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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 6 avril 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 60

Présidence de M. Jérôme Cahuzac Président

– Audition de M. François Baroin, ministre du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, sur les résultats de l’application du bouclier fiscal en 2008 et 2009 et sur la situation des comptes publics 2009 2

– Présences en réunion 22

La commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire entend M. François Baroin, ministre du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, sur les résultats de l’application du bouclier fiscal en 2008 et 2009 et sur la situation des comptes publics 2009

M. le président Jérôme Cahuzac. Mes chers collègues, je suis heureux d’accueillir en votre nom François Baroin, le nouveau ministre en charge du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État. J’ai souhaité l’auditionner pour des raisons qui tiennent en partie à la forme, et beaucoup au fond.

Pour des raisons de forme, tout d’abord, car je souhaitais que le ministre nous communique les éléments dont il dispose. D’aucuns déplorent que des informations relatives à l’application du bouclier fiscal en 2009 se retrouvent dans la presse avant que les parlementaires n’en soient informés, alors même qu’ils demandaient ces informations depuis de nombreuses semaines.

J’ai souhaité l’entendre également pour des raisons de fond. Au-delà de l’appréciation que chacun de nous porte sur le dispositif, le bouclier fiscal protège-t-il les revenus du travail ou ceux du patrimoine et de la rente ? Bénéficie-t-il réellement aux contribuables qui déclarent un revenu inférieur au revenu de solidarité active, mais qui disposent d’un patrimoine supérieur à 16 millions d’euros ?

Enfin, la Commission ne dispose pas des chiffres correspondant à la ventilation du bouclier fiscal au niveau régional et départemental. Je demanderai au ministre de nous les fournir.

Je vous propose, mes chers collègues, de laisser M. le rapporteur général et les responsables des groupes s’exprimer avant de donner la parole aux membres de la Commission qui souhaitent poser une question au ministre, lequel répondra à chacun d’entre eux de façon précise.

Monsieur le ministre, nous vous souhaitons la bienvenue.

M. François Scellier. Monsieur le président, j’ai été surpris, sinon choqué, d’entendre les radios présenter cette réunion comme une convocation du ministre du budget par le président socialiste de la Commission des finances. Je souhaiterais vous entendre dire que cette présentation n’émane pas de vous, mais de la presse elle-même.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. J’ai pensé que nous devrions consacrer une partie de cette réunion à l’exécution des comptes de 2009, en étudiant la possibilité de procéder à des recadrages sur le budget de 2010. C’est un point important, car le bouclier fiscal correspond à 560 millions d’euros, mais l’amélioration des comptes par rapport au collectif budgétaire de janvier représente 10 milliards d’euros !

M. le président Jérôme Cahuzac. Vous m’avez fait part de votre souhait, monsieur le rapporteur général, et je vous ai donné mon accord. Nous poserons donc au ministre, dans la seconde partie de cette réunion, un certain nombre de questions relatives aux comptes de 2009.

M. Pierre-Alain Muet. Monsieur le ministre, les documents que vous avez transmis à la Commission montrent qu’un certain nombre de contribuables, qui déclarent un revenu inférieur au RSA mais possèdent un patrimoine d’au moins 16 millions d’euros, non seulement ne paient pas d’impôt sur le revenu mais se font rembourser les autres impôts, y compris la CSG. Un tel revenu, qui ne correspond pas du tout à la rentabilité que l’on pourrait attendre d’un patrimoine de 16 millions d’euros, ne peut que traduire une volonté d’optimisation fiscale, ce qui illustre les défauts du bouclier fiscal.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État. Je suis très heureux de me trouver devant la Commission des finances. Élu parlementaire en 1993, j’ai toujours eu conscience du fait que le Gouvernement est à la disposition du Parlement. C’est ma philosophie. Qu’il s’agisse ou non d’une convocation, il est normal que le ministre du budget se présente devant les parlementaires, à chaque fois que cela est nécessaire, pour leur expliquer la situation des finances de notre pays. C’est donc dans un état d’esprit respectueux, cordial et amical et en toute transparence que je parais devant vous.

Je ne reviendrai pas sur les positions des uns et des autres concernant le bouclier fiscal, car nous avons eu l’occasion à de nombreuses reprises de nous exprimer, et nous aurons sans nul doute d’autres occasions de le faire.

Je remercie le rapporteur général d’avoir demandé, à la lumière des statistiques que l’INSEE a rendues publiques la semaine dernière sur l’évolution de nos déficits publics, que l’on consacre une partie de cette audition à la situation des comptes publics. Cette évocation nous sera très utile en vue de la préparation du projet de loi de finances pour 2011.

Il n’est pas douteux que le récent changement opéré au sein du Gouvernement ait altéré la fluidité qui sied à la transmission des informations. Je le regrette comme vous, mais je ne m’y arrête pas et, dès le mois de juillet, je vous transmettrai les chiffres définitifs du ministère du budget avant leur communication officielle, de façon à ce que vous en ayez connaissance avant la presse et l’opinion. Le fait d’éviter les fuites me semble être une marque de respect envers le Parlement – même si c’est un vœu pieux.

Venons-en au bouclier fiscal. Je vous rappelle que les chiffres dont nous avons eu connaissance le 1er février 2010 sont provisoires, les chiffres définitifs n’étant connus qu’à la fin du mois de juin, voire dans le courant du mois de juillet. Ainsi, pour l’année 2009, le nombre des bénéficiaires du bouclier fiscal a été de 16 350 et le montant total restitué au titre du bouclier de 586 millions d’euros, la restitution moyenne s’élevant à 35 814 euros.

En 2008, toujours en données provisoires, le nombre des bénéficiaires était de 14 000, pour un montant total de 458 millions d’euros, ce qui a représenté en 2009 une hausse de 17 % pour le nombre de bénéficiaires et de 28 % pour le montant.

J’en viens aux chiffres définitifs. En 2008, nous comptions 15 446 bénéficiaires, pour un montant total de restitution de 563 millions d’euros – le malentendu vient de ce que certains ont confondu les chiffres provisoires d’une année et les chiffres définitifs d’une autre. Pour 2009,  nous estimons à 18 000 le nombre de bénéficiaires, pour un volume de 650 à 700 millions d’euros – ce chiffre étant conforme à la somme prévue dans le budget.

Quel est le profil des bénéficiaires du bouclier fiscal ? En 2009, 53 % de ces bénéficiaires n’étaient pas assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune – leur patrimoine était donc inférieur à 770 000 euros – et la quasi-totalité d’entre eux avaient des revenus mensuels inférieurs à 1 000 euros par mois. Ces contribuables ont bénéficié d’une restitution moyenne de 632 euros ; les impôts restant à leur charge s’élèvent à 568 euros, ce qui correspond à une imposition réduite de moitié.

Si 53 % des bénéficiaires du bouclier ne payaient pas l’ISF, les 47 % qui y étaient assujettis ont perçu 99 % du montant total des restitutions – dont 62 % destinés aux contribuables ayant un patrimoine supérieur à 16 millions d’euros – et 6 % des bénéficiaires ont disposé d’un revenu concerné par la tranche marginale de l’impôt sur le revenu. Ces contribuables ont bénéficié d’une restitution moyenne de 376 000 euros, les impôts restant à leur charge après l’application du bouclier s’élevant à 412 000 euros.

Quelle est la tendance ? Les chiffres évoluent à la hausse car les contribuables, désormais informés par les services fiscaux départementaux, maîtrisent mieux le dispositif.

M. le président Jérôme Cahuzac. Je suppose que l’auto-liquidation joue également un rôle dans cette évolution.

M. Pierre-Alain Muet. Vous n’avez pas répondu à ma première question, monsieur le ministre. J’évoquais en particulier le cas des personnes dont le patrimoine atteint 16 millions d’euros mais dont les revenus déclarés sont inférieurs au RSA. Cela traduit une bien curieuse façon de rentabiliser un patrimoine, qui montre que la façon dont nous mesurons les revenus est incorrecte.

M. le ministre. Tout cela est très logique. Les contribuables qui ont une très grosse fortune voient leur richesse décroître pour de multiples causes, en particulier la crise financière. Ils consomment alors leur capital pour préserver leur niveau de vie ou assumer leurs obligations, familiales ou personnelles. Il s’agit également de personnes dont l’activité professionnelle a généré des déficits, du fait de la mauvaise conjoncture. Ces cas de figure sont la traduction concrète de l’impact de la crise, y compris sur les bénéficiaires du bouclier fiscal.

M. Pierre-Alain Muet. Ce n’est pas nouveau. Nous observions les mêmes situations en 2007 et 2008, avant la crise, et elles étaient même plus nombreuses. Nous devons analyser cette évolution pour éventuellement remettre en question l’optimisation fiscale dans les cas où le revenu qui sert de référence au bouclier fiscal est non pas le revenu réel, mais le revenu net de toutes les exonérations.

M. le ministre. Pour nous, cela ne correspond pas à de l’optimisation fiscale, comme le rapporteur général l’avait déjà signalé l’an dernier : il s’agit pour l’essentiel de contribuables qui ont subi des pertes de revenus importantes. Le lien entre niches fiscales et impôt sur le revenu, entre bouclier fiscal et impôt de solidarité sur la fortune nous place au cœur d’un débat qui excède l’ordre du jour de cette réunion, celui qui conduit à s’interroger sur le triptyque bouclier fiscal, ISF et impôt sur le revenu. Il s’agit d’un débat de nature beaucoup plus politique et cette instance n’est peut-être pas le lieu le plus pertinent pour l’initier.

M. le rapporteur général. Depuis l’an dernier, notre Commission a apporté de nombreuses corrections au calcul du bouclier. Auparavant, celui-ci permettait aux contribuables de minorer leurs revenus grâce à des mesures liées à l’assiette. Il y a plus d’un an, nous avions déjà transformé la quasi-totalité des dispositifs d’incitation fiscale sous forme de diminutions d’assiette en réductions d’impôts. Ne souhaitant pas mettre en place un dispositif rétroactif, il s’applique donc aux revenus de 2009 et ses effets apparaîtront dans les restitutions de 2011. Cela dit, les revenus de 2009 pris en compte dans le bouclier seront profondément impactés par l’ensemble des mesures de défiscalisation que nous avons prises depuis un an et demi, en particulier par la transformation des réductions d’assiette en réductions d’impôt – excepté pour les monuments historiques : remplacement du « Robien » par le dispositif Scellier, mesures concernant les meublés professionnels et non professionnels.

Nous avons par ailleurs décidé de prendre en compte le revenu brut de l’année. À partir de 2009, il n’est plus possible d’imputer le déficit d’exercices antérieurs.

Nous avons enfin mis en place un dispositif de réintégration progressive de la totalité des dividendes à leur vraie valeur. Les possibilités d’évasion par le biais d’une minoration délibérée du revenu pris en compte dans le dénominateur seront fortement réduites, ce qui aura un impact sur le montant du bouclier fiscal de 2011.

Ces chiffres un peu surprenants témoignent, comme les deux années passées, du fait qu’un certain nombre de contribuables, n’ayant plus de revenus, consomment leur capital. Nous allons étudier ces chiffres avec précision.

M. le président Jérôme Cahuzac. Le revenu de l’année de référence intègre toujours la déduction des cotisations volontaires destinées à la retraite par capitalisation. Il faudrait progresser sur ce point.

M. le rapporteur général. Nous avons là une divergence de fond, monsieur le président !

M. Jérôme Chartier. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous apportiez les précisions qui permettront à la Commission des finances de poursuivre le débat sur le bouclier fiscal.

Lors des questions au Gouvernement, vous avez cité le chiffre de 500 bénéficiaires du bouclier fiscal par le haut. Le montant des impôts acquittés en 2009 par ces contribuables serait proche du milliard d’euros. Confirmez-vous ce chiffre ?

Par ailleurs, pour savoir qui sont les Français qui bénéficient du bouclier fiscal par le bas, nous aimerions connaître la typologie de ces 9 000 bénéficiaires du bouclier fiscal qui ne sont pas assujettis à l’ISF et dont le revenu mensuel est inférieur à 1 000 euros.

Enfin, pouvez-vous nous communiquer un tableau comparatif de la pratique des principales démocraties occidentales en matière de fiscalité sur le revenu et le patrimoine des plus gros contribuables ? On parle beaucoup de l’utilité du bouclier fiscal pour notre compétitivité : pour la démontrer, il serait intéressant de mettre en place un benchmark fiscal.

M. le ministre. Je confirme que les 47 % de contribuables assujettis à l’ISF et qui bénéficient de 560 millions de restitution au titre du bouclier fiscal acquittent 937 millions d’euros d’impôts et de taxes.

La typologie des bénéficiaires du bouclier peut en effet être établie de façon plus détaillée, mais il n’est pas question de vous livrer une liste nominative. À ce propos, je vous indique, mesdames, messieurs les commissaires, que le président de la Commission des finances ainsi que le rapporteur général, lorsqu’ils sont attributaires d’informations et de données nominatives, ce qui est leur droit, sont astreints au secret fiscal. C’est une règle absolue.

Vous communiquer des éléments comparatifs illustrant la situation de la France par rapport aux autres pays européens nous entraînerait dans un débat éminemment politique portant sur le niveau de nos dépenses, notre modèle social de protection, le niveau de prélèvements pour assumer ce modèle et le taux de nos prélèvements obligatoires. Sur certains de ces points, nous nous rapprochons des pays scandinaves. Mais à la question de savoir si notre impôt de solidarité sur la fortune finira par devenir unique en Europe, la réponse est oui.

M. Jérôme Chartier. Le bouclier fiscal est bien une question politique puisqu’il concerne la compétitivité et la fiscalité.

Je reviens sur la typologie. Je comprends que vous ne puissiez l’établir pour quelque 500 contribuables, mais il s’agit en l’occurrence de 9 000 contribuables. Sans enfreindre le secret fiscal, je pense qu’il serait tout à fait possible de définir trois ou quatre types de Français qui bénéficient du bouclier fiscal.

Nous entendons beaucoup parler des bénéficiaires « par le haut » : j’aimerais que vous puissiez éclairer la Commission des finances sur les bénéficiaires « par le bas ». D’ailleurs, les Français connaissent-ils bien le dispositif du bouclier fiscal ?

M. le ministre. Nous en assurons suffisamment la promotion !

M. Jérôme Chartier. Sans doute, mais pour ceux des contribuables qui n’ont pas de conseillers fiscaux et ne sont pas entourés d’experts en mesure de leur expliquer comment obtenir le remboursement et la liquidation, il serait utile que l’administration fiscale en assure la promotion.

M. le président Jérôme Cahuzac. Ce n’est pas une question, c’est un vœu !

M. le ministre. Je tiens les chiffres à votre disposition, monsieur le député, mais je ne vous transmettrai aucun nom.

M. Charles de Courson. Les chiffres que j’ai découverts dans la presse m’ont beaucoup intéressé. Depuis trois ans, je soutiens la thèse selon laquelle il existe deux sortes de bouclier fiscal : l’un s’adresse aux revenus modestes, l’un aux revenus élevés et assujettis à l’ISF. S’agissant des 7 675 bénéficiaires du bouclier fiscal assujettis à l’ISF, quel est l’écart entre le nombre de personnes qui pourraient en bénéficier et celles qui en bénéficient effectivement ? Je rappelle que, lors de l’élaboration de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, on estimait le nombre des bénéficiaires entre 15 000 et 20 000 personnes.

Les conseillers fiscaux que j’ai interrogés m’ont expliqué les raisons de l’écart important qui existe entre les estimations, s’agissant du nombre d’assujettis à l’ISF bénéficiaires du bouclier fiscal, et les chiffres réels. Ce sont eux qui établissent 99 % des déclarations fiscales. Or ils déconseillent à leurs clients de demander à bénéficier du bouclier fiscal, sauf lorsque les sommes en jeu sont très élevées. Pourquoi ? Parce que, si leurs clients font une telle demande, ils risquent de subir un contrôle fiscal sur les trois dernières années, contrôle qui ne manquera pas de révéler qu’ils sous-évaluent leur assiette d’ISF – généralement de 20 à 25 % –, et le redressement auquel ils seront soumis sera supérieur au montant du remboursement.

Quant au bouclier fiscal « pour les pauvres », qui s’adresse aux contribuables qui ne sont pas assujettis à l’ISF et dont les revenus sont inférieurs à 1 000 euros par mois, il sert à rembourser les impôts locaux – taxe foncière et taxe d’habitation.

Monsieur le ministre, il est temps de sortir du bouclier fiscal les taxes foncières et la taxe d’habitation sur la résidence principale, car leur prise en compte aboutit à une véritable aberration : c’est l’État qui les paie ! Cela représente un montant de 5 millions d’euros, soit 1 % du coût du bouclier fiscal.

Je rappelle que les calculs réalisés à l’occasion de la loi TEPA fixaient le nombre de bénéficiaires du bouclier fiscal pour les pauvres à 40 000. Or nous n’en comptons que 7 000 !

M. le ministre. Lors de la préparation de la loi TEPA, nous avions estimé à 100 000 le nombre total de bénéficiaires du bouclier fiscal.

Monsieur de Courson, on risque plus de faire l’objet d’un contrôle fiscal en investissant dans le dispositif Malraux – c’est le maire de Troyes, votre voisin, qui vous le dit – ou en choisissant la défiscalisation ultramarine, qu’en demandant l’application du bouclier fiscal. Les instructions fiscales données par Éric Woerth sont très claires. L’État souhaite que les contribuables aient connaissance du dispositif afin que le plus grand nombre d’entre eux puisse en bénéficier.

Le contrôle fiscal n’a aucun caractère automatique. S’il a lieu, c’est sous l’autorité de l’administration fiscale, en fonction de ses critères habituels.

L’écart dont vous parlez révèle un problème de confiance. Je dois à la vérité de reconnaître que le débat qui nous anime, s’il est vertueux, respectable et logique, induit un élément d’instabilité tant vis-à-vis de nos partenaires européens que des Français eux-mêmes, qui doivent pouvoir compter sur la stabilité de la politique fiscale du Gouvernement. Cette confiance est nécessaire pour l’efficacité du bouclier fiscal. Or, il n’y a que deux ans que le dispositif est en place et il est déjà largement remis en cause.

Sortir les taxes locales du bouclier fiscal priverait les plus modestes de son bénéfice. Débattre de l’opportunité de l’ISF nous conduirait à évoquer son évolution et la prise en compte de la résidence principale. L’ISF, avec 550 000 assujettis, rapporte 4,5 milliards d’euros à l’État – situation que nous devons en grande partie à l’augmentation des prix de l’immobilier au cours des dix dernières années.

M. Charles de Courson. Selon les estimations de la loi TEPA, nous devions enregistrer 100 000 bénéficiaires, dont 60 000 assujettis à l’ISF et 40 000 non assujettis. Comment expliquez-vous un tel écart : de un à huit pour les assujettis à l’ISF, de un à six pour les non-assujettis ?

Lorsque nous étions jeunes parlementaires, le rapporteur général et moi-même considérions déjà qu’il était anormal que l’État rembourse les impôts locaux après que les collectivités territoriales les ont augmentés, et nous avions déposé des amendements pour y remédier. Que le bouclier fiscal pour les pauvres serve à rembourser la taxe d’habitation et celle sur le foncier bâti n’est pas cohérent ! De plus, c’est totalement contraire au sens des responsabilités qui, en principe, anime la majorité présidentielle. Ce n’est pas à l’État de rembourser les impôts locaux, mais aux citoyens de ne plus élire les élus qui augmentent leurs impôts !

M. François Hollande. Si j’ai bien compris, notre exercice de cet après-midi ne consiste pas à juger la pertinence du mécanisme, mais à poser des questions sur les abus dont il pourrait être l’objet. Nous irons aussi loin que possible à l’intérieur de ce cadre.

Quel est le nombre de contribuables qui bénéficient du bouclier fiscal tout en utilisant les niches fiscales ? À quelle catégorie appartiennent les contribuables qui les utilisent le plus ? Peut-on comparer vos résultats avec ceux d’un bouclier fiscal à 60 % mais qui exclurait la CSG et la CRDS ?

Contrairement à ce que vous avez indiqué tout à l’heure dans l’hémicycle, monsieur le ministre, le plafonnement à 70 % qui avait été mis en place ne concernait que l’ISF lui-même, et on avait même introduit un plafonnement du plafonnement.

M. Charles de Courson. C’est Alain Juppé qui l’a mis en place !

M. François Hollande. Ne soyez pas trop sévères avec vos collègues, en particulier ceux qui ont un destin ! Mais c’est bien ce plafonnement du plafonnement qui, dès 1995, a provoqué le départ des plus grandes fortunes. Le bouclier fiscal a-t-il permis de conjurer cette disposition en favorisant leur retour ? Quel est le chiffre des rentrées de grandes fortunes depuis l’application du bouclier fiscal ?

M. le président Jérôme Cahuzac. Le fascicule publié par votre ministère – Voies et moyens, deuxième tome – indique que le plafonnement auquel M. Hollande vient de faire référence représente pour l’État un coût de 280 millions d’euros. Ce coût s’ajoute-t-il aux 580 millions d’euros du bouclier fiscal ?

M. le ministre. Il s’y ajoute en effet. J’ai appartenu au gouvernement Juppé qui a commis ce qui nous a valu beaucoup de tracas et qui, il faut le reconnaître, a été l’un des éléments déclencheurs d’une certaine forme d’évasion fiscale. Nous en avons tiré quelques enseignements. Puis j’ai appartenu au gouvernement Villepin qui a mis en place le bouclier fiscal. Vous avez raison, monsieur Hollande, concernant l’affaire du plafonnement, mais il faut s’intéresser à l’évolution du dispositif. La majorité a choisi un bouclier fiscal à 50 % qui intègre l’ensemble des prélèvements fiscaux. Les services du ministère feront les calculs nécessaires, ainsi que les services de la Commission des finances. Les résultats seront intéressants en vue des réformes qui nous attendent.

Je n’ai pas d’états d’âme, ni sur les principes du bouclier fiscal ni sur ses modalités d’application. Quant à son efficacité, je reste convaincu que c’est à l’instabilité fiscale que nous devons ces résultats peu satisfaisants. Les personnes qui partent parce qu’elles ont été surtaxées – c’est l’image que les gens ont de la France – ne reviennent pas uniquement parce que la nouvelle loi de finances va dans une autre direction que les précédentes, mais parce que nous sommes capables d’inscrire dans la durée des propositions non pas destinées à protéger les riches mais qui montrent notre capacité de « réattraction » et notre compétitivité par rapport à d’autres pays. Nous pouvons en débattre, mais je suis convaincu que l’échelle d’un quinquennat est nécessaire pour vérifier la pertinence de mesures de ce type. C’est pourquoi il convient de les préserver.

En ce qui concerne les exilés fiscaux, nous devons faire preuve de prudence car nous ne disposons pas d’éléments pertinents et rationnels. Nous avons établi les profils des personnes qui partent à l’étranger : elles sont généralement âgées de cinquante-deux ou cinquante-trois ans, elles ont gagné beaucoup d’argent dans les affaires et ont acquis un patrimoine. Nous savons qu’un grand nombre de cadres supérieurs sont appelés à l’étranger, où ils restent en moyenne six ans. Ce que je peux vous dire, c’est que, en 2008, 800 redevables de l’ISF ont quitté la France, contre 719 en 2007, soit une hausse de 14 %. Mais 846 avaient quitté notre pays en 2006. La plupart s’installent en Belgique et en Suisse, dans une moindre mesure au Royaume-Uni et aux États-Unis. Quant au nombre de retours, il a progressé de 27 %, passant de 246 en 2007 à 312 en 2008. Que le solde entre les départs et les retours soit négatif ou positif, peu importe : ce qui est essentiel, c’est que ces chiffres ne cessent d’évoluer.

À ceux qui seraient tentés par une utilisation politique de ces chiffres, je dirai que celle-ci comporte des risques. Il est difficile d’interpréter cette évolution, car les personnes quittent la France pour des raisons professionnelles, familiales ou personnelles. Nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure d’affirmer que le bouclier fiscal est un élément d’attractivité, mais nous avons besoin de l’inscrire dans la durée. Je le répète, ce n’est qu’à la fin du quinquennat que nous saurons si le bouclier fiscal est susceptible de faire revenir des contribuables partis à l’étranger.

La crise a également favorisé les changements professionnels. Beaucoup de Français, du fait de l’évolution de leur holding ou du choix de leur groupe implanté à l’étranger, sont appelés à partir au loin, en Asie ou ailleurs. Nous connaissons tous des personnes qui souhaitaient rester en France mais qui, pour des raisons professionnelles – et non fiscales – ont dû s’expatrier.

M. François Hollande. Vous ne m’avez pas indiqué le nombre de bénéficiaires du bouclier fiscal qui utilisent les niches fiscales !

M. le ministre. Je vous le transmettrai.

M. le président Jérôme Cahuzac. Le bouclier fiscal a permis à l’État d’encaisser un surcroît de recettes de 17 millions d’euros. À quel montant vos services estiment-ils le surcroît de recettes dû au retour ou au non-départ de contribuables au regard de la dépense de 580 millions d’euros ?

Nous ne pouvons qu’être sensibles à votre argument sur la stabilité fiscale. D’ailleurs, certains espéraient que le bouclier de M. de Villepin connaîtrait une prospérité supérieure à celle qu’il a connue.

M. Michel Bouvard. Le bouclier fiscal, nous l’avons compris, est un dispositif par défaut, puisque c’est faute de réformer plus profondément notre fiscalité que nous avons été obligés de le mettre en place.

Quelle appréciation portez-vous, monsieur le ministre, sur le rapport sur la fiscalité sur le patrimoine des ménages rédigé par le Conseil des prélèvements obligatoires, présidé par Philippe Séguin, et présenté ici même l’an dernier, rapport qui suggérait, pour sortir de ce débat lancinant qui nous occupe depuis plusieurs années, de réformer en profondeur la fiscalité du patrimoine et d’adapter l’impôt sur le revenu ?

Les contribuables bénéficiaires acquittent 937 millions d’impôts et de taxes, ce qui est loin d’être négligeable. Dispose-t-on de la ventilation entre les sommes acquittées au titre des impôts et celles acquittées au titre de la CSG et de la CRDS ?

Le bénéfice des niches fiscales intervient préalablement, ce qui nous a amenés à mettre en place leur plafonnement. Selon vous, ce plafonnement va-t-il améliorer le rendement de l’impôt et accroître la part du revenu intégrée au bouclier fiscal ?

Enfin, sommes-nous en mesure de comparer les flux – départs et arrivées – de notre pays avec ceux d’autres pays européens ? Je suis persuadé que la Suisse alémanique accueille quelques gros contribuables allemands, tandis que la Suisse romande accueille de gros contribuables français.

M. le ministre. Le rapport Séguin comportait en effet des éléments très pertinents. Nous avons fait le choix de tout intégrer dans le bouclier fiscal à 50 %, y compris la taxe d’habitation.

À cet égard, constatons que lorsqu’on augmente les impôts locaux, on prend le risque d’augmenter le nombre des bénéficiaires. Il y a là une éventuelle contradiction politique à gérer.

Nous avons choisi d’intégrer l’ensemble des prélèvements sociaux, la CSG et la CRDS. Si nous ouvrons le débat sur le bouclier fiscal, nous ne pouvons l’ouvrir partiellement, sauf pour une période particulière et sur un sujet particulier pour une réforme particulière qui concernera tout le monde. Le débat doit être étendu à l’ISF, à la prise en compte de la résidence principale dans l’assiette de l’ISF, aux prélèvements sociaux, au maintien ou à la suppression, à la lumière de leur évolution, des impôts locaux. Je rappelle que plus d’un Français sur deux ne paie pas l’impôt sur le revenu, et que plus d’un administré sur deux ne paie pas d’impôts locaux. Nous sommes au cœur de la réflexion que Philippe Séguin nous a laissée en héritage quant à l’efficacité économique et budgétaire de notre politique fiscale. Nous aborderons sans tabou cette question lors de la préparation du projet de loi de finances.

La part de la CSG et de la CRDS dans le bouclier fiscal s’élève à 174 millions d’euros. Quant à l’impact du plafonnement des niches, il est estimé à 200 millions d’euros de recettes.

S’agissant de la répartition des personnes en Suisse romande ou en Suisse alémanique, monsieur Bouvard, j’ai la faiblesse de penser que vous êtes mieux placé que moi pour porter un regard pertinent sur cette question frontalière.

M. François de Rugy. La volonté de favoriser le retour des évadés fiscaux fut l’une des causes de la mise en place du bouclier fiscal ; vous avez reconnu que ces retours étaient très faibles. Disposez-vous de courbes statistiques concernant les départs ?

On dit que l’ISF est un mauvais impôt, mais il incite les détenteurs d’un patrimoine important à l’investir et à le rendre productif ; le bouclier fiscal relève plutôt d’un effet d’aubaine, qui leur permet de bénéficier d’un revenu supplémentaire sans « travailler plus », pour reprendre une formule chère au candidat Sarkozy. Le bouclier fiscal contribue-t-il malgré tout à la création de nouvelles richesses ?

M. Christian Eckert. Vu la manière dont s’engageait l’audition, je craignais que l’on n’évoque que le 1 % de contribuables que l’on a appelés les « bénéficiaires pauvres » du bouclier fiscal. Je suis heureux que l’on entre enfin dans le gras du sujet !

Monsieur le ministre, vous avez dit que l’inclusion de la CSG et de la CRDS dans le bouclier fiscal coûtait 174 millions d’euros à l’État ; vous avez admis que l’objectif de retour des évadés fiscaux n’avait pas été atteint ; des amendements tendant à aménager le dispositif ont été présentés sur tous les bancs de notre Assemblée. Malgré tout, vous réclamez au moins un quinquennat de stabilité fiscale. Entendez-vous, oui ou non, modifier les dispositions du bouclier fiscal avant la fin du quinquennat ? Si la réponse est non, il ne sert à rien de discuter, et rendez-vous en 2012 !

M. François Goulard. De bons esprits affirment qu’il faudra, dans le cadre de la réforme des retraites, augmenter la CSG et la CRDS. Pour que cette augmentation soit acceptable par les Français, il conviendrait qu’elle soit exclue du bouclier fiscal ! Une telle mesure constituerait-elle une infraction au principe de stabilité fiscale que vous défendez ?

M. le ministre. Monsieur de Rugy, j’ai donné l’évolution du nombre de départs, et il est aisé de construire une courbe à partir des chiffres. Mais, je le répète, les conclusions que l’on pourrait en tirer risquent d’être démenties dans quelques mois.

Par ailleurs, le bouclier correspond à l’affirmation d’un principe. Il s’agit d’une mesure symbolique, eu égard aux sommes en jeu rapportées au budget de la France, eu égard au principe de ne pas travailler plus d’un jour sur deux pour l’État, et eu égard au nombre de contribuables concernés. Ne nous engageons donc pas sur le terrain de la productivité économique ou fiscale !

Monsieur Goulard, je n’ai, pour ma part, jamais tenu les propos que vous rapportez. Le débat sur l’augmentation de la CSG et de la CRDS n’est pas à l’ordre du jour. Notre politique budgétaire suit une ligne directrice claire : l’inflexion du déficit budgétaire, la non-augmentation des prélèvements obligatoires, le maintien du principe du bouclier fiscal. Les arbitrages à venir seront rendus dans ce cadre.

Mme Marie-Anne Montchamp. Malgré une amélioration liée à la moindre détérioration de la masse salariale que prévue cette année, le déficit cumulé de la sécurité sociale avoisinera les 100 milliards d’euros à la fin de la législature. Envisagez-vous de transférer ce déficit, à des fins de défaisance sociale, à la Caisse d'amortissement de la dette sociale – CADES – ?

Dans ce contexte, apporterez-vous un assouplissement au principe de la stabilité fiscale, sous peine d’être incompris de nos compatriotes, à qui nous devrons, en parallèle, demander un effort, notamment en matière de remboursements sociaux ?

Par ailleurs, lorsqu’il s’agira d’émettre des billets de trésorerie, comment s’engagera le dialogue avec les agences de notation, à qui il faudra préciser la durée du besoin de financement ? L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale – ACOSS – pourra-t-elle continuer à profiter de la note actuelle et de ses effets bénéfiques sur les taux d’intérêt ?

M. Daniel Garrigue. A-t-on évalué les conséquences du bouclier fiscal sur une éventuelle hausse de la CSG et de la CRDS ? Ce dispositif bloque tout débat sur la résorption du déficit public par une augmentation des recettes !

Mme Chantal Brunel. Certaines personnes bénéficient de déductions fiscales liées aux frais attachés à l’exercice de leur profession. Pourquoi ne pas les inclure dans le plafonnement des niches fiscales ?

Par ailleurs, un ancien Premier ministre a déclaré ce week-end qu’en intégrant la CSG et la CRDS, le bouclier fiscal se situait en réalité à un taux d’imposition de 38 %. Confirmez-vous ce chiffre ?

M. le ministre. Madame Montchamp, la réforme des retraites est décisive si nous voulons préserver notre modèle social et notre système par répartition, si nous voulons obtenir une réelle inflexion, voire une réduction de nos déficits publics, et si nous voulons respecter nos engagements envers l’Union européenne. Éric Woerth, qui est chargé de piloter cette réforme, vous fournira de plus amples détails. Pour ma part, je réunirai régulièrement les commissions prévues, afin de faire le point sur la situation de la CADES et sur le financement de la sécurité sociale.

S’agissant de la notation financière internationale, il n’y a pas de problème pour l’ACOSS et la CADES ; la Caisse des dépôts garantit la signature.

Monsieur Garrigue, chacun est libre d’exprimer ses opinions en participant au débat sur les prélèvements obligatoires et en envisageant leur augmentation. Toutefois, tel n’est pas le choix du Gouvernement et, s’agissant de la préparation du projet de loi de finances pour 2011, ma feuille de route ne comporte pas de mesure en ce sens.

Madame Brunel, les chiffres que vous citez découlent d’une mauvaise interprétation : on compare le « Villepin » à 60 % et le « Sarkozy » à 50 % ; de là les 38 %.

Quant aux frais professionnels, je ne souhaite pas anticiper sur les débats que nous aurons à l’occasion de la préparation du prochain projet de loi de finances.

M. Dominique Baert. Pourriez-vous nous communiquer la répartition géographique des bénéficiaires du bouclier fiscal ?

Depuis 2002, la part de l’impôt sur le revenu dans les recettes fiscales de l’État n’a cessé de diminuer, passant de 3,2 % à 2,6 % du PIB. À l’inverse, celle de la CSG, qui est un impôt proportionnel, s’est accrue. Cette remise en cause de la progressivité de l’impôt a été couronnée par la création du bouclier fiscal, puis par son abaissement et par son élargissement. Quelle sera la part de l’impôt sur le revenu dans la fiscalité de l’État dans les prochaines années ?

Le bouclier fiscal, la diminution des recettes, l’augmentation des dépenses et le creusement du déficit concourent à l’accroissement de la dette. Les derniers chiffres communiqués par votre ministère font état, à la fin mars 2010, d’une augmentation de 36 milliards d’euros, ainsi que d’un allongement de la durée moyenne de la dette, puisque l’État français vient d’émettre une obligation assimilable du Trésor (OAT) à 50 ans – à un taux toutefois relativement avantageux. Parmi les conséquences du bouclier fiscal, devons-nous craindre un allongement de la durée de la dette et, par conséquent, une plus grande rigidité financière pour l’État ?

M. René Couanau. Monsieur le ministre, j’éprouve quelque difficulté à me cantonner à un débat purement technique. Toutefois, votre sincérité a neutralisé l’un des principaux arguments en faveur du bouclier fiscal, puisque vous avez admis qu’il était difficile de mesurer son rôle dans les 318 retours enregistrés en 2008.

Le problème du bouclier fiscal, c’est qu’il constitue un verrou, qui bloque tout débat sur la fiscalité. Nous ne pouvons l’accepter. Le gage de stabilité ne serait-il donné qu’à ceux qui paient le plus d’impôts ? J’ai été éduqué dans l’esprit que la progressivité de l’impôt était l’un des fondements de notre démocratie. Or le bouclier fiscal ne me paraît pas une mesure dynamique !

Gouverner, c’est prévoir, et l’on peut prévoir que le verrou sera tiré – comme sur un fameux tableau. Le ministère des finances a-t-il commencé à réaliser des simulations sur les conséquences d’un remplacement du bouclier fiscal par une réforme de l’ISF et par la création d’une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu ?

Par ailleurs, ce n’est pas en esquivant la nature « politique » du débat que vous convaincrez les commissaires des finances de se contenter de vagues estimations. Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de bien vouloir nous communiquer à l’avenir, à la demande du président de la Commission des finances, les éléments comparatifs dont vous disposez sur les différents systèmes européens. Le débat pourra alors devenir véritablement technique.

M. Patrick Lemasle. Le gouvernement Villepin avait mis en place un bouclier fiscal plafonnant le niveau d’imposition à 60 % des revenus ; Nicolas Sarkozy et vous-mêmes affirmez que ce bouclier est désormais à 50 %. Pourtant, si l’on reprend les chiffres que vous avez cités tout à l’heure, et que l’on rapporte les 560 millions restitués aux 937 millions prélevés, les contribuables concernés n’ont payé que 377 millions d’euros, soit 40 %.

De surcroît, le bouclier fiscal est calculé par rapport au revenu fiscal net, c'est-à-dire une fois déduites toutes les niches fiscales. Le bouclier fiscal est donc en réalité inférieur à 40 %.

Pouvez-vous nous indiquer quel pourcentage de leurs revenus versent les contribuables les plus aisés ? J’imagine que, pour certains, le bouclier doit être à 35 %, voire à 30 % !

M. le ministre. S’agissant de la dette, monsieur Baert, la situation actuelle d’emprunt est très avantageuse, dans la mesure où les taux d’intérêt à court terme et, dans une moindre mesure, ceux à long terme, sont particulièrement bas, ce qui nous permet de contenir la charge de la dette. Dès la sortie de la crise, les taux vont augmenter. C’est pourquoi inscrire maintenant la charge de l’emprunt dans la durée est un gage de stabilité et de maîtrise.

Quant à l’impôt sur le revenu, il rapporte 47 milliards d’euros, contre 21 milliards pour l’impôt sur les sociétés – dont l’effondrement est l’une des causes de la dégradation des comptes publics.

Monsieur Couanau, le débat est tout à la fois politique et technique. Il s’agit d’une question de priorité : doit-on, oui ou non, maintenir la ligne budgétaire du Gouvernement ? En ce qui me concerne, je souhaite tenir le cap.

Pour le reste, la parole est libre. Je suis convaincu que le débat sur la fiscalité fera apparaître, à gauche comme à droite, des divergences d’appréciation. À titre personnel, je crois qu’il faut conserver le bouclier fiscal. L’argument de l’iniquité fiscale ne me semble pas solide, parce qu’il est certain que, sans le bouclier, l’évasion fiscale aurait été beaucoup plus importante.

M. Charles de Courson. À moins de supprimer l’ISF !

M. le ministre. Si l’on supprime l’ISF – hypothèse que je ne retiens pas –, le débat viendra sur la création d’une tranche supplémentaire d’imposition sur le revenu, à 45 ou 46 %, ce qui profitera aux rentiers et pénalisera les actifs. Le débat portera donc nécessairement sur une réforme plus globale.

M. René Couanau. D’où l’importance de disposer de chiffres !

M. le ministre. Les chiffres sont publics : le président de la Commission des finances et le rapporteur général peuvent vérifier sur pièces et sur place quand ils le souhaitent. Ils sont astreints au secret fiscal mais, pour le reste, la transparence est une exigence absolue. Entendons-nous sur les diagnostics et sur le calendrier, quitte à diverger sur les objectifs !

M. Louis Giscard d’Estaing. Que pensez-vous de la règle d’un niveau maximum de contribution fixée par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ?

S’agissant des montants concernés, les 937 millions d’euros correspondent au prélèvement net, déduction faite de la part remboursée ; la base est donc de 1,5 milliard d’euros. Pouvez-vous nous donner la ventilation du bouclier fiscal par type d’imposition – ISF sur la résidence principale, impôt sur le revenu, CSG-CRDS ?

De même, concernant le coût total de 174 millions d’euros pour la CSG et la CRDS, pouvez-vous nous donner la répartition entre les deux contributions ?

Enfin, dans son rapport sur les dégrèvements d’impôts locaux, Yves Fréville avait montré qu’un montant considérable était pris en charge directement par l’État. Il serait intéressant de rapprocher vos observations de ce phénomène.

M. Jean Launay. On a failli inclure la taxe carbone dans le bouclier fiscal ; prévoyez-vous de la faire renaître de ses cendres et, si oui, quand ?

Comment se répartissent les bénéficiaires du bouclier fiscal par classe d’âge ? S’agit-il de salariés ?

M. Jean-Yves Cousin. La CSG et la CRDS sont des prélèvements « sociaux », et non « fiscaux » : ne devraient-elles pas être exclues du bouclier « fiscal » ?

S’agissant du nombre de bénéficiaires, a-t-on atteint un palier ?

M. le ministre. S’agissant de la répartition géographique, 21 % des bénéficiaires du bouclier fiscal résident à la Réunion, 13 % à Paris et 4,3 % dans les Hauts-de-Seine ; le reste se répartit équitablement entre les départements restants. À la Réunion, de nombreux bénéficiaires ne payent pas l’ISF et disposent de peu de revenus – voire touchent les minima sociaux –, mais ils détiennent des arpents de grande valeur.

Le profil type du bénéficiaire est un homme de 52 ans vivant en région parisienne.

Quant au cas allemand, il s’agit d’une règle jurisprudentielle relative à la protection de la propriété privée. En France, nous avons privilégié l’intervention claire du législateur.

La CSG et la CRDS font partie, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, des « impositions de toutes natures » prévues par la Constitution.

Je vous transmettrai la ventilation par impôts du bouclier fiscal.

La taxe carbone sera mise en place lorsque tous les partenaires européens seront d’accord. Nous serons donc amenés à en reparler.

Sur la TVA sociale, je ne rouvrirai pas le débat. Au fond, ceux qui étaient favorables à la taxe carbone étaient favorables à la TVA sociale, et ceux qui regrettent la taxe carbone souhaitent relancer la TVA sociale.

M. le président Jérôme Cahuzac. Nous en venons à la situation des comptes publics en 2009.

J’aurai à ce sujet deux questions à vous poser, monsieur le ministre.

D’une part, comment se décompose le solde par sous-secteur : État, administrations de sécurité sociale et collectivités locales – sachant que ces dernières semblent s’être moins endettées l’année dernière, ce qui peut faire craindre une baisse de leurs investissements, remettant en cause la pertinence de la stratégie gouvernementale fondée sur une relance par l’investissement ?

D’autre part, disposez-vous d’éléments concernant la taxe sur les bonus, qu’il s’agisse de son assiette ou de son taux ? Quand son recouvrement entrera-t-il en compte ?

M. le rapporteur général. Je souhaite préalablement revenir rapidement sur les chiffres concernant le bouclier fiscal.

Les restitutions dues au bouclier fiscal sont liées à l’ISF. Sur un montant total de 585 millions d’euros, 511 millions ont été restitués à seulement 3 000 contribuables, détenteurs de patrimoines supérieurs à 7,5 millions d’euros. Le bouclier fiscal est donc bien le prolongement du plafonnement de l’ISF, mis en place en 1988.

Si l’on veut régler cette question, il faut donc régler le problème de l’ISF, ce qui est d’autant plus urgent que la France est le dernier pays d’Europe à pratiquer des taux aussi confiscatoires. Je vous fournirai bientôt des données chiffrées relatives à la suppression de l’ISF, à la suppression du bouclier fiscal, à l’instauration d’une tranche supplémentaire d’imposition sur le revenu, et à un certain nombre de dispositions sur la fiscalité du patrimoine directement issues du rapport de Philippe Séguin. Nous disposerons ainsi des éléments nécessaires pour nous faire une opinion.

Nous ne pouvons pas continuer à examiner, à chaque réunion, l’ensemble des problèmes de finances publiques à travers le seul prisme du bouclier fiscal, qui ne représente qu’un peu plus de 580 millions d’euros ! Il faut sortir de ce blocage !

Lors de l’examen du projet de loi de finances, la Commission avait jugé à sa quasi-unanimité que, si la CRDS était augmentée, cette augmentation ne devrait pas être incluse dans le bouclier. Cette position d’attente n’est toutefois pas satisfaisante, eu égard aux problèmes posés par une fiscalité de plus ne plus inadaptée et éloignée de celle des autres pays européens.

Alors que, sur l’impôt sur les sociétés ou sur l’impôt sur le revenu, on est arrivé à des standards européens, nous sommes, pour des raisons purement idéologiques, incapables de trouver une solution satisfaisante en matière de fiscalité du patrimoine. J’espère que nous parviendrons à régler ce problème ; en tout cas, je ferai des propositions précises en ce sens.

M. le président Jérôme Cahuzac. Je vous remercie, monsieur le rapporteur général, pour votre mise au point. J’en suis d’accord : le coût du bouclier fiscal ne concerne quasiment que des contribuables éligibles à l’ISF ; parler des quelques milliers de contribuables qui en bénéficient sans être soumis à l’ISF n’est qu’un alibi !

M. le rapporteur général. Voyez combien il est difficile de parler sereinement de ces questions !

J’en viens maintenant aux comptes publics de 2009.

La bonne nouvelle, c’est que le déficit, au sens de Maastricht, n’atteindrait selon l’INSEE « que » 7,5 % du PIB, et non 7,9 % comme prévu, ce qui représente une différence de près de 10 milliards d’euros. La comparaison avec le reste des pays européens est très honorable, même si le déficit allemand est de 6 %.

D’où vient ce bon résultat ? Comment se décompose-t-il, entre les comptes de l’État, ceux des administrations de sécurité sociale et ceux des collectivités locales ? Est-il dû prioritairement à une hausse des recettes ou à une diminution des dépenses ?

Le besoin de financement des collectivités locales a fortement décru entre 2008 et 2009, passant de 8,7 milliards à 5,6 milliards d’euros. Voilà qui est surprenant, au moment où l’on entend les départements – en particulier la Seine-Saint-Denis – dire que la situation n’a jamais été aussi difficile ! Il convient d’analyser ce résultat.

En 2009, la plupart des collectivités locales ont passé des conventions avec l’État pour bénéficier du remboursement de la TVA, non seulement au titre de 2007, mais également au titre de 2008 – soit 3,8 milliards d’euros pour cette seule année. Comme leurs fonds de roulement ont dans le même temps augmenté de 3,1 milliards d’euros, cela laisse à penser que les remboursements du Fonds de compensation pour la TVA – le FCTVA – n’ont pas été consacrés à des investissements. Il y a deux explications possibles : soit ceux-ci ont été différés, auquel cas le besoin de financement risque d’augmenter de nouveau en 2010 ; soit les investissements ayant justifié le remboursement anticipé au titre de l’année 2008 vont être abandonnés, auquel cas les collectivités concernées ne respecteront pas leurs engagements.

Les résultats de 2009 ne devraient-il pas conduire le Gouvernement à modifier les prévisions pour 2010, qui tablent actuellement sur un déficit de 8,2 % du PIB, lequel nous fait « décrocher » par rapport à l’Allemagne ; or, au-delà des chiffres bruts, c’est l’écart de trajectoire entre nos deux pays qui risque de provoquer l’augmentation des taux d’intérêt et l’élargissement du spread, lequel, au cours de ces trois dernières années, était resté pratiquement stable.

M. le ministre. La publication des chiffres de l’INSEE est une nouvelle appréciable, dans la mesure où ils nous permettent d’être au rendez-vous des engagements pris envers nos partenaires européens dans le cadre de la préparation du budget triennal.

Ces bons résultats sont dus d’abord à une meilleure tenue des recettes en fin d’année, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros : il s’agit pour l’essentiel de la TVA, dont les recettes perçues en 2010 sont comptabilisées sur l’année 2009.

Ils sont également liés en partie au ralentissement du besoin de financement des collectivités locales. Il s’agit d’un effet positif du plan de relance : le remboursement anticipé du FCTVA a permis de doper les investissements locaux sans alourdir la charge de l’emprunt à l’échelle locale, c’est-à-dire sans alourdir le montant global de notre déficit. On peut se féliciter d’avoir conçu un dispositif simple et efficace, qui a permis de maintenir hors de l’eau de nombreux secteurs d’activité. Si l’on doit l’adapter – ce qui est actuellement soumis à l’arbitrage –, nous devrons le faire dans des proportions mesurées et explicables.

Pour le reste, je n’entrerai pas dans les détails. Certaines explications relèvent spécifiquement du traitement comptable, avec des corrections opérées sur le dividende exceptionnel versé par GDF-Suez, sur les charges d’emprunt de la CADES, sur les dépenses liées à la grippe A et sur les revenus de placement pour les régimes de retraite complémentaire, pour un total de 2 milliards d’euros.

S’agissant de la répartition par sous-secteur, le déficit de l’État s’établit à 6,1 % du PIB, celui des collectivités locales à 0,3 %, celui de la sécurité sociale à 1,3 %, tandis que les organismes divers d’administration centrale enregistrent un solde positif de 0,2 %.

La relative stabilité, par rapport aux prévisions, du solde des administrations de sécurité sociale découle à la fois d’une meilleure tenue des recettes, du fait d’une dégradation de la situation économique moins forte que prévue, et de la faiblesse des revenus de placement, principalement liés aux excédents passés mis en réserve par les régimes de retraite complémentaire. Nous ne disposons pas à l’heure actuelle des résultats détaillés pour chacune des composantes des administrations de sécurité sociale mais, selon une première estimation provisoire, on estime que le déficit du régime général serait de 20,2 milliards d’euros.

Le remboursement anticipé du FCTVA a eu un effet positif de 3,8 milliards sur le solde des collectivités territoriales ; il faudra tenir compte de cet élément.

L’explication de la hausse de plus de 3 milliards d’euros des dépôts des collectivités nécessite une certaine prudence, dans la mesure où la crise économique a provoqué une baisse de certaines recettes et que certaines collectivités territoriales se trouvent dans une situation délicate.

Une mission sur les finances des départements fragilisés par la crise a été confiée à Pierre Jamet, qui remettra son rapport dans deux ou trois semaines. Pour le reste, je renvoie à la déclaration d’Alain Marleix, qui a rappelé le droit en la matière. Cela étant, une fois les conclusions de la mission Jamet connues, je recevrai les représentants des collectivités locales pour en discuter avec eux.

Je conçois que la présentation d’un budget en déficit puisse avoir un effet spectaculaire, mais il est de l’intérêt de tous de veiller à ce que les collectivités territoriales retrouvent le chemin de l’équilibre budgétaire. Nous aurons des réunions de travail et nous devons parvenir à un rétablissement de relations saines entre collectivités territoriales et État.

M. Pierre-Alain Muet. Le décrochage par rapport à l’Allemagne n’est pas nouveau : en 2008, avant la crise, l’Allemagne était revenue à l’équilibre budgétaire, alors que le déficit de la France atteignait 3,4 % du PIB. Il est vrai que l’écart risque de s’aggraver encore en 2010.

Monsieur le ministre, vous dites que l’augmentation des prélèvements obligatoires ne figure pas sur votre feuille de route ; pourtant, dans le même temps, vous évoquez la présentation d’un budget triennal, qui prévoit d’ici à 2013 une hausse de deux points – environ 40 milliards d’euros – des prélèvements obligatoires. N’est-ce pas contradictoire ?

M. le ministre. Non, car cette prévision est fondée sur l’élasticité des recettes fiscales et nous faisons le pari vertueux d’une relance de la croissance. En 2009, la situation des comptes publics a été détériorée par l’effondrement des recettes fiscales, en particulier de celles liées à l’impôt sur les sociétés, qui ont chuté de près de 20 milliards d’euros. Dès que la croissance reprendra, les choses s’amélioreront.

On peut estimer que les prévisions du budget triennal, qui tablent sur une croissance de 2,5 %, sont quelque peu audacieuses ; du moins font-elles preuve de volontarisme. Si la croissance est plus faible, c’est l’ensemble de la zone euro qui en pâtira ; le problème ne sera pas spécifique à la France.

M. Pierre-Alain Muet. Une telle élasticité des recettes fiscales serait inédite !

M. le président Jérôme Cahuzac. De fait, même si l’on admet l’hypothèse d’une croissance de 2,5 % en 2011 et en 2012, il faudrait, pour obtenir une augmentation de 46 milliards des recettes fiscales à assiette et taux d’imposition constants, une élasticité des recettes fiscales à la croissance qui n’a, à ma connaissance, jamais été observée. Connaissez-vous des précédents en la matière ?

M. le ministre. La situation que nous venons de connaître est précisément un exemple d’élasticité spectaculaire : on n’a jamais observé dans l’histoire une chute aussi brutale, ni aussi rapide, des recettes liées à l’impôt sur les sociétés ! Nous faisons le pari que, si les choses sont allées dans un sens, elles pourront aller dans l’autre…

M. le président Jérôme Cahuzac. Au moins votre modèle a-t-il l’avantage de la symétrie, que les Français apprécieront en esthètes !

M. Charles de Courson. Le Président de la République a souhaité, lors de la conférence nationale sur les déficits publics, le 28 janvier dernier, que la France se dote d’« une règle d’équilibre pour l’ensemble de ses administrations ». Un groupe de travail présidé par M. Camdessus, ancien directeur général du FMI, doit préciser les modalités d’application de cette règle.

Le groupe Nouveau Centre s’étant battu pour la constitutionnalisation de la « règle d’or », c’est-à-dire l’inscription de l’obligation de respect de l’équilibre du budget de fonctionnement dans les lois organiques relatives tant aux lois de finances qu’aux lois de financement de la sécurité sociale, il se félicite de cette prise de position présidentielle. Toutefois, pouvez-vous nous préciser quel sera le contenu de cette règle ? Dans quel texte envisagez-vous l’intégration d’une telle disposition ? À compter de quel exercice budgétaire cette règle sera-t-elle mise en œuvre ?

Par ailleurs, face à l’impérieuse nécessité du redressement des finances publiques, le groupe Nouveau Centre juge nécessaires de 15 à 20 milliards d’euros d’économies ou de recettes fiscales supplémentaires, cumulatives sur les trois prochaines années. À cette fin, nous avions préconisé cinq mesures, dont la réduction de 5 milliards par an du coût des niches fiscales, qui s’élève à 73 milliards d’euros, et de 2 milliards par an du coût des niches sociales, qui est d’environ 41 milliards d’euros. Dans le programme de stabilité, le Gouvernement ne propose qu’une réduction de 2 milliards d’euros par an, cumulatifs, du coût des « niches fiscales et sociales ». Pourriez-vous préciser vos intentions en la matière ? Suivant quelles modalités la Commission des finances sera-t-elle associée à cette orientation ? Pourquoi limiter l’effort à 2 milliards d’euros par an, s’agissant de dépenses fiscales et sociales atteignant 114 milliards d’euros ?

Enfin, dans le même programme de stabilité transmis à la Commission en janvier dernier, le Gouvernement affiche un objectif de réduction du déficit public de 8,2 % du PIB en 2010 à 3 % en 2013, grâce à un double mouvement : une hausse de 2 points des prélèvements obligatoires, de 41 % du PIB en 2010 à 43 % en 2013, et une baisse de 3 points des dépenses publiques, de 55,8 % du PIB en 2010 à 52,8 % en 2013, portant, à hauteur de 1,2 point, sur la rémunération de l’ensemble des fonctionnaires. Comment allez-vous atteindre ce double objectif ?

Je précise que les 2 points de hausse des prélèvements obligatoires correspondent, pour 1,1 point, à une augmentation des recettes des impôts courants sur le revenu et le patrimoine, de 10,4 % du PIB en 2010 à 11,5 % en 2011 – ce qui signifie que l’on renonce à toute mesure fiscale nouvelle et qu’on laisse jouer à la hausse l’élasticité très forte de l’impôt sur le revenu –, et, pour 0,7 point, à une augmentation des recettes des impôts sur la production et les importations. Ce dernier chiffre nous paraît trop élevé, car l’hypothèse d’une croissance de 2,5 % en volume en 2011, en 2012 et en 2013 est en contradiction avec la position adoptée par le Gouvernement lors de la préparation de la loi de finances pour 2010, puisque l’exposé des motifs du texte faisait alors état d’une croissance potentielle maximale de 1,8 %. Obtenir une augmentation de 0,7 point alors qu’il y a une chute de l’investissement, la Commission européenne elle-même n’y croit pas ! Elle en a d’ailleurs fait l’observation au Gouvernement français.

M. le ministre. Nous sommes au cœur du débat qui animera la préparation de la prochaine loi de finances. Ce sera un grand rendez-vous, pour le Gouvernement et pour la France, qui devra confirmer ses engagements européens.

Personne ne nie le caractère ambitieux de notre programme ; mais personne, que ce soit à la Commission européenne ou dans les agences de notation, ne nie non plus notre sérieux et notre volontarisme. La publication des résultats de l’INSEE et l’évocation que nous en faisons ici sont bien d’ailleurs le message que la France sera présente aux rendez-vous fixés. Tel est mon seul et unique souci.

Dans cette optique, le budget de 2011 devra être un budget d’inflexion nette en matière de déficits publics. Je ne peux pas vous dire, à l’heure actuelle, quelle forme cette ambition prendra, quel calendrier sera retenu, ni quelles niches sociales et fiscales seront concernées. Mais ce débat aura lieu.

S’agissant des niches fiscales, je préfère, en tant qu’ancien ministre de l’outre-mer, utiliser le terme de « dépenses fiscales ». Certaines ont des vertus, mais il est incontestable que ce n’est pas le cas de toutes.

Nos objectifs généraux sont d’infléchir le déficit budgétaire, de tenir nos engagements relatifs aux dépenses sociales et fiscales, de respecter la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et de fixer le cadre d’application de la règle du « zéro volume », qui vise à limiter la progression des dépenses publiques au niveau de l’inflation. Nous verrons les détails ultérieurement.

Un premier rendez-vous sera la conférence des finances publiques, à l’occasion de laquelle seront remis les rapports relatifs à l’inscription dans notre loi fondamentale de l’obligation ou de l’objectif d’équilibre budgétaire. Ce projet suppose une révision constitutionnelle. À tout le moins, le débat ne peut qu’être vertueux.

M. Charles de Courson. Une loi organique suffirait !

M. le ministre. Une partie des responsables politiques considèrent qu’en inscrivant une telle règle dans la loi fondamentale, ils perdraient leur possibilité d’action : l’acte politique le plus important est en effet le vote du budget, qui fixe les priorités politiques. Personne de sérieux n’inscrira une obligation sans prévoir de clause exceptionnelle. Si un tel dispositif avait été instauré avant la crise, comment aurions-nous fait ?

M. Charles de Courson. Il faut bien évidemment prévoir des circonstances exceptionnelles !

M. le ministre. Là est précisément le débat : comment définir les circonstances exceptionnelles ?

Du moins ce débat aura-t-il la vertu de faire comprendre que, vu l’état de nos finances publiques, le déficit budgétaire n’est pas le problème du seul ministre du budget, mais du Gouvernement, de la représentation nationale et de tous les Français.

M. le président Jérôme Cahuzac. L’inscription d’une règle d’or dans la Constitution ne reviendrait-elle pas à faire du Conseil constitutionnel le juge de la pertinence de certaines hypothèses économiques ? Je ne suis pas certain qu’il faille aller dans cette direction !

M. Claude Bartolone. Cet après-midi, l’Assemblée des départements de France s’est réunie afin d’évoquer la situation dans laquelle risquent de se trouver les départements cette année.

La situation de la Seine-Saint-Denis est toutefois spécifique, dans la mesure où il s’agit, selon l’INSEE, du département le plus jeune et le plus pauvre. Cette année, nous serons obligés de réduire l’investissement de près de 10 %, d’augmenter les taux d’imposition de près de 6 % et de réaliser 130 millions d’économie sur le budget de fonctionnement, car la différence entre ce que nous coûteront les trois prestations que nous accomplissons au nom de l’État et ce que celui-ci nous reversera atteindra le montant record de 169 millions d’euros !

Nous subissons une dégradation conjoncturelle qui provient du fait qu’en raison de la suppression de la taxe professionnelle, nous ne bénéficierons pas de l’augmentation des recettes attendues et que, de surcroît, nous devrons payer 36 millions d’euros supplémentaires au titre du ticket modérateur. Voilà ce qui amène mon département à être le premier d’une longue liste à connaître ces difficultés.

M. le ministre. Dont acte !

M. Jean-Claude Mathis. Vous avez évoqué la règle du « zéro volume » ; ne serait-il pas temps de fixer l’objectif de « zéro valeur » ? C’est ce que nous avions tenté de faire, en 2005-2006, avec Thierry Breton et Jean-François Copé , et nous avions alors contenu la dépense publique à 0,7 %, alors que l’inflation était prévue à 1,7 %.

M. le ministre. Si je parviens à passer du « zéro volume » au « zéro valeur » en l’espace d’un exercice, cela restera dans les annales !

En revanche, l’ouverture de ce débat permettra de faire évoluer les mentalités.

M. Jérôme Chartier. Les prochains rendez-vous seront effectivement très importants, d’autant que la France a réduit l’écart par rapport à l’Allemagne : lorsque l’Allemagne emprunte au taux de 2,65 %, la France emprunte à 2,90 %, ce qui souligne le sérieux dont les marchés créditent la France.

Le 29 mars, la Grèce a emprunté sur les marchés 20 milliards d’euros, au taux de 6 %, sur sept ans. En l’espace d’une semaine, le taux est passé à 7,15 %, soit 1,15 point de plus ! Cela montre combien nous avons intérêt à respecter nos rendez-vous, sous peine de perdre notre crédibilité. La réaction des marchés est immédiate, avec des conséquences directes sur le taux pratiqué et sur le spread. Lorsqu’on emprunte, comme la France, 250 milliards d’euros sur les marchés, on a intérêt à le faire dans les meilleures conditions possibles.

M. le ministre. Je suis tout à fait d’accord.

M. René Couanau. Dans la perspective de la préparation de la prochaine loi de finances, il serait intéressant de disposer d’éléments d’information sur les conséquences financières de la RGPP et de la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, de manière que nous puissions comparer leur impact sur les finances publiques avec les résultats obtenus sur les niches fiscales.

M. le ministre. J’y veillerai, et serai particulièrement attentif à vos observations sur le sujet.

M. le président Jérôme Cahuzac. Monsieur le ministre, je vous remercie.

Avant de lever la séance, je voudrais répondre à la remarque liminaire de notre collègue François Scellier.

Monsieur Scellier, il m’est difficile de commenter, et encore moins d’assumer des commentaires de presse sur une demande d’audition du ministre du budget par la Commission des finances. La manière dont le ministre a lui-même présenté cette audition me semble être une réponse à vos interrogations.

Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 6 avril 2010 à 17 heures

Présents. - M. Dominique Baert, M. Claude Bartolone, M. Xavier Bertrand, M. Jean-Marie Binetruy, M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, Mme Chantal Brunel, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Yves Censi, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. René Couanau, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Olivier Dassault, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Christian Eckert, Mme Aurélie Filippetti, M. Marc Francina, M. Daniel Garrigue, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, M. François Goulard, M. David Habib, M. Laurent Hénart, M. François Hollande, M. Marc Laffineur, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Marc Le Fur, M. Patrick Lemasle, M. Richard Mallié, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Jean-Claude Mathis, Mme Marie-Anne Montchamp, M. Pierre-Alain Muet, Mme Béatrice Pavy, M. Jacques Pélissard, M. Camille de Rocca Serra, M. François de Rugy, M. François Scellier

Excusés. - Mme Arlette Grosskost, M. Jean-Louis Idiart, M. Michel Vergnier

Assistaient également à la réunion. - Mme Martine Faure, Mme Françoise Imbert

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