je propose a pour objet de régler le problème des États avec lesquels nous ne disposons pas de convention. Si la demande de conclusion d’une convention n’aboutit pas, notamment si un refus est opposé aux demandes formulées par la France, un État ou territoire sera, grâce à cet amendement, inscrit sur la liste noire nationale, quel que soit l’avis du Forum de l’OCDE sur cet État ou territoire.

M. Christian Eckert. Il règne un certain flou sur la rédaction de l’article. Pourquoi en effet exclure d’emblée les pays de l’Union européenne au 1er janvier ? La lecture de l’article laisse des doutes quant à la question de savoir si les modifications apportées à la liste pourront bien concerner les membres de l’Union européenne. Il serait en ce sens utile de dissiper ce doute par le biais d’un amendement.

M. Daniel Garrigue. En matière de fiscalité, la réglementation communautaire reste embryonnaire : dès lors, ce sont bien des règles bilatérales qui prévalent. On ne voit donc pas pour quelles raisons il faudrait exclure a priori les membres de l’Union européenne.

M. le Président Didier Migaud. Il apparaît que c’est la référence spécifique, au début de l’article, aux membres de l’Union européenne, qui laisse planer des doutes. Il conviendra que le ministre confirme la lecture faite de cet article et que le Parlement soit assuré que la France pourra bien ajouter à sa liste nationale des États de l’Union européenne.

M. François Goulard. L’article 14 ne répond pas aux règles de l’organisation des échanges intracommunautaires. Les problèmes qui peuvent survenir entre États membres doivent faire l’objet d’un traitement institutionnel par l’Union européenne elle-même.

M. Charles de Courson. Si la liste que la France s’apprête à publier le 1er janvier ne comporte pas d’États membres de l’Union, alors pourquoi ne pas supprimer la mention à l’Union européenne au début de l’article ?

M. Daniel Garrigue. Il est paradoxal de présupposer que la situation des États membres de l’Union doit être réglée par l’Union, alors même que la fiscalité est un sujet qui requiert encore l’unanimité, et qu’un certain nombre d’États s’en prévalent pour ne pas respecter les règles. Il n’y a pas alors de raison que la France ne fasse pas respecter ses règles fiscales.

M. le Rapporteur général. La deuxième partie du nouvel article 238-0 A permettra d’ajouter des États membres de l’Union européenne, je vous le confirme très nettement. Pour débuter, en revanche, il convient de tenir compte du contexte international, à savoir les travaux de l’OCDE, que la France soutient et le droit de l’espace communautaire, auquel la France appartient. Dans les deux cas, il convient de présupposer que les États et territoires sont coopératifs, sauf s’ils sont identifiés, s’agissant de l’OCDE, comme non coopératifs. Le contraire reviendrait à fragiliser nos positions au sein des instances internationales pour conforter l’effectivité de la coopération.

Suivant l’avis défavorable du Rapporteur général, la Commission rejette les amendements CF 2 et CF 120.

La Commission examine l’amendement CF 3 de M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. L’article 14 fait référence à l’examen par l’OCDE, sans que l’on sache précisément ce que recouvre un tel examen par le forum mondial. Je propose de privilégier un renvoi aux listes publiées par l’OCDE le 2 avril dernier, qui ont l’avantage d’être précises.

M. le Rapporteur général. Le renvoi à la revue par les pairs du forum mondial de l’OCDE est loin d’être imprécise : l’OCDE publie chaque année un rapport sur l’état de la coopération fiscale qui couvre 87 pays, et qui constitue donc l’inventaire le plus large et le plus actualisé en la matière.

M. Jean-Pierre Brard. On sait que l’examen par l’OCDE est totalement inefficace : il est indispensable d’éliminer toute formulation vague dans le corps de cet article.

M. le Rapporteur général. Je suis défavorable à cet amendement. Il faut faire preuve de cohérence sur ce sujet : la France est le pays qui a été et reste le plus volontariste pour la promotion des travaux de l’OCDE en matière de coopération fiscale. Il serait contradictoire d’évacuer cette référence à l’OCDE du corps de l’article.

La Commission rejette l’amendement CF 3.

La Commission examine l’amendement CF 67 de Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je me félicite de ce que la volonté commune de la mission d’information sur les paradis fiscaux ait permis de déboucher sur un certain nombre d’amendements, mais je souhaiterais y ajouter celui-ci, qui vise à empêcher les paradis fiscaux de se contenter de signer douze conventions fiscales avec d’autres paradis fiscaux.

M. le Rapporteur général. Cet amendement, auquel je suis défavorable, aura en réalité toute satisfaction grâce à l’amendement déjà évoqué que je propose et qui permet d’inclure dans la liste noire des États avec lesquels la France n’aurait pas de convention : en clair, il ne sera pas suffisant d’avoir conclu douze conventions avec d’autres paradis fiscaux pour ne pas figurer sur la liste noire française.

L’amendement CF 67 est retiré.

La Commission adopte l’amendement de précision CF 153 du Rapporteur général.

La Commission examine les amendements CF 148 du Rapporteur général, CF 83 de M. Didier Migaud et CF 4 de M. Daniel Garrigue.

M. le Rapporteur général. J’ai donc l’occasion de répondre par cet amendement à une série d’objections qui ont été précédemment formulées. Il prévoit, en l’absence de convention d’assistance administrative permettant un échange complet de renseignements liant la France à un État ou territoire, d’inscrire cet État ou territoire sur la liste noire dans l’hypothèse où la France lui aurait proposé avant le 1er janvier de l’année précédente de conclure une telle convention. Dès lors qu’une demande formulée par la France n’aurait pas abouti après ce délai minimum d’un an, il sera considéré comme non coopératif, quelles que soient les analyses du Forum de l’OCDE. Bien entendu, une démarche préalable de la France est exigée. Si la France n’a pas souhaité d’accord d’échange de renseignements, notamment si elle n’a pas d’enjeu, elle n’a aucune raison de considérer non coopératif un État que la communauté internationale considère coopératif.

M. le Président Didier Migaud. Mon amendement CF 83 est dans le même esprit que celui du Rapporteur général et le complète. Un problème se pose en effet dans l’hypothèse où la France ne souhaiterait pas conclure une convention, au regard par exemple des contreparties qui pourraient lui être demandées. Il convient de s’assurer que la rédaction proposée couvre bien l’ensemble de situations dans lesquelles pourrait être la France vis-à-vis des autres États.

M. le Rapporteur général. La rédaction proposée par le CF 148 est précise.

Mme Arlette Grosskost. Attention aux conséquences de ces mesures : il existe des sociétés en France qui sont filiales d’entreprises étrangères, par exemple suisses, et qui pratiquent des prix de transfert. Certains cantons suisses ne transmettent pas d’information. Des mesures aussi drastiques pourraient conduire à la fermeture des filiales françaises.

M. le Rapporteur général. Je tiens à rassurer notre collègue sur ce point : en particulier, s’agissant de la Suisse, la convention fiscale franco-suisse s’applique aux cantons qui seraient concernés. Une demande de renseignements de la France concernant une entité située dans l’un des cantons suisses devra aboutir et conduire à une réponse de la Suisse en application de la convention.

M. le Président Didier Migaud. Je souhaite appeler l’attention sur la question spécifique du retrait d’un État de la liste noire : en effet, la rédaction proposée par le Rapporteur général ne règle pas le problème du retrait automatique des États de la liste sur la base de l’examen par l’OCDE. Je propose, à travers mon amendement CF 83, de prévoir que le retrait d’un État ne soit pas automatique, mais que la France reste décisionnaire pour se prononcer sur le retrait de la liste d’un État que l’OCDE jugerait coopératif. La France doit pouvoir garder sa propre appréciation.

M. Pierre-Alain Muet. Il faut des critères nationaux pour une liste nationale. Il est indispensable que la France puisse garder une marge d’appréciation et qu’elle ne soit pas liée aux seules observations de l’OCDE en matière de coopération fiscale.

M. le Rapporteur général. Je rappelle que seuls deux cas de figure sont possibles : soit une convention d’assistance administrative a été conclue, soit aucune convention de ce type n’a été conclue.

Lorsqu’il n’existe pas de convention, deux cas doivent également être distingués : soit une démarche tendant à la conclusion d’une convention a été engagée, soit aucune démarche n’a été engagée.

Dans cette dernière hypothèse, l’adoption de l’amendement CF 83 permettrait à la France de considérer comme non coopératif un État que l’OCDE aurait pourtant classé comme coopératif, et auquel la France n’aurait même pas proposé de conclure une convention.

M. le Président Didier Migaud. Le raisonnement du Rapporteur général laisse entendre que la France, État de droit, déciderait, de manière arbitraire, de considérer un État comme non coopératif. L’amendement CF 83 permettrait simplement de couvrir des cas, certes théoriques à ce jour, mais qui pourraient néanmoins exister. Il faut se laisser une marge de manœuvre, dans l’hypothèse d’une analyse divergente entre la France et l’OCDE.

M. Daniel Garrigue. Mon amendement CF 4 propose d’aller plus loin que l’amendement CF 83, en faisant disparaître la référence à l’OCDE. La compétence des travaux conduits par cette institution n’est pas contestable, mais ses recommandations sont dépourvues de force juridique. Leur mise en œuvre dépend de la volonté des États. L’élaboration de listes au début des années 2000 n’a débouché sur rien de concret, du fait notamment des réticences de l’Administration américaine d’alors. Les listes établies lors du G20 de Londres se sont dépeuplées en quelques mois.

À ce jour, deux interrogations majeures subsistent : quelle sera l’efficacité de l’évaluation par les pairs désormais prônée par l’OCDE ? Quelle sera la portée exacte des contre-mesures évoquées au G20 de Pittsburgh ?

On ne peut donc s’en remettre complètement aux listes établies par l’OCDE. Je suis prêt à retirer mon amendement CF 4 au bénéfice de l’adoption de l’amendement CF 83 du Président.

M. Jérôme Chartier. M. Garrigue a parfaitement résumé l’objet de l’amendement CF 83 du Président : faut-il se laisser une marge de manœuvre par rapport aux listes établies par l’OCDE ? L’amendement pose à mon sens un problème : celui de la manière dont il serait perçu par l’OCDE. Deux attitudes sont possibles : soit nous considérons que l’influence française auprès de l’OCDE, notamment via notre représentation, permettra de défendre nos positions ; soit nous estimons que le poids de la France est insuffisant. Je pense qu’il faut faire confiance à l’OCDE ; s’il s’avère que les positions françaises n’y sont pas suffisamment prises en compte, le principe de l’amendement CF 83 pourra être repris ultérieurement.

M. le Rapporteur général. Je suis défavorable à l’amendement CF 83, car il conduirait à remettre en cause a priori les travaux de l’OCDE, sans vérification préalable. Par exemple, la France n’a pas conclu de convention avec le Salvador. Si la France ne souhaite pas en conclure et que l’OCDE considère cet État comme coopératif, sur quel fondement faudrait-il alors que la France le déclare non coopératif ?

M. Pierre-Alain Muet. Mais l’amendement CF 83 offre à la France une simple possibilité de considérer comme non coopératif un État que l’OCDE considère comme coopératif. Il ne s’agit nullement d’une obligation.

M. Jérôme Cahuzac. En effet ! L’amendement dispose que les États « peuvent être retirés » de la liste des États non coopératifs, et non qu’ils doivent y être maintenus.

M. le Rapporteur général. Cela me fait penser au droit d’évocation du prince. Si la France suppose qu’un État n’est pas suffisamment coopératif, elle peut lui proposer de conclure une convention ! Sinon, c’est qu’elle n’en voit pas l’utilité et n’a pas de raison de remettre en cause les positions du Forum de l’OCDE.

M. Jérôme Cahuzac. Je ne suis pas certain qu’au fond, nos divergences soient si profondes. Il s’agit simplement de permettre à un État souverain de regarder comme non coopératif un autre État souverain. Parler de fait du prince est donc excessif.

M. le Président Didier Migaud. De la même façon, l’ouverture d’une liste nationale est une simple faculté.

La Commission adopte l’amendement CF 148.

L’amendement CF 4 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CF 83.

La Commission examine ensuite l’amendement CF 5 de M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Il est important de faire référence, dans l’article 14, à la liste des États pratiquant le blanchiment d’argent, qui doit être établie par le groupe d’action financière (GAFI). Cette liste n’étant toujours pas parue, l’amendement propose qu’une commission placée sous l’autorité des ministres de la Justice et de l’Économie dresse cette liste chaque année. Je souhaite rappeler que certains États ne figurant plus sur les listes de l’OCDE en tant que paradis fiscaux pratiquent toujours le blanchiment, à l’exemple de Singapour.

M. le Rapporteur général. Les paradis fiscaux et le blanchiment sont deux sujets distincts. Je suis donc défavorable à l’amendement. Par ailleurs, il est déjà complexe de parvenir à dresser une liste des États et territoires non coopératifs en matière fiscale alors qu’il existe des critères.

M. Daniel Garrigue. Cette argumentation est contestable. Les liens entre paradis fiscaux et blanchiment sont au contraire très étroits.

La Commission rejette l’amendement CF 5.

La Commission examine l’amendement CF 85 de M. Didier Migaud.

M. le Président Didier Migaud. Cet amendement a deux objets. Il s’agit d’une part, dans le I, de préciser que l’arrêté modifiant la « liste noire » des États et territoires non coopératifs justifie, outre les ajouts d’États et de territoires, les retraits d’États et de territoires. Il s’agit d’autre part, dans le II, de tirer les conséquences, s’agissant de cette liste, de la modification que j’ai proposée par l’amendement CF 83. Cet amendement ayant été rejeté par la Commission, je vous propose donc de rectifier mon amendement CF 85, afin d’en supprimer le II.

M. le Rapporteur général. Je suis favorable à l’amendement ainsi rectifié.

La Commission adopte l’amendement CF 85 ainsi rectifié.

La Commission examine l’amendement CF 6 de Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Il s’agit de prévoir une publication, en annexe au projet de loi de finances, de la liste des États et juridictions non coopératifs.

M. le Rapporteur général. Un amendement du Président, plus loin dans le texte, propose la même chose dans des termes plus appropriés.

L’amendement CF 6 est retiré.

La Commission adopte ensuite l’amendement CF 154 du Rapporteur général.

Puis elle examine l’amendement CF 155 du Rapporteur général.

M.  le Rapporteur général. L’amendement a pour objet de ne pas appliquer de manière rétroactive au produit des emprunts contractés par des sociétés françaises dans des États non coopératifs la retenue à la source majorée à 50 %. Le stock d’emprunts, que le législateur avait encouragés, ne serait pas soumis à cette retenue à la source. Celle-ci serait réservée aux nouveaux emprunts pour les sommes payées à des entités établies dans des États et territoires non coopératifs. Plusieurs entreprises sont concernées.

M. Jérôme Cahuzac. Dans quels territoires non coopératifs sont situées les entités auprès de qui les sociétés françaises ont emprunté ?

M.  le Rapporteur général. La situation est encore plus complexe. L’entreprise emprunte auprès d’un fonds, qui cède ensuite les titres à une entité établie dans un territoire non coopératif. Le projet de loi prévoyait un délai d’un an, mais il n’est pas toujours possible en pratique de racheter les créances. Il aurait pu être envisagé de donner aux sociétés concernées un délai supplémentaire, par exemple de cinq ans, pour se désengager de ce type d’emprunts. L’amendement CF 155 propose d’appliquer simplement un principe de non-rétroactivité.

La Commission adopte l’amendement CF 155.

La Commission examine l’amendement CF 158 du Rapporteur général.

M. le Rapporteur général. Il s’agit de soumettre à la retenue à la source majorée les plus-values réalisées par les personnes établies dans des États et territoires non coopératifs. En effet, alors que l’article 14 prévoit cette majoration pour les intérêts, les rémunérations et les dividendes, ces revenus ne sont pas traités.

La Commission adopte l’amendement CF 158.

La Commission examine l’amendement CF 151 du Rapporteur général.

M. le Rapporteur général. Cet amendement, cosigné par les membres de la mission d’information de notre Commission sur les paradis fiscaux, soumet à la retenue à la source majorée des catégories de rémunérations qui n’y étaient pas soumises : rémunérations de prestations artistiques, salaires, pensions, rentes viagères.

La Commission adopte l’amendement CF 151.

La Commission examine l’amendement CF 156 du Rapporteur général.

M. le Rapporteur général. Le projet de loi prévoit la possibilité de ne pas appliquer la retenue à la source majorée si l’intéressé apporte la preuve que les sommes payées en rémunération de prestations de service correspondent à des opérations réelles, et non à des comportements de dissimulation. L’amendement a pour objet de supprimer cette possibilité. La mission d’information a conclu que l’objectif de suppression des paradis fiscaux implique de décourager les opérations avec ces États, même si elles sont réelles.

M. Jérôme Cahuzac. Dans l’hypothèse d’un transfert entre la France et un État non coopératif, entraînant une retenue à la source de 50 %, cette retenue s’impute-t-elle sur l’impôt sur le revenu acquitté en France ?

M. le Rapporteur général. Si les revenus sont déclarés au titre des revenus imposés en France, la retenue à la source est imputée sur l’impôt sur le revenu. Le fait que le revenu soit versé dans un État non coopératif peut être sans incidence sur l’imposition, dès lors que le revenu est correctement déclaré en France. On ne peut tout de même pas interdire, par exemple, à un plombier du Panama d'obtenir un marché en France !

La Commission adopte l’amendement CF 156.

La Commission examine l’amendement CF 152 du Rapporteur général.

M. le Président Didier Migaud. Il s’agit, à nouveau, d’un amendement cosigné par l’ensemble des membres de la mission d’information sur les paradis fiscaux.

M. le Rapporteur général. Le présent amendement va dans le sens souhaité par notre Président, en excluant de l’application du régime des plus-values à long terme les cessions portant sur des titres de sociétés établies dans un État ou un territoire non coopératif. Ces plus-values ne bénéficieront donc pas du régime de taux réduit, à l’impôt sur le revenu, ou de celui d’exonération, au titre de l’impôt sur les sociétés.

La Commission adopte l’amendement CF 152.

La Commission examine l’amendement CF 157 du Rapporteur général.

M. le Rapporteur général. Cet amendement supprime la déductibilité des sommes visées à l’article 238 A lorsqu’elles sont versées à des personnes domiciliées dans un État ou un territoire non coopératif, quel que soit le régime fiscal auquel elles sont soumises.

Sans entrer dans les détails, je vous indique que les sommes concernées correspondent aux intérêts, arrérages et autres produits payés ou dus, par une personne physique ou morale domiciliée en France, à un résident d’un État ou un territoire non coopératif. Dans le cas d’une entreprise française qui procède à des versements vers un État ou territoire non coopératif, les sommes et paiements, considérés normalement comme des charges déductibles, seront intégrés dans son résultat net pour l’établissement de l’impôt.

M. Jérôme Chartier. Les circonstances dans lesquelles ces dispositions pourraient s’appliquer me semblent très hypothétiques.

M. le Rapporteur général. Je vous fournirai des exemples concrets.

La Commission adopte l’amendement CF 157.

La Commission examine l’amendement CF 150 du Rapporteur général.

M. le Rapporteur général. J’ai déjà eu l’occasion de répondre à M. Jean-Claude Mathis sur ce sujet. Je rappelle que l’objet de cet amendement est de donner une valeur législative aux règles qui encadrent la documentation sur les prix de transfert que les entreprises devront tenir à disposition de l’administration française, dans le cadre de leurs transactions avec des personnes morales situées à l’étranger.

M. Jérôme Chartier. J’observe tout de même que ces informations sont par nature confidentielles et que leur divulgation fragiliserait les entreprises concernées face à leurs concurrents.

M. le Rapporteur général. Il existe au sein de la direction générale des finances publiques un service spécialisé, dont les agents sont astreints à un strict respect du secret fiscal.

M. Jérôme Chartier. C’est la première fois que sont demandées des informations aussi précises.

M. le Président Didier Migaud. La question des prix de transfert est cruciale, au-delà du cas particulier des paradis fiscaux. Les services de Bercy disposent déjà de nombreuses informations sensibles dont le secret fiscal garantit la confidentialité. J’ai du mal à croire que le Gouvernement puisse être tenté de déstabiliser ainsi les entreprises.

M. Jérôme Chartier. Je souhaiterais savoir comment est aujourd’hui sanctionnée la divulgation de ce type d’informations.

M. le Rapporteur général. Les agents sont soumis au secret fiscal. Avec cet amendement, il ne s’agit que de modifier la méthode, en édictant un cadre et en systématisant la documentation pour les entreprises dont le chiffre d’affaire ou le total du bilan dépasse un certain seuil. J’ajoute que l’administration fiscale détient effectivement beaucoup d’informations sensibles, que les entreprises doivent fournir dans le cadre d’un contrôle et – c’est l’occasion de le souligner – qu’elle est toujours très vigilante sur le respect de la confidentialité. C’est une des caractéristiques historiques de notre administration.

M. Jérôme Chartier. Sauf pour la feuille d’impôt de Jacques Chaban-Delmas !

M. le Président Didier Migaud. L’amendement CF 150 se contente de conférer une valeur législative à ces règles ; l’exigence de confidentialité est la même que pour un encadrement réglementaire !

M. Jérôme Chartier. Je me félicite que l’encadrement soit désormais législatif et, surtout, que la marge d’appréciation de l’autorité réglementaire soit strictement encadrée. Je pose une question plus générale sur la confidentialité de cette documentation.

M. le Rapporteur général. Je précise que les représentants des entreprises ont été consultés sur cette mesure.

M. Louis Giscard d’Estaing. N’oublions pas que les commissaires aux comptes des entreprises concernées exercent déjà un contrôle sur les prix de transfert. Comment prendre en considération leur rôle dans le schéma proposé ?

M. le Rapporteur général. Les commissaires aux comptes doivent être vigilants en matière de prix de transfert.

La Commission adopte l’amendement CF 150.

La Commission examine l’amendement CF 149 du Rapporteur général.

M. le Rapporteur général. Cet amendement reprend les conclusions de la mission d’information sur les paradis fiscaux en ce qui concerne les modalités d’application de l’article 209 B du code général des impôts en présence d’États ou territoires non coopératifs.

La Commission adopte l’amendement CF 149.

La Commission examine l’amendement CF 145 de M. Didier Migaud.

M. le Président Didier Migaud. L’amendement CF 145 participe de la même préoccupation que les amendements précédents déposés par le Rapporteur général. Il propose d’interdire absolument toute déductibilité des sommes payées ou dues à des résidents d’un État ou territoire non coopératif.

M. le Rapporteur général. Cela revient à supprimer la clause de sauvegarde qui figurait à l’article 238 A du code général des impôts et permettait, par exception, d’imputer les charges déductibles sur le résultat net lorsque le débiteur démontre que les opérations auxquelles correspondent les dépenses ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces dépenses dans un État ou territoire non coopératif.

Suivant l’avis favorable du Rapporteur général, la Commission adopte l’amendement CF 145.

M. Olivier Carré. Où en sont les autres États en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ?

M. Marc Le Fur. Très bonne question.

M. le Rapporteur général. Comme je l’indique dans mon rapport, les autres États n’y vont pas gaiement. Notre pays est incontestablement en pointe sur ce sujet.

M. le Président Didier Migaud. Il faut bien commencer !

M. Jean-François Mancel. Notre pays ne se tire-t-il pas une balle dans le pied ?

M. Louis Giscard d’Estaing. Dans le même souci, je m’interroge sur la compatibilité des dispositions de cet article avec le droit de l’Union européenne. Serions-nous fondés à délibérer sur ce sujet si le Parlement européen venait à s’en saisir ?

M. Jérôme Chartier. Je veux rassurer M. Olivier Carré. Souvenons-nous de la convention de l’OCDE sur la rémunération des intermédiaires qui avait soulevé, au départ, les mêmes interrogations et que nous étions les premiers à transposer.

M. le Rapporteur général. Le présent article permet de mettre en œuvre dans la législation nationale des dispositions négociées dans le cadre du G20, qui a fixé la date de mars 2010 pour la mise en œuvre de sanctions. Il traduit en droit l’engagement du Président de la République visant à renforcer les moyens de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales à l’encontre des États ou territoires non coopératifs.

La Commission adopte l’article 14 ainsi modifié.

Article additionnel après l’article 14 : Instauration d’une procédure d’enquête judiciaire fiscale

La Commission examine l’amendement CF 147 du Rapporteur général.

M. le Président Didier Migaud. Il s’agit d’une proposition de la mission d’information sur la lutte contre les paradis fiscaux.

M. le Rapporteur général. Je veux insister sur l’importance de cet amendement qui vise à créer une procédure d’enquête judiciaire fiscale. Je précise qu’il ne s’agit nullement de créer un service fiscal judiciaire.

Comment cela fonctionne-t-il aujourd’hui ? Aujourd’hui, pour saisir le parquet, il faut une autorisation préalable de la Commission des infractions fiscales (CIF). Cette Commission ne peut être saisie qu’à partir d’un dossier constitué de preuves. Or, au cours de la mission, nous avons constaté qu’il faut un délai de neuf mois à un an pour constituer un tel dossier et obtenir, dans quasiment tous les cas, l’autorisation préalable de la Commission. Dans les cas complexes, les preuves ne peuvent être réunies. Lorsque la CIF est saisie, le contribuable concerné est informé. Il existe donc un risque non négligeable de dépérissement des preuves durant le délai de constitution du dossier et l’examen du dossier par la CIF.

De plus, les agents de l’administration fiscale ne disposent pas de pouvoirs de police judiciaire contrairement à la police nationale ou aux agents des douanes. Or, il ressort des auditions de la mission que les magistrats n’ont pas toujours l’expertise nécessaire et le savoir-faire suffisant pour enquêter sur certains montages d’évasion fiscale. Par exemple, au titre des plaintes déposées, après autorisation de la CIF, contre des pratiques au Lichtenstein, le procureur aurait fait appel à la douane pour disposer d’une expertise. Il nous paraît donc nécessaire de conférer des pouvoirs de police judiciaire aux agents de l’administration fiscale, compétents en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Je précise que l’Italie, l’Allemagne, comme de nombreux États, disposent d’un véritable service fiscal judiciaire. La France a une tradition différente qui met en avant le respect des droits des contribuables. Toutefois, dans la mesure où ce projet de loi de finances rectificative comprend plusieurs mesures de lutte contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale, il nous semble utile d’introduire une nouvelle procédure, respectueuse des droits des contribuables, mais plus efficace que celle en vigueur actuellement.

Le présent amendement propose donc le dispositif suivant.

En premier lieu, il maintient la saisine préalable de la CIF, mais introduit une procédure accélérée en cas de présomptions caractérisées d’infraction fiscale pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves, qui permette de ne pas informer le contribuable préalablement à la saisine du procureur, et ce dans trois cas de figure :

– en cas de falsification ou de toute autre manœuvre impliquant un montage destiné à égarer l’administration ;

– en cas d’utilisation, aux fins de se soustraire à l’impôt, de comptes ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis dans un État ou territoire non coopératif ;

– en cas d’interposition d’une personne ou d’un organisme établi dans un État ou territoire non coopératif.

En second lieu, l’amendement encadre les pouvoirs de police judiciaire des agents de l’administration fiscale à travers les garanties suivantes :

– les agents ne seraient compétents que pour intervenir dans les trois cas de figure précités ;

– ils ne pourraient intervenir qu’après avoir été personnellement désignés par arrêté des ministres chargés du budget et de la justice, et habilités par le procureur général ;

– pendant toute la durée de leur habilitation, ils seraient placés sous l’autorité exclusive du procureur de la République et ne pourraient pas participer à une procédure de contrôle fiscal. Ils seraient donc déconnectés de leur administration d’origine ;

– enfin, ils ne pourraient ni effectuer des enquêtes judiciaires sur des faits pour lesquels ils ont participé à une procédure de contrôle fiscal, ni participer à un contrôle fiscal relatif à des faits sur lesquels ils ont été habilités à enquêter.

C’est en effet la responsabilité des hommes politiques que de montrer que nous sommes soucieux de la protection des droits individuels des citoyens. Je précise qu’il s’agit d’un dispositif plus protecteur que celui applicable à la douane judiciaire du point de vue du contribuable. Je ne vous cache pas que le ministère des finances envisage cette avancée depuis longtemps, mais qu’elle fait l’objet d’un blocage, lié à la crainte que des contrôles fiscaux s’accompagnent d’une descente de police dans les locaux d’une entreprise pour arrêter son dirigeant. Or, ce n’est pas du tout l’objet du présent amendement.

M.  le Président Didier Migaud. Il s’agit d’un amendement collectif mais je précise que les propositions de la mission allaient plus loin. En cosignant cet amendement, nous tenons compte des craintes et des réserves qui nous ont été exposées, ce qui explique notamment le maintien de la saisine préalable de la CIF. Le problème est qu’aujourd’hui la saisine de la CIF est trop lente et trop contraignante. La CIF doit donc pouvoir être saisie sur la base d’une présomption de fraude fiscale et son sur la base d’un dossier constitué. Cet amendement constitue donc un vrai progrès par rapport à la procédure en vigueur. En outre, les droits des contribuables sont protégés puisque les agents de l’administration fiscale seront désormais sous l’autorité du procureur et ne pourront mener des contrôles fiscaux parallèlement. L’adoption de cet amendement représenterait donc des moyens supplémentaires en faveur de la lutte contre l’évasion fiscale en conservant des garanties importantes en matière de libertés individuelles.

M. François Scellier. Cet amendement me semble un bon compromis entre le respect des droits des citoyens et le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale.

M. Henri Emmanuelli. Lorsque nous avons auditionné les différents services et ministères, nous avons compris la complexité du sujet, mais le passage préalable devant la CIF est apparu comme un frein pour procéder aux investigations nécessaires compte tenu du standard de preuve réclamé. Personnellement, je déposerai des amendements en séance allant plus loin pour supprimer ce préalable car je crains que la CIF ne développe une nouvelle jurisprudence de nature à freiner les investigations. Il me semble que le problème majeur est qu’en matière de contrôle fiscal, il n’y a pas de séparation entre l’instruction des dossiers et le jugement : le contrôleur fiscal est considéré comme un juge car sa hiérarchie ne le conteste jamais. La situation serait différente si certains agents de l’administration fiscale passaient sous la tutelle du ministère de la justice, pour constater les infractions relevées par des contrôleurs fiscaux. Enfin, je rappelle que j’ai fait voter dans les années 1980 le droit de perquisitionner. À l’époque, tout le monde criait au scandale alors qu’aujourd’hui personne ne conteste cette procédure car elle se fait sous le contrôle du juge. Aux États-Unis, la lutte contre l’évasion fiscale repose sur une procédure beaucoup plus souple et des moyens largement plus importants que ceux prévus par l’amendement proposé.

M. Jean-Pierre Brard. Il y a beaucoup d’hypocrisie dans ce domaine. Cet amendement est modeste, voire timide, mais va dans le bon sens. Ensuite, il y aura d’autres étapes à franchir. Les fonctionnaires américains de l’administration fiscale (l’IRS) ont des pouvoirs très étendus. Ils ne sont pas protégés par leur statut et peuvent être poursuivis du fait d’actes accomplis dans leur mission, ce qu’on a vu à l’occasion de l’affaire de l’Église de scientologie, laquelle a eu gain de cause contre l’administration fiscale qui tentait de s’attaquer à son système. En Grande-Bretagne le système de lutte contre la fraude fiscale est très différent : il n’existe pas d’équivalent de la commission des infractions fiscales : toutes les infractions sont instruites selon la même procédure de droit commun et le ministère n’a pas le pouvoir de se substituer à la justice. Dans le système français, n’arrivent devant la commission qu’un nombre limité d’infractions (un millier environ) et le ministre peut arbitrer avant que le dossier ne lui soit transmis. La CIF n’est donc pas un gage de protection mais fonctionne au contraire de façon opaque. La défense des libertés individuelles n’est qu’un cache-sexe et les associations sont instrumentalisées au nom de ce principe. Bien que je sois favorable à la suppression de la CIF, je voterai néanmoins cet amendement.

M. Le Président Didier Migaud. Au vu des différentes interventions, il apparaît clair que pour beaucoup l’adoption de cette disposition ne constituerait qu’une étape dans l’élaboration d’un dispositif plus précis et plus efficace

M. Jean-Claude Mathis. Je suis favorable à cet amendement, qui permet de « mettre le pied à l’étrier » et de voir comment la situation va évoluer.

M. René Couanau. Je ne suis pas fasciné par l’américanisation de nos services et de nos procédures, accrue par ce nouveau dispositif. Je suis plutôt réticent face à cette banalisation de la qualité d’officier de police judiciaire : on ira ensuite vers l’extension de cette qualité à de nouveaux corps de contrôle, ce qui ne correspond pas à l’idée que je me fais de la répartition des compétences entre ces corps d’une part, la police et la justice d’autre part. En outre, on ne connaît pas encore les caractéristiques que revêtira la fonction de juge d’instruction à l’issue de la réforme qui se prépare.

M. Thierry Carcenac. Les douaniers disposent déjà de la qualité d’officiers de police judiciaire. Ne serait-il pas plus efficace d’aller au bout de la logique et de créer un service fiscal judiciaire disposant de ces prérogatives ?

M. Jean-François Mancel. J’hésitais à cosigner cet amendement. Les conditions qu’il prévoit et que le Rapporteur général a explicitées m’ont convaincu que l’amendement est porteur d’une avancée dans la lutte contre la fraude. En outre, il s’inscrit bien dans les travaux qui ont été menés par la commission des Finances sur les paradis fiscaux.

M. Jérôme Cahuzac. Je comprends que certaines précautions doivent être prises. Il est exact que le fait qu’un contrôleur soit enquêteur et juge serait problématique. Par ailleurs, il serait souhaitable de savoir si l’assiette des primes attribuées aux agents de l’administration fiscale est liée aux sommes notifiées. Si ce n’est pas le cas, il faut le dire clairement car le doute sur ces questions pollue en permanence le débat sur les contrôles fiscaux.

M. Louis Giscard d’Estaing. Ce nouveau dispositif constituera certainement une amélioration par rapport à la situation actuelle. Cependant, ce type de contrôle ne peut-il être mené dans le cadre des pouvoirs attribués aux juridictions interrégionales spécialisées (les JIRS) ou des services douaniers ?

M. Henri Emmanuelli. Il convient de dire clairement que les inspecteurs des impôts ne sont pas rémunérés au prorata des sommes qu’ils collectent dans le cadre des redressements. Seule la douane procède ainsi et une partie des sommes collectées est utilisée pour les œuvres sociales.

M. François de Rugy. Je souscris à cet amendement qui constitue un petit pas en avant, dans un contexte où beaucoup de concitoyens sont choqués par l’ampleur de la fraude fiscale. Beaucoup d’entre eux font l’objet de contrôles tatillons sur de petites sommes, aussi chacun peut comprendre qu’il faut se donner les moyens de lutter plus efficacement contre la fraude fiscale de grande ampleur et organisée.

M. le Rapporteur général. Je souhaite assurer M. Couanau et M. Carcenac que je me suis posé les mêmes questions qu’eux sur les modalités d’attribution de la qualité d’officier de police judiciaire à des agents des impôts. Il doit y avoir une étanchéité entre le contrôle fiscal et la procédure d’enquête judiciaire fiscale que nous créons. Les agents à qui aura été conférée la qualité d’officier fiscal judiciaire n’accompliront pas de tâches avec les agents chargés du contrôle fiscal. Un agent qui aurait eu à connaître d’une affaire dans le cadre d’un contrôle fiscal n’enquêtera pas en qualité d’officier fiscal judiciaire, et réciproquement.

Par ailleurs, la saisine de la Commission des infractions fiscales est effectuée par les services ministériels ; c’est la commission qui autorise l’ouverture d’une enquête judiciaire. Il y a donc un filtre efficace pour l’ouverture d’une enquête. Une fois la procédure judiciaire enclenchée, l’agent à qui ont été confiés des pouvoirs judiciaires travaillera sous l’autorité exclusive du Procureur de la République pendant toute la durée de son habilitation.

La douane est certes la mieux formée pour lutter contre les trafics. Les JIRS sont aussi très efficaces pour la répression de la délinquance et de la criminalité organisées. Cependant, il s’agit ici d’un autre domaine : les montages et dissimulations à des fins fiscales pour lesquels les compétences de la douane comme de la police ne sont pas suffisantes.

M. Henri Emmanuelli. Les cas les plus fréquents que nous connaissons sont les fraudes « en carrousel » à la TVA. Il en ressort que l’administration doit pouvoir agir très rapidement pour enquêter sur ce type de fraudes organisées par le grand banditisme.

M. le Président Didier Migaud. Il s’agit d’un sujet très important puisque ces fraudes sont évaluées à 200 milliards d’euros au niveau européen. Les moyens de lutte sont d’ailleurs à envisager en liaison avec la Commission européenne.

M. René Couanau. Je conviens qu’il est important de trouver les méthodes de lutte les plus efficaces. Faut-il créer un service judiciaire éventuellement régionalisé chargé de ces dossiers ? Le fait de conférer des pouvoirs de police judiciaire à certains agents des services fiscaux au cas par cas me paraît compliqué alors que l’enjeu véritable semble être de modifier la procédure de transmission à la Commission des infractions fiscales afin d’agir rapidement.

M. le Rapporteur général. Il ne s’agit pas de désigner tel ou tel agent au coup par coup. Une liste, valable plusieurs années, d’agents habilités à effectuer des enquêtes judiciaires sera établie. Dans le cas d’une procédure judiciaire, dossier par dossier, le procureur général habilitera un des agents de la liste. Il n’est pas prévu de désignation définitive comme certains l’auraient souhaité. Il peut être utile aussi, s’agissant d’une matière complexe et évolutive, que des agents s’immergent à nouveau dans du contrôle fiscal.

La Commission adopte l’amendement CF 147.

Article additionnel après l’article 14 : Information annuelle du Parlement sur les modifications apportées à la liste des États et territoires non coopératifs

La Commission examine l’amendement CF 82 rect. de M. Didier Migaud.

M. le Président Didier Migaud. L’amendement prévoit que les modifications pouvant affecter la liste noire des États ou territoires non coopératifs soient présentées dans l’annexe au projet de loi de finances relative aux conventions fiscales.

Avec l’avis favorable du Rapporteur général, la Commission adopte l’amendement CF 82 rect.

Après l’article 14 :

La Commission examine l’amendement CF 69 de M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Cet amendement s’inscrit dans la démarche de l’amendement CF 147 que nous venons d’adopter.

M. le Rapporteur général. Je suis défavorable à cet amendement dont l’adoption altérerait la portée de l’amendement CF 147 que nous venons d’adopter.

M. Jean-Pierre Brard retire l’amendement CF 69.

C.– MODERNISER LES ADMINISTRATIONS FISCALE ET DOUANIÈRE
ET LEURS RELATIONS AVEC LES USAGERS

Article 15 : Modification du calendrier déclaratif et de paiement de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)

La Commission adopte l’article 15 sans modification.

Article 16 : Introduction d’une procédure contradictoire dans le code des douanes

La Commission adopte l’article 16 sans modification.

Article 17 : Création d’une obligation de transmission de la DEB par voie électronique pour les grandes entreprises

La Commission adopte l’article 17 sans modification.

Article 18 : Élargissement de l’obligation de dépôt par procédé informatique de la déclaration récapitulative des opérations sur valeurs mobilières et de revenus distribués (IFU) par un fond de placement immobilier

La Commission adopte l’article 18 sans modification.

Article 19 : Élargissement de l’obligation de dépôt informatique à la déclaration des commissions, courtages, ristournes et honoraires (DAS 2)

La Commission adopte l’article 19 sans modification.

Article 20 : Extension du champ d’application des téléprocédures en matière de TVA, d’impôt sur les sociétés et de taxe sur les salaires

La Commission adopte l’article 20 sans modification.

M. René Couanau. Je regrette personnellement que le projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales n’ait pas donné lieu à un examen par la commission des Finances. En effet, le problème est celui de la réalisation d’investissements par La Poste, question qui ne peut être résolue dans le cadre actuel et qui explique largement le changement de statut. Il est donc souhaitable que la commission des Finances se saisisse pour avis de ce projet de loi, dont la portée financière est évidente.

M. le Président Didier Migaud. J’observe que je n’ai pas été saisi auparavant d’une telle demande et que, compte tenu de la réforme de la procédure législative, il est nettement moins intéressant qu’avant pour une commission d’exprimer un avis sur un texte dont elle n’est pas saisie au fond. Néanmoins, je propose que nous examinions la possibilité de faire droit à la demande de M. René Couanau, même si la commission de l’Économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, saisie au fond, se réunit cet après-midi.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 2 décembre 2009 à 9 h 30

Présents. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Gérard Bapt, M Claude Bartolone, M. Xavier Bertrand, M. Jean-Marie Binetruy, M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, M. Jean-Pierre Brard, Mme Chantal Brunel, M. Jérôme Cahuzac, M. Bernard Carayon, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. René Couanau, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Olivier Dassault, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Jean-Claude Flory, M. Nicolas Forissier, M. Daniel Garrigue, M. Georges Ginesta, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. François Goulard, Mme Arlette Grosskost, M. David Habib, M. Laurent Hénart, M. François Hollande, M. Marc Laffineur, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Marc Le Fur, M. Patrick Lemasle, M. Victorin Lurel, M. Richard Mallié, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mathis, M. Didier Migaud, M. Pierre Moscovici, M. Pierre-Alain Muet, M. Henri Nayrou, Mme Béatrice Pavy, M. Jacques Pélissard, M. Nicolas Perruchot, M. Alain Rodet, M. François de Rugy, M. Michel Sapin, M. François Scellier, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Marc Francina, M. Georges Tron

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