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La commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire entend, en audition commune avec la commission des Affaires européennes, M. Olli Rehn, commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires.
M. Pierre Lequiller, Président de la commission des Affaires européennes. Je suis extrêmement heureux d’accueillir M. Olli Rehn, commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires, pour cette audition conjointe avec la Commission des finances. Je tiens à vous féliciter pour les progrès accomplis sur la voie d’une gouvernance économique commune. Trois grands axes d’action de la Commission serviront de cadre à mon introduction.
En premier lieu, la situation économique de l’Union, qui est préoccupante, compte tenu des multiples épisodes de crise des dettes souveraines. La solidarité communautaire a été sans faille pour soutenir la Grèce, l’Irlande et le Portugal, et des efforts significatifs d’ajustement ont été mis en œuvre par ces trois pays. Cependant, les nuages ne sont pas dissipés et la situation de la Grèce demeure préoccupante. Comme il est difficile de différencier reprofilage et restructuration ! Que pensez-vous de l’éventualité d’un blocage des aides du Fonds monétaire international (FMI) au cas où les efforts de la Grèce seraient jugés insuffisants ? Cette perspective est-elle réaliste ?
Le deuxième axe est celui de la gouvernance économique sur laquelle le Parlement français a travaillé – nous avons récemment débattu à ce propos dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale et nous avons tenu à ce sujet une réunion conjointe avec les membres français du Parlement européen. Les programmes de stabilité et de réforme ont été transmis à la Commission. Quelle est la position de la Commission européenne sur l’évolution du pacte pour l’euro plus ? Comment voyez-vous la participation des parlements nationaux au semestre européen ?
Une proposition commune de l’Assemblée nationale et du Sénat a été présentée à la Conférence des présidents des parlements de l’Union pour organiser, dans le cadre du semestre européen, la coordination entre les présidents des commissions des finances des parlements des 27 États de l’Union et les présidents des commissions concernées du Parlement européen. La conférence des présidents des parlements a adopté cette proposition consistant à créer une « conférence budgétaire » annuelle, en mai, entre les présidents des commissions concernées. Il convient à présent d’organiser la mise en place de cette conférence pour début 2012.
Le troisième chantier est celui de la régulation financière sur lequel je n’ai pas besoin d’insister.
Enfin l’actualité me conduit à vous poser une dernière question : Mme Christine Lagarde devrait officialiser aujourd’hui sa candidature à la direction générale du Fonds monétaire international. Quelle est votre opinion sur les chances de réussite de l’Europe à conserver la direction générale du FMI ?
M. Jérôme Cahuzac, Président. Je souhaite la bienvenue à M. Olli Rehn. Le semestre européen est une excellente occasion de nous retrouver. 2011 est l’année de sa première mise en œuvre : les programmes de stabilité et de croissance ont été adressés à la Commission qui donnera son appréciation le 8 juin, le Conseil européen devant communiquer à chaque État son avis et ses recommandations aux fins de coordination des politiques économiques et budgétaires. La France participe à ce processus et a procédé à une réduction de ses dépenses mais également prévoit une augmentation de 35 à 40 milliards d’euros des prélèvements obligatoires sur 5 ans. Il convient donc de coordonner notre action au sein de l’Union européenne. Les questions qui se posent quant aux modalités et au degré de cette coordination sont nombreuses.
La gouvernance économique de l’Europe est rendue compliquée par la coexistence de la zone Euro et celle des États hors zone Euro, alors même que la défense de la zone Euro s’avère difficile.
Comment envisagez-vous donc la coordination de l’action des parlements nationaux avec celle des autorités communautaires ? Ces dernières ont toute légitimité pour jouer leur rôle dans l’Union mais la souveraineté nationale s’exprime par les parlements nationaux. Un compromis est donc nécessaire.
Un même compromis doit intervenir quant aux rôles respectifs de la Commission, du Conseil européen et du Parlement européen.
Par ailleurs, les hypothèses de construction budgétaire devraient être communes aux différents États de l’Union, qu’il s’agisse des taux de croissance, du prix de l’énergie, du taux de change et de la protection sociale, même si l’élaboration des budgets nationaux demeure une compétence souveraine des États.
Je suis réservé sur la mise en œuvre de sanctions par l’Union européenne, surtout s’il s’agit d’un mécanisme de sanctions automatiques. Il convient toujours d’opérer un travail préalable permettant de déterminer qui doit sanctionner, sur quels critères, et avec quels effets attendus.
Je pense que le degré d’harmonisation des politiques publiques au sein des États doit tenir compte de leurs spécificités. Nous avons assisté à des attaques spéculatives contre la Grèce justifiées par l’incurie de sa gestion alors que les difficultés de l’Irlande s’expliquent, d’une autre manière, par l’aveuglement de son secteur privé. La situation du Portugal est encore différente puisque ce pays a subi des difficultés de refinancement de sa dette pour des motifs essentiellement spéculatifs. La spécificité des situations appelle des politiques différenciées.
Quel est le point de vue de la Commission sur la conciliation des objectifs d’assainissement des finances publiques et de soutien de la croissance ? L’augmentation des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne fait peser une menace indifférenciée sur les pays de la zone Euro où les situations sont différentes.
Quelle est la position de la Commission sur le montant et la mise en œuvre du mécanisme de stabilisation financière ? Peut-on considérer que le fonds de stabilisation financière est doté de moyens suffisants pour l’instant mais qu’une crise systémique pourrait le mettre en difficulté ?
Enfin, la mise en œuvre des accords de Bâle 3 sur les ratios prudentiels des banques doit se traduire par une directive communautaire actuellement en préparation. Il est souhaitable de maintenir une marge de manœuvre aux États pour la détermination du degré de liquidité des banques, tant les systèmes bancaires sont différents d’un pays à l’autre. C’est ainsi qu’en France l’activité traditionnelle de transformation des dépôts à court terme en prêts à long terme par les banques risque d’être mise en péril si l’on impose un cadre trop rigide au plan communautaire. Il convient donc de laisser une marge d’appréciation à chaque État.
M. Olli Rehn, commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires. Je vous remercie de m’offrir cette occasion d’intervenir devant vos deux commissions, ce qui montre bien l’imbrication des questions européennes et économiques.
La crise actuelle a brutalement révélé l’insuffisante coordination des politiques économiques des pays européens, qui a entraîné la fragilisation des situations budgétaires et le développement de déséquilibres macroéconomiques. Cette situation a affaibli tous les États membres de l’Union et affecté la stabilité de la zone euro.
Des mesures sans précédent, allant jusqu’à imposer des mesures d’assainissement très strict à un grand nombre de pays, ont dû être prises pour permettre aux systèmes bancaires de continuer à fonctionner et pour apporter une aide financière à trois États membres de la zone euro. Mais ces dispositions, en évitant un effondrement financier et en écartant les risques souverains, ont permis la reprise actuellement en cours en Europe.
Cette crise a été mise à profit pour corriger nos mécanismes de gouvernance économique dont les lacunes ont fragilisé nos économies.
La Commission a donc présenté en septembre dernier un « paquet » de propositions législatives en trois volets visant à interdire le retour d’une telle situation.
Tout d’abord, pour éviter une nouvelle crise de la dette souveraine, il faut renforcer le Pacte de stabilité et de croissance et refuser toute politique budgétaire laxiste, particulièrement quand la conjoncture est favorable. Pour cela, les trajectoires d’ajustement budgétaire doivent être plus définies et plus contraignantes. Le niveau de la dette, plutôt négligé jusqu’à maintenant, doit être plus attentivement examiné, notamment dans le cadre de la procédure de déficit excessif.
Nous proposons ensuite de renforcer la surveillance économique pour pouvoir, grâce à un tableau de bord d’indicateurs économiques et financiers, déceler, évaluer et corriger, à temps, les déséquilibres macroéconomiques. Lorsque des évolutions dangereuses apparaîtront dans un pays, sa situation sera analysée de façon détaillée et des recommandations lui seront adressées.
Enfin, la surveillance économique des déséquilibres budgétaires et macroéconomiques deviendra effective en renforçant les mesures d’incitation et de sanctions pour les pays de la zone euro. Celles-ci pourraient être décidées très tôt et durcies progressivement si l’Etat en cause n’engage pas d’action corrective.
Je rappelle que la Commission a, par ailleurs, présenté un projet de directive sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres qui améliorera sans aucun doute la qualité des politiques budgétaires en Europe.
Je salue à ce propos la présentation récente par le gouvernement français du projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques visant à rétablir l’équilibre budgétaire en France et qui vient d’être adopté par l’Assemblée nationale. La France pourra ainsi compter, si cette réforme est menée à bien, comme l’un des « bons élèves » de l’Union européenne. Ce projet de loi, comme les initiatives semblables prises par d’autres pays européens, montre toute l’importance des procédures budgétaires.
Le « paquet » des six propositions est en voie d’achèvement et les quelques difficultés encore existantes trouveront probablement bientôt des solutions, ce qui permettrait leur adoption avant l’été. Les travaux devraient déboucher sur un cadre juridique et des orientations qui seront données aux États membres. Ces orientations devraient être intégrées dans les prévisions budgétaires nationales, afin de s’assurer que la consolidation budgétaire, la correction des systèmes financiers, les réformes pour l’emploi et la productivité seront considérés partout comme des priorités. De nombreux débats associant tous les acteurs économiques et sociaux ont eu lieu au niveau européen afin d’établir une compréhension mutuelle des intentions budgétaires et financières des États membres.
Le Conseil européen de mars a été consacré aux enjeux de politique économique et aux questions sociales. Celui du 23 et 24 juin tirera les conclusions des échanges que je viens d’évoquer. Il évaluera les engagements pris dans les programmes nationaux de réforme et adoptera les avis et recommandations par pays.
Je suis favorable à l’organisation d’un forum de coordination de l’action des parlements nationaux avec celle de l’Union européenne, à travers un dialogue parlementaire : la tenue de cette « conférence budgétaire » en février ou mars serait opportune pour que les orientations dégagées puissent être transmises aux Gouvernements avant le Conseil économique et social, ou bien en mai afin de prendre place juste avant le Conseil européen.
Les décisions prises au Conseil européen du mois de mars sont très satisfaisantes : six États membres se sont engagés à renforcer l’emploi, la productivité, l’assainissement budgétaire et la convergence des politiques fiscales. Les programmes de réformes structurelles ont été présentés à la Commission européenne, et en retour notre « paquet » de recommandations destinées à chaque pays, sera transmis le 7 juin. Nous espérons que ces mesures seront intégrées par les Parlements nationaux dans les projets de loi de finances pour 2012.
Le rôle des Parlements nationaux n’est en rien affaibli contrairement à ce qu’on peut entendre ici ou là : les Parlements devront intégrer des orientations européennes à l’équilibre budgétaire qu’ils construiront, mais ils se trouveront toujours à la place du décideur. La Commission considère qu’elle doit porter un regard d’ensemble sur les prévisions budgétaires et doit vérifier que chaque État membre est engagé dans le redressement budgétaire et la politique d’assainissement des finances publiques.
Nous avons dû conduire des opérations de sauvetage pour garantir la stabilisation financière et contenir l’incendie budgétaire en Grèce, en Irlande, au Portugal, pour éviter la propagation des difficultés aux autres pays.
Le Portugal a adopté son programme de redressement la semaine dernière et son Parlement devrait le voter prochainement. La Finlande, mon pays, doit d’ailleurs adopter aujourd’hui, après un processus difficile, le programme de soutien au Portugal. Ce pays apparaît donc aujourd’hui sur la bonne voie. Le programme irlandais est bien orienté malgré le changement de Gouvernement : les déficits budgétaires ont été réduits, la recapitalisation de 24 milliards d’euros est en cours, des mesures ont été prises pour tirer la croissance économique vers le haut.
La situation grecque comporte davantage de difficultés : la Commission s’attache actuellement à obtenir la consolidation de ses finances publiques et la réduction de la dette à un niveau soutenable, ainsi que la relance de la croissance économique. La Grèce s’est engagée à réduire de 3 points ses déficits, et va adopter des mesures significatives, notamment de privatisation, pour réduire la charge de la dette.
Les États membres, dont la France, estiment qu’il est indispensable de renforcer les mécanismes existants et d’apporter une assistance technique aux États en difficulté, afin de les aider à lutter contre l’évasion fiscale et assurer la mise en œuvre des programmes de privatisation, tout en améliorant le fonctionnement de leurs systèmes de santé. La Grèce accuse des retards à de nombreux titres. Aussi, j’en appelle particulièrement à la France pour lui procurer cette assistance technique. Le programme de privatisations sera bien sûr au cœur de ces mesures et certaines idées ont été avancées pour collatéraliser ou titriser les actifs. Les discussions sont en cours. Les représentants des États membres au Conseil économique et financier envisagent un certain nombre de possibilités, avec l’éventualité de faire jouer un rôle particulier à l’Italie.
Le profilage et la restructuration sont deux concepts distincts. Pour diminuer plus efficacement la charge de la dette et encourager l’implication du secteur privé sur ce point, nous avons pris l’« initiative Vienne plus » qui devrait permettre aux institutions financières et aux banques de maintenir leur exposition à la Grèce sur une base volontaire. Cela impliquerait un reprofilage de la dette afin de réduire le risque de crédit. Cette solution n’est pas aisée à mettre en œuvre, la collatéralisation n’est pas facile non plus. Cependant, tous les États membres s’accordent pour dire qu’il s’agit de mesures indispensables si l’on veut assurer la crédibilité du programme du gouvernement grec et s’assurer de la participation du secteur privé à cet exercice fondamental. Les décisions sont attendues avant l’été, sans doute aux environs du 20 juin, soit avant le Conseil économique et financier et la réunion de l’Eurogroupe. Il nous reste donc trois ou quatre semaines.
Je voudrais enfin dire que les pays qui se trouvent aujourd’hui sous les feux de l’actualité ne sont pas les seuls à affronter des conditions difficiles. De façon générale, la pression s’accroît afin que soient mises en œuvre les réformes nécessaires. Nous y sommes encouragés par les résultats d’ores et déjà obtenus qui ont permis d’éviter que ne se renouvelle le chaos lié à la faillite de la banque Lehmann Brothers. Nous avons par ailleurs posé les bases de la reprise économique. Cela commence à porter ses fruits. Ainsi, au premier trimestre 2011, la croissance du PIB a été de 0,8 % au sein de l'Union européenne, soit deux fois plus qu’aux États-Unis. Pour la France, cette croissance a été de 1% et l’Allemagne se situe au dessus de ce seuil. La situation de l’emploi s’améliore même si le taux de chômage reste encore trop élevé et si des déséquilibres persistent entre les États membres. Les déficits budgétaires ont été réduits cette année pour se situer de 4 à 6 % du PIB et nous avons posé comme objectif pour 2012, une baisse vers 3,5 %. Selon nos prévisions, la reprise devrait s’installer avec un taux de croissance de 2% en 2011 et 2012.
Ces progrès ne signifient toutefois pas que nous pouvons nous reposer sur nos lauriers. Il nous faut continuer sur la voie de la stabilité financière et économique par la restructuration des mécanismes de gouvernance économique et par la construction d’un cadre communautaire de réglementation. Je suis persuadé qu’une Europe politique et économique plus forte peut émerger de cette crise, à condition qu’il y ait une volonté réelle et forte de coopération.
M. Pierre Lequiller. Je vous remercie vivement pour cette intervention très précise et approfondie.
Mme Elisabeth Guigou. Je remercie également le commissaire pour cet exposé précis et détaillé. Il ne faut évidemment pas sous-estimer l’ampleur des mesures qui ont été prises pour éviter l’effondrement de la zone euro et il faut mettre au crédit de l’Union européenne d’avoir su réagir pour contenir la spéculation qui s’était déchaînée. Cela a certes pris du temps, mais la démocratie prend du temps !
Il est vrai aussi que l’Union économique et monétaire ne peut fonctionner que dans le respect des règles. L’inquiétude a été perceptible dés 2003-2004, au moment où la France et l’Allemagne, membres fondateurs de l’Union économique et monétaire ont commencé à sortir des règles relatives au déficit budgétaire. Peut être que si avaient été, à ce moment, instituées des vérifications des statistiques sur pièce et sur place aurions-nous pu éviter certains dérapages ! Je suis effectivement favorable à l’élaboration de règles assorties de sanctions mais je m’associe aux remarques du Président Jérôme Cahuzac sur la difficulté d’une gestion fine.
Je m’interroge toutefois sur l’équilibre qui doit être trouvé entre l’élaboration de régles et la nécessité absolue de relancer la croissance. Je m’inquiète de voir s’additionner les plans d’austérité sans qu’il y ait en face des mesures significatives pour relancer la croissance, l’emploi et l’investissement. On ne pourra pas réduire les déficits et la dette dans de bonnes conditions sans croissance suffisante. Plusieurs propositions ont été lancées : les eurobonds, les propositions de Jacques Delors au début des années quatre-vingt-dix pour soutenir les investissements générateurs de croissance et d’emploi, celles de Jean Claude Juncker pour aider les États membres à refinancer leurs dettes dans des conditions plus avantageuses et celles, plus modestes, de Jose Manuel Barosso, par le biais de la Banque européenne d’investissement. L’Union européenne a-t-elle l’intention de prendre des mesures en ce sens ? En effet, on voit, avec les exemples grec et espagnol, que si les crises sociales s’accentuent, ce seront nos démocraties qui seront menacées. Jusqu’à quel point doit on imposer des règles qui risquent de juguler le crédit ? Par ailleurs, rien ou presque n’est fait sur cet immense système noir qui est hors de toute régulation : produits non régulés, paradis fiscaux, opérateurs et institutions échappant à tout contrôle sur les déficits et les dettes. Les démocraties ne supporteront ces cures d’austérité que si, d’une part, on leur montre que l’on fait en sorte de relancer la machine économique et si, d’autre part, on contrôle de façon drastique les institutions qui nous ont conduit là où nous en sommes !
M. Louis Giscard d’Estaing. Vous avez parlé de politique budgétaire laxiste. Sans me focaliser sur cet exemple, je citerai le cas de l’Irlande qui s’était lancée dans une politique de déductions fiscales que d’aucuns ont qualifié de dumping fiscal. Ce choix avait été fait par un pays qui était membre de la zone euro. N’y a-t-il pas un paradoxe entre certaines initiatives qui avaient été prises par la Commission, notamment par le commissaire Mc Greevy, et les choix faits par l’Irlande ? Par ailleurs, le contrôle sur les banques irlandaises était effectué par la Banque nationale irlandaise et non par la Banque centrale européenne. N’y a-t-il pas là une incohérence avec le principe de la zone et de la monnaie unique ?
Enfin, s’agissant d’un sujet qui touche aux relations entre Parlement européen et Parlements nationaux, je voudrais rappeler un exemple très concret. Dans une résolution signée en 2005 par près de trois cents parlementaires, le Parlement européen avait demandé que soit émis un billet de un euro sur le modèle du billet de un dollar. Le Parlement français a fait la même demande dans une proposition que j’ai faite et qui a été cosignée par deux cents de mes collègues. Quelle perception avez-vous de ce type d’initiative et des relations que peuvent entretenir les Parlements sur des sujets concernant nos concitoyens de la zone euro ?
M. Pierre-Alain Muet. Force est de reconnaître que l’Union européenne échoue à coordonner les politiques économiques des États membres seulement par des règles. Il faut préférer un policy-mix qui permette d’atteindre l’équilibre entre le retour de la croissance et la réduction des déficits publics. Car, comme l’histoire économique nous l’enseigne, si l’austérité s’instaure partout, la croissance en pâtira et la réduction des déficits elle-même ne pourra plus avoir lieu. Seul peut produire des résultats un dosage subtil des politiques économiques selon la situation nationale. L’Allemagne sait ainsi mettre à profit sa croissance tirée par la demande intérieure pour réduire son déficit public. D’une manière générale, je ne suis guère convaincu de l’efficacité des sanctions.
Je regrette aussi que nous n’allions pas plus loin sur la voie d’une mutualisation des dettes, telle que l’a évoquée M. Jean-Claude Juncker, président de l’Euro-groupe. L’Institut Bruegel a formulé à ce sujet une proposition très intéressante. En distinguant une dette rouge et une dette bleue, il suggère que les États membres de la zone euro mutualisent leurs dettes jusqu’à la limite de 60 % de leur PIB. Cela rendrait un vrai sens à ce critère de Maastricht, puisque tout dépassement de ce niveau d’endettement serait automatiquement sanctionné par des taux de marché très élevés, faute de mécanisme européen de garantie. À partir de 2013, le fonds européen de stabilité financière émettra des obligations susceptibles de faire l’objet d’une restructuration. Cela fait escompter une hausse significative des taux. Il faut anticiper ce mouvement dès maintenant, car l’Union européenne doit améliorer la prévention des crises.
M. Marc Goua. Le « reprofilage » de la dette n’est-il pas un mot pudique pour annoncer d’abord un abandon des intérêts, puis un allongement des délais de paiement et, finalement, une perte partielle de capital ? Je pense moi aussi qu’il faut s’attendre à une substantielle hausse des taux d’intérêts sur la dette des États. Mais ce serait un moindre mal, si un blocage total du financement de la dette souveraine est écarté à ce prix.
M. Michel Bouvard. Lorsque la restructuration de la dette grecque est envisagée, ses conséquences précises sur les prêteurs sont rarement évoquées. Qu’en serait-il ?
Je nourris également des craintes au sujet de la croissance. Alors que les meilleures économies portent sur le fonctionnement, la variable d’ajustement des plans d’austérité n’est que trop souvent l’investissement. Cela fait naître au bout de quelques années une situation préoccupante. La France et l’Europe courraient le risque de déclassement dans l’hypothèse d’une crise des investissements. L’Union européenne n’y consacre quant à elle qu’une part modique de son budget. Que peut-elle faire pour soutenir l’investissement de long terme, notamment dans les infrastructures et dans la recherche ?
Enfin, comment empêcher que le réseau bancaire européen ne soit asphyxié sous le poids croissant des normes assurantielles et prudentielles ? Le secteur des assurances a déjà payé un lourd tribut avec les accords de Solvabilité II. Je rappelle qu’hormis au Royaume-Uni, le réseau bancaire reste en Europe le principal financeur de l’économie. Le continent est donc plus touché par le renforcement des normes que d’autres parties du monde.
Mme Sophie Primas. L’Union européenne a besoin d’une meilleure gouvernance économique et politique. Un plan d’investissements serait sans doute nécessaire. Mais il faudrait que les institutions soient également incarnées de manière plus visible. Que pensez-vous de la proposition du commissaire Barnier à ce sujet ? L’Union européenne ne peut plus être vue seulement comme le gendarme des peuples, qui punit les mauvais comportements.
Les agences de notation évaluent à leur guise la dette des États européens. Quel est le bien-fondé de leurs analyses ? Il y entre à la fois une part objective et subjective. Serait-il du moins possible de leur imposer de retenir comme critère objectif la répartition de la dette publique entre dette d’investissement et dette de fonctionnement ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je ne comprends pas pourquoi la Commission européenne se refuse à étendre aux investisseurs privés la révision de maturité des obligations qui est engagée auprès des détenteurs publics. Peut-être pourrez-vous nous l’expliquer.
Par ailleurs, comment Eurostat comptabilise-t-il, au regard de la dette publique des bailleurs, les prêts garantis par les États dans le cadre du Fonds européen de stabilité financière ?
Tout le monde s’accorde enfin sur la nécessité d’un renforcement de la surveillance budgétaire des États membres. La Commission européenne y jouerait un rôle accru, en prononçant de son propre chef des sanctions. Mais il serait aussi question que le Conseil puisse s’opposer à elles, en réunissant une majorité qualifiée. La Banque centrale européenne s’est quant à elle déclarée en faveur d’une automaticité stricte des sanctions. Quelle est votre position ?
M. Olli Rehn. Je vous remercie pour vos questions très pertinentes.
A Mme Guigou et pour partie à MM. Muet et Mme Primas, je voudrais indiquer que l’objectif principal de notre stratégie économique comporte deux orientations parallèles : d’une part la solvabilité et la consolidation budgétaire, d’autre part des mesures de relance de la croissance tournées vers l’investissement et la réforme des marchés de la production et de l’emploi.
En ce qui concerne la consolidation budgétaire, depuis deux ou trois ans en Europe, la conséquence de la crise financière, de la récession et, dans une moindre mesure, des paquets de relance, a été une explosion de la dette publique qui est passée en moyenne de 60 % à 85 %. La plupart des progrès de consolidation budgétaire accomplis ces vingt dernières années ont été effacés au cours des deux dernières années.
Beaucoup d’économistes ont étudié l’impact de la dette publique sur l’activité économique et deux d’entre eux, Carmen Reinhart et Kenneth Gorogof, ont publié il y a deux ans un ouvrage remarquable intitulé « Cette fois-ci c’est différent ». L’impact de la dette publique et les faillites d’Etat ont suivi les mêmes schémas au cours des siècles, sauf cette fois-ci, mais les règles de base s’appliquent. Une de leurs conclusions est que quand la dette publique atteint 80 à 90 % du PIB, l’impact est très négatif sur la croissance de l’économie et le dynamisme des entreprises. Elle devient un fardeau, même si jouent d’autes facteurs comme l’endettement privé.
Les pays en crise n’ont pas eu le choix et ont été obligés de procéder à une consolidation budgétaire stricte. La Grèce en mai 2010, l’Irlande en novembre, le Portugal en avril-juin 2011, seraient tombés en faillite sans l’assistance de l’Europe. Nous devons défendre la consolidation budgétaire car elle était inévitable, tout en favorisant l’activité économique sur tous les fronts.
Par exemple, ce qui est critique, c’est le crédit aux entreprises, en particulier aux PME, et aux ménages. Les crédits ont baissé depuis la crise, mais les derniers chiffres montrent que les conditions du marché financier se sont améliorées depuis le deuxième trimestre 2010 et que les prêts aux entreprises et aux ménages ont repris. Dans une économie réelle, le crédit est nécessaire et il ne faut pas asphyxier cette source. Nous sommes en train de procéder à des tests de résistance des banques en parallèle à la recapitalisation de certaines banques car il est essentiel que le système bancaire puisse continuer à apporter des crédits aux entreprises et aux ménages. C’est encore plus important en Europe qu’aux États-Unis.
Notre deuxième orientation porte sur l’investissement. Certains d’entre vous ont évoqué la mutualisation de la dette et les euro-obligations. Une initiative a été lancée pour la création d’obligations en vue d’inciter le secteur privé à lever plus de fonds grâce à un soutien public, en multipliant l’effet de levier de notre budget en lien avec la Banque européenne d’investissement afin de couvrir la première partie du risque, et en laissant aux investisseurs privés le soin de porter la deuxième partie majeure du risque. Il y a actuellement un dégoût du risque qui menace la croissance et risque de tarir les investissements en réseau, comme dans les transports ou les communications transfrontalières.
Nous ne devons pas nous voiler la face, des mesures de restructuration sont indispensables pour relancer la croissance et l’emploi. L’Autriche et les Pays-Bas ont atteint le plein emploi, alors que l’Espagne ou la Lettonie ont un chômage égal ou supérieur à 20 %.
Pourquoi les taux d’emploi sont-ils plus élevés dans certains États membres que dans d’autres ? En 1993, Jacques Delors, dans son Livre blanc pour la croissance et l’emploi, avait déjà sélectionné le Danemark et les Pays-Bas comme les pays les plus avancés pouvant servir de point de comparaison. En 2004, l’ancien Premier ministre néerlandais Wim Kok, dans son groupe de réflexion sur le sujet, avait lui aussi souligné que ces pays constituaient de très bons exemples de politiques de l’emploi et de la compétitivité. Aujourd’hui, le Danemark et les Pays-Bas sont toujours à la première place et ont été rejoints par l’Allemagne, l’Autriche et la Suède, pour citer un exemple de pays hors zone euro.
Qu’ont donc fait les autres pays ?
Si l’on regarde la relance de l’économie allemande au cours des dix dernières années, beaucoup de réformes structurelles du marché de l’emploi ont été accomplies pour accroître l’employabilité et inciter à l’embauche. Quand la crise a frappé l’Allemagne, nombre d’économistes de la Bundesbank ont craint une explosion de trois à cinq millions de chômeurs, alors que c’est le contraire qui s’est produit. Le chômage a baissé pendant et surtout après la crise grâce à la demande extérieure et à la restructuration du marché de l’emploi. Il faut que nous soyons actifs sur tous les fronts et c’est ce que nous avons fait dans cette stratégie 2011-2014 pour la croissance et l’emploi.
Pour répondre à la question sur l’Irlande et le dumping fiscal, je rappelle que M. Mac Greevy a été commissaire européen jusqu’en 2010 et que ses opinions ne sont pas partagées par la Commission actuelle. Celle-ci veut au contraire renforcer la coordination fiscale et a présenté une proposition pour coordonner l’assiette de l’impôt sur les sociétés, constituant la première étape d’une fiscalité coordonnée pour les entreprises européennes. J’espère qu’elle sera acceptée par la France et les autres États membres.
La question sur le billet d’un euro concerne la Banque centrale européenne et devrait être posée à M. Jean-Claude Trichet.
En ce qui concerne les euro-obligations ou eurobonds, si nous avons un goût intellectuel pour l’initiative Bruegel qui créerait des mesures d’incitations pour la politique budgétaire par le biais d’obligations relevant de la dette bleue et de la dette rouge – nous aurions un taux d’intérêt européen jusqu’à un certain seuil et un taux d’intérêt privé au-delà –, je trouve qu’il serait plus intéressant de rendre le marché obligataire plus liquide. Ce serait une première étape.
Il y a un an, nous avons élaboré une proposition quand on a créé le Mécanisme européen de stabilisation financière et le Fonds européen de stabilité financière, lancés le 9 mai 2010 jour de la fête de l'Europe. Notre objectif était de créer un mécanisme qui puiserait dans le budget européen et ensuite dans des garanties apportées par les États membres lors d’opérations pour sauvegarder la stabilité financière. Le Conseil « Ecofin » a donné son accord mais avec difficulté parce que des États membres craignaient que cela ressemblât trop à des euro-obligations.
On a créé le Fonds européen de stabilité financière par un accord intergouvernemental, mais je suis relativement confiant sur l’intégration d’une clause de révision dans ce paquet budgétaire et fiscal pour réévaluer ce mécanisme dans quelques années. Cette clause de révision est en débat à Bruxelles car l'Union européenne n’a jamais eu, comme aux États-Unis, un Alexander Hamilton, premier Secrétaire d’Etat au Trésor, proposant de nationaliser ou d’« américaniser » la dette des États après la guerre d’indépendance, ce qui fut une étape primordiale dans la création du gouvernement fédéral économique américain.
A la question de la restructuration de la dette grecque posée par MM. Bouvard, Goua et Carrez, je réponds qu’il ne faut pas sous-estimer ses risques et qu’elle n’est pas à l’ordre du jour ni ne fait partie de notre plan. Elle risquerait d’éroder la base en capital des banques grecques et pourrait conduire à l’asphyxie du crédit et à la défaillance du système, au point d’affaiblir l’économie réelle de la Grèce avec des évènements en cascade dont je vous laisse imaginer les conséquences finales.
On pourrait envisager un exercice qui éviterait ces risques extrêmes et la panique des pays prêteurs qui s’ensuivrait. Nous réfléchissons à une initiative évaluant la faisabilité d’un rééchelonnement ou d’un reprofilage sur une base volontaire qui ne toucherait pas le capital de la dette grecque.
Ce peut être envisagé à court terme mais au bout du compte, la Grèce doit arrêter de vivre au-dessus de ses moyens. Le déficit budgétaire se situe encore à 10 % malgré un effort de réduction de 7 %, ce qui constitue un record en Grèce à côté de la Lettonie. Il ne faut pas sous-estimer cet effort de la Grèce, mais c’est insuffisant. Elle doit dégager un excédent primaire pour stabiliser puis réduire sa dette. La Belgique a réussi dans les années quatre-vingt-dix à dégager un excédent primaire et six États membres ont un excédent primaire d’au moins 4 % depuis quatre ans. C’est économiquement faisable pour la Grèce mais la question est de savoir s’il existe une volonté politique et sociale, au sein de la population, d’accepter une restructuration budgétaire pour dégager un excédent primaire et s’ils sont prêts à surmonter ce défi.
Il n’y a jamais de formules magiques et il faut mettre en œuvre des solutions faisables économiquement et viables politiquement, y compris pour la population, dans tous les États membres.
Après cette réunion, je dois me rendre à la commémoration du cinquantième anniversaire de la création de l’OCDE, pour y représenter l'Union européenne. Dans l’ambiance morose que nous connaissons, je voudrais rappeler que l’OCDE a été créée pour répartir les investissements financés par le Plan Marshall dans les États européens et souligner le rôle fondamental qu’elle a joué dans la relance de l’économie européenne.
M. Pierre Lequiller. Le Président Jérôme Cahuzac et moi-même ainsi que les membres des deux Commissions des finances et des affaires européennes vous remercions pour la qualité et la précision des réponses que vous nous avez apportées sur ces sujets fondamentaux.
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Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 25 mai 2011 à 9 heures
Présents - M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Binetruy, M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, M. Jérôme Cahuzac, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Richard Dell'Agnola, M. Michel Diefenbacher, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Claude Flory, M. Marc Francina, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. François Goulard, M. Laurent Hénart, M. Pierre-Alain Muet, Mme Sophie Primas, M. Alain Rodet, M. François Scellier, M. Gaël Yanno
Excusés - M. Alain Claeys, M. Jean-Yves Cousin, M. Jean-François Lamour, M. Victorin Lurel, M. Patrice Martin-Lalande, M. Hervé Novelli, M. Nicolas Perruchot, M. Jean-Claude Sandrier
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