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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 20 janvier 2010

Séance de 13 heures 45

Compte rendu n° 48

Présidence de M. Didier Migaud Président

–  Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, de M. Éric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, sur les premiers résultats de l’exécution de la loi de finances pour 2009 et sur le projet de loi de finances rectificative pour 2010

– Présences en réunion

La commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire entend Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, M. Éric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, sur les premiers résultats de l’exécution de la loi de finances pour 2009 et sur le projet de loi de finances rectificative pour 2010.

M. le président Didier Migaud. Chers collègues, à l’occasion de leur première audition de l’année 2010 devant notre commission des Finances, je souhaite naturellement, en votre nom à tous, une excellente année à Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi et M. Éric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État.

L’année commence avec un projet de loi de finances rectificative. Les ministres vont nous le présenter.

L’heure inhabituelle de cette audition a pour origine le décalage du Conseil des ministres du fait du retour du Président de la République de Mayotte. Je voudrais également excuser l’absence de notre Rapporteur général, M. Gilles Carrez, qui sera remplacé par notre collègue Louis Giscard d’Estaing.

Madame et monsieur les ministres, nous souhaiterions que votre présentation comporte d’abord une rétrospective de l’année 2009 à travers les premiers résultats de sa gestion. Vous l’avez déjà dit, ceux-ci devraient faire apparaître des recettes un peu plus élevées que les estimations présentées dans le dernier collectif. Pourrions-nous connaître avec précision l’incidence de ces résultats sur l’exercice 2009 et sur les prévisions budgétaires pour 2010 ?

L’invalidation de la taxe carbone par le Conseil constitutionnel n’est pas non plus sans conséquences. Peut-être nous en direz-vous un mot ?

La prévision de croissance pour 2010 est elle-même sensiblement modifiée. Quelles en seront les conséquences sur nos recettes ?

Comment s'inscrit l'emprunt national dans ce contexte budgétaire ? Quels montants vont être empruntés sur les marchés ? Dans quelles conditions ? Avec quels effets ? Nous sommes particulièrement intéressés par les impacts qu’il aura en 2010 sur le montant et la charge de la dette, le déficit budgétaire et le besoin de financement de l'État.

Comme vous le savez, madame et monsieur les ministres, la commission des Finances est très attentive aux modalités de dépense de cet emprunt, destiné aux investissements. S’agira-t-il de dotations, d’avances remboursables, de prêts participatifs ? Quels seront les actifs de contrepartie ? Comment évaluez-vous le retour sur investissement des sommes qui seront engagées ? Le rapporteur général et moi-même avons demandé à la Cour des comptes qu’un inventaire de ces dispositifs, établi par ses soins, puisse venir nourrir la réunion de la commission des Finances de la semaine prochaine, et le débat en séance publique, prévu début février.

La Commission est également attentive à la gouvernance des dispositifs. L’objet des règles posées par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, est de permettre un suivi et un contrôle effectifs de l'exécution budgétaire par le Parlement. Il ne faudrait pas qu’elles soient contournées : en cas de fractionnement ou d'éclatement des crédits affectés à une même politique publique, plus d'évaluation ni de contrôle ne sont possibles.

L’encadrement des rémunérations variables des opérateurs de marché, les bonus, relève plus particulièrement de vous, madame la ministre. Si ces rémunérations ne constituent, à l'évidence, que l'un des éléments de dysfonctionnement de la sphère financière, les comportements à risques qu’a favorisés la « course à la prime » ont cependant bel et bien contribué à déstabiliser notre économie. Quelles précisions pourriez-vous nous apporter sur le caractère – temporaire, exceptionnel, ou bien pérenne – de la taxe sur les bonus. Quel produit en attendez-vous ? Quel est le coût de sa déductibilité au regard de l’impôt sur les sociétés ? Cette charge supplémentaire apparente est en effet déductible.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. Le présent projet de loi intervient à un moment charnière. La page de la crise ne sera évidemment pas tournée en un jour. Si les répercussions de celle-ci sont profondes, nous pouvons toutefois observer – en restant très prudents – nombre de signes avant-coureurs de son achèvement. Ainsi la réduction du déficit budgétaire en 2009 par rapport aux prévisions – extrêmement sombres – est-elle encourageante. La sortie de crise doit être confortée par des investissements : tel est le principal objet du collectif. Porteur de croissance pour demain, il est conforme aux engagements pris par le Président de la République et la majorité il y a quelques mois.

L’exécution de l’exercice 2009 du budget de l’État s’achève par un déficit de 138 milliards d'euros. Si ce montant est supérieur d’un peu plus de 80 milliards d'euros à celui de 2008, il représente, par rapport aux prévisions de la loi de finances rectificative de fin d’année, une amélioration de près de 3 milliards d'euros : 138 milliards contre 140,9 milliards.

Les raisons de la dégradation du déficit budgétaire sont assez simples. L’impact de la crise sur les recettes représente 40 milliards d'euros environ de diminution des recettes, réparties en 35 milliards d'euros de recettes fiscales et 5 milliards d'euros de recettes non fiscales, notamment de dividendes. Le montant des sommes destinées à la relance de l’économie – le plan de relance – et consommées en 2009 représente quant à lui 37 milliards d'euros environ.

L’amélioration du déficit de 3 milliards d'euros par rapport aux dernières prévisions tient à des dépenses moindres de 1 milliard d'euros. Cette réduction est due en partie au décalage constaté dans le paiement de certaines dépenses des fonds du plan de relance. Ainsi, 800 millions d'euros – qui ne constituent donc pas une économie budgétaire – sont reportés sur l’année 2010. En revanche 250 millions d'euros correspondent à une maîtrise accentuée des dépenses courantes. Et en fin d’année, c’est 2,5 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires qui ont été constatées par rapport aux prévisions.

Hors plan de relance, et avant le remboursement de 2 milliards d'euros de dette ancienne de l’État envers la sécurité sociale – la diminution des dépenses a en effet été affectée à cette action –, nous parvenons à diminuer en valeur les dépenses de l’État de 0,2 % par rapport à 2008.

Pour anticiper toute critique, j’expliquerai cependant que, quelle que soit son importance, la diminution de la charge de la dette n’explique pas intégralement la diminution de 2,2 milliards d'euros des dépenses de l’État en 2009 par rapport au plafond de dépenses instauré en loi de finances initiale. Y contribue également un effort de maîtrise de la dépense. Si, dans un sens favorable, nous bénéficions des taux peu élevés qui conduisent, malgré l’augmentation du déficit, à une baisse de charge de la dette de 5,4 milliards d’euros par rapport aux prévisions de la LFI, inversement, parmi les éléments défavorables figure l’augmentation très dynamique de dépenses exceptionnelles ou liées à la crise : 1,3 milliards d'euros au titre des dotations à la sécurité sociale, plus de 1 milliard d'euros pour la contribution de la France au budget de l’Union européenne par exemple. Les autres postes de dépenses sont, quant à eux, globalement tenus.

Je l’ait dit, la diminution des dépenses – hors plan de relance –a été affectée au remboursement de la dette de l’État envers la sécurité sociale – à hauteur de 2 milliards d'euros ouverts en collectif de fin d’année – et à une diminution supplémentaire du déficit de 250 millions d'euros par rapport aux prévisions dudit collectif.

Le coût budgétaire du plan de relance est globalement inférieur aux prévisions : 37 milliards d'euros environ contre 38,6 milliards d'euros prévus. Si les engagements de dépenses sont conformes aux prévisions, le léger décalage du calendrier de paiement de certaines dépenses a pour conséquence la diminution de 800 millions d'euros que j’ai déjà évoquée.

S’agissant des recettes, nous ne connaissons pas encore le coût définitif des mesures fiscales du plan de relance, mais la mensualisation du remboursement de la TVA pourrait cependant être moins coûteuse que prévu : 6 milliards d’euros contre 6,5 milliards attendus.

En ce qui concerne les prêts, les constructeurs automobiles ont bénéficié de 6,25 milliards d'euros. Deux cent millions d'euros de « prêts verts », qui n’ont pu être versés en 2009, le seront dans les prochaines semaines.

L’exécution budgétaire fait aussi ressortir une amélioration de 2,5 milliards d'euros de recettes fiscales.

Le déficit public devrait s’établir aux environs de 7,9 % en 2009. C’est une amélioration de 6 milliards d'euros par rapport à une prévision initiale de 8,2 %. Ce montant n’est pas négligeable : c’est l’équivalent du budget du ministère de la justice !

Quels projets le présent projet de collectif traduit-il ?

Le financement des investissements d’avenir est conforme à la fois aux engagements du Président de la République et aux conclusions de la commission présidée par les anciens Premiers ministres Alain Juppé et Michel Rocard. Sur le budget de l’État, 35 milliards d'euros de crédits supplémentaires sont ouverts. Les conditions d’ouverture de ces crédits sont elles aussi conformes à l’esprit des recommandations de la commission Juppé-Rocard. Le nombre de priorités est limité : 19 milliards d'euros sont affectés à l’enseignement supérieur et à la recherche, 6,5 aux filières industrielles et aux PME, 5 au développement durable et 4,5 à l’économie numérique. Nous recherchons par ailleurs un effet de levier auprès d’acteurs privés.

Monsieur le président, le rapport remis par la commission évoquait un pourcentage de 60 % d’investissements « non consommables ». Notre répartition va au-delà de cette recommandation : la somme des dotations non consommables, des prêts et des prises de participation représente 63 % environ des crédits ouverts. L’ajout du montant des avances remboursables conduit à un pourcentage de 72 % de crédits considérés comme non consommables.

Quels choix avons-nous retenus pour le financement des investissements d’avenir ? Alors que, sans aucun doute, le décaissement de ces 35 milliards d'euros s’étalera sur plusieurs années, en fonction des projets, nous les avons ouverts d’un seul coup. Nous avons aussi fait le choix de nous appuyer sur des opérateurs, dans des conditions de gouvernance renforcée. La conduite des projets passera par des opérateurs reconnus dans leur domaine. Il ne s’agissait pas de réinventer un dispositif de porteurs de projets : comment contourner l’Agence nationale de la Recherche, l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, Oséo, et bien d’autres encore ?

Il aurait été également dangereux de faire coexister de manière durable le financement des investissements d’avenir et celui des budgets ordinaires des ministères. Ces investissements, qui s’inscrivent dans la durée et ne sont par là en rien comparables au plan de relance – qui correspond à une vision à court terme –, devaient être sécurisés. Si nous avions décidé de déployer annuellement les crédits au titre des investissements d’avenir, nous aurions couru à terme le risque d’une porosité entre ces crédits à caractère exceptionnel et les crédits annuels.

L’information du Parlement sera garantie : l’un des articles du projet de loi prévoit l’élaboration d’un « jaune » budgétaire, annexé chaque année au projet de loi de finances initiale, sur les conditions de mise en œuvre des crédits et les résultats obtenus.

Monsieur le président, conformément à ce que je crois être vos souhaits, les crédits ouverts au titre des dépenses reliées à l’emprunt sont regroupés au sein de nouveaux programmes, créés au sein des « missions » déjà définies par le budget. La création de ces programmes permet d’assurer une bonne lisibilité des politiques publiques. Leur présentation est assortie d’une justification des dépenses au premier euro, d’objectifs et d’indicateurs de performance.

La mise en œuvre des investissements d’avenir implique l’instauration d’une gouvernance propre. À cette fin, un Commissariat général à l’investissement, chargé de la coordination des travaux interministériels, est créé. Il sera piloté par M. René Ricol, sous l’autorité du Premier ministre. Des conventions liant l’État, les opérateurs et les organismes acteurs de la dépense définiront précisément le cadre d’emploi des fonds. Des indicateurs de mesure seront évidemment mis en place, de même que des modalités d’instruction des dossiers. Chaque fois, l’État aura un droit de décision en dernier ressort. Un comité de surveillance des investissements sera mis en place et il constituera, en quelque sorte, le prolongement de la commission qu’ont présidé MM. Alain Juppé et Michel Rocard.

La charge des intérêts de l’emprunt national est compensée dès cette année par une réduction supplémentaire des dépenses de fonctionnement des ministères. Pour financer, par la voie du projet de loi de finances rectificative, les ouvertures de crédits destinés aux investissements d’avenir, la mobilisation du remboursement par les banques des prêts qui leur avaient été consentis – 13 milliards d'euros – nous permet de limiter à 22 milliards d'euros le montant du recours à l’emprunt. La charge d’intérêts entraînée en 2009 par cet emprunt est estimée à 500 millions d'euros environ. Pour en neutraliser le coût, 500 millions d'euros de crédits destinés aux ministères sont donc annulés, sans qu’il soit touché à la réserve de précaution.

L’impact sur le déficit public en 2010 est enfin limité à 2,5 milliards d'euros, soit 0,1 point de PIB. En effet, la majorité des dépenses n’impactent pas le déficit au sens du Traité de Maastricht et leur décaissement est étalé sur plusieurs années.

Le troisième volet de ce collectif est constitué par la révision à la hausse des prévisions de recettes pour 2010, de 1 milliard d'euros pour les recettes non fiscales et de 2,1 milliards d'euros pour les recettes fiscales.

La hausse des recettes non fiscales est la conséquence d’un jugement du Tribunal de première instance de l’Union européenne sur le régime fiscal dérogatoire de France Télécom. En application de ce jugement, France Télécom doit un milliard d'euros à l’État.

Les nouvelles prévisions de recettes fiscales ont pour origine trois facteurs principaux. Le premier est la traduction de la décision du Conseil constitutionnel relative à la taxe carbone ; le non prélèvement consécutif de la taxe carbone sur les entreprises induit une diminution des recettes de 1,5 milliard d'euros – en revanche, l’annulation du prélèvement sur les ménages n’a pas d’incidences fiscales, la loi ayant prévu sa compensation. S’ajoute le non-encaissement de recettes, à hauteur de 700 millions d'euros, dû à la décision prise par le Conseil constitutionnel quant au régime des BNC au regard de la taxe professionnelle.

Le deuxième facteur a pour origine l’exécution budgétaire de 2009, meilleure que prévue, et la révision à la hausse de la prévision de croissance pour 2010, à 1,4 % au lieu de 0,75 %. À ce titre, l’amélioration des recettes fiscale est de 3,6 milliards d'euros, due pour 2,3 milliards d'euros à un « effet base », celui de 2009, et pour 1,3 milliards d'euros à de meilleures rentrées de TVA et à l’amélioration de la prévision de croissance.

Enfin – et c’est le troisième facteur –, le projet de collectif prend en compte les recettes attendues de la régularisation des situations d’évasion fiscale, et ce pour un montant de 700 millions d'euros. Ces résultats montrent que, pour les caisses de l’État, la politique de lutte contre la fraude porte ses fruits de manière sonnante et trébuchante.

Par ailleurs, le coût de l’allégement des cotisations sociales sur l’emploi des travailleurs occasionnels dans le secteur agricole, décidé en application du discours du Président de la République aux professions agricoles, s’élève à 168 millions d'euros. Ce montant, qui correspond au remboursement par l’État auprès des organismes de sécurité sociale du montant de cet allégement, est entièrement financé par des annulations de crédits des ministères.

Au total, le déficit budgétaire pour 2010 devrait s’élever à 149,2 milliards d'euros. Le déficit public pour l’année 2010 devrait représenter 8,2 points de PIB au lieu de 8,5 comme le prévoyait le projet de loi de finances initiale. Cette amélioration est due à la prise en compte - prudente – de la réduction du déficit prévu en 2009, aux conséquences des annulations décidées par le Conseil constitutionnel, aux impacts du financement des investissements d’avenir – pour 0,1 point de PIB – et à la révision des perspectives de croissance. D’où une diminution du déficit pour 2010 égale à 0,3 point de PIB par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale.

Enfin le taux d’endettement public devrait s’établir à 83,2 % du PIB au lieu des 84 % prévus. L’explication en est qu’une croissance plus importante a pour conséquence un PIB en hausse, un déficit inférieur et donc des charges d’emprunt en diminution.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Je souhaite moi aussi au président de la Commission, à son rapporteur général et à ses membres une très bonne année.

Je voudrais vous présenter quelques éléments macro-économiques s’inscrivant dans le contexte de la révision du taux de croissance et d’un certain nombre d’autres chiffrages à laquelle nous avons procédé, sur l’effet attendu de l’investissement dans les secteurs d’avenir dans les années qui viennent et sur la taxation exceptionnelle des bonus des opérateurs de marché.

D’abord, comme vous pourrez le constater à la lecture des graphiques figurant dans le dossier qui vous a été remis, en 2009, la récession aura duré moins longtemps en France qu’aux États-Unis et dans les autres pays de la zone euro ; la sortie de crise y est plus rapide.

La consommation des ménages français a également résisté ; tel n’a pas été le cas dans tous les pays. Cela est probablement dû aux mesures de relance et d’allégements fiscaux, mesures qui ont été ciblées plus précisément sur ceux des ménages dont nous savions que la capacité de consommation l’emporterait sur la tentation – fréquente en période de crise – de l’épargne.

Vous pouvez constater, sur un autre graphique, que nous révisons à la hausse la prévision de croissance pour 2010 : 1,4 % au lieu de 0,75 %. Ce quasi-doublement, qui correspond très précisément au consensus de place, est fondé sur plusieurs éléments.

Il est d’abord fondé sur les prévisions d’une augmentation de la consommation de 1,4 %.

Il prend aussi en compte une très légère reprise – une hausse de 0,6 % – de l’investissement du secteur privé. C’est très clairement sur ce point que nous devons faire porter l’essentiel des efforts de notre politique économique : les derniers éléments du plan de relance et certaines des mesures au titre du « grand emprunt » y contribueront. Si la reprise n’est pas plus forte, c’est que, de façon générale, la reconstitution des carnets de commandes n’est pas encore significative ; de plus, notamment durant les derniers mois, les entreprises, au rebours de leur stratégie d’endettement de 2009, ont d’abord voulu se désendetter.

L’investissement des entreprises publiques qui, en 2009, a été prépondérant pour atténuer la décroissance subie par notre économie, serait pratiquement stable en 2010 à un niveau élevé : – 0,3 % en 2010, après + 4,3 % en 2009.

Nous avons considéré que, si l’évolution du commerce extérieur en volume ne pèserait pas sur notre économie, elle n’aurait pas non plus d’effet particulièrement positif. La légère augmentation actuelle de la demande adressée à la France nous permet de l’espérer.

Nous avons opté pour une hypothèse de 1,2 % d’inflation. C’est aussi celle que la Banque centrale européenne a formulée lors d’une conférence de presse tenue il y a quelques jours, les facteurs d’inflation sous-jacente étant très contenus et très maîtrisés.

Enfin, autres éléments essentiels pour la préparation du présent projet de loi de finances rectificative, nous avons retenu un taux de change entre l’euro et le dollar quasi-statistique, de 1,48 – nous ne procédons pas à des prévisions ou estimations en la matière – et un cours du pétrole brut de 77 dollars le baril.

Nous avons été aussi amenés à réviser notre prévision en matière d’emploi salarié. L’évolution reste négative : en 2010 l’économie française continuera à détruire de l’emploi. En revanche, cette évolution négative s’améliore – si j’ose dire…

M. Henri Emmanuelli. C’est surréaliste !

Mme la ministre. La baisse s’atténue. Face à des données négatives, nous n’avons pas le choix.

M. Henri Emmanuelli. Si !

Mme la ministre. Nous souhaiterions tous que l’évolution soit positive.

Les destructions d’emplois salariés dans le secteurs marchands devraient atteindre 453 000 en 2009 mais sur le champ plus large de l’emploi salarié total, qui inclut notamment les contrats aidés, le repli de l’emploi sera ramené à 373 000 en 2009. En 2010, les destructions d’emplois dans le champ de l’emploi salarié total devraient être ramenées à 71 000.

Autre élément intéressant, le taux de prélèvement obligatoire en 2010 reste stabilisé à 41 % du PIB. Ce chiffre nous place à peu près dans la moyenne des pays de la zone euro.

Enfin, la suppression de la taxe professionnelle et le remboursement accéléré du crédit impôt recherche, maintenu pendant l’année 2010, viennent prendre le relais de mesures d’allégement fiscal exceptionnelles prévues dans le cadre du plan de relance et qui, à ce titre, ne sont pas renouvelées en 2010.

J’exposerai maintenant quelques éléments macro-économiques spécifiques à l’emprunt national.

À la lecture des graphiques du dossier qui vous a été remis, vous pourrez constater qu’en matière tant d’investissement dans les nouvelles technologies que de part des dépenses d’enseignement supérieur rapportées au PIB, la France ne fait pas partie des meilleurs. Cette situation est du reste bien connue. Or, des études ont montré que l’investissement dans les nouvelles technologies était un facteur d’amélioration significative de la productivité et de la compétitivité des pays. Par ailleurs la corrélation entre l’investissement et la dépense réelle au profit de l’enseignement supérieur et l’amélioration de l’offre compétitive d’un pays est patente. La France doit donc rattraper son retard dans ces deux domaines.

Pour améliorer la compétitivité de l’offre française, nous devons donc impérativement encourager et soutenir l’investissement dans la recherche, le développement, l’enseignement supérieur et la formation professionnelle de nos concitoyens.

Par ailleurs nous avons tenté de calculer l’impact macro-économique des dépenses dans les secteurs d’avenir sur la croissance du PIB français. Sur cette question, beaucoup de littérature a été publiée, beaucoup de calculs effectués, beaucoup de modèles élaborés. Ainsi, pour tenter de prendre en compte l’impact de certaines dépenses, la direction générale du trésor et de la politique économique, la DGTPE, dispose d’un modèle tandis que le Conseil d’analyse économique et l’OCDE ont publié des études. Nous avons tenté de réaliser une synthèse de l’ensemble de ces travaux, d’établir une moyenne des résultats auxquels ils aboutissent. Au total, les dépenses liées à l’emprunt national augmenteraient la croissance de près de + 0,3 point de PIB par an à l’horizon de la décennie.

Enfin, je présenterai très rapidement les caractéristiques de la taxe exceptionnelle sur les bonus. Comme l’ensemble des dispositions du projet de loi, elle a été soumise à l’examen du Conseil d'Etat. Son objet, je le rappelle, est le renforcement de la sécurité des déposants. L’assiette de la taxe est désormais connue ; elle a même été commentée à l’envi. La taxe sera assise sur la part des rémunérations variables des opérateurs de marchés supérieure à un seuil de 27 500 euros par an. Son taux sera de 50 %. Elle nous laisse espérer une recette de 360 millions d'euros d’impôts. L’essentiel de ce produit sera affecté au Fonds de garantie des dépôts, le solde allant au budget de l’État. Pour répondre à l’une de vos questions, monsieur le président, la taxe sera en effet déductible, à l’exemple de la plupart des impôts qui ne présentent pas de caractère de sanction.

M. Louis Giscard d’Estaing, suppléant M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je voudrais d’abord vous demander d’excuser l’absence de notre rapporteur général, qui m’a demandé de poser en son nom plusieurs questions.

Madame et monsieur les ministres, j’aborderai d’abord l’exécution de l’exercice 2009. Le déficit budgétaire de l'État s'est finalement établi à 138 milliards d'euros. Pour significatif qu'il soit, ce montant est, vous l’avez dit, inférieur de 2,9 milliards d'euros aux dernières prévisions.

Les dépenses de la mission « Plan de relance de l’économie » ont finalement atteint 11,8 milliards d'euros en 2009, au lieu de 12,6 milliards. Sur quels dispositifs de relance a-t-on enregistré cette sous-exécution – ou non exécution ?

La norme de dépenses – par définition hors dépenses de relance – a été respectée en 2009. Même après l'apurement en loi de finances rectificative de 1,9 milliards d'euros d'anciennes dettes de l'État à l'égard de la sécurité sociale, les dépenses du budget général sont inférieures de 250 millions d'euros aux dernières prévisions. Sur quels programmes ces économies ont-elles été constatées ? En particulier – mais, monsieur le ministre, vous avez déjà évoqué ce point – la charge de la dette de l'État en 2009 a-t-elle été revue à la baisse ?

En matière de recettes, le principal événement est une réévaluation de 1,9 milliard d'euros de l’impôt sur les sociétés en raison d'un dernier acompte meilleur que prévu. Cette bonne surprise est probablement liée au cinquième acompte versé par les grandes entreprises au mois de décembre, calculé sur les résultats de l'année en cours. Quels sont les secteurs de l'économie qui ont dégagé de meilleurs bénéfices que prévus ? Quelle est la part du secteur financier dans cette révision à la hausse ? Celle-ci n'implique-t-elle pas également une révision à la hausse de la prévision du montant de l’impôt sur les sociétés en 2010, puisque l’IS 2010 sera calculé sur les résultats de 2009, dont la réévaluation à la hausse a entraîné celle du cinquième acompte ?

Le déficit des comptes spéciaux atteint 8,1 milliards d'euros, soit 0,5 milliard d'euros de plus que prévu par la loi de finances rectificative, du fait notamment d'une forte détérioration – 1 milliard d'euros – du solde du compte d’avances aux collectivités territoriales. Comment expliquez-vous cette détérioration ?

J’aborderai maintenant le projet de loi de finances rectificative pour 2010, lequel reprend la plupart des recommandations de la commission Juppé-Rocard.

Le montant du plan d’investissement qui sera mis en œuvre sur cette base s’élèvera à 35 milliards d’euros.

Pour sa mise en œuvre, il est prévu la constitution d'actifs à hauteur de 60 % des dépenses engagées. Ces actifs peuvent être placés pour générer des intérêts ou liquidés progressivement. Il peut également s’agir de prêts octroyés à des entreprises ou de participations en capital. Leur principal intérêt réside dans le fait que l'État n'investit pas « à fonds perdus » et qu'il peut attendre un retour financier sur investissement. Un tel mode d'action implique également – vous l’avez souligné – une association étroite du secteur privé, plus apte à sélectionner les projets économiquement viables et rentables, notamment par l’appréciation que ses acteurs peuvent avoir sur les débouchés économiques et financiers de ceux-ci.

Il est également prévu d’avoir recours aux opérateurs, ce recours étant encadré par la signature de conventions entre ces organismes et l’État. Un tel mode d'action permet en effet de garantir l'étanchéité des crédits – affectés uniquement aux priorités décidées et protégés de toute mesure de régulation budgétaire – et l'efficacité de la dépense du fait de l'expertise des opérateurs. Toutefois, il présente deux problèmes : d’une part, il limite l'information et le contrôle du Parlement ; d'autre part, il ne garantit pas la pluriannualité de la dépense.

Certes, une partie de la dépense – 40 % – conduira à la constitution d'actifs qui généreront des intérêts chaque année ou qui seront liquidés par tranche annuelle de 10%, et, dans ce cas, la pluriannualité est garantie. En revanche, elle n'est pas assurée quand une dotation est versée à un opérateur. À cet égard, le contre-exemple d'une bonne gestion est le versement en 2005 d'une dotation en capital de 4 milliards d'euros à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF : cette dotation a été totalement consommée dès la fin 2008.

A propos de la gouvernance, vous avez évoqué la création d’un « jaune » budgétaire spécifique. Le présent projet de loi de finances rectificative crée une quinzaine de programmes – au sens de la LOLF –, entre lesquels sont répartis les 35 milliards d'euros destinés à financer les investissements d'avenir. Cependant, dès lors que l'intégralité de ces fonds sera versée par l'État aux différents opérateurs en 2010, ils disparaîtront du projet de loi de finances initiale de 2011. Qui sont les responsables de ces programmes et quel rôle joueront-ils ? Quelle sera l’articulation avec le futur Commissariat général à l'investissement ? Enfin, question majeure pour notre assemblée, quel suivi le Parlement pourra-t-il opérer sur l’ensemble de ces montants ?

Les opérateurs, qui jouent un rôle central dans la mise en œuvre du plan, auront-ils la capacité d'assumer cette nouvelle charge ? Un accroissement de leurs moyens financiers et humains, pour gérer ces nouvelles dotations, est-il envisagé ? Comment seront financés leurs frais de fonctionnement ? S’imputeront-ils sur les 35 milliards d'euros ouverts par la loi de finances rectificative ou seront-ils prélevés par redéploiement au sein du budget
« habituel » de l'État ?

Comment la pluriannualité des 1,5 milliards d'euros confiés à Oséo pour le financement de l'aéronautique ou du milliard consacré à Saclay sera-t-elle assurée ? Les conventions entre les opérateurs et l’État ne devront-elles pas prévoir un schéma pluriannuel de consommation des fonds, de façon à éviter la répétition de ce qui a été fait avec l’AFITF ?

Au-delà de la référence à une durée de onze ans mentionnée par les documents que vous nous avez présentés, un horizon temporel des dépenses financées par le projet de loi a-t-il été établi ?

Une fois les fonds attribués aux différents opérateurs, quels seront les pouvoirs de l'État dans leur utilisation, par exemple en cas de performance non satisfaisante ? Comment pourra-t-il réallouer les fonds ? Comment le Parlement en sera-t-il informé ?

Le projet de loi prévoit l’affectation de 1 milliard d'euros pour les états généraux de l'industrie et de 500 millions d'euros pour les pôles de compétitivité. Disposez-vous d’exemples précis de projets nous permettant de comprendre à quoi serviront ces crédits ?

L'opération « Campus d'excellence » mobilise 7,7 milliards d'euros et constitue l'action la mieux dotée du plan. Pourriez-vous nous préciser ses conditions de mise en œuvre ? En particulier, la sélection des universités sera-t-elle assurée par l'État ou confiée à un opérateur ?

À cet égard, et à notre connaissance, les partenariats publics privés prévus dans le cadre de l'opération « Campus », lancée en 2007 pour rénover le patrimoine immobilier des universités, n'ont pas encore été signés, et aucun fonds n’a encore été distribué aux universités éligibles. Pourriez-vous nous confirmer cette information et nous préciser où sont placés les fonds – 3,7 milliards d'euros – issus de la cession des titres d'EDF ?

Quel sera l'impact de ce plan d’investissement sur le déficit publicau sens de la comptabilité nationale – en 2010 et les années suivantes ?

Enfin, la taxe sur les bonus est destinée en priorité à doter le Fonds de garantie des dépôts, dont nous savons que le plafond doit être relevé, conformément à une directive européenne, de 70 000 à 100 000 euros par déposant. Il nous est indiqué que la cible de 270 millions d’euros affectés à ce fonds a été calculée de manière forfaitaire. Pourriez-vous nous apporter des informations plus précises sur ce relèvement de la protection des épargnants français ?

M. le président Didier Migaud. Je souhaiterais également des précisions quant au produit de la taxe sur les bonus et à la perte de recettes que pourrait entraîner le mécanisme de déductibilité par rapport à l’impôt sur les sociétés, afin que nous puissions estimer l’ordre de grandeur des efforts demandés aux uns et aux autres.

M. Jérôme Cahuzac. Vous notez une amélioration par rapport au dernier collectif, monsieur le ministre du budget, mais convenez qu’il y a une certaine aggravation par rapport à la loi de finances initiale : de 55 milliards d’euros de déficit votés, on passe à un déficit constaté de 139 milliards !

En outre, ce déficit comprend-il l’apurement intégral de la dette de l’État à l’égard de la sécurité sociale ? Si, comme on le devine, tel n’est pas le cas, il faut prévoir une dépense supplémentaire de 1 à 2 milliards d’euros.

Toujours pour 2009, à combien estimez-vous la part du déficit structurel dans les 7,9 points de PIB annoncés ? Selon la Cour des comptes, ce déficit – qui est indépendant de la crise – devrait être de l’ordre de 3,9 ou 4 points, soit une aggravation par rapport à 2008, où il s’élevait à 3,4 points.

Le déficit budgétaire de 150 milliards d’euros que vous annoncez d’ores et déjà pour 2010 comprend-il la nécessaire prime pour le débouclage des plans d’épargne logement ? Les crédits alloués à cet effet en janvier ne font que rembourser les avances effectuées par le Crédit foncier l’année précédente. Si ce mécanisme est reconduit, il provoquera un alourdissement du déficit d’environ 1 milliard d’euros.

Même question en ce qui concerne les opérations extérieures, chroniquement sous-budgétées. L’ordre de grandeur du déficit supplémentaire est en général de 0,5 milliard d’euros.

Enfin, que prévoit le Gouvernement pour régler la facture de la sécurité sociale en 2010 ? Après les efforts – incomplets – d’apurement en 2009, verra-t-on sa dette prospérer de nouveau ?

Pour ce qui est maintenant de la loi de finances pluriannuelle, le Gouvernement s’est engagé à revenir à un déficit de 3 points de PIB en 2013. Sachant qu’il prévoit plus de 8 points de PIB de déficit pour 2010, comment compte-t-il s’y prendre pour opérer une réduction de plus de 5 points en moins de 3 ans ? Envisage-t-il de revoir à la hausse l’engagement de déficit pour 2013 ?

Comme l’a indiqué M. Louis Giscard d’Estaing, c’est une directive communautaire qui impose aux États membres de relever la garantie des déposants. La taxe sur les bonus étant temporaire, comment assurerez-vous par la suite la sécurité des déposants ? Aurez-vous recours à des mesures budgétaires ou serez-vous contraints, comme on peut l’espérer, de pérenniser cette taxe ?

M. Jérôme Chartier. Comme le laissaient penser plusieurs signes avant-coureurs au dernier trimestre 2009, la situation s’améliore en 2010 et nous devons nous en réjouir. On ne saurait passer sous silence que la France s’en tire beaucoup mieux que ses voisins européens et que d’autres pays de l’OCDE.

J’observe néanmoins que la dégradation prévue de la balance commerciale n’est que de 3 milliards d’euros, alors que la progression de la consommation des ménages devrait doubler, passant de 0,7 à 1,4 %. Comment cette estimation a-t-elle établie ?

Par ailleurs, le grand emprunt est l’exemple même de ce qu’il faut faire en la matière : il ne servira qu’à financer des dépenses d’avenir, c'est-à-dire de « bonnes dépenses ».

M. Jérôme Cahuzac. Alors pourquoi l’avoir limité à 35 milliards d’euros ?

M. Jérôme Chartier. En effet, mon cher collègue, pourquoi ne pas évoquer la perspective, à moyen terme, d’un nouveau grand emprunt ? De nombreux collègues ici présents ont signé une tribune parue dans Le Monde qui plaidait en ce sens.

Enfin, la taxe sur les bonus concerne le seul exercice 2009, où la croissance des marchés financiers, certes exceptionnelle, constitue une sorte de remise à niveau après le « dévissage » de la fin de 2008 et du début de 2009. Il ne faudrait pas que son éventuelle pérennisation fasse de la place de Paris le mouton noir des marchés financiers mondiaux. Soit tous les marchés adoptent un tel dispositif, et ce serait une bonne chose, soit nous nous retrouvons seuls, et ce serait préjudiciable à l’attractivité du marché parisien.

M. François Goulard. Très juste !

M. Charles de Courson. Alors que vous réévaluez la croissance de la consommation à 1,4 % pour 2010, madame la ministre, les investissements tant publics que privés n’augmenteraient que de 0,4 % et le commerce extérieur resterait stable. Comme les Assises de l’industrie l’ont une nouvelle fois mis en relief, la dégradation de notre compétitivité ces dix dernières années nous a coûté un demi-point de croissance par an. À moins que vous ne fassiez des prévisions extrêmement favorables en matière de reconstitution des stocks, on voit mal comment vous arrivez à 1,4 %.

Le Nouveau Centre, qui n’était guère favorable à un nouvel emprunt, avait souhaité un « grand emprunt modeste ». Le Gouvernement lui donne en partie satisfaction sur ce point.

Nous avions également demandé que l’on consacre cet emprunt à des investissements créateurs de richesse, permettant de rembourser intérêt et capital. D’après les chiffres transmis, 70 % des crédits seraient non consomptibles, c'est-à-dire remboursables – je signale au passage que les industries aéronautiques ont toujours remboursé les avances remboursables dont elles ont bénéficié –, mais 28 %, soit 10 milliards d’euros, seront considérés, du point de vue du traité de Maastricht, comme des dépenses venant compléter des dotations budgétaires insuffisantes. Vous avez pourtant indiqué, monsieur le ministre, que l’incidence sur le déficit maastrichtien ne serait que de 2 à 2,5 % en 2010. Cela signifie-t-il qu’il faut prévoir 7 à 8 milliards de déficit maastrichtien supplémentaire en 2011 ?

En d’autres termes, puisque le grand emprunt revient à ouvrir 35 milliards d’euros en autorisations d’engagement, pourriez-vous donner un échéancier prévisionnel pour 2010, 2011 et même, pour partie, 2012 ?

Enfin, j’ai du mal à comprendre la taxe sur les bonus. Puisqu’il porte sur les bonus versés en 2009, cet impôt exceptionnel ne modifiera en rien le comportement des banques en matière de rémunération des traders et autres spéculateurs. Qui plus est, on consacrera 270 des 360 millions de produit au Fonds de garantie des dépôts, jusqu’à présent alimenté par les cotisations des banques. Pourquoi avoir choisi ce système tarabiscoté au lieu d’avoir demandé aux banques d’augmenter leurs cotisations ? Était-il bien utile d’imiter nos amis travaillistes anglais, accusés par la Cité de démagogie à l’approche des élections législatives ?

M. Hervé Mariton. S’agissant du grand emprunt, les proportions précises communiquées par le Gouvernement entre dépenses consomptibles et dépenses non consomptibles signifient-elles que les opérateurs ne disposeront pas d’une capacité d’arbitrage entre ces deux catégories, comme il en avait pourtant été question ?

Le ministre affirme par ailleurs que les intérêts dus au titre de 22 milliards seraient gagés. Est-ce à dire que les intérêts correspondant aux 13 autres milliards ne le seront pas ?

À l’évidence, le grand emprunt ne sera suivi d’effets que si l’on réalise des progrès importants en matière de gouvernance, notamment dans l’enseignement supérieur. Le Gouvernement a-t-il une feuille de route à ce sujet ? Je remarque au passage que les statistiques internationales devraient reposer sur les coûts par étudiant diplômé et non les coûts par étudiant – l’enseignement supérieur français étant ce qu’il est...

Après la décision du Conseil constitutionnel relative aux bénéfices non commerciaux, doit-on comprendre que le Gouvernement n’envisage pas de reprendre le sujet ?

Enfin, madame la ministre, votre proposition concernant le Fonds de garantie des dépôts se substitue-t-elle aux engagements que vous aviez pris lors du débat budgétaire ?

M. Patrice Martin-Lalande. Je suis très heureux que la stratégie retenue par le Gouvernement pour le grand emprunt privilégie l’économie numérique.

Dans ce domaine, existe-t-il des différences entre le projet de loi de finances rectificative et les recommandations du rapport Juppé-Rocard ? Si tel est le cas, pour quelles raisons ?

L’objectif évoqué dans le document que vous nous avez remis – une couverture de 70 % de la population en très haut débit dans 10 ans – est étonnamment modeste, puisqu’il correspond à peu près aux zones 1 et 2. Les 30 % les plus difficiles risquent-ils de ne pas être traités ? Que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu le grand emprunt ? Pourquoi ne pas viser un meilleur résultat, d’autant que 750 000 foyers ruraux seront couverts par le satellite ? Quelle serait, dans l’hypothèse retenue, la situation de la France dans 10 ans par rapport à ses voisins ?

Je me réjouis que plus de la moitié des sommes allouées soit consacrée au développement des usages et contenus innovants. Cela dit, certaines opérations sont chiffrées, d’autres non. Doit-on en conclure que certains objectifs sont révisables et que les moyens affectés à d’autres font au contraire l’objet d’une sanctuarisation ?

M. Pierre-Alain Muet. Le problème n’est pas tant le creusement du déficit en 2009 que le point de départ de cette situation. Notre pays est l’un des seuls à avoir abordé la récession avec un déficit aussi excessif – et essentiellement structurel.

Par ailleurs, les graphiques commentés par Mme la ministre traduisent un phénomène connu : lors des récessions, la France plonge moins que les autres pays car elle a plus d’« amortisseurs », notamment la part de son secteur public, mais elle remonte moins vite lors des reprises, pour la même raison.

Je doute que notre croissance soit plus rapide que celle de la zone euro. En 2009, la forte désinflation, due à la baisse du prix du pétrole, a soutenu la consommation, mais cette période est derrière nous. De plus, bien que la baisse du PIB soit inférieure à celle d’autres pays, le taux de chômage en France augmente autant que la moyenne européenne, ce qui laisse à penser que le pouvoir d’achat fera défaut pour la reprise.

Enfin, nous aimerions savoir sur quelles données vous fondez le chiffre de 0,3 % de croissance annuelle sur la décennie à la suite du grand emprunt. Le modèle Mésange a certainement ses vertus, mais bien des instituts publics et privés sont capables d’évaluer ce que représente une dépense de 35 milliards d’euros en termes de supplément de croissance.

M. François Goulard. Tout d’abord, merci pour votre action, madame la ministre, monsieur le ministre, qui a certainement limité l’évolution initialement prévue.

Cela dit, il me semble que le grand emprunt, tel qu’il est conçu et présenté, comporte deux infractions majeures à deux grands principes de nos finances publiques.

D’abord l’unité budgétaire : alors que nous devons avoir un seul budget, avec une masse de dépenses et une masse de recettes, le grand emprunt va constituer une excroissance budgétaire. Il n’y a pas, contrairement à ce que l’on a dit, les « bonnes » et les « mauvaises » dépenses, les « bonnes » et les « mauvaises » recettes. S’engager sur ce terrain-là serait dramatique pour la gestion future des finances publiques.

Ensuite la règle de l’annualité budgétaire. La pluriannualité, soit, mais sous le contrôle du Parlement ! Qu’en sera-t-il de sommes versées à des agences puis dépensées éventuellement sur des instructions administratives, en tout cas pas en application des décisions prises annuellement par le Parlement ?

M. Marc Goua. Pour ce qui est des 15 milliards d’euros de dotations non consomptibles issues du grand emprunt, le document du ministère indique qu’il n’y a pas de décaissement en trésorerie pour les intérêts versés. Sauf erreur de ma part, cela ne concorde pas avec les autres tableaux.

S’agissant de la taxation sur les bonus, les banques sont en effet tenues d’avoir des fonds collectifs de garantie et, autant que je souvienne, leurs cotisations à ce titre ne sont pas déductibles de l’assiette de l’impôt. Dès lors, la mesure ne se résume-t-elle pas à un effet d’annonce et le coût pour les banques ne sera-t-il pas moins important après qu’avant ?

M. Olivier Carré. Lors de la présentation du rapport de la commission Juppé-Rocard, on avait évoqué un effet de levier permettant de mobiliser des fonds privés ou issus de fondations. Le Gouvernement est-il à même d’anticiper le montant de ces fonds, dans la perspective d’arriver à un financement optimal de certains programmes ?

Par ailleurs, si l’architecture budgétaire des programmes ciblés nous a été présentée, ne pourrions-nous pas disposer d’un document mentionnant les fonds déjà mis à disposition pour certains d’entre eux – par exemple en ce qui concerne les démonstrateurs mis en place après le premier Grenelle de l’environnement –, toujours dans la perspective de mesurer les effets de levier du grand emprunt sur les autres financements ?

M. Le ministre. Les économies de 800 millions d’euros sur la mission « Plan de relance » se décomposent en 500 millions de report de dépenses supplémentaires et en 1,3 milliard de crédits en moins, liés notamment à l’investissement et au Fonds d’investissement social, le FISO. Mais il ne s’agit que d’un décalage : ces crédits sont en train d’être consommés.

Les 250 millions d’euros d’économies supplémentaires que j’ai évoqués se décomposent en 100 millions d’économies supplémentaires sur la charge de la dette, 100 millions sur les subventions de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires – EPRUS –, les coûts liés au vaccin contre la grippe A étant moins importants que prévu, et 50 millions répartis sur plusieurs autres postes de dépenses.

C’est en effet le cinquième acompte de l’impôt sur les sociétés qui apporte un surcroît de recettes, issu à 60 % du secteur financier et à 14 % du secteur de l’énergie. Nous avons estimé que nous pouvions répercuter ce résultat en réévaluant de 1,9 milliard d’euros les recettes de l’IS pour 2010, ce qui porterait leur montant à 34,9 milliards.

Pour ce qui est des comptes spéciaux du Trésor, l’État se trouve en déficit de 1,5 milliard d’euros vis-à-vis des collectivités locales à la fin de l’exercice 2009, soit 900 millions de plus que ce que prévoyait la loi de finances rectificative. Peut-être est-ce dû à un moins bon taux de recouvrement auprès des entreprises, ainsi qu’aux effets des exercices antérieurs. Nous étudions de près la question.

Le grand emprunt ne remet pas en cause l’unité du budget, monsieur Goulard, puisque le Parlement le vote dans le cadre d’un collectif. Ensuite, tout se passe comme si l’on versait aux opérateurs des subventions assorties d’une affectation et d’un mode de gouvernance spécifiques. L’ensemble est constaté, comme il se doit, dans les comptes de l’État.

Pour ce qui est de la pluriannualité, les opérateurs consommeront en effet les fonds sur 4 ou 5 ans. Le contrôle sera de plusieurs natures. D’abord par le biais des conventions signées avec chaque opérateur pour définir le cadre d’emploi des fonds – et le Parlement aura évidemment accès à ces documents. Ensuite parce que les fonds seront déposés au Trésor. Enfin par un « jaune » budgétaire annuel adressé au Parlement. Bien entendu, je suis ouvert à toute proposition d’amélioration car la transparence doit être totale. Si la performance se révèle insuffisante, nous devrons faire preuve d’une grande réactivité et prendre des mesures projet par projet : ce sera le rôle du Commissariat à l’investissement.

Je confirme que le déficit budgétaire correspondant est de 35 milliards d’euros puisque l’État décaisse ce montant vers les opérateurs. Comme l’a bien montré M. de Courson, les choses se présentent différemment en termes maastrichtiens.

Oui, monsieur Cahuzac, nous avions prévu 56 milliards d’euros de déficit et nous avons fait 138 milliards. Comme tous les autres États, la France a été atteinte par la dégradation économique. C’est bien pourquoi le Gouvernement vous a présenté de nombreux textes et collectifs pour réactualiser les choses.

Que le déficit s’élève à 138 milliards plutôt qu’à 141, comme le relève M. Chartier, ne saurait soulever l’enthousiasme, mais quelles critiques ne nous aurait-on pas adressées des critiques si le chiffre s’était élevé à 143 ou 144 !

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas sérieux ! Vous faites de la com’ !

M. le ministre. Comme vous le savez, monsieur Cahuzac, l’État n’a pas totalement apuré sa dette vis-à-vis de la sécurité sociale : il reste environ 1 milliard d’euros.

Le déficit structurel est un vieux sujet. Il existe de nombreuses méthodes de calcul. Je pense pour ma part qu’il se situe entre 3 et 3,5 points de PIB et qu’il ne s’est pas aggravé : nous considérons que tout ce qui relève de la relance est exceptionnel et conjoncturel.

Pour ce qui est du débouclage des plans d’épargne logement ou des Opex, ce qui était vrai à la fin de 2009 l’est aussi au début de 2010.

Et nous maintenons notre objectif de 3 points de PIB de déficit en 2013 pour la loi de finances pluriannuelle. Je note d’ailleurs que les Allemands maintiennent eux aussi leurs objectifs, malgré des déficits qui sont passés de 0 à 6 points de PIB.

M. Henri Emmanuelli. Ils se rétabliront plus vite que nous.

M. le ministre. Nous verrons.

Vous souhaitiez un emprunt modeste, monsieur de Courson, mais ces 35 milliards d’euros – ce qui est loin d’être une somme modeste – représentent tout de même pas mal d’argent injecté dans l’économie. Entre 60 et 70 % sont en effet non consomptibles. Les 0,1 % représentent 2 milliards, soit, sur 4 ou 5 ans, 8 à 10 milliards d’euros, conformément à votre calcul.

Les 500 millions de gage correspondent aux 22 milliards d’emprunt effectif, monsieur Mariton.

Je vous invite, monsieur Martin-Lalande, à mener le débat avec Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique, car je crains que mes réponses sur ces sujets n’aient pas d’intérêt.

Le déficit de départ est certes important, monsieur Muet. Nous sommes passés de 3,4 à 8,2 points de PIB, mais l’Allemagne est passée de 0 à 6 points de PIB. Toutes les économies souffrent beaucoup.

Pour ce qui est de l’effet de levier, monsieur Carré, nous maintenons l’objectif de 25 milliards de fonds privés venant s’agréger aux 35 milliards d’euros.

M. le président Didier Migaud. Peut-être pourrions-nous nous revoir brièvement la semaine prochaine, madame la ministre, pour que vous apportiez les réponses aux questions qui vous ont été posées.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 20 janvier 2010 à 13 h 45

Présents. - M. Dominique Baert, M. Gérard Bapt, M. Claude Bartolone, M. Xavier Bertrand, M. Jean-Marie Binetruy, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Richard Dell'Agnola, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Daniel Garrigue, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, M. François Goulard, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mathis, M. Didier Migaud, Mme Marie-Anne Montchamp, M. Pierre-Alain Muet, M. Henri Nayrou, M. Nicolas Perruchot, M. Michel Sapin, M. François Scellier, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Gilles Carrez, M. Jean-Louis Idiart, M. Victorin Lurel, M. Camille de Rocca Serra, M. Georges Tron

Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy

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