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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 17 mai 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 72

Présidence de M. Jérôme Cahuzac, Président

–  Audition de M. Philippe Parini, directeur général des Finances publiques, sur les résultats de la cellule de régularisation et sur la campagne 2010 du bouclier fiscal

–  Présences en réunion

La Commission entend M. Philippe Parini, directeur général des Finances publiques, sur les résultats de la cellule de régularisation et sur la campagne 2010 du bouclier fiscal.

M. le président Jérôme Cahuzac. Nous accueillons aujourd'hui M. Philippe Parini, directeur général des Finances publiques. Sur les deux sujets à l’ordre du jour, j’ai transmis, le 2 mai dernier, à tous les membres de la Commission, les résultats provisoires qui m’ont été adressés au mois d’avril.

M. Philippe Parini, directeur général des finances publiques. Deux sujets retiennent aujourd'hui votre attention : d’une part l’activité de la cellule de régularisation des avoirs détenus à l’étranger et l’exploitation de la liste HSBC, la « liste des 3 000 », les deux opérations étant d’ailleurs liées, et, d’autre part, le bouclier fiscal. C’est pourquoi je suis accompagné de Jean-Marc Fenet, directeur adjoint chargé de la législation fiscale, et de Jean-Louis Gautier, qui dirige la sous-direction du contrôle fiscal et qui a supervisé l’activité de la cellule. Ils pourront vous répondre précisément.

La cellule de régularisation des avoirs détenus à l’étranger est une opération administrative, voulue par le ministre du Budget de l’époque, qui consistait à proposer à des résidents fiscaux français de se mettre en conformité avec la loi fiscale en s’adressant à un guichet clairement identifié, à même de leur apporter des réponses rapides. Jusque-là, un contribuable souhaitant se mettre en règle avec l’administration fiscale devait aller voir le directeur des services fiscaux de son département. La cellule de régularisation fiscale a été créée au printemps 2009, dans un local particulier, avec une appellation particulière, et présentée officiellement par le ministre. Évidemment, la consigne était de mettre le contribuable en conformité avec la loi fiscale, sans avantage particulier, en fonction de sa situation et de la nature de la fraude commise.

Le démarrage a été lent et le hasard a voulu qu’il coïncide avec la récupération par nos soins de la liste de clients HSBC. Dans un premier temps, nous avons décliné l’offre d’un informateur qui avait pris contact avec nous pour nous la communiquer car il voulait rester anonyme : l’administration fiscale a en effet pour règle de ne prendre des informations qu’à la condition qu’elles soient gratuites et que la source soit identifiée. Nous savions que les informations avaient été dérobées et qu’il nous était impossible d’établir un contrôle fiscal sur cette seule base. Nous avons donc attendu une transmission officielle par le juge, puis déclaré le fichier à la CNIL de façon à pouvoir en faire usage dans nos contrôles fiscaux, ceci à l’été 2009. Le ministre a décidé alors de lier les deux événements en rendant publique l’existence de la liste et en invitant dans le même temps à une régularisation auprès de la cellule avant le 31 décembre 2009. Il a entendu donner à l’opération un caractère exceptionnel. Elle lui doit sans doute son succès.

À ce stade, les dossiers pouvaient être nominatifs ou anonymes. Dans ce dernier cas, le représentant du contribuable décidait, après discussion, de lever ou non l’anonymat : ceci explique qu’il y ait eu un grand nombre de dossiers non traités à la fin de l’année 2009. Nous aurons reçu finalement plus de 4 000 demandes et nous en terminons le traitement seulement maintenant. Le mandat donné par le ministre indiquait qu’il ne s’agissait nullement d’une amnistie. Notre tradition administrative distingue les fraudeurs passifs, de loin les plus nombreux, des fraudeurs actifs, qui subissent des pénalités plus fortes. La grande majorité des demandeurs avaient hérité d’un compte qui n’avait pas été déclaré, auquel ils n’avaient jamais touché : il s’agit de fraudeurs passifs. Au total, la cellule aura rapporté entre 1,2 et 1,3 milliard d’euros de droits, de pénalités et d’intérêts, sur des sommes dépassant 7 milliards d’euros et qui, dans l’immense majorité, ont été rapatriées à cette occasion. L’administration fiscale s’est contentée d’appliquer le droit fiscal, sans « tarif » particulier. Il m’apparaît que les contribuables se sont manifestés parce qu’il y avait un guichet identifié et une équipe dédiée qui apportait des réponses rapides. Et l’immense majorité d’entre eux ne figuraient pas sur la liste HSBC. En définitive, nous aurons traité d’ici l’été près de 4 500 dossiers en donnant, dans un premier temps, la priorité à l’ISF, avant l’impôt sur le revenu.

Une fois sa validité juridique acquise, la liste HSBC a été traitée à partir de l’automne 2009. Sur 100 000 noms de cette liste, environ 3 000 nous intéressaient, sachant qu’une personne peut avoir plusieurs comptes. Une équipe installée dans une de nos directions nationales a examiné autour de 1 000 dossiers en 2010, elle en traitera 1 000 autres en 2011 et les 1 000 derniers en 2012. Nous avons commencé par les gros montants, mais en panachant. Et nous menons un contrôle fiscal.

On a critiqué le fait que l’administration ait utilisé un fichier volé. Je rappelle qu’il n’a pas été exploité avant de nous avoir été officiellement transmis par un juge. Par ailleurs, je ne connais pas d’administration de contrôle qui fasse son travail sans information. Les fraudeurs qui se présentent spontanément sont rares... Les contribuables qui ont contacté la cellule l’ont fait sous le coup d’une menace. Il n’est pas choquant que l’administration utilise des informations, dans le respect du droit. N’ayant pas obtenu la coopération de la banque HSBC, nous ne pouvions pas établir un redressement fiscal sur la base exclusive d’une information qui provenait d’un vol, mais nous avions le devoir d’exploiter l’information transmise par un juge lorsqu’elle constitue un soupçon de fraude. Nous signalons aux contribuables désignés sur la liste que nous avons un fort soupçon et nous les invitons à régulariser. Nous profitons de l’occasion pour examiner l’ensemble de leur situation fiscale. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit bel et bien de fraudeurs. Ne confondons pas les gendarmes et les voleurs ! La liste n’est pas le seul élément retenu pour établir un contrôle, mais elle constitue un indice. Certains contribuables acceptent d’entamer un processus de régularisation
– mais ce ne sont pas les plus nombreux. Dans les autres cas, l’administration n’hésitera pas à les déférer devant la commission des infractions fiscales et à les mettre dans les mains du fisc judiciaire.

M. Jérôme Chartier, suppléant M. Gilles Carrez, rapporteur général. Quel est le montant moyen d’un dossier de régularisation ? Les bases taxables rapatriées, supérieures à 7 milliards d’euros, généreront-elles dans les prochaines années des recettes fiscales pérennes ? Pourriez-vous faire la part entre les intérêts de retard et les pénalités dont vous nous avez dit qu’ils se montaient, fin février, à 70 millions d’euros pour 1 600 dossiers traités ? Qu’en est-il aujourd'hui ? Comment appréciez-vous l’insécurité juridique qui entoure l’exploitation du fichier ? Elle ne vous a pas empêché de procéder à des saisies. Combien ? Avez-vous fait un bilan intermédiaire des pénalités, des impôts recouvrés et des actifs redressés ?

M. le président Jérôme Cahuzac. L’assiette des actifs récupérés se monte à 7,2 milliards d’euros au total. Pouvez-vous donner le détail par année et par impôt, jusqu’en 2003 en ce qui concerne l’ISF ? Si vous ne l’avez pas, je vous remercie de me les communiquer par écrit. Cette assiette restera-t-elle dans la base imposable en 2011 et les années suivantes ?

Le chiffre de 70 millions d’euros, au titre des intérêts de retard et des pénalités, paraît faible au vu des montants recouvrés, même si les fraudeurs passifs, les plus nombreux, sont moins pénalisés que les fraudeurs actifs. Est-ce parce que la somme ne vaut que pour les 1 600 premiers dossiers traités ?

L’étude d’impact du projet de loi de finances rectificative évalue à 300 millions d’euros le produit de lutte contre la fraude fiscale. Pouvez-vous décomposer ce chiffre par nature de prélèvement ? Le projet de loi de finances initiale estimait à 3,9 milliards d’euros les recettes de l’ISF pour 2011 et l’étude d’impact de la réforme de la fiscalité du patrimoine fait état de 3,76 milliards. D’où vient cette différence, qui n’est pas anodine, surtout quand l’équilibre de la réforme tient à une recette exceptionnelle de 300 millions d’euros ?

Enfin, je m’interroge, comme M. Chartier, sur les effets de l’annulation par la cour d’appel de Paris d’une ordonnance de perquisition prise à partir de l’exploitation du fichier HSBC remis à la justice, décision que l’administration a contestée. Quand la Cour de cassation doit-elle rendre sa décision ? Et quelle est, selon vous, votre probabilité de succès ?

M. Philippe Parini. La somme de 1,2 milliard d’euros, qui n’aurait pas été récupérée sans cette opération exceptionnelle, représente le produit de deux années
– 500 millions d’euros en moyenne – des quelque 5 000 contrôles fiscaux individuels approfondis menés bon an mal an. Ce montant s’ajoute à celui obtenu dans le cadre de l’activité normale. Les 7 milliards d’euros réintégrés dans la base d’imposition des contribuables devraient y rester.

Les contrôles fiscaux effectués par la direction nationale nous semblent assurés juridiquement dans la mesure où les redressements ne se font pas sur la base de cette seule information. Dans le cas que vous avez cité, nous avons eu besoin de perquisitionner pour alimenter le dossier de personnes figurant sur la liste de 3 000. Nous avons perdu car nous avions invoqué – sans doute par candeur administrative – ce seul motif. Nous nous garderons bien de répéter une telle erreur. Sur le fond, le débat de spécialistes oppose les magistrats qui estiment qu’une perquisition peut se fonder sur une telle information et ceux qui soutiennent la thèse inverse. En tout cas, le contentieux ne porte pas sur l’utilisation de la liste, mais sur la perquisition. Je ne crois pas qu’il faille en conclure que notre position est affaiblie. Cela signifie que nous devons être extrêmement vigilants – et c’est normal – aux droits du contribuable. La question est complexe cependant, et les décisions rendues ne sont pas les mêmes selon que l’on est devant le juge civil ou le juge pénal.

M. le président Jérôme Cahuzac. Les opérations ont-elles été annulées définitivement ou bien pourrez-vous les reprendre en étayant davantage vos initiatives ? Autrement dit, la décision de justice menace-t-elle l’exploitation du stock de vos dossiers ?

M. Jean-Louis Gautier, sous-directeur du contrôle fiscal. La cour d’appel de Paris a annulé la visite-saisie, et sanctionné l’utilisation des pièces obtenues par ce moyen.

M. le président Jérôme Cahuzac. Vous ne pourrez donc plus vous prévaloir des pièces obtenues dans ce cadre.

M. Jean-Louis Gautier. Ce n’est pas certain car, dans une affaire semblable, la cour d’appel de Chambéry a rendu un verdict favorable à l’administration en validant la perquisition.

La somme de 1,2 milliard d’euros n’est pas reconductible. En revanche, l’assiette de 7 milliards d’euros devrait être pérenne, et générer chaque année des revenus, donc de l’impôt sur le revenu, et de l’ISF.

En ce qui concerne le montant des pénalités et des intérêts, il faut revenir sur la procédure de régularisation. Dans un premier temps, la cellule établit les modalités de la régularisation, détermine s’il s’agit de fraude active ou passive, et fixe le montant des pénalités. Dans un second temps, les directions départementales réalisent les actes de recouvrement. L’ISF, l’impôt sur le revenu, les contributions sociales, les intérêts et les pénalités ne sont intégralement réglés qu’au terme de ce processus qui prend du temps. Aujourd'hui, sur les 4 500 dossiers examinés par la cellule, 2 400 – et non plus 1 600 comme indiqué fin février – sont arrivés à leur terme. Les intérêts et les pénalités correspondants se montent à 84 millions d’euros, au lieu de 70 millions en février dernier.

Quant au 1,2 milliard d’euros, il comprend d’abord ce qui a déjà été mis en recouvrement, soit 1,08 milliard d’euros. Cette somme correspond, premièrement, à l’ISF et aux droits de mutation à titre gratuit encaissés par la cellule sur les 4 500 dossiers ; deuxièmement, à l’IR et à la CSG sur les dossiers définitivement clos ; troisièmement, aux intérêts et aux pénalités sur ces mêmes dossiers qui ont été mis en recouvrement et en grande partie réglés. La deuxième composante est une estimation de ce qui reste à mettre en recouvrement, c'est-à-dire la totalité des sommes à récupérer – ISF, IR, CSG – sur les 200 dossiers qui n’ont pas encore été traités, l’IR et la CSG sur les quelque 2 000 dossiers en cours de recouvrement dans les directions départementales, et les intérêts de retard et les pénalités sur ces mêmes dossiers. Si on extrapole les rentrées constatées sur les dossiers moyens, et abstraction faite des cas exceptionnels, il reste à recouvrer un peu plus de 200 millions d’euros. Nous arrivons ainsi à 1,2-1,3 milliard d’euros.

Quant au montant moyen d’un dossier, il est d’un peu moins de 300 000 euros. Mais c’est une moyenne : il y a quelques très gros dossiers, et de nombreux autres qui sont bien moindres.

Le profil type du candidat à la régularisation est une personne âgée – ou ses héritiers –, qui vient régulariser une situation dont elle a hérité. Nous avons affaire, dans la très grande majorité des cas, à des fraudeurs passifs. L’argent avait quitté la France parfois au cours de la Seconde Guerre mondiale, ou en 1968, ou en 1981. On trouve aussi des frontaliers et d’anciens expatriés qui n’avaient pas déclaré à leur retour les comptes qu’ils avaient ouverts à l’étranger. En matière de fraude active, on relève notamment quelques commerçants qui ont minoré leurs bénéfices pour alimenter leurs comptes à l’étranger. Les comptes en question étaient très majoritairement dans des établissements suisses. Parmi les dossiers traités par la cellule, on ne retrouve que 68 noms sur la liste HSBC.

M. Philippe Parini. Finalement, après exploitation de la liste HSBC, nous aurons retrouvé au total quelques 7 000 fraudeurs. Cette opération aura été un succès dans la lutte contre la fraude fiscale. Mais elle avait un caractère exceptionnel et elle était limitée dans le temps. La publicité faite autour de la liste HSBC a permis une prise de conscience de la part des personnes qui se sont présentées à la cellule. Les conseils fiscaux nous l’ont confirmé.

M. Jean-Louis Gautier. S’agissant de la liste HSBC, toutes les personnes identifiées feront, d’une façon ou d’une autre, l’objet d’un contrôle qui se déroulera en plusieurs vagues. Nous avons actuellement 700 examens de situation fiscale personnelle approfondie en cours ; 110 sont d’ores et déjà terminés. Ils ont porté sur 350 millions d’euros d’actifs et nous réclamons 75 millions d’euros d’impôts et de pénalités. Actuellement, 60 % des contribuables contrôlés reconnaissent les faits, après avoir reçu l’avis de vérification, ce qui nous simplifie la tâche. Le contrôle se resserre sur les autres et, à ce jour, nous avons transmis 40 dossiers au fisc judiciaire. Ils sont dans les mains de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale qui dispose de moyens de police judiciaire pour établir la fraude.

M. Jérôme Chartier. Le recours contre l’utilisation de la liste HSBC a-t-il été introduit par un ou plusieurs contribuables récalcitrants ?

M. Jean-Louis Gautier. Une trentaine de contribuables ont fait l’objet d’une visite-saisie. L’un d’entre eux a saisi les tribunaux et obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Paris ; un autre a été débouté par la cour d’appel de Chambéry. Le but visé était d’obtenir des pièces pour étayer notre contrôle fiscal. Le reste des contrôles devrait s’échelonner sur 2011 et 2012.

M. le président Jérôme Cahuzac. Vous ne nous avez pas encore expliqué la différence entre les deux estimations du produit de l’ISF pour 2011. Par ailleurs, quel sera l’impact des opérations exceptionnelles que vous venez de décrire ? Et, à l’inverse, combien faut-il attendre des recettes d’ISF qui seront pérennisées, du fait de l’élargissement de l’assiette ?

M. Philippe Parini. Je ne peux pas répondre pour le moment, mais je vous fournirai très rapidement les renseignements par écrit.

M. Pierre-Alain Muet. Connaissez-vous le nombre de contribuables qui, en temps normal, viennent spontanément régulariser leur situation ? Dans le cadre de l’exploitation de la liste HSBC, quelles sont les relations entre le fisc judiciaire et l’administration fiscale ? Enfin, les recettes attendues ont un caractère essentiellement exceptionnel et, dans ce cas, il serait de bonne gestion de ne pas les affecter à une réforme fiscale.

M. Thierry Carcenac. Quels moyens avez-vous mis en œuvre pour mener à bien les régularisations ? Quels étaient les effectifs de la cellule ? Et combien d’officiers fiscaux judiciaires ont travaillé à ces dossiers ? Combien des 4 000 ou 5 000 examens de situation fiscale personnelle – ESFP – effectués annuellement ont-ils visé de personnes figurant sur la liste HSBC ? De plus, cette liste n’est pas la seule. Travaillez-vous sur la liste UBS que les États-Unis ont obtenue ? L’ordre de grandeur n’est pas le même entre le nombre de dossiers que vous traitez et celui avancé – 500 000 – pour le nombre de Français ayant un compte en Suisse. Comment rendre les contrôles fiscaux plus offensifs ?

Des demandes de renseignement sont adressées aux territoires non coopératifs. J’ai lu dans la presse que, s’agissant de la Suisse, la France, de même que la Grande-Bretagne et l’Allemagne, s’était apparemment engagée sur la voie de conventions de taxation des comptes en contrepartie de l’anonymat et du secret bancaire. Est-ce le cas ? Et n’existe-t-il pas d’autres pistes possibles pour lutter contre la fraude ?

Les fraudeurs ont-ils pu se prévaloir du bouclier fiscal ?

Pouvez-vous nous donner les éléments qui ont servi à établir les produits à attendre de la lutte contre l’évasion fiscale dans le chiffrage très précis du projet de réforme ?

M. Jean-Claude Sandrier. Un incident fortuit, la récupération d’un fichier volé, a finalement permis de rapatrier 7 milliards d’euros. Quelles mesures pourrait-on prendre, y compris au plan international, pour asseoir le contrôle sur des bases légales incontestables, d’autant qu’il y a vraiment urgence à agir ?

M. Alain Rodet. Parmi les contribuables qui se sont présentés à la cellule, les Hauts-de-Seine, Paris et les Alpes maritimes étaient-ils surreprésentés ? Quelle rétroactivité avez-vous appliquée pour calculer le redressement au titre de l’ISF ?

Mme Aurélie Filippetti. Une question en marge du débat. Le 24 décembre 2010, la presse s’est fait l’écho d’un redressement frappant certains associés de la compagnie de l’Audon, au motif qu’ils avaient réalisé un gain de 324 millions d’euros au détriment de la société Wendel. M. Lafonta, ancien président du directoire, s’est vu réclamer 100 millions d’euros et M. Ernest-Antoine Seillière 50 millions d’euros. L’Autorité des marchés financiers elle-même, par le biais de sa commission des sanctions, a condamné à une amende le 13 décembre 2010 la société Wendel et le président du directoire, M. Lafonta, pour défaut d’information du marché sur la préparation de la « montée » de Wendel au capital de Saint-Gobain. Comment la représentation nationale peut-elle connaître les suites données à ce redressement qui porterait sur 240 millions d’euros ? A-t-elle les moyens d’être informée d’éventuels dégrèvements, d’une saisine du juge d’instruction, et, enfin, des sommes recouvrées par l’URSSAF à la suite de la requalification en salaires des sommes perçues ? Il s’agit d’un enjeu démocratique compte tenu des sommes en cause et du manque à gagner pour les finances publiques.

M. Jean-Louis Gautier. Les fraudeurs passifs, très majoritaires, étaient soit des personnes âgées, ayant hérité de longue date, qui sont venues pour préparer leur succession et laisser une situation nette derrière eux ; soit des légataires se présentant peu de temps après le décès du donateur pour régulariser un héritage qu’ils venaient de découvrir. Les fratries étaient donc très nombreuses. Avant cette opération exceptionnelle, la sous-direction du contrôle fiscal faisait moins de dix régularisations par an.

Nous transmettons un dossier au fisc judiciaire après avis de la commission des infractions fiscales qui, jusqu’à présent, a toujours été favorable. Nous transmettons le dossier au parquet, qui choisit le service de police judiciaire chargé de l’instruction. Le fisc judiciaire est un service de la direction centrale de police judiciaire ; il n’appartient pas à la DGFIP de suivre les dossiers qui sont confiés aux huit officiers de police judiciaire ou aux treize officiers fiscaux judiciaires composant une équipe mixte placée sous l’autorité du parquet ou d’un juge d’instruction.

M. Philippe Parini. La cellule de régularisation comprenait dix-sept personnes qui ont été prélevées sur les effectifs des brigades de contrôle fiscal puisque, dans un souci de productivité, il n’y a pas eu de création d’emplois. Mais, pour tenir compte de l’effort à fournir, j’ai obtenu que les agents de la DGFIP affectés au contrôle fiscal ne supportent pas de suppression d’emplois. Une fois son travail terminé, la cellule sera dissoute et les agents rejoindront leur affectation d’origine. Quant aux officiers fiscaux judiciaires, ils ont été prélevés sur nos effectifs et il est probable que l’activité justifie que leur nombre soit quelque peu augmenté. Il ne sera pas difficile de vous dire, quand les comptes seront faits, combien l’exploitation de la liste HSBC aura représenté d’ESFP en plus, non plus que de séparer l’exceptionnel de l’habituel.

Nos moyens ne se limitent pas aux listes et vous avez évoqué les discussions avec la Suisse. Les ministres ont mis en place une palette de moyens, l’idée étant de conjuguer information externe et information interne. Dans la première catégorie, il existe les nombreuses conventions de coopération entre États que la France a signées, et que nous sommes en train de mobiliser : près de 80 demandes d’investigation ont été adressées à différents pays. Dans la seconde, nous avons obtenu la communication systématique par les banques des transactions individuelles exécutées avec certains pays, que nous choisissons en priorité parmi ceux qui servent à l’évasion fiscale. Nous commençons notre première campagne. En fonction de ce que nous aurons trouvé, nous lancerons des investigations fiscales. Nous cherchons à renforcer encore nos moyens d’information et d’investigation pour mieux cibler les contrôles.

Nos objectifs sont triples, et d’égale importance : une égale couverture du territoire au nom du principe républicain d’égalité devant l’impôt ; une focalisation sur les secteurs où la fraude se niche en priorité ; le rendement : nous choisissons surtout les opérations susceptibles d’avoir un fort rendement. Le contrôle ciblé par branche doit reposer sur un renforcement de l’information et une répression plus forte.

Comment transformer l’exceptionnel en régime de croisière ? il faut d’abord faire admettre l’idée – et la représentation nationale peut nous y aider – que l’administration fiscale est là pour sanctionner les fraudeurs. Lorsque nous avons réceptionné la liste HSBC, nous nous sommes sentis un peu seuls, en butte aux nombreuses critiques de la presse sur nos façons de procéder. D’autres pays agissaient pourtant de la même façon, et sans état d’âme. La lutte contre la fraude, pourvu qu’elle s’inscrive dans le respect des textes, est un objectif républicain. Cette idée simple ne fait pas suffisamment partie de notre paysage.

Mais il n’y a pas que la fraude internationale, il y a aussi la fraude interne, bien que la France ne soit pas un pays de fraudeurs. Pour être plus efficaces, les directions nationales devraient être renforcées parce que, à côté de la petite fraude, traditionnelle, il en est d’autres, plus organisées et plus complexes, qui se situent à la limite de l’évasion fiscale. Pour les traiter, il faut des spécialistes. Nous allons donc renforcer la compétence et le champ d’investigation de nos directions nationales qui pourront traiter directement des dossiers jusque-là noyés parmi les autres dans les directions départementales.

Madame Filippetti, le pouvoir répressif incombe à l’administration fiscale. Les textes lui donnent une certaine latitude, y compris pour les pénalités. Mais l’administration doit rendre compte, d’abord à son ministre, ensuite au Parlement. J’ai d’ailleurs donné des consignes pour que nos méthodes de travail améliorent la « traçabilité ». Il existe toutefois le secret fiscal qui fait obstacle à l’information du Parlement, mais qui constitue avant tout une protection pour le contribuable. Nous sommes très exigeants envers nos agents sur ce point parce que nous ne voulons pas être les instruments d’une manipulation quelconque. Cela étant, je comprends votre demande. Le président de la commission des finances et le rapporteur général ont un pouvoir d’investigation complet, y compris sur des dossiers individuels. Et si l’un ou l’autre m’interroge sur les suites données à ce dossier, madame la députée, je lui communiquerai tous les éléments.

M. Jean-Louis Gautier. L’origine géographique des régularisés reflète notre tissu économique, c'est-à-dire la prépondérance de Paris et de l’Île-de-France. La régularisation de l’ISF porte sur ce qui n’est pas prescrit, soit six ans.

M. Marc Francina. Habitant une région frontalière, je sais que les banquiers suisses ne sont pas à court d’imagination pour déjouer les fuites de renseignement. De quels moyens disposez-vous pour débusquer les fraudeurs qui n’ont pas bougé ? N’avez-vous pas de doutes sur la volonté de coopération des Suisses ?

M. Philippe Parini. Toute la difficulté consiste à identifier des gens que, par définition, on ne connaît pas. Les listings de transactions bancaires devraient nous apporter une nouvelle source d’information. Les autorités suisses développent un projet appelé RUBIK qui permet de préserver l’anonymat de la clientèle en contrepartie du versement de ce que je considère comme une rente. Elles feraient office de fermiers généraux en prélevant l’impôt à notre place. Un tel procédé ne correspond pas à notre culture et je ne recommanderai pas, en tant que directeur des finances publiques, de s’engager dans cette voie, mais le projet suscite l’intérêt dans plusieurs pays. En ce qui nous concerne, notre axe reste, conformément aux accords internationaux, la levée du secret bancaire.

M. le président Jérôme Cahuzac. Venons-en à la campagne 2010 du bouclier fiscal. Connaît-on précisément le coût du bouclier fiscal en année pleine ? Confirmez-vous le chiffre de 700 millions d’euros fourni dans l’étude d’impact ? Quelles conclusions avez-vous tirées de l’examen des cas les plus étonnants de contribuables dont le patrimoine dépasse les 16 millions d’euros et déclarant des revenus inférieurs au RSA ? Leur nombre a doublé un an, passant d’une quinzaine à une trentaine. Je souhaiterais que vous m’éclairiez sur le paradoxe qu’il y a à déclarer ne pas savoir combien rapportera l’ISF avant la réforme et à affirmer que cette réforme sera financée à l’euro près.

M. Jean-Marc Fenet, directeur adjoint chargé de la fiscalité. Nous vous fournirons dès que possible l’estimation de l’ISF pour 2011. En 2010, le produit de l’ISF était de 3,6 milliards d’euros après avoir défalqué 500 millions, sur 887 millions récupérés par la cellule de régularisation, au titre de l’année 2010. D’autre part, 300-400 millions sont issus du contrôle fiscal traditionnel et concernent des années antérieures. Ce chiffre est relativement stable d’une année sur l’autre.

S’agissant du bouclier, je rappelle qu’il s’agit d’une estimation pour l’année 2010, c'est-à-dire que les chiffres correspondent aux créances portées par les contribuables pendant l’année 2010 au titre des années précédentes, rapportées aux revenus de l’année 2008. Les données définitives seront publiées en juillet. En février 2010, 14 500 personnes avaient bénéficié de la procédure, par le biais soit d’une réclamation, soit d’une autoliquidation sur l’ISF ou, exceptionnellement, sur la taxe foncière. L’année précédente, elles étaient 16 350. Nous verrons si cette diminution se confirme parce que le nombre définitif était de 18 000 personnes en 2009, se répartissant entre 10 000 « petits boucliers », non assujettis à l’ISF – ce sont généralement des gens qui touchent des minima sociaux – et 8 000 « gros boucliers » redevables de l’ISF. La diminution constatée par rapport à l’année précédente porte quasiment exclusivement sur le nombre de « petits boucliers ». Nous observons par ailleurs une forte montée en puissance de l’autoliquidation. En février, nous avions restitué environ 590 millions d’euros au titre du bouclier 2010, dont plus de 200 millions sous forme d’autoliquidation sur l’ISF – soit un doublement d’une année sur l’autre. Mais les conclusions définitives devront attendre le mois de juillet.

Vous vous intéressez, monsieur le président, aux cas très particuliers qui présentent un petit revenu fiscal de référence et un gros patrimoine. Ils se chiffrent en dizaines : 18 ou 19 personnes disposent d’un revenu fiscal de référence de 3 500 euros et d’un patrimoine de plus de 16,5 millions d’euros. Leur situation a fait l’objet d’un examen détaillé, après l’étude approfondie menée, il y a deux ans, à la demande de votre commission, et qui portait sur 210 dossiers. Les conclusions sont à peu près les mêmes. La principale explication tient à l’effet déformant du choix du revenu fiscal de référence – RFR –, qui n’est pas celui qui constitue le dénominateur dans le calcul du bouclier fiscal. Les revenus exonérés ne figurent pas dans le revenu fiscal de référence alors qu’ils sont réintégrés dans le dénominateur du bouclier fiscal. Dans plus de la moitié des cas, le RFR est très faible à cause de la masse des revenus exonérés, pour l’essentiel ceux de l’assurance-vie. Pour l’autre partie, le RFR est faible après imputation des déficits catégoriels – BIC et revenus fonciers issus des dispositifs Périssol, Besson ou autres. L’étude précise menée il y a deux ans montrait que l’impact des niches fiscales était pratiquement négligeable sur beaucoup de ces personnes qui seraient, de toute façon, restées non imposables à l’impôt sur le revenu. Les cas sont tout de même très rares parmi les 18 000 personnes qui bénéficient du bouclier fiscal. En conclusion, le revenu fiscal de référence n’est sans doute pas le bon critère car il a un effet déformant, mais c’est le seul dont nous disposons. Ensuite, ce sont les déficits catégoriels qui expliquent ce paradoxe.

M. Pierre-Alain Muet. Quelle est, dans chaque tranche de l’ISF, la proportion de bénéficiaires du bouclier fiscal ?

M. Jean-Marc Fenet. Elle est très faible dans les premières tranches et élevée dans les dernières. La réalité confirme l’intuition. Je n’ai pas les chiffres exacts, mais je pourrai vous les communiquer.

M. Pierre-Alain Muet. Faites-vous des contrôles sur l’autoliquidation ?

M. Jean-Marc Fenet. Le bénéfice d’un avantage fiscal n’est pas en soi un axe de contrôle. Cela étant, il est probable que ceux qui utilisent le bouclier fiscal sont situés dans des tranches de revenu et de patrimoine où ils font l’objet d’une attention plus soutenue de notre part que d’autres contribuables.

M. Thierry Carcenac. Vous avez relevé que les très gros patrimoines pouvaient présenter de très faibles revenus à cause de leurs nombreux revenus exonérés, notamment ceux de l’assurance-vie. Sont-ils les seuls dans ce cas ou bien constatez-vous le même phénomène dans les autres tranches ?

M. Jean-Marc Fenet. L’échantillon que nous avons examiné portait sur 210 dossiers, mais nous n’avons pas pu mener d’étude exhaustive.

M. le président Jérôme Cahuzac. Il ne me reste plus, messieurs, qu’à vous remercier.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a reçu en application de l’article 12 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 deux projets de décret portant transfert et virement de crédits :

– un projet de décret de virement de crédits d’un montant de 20 550 000 euros en autorisations d’engagement et 2 500 000 euros en crédits de paiement, du programme 146 Équipement des forces de la mission Défense à destination du programme 212 Soutien de la politique de la défense de la mission Défense. Ce virement intervient dans le cadre du programme du système de commandement et de conduite des opérations aériennes, étape 3 (programme SCCOA 3). Il est destiné au financement des travaux de génie civil et des premières opérations de maintenance du centre ARS sur le site de Cinq-Mars-La-Pile (Indre et Loir), qui résulte de la combinaison de missions de contrôle, de reconnaissance et de communication lors de la conduite d’opérations aériennes ;

– un projet de décret portant transfert de crédits d’un montant de 13 393 692 euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement, du programme 124 Soutien de la politique de l’éducation nationale de la mission Enseignement scolaire vers le programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire de la mission Recherche et enseignement supérieur. Il fait suite à la dissolution de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP).

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

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Réunion du mardi 17 mai 2011 à 17 heures

Présents. - M. Jean-Pierre Balligand, M. Claude Bartolone, M. Michel Bouvard, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Yves Censi, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, Mme Aurélie Filippetti, M. Marc Francina, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, M. François Goulard, M. Laurent Hénart, M. Alain Joyandet, M. Jean-Claude Mathis, M. Pierre-Alain Muet, M. Henri Nayrou, Mme Béatrice Pavy, Mme Sophie Primas, M. Alain Rodet, M. Jean-Claude Sandrier

Excusés. - M. Dominique Baert, M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Pierre Brard, M. Patrick Lemasle, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Novelli, M. Michel Vergnier