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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 19 mai 2010

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 73

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Vice-Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Hubert du Mesnil, président de Réseau ferré de France (RFF) sur l’évolution du modèle économique de RFF

–  Présences en réunion

La Commission entend M. Hubert du Mesnil, président de Réseau ferré de France (RFF) sur l’évolution du modèle économique de RFF.

M. Louis Giscard d’Estaing, président. Nous accueillons M. Hubert du Mesnil, président de Réseau ferré de France, que je prie de bien vouloir excuser l’absence du Président Jérôme Cahuzac, retenu en séance publique.

Si l’entreprise a enregistré en 2009, pour la première fois depuis sa création en 1997, un résultat net bénéficiaire, son équilibre financier demeure toutefois fragile. Comme RFF le souligne lui-même, c’est à l’allègement du coût de la dette due à la baisse des taux d’intérêt que nous devons l’excédent de 2009. Notre réunion porte donc, selon votre proposition, monsieur le président, sur le modèle économique de RFF.

Une question centrale est à l’évidence celle des relations de l’entreprise avec son unique client actuel, la SNCF, qui a enregistré, en 2009, dans un contexte d’essoufflement de la rentabilité du TGV, des pertes qu’elle impute en grande partie à l’augmentation de tarifs de péages pratiqués par RFF.

Une autre question importante pour l’avenir est celle de la poursuite de la montée des investissements de modernisation et de développement du réseau, qui est au cœur de votre mission.

M. Hubert du Mesnil, président de Réseau ferré de France. Je me contenterai d’aborder quelques points afin de lancer la discussion sur un sujet fort complexe. Quel est l’impact de la conjoncture sur notre activité et notre situation ? Que peut-on dire des problèmes de fond et d’équilibre économique de ce réseau, de son avenir, de son développement et de ses investissements ?

Nous avons un métier de gestionnaire de réseau et nous amortissons les effets de la crise. Très concrètement, l’année dernière, la crise n’a pas eu d’impact sur le nombre de trains de voyageurs. En revanche, elle en a eu sur le trafic de fret, qui a perdu 25 %. Mais le fret nous rapportant très peu en péages – 160 millions d’euros sur 3 milliards –, cette perte ne s’est pas beaucoup ressentie.

Il peut sembler indécent de traverser la crise sans trop de dommages et avec des résultats positifs en grande partie conformes à nos prévisions, d’autant que la baisse des taux d’intérêt nous a fait économiser pratiquement 300 millions d’euros. Il faut ajouter que les gestionnaires d’infrastructures que nous sommes sont moins sensibles que les transporteurs, qui « sur réagissent » aux effets de la crise ; c’est le cas de la SNCF et d’Air France. Nous n’avons donc pas grand mérite à faire ce constat. Malgré tout, nous avons joué un rôle positif d’amortisseur puisque nous avons contribué au plan de relance et atteint l’an dernier 100 % de notre objectif de croissance d’investissement. Ainsi, 3,4 milliards d’euros ont été investis dans le réseau, ce qui constitue un record.

Nous avons aussi ressenti en 2009 les effets de la restructuration financière décidée par le Parlement : jusque-là, RFF était subventionné sur différentes lignes comptables par l’État et ces lignes ont été regroupées et retracées dans le compte de résultat. Cela a entraîné une amélioration mécanique de notre résultat, les subventions qui apparaissaient en investissement passant de la sorte en résultats. Cette amélioration va toutefois au-delà des apparences car, s’il n’y a pas un euro de plus dans la caisse, notre résultat ressemble davantage à un résultat d’entreprise et il est positif, ce qui signifie que nous disposons d’une capacité d’autofinancement. Cela a amené l’État à nous confier la responsabilité de piloter la rénovation du réseau, en en assurant nous-mêmes le financement – en recourant également à l’emprunt en cas de besoin –, alors que vous votiez précédemment une subvention annuelle de renouvellement du réseau, financée à 100 % par l’État, ce qui faisait de ce dernier le pilote de la rénovation du réseau. Maintenant, il nous apporte un complément de chiffre d’affaires, ce qui créée une capacité d’autofinancement. Notre structure de comptes ressemble davantage à une structure d’entreprise, qui dégage, en résultat, une capacité de financement. L’entreprise a une politique d’investissement et de renouvellement de son réseau, qu’elle décide en fonction de critères de performance ou de critères d’évaluation économique.

Nous percevons environ 3 milliards d’euros de recettes commerciales au titre des péages, auxquels s’ajoutent 2,3 milliards de subvention complémentaire de l’État.

Notre dette atteint 28 milliards d’euros dont 7 milliards de dette créée par RFF pour financer des projets d’investissement et un stock compris entre 21 et 22 milliards qu’il nous faut gérer.

Le contrat de performance avait pour objectifs que nous nous mettions d’accord avec l’État sur les grandes orientations stratégiques de l’entreprise ; que nous disposions d’un plan d’affaires, c’est-à-dire de prévisions de recettes, de dépenses, d’activité et de résultats, pour quatre ou cinq ans ; que nous élaborions une trajectoire de long terme pour savoir où tout cela nous mène.

Conformément aux objectifs que l’État nous confie, notre priorité est d’ouvrir le réseau à la concurrence – 15 % des parts de marché du trafic de fret sont assurés par d’autres entreprises que la SNCF et le trafic de voyageurs s’ouvre progressivement – et de nous inscrire dans un marché européen en matière de transport, mais aussi d’ingénierie et de conception, y compris en nous adressant à de nouveaux acteurs, grâce notamment à des partenariats public-privé(PPP). Il nous revient aussi de rénover et de moderniser un réseau souvent ancien, obsolète et inadapté. Nous devons également bâtir l’équilibre économique de ce réseau. Il nous revient enfin de faire œuvre de développement durable.

À mon sens, ces quatre orientations stratégiques ne sont remises en cause ni par l’État ni par la conjoncture. Si la trajectoire doit sans doute être revue, les prévisions d’activité ne sont toutefois pas bousculées par la crise, notre contrat de performance étant bâti sur une hypothèse de quasi stagnation du nombre de trains. En effet, contrairement à ce que tout le monde croit, il n’y a pas de plus en plus de trains sur le réseau : depuis un certain nombre d’années, le nombre des trains de fret diminue et quand on met des TGV sur une nouvelle ligne, on supprime les trains classiques, les Corail. Seul le nombre des trains régionaux progresse de façon continue.

Ce n’est donc pas la conjoncture qui peut remettre en cause notre trajectoire, mais l’évolution de nos coûts et de nos recettes. En fait, tout dépend de notre capacité à maîtriser les coûts et, en termes de recettes, de l’évolution favorable du couple « péages plus subventions ». Or ce n’est pas ce qui se passe. D’une part, les coûts d’entretien du réseau, que nous prenons en charge pour la SNCF, augmentent constamment, de 3 à 4 % par an, soit plus que l’indexation du BTP et plus que l’inflation. D’autre part, si les péages ont augmenté les subventions ont diminué parallèlement et nos recettes demeurent ainsi inchangées. De la sorte, le système dérive structurellement.

Il faudra donc dans l’avenir corriger cette situation, afin que nous puissions continuer à faire face à notre endettement. Dans la mesure où, même en temps de crise, nous n’avons pas de difficultés à trouver de l’argent pour réemprunter et refinancer les échéances, nous pensions en effet être capables de commencer à résorber cette dette d’ici une quinzaine d’années.

En somme, si l’on est sur une trajectoire de dérive, la dette augmente et on ne sait plus où l’on va ; si l’on est sur une trajectoire de stabilisation et de réduction, ce n’est pas grave car on sait trouver de l’argent pour refinancer. Ou l’on dérive, ou l’on converge…

Dans notre contrat de performance, la convergence devait se produire à l’horizon de 2022-2023. Or, nous sommes partis pour diverger à nouveau puisque la progression des péages est annihilée par la baisse des subventions ; ces trois ou quatre dernières années, nous avons perdu à peu près 300 millions de subventions, soit l’équivalent de 10 % du montant des péages.

Comment faire évoluer ce modèle ? Telle est la question qui se pose à tous, notamment au Parlement.

Pour revenir « dans les clous », on peut imaginer que l’on laisse RFF et la SNCF bâtir leur mode de fonctionnement : ils peuvent, dans la durée, parvenir à un équilibre et éponger durablement leur dette, à condition que les recettes soient en augmentation. À défaut, la hausse des péages ne pouvant compenser la baisse des subventions, la trajectoire de la dette recommencerait à dériver et notre actif se déprécierait.

Il y a trois ou quatre ans, nous avons connu la même situation que la SNCF l’année dernière. Avant le contrat de performance, nous avions dû déprécier la valeur de notre actif, à savoir notre réseau, d’environ une dizaine de milliards d’euros. Lorsque nous avons passé le contrat de performance, les commissaires aux comptes ont accepté la réappréciation de notre actif, considérant qu’en raison de cette trajectoire de stabilisation et de réduction de la dette, nous pouvions atteindre l’équilibre économique à moyen terme.

Si cet équilibre économique n’est plus possible parce que nous sommes à nouveau en situation de divergence, nous allons être obligés de déprécier à nouveau notre actif, en portant en résultat 10 milliards d’euros de pertes. Et l’on peut se demander, dans un tel scénario, comment serait appréciée une dette inscrite dans un bilan dont les actifs auraient été détruits.

D’une certaine manière, en gardant pour lui la dette, au motif qu’il peut, à terme, en faire son affaire, RFF protège aujourd’hui l’État. Si ce n’est plus le cas, parce que notre actif est considéré comme incapable de porter cette dette, parce qu’il n’a plus de valeur, parce les recettes ne couvrent plus les dépenses, le système risque de s’écrouler. En tout cas, l’entreprise RFF n’ira pas bien et l’État pas beaucoup mieux…

M. Louis Giscard d’Estaing, président. Faites-vous référence à un actif incorporel ou à un actif lié à votre réseau ?

M. Hubert du Mesnil. L’actif, c’est la propriété du réseau, soit 30 000 km de lignes plus les terrains, qui sont inscrits dans le bilan en fonction de leur capacité à dégager du cash flow.

M. Yves Censi. Êtes-vous en train de dire que cet actif perd de la valeur ?

M. Hubert du Mesnil. Dans le contrat de performance, on a considéré que cet actif avait de la valeur parce qu’il était capable d’engendrer durablement, ou en tout cas à terme, des recettes qui couvriraient ses dépenses. L’idée était de couvrir le coût complet du réseau, soit les 6,2 milliards nécessaires chaque année pour l’entretenir, le faire fonctionner et le renouveler dans le temps. Or actuellement la totalité de nos recettes (subventions plus péages) atteint environ 5,5 ou 5,6 milliards. Il nous manque donc 500 à 600 millions d’euros de recettes pour parvenir à l’équilibre.

Le contrat fixait cet équilibre comme objectif parce que le réseau avait une valeur dans la mesure où il permettait à un horizon donné de dégager du cash flow permettant d’en couvrir le coût. Si ce n’est plus le cas, si cet horizon disparaît, la valeur du réseau est détruite.

M. Patrick Persuy, directeur général adjoint en charge du pôle finance et achats de RFF. La trajectoire du contrat de performance était de mettre progressivement un peu plus en adéquation les coûts et les recettes. En poursuivant cette trajectoire et en améliorant la productivité par un effort sur les coûts et une augmentation des recettes budgétaires et commerciales, on aboutissait à un équilibre coûts/recettes entre 2015 et 2020. C’est ce qui nous permet de dire que nos actifs ont bien la valeur qu’ils ont dans nos comptes.

M. Yves Censi. Il est un objectif que vous n’avez pas évoqué : l’aménagement et le développement du territoire. Les contraintes d’équilibre économique, notamment la nécessaire sauvegarde des actifs, pourraient-elles vous amener à perdre de vue cet objectif dont vous êtes un acteur important, à côté de la SNCF et des régions ?

Par ailleurs, certains projets de TER sont financés à 5 ou 10 % par RFF, le reste par les collectivités, notamment par les conseils régionaux, dont les participations apparaissent en subventions. Est-ce parce que leur part est insignifiante que vous ne les avez pas évoquées ?

M. Hubert du Mesnil. Le réseau couvre l’ensemble du territoire. Au chapitre « développement durable » du contrat de performance, on peut lire que « l’évolution du réseau doit être conçue comme étant un outil au service du développement de la Nation, dont l’évolution est décidée avec l’État ». Tout naturellement, quand on propose de faire une ligne nouvelle, c’est l’État qui apprécie. Par exemple, pour doubler la ligne Paris-Lyon, on peut passer par une région ou par une autre. C’est une œuvre d’aménagement du territoire qui résulte d’un débat à caractère politique. Cela ne nous pose pas de difficulté, dans la mesure où les choix du réseau sont largement des choix de l’État, des choix publics discutés avec les élus et avec le Gouvernement.

En revanche, se pose la question de l’opportunité de garder des petites lignes : certaines font moins de 30 kilomètres, il n’y circule qu’un ou deux trains par jour et elles longent parfois une autoroute. C’est un aspect de l’aménagement du territoire qu’il ne faut pas négliger. Mais cette question ne fait pas obstacle au dialogue avec les autorités publiques.

Il est incontestable que les régions jouent maintenant un rôle très important en matière ferroviaire. Elles sont autorités organisatrices et nos premiers clients puisque c’est uniquement dans ce cadre que le nombre des trains augmente. Nous avons d’autant plus de considération pour elles qu’en cofinançant les grands projets, elles en sont parties prenantes.

M. Yves Censi. Elles peuvent être initiatrices.

M. Hubert du Mesnil. Absolument, et de plus en plus. C’est une évolution très importante : dans un pays où l’on avait une vision très nationale et très parisienne des choses, on voit apparaître une force régionale qui s’exprime, prend position sur une politique de transport ferroviaire régional, mais aussi sur une politique de réseau.

Certains peuvent trouver que cela rend les choses plus compliquées. Je considère pour ma part que c’est une évolution heureuse. Certes, il est plus difficile de financer un projet en opérant un tour de table avec 15 ou 20 collectivités locales – 55 pour la LGV Bordeaux-Tours ! Mais en menant un dialogue avec l’ensemble des collectivités parties prenantes, on peut bâtir un bon projet, par exemple en disposant d’une vision intermodale globale.

L’approche française, qui est certainement plus complexe, avec une multitude d’intervenants et de cofinanceurs, a au moins la vertu de donner la parole à différents acteurs du développement, de l’aménagement ou du transport, autour d’un projet commun.

Enfin, les régions participent aux investissements et apportent donc des contributions publiques aux investissements. Les chiffres que j’ai donnés tout à l’heure sont des contributions d’exploitation – 3 milliards de péages et 2,3 milliards de subventions de l’État pour l’équilibre du compte de résultats. Les investissements ont atteint l’année dernière 3,4 milliards provenant pour un tiers de l’autofinancement de RFF et pour les deux tiers de subventions d’investissement, dont je ne puis vous donner immédiatement la répartition entre l’État et les régions.

M. Patrick Persuy. Je peux simplement vous indiquer qu’en 2010 les 3,6 milliards d’investissement se partagent à parts pratiquement égales entre d’une part le renouvellement et la mise aux normes du réseau, d’autre part le développement. RFF finance 95 % du renouvellement et 25 % du développement

M. Louis Giscard d’Estaing, président. Cela signifie-t-il que régions ou les autres collectivités locales assument 75 % du développement ?

M. Patrick Persuy. C’est la part des subventions publiques.

M. Hubert du Mesnil. La règle habituelle est : moitié État, moitié collectivités locales. Mais, en dehors des projets de grandes lignes nouvelles, les régions participent souvent plus que l’État.

M. Hervé Mariton, rapporteur spécial des crédits des transports routiers, ferroviaires, fluviaux et maritimes. Que recouvre la notion de « trajectoire de stabilisation de la dette », qui figure dans le contrat de performance ? Fait-elle référence au moment à partir duquel vous êtes en situation de commencer à rembourser la dette ?

M. Hubert du Mesnil. C’est le moment à partir duquel elle arrête d’augmenter.

M. le rapporteur spécial. Et le terme est 2022-2023, date à partir de laquelle votre dette sur la partie « hors article 4 » commencerait à diminuer ?

M. Hubert du Mesnil. Oui.

M. le rapporteur spécial. Quelques mois après que des polémiques ont été lancées par la SNCF sur l’augmentation programmée des péages versés par les opérateurs à RFF, polémiques que le secrétaire d’État chargé des transports a tranchées au moment du dernier débat budgétaire, vous avez déclaré que, le trafic ne progressant pas comme prévu, on pourrait comprendre que l’augmentation programmée pour la SNCF ne soit pas non plus conforme aux prévisions.

Il est un peu curieux que le président de RFF se montre à ce point bienveillant à l’égard de ses clients, d’autant que cela pourrait dégrader plus gravement encore l’équation dont vous parliez tout à l’heure. Qu’est-ce qui vous a amené à dire cela ?

M. Hubert du Mesnil. J’ai dit, et je le pense, que le débat sur les péages est légitime ; que la SNCF a le droit de s’exprimer, de se plaindre ou de souhaiter en débattre. Aujourd’hui tranché par l’État, ce débat le sera demain par le régulateur, en application de la loi que vous avez votée en décembre dernier : dorénavant, les péages seront décidés par RFF sur avis conforme du régulateur, qui aura ainsi le dernier mot.

Il est normal que la question des péages provoque des tensions entre celui qui gère l’infrastructure, qui voudrait faire payer plus, et celui qui paie le péage, qui trouve qu’il paie trop. Nous continuerons donc à débattre sur ce sujet.

Nous avons une différence d’appréciation très importante. La SNCF considère qu’elle est allée au maximum de ce qu’elle pouvait payer au titre des TGV et que c’est en raison des péages que les comptes du TGV ont commencé à se dégrader. Nous considérons, de notre côté, que l’activité TGV a certes été touchée par la crise, mais dans des proportions qui nous paraissent limitées. D’ailleurs, les résultats de la SNCF pour le premier trimestre 2010 montrent déjà une reprise de l’activité. Selon nous, ce mouvement va se poursuivre et le volume de voyageurs permettra à un certain moment à la SNCF de reconstituer une marge.

Nous n’avons pas la même vision que la SNCF de l’impact de la crise sur l’activité TGV, non plus que sur l’activité TER, deux domaines très importants pour l’économie du réseau. Nous pensons que cet impact sera de courte durée, que la croissance est assurée, qu’elle va revenir, et qu’il n’y a pas de raison à ce stade de penser que la capacité contributive, c’est-à-dire la capacité de payer le réseau, soit structurellement menacée dans ces deux domaines d’activité. Mais c’est le régulateur qui dira s’il y a encore des marges ou si l’on a atteint le plafond.

J’ai effectivement lancé un message. D’abord, je dois avoir une attitude commerciale vis-à-vis de notre principal client et montrer que je suis sensible à sa situation : nous avons des relations étroites et mieux vaut que nous parvenions à nous entendre, ce qui est tout de même le cas.

M. Louis Giscard d’Estaing, président. Vous dites que la SNCF est votre principal client. Quelle est désormais la part des autres opérateurs ferroviaires ?

M. Hubert du Mesnil. En ce qui concerne les voyageurs, 0 %. L’ouverture est pour l’instant sans effet. La première demande vient de l’italien Trenitalia : nous discutons depuis plusieurs mois avec lui pour qu’il arrive sur le réseau et nous lui avons même réservé des sillons. Mais pour l’instant, les trains italiens ne viennent pas et l’ouverture ne s’est donc pas concrétisée. Certes, nous recevons la Deutsche Bahn à la gare de l’Est mais, s’il s’agit bien d’une entreprise étrangère qui roule en France, elle n’est pas en situation de concurrence avec la SNCF puisqu’elle opère la liaison France-Allemagne en coopération commerciale avec elle.

En ce qui concerne le fret, 15 % de parts de marché sont pris par d’autres entreprises que la SNCF. Le trafic a été ouvert en 2006. En quatre ans, ce n’est pas mal. Actuellement, Fret-SNCF est en perte très sensible. Elle se retire d’un certain nombre de créneaux et les autres entreprises en profitent pour prendre la place. Leur progression apparaît très clairement.

M. Mariton a évoqué l’évolution des péages. C’est en effet une question dont nous devons parler avec l’État.

Lorsque l’on construit des lignes à grande vitesse, je dis à mon client que je vais lui faire payer des péages, parce que j’estime qu’il est juste que le train paie autant que possible le réseau, et que le contribuable ne le paie qu’autant qu’il est nécessaire. Je considère que c’est la seule politique possible, ce qui nous conduit à négocier avec les régions des cofinancements dont nous prenons en charge environ 20 à 30 %, grâce aux péages, le reste incombant à l’État et aux régions. C’est le modèle équilibré que nous mettons en œuvre pour les lignes à grande vitesse et qui nous paraît maintenant assez bien compris.

En revanche, j’ai du mal à comprendre l’idée qu’à chaque fois qu’un train roule sur le réseau existant, il faudrait systématiquement aller chercher des subventions et que l’on vivrait ainsi indéfiniment sous ce régime de subventions.

Il faudra sans doute du temps. Il y aura des endroits où le train ne nécessitera pas de subventions, comme en Île-de-France où le réseau est payé à 100 % par les péages. Dans d’autres régions, où il y a un réseau moins dense, moins de trafic et moins de trains, il faudra effectivement apporter une certaine contribution sous forme de subventions. En tout cas, il ne me paraît ni évident ni normal que la subvention soit de droit, et encore moins qu’elle doive augmenter.

Nous étions partis sur un schéma où l’on faisait avec les subventions que l’État nous accordait et où l’on allait chercher de la croissance en mettant davantage de trains sur certaines destinations, ce qui permettait d’absorber la croissance des coûts. Je jugerais très inquiétant que ce schéma ne fonctionne pas et que l’augmentation des coûts ne puisse et ne doive être supportée que par une augmentation des subventions.

Nous entrons dans un modèle où l’on baisse les subventions, où l’on augmente les péages et où la somme des deux s’annule, ce qui n’est pas tenable car, je l’ai dit, sans augmentation de recettes, le système va diverger à nouveau. Mais appeler d’autres subventions pour couvrir l’augmentation des coûts sur le réseau existant me paraît difficilement envisageable. C’est pourquoi il faut rediscuter de la question des péages, laquelle ne peut être envisagée sans prendre en compte le volet des subventions et des contributions publiques, l’équilibre économique global du réseau et la capacité contributive des trains à payer davantage.

M. le rapporteur spécial. En l’état, quelle évolution des péages a-t-on programmé pour les années qui viennent ?

M. Hubert du Mesnil. Programmée jusqu’en 2012, leur évolution est la somme de trois facteurs. Le premier facteur est une sorte d’indexation sur les coûts : l’inflation plus 1 point, soit une augmentation des coûts de 2 ou 3 %, ce que tout le monde considère comme à peu près normal. Deuxième facteur : les coûts spécifiques à la SNCF ; en ce moment, nous payons l’augmentation des coûts des retraites à laquelle est directement liée celle des péages – 50 millions cette année, 100 millions l’année prochaine. Troisième facteur : une ponction de 60 millions que nous opérons chaque année sur les péages TGV pour payer la rénovation du réseau.

Ces ponctions sont opérées sur les péages TGV, les autres péages, TER et fret, étant à peu près stabilisés, à l’inflation près. Ainsi, le TGV finance non seulement le TGV, mais aussi la rénovation du réseau et l’évolution des charges sociales et charges générales de la SNCF. Voilà pourquoi la SNCF dit que le TGV ne pourra pas supporter indéfiniment qu’on concentre sur lui la totalité de ces coûts. Mais ni le TER, ni le fret, ni sans doute les subventions publiques ne pourront le faire à sa place.

D’un côté, on ne pourra pas garder ce réseau si les péages doivent compenser la baisse des subventions publiques. D’un autre côté, il faut concevoir la gestion d’une manière telle qu’on ne compte pas sur les subventions publiques pour couvrir la croissance des coûts.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vous dites qu’en Île-de-France, la totalité du réseau est payée par les péages ?

M. Hubert du Mesnil. Les 650 millions de péages versés par le STIF, le Syndicat des transports d’Île-de-France, couvrent 100 % du coût complet du réseau : fonctionnement, entretien et renouvellement du réseau existant. Quand il faut renforcer la puissance électrique d’une installation parce que les trains vont plus vite ou qu’il y en a davantage, le relèvement de standard technique du réseau nécessite une contribution publique. Mais si on maintient le réseau avec sa capacité et ses performances actuelles, les péages couvrent 100 % de ce coût. Il me paraît d’ailleurs assez normal qu’un réseau très dense, avec un grand nombre de trains, doive couvrir le coût de son existence – pas celui de son amélioration.

De la même façon, les péages TGV couvrent l’activité TGV, et même un peu au-delà, ce qui fait que l’on utilise ces rentrées pour financer le reste.

M. le rapporteur spécial. Comment vos relations avec SNCF Infrastructure ont-elles évolué ? Avez-vous réussi à réduire votre charge financière ? En termes de fonctionnement, quelles améliorations les transformations de la branche Infrastructure de la SNCF ont-elles apporté ?

La réorganisation des activités Horaires et sillons a-t-elle eu par ailleurs des conséquences sur RFF ? Quel jugement portez-vous sur leur évolution ?

Dans mon rapport de mai 2008 sur les péages ferroviaires, j’avais suggéré que RFF publie chaque année un tableau des investissements réalisés dans le cadre de l’article 4 du décret du 5 mai 1997, avec le détail de leur financement. Ce tableau existe-t-il ?

Enfin, le programme de rénovation du réseau sera-t-il tenu ?

M. Hubert du Mesnil. Les travaux de rénovation ont quasiment doublé en quatre ans, conformément aux objectifs du contrat de performance, et je pense que nous tiendrons nos engagements cette année également. Le seul problème, c’est que le grand nombre de chantiers perturbe la circulation des trains, ce qui a des effets directs sur la qualité du service. Nous avons atteint une limite.

S’agissant des sillons, la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF) du 8 décembre 2009 a créé au sein de la SNCF une direction autonome chargée de la circulation ferroviaire (DCF), qui travaille dans un cadre contractuel spécifique pour le compte de RFF. La SNCF a très rapidement mis en place cette direction de 14 000 personnes, dans des conditions sociales remarquables. Nous avons signé notre premier contrat avec elle ; nous traitons directement avec son responsable et nous supportons la totalité de son coût de fonctionnement, à l’euro près.

Nous sommes satisfaits de cette première étape. Évidemment, il reste à améliorer la gestion du réseau et à vérifier que le comportement des personnels répond bien aux règles de concurrence ; ce sera la tâche de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF).

M. le rapporteur spécial. Le retard pris dans sa mise en place fait-il problème ?

M. Hubert du Mesnil. Non, s’agissant de cette nouvelle direction. Oui, s’agissant des péages.

En ce qui concerne l’infrastructure, la situation est moins satisfaisante. Nous déléguons l’entretien courant du réseau à SNCF Infra, pour un montant d’environ 1,9 milliard d’euros – à titre de comparaison, la DCF coûte quelque 800 millions. Nous avions signé avec la SNCF un contrat prévoyant qu’une augmentation de la productivité permettrait d’assurer le maintien et le fonctionnement du réseau à coût constant, mais la SNCF a présenté un résultat tellement déficitaire pour cette activité que les commissaires aux comptes lui ont demandé de déprécier les matériels et installations d’entretien !

L’expérience n’ayant pas été concluante, nous sommes en train de redéfinir les conditions d’entretien du réseau, les référentiels et les outils utilisés, afin d’élaborer un nouveau contrat répondant à l’objectif de réduction des coûts.

Dans le domaine de l’ingénierie, en revanche, l’évolution est favorable. La loi nous donne la possibilité de confier une maîtrise d’ouvrage déléguée soit à la SNCF, soit à d’autres acteurs, et, lorsque nous assurons directement la maîtrise d’ouvrage, nous pouvons choisir les maîtres d’œuvre sur le marché – sous réserve que les opérations ayant un impact sur la sécurité soient confiées à la SNCF.

De ce fait, des sociétés d’ingénierie autres que la SNCF, provenant d’autres pays ou d’autres secteurs d’activité, ont été appelées à intervenir sur le réseau. Cette diversification est fructueuse, dans la mesure où elle permet de faire évoluer la conception des voies. Pour autant, la SNCF ne s’est pas retirée du marché ; elle reste au contraire, avec ses filiales Inexia et Systra, un interlocuteur extrêmement compétent et notre principal fournisseur, même après une mise en concurrence. C’est une grande réussite pour la France.

En résumé, nous devons impérativement résoudre le problème de l’entretien. Actuellement, tout le monde est perdant : la SNCF perd de l’argent sur son contrat et RFF n’est pas satisfait de la performance de son réseau.

Une solution serait d’accélérer la rénovation du réseau. C’est pourquoi nous conseillons à l’État de ne pas réduire l’effort en la matière, malgré les difficultés de financement public, sous peine d’augmenter encore le coût de l’entretien.

M. Louis Giscard d’Estaing, président. Envisagez-vous des cessions d’actifs : tronçons inutilisés, ouvrages d’art ?

Quelles sont les participations respectives de RFF et de la SNCF au financement des chantiers de gares, notamment ceux visant à améliorer l’accessibilité des personnes à mobilité réduite ?

Vous avez dit que le réseau s’autofinançait en Île-de-France. Mais qu’en est-il des investissements, notamment en ce qui concerne le projet de « barreau sud », qui intéresse également d’autres régions ?

M. René Couanau. Quelle est la durée de votre contrat avec l’État ? Quand commence la période de renégociation ?

M. Hubert du Mesnil. Le contrat arrive à échéance en 2012, avec une clause de rendez-vous en 2010. Un avenant est donc possible.

M. René Couanau. Vous dites que l’entretien du réseau par une filiale de la SNCF pose des problèmes. Pourquoi RFF n’a-t-il pas demandé à l’assurer lui-même ?

Au final, quelles sont vos marges de croissance ? Sur les LGV, les péages ne pourront pas augmenter considérablement, sous peine de porter atteinte à la compétitivité du réseau ; quant aux subventions, il faut plutôt vous attendre à des diminutions qu’à des augmentations. Avez-vous davantage de possibilités sur le fret ?

Enfin, vous n’émargerez pas au grand emprunt. Dans une perspective d’investissement pour l’avenir, peut-être les transports auraient-ils dû être pris en compte…

M. Hubert du Mesnil. S’agissant des cessions, nous avons en effet en notre possession un patrimoine de terrains inutilisés, notamment des friches dans un état lamentable. Quant aux voies ferrées elles-mêmes, nous ne les vendons pas, mais nous les transformons en pistes cyclables ou en coulées vertes, en accord avec les collectivités territoriales ; dans ce cas, il s’agit du bon usage d’une emprise inutile plutôt que d’une politique de valorisation à proprement parler.

M. Alain Claeys. Je suis maire de Poitiers. Y a-t-il aujourd’hui des possibilités de négociation avec vous ?

M. Hubert du Mesnil. Il est dans notre intérêt de vendre le patrimoine devenu inutilisé, notamment les terrains situés dans la périphérie des gares, qui sont des zones urbaines intéressantes. L’État a décidé, après quelques hésitations, de nous laisser le produit de ces cessions, à condition que nous le réinvestissions dans la rénovation du réseau.

Je trouve, personnellement, que c’est une bonne chose : un terrain qui ne sert à rien, autant le vendre à une collectivité territoriale pour y construire des logements, et refaire les rails avec l’argent récupéré ! Non seulement c’est motivant pour nous, mais c’est une politique d’intérêt général.

Le contrat de performance nous fixe l’objectif, ambitieux, de 1,2 milliard d’euros de cessions immobilières de 2008 à 2012. La crise nous empêchera probablement d’atteindre ce montant. Alors qu’il était prévu de vendre pour 200 millions d’euros de terrains en 2009, nous n’avons réalisé que 120 millions.

M. René Couanau. Les communes sont intéressées, mais les négociations sont très longues. Or vous avez besoin d’argent et des établissements publics fonciers régionaux ont été créés. Ne serait-il pas opportun d’engager des discussions avec eux ?

M. Hubert du Mesnil. Tous les montages peuvent être étudiés, du moment qu’ils sont créateurs de valeur.

M. Louis Giscard d’Estaing, président. La valeur est déterminée par France Domaine ?

M. Hubert du Mesnil. Oui, et une instance d’appel a été créée : le Conseil national de valorisation ferroviaire, qui rend un arbitrage en cas de désaccord. Cela ne soulève aucune difficulté.

Notre objectif pour 2010 est de vendre pour 160 millions d’euros de terrains. La croissance est donc relativement importante.

S’agissant des gares, elles ont donné lieu à de nombreux échanges, notamment en 2009 à l’occasion de la mission confiée à Mme Fabienne Keller par le Premier ministre. Les compétences sont partagées : la SNCF exploite la gare et nous avons la responsabilité des quais. C’est d’ailleurs ce qui coûte le plus cher, en raison des problèmes d’accessibilité ; ainsi, les ascenseurs et les escaliers mécaniques sont de notre ressort. Or le système actuel ne prévoit pas de redevance : nous ne disposons d’aucune recette dans ce domaine.

Il y a là matière à réflexion. Dans le secteur aéroportuaire – que je connais bien –, il y a une redevance pour l’avion qui atterrit et une autre pour le passager qui utilise l’aérogare. En France, on n’a rien prévu pour supporter le coût de la gare : quand un voyageur prend un billet, il paie le transporteur, mais il ne verse rien à la gare, alors qu’il bénéficie d’une protection, d’un gardiennage, de toilettes et de boutiques. Ce n’est pas rentable !

Nous ne pouvons financer nos interventions en matière d’accessibilité que par des subventions publiques. Résultat : nous faisons bien moins que ce qu’il faudrait. Voilà un sujet qu’il convient de saisir à bras-le-corps.

S’agissant de l’Île-de-France, je serai prudent. Il y a actuellement plusieurs débats publics en cours ou prévus sur de grands projets comme, à l’ouest, le prolongement de la ligne E du RER de Haussmann-Saint-Lazare jusqu’à La Défense et Mantes, au nord, la connexion de la plate-forme de Roissy avec Amiens et le nord de la Picardie – le débat public se déroule actuellement dans des conditions à peu près satisfaisantes –, au sud, l’interconnexion LGV entre les réseaux sud-ouest et sud-est. Après des années d’atermoiements, ce dernier projet a reçu une impulsion décisive, avec le lancement du débat public. L’Île-de-France a tout à y gagner ; cela permettra notamment de mettre fin au mélange des trains sur la voie Massy-Valenton, qui est une source continuelle de problèmes.

M. le rapporteur général. L’autre intérêt de ce projet est de créer une gare extérieure à Paris au niveau d’Orly, qui fera pendant à celle de Pleyel, car les gares intérieures sont saturées.

M. Hubert du Mesnil. Bien sûr, c’est même l’intérêt principal au regard de la valorisation du réseau : l’interconnexion n’augmentera pas le trafic alors que l’arrêt à Orly créera des flux extrêmement intéressants.

Pourquoi ne prenons-nous pas en charge l’entretien du réseau ? Parce que je suis convaincu que si nous avions aujourd’hui la responsabilité des 50 000 personnes chargées de cette tâche, nous ne ferions pas mieux que la SNCF.

M. le rapporteur spécial. Quelles sont les perspectives de concurrence dans cette fonction ?

M. Hubert du Mesnil. Le système évolue sous l’effet des sollicitations extérieures. Nous faisons des comparaisons avec les Pays-Bas et l’Allemagne, qui sont meilleurs que nous dans ce domaine. Nous n’avons pas la responsabilité du management des agents, ce qui nous donne une certaine liberté d’action pour l’innovation.

M. le rapporteur spécial. Souhaiteriez-vous avoir plusieurs fournisseurs ?

M. Hubert du Mesnil. Cela va être le cas d’une certaine manière, puisque l’entretien des voies réalisées dans le cadre de partenariats public-privé sera pris en charge par les partenaires privés.

M. le rapporteur spécial. Pour le reste, la SNCF conserve le monopole ?

M. Hubert du Mesnil. Pas tout à fait : par exemple, l’entretien et l’exploitation des voies portuaires peuvent être assurés par des tiers ; le port de Dunkerque a ainsi confié l’exploitation de son réseau à Eurotunnel. Nous disposons donc de quelques éléments de comparaison.

C’est d’ailleurs suffisant : je n’imagine pas que le réseau puisse être découpé en plusieurs parties, avec un opérateur différent pour chacune. Il me paraît plus efficace de continuer à travailler en partenariat avec la SNCF, en soumettant ses méthodes à un examen critique et en faisant des comparaisons avec les autres pays, plutôt que de transférer le personnel d’un établissement à l’autre.

Par exemple, pour la maintenance, il vaut mieux arrêter la circulation durant trois heures, plutôt que d’arrêter le travail tous les quarts d’heure parce qu’il y a un train qui passe ! L’organisation du travail de la SNCF dépend dorénavant largement de nous ; nous devons essayer de travailler ensemble afin d’améliorer la productivité.

S’agissant de nos marges de croissance, vous posez une question cruelle, mais cruciale ! Un réseau ferroviaire est un système coûteux, qui ne peut fonctionner correctement et parvenir à l’équilibre financier que s’il est utilisé au maximum de ses capacités. Le problème du réseau français, comparativement aux réseaux allemand et anglais, c’est qu’il est sous-utilisé – mis à part l’Île-de-France, le nœud lyonnais et quelques autres zones.

La vraie question est de savoir si la France sera capable de supporter durablement la charge d’un réseau sous-utilisé. Vouloir faire une moyenne et sous-investir en Île-de-France – où certaines lignes de RER ont encore des fils usés – pour porter à bout de bras des sections du réseau peu fréquentées, cela n’est bénéfique pour personne !

Certes, il existe un potentiel de développement, dans la mesure où le transport régional français n’est pas encore arrivé à maturité. Néanmoins, l’avenir de certaines lignes reste menacé : jamais on n’aura les moyens de les maintenir en bon état, étant donné leur faible niveau d’utilisation. Il s’agit d’un vrai enjeu d’aménagement du territoire, que nous devrons examiner avec les régions, mais qui devra aussi être étudié à l’échelon national, au Parlement.

M. René Couanau. Il existe quand même des pistes de réflexion : ainsi, les besoins en termes de déplacements quotidiens régionaux sont tels qu’il va falloir développer de véritables navettes de TER entre les villes, de manière à alléger le transport sur route.

M. Hubert du Mesnil. En effet, on en a d’ailleurs déjà quelques exemples en Rhône-Alpes ou dans le Nord-Pas-de-Calais.

Mme Catherine Coutelle. L’offre est insuffisante !

M. Hubert du Mesnil. On note tout de même une incontestable montée en puissance du transport régional, dans toutes les régions. Cela impose de créer un cercle vertueux, avec des trains plus confortables, plus fréquents et plus réguliers, qui, du fait de ce meilleur service, seront davantage empruntés par les voyageurs. À mon avis, une meilleure utilisation du réseau est la priorité pour les prochaines années.

Toutefois, soyons lucides : il sera difficile de maintenir certaines portions du réseau en bon état.

Mme Catherine Coutelle. En tant que députée de Poitiers, comme mon collègue Alain Claeys, je suis directement concernée par les projets de lignes à grande vitesse (LGV) Poitiers-Limoges et Poitiers-Bordeaux.

Pensez-vous que l’on pourra respecter les engagements du Grenelle de l’environnement, à savoir la construction de 2 200 kilomètres de LGV supplémentaires ?

Vous dites que notre réseau ferré est sous-utilisé, mais sa longueur a tout de même été considérablement réduite depuis le début du XXe siècle ! Dans cette optique, une LGV Poitiers-Limoges serait-elle aujourd’hui considérée comme « rentable » ?

Bien des rumeurs circulent sur le partenariat public-privé conclu pour la construction de la LGV Tours-Bordeaux. Pouvez-vous nous donner des éclaircissements ? Qui gérera la ligne ?

M. Hubert du Mesnil. Le concessionnaire construira la ligne et en assurera l’entretien ; pour ce faire, il percevra les péages. En revanche, le contrôle des circulations continuera à être assuré par la SNCF, pour le compte de RFF. C’est le même fonctionnement que pour les autoroutes.

Une discussion va s’engager entre RFF, le concessionnaire et la SNCF sur la gestion des circulations et la construction des horaires – lesquels ne peuvent être décidés par le concessionnaire, le train devant rejoindre le réseau national.

Mme Catherine Coutelle. Qui fixera le montant des péages ?

M. Hubert du Mesnil. Le concessionnaire, mais il ne pourra pas dépasser un barème maximum fixé par le contrat de concession.

M. le rapporteur spécial. Sous le contrôle de l’ARAF ?

M. Hubert du Mesnil. Oui.

Mme Catherine Coutelle. Au final, ce PPP coûtera-t-il plus ou moins cher au contribuable qu’une maîtrise d’ouvrage directe, avec le soutien des collectivités territoriales ?

M. Hubert du Mesnil. Un concessionnaire fait toujours payer plus cher les péages. Celui pressenti pour la ligne Tours-Bordeaux a fixé ses tarifs au maximum autorisé. Cela signifie qu’il pense avoir des clients, même avec des péages très élevés.

Peut-être anticipe-t-il l’ouverture à la concurrence et pense-t-il que les Espagnols, qui investissent beaucoup dans les LGV, sont susceptibles d’être intéressés. Par ailleurs, il considère – à tort ou à raison – que la marge du transporteur doit être ramenée de plus de 20 % à 10 %.

Le concessionnaire considère que l’argent produit par la circulation des trains lui revient ; que la SNCF en ait besoin pour d’autres usages, ce n’est pas son problème ! Du coup, on pourra difficilement demander à la SNCF de payer plus cher les péages des LGV et de supporter, dans le même temps, le déficit d’autres lignes ou d’autres activités.

M. le rapporteur spécial. L’Autorité de régulation peut-elle empêcher le concessionnaire de demander le maximum autorisé ?

M. Hubert du Mesnil. Non : cette possibilité est prévue dans le contrat, qui sera approuvé par décret en Conseil d’État.

Mme Catherine Coutelle. Le risque est-il que le prix du billet de TGV devienne exorbitant ?

M. Hubert du Mesnil. Il faudra faire attention.

L’un des avantages du PPP, c’est que l’augmentation des péages s’accompagne d’une diminution des subventions, puisque la participation des collectivités locales sera au plus égale à ce qui avait été annoncé il y a deux ans.

Par ailleurs, le projet est globalement mieux conduit puisqu’il est intégralement pris en charge par un groupement qui assure lui-même toutes les interfaces.

En revanche, les coûts financiers sont plus importants, parce qu’il y a des fonds propres et que la rémunération des actionnaires est supérieure à la charge d’un emprunt – d’autant plus que les conditions actuelles sont plutôt favorables aux emprunteurs publics.

M. le rapporteur général. Elles s’améliorent même de mois en mois !

M. Hubert du Mesnil. Ce qui est sûr, c’est que nous ne pourrions pas construire plus de deux lignes à grande vitesse à la fois si nous le faisions nous-mêmes. Là, on en fait plusieurs en parallèle. J’ignore si c’est raisonnable, mais c’est efficace !

Tiendrons-nous les engagements du Grenelle ? Je ne suis pas compétent pour répondre à cette question. Cela dépendra en partie de vous !

La LGV Poitiers-Limoges apporterait un gain de temps considérable. Le projet n’est pas très rentable dans la mesure où il n’intéressera pas beaucoup de voyageurs, mais il n’est pas très coûteux : la ligne n’est pas très longue, et les efforts cumulés des deux régions et de l’État le rendent possible. Le problème est plutôt de savoir quand il sera réalisé. Il est impossible de le dire aujourd’hui.

M. René Couanau. Les péages sont-ils calculés en fonction des matériels qui circulent sur la ligne ou du nombre de voyageurs qui l’empruntent ? En d’autres termes, la politique commerciale de la SNCF a-t-elle des effets sur l’encaissement des péages ?

M. Hubert du Mesnil. Les péages ne dépendent pas du taux de remplissage des trains : un train vide paie autant qu’un train plein.

En revanche, nous sommes en train de moduler les péages en fonction du profil du train, et notamment de sa capacité ; interviennent également la qualité de la ligne – ligne à grande vitesse ou ligne traditionnelle –, le type de transport – fret ou voyageur – et les horaires de circulation – heures de pointe ou heures creuses.

M. Louis Giscard d’Estaing, président. Le nombre de wagons est-il pris en compte ?

M. Hubert du Mesnil. Non. Pour les TGV, il existe toutefois une tarification à l’unité simple ou à l’unité double.

La modulation des structures des péages pourrait donner matière à discussion. Je peux d’ores et déjà proposer une diminution du péage sur les trains intersecteurs, par exemple entre Rennes et Strasbourg ou entre Lille et Bordeaux, qui ne sont pas bien rentabilisés ; cette diminution serait compensée par une augmentation sur les trains entre Paris et Lyon. Voilà un exemple de discussion possible avec la SNCF et les acteurs publics.

M. Patrick Persuy. Les investissements dits « de l’article 4 », c’est-à-dire de développement – par opposition à ceux de modernisation du réseau existant –, s’élevaient à environ 1,5 milliard l’année dernière. Ils font l’objet d’un tableau qui précise les modalités de financement et la part financée par RFF. Ce tableau est présenté tous les ans devant nos instances de gouvernance, en comité d’engagement et en conseil d’administration.

Pour avoir une vision par rapport au stock de dette, il faut additionner les tableaux annuels et soustraire les remboursements. Un document synthétisant les résultats est présenté à la demande de nos tutelles. Actuellement, on compte environ 8 milliards de financements « article 4 ».

M. le rapporteur spécial. L’article 4 suppose que l’on émette une hypothèse de départ sur la rentabilité de l’investissement réalisé par RFF. Comment évaluez-vous la validité de ces hypothèses, globalement et projet par projet ?

M. Patrick Persuy. On procède depuis longtemps à une évaluation ex post, appelée « bilan LOTI », qui examine si les hypothèses émises lors de la décision initiale sont vérifiées cinq ans après.

Par ailleurs, notre contrat de performance avec l’État 2008-2012 a fixé l’objectif de systématiser l’évaluation ex post de nos investissements, afin de vérifier que la part financée par RFF, par l’intermédiaire d’un endettement, est bien remboursable.

M. le rapporteur spécial. Je vous remercie par avance de me transmettre les éléments dont vous disposez sur le sujet.

M. Louis Giscard d’Estaing, président. Merci, messieurs, pour la précision de vos réponses sur un sujet que la Commission suit de très près. Nous procéderons éventuellement à d’autres auditions sur ces questions.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 19 mai 2010 à 18 heures

Présents. - M. Jean-Marie Binetruy, M. Michel Bouvard, M. Gilles Carrez, M. Yves Censi, M. Alain Claeys, M. René Couanau, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Hervé Mariton

Excusés. - M. Pierre Bourguignon, M. Bernard Carayon, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Claude Flory, M. Patrick Lemasle, M. Victorin Lurel, M. Henri Nayrou

Assistait également à la réunion. - Mme Catherine Coutelle

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