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La Commission entend M. François Baroin, ministre du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2011.
M. le président Jérôme Cahuzac. Nous accueillons M. François Baroin, ministre du budget et des comptes publics, venu nous présenter le projet de loi de finances rectificative pour 2011. Mme Christine Lagarde, retenue par des obligations relatives à la zone euro, ne peut être parmi nous aujourd’hui.
Ce projet de loi de finances rectificative comporte à titre principal des dispositions tendant à alléger l’imposition au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune – ISF – dès 2011 et à substituer au bouclier fiscal un système de plafonnement de la taxe foncière sur l’habitation principale en fonction du revenu. La suppression du bouclier fiscal dans ses modalités actuelles n’aura un effet en année pleine qu’à partir de 2013, voire de 2014.
Notre commission a mené une série d’auditions sur le sujet en s’efforçant de recueillir les appréciations d’économistes, de fiscalistes, de gestionnaires de patrimoines, sans oublier les spécialistes de la fiscalité des pays de l’OCDE.
Les questions centrales qui sont à l’origine de ce projet sont celles du bouclier fiscal qui, dans sa version de 2007, a suscité des critiques de plus en plus fortes – tant sur la nature des prélèvements pris en compte que sur le mode de calcul des revenus retenus – et de l’impôt sur la fortune.
Dans son projet, le Gouvernement propose un aménagement de l’ISF qui conduit à diminuer son produit d’un montant supérieur à l’allégement que procurait le bouclier fiscal. Le Gouvernement s’est toutefois engagé, en ces temps de difficultés budgétaires, à ce que la réforme n’entraîne pas de perte de recettes pour l’État, ce pour quoi il propose de nouvelles mesures de recettes censées équilibrer le dispositif.
L’évaluation de ces recettes et leur solidité juridique posent d’ores et déjà question. Notamment, quel sera le champ réel d’application des mesures d’exit tax et de taxe sur les résidences secondaires ? Le modèle allemand, souvent cité, ne trouve pas à s’appliquer lorsqu’une convention avec le pays d’accueil des non-résidents inclut des clauses d’élimination des doubles impositions. Qu’en sera-t-il des dispositifs proposés ? Dépendront-ils d’une éventuelle renégociation des conventions fiscales signées avec les principaux pays concernés, la Belgique et la Confédération helvétique ? Plus largement, monsieur le ministre, avez-vous consulté les services communautaires sur ces dispositifs ? Sont-ils réellement eurocompatibles ?
D’autre part, le bouclage financier de la réforme laisse perplexe, notamment pour l’année 2012, puisque la réforme de l’ISF s’appliquera pleinement alors que les remboursements au titre du bouclier fiscal persisteront cette année-là.
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État. Ce collectif marque une étape significative dans la poursuite des engagements du Gouvernement.
Le projet de loi de finances rectificative que nous vous soumettons aujourd’hui procède à un certain nombre d’ajustements en matière de recettes et de redéploiements entre dépenses, notamment pour la mise en œuvre du plan de soutien à l’emploi et à l’alternance annoncé par le Président de la République.
Ces mouvements ont un effet globalement neutre sur le plafond de dépenses autorisé et le solde budgétaire, ce dernier restant inchangé par rapport à la loi de finances initiale, avec un déficit de 91,6 milliards d’euros.
Je vais donc, si vous le permettez, concentrer ma présentation sur la réforme de la fiscalité du patrimoine. Pour beaucoup d’entre vous, cette réforme n’est pas totalement une surprise, notamment parce que nous avons pu associer un grand nombre de parlementaires à son élaboration.
Le Gouvernement souhaite tout d’abord construire un impôt de solidarité sur la fortune plus juste et mieux adapté aux réalités économiques.
L’impôt de solidarité sur la fortune est souvent considéré comme une « exception française » qui pénalise l’attractivité de la France. Il présente essentiellement trois difficultés : un seuil d’entrée décalé par rapport à l’évolution des prix de l’immobilier au cours des dix dernières années, qui a fait entrer artificiellement dans l’ISF des contribuables qui n’ont pourtant jamais quitté leur résidence principale ; des taux d’imposition fixés à d’autres époques et aujourd’hui déconnectés du rendement réel des actifs, de sorte que l’impôt est devenu dans de nombreux cas confiscatoire ; des modalités déclaratives trop pesantes ou trop inquisitoriales pour les contribuables.
Dans ce contexte, le Gouvernement souhaite agir sur la structure de notre fiscalité, afin de la rendre plus simple, plus juste et plus compétitive. Après la réforme du crédit d’impôt recherche et celle de la taxe professionnelle, la réforme de la fiscalité du patrimoine s’inscrit logiquement dans cette ambition.
Le premier acte de cette réforme est la suppression du bouclier fiscal et, avec lui, de toute forme de plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune. Cette suppression répond à une exigence de justice, car le bouclier avait trop souvent conduit à des situations d’optimisation qui ont, à juste titre, choqué les Français.
L’exigence de justice, c’est prendre en compte la situation des bénéficiaires actuels du bouclier fiscal de condition modeste, dont je rappelle qu’ils sont majoritaires. Un dispositif de plafonnement de la taxe foncière en fonction des revenus serait donc maintenu à leur profit.
L’exigence de justice, c’est aussi s’attaquer aux raisons qui ont rendu le bouclier fiscal nécessaire. Car la suppression du bouclier ne peut s’envisager sans une réforme en profondeur du barème de l’ISF, à moins de redonner à cet impôt un caractère confiscatoire que même ceux qui l’ont instauré en 1989 ni leurs prédécesseurs de 1982 n’auraient voulu lui conférer.
Le Gouvernement vous suggère donc – c’est le deuxième acte – de simplifier l’ISF et de l’adapter aux réalités économiques.
Nous vous proposons de supprimer tout d’abord la première tranche de l’impôt, celle qui concerne les ménages possédant un patrimoine net d’une valeur comprise entre 800 000 euros et 1,3 million d’euros. Dès 2011, le seuil d’entrée à l’imposition sur la fortune serait fixé à 1,3 million d’euros de patrimoine, ce qui permettrait de faire sortir de l’ISF 300 000 foyers qui n’en sont redevables que sous le seul effet de la bulle immobilière. Avec cette mesure, nous éviterons aussi à 200 000 autres ménages, aujourd’hui au bord de l’ISF, d’y entrer dans les prochaines années. Au total, ce sont 500 000 ménages qui bénéficieront de la suppression de la première tranche.
Nous proposons ensuite de corriger le barème de l’ISF, devenu non seulement une incongruité en Europe, mais aussi un vrai encouragement à l’expatriation. Le projet de loi qui vous est soumis prévoit donc un système simple.
En premier lieu, les patrimoines dont la valeur se situe entre 1,3 et 3 millions d’euros seraient soumis à un taux de 0,25 %. Les redevables n’auraient plus besoin de fournir de déclaration spécifique, mais devraient indiquer la valeur totale de leur patrimoine sur la déclaration d’impôt sur le revenu. Le paiement de l’ISF se ferait donc en même temps que celui de l’impôt sur le revenu.
En deuxième lieu, pour les patrimoines d’une valeur supérieure à 3 millions d’euros – c’est-à-dire pour moins de 30 000 contribuables –, le taux d’imposition serait de 0,5 %, et les assujettis concernés devraient continuer à effectuer une déclaration.
Afin de lisser les effets de seuil, un dispositif de décote serait instauré pour les patrimoines compris entre 1,3 et 1,4 million d’euros ainsi que pour ceux compris entre 3 et 3,2 millions d’euros. Les modalités déclaratives seraient également simplifiées pour la majorité des redevables à compter de 2012.
Enfin, nous avons été attentifs à corriger les effets économiques les plus néfastes de l’ISF. Ainsi, pour préserver le développement de nos PME, nous vous proposons de redéfinir le régime d’exonération des biens professionnels pour les entrepreneurs qui dirigent plus d’une entreprise ou qui diluent leur participation à l’occasion d’une augmentation de capital.
De même, nous voulons encourager le développement d’un capitalisme familial par des assouplissements des « pactes Dutreil », dont nombre d’entre vous savent combien ils sont essentiels pour assurer la pérennité des entreprises sur plusieurs générations.
Suppression du bouclier fiscal, protection de la résidence principale avec le relèvement du seuil d’entrée dans l’ISF, retour à des taux cohérents avec le rendement des actifs et aménagement des régimes d’assiette pour tenir compte de la vie des entreprises : comme vous le voyez, cette réforme porte la marque d’un juste équilibre entre équité et efficacité économique.
Mais la réforme ne peut se concevoir que dans sa globalité. Dès lors qu’il était essentiel pour le Gouvernement de présenter un projet équilibré pour les finances publiques et faisant peser l’impôt sur la population même qui profite de l’allégement de l’ISF, le projet qui vous est soumis prévoit aussi quelques mesures de financement.
Le financement de la réforme repose sur une taxation plus importante des donations et successions des hauts patrimoines, sur une contribution des non-résidents et sur l’instauration de dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale internationale.
Conformément au souhait du Président de la République, nous avons opté pour un financement simple, qui pèse sur les flux du patrimoine davantage que sur le stock, et sur la transmission plutôt que sur la détention.
Tout d’abord, la taxation des donations et successions sera réévaluée. Toutefois, et j’insiste sur ce point, ce volet de la réforme ne concerne que les hauts patrimoines. Les acquis essentiels de la loi TEPA – qui a permis d’exonérer 97 % des successions en ligne directe et de faciliter les transmissions anticipées de patrimoine – seront donc intégralement préservés, et même confortés.
Au contraire, nous proposons de financer la réforme de l’ISF en mettant à contribution les détenteurs de hauts patrimoines, et en revenant sur des dispositions antérieures à la loi TEPA qui – du fait notamment du triplement des abattements décidé dans le cadre de cette loi – ont perdu de leur pertinence.
Cette stratégie se décline en trois axes. Tout d’abord, les taux d’imposition correspondant aux deux dernières tranches du barème applicable aux successions et aux donations consenties en ligne directe, ainsi qu’aux donations entre époux et titulaires d’un PACS, sont augmentés de cinq points. En pratique, cette hausse ne frappera que 2 000 successions par an, preuve que seules les très grosses successions sont ainsi visées.
Ensuite, les réductions de droits de donation accordés en fonction de l’âge du donateur sont supprimées. Je rappelle que ces droits ne sont dus qu’à hauteur des donations dépassant l’abattement de 159 000 euros, soit bien plus que la totalité du patrimoine de la majorité des Français. La mesure frappe donc, là encore, un nombre très limité de personnes fortunées.
Enfin, le délai de rappel des donations sera porté de six à dix ans. Compte tenu de la réduction de ce délai intervenue en 2006, toutes les donations qui pourraient profiter aujourd’hui du délai de six ans sont intervenues alors que la loi prévoyait un délai de dix ans. Nous privons peut-être certains d’un effet d’aubaine mais, en réalité, personne ne sera pris au dépourvu.
Mais réformer la fiscalité du patrimoine, c’est aussi taxer de nouvelles capacités contributives, adapter le droit pour limiter les possibilités d’optimisation et renforcer les outils permettant de lutter contre l’évasion fiscale. Trois mesures permettront d’améliorer l’efficacité de notre fiscalité sur ce point.
Ainsi, une taxation des résidences secondaires permettra d’associer les non-résidents au financement des services publics nationaux dont ils bénéficient. Ce dispositif ne concerne que les personnes dont les revenus de source française ne représentent qu’une faible part de leurs revenus totaux. Il institue une participation proportionnelle aux capacités contributives conférées par le patrimoine immobilier dont elles ont la jouissance sur le territoire français, et au titre duquel elles n’acquittent actuellement que des impositions à caractère local. Les personnes qui s’expatrient temporairement, notamment pour des raisons professionnelles, en seront exonérées.
Ensuite, le projet de loi de finances rectificative prévoit l’introduction d’une exit tax sur les plus-values latentes. Ce dispositif a été conçu pour être parfaitement conforme au droit communautaire et aux engagements internationaux de la France. Il s’inspire de ceux adoptés par certains de nos partenaires européens tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas.
Cette taxe sera assise sur les plus-values sur titres constatées lors du transfert de la résidence fiscale hors de France et exigible en cas de cession des titres dans les huit années qui suivent. C’est une mesure dissuasive qui permet de priver l’exilé du bénéfice fiscal de son expatriation, en le taxant de la même manière que s’il n’avait jamais quitté la France.
Enfin, plusieurs mesures sont destinées à mettre fin à des schémas d’optimisation et d’évasion fiscales, comme celui par lequel des non-résidents échappent à l’ISF en plaçant leurs biens immobiliers dans une SCI criblée de dettes. Nous proposons également de donner à l’administration la capacité d’appréhender fiscalement les biens et droits placés dans des trusts. Le trust est, je le rappelle, une institution de droit anglo-saxon qui n’a pas d’équivalent en droit français. Son régime fiscal est incertain, ce qui facilite l’utilisation de cet instrument à des fins d’évasion fiscale. Nous souhaitons naturellement mettre un terme à cette pratique.
Ces deux dernières mesures s’inscrivent dans le prolongement d’autres opérations fortes que nous menons pour lutter contre la localisation d’actifs ou de revenus sur des comptes bancaires offshore. La cellule de régularisation, l’exploitation de listings étrangers ont ainsi permis de rapatrier des recettes importantes au cours des années 2010 puis 2011. D’autres initiatives en cours généreront des ressources importantes et exceptionnelles en 2012 et 2013. Elles viendront compléter le financement de la réforme au titre de ces années. Au total, en régime de croisière et indépendamment de toute ressource exceptionnelle, la réforme dégagera un surcroît de recettes d’environ 200 millions d’euros par an.
Au-delà de la réforme de la fiscalité du patrimoine, le projet de loi de finances rectificative comprend un nombre limité de dispositions qui reflètent notamment la priorité donnée à l’emploi et au pouvoir d’achat. Je tiens tout de suite à préciser que ces mesures, en nombre réduit, ne modifient ni le plafond de dépenses autorisé, ni le solde budgétaire pour 2011.
Elles visent tout d’abord à soutenir l’emploi et le pouvoir d’achat des ménages.
En matière d’emploi, conformément à l’engagement du Président de la République, le Gouvernement souhaite orienter son action vers quatre priorités : l’emploi des jeunes, le soutien aux demandeurs d’emploi de longue durée, la formation des demandeurs d’emploi et la sécurisation des parcours professionnels.
Le projet de loi de finances rectificative procède à plusieurs ouvertures ciblées de crédits, dont les principales ont vocation à financer la formation en alternance, les contrats aidés du secteur marchand, diverses actions de formation pour les chômeurs de longue durée, ainsi que la mise en œuvre du nouveau contrat de sécurisation professionnelle.
En matière de pouvoir d’achat, au regard des fortes hausses du prix des carburants, le Gouvernement a revalorisé de 4,6 % les barèmes kilométriques utilisés par les salariés qui optent pour les frais réels et par certains non-salariés pour évaluer forfaitairement leurs frais de transport. Cette revalorisation entrera en vigueur dès cette année. Nous proposons de financer cette décision par une contribution exceptionnelle à la charge des entreprises du secteur pétrolier. Son rendement – 120 millions d’euros en 2011 – permettra de couvrir le coût de la revalorisation du barème.
Par ailleurs, afin de mieux maîtriser la hausse du coût de l’électricité et son impact sur les consommateurs, une disposition du projet de loi prévoit de lisser la revalorisation de la contribution au service public de l’électricité.
J’en viens rapidement aux autres mesures présentées dans le projet de loi de finances rectificative.
Tout d’abord, plusieurs dispositions concernent le financement de la réforme de la garde à vue, via la création d’une contribution pour l’aide juridique et l’ouverture de moyens supplémentaires sur les programmes du ministère de la justice et de l’intérieur concernés.
Ensuite, le projet instaure un dispositif d’indemnisation spécifique des victimes du Mediator et de ses génériques. Je rappelle qu’il ne s’agit pas de se substituer aux responsables, qui devront indemniser les victimes, mais de mettre rapidement en place les structures qui permettront l’examen des dossiers, le règlement amiable des litiges et, dans certains cas, de faire l’avance des sommes.
Il est en outre procédé, comme chaque année, à des ajustements de crédits ciblés, visant à couvrir les insuffisances en gestion anticipées sur certains programmes.
L’ensemble de ces mesures, je le répète, ne modifie pas le solde budgétaire, qui reste inchangé à moins 91,6 milliards d’euros.
Comme vous pouvez le constater, le Gouvernement est déterminé à poursuivre l’adaptation de notre fiscalité pour la rendre plus simple, plus juste et plus efficace. Nous engageons ces réformes en maintenant le cap que nous nous sommes fixé, celui de la réduction des déficits et d’une maîtrise accrue de nos finances publiques. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas souhaité modifier le montant global des dépenses autorisées par la loi de finance initiale. Je souhaite à présent que nos travaux s’inscrivent dans le même esprit de responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens.
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Pour qualifier la réforme de la fiscalité du patrimoine que porte ce projet de loi de finances rectificative, j’emploierai les mêmes mots que le ministre : elle est équilibrée, cohérente et juste.
Elle est juste fiscalement parce qu’elle fait sortir du champ de l’ISF environ 300 000 contribuables qui n’ont rien à y faire. Ils ne sont redevables de cet impôt qu’en raison de l’envolée des prix immobiliers depuis dix ans et de ses effets sur la valeur du logement qu’ils occupent. Or la résidence principale, on le sait, ne procure aucun revenu.
Elle est juste en raison de la suppression conjointe du « plafonnement Rocard » et du bouclier fiscal. L’expérience montre que ces deux dispositions, à mesure qu’elles s’implantaient dans le paysage fiscal, ont conduit à des optimisations insupportables. Le système de plafonnement n’est toutefois conservé – et à juste titre – que dans un seul cas, celui de la taxe foncière. En effet, à la différence du plafonnement Rocard, le bouclier fiscal prenait en compte les impôts locaux. La taxe d’habitation était déjà plafonnée par rapport aux revenus ; ce sera désormais aussi le cas de l’impôt foncier.
Cette réforme est économiquement adaptée. Le problème de l’ISF, depuis sa création, est que les taux applicables n’ont jamais tenu compte de l’évolution du rendement des actifs composant son assiette : l’imposition peut atteindre 1,8 % alors que les rendements, compte tenu de la baisse de l’inflation, ne dépassent pas 4 %. Des taux de 0,25 % et 0,5 % sont beaucoup plus conformes aux réalités économiques.
Un autre aspect très important de ces propositions est leur respect de l’équilibre budgétaire. L’argent public est rare, les déficits sont très élevés : il était donc impensable de conduire une telle réforme en faisant l’impasse sur son financement. Ce n’est pas le cas, puisque le manque à gagner – environ 1 milliard d’euros – sera intégralement compensé grâce aux quatre mesures prises à cet effet, qui ont en outre l’avantage de ne concerner que les contribuables les plus aisés. À elle seule, la disposition sur les successions devrait rapporter 500 millions d’euros, et il convient d’y ajouter le produit de la mesure concernant les donations. De son côté, l’exit tax, qui avait été condamnée par Bruxelles en 1999, est désormais bien calibrée d’un point de vue juridique et parfaitement eurocompatible.
Enfin, je trouve justifié de soumettre la résidence secondaire de personnes ne résidant pas en France à une taxe supplémentaire. En effet, si ces personnes contribuent aux services publics locaux avec la taxe d’habitation et la taxe foncière, elles ne participent pas, jusqu’à présent, au financement des services nationaux. Non seulement le produit additionné de ces quatre mesures compensera le manque à gagner de 1 milliard d’euros, mais il offrira même une certaine marge de sécurité en année pleine.
L’attention portée aux PME et à l’emploi me paraît également capitale. En effet, une des faiblesses de notre fiscalité, ces trente dernières années – en particulier les mesures prises dans les années 1980 sur les successions ou l’ISF – est d’avoir découragé l’épanouissement des petites et moyennes entreprises au détriment de l’emploi, ce qui explique les évolutions différentes de ces entreprises en France et en Allemagne. On le voit d’ailleurs très bien dans le rapport récent de la Cour des comptes. C’est pourquoi la disposition proposée en matière d’engagement de conservation des titres est aussi importante. Notre fiscalité ne doit pas jouer contre la pérennité des entreprises familiales ni contre l’emploi. L’époque où les PME étaient vendues pour des raisons fiscales doit être révolue.
Des mesures très fortes, à hauteur de 500 millions d’euros, sont également prises en matière d’emploi : contrats aidés, meilleur accès des jeunes sur le marché de l’emploi, réforme de la taxe d’apprentissage et incitation à la signature de contrats de formation en alternance.
L’association d’une réforme de la fiscalité du patrimoine et de mesures en faveur des PME et de l’emploi montre la cohérence du dispositif porté par le projet de loi de finances rectificative.
Vous prévoyez en 2011 une augmentation du produit de l’ISF à hauteur de 270 millions d’euros. Mais, si j’ai bien compris, la somme nécessaire pour compenser la suppression de la première tranche a été calculée à partir d’estimations de 2010. Pouvez-vous préciser quelles ont été les bases de référence pour parvenir au résultat de 1 milliard d’euros ?
Par ailleurs, le dispositif de réduction de l’ISF pour investissement dans les PME est maintenu, ce qui est une bonne chose. Quel impact cette décision a-t-elle sur le montant du manque à gagner qu’il faut compenser pour parvenir à l’équilibre ? En effet, si les assujettis à l’ISF investissent en moyenne 600 millions d’euros dans les PME, l’investissement correspondant à la première tranche, désormais supprimée, n’est que de 45 millions d’euros, ce qui induit que la plus grande partie des contribuables ayant recours au dispositif restera soumise à l’impôt sur la fortune.
Il me semblait qu’aucun contribuable assujetti à l’ISF ne devrait voir son imposition augmenter. Or, compte tenu des mesures de lissage des effets de seuil, on s’aperçoit que le contribuable dont le patrimoine vaut 1,4 million d’euros paiera plus qu’auparavant. Certes, cette augmentation est symbolique : quelques dizaines d’euros. Mais il serait tout de même préférable que l’évolution se fasse dans l’autre sens.
Enfin, vous avez jugé que l’allongement du délai de rappel des donations n’avait pas de caractère rétroactif dans la mesure où les premières donations qui auraient pu bénéficier du délai de six ans ont été effectuées avant 2006, soit à une époque où ce délai était de dix ans. Il n’en demeure pas moins que la succession sera moins favorable pour les héritiers d’une personne décédant aujourd’hui après avoir effectué une donation il y a six ans. Ne pourrait-on pas prévoir une disposition pour corriger cette situation ?
M. Jérôme Chartier. J’ajouterai un qualificatif à ceux employés par le rapporteur général : cette réforme a été très concertée. Dès le début de la législature, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2008, des questions comme celle de la place de la résidence principale dans l’assiette de l’ISF ou du rôle joué par le bouclier fiscal ont fait l’objet de très larges débats dans l’hémicycle. Cette réforme, les parlementaires l’appelaient de leurs vœux depuis fort longtemps.
La concertation s’est intensifiée depuis le mois de décembre : un groupe de travail sur le sujet, constitué au sein de la majorité, a bénéficié d’informations très complètes de la part des services du ministère des comptes publics et a pu conduire de nombreuses réflexions. Un colloque de grande qualité s’est également déroulé pendant une journée au ministère de l’économie. Quant aux propositions que vous mettez sur la table, monsieur le ministre, elles ont été également abondamment commentées dans la presse depuis quelques semaines.
Comme l’a dit justement le rapporteur général, cette réforme est équilibrée : aucune des mesures qui la composent n’a de caractère excessif, ce qui est important pour la façon dont elle sera perçue. De plus, c’est la première fois qu’une réforme fiscale est compensée à l’euro près. Dans la mesure où elle n’affectera pas les ressources indirectes comme la TVA, cette réforme ne pèsera pas sur l’équilibre des finances publiques. Par ailleurs, le choix d’un ensemble cohérent de mesures complémentaires garantit la crédibilité des calculs destinés à en évaluer l’impact.
Nous avons tous entendu parler de personnes désireuses de s’expatrier quelques mois à l’étranger pour céder leurs participations tout en échappant aux prélèvements sociaux et fiscaux. Un tel phénomène ne manquait pas de nous préoccuper, et c’est pourquoi je me réjouis de la création d’une exit tax, la première tentative en ce domaine étant restée sans lendemain. Cette mesure est non seulement favorable à l’équilibre des finances publiques, mais aussi à la morale, une morale que l’on souhaite voir triompher dans le monde économique. On ne peut accepter que des personnes s’expatrient pour payer moins d’impôts : ces derniers ne constituent pas seulement une ressource pour le versement des prestations offertes par l’État, mais ils servent également à financer l’organisation des services publics dont bénéficient tous les Français, ainsi que les personnes résidant occasionnellement sur le territoire national.
Cela m’amène à la deuxième mesure que je souhaitais souligner : la taxation des résidences secondaires pour les non-résidents. Elle concerne les Français établis hors de France, mais surtout les étrangers possédant une résidence secondaire dans notre pays. Il est en effet légitime que ces derniers contribuent à l’effort de financement des services publics nationaux. La taxe, dont le montant – 20 % de la valeur locative – est mesuré, me paraît adapté à un phénomène que l’on observe à un niveau mondial : la transhumance fréquente de personnes à haut potentiel financier, qui ont établi leur résidence fiscale dans un pays à fiscalité attractive, mais qui possèdent par ailleurs des résidences dans de nombreux territoires.
En résumé, toutes ces mesures sont à la fois très utiles et complémentaires entre elles. Il en résulte une réforme équilibrée et efficace.
M. Henri Emmanuelli. Ce qui ressort des déclarations du ministre, du rapporteur général et de M. Chartier, c’est que la majorité, en voulant sortir d’une chausse-trape, trébuche de nouveau.
Je n’entrerai pas dans les détails, le groupe socialiste s’étant exprimé à plusieurs reprises sur le sujet. Je ne peux que rappeler notre stupéfaction et notre consternation à voir une injustice encore plus grande succéder à une injustice déjà patente.
Tout d’abord, seule la loi de règlement nous dira si le solde budgétaire aura été affecté par la réforme. Je crains pour ma part qu’il ne le soit, et lourdement. C’est là que se situe tout l’aspect pernicieux du projet de loi : non seulement vous réduisez fortement le nombre de personnes assujetties à l’ISF, mais vous faites un énorme cadeau à ceux qui en resteront redevables.
Nous ferons valoir nos arguments en séance publique ou à l’extérieur de l’Assemblée. Mais je peux d’ores et déjà affirmer qu’avec cette série de dispositions, vous passez les bornes. Au train où vont les choses, nous risquons d’avoir des difficultés à percevoir l’impôt ! Votre politique est si discordante, si dissonante, qu’elle laissera pantois tous les contribuables français.
J’espère, monsieur le ministre, que votre intervention a été filmée, car elle fera figure de cas d’école.
M. le ministre. Je vous remercie, monsieur Emmanuelli, d’avoir fait preuve d’un tel sens de la nuance…
L’exit tax, monsieur le président, s’appliquera sans qu’il soit besoin de renégocier les conventions fiscales. En effet, il ne s’agit pas d’une double imposition, dans la mesure où l’impôt éventuellement versé à l’étranger s’impute sur l’impôt français. En outre, le dispositif est juridiquement stable et conforme au droit communautaire : tirant les leçons de l’expérience malheureuse vécue par la gauche, nous l’avons en effet soumis au Conseil d’État.
Je remercie le rapporteur général pour sa contribution précieuse au groupe de travail que j’ai animé. Je suis sensible aux mots qu’il a utilisés pour qualifier cette réforme. Oui, monsieur Emmanuelli, cette réforme est juste. Vous ne pourrez pas nier éternellement l’évolution confiscatoire et spoliatrice de l’impôt que vous avez mis en place en 1982.
M. Henri Emmanuelli. Alors, supprimez-le !
M. le ministre. Il correspond à un monde révolu, celui des emprunts d’État au rendement de 17 % ou de l’inflation à deux chiffres. Cette politique vous a d’ailleurs coûté trois dévaluations et un plan de rigueur.
M. Henri Emmanuelli. Faut-il vous rappeler le montant des déficits à l’époque ?
M. le ministre. Veuillez ne pas m’interrompre.
M. Henri Emmanuelli. Vous me prenez à partie !
M. le ministre. Vous-même m’avez montré du doigt en évoquant l’enregistrement de mon intervention. Ceux qui nous regarderont dans trente ans comprendront que nous ne sommes pas tout à fait d’accord sur le sujet…
M. Henri Emmanuelli. Ils seront stupéfaits !
M. le ministre. …et qu’en tant qu’ancien membre du gouvernement, vous avez une part de responsabilité dans la politique menée lors du premier septennat de François Mitterrand.
M. Henri Emmanuelli. Remontez à 1936 pendant que vous y êtes !
M. le ministre. Le rapporteur général s’est demandé quel serait l’impact de la réforme sur la réduction de l’ISF pour investissement dans les PME. Aujourd’hui, le coût de cette mesure est évalué à 500 millions d’euros, compte tenu des modifications intervenues dans le projet de loi de finances pour 2011. Je rappelle que le Gouvernement et le Parlement s’étaient alors mis d’accord pour faire passer l’abattement de 75 à 50 %. Je ne souhaite pas que l’on remette en cause cet équilibre, sachant que nous proposerons d’autres avancées en matière de protection des entreprises familiales. Après la suppression de la première tranche de l’ISF, le coût de la mesure devrait être de 450 millions d’euros. L’économie sera donc de 50 millions d’euros.
En ce qui concerne l’assiette, la révision du montant de l’ISF tient compte de l’impact de la cellule de régularisation fiscale et de la mise en œuvre de la réforme. Ainsi, sur les 500 millions d’ISF récupérés grâce aux opérations de la cellule, 168 millions seront encaissés en 2011, auxquels il faut ajouter 100 millions supplémentaires correspondant à l’impôt payé chaque année en France par les anciens exilés fiscaux.
J’en viens aux donations. Il est vrai que les personnes ayant effectué une donation il y a plus de six ans pourraient juger l’application du nouveau régime un peu brutale. Mais différer son entrée en vigueur aurait un coût budgétaire et pourrait compromettre le financement de la réforme. Le Gouvernement n’est pas hostile à un débat sur le sujet, mais en cas de modification de la mesure il conviendra de trouver des modalités de compensation pour respecter le principe de l’équilibre budgétaire.
M. Alain Joyandet. Tout en souscrivant à l’appréciation du rapporteur général et de Jérôme Chartier sur l’équilibre général de la réforme, je ferai porter mon propos sur les biens professionnels et, plus particulièrement, sur les entreprises familiales.
Certes, l’abaissement de 25 à 12,5 % du seuil de détention des droits pour bénéficier d’une exonération d’ISF sur les biens professionnels va dans le bon sens. S’agissant toutefois d’entreprises familiales employant peu de salariés ou dont le chiffre d’affaires est modeste, la réforme ne va pas assez loin. Ces PMI-PME dont on sait qu’elles sont trop peu développées en France subiront toujours une forme d’insécurité fiscale. Une entreprise familiale constituée en une ou plusieurs sociétés continuera de se heurter à l’administration fiscale. Elle devra lui faire la démonstration que la holding est bien la holding animatrice de l’ensemble des sociétés, que plus de 50 % des revenus du dirigeant proviennent de l’entreprise concernée, et ainsi de suite. On en vient même à soupçonner ces PME-PMI de disposer de trop de fonds propres et l’on réintègre une partie des montants dans les biens privés des dirigeants !
La plupart des entreprises familiales conservent leurs excédents dans les réserves et ne distribuent pas de dividendes. Si elles en avaient distribué comme les fonds de pensions, comment auraient-elles compensé leurs pertes ces trois dernières années ? C’est grâce aux réserves issues des excédents des années antérieures que ces petites entreprises, dans leur majorité, ont fait face à la crise sans rien demander aux banques. Or l’administration fiscale trouve ces réserves trop importantes par rapport au volume d’activité et demande qu’elles soient comptabilisées comme biens privés.
Bref, la réforme me semble insuffisante à cet égard. Ne pourrait-on établir, comme pour les autres dispositifs, un plancher – par exemple cinquante salariés ou un montant donné de chiffre d’affaires – au-dessous duquel les PMI-PME familiales n’entreraient pas dans le calcul de l’ISF et se verraient ainsi épargner d’interminables justifications ? Seule une mesure claire est susceptible de préserver ces entreprises des tracas administratifs et fiscaux, étant entendu qu’il ne s’agit pas de très grandes entreprises familiales.
M. Hervé Mariton. J’approuve l’idée d’une réforme, mais je regrette que celle-ci ne soit pas plus vigoureuse. Sans doute aurait-il été possible de supprimer l’ISF, mais il fallait alors des financements de substitution qui supposaient des projets plus ambitieux devant lesquels le Gouvernement a malheureusement « calé ».
Premièrement, cette réforme pose un problème en ce qu’elle est plus avantageuse en valeur absolue et en pourcentage pour les très grosses fortunes que pour les fortunes de la nouvelle première tranche, celle qui est immédiatement au-delà de 1,3 million d’euros. Si l’avantage en valeur absolue peut se comprendre, l’importance de l’avantage en pourcentage n’est pas acceptable.
M. le rapporteur général. C’est faux ! Vous devez intégrer la suppression du bouclier dans votre raisonnement.
M. Hervé Mariton. Tout le monde n’est pas concerné par le bouclier fiscal !
M. le rapporteur général. Les trois quarts de la dernière tranche le sont !
M. Hervé Mariton. Je ne parle pas seulement de la dernière tranche. Au demeurant, c’est la structure actuelle de l’ISF et le décalage entre les tranches – indépendamment de la dernière – qui me semble constituer le nœud du problème. Comme vous l’avez reconnu vous-même, il existe indubitablement une difficulté pour la première. Cette difficulté est intrinsèque à tout impôt déclenché à partir d’un certain seuil mais prélevé dès le premier euro. Si les mesures de lissage proposées permettent d’éviter les aberrations les plus graves, il n’en est pas moins vrai que la réforme a des effets inacceptables.
Deuxièmement, je prends acte de la suppression du bouclier fiscal bien que je n’en sois pas le partisan le plus ardent. Un des principes du bouclier étant la mesure de la charge pesant sur le contribuable, je regrette que la réforme du Gouvernement ne traite pas de la question de la conjugalité – dans ses modalités actuelles, l’ISF pénalise les couples mariés, les personnes unies pas un PACS et l’union déclarée – ni de celle des charges de famille, qui sont insuffisamment prises en compte dans le calcul de l’ISF.
Troisièmement, si vous avez estimé à 2 000 le nombre des contribuables concernés par l’augmentation du barème des droits de succession pour les deux dernières tranches, vous n’avez pas donné de chiffre pour ce qui est de la suppression des mesures d’âge en matière de donations. Selon mes calculs, un contribuable de soixante-neuf ans disposant d’un patrimoine de 700 000 euros – donc échappant à l’ISF – et faisant une donation de 400 000 euros à son enfant unique doit aujourd'hui acquitter des droits s’élevant à 24 000 euros. Ces droits passeront, après la réforme, à 48 000 euros. Quel sera, selon vous, le nombre de contribuables qui seront touchés ?
Mme Chantal Brunel. Pour quelles raisons a-t-on fixé à 1,3 million d’euros le nouveau seuil d’assujettissement à l’ISF ? Ce montant me semble particulièrement élevé, d’autant qu’il peut être porté à 1,6, à 1,7 ou à 1,8 million si l’on prend en compte l’abattement de 30 % sur la valeur vénale de la résidence principale.
Je ne partage pas l’enthousiasme du rapporteur général au sujet de cette réforme de la fiscalité du patrimoine. Les quatre mesures proposées pour compenser les 4 milliards d’euros de manque à gagner sont certes positives et astucieuses, mais elles ne sont guère compréhensibles et concernent peu de Français. Ce dont les Français se souviendront, c’est que le seuil est passé de 800 000 euros à 1,3 million d’euros .
Mme Aurélie Filippetti. Quel contraste avec le débat qui s’est déroulé la semaine dernière dans l’hémicycle au sujet de l’inscription de l’équilibre des finances publiques dans la Constitution ! Une telle réforme pourrait à la limite se justifier dans une période faste. Mais, dans une période de vaches maigres où l’on demande des efforts à tous les Français, elle me semble tout à fait incongrue.
Premièrement, elle n’est pas financée. Contrairement à ce que vous affirmez, vous n’avez aucun moyen de garantir la fiabilité des données censées justifier son équilibre. Alors que la suppression du bouclier fiscal rapportera 700 millions d’euros, le coût de la diminution de l’ISF sera de 1,7 milliard d’euros au minimum. La différence sera financée, une fois de plus, par la dette, donc par l’ensemble de la collectivité. La droite renie ainsi tous les arguments qu’elle s’efforce d’apporter à l’appui du bouclier fiscal depuis quatre ans.
Ce changement de pied aurait de quoi nous satisfaire s’il ne s’accompagnait d’un cadeau encore plus important aux gros patrimoines, en particulier à ceux qui dépassent les 16 millions d’euros. Pourquoi, en pleine crise des finances publiques, réduire à ce point le taux qui leur est applicable en le faisant passer de 1,8 à 0,5 % ? C’est une chose très choquante pour nos concitoyens et qui vous privera du gain politique que vous comptez tirer de la suppression du bouclier fiscal.
En outre, vous ne pouvez pas non plus garantir quel sera le coût des mesures de lissage.
Enfin, quel sera le financement de la réforme en 2011 ? Le bouclier fiscal continuera d’être dû aux contribuables qui en bénéficiaient alors que la baisse des taux leur sera d’ores et déjà appliquée, du moins pour la première tranche.
J’en viens maintenant à l’esprit de la réforme. Une fois encore, un très petit nombre de contribuables sont concernés. Le coup très fort que vous portez à l’ISF est un coup porté à un impôt extrêmement moderne. L’ISF n’est nullement « l’exception française » que vous dénoncez ou, s’il l’est, c’est par sa modernité même. L’impôt sur le patrimoine existe en effet dans d’autres pays européens et aux États-Unis, mais en général sous la forme d’un impôt foncier assis sur des valeurs cadastrales. En France, on sait que ces valeurs sont sujettes à caution. L’assiette de l’ISF, à la foi mobilière et immobilière, est calculée sur des valeurs de marché.
Bref, alors que nous avons besoin de recettes fiscales, vous portez un coup à un impôt moderne qui rapportait 4 milliards d’euros par an, et vous le justifiez par la nécessité de compenser l’erreur que vous avez commise avec le bouclier fiscal. Mais l’impôt de solidarité sur la fortune existait en 2007 ! Votre calcul visant à compenser la suppression de l’un par la réforme de l’autre ne tient pas. Nous n’avons pas les moyens de nous priver des recettes de l’ISF en faisant, une fois de plus, un cadeau aux patrimoines les plus importants !
Lorsque mes collègues de la majorité s’inquiètent de la santé des entreprises françaises, ils commettent une certaine confusion. Le parti socialiste, lui, défend les entreprises, mais il ne confond pas leur patrimoine avec celui des chefs d’entreprise ou de leur famille. La question de l’ISF se pose la plupart du temps au moment où l’entrepreneur part à la retraite et cède son entreprise. Donc cet impôt ne pénalise pas du tout l’activité en France. S’il avait fallu le réformer, ç’aurait dû être pour réduire les niches qui permettent à certains d’y échapper.
Dans mon département, les assujettis à l’ISF sont très peu nombreux. Or, lorsque vous expliquez le passage du seuil à 1,3 million d’euros par la nécessité de répondre à la bulle immobilière, vous omettez de préciser, d’une part, que ce montant est hors dettes et, d’autre part, qu’un abattement de 30 % s’applique à la résidence principale. Les personnes qui se sont endettées pour acheter une résidence principale n’étaient de toute façon pas concernées par l’ISF.
La diminution des taux n’est pas une mesure de justice fiscale, mais un simple moyen de faire passer auprès de votre électorat votre retour en arrière sur une erreur majeure du début du quinquennat.
Mme Arlette Grosskost. S’agissant du régime fiscal simplifié des pactes d’actionnaires – les « pactes Dutreil » –, la réforme propose d’autoriser l’entrée de nouveaux actionnaires à condition que l’engagement collectif soit reconduit pour une durée minimale de deux ans. Sauf erreur de ma part, cette reconduction suppose un avenant aux pactes. Que se passe-t-il si les autres partenaires le refusent ?
M. Jean-Yves Cousin. Ayant appelé de mes vœux la suppression du bouclier fiscal, je me réjouis de cette réforme équilibrée et juste qui apporte 200 millions d’euros de recettes supplémentaires.
Pour ce qui est de la collecte de l’ISF via les sociétés d’investissement, le report du délai au 15 septembre ne pose-t-il pas un problème technique ? Certaines sociétés ont déjà commencé à collecter et à investir. Comme la collecte se fait en grande partie sur des montants qui n’atteignent plus, avec la réforme, le seuil de 1,3 million d’euros, quel est le mécanisme de correction qui est envisagé ?
M. le ministre. Certaines questions qui viennent d’être posées reprennent celles du président et du rapporteur général, auxquelles j’ai déjà répondu.
La définition des holdings, monsieur Joyandet, relève d’une instruction fiscale. Je suis ouvert à la discussion si des problèmes se posent : il convient en effet d’éviter des divergences d’interprétation.
La réintégration des liquidités dans le patrimoine privé est une mesure anti-abus. Bien entendu, nous sommes tout disposés à discuter des moyens de renforcer la sécurité juridique des entrepreneurs de bonne foi.
Je ne partage pas l’analyse de M. Mariton. De même, je ne suis pas vaincu par les arguments de Mme Filippetti, qui commet, je crois, une erreur d’interprétation et que j’invite à se rapprocher de mes services ou du rapporteur général pour la dissiper.
Pour ce qui est des décotes, on commencerait à 1 500 euros au seuil de 1,3 million d’euros et on atteindrait linéairement 3 500 euros à 1,4 million d’euros. Le même dispositif intervient entre 3 millions et 3,2 millions d’euros afin d’éviter le ressaut. Nos calculs nous permettent d’affirmer avec sérénité que la modification des tranches et des pourcentages ne fait pas de perdants.
Il est faux d’affirmer que la réforme avantage les grandes fortunes. Celles qui bénéficiaient du bouclier passeront d’un taux réel de 0,22 % – par le fait de stratégies d’optimisation du bouclier – à un taux de 0,5 %.
Par ailleurs, la suppression des mesures d’âge ne concerne que les successions et donations de plus de 150 000 euros, alors que la fortune moyenne des Français se situe entre 130 000 et 140 000 euros.
M. Hervé Mariton. Combien de personnes cela concerne-t-il ?
M. le ministre. Environ 25 000 contribuables.
Le seuil de 1,3 million d’euros, madame Brunel, a été revalorisé en fonction de l’évolution du prix de l’immobilier depuis 1982. Il permet de revenir au nombre de 250 000 redevables à l’ISF, comme c’était le cas en 2001. Le doublement de cet effectif en dix ans correspond bien à l’évolution des prix de l’immobilier et non à une évolution significative des revenus, puisque les nouveaux assujettis sont restés en deçà du seuil de la deuxième tranche. La réforme revient à l’idée initiale d’une contribution des plus fortunés des Français, en période de disette budgétaire, au financement des politiques publiques, dans un esprit de justice sociale – suppression du bouclier – et fiscale – correction des effets très négatifs que l’ISF a produits au fil du temps et adaptation de cet impôt aux réalités économiques.
Je suis à votre disposition, madame Filippetti, pour vous démontrer que tous les éléments que vous avancez sont faux. Il vous faudra bien reconnaître, lors du débat en séance publique, qu’il y a réllement une anomalie française et que même vos amis socialistes ont voulu y mettre un terme. Le plafonnement Rocard est une préfiguration du bouclier : la gauche au pouvoir s’est alors rendu compte que l’ISF était spoliateur et confiscatoire.
J’ai pour ma part appartenu à un gouvernement qui a plafonné le plafonnement. Je reconnais que c’était une erreur, corrigée depuis lors. Mais le bouclier n’est pas l’enfant de cette législature : il a été défini par le gouvernement Villepin. Quant au choix du taux de 50 %, il est lié à l’évolution des emprunts obligataires. Le dispositif n’est que l’application logique de la réalité de l’effort que l’on peut demander à un contribuable certes fortuné, mais qui ne peut s’appuyer sur le rendement moyen des obligations d’État, quand celui-ci diminue.
Bref, il vous faudra beaucoup d’art oratoire et de références historiques pour faire croire que cette réforme est un cadeau à quiconque et qu’elle fait des perdants. La vérité est qu’elle ne concerne que ceux qui sont actuellement assujettis à l’ISF et que nous essayons simplement de trouver un dispositif équilibré à l’intérieur de cette population. Si nous vous avions offert sur un plateau d’argent la suppression de l’ISF, j’aurais accordé un plus grand intérêt à vos arguments !
Le coût des mesures de décote est de 43 millions d’euros.
Pour le reste, les droits d’auteur des arguments relatifs au bouclier reviennent à son principal inventeur, le Premier ministre de gauche Michel Rocard.
M. le président Jérôme Cahuzac. Monsieur le ministre, nous vous remercions.
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Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 11 mai 2011 à 12 h 30
Présents. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Claude Bartolone, M. Jean-Marie Binetruy, M. Michel Bouvard, Mme Chantal Brunel, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Yves Censi, M. Jérôme Chartier, M. Jean-Yves Cousin, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Nicolas Forissier, M. Marc Francina, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Alain Joyandet, M. Marc Laffineur, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Marc Le Fur, M. Richard Mallié, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Jean-Claude Mathis, M. Henri Nayrou, M. Jacques Pélissard, M. Jean-Claude Sandrier, M. Michel Sapin, Mme Isabelle Vasseur
Excusés. - M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Pierre Brard, M. Alain Claeys, M. Patrick Lemasle, M. Hervé Novelli, M. Michel Vergnier
Assistait également à la réunion. - M. Gérard Bapt
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