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et de
M. Bernard Perrut,
Vice-président de la commission des Affaires sociales
puis de
M. Pierre Méhaignerie,
Président de la commission des Affaires sociales
La commission des Finances entend, en audition commune avec la commission des Affaires sociales et ouverte à la presse, M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport préalable au débat d’orientation des finances publiques.
M. le président Jérôme Cahuzac. L’année 2010 a été, pour les finances publiques, exceptionnelle à trois titres : par le nombre de lois de finances rectificatives examinées ; par le niveau du déficit budgétaire de l’État, qui a atteint près de 149 milliards d’euros ; enfin, par l’accroissement de la dette publique : + 98 milliards pour la dette des administrations publiques, dont 81 milliards pour l’État. Avec une situation des finances publiques très dégradée, quelles sont, selon la Cour des comptes, les perspectives pour la période 2011-2014 ? La trajectoire des finances publiques exposée dans le programme de stabilité transmis en mai dernier à la Commission européenne est-elle viable ?
M. Bernard Perrut, vice-président de la commission des affaires sociales. La crise financière de 2008, qui se fait encore sentir malgré quelques signes encourageants, la crise de la dette que rencontrent certains de nos partenaires de la zone euro, tout concourt à placer l’avenir de nos finances publiques et sociales au centre des préoccupations du Parlement.
Une réforme constitutionnelle en cours de discussion vise à créer un nouveau type de lois, les lois-cadres d’équilibre des finances publiques, qui fixeront une trajectoire de retour à l’équilibre s’imposant aux lois financières annuelles. Le projet de loi constitutionnelle établirait en outre le monopole des lois financières (lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale) en matière de prélèvements obligatoires. Vous nous direz, en votre qualité de premier président de la Cour des comptes mais également eu égard à vos anciennes fonctions au sein de notre assemblée, ce que vous pensez de cette disposition très controversée.
Nous discutons également, c’est d’ailleurs une première, d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. L’évolution des grandes masses financières, tant en recettes qu’en dépenses, témoigne d’une amélioration timide mais réelle de nos finances sociales. En 2011, le déficit de l’ensemble des régimes obligatoires de base, toutes branches confondues, devrait être moins important que prévu : 21 milliards d’euros, au lieu de 22,4 milliards. Malgré cette consolidation, l’équilibre est encore loin : pour la période 2012-2014, la dette cumulée de l’ensemble des régimes obligatoires de base devrait atteindre environ 30 milliards d’euros, compte tenu des mesures de financement prises dans le cadre de la réforme des retraites. L’amélioration constatée en 2010, et escomptée pour 2011, vous semble-t-elle présager une meilleure maîtrise du déficit structurel des régimes de protection sociale ou n’est-elle que le reflet de l’évolution conjoncturelle favorable de la masse salariale, qui demeure l’assiette essentielle des recettes ?
M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. L’audit annuel de la Cour des comptes, encore plus complet et approfondi cette année, fait le point sur la situation des finances publiques. Il évalue les risques qui pèsent sur leur évolution à court, moyen et long terme. Il examine enfin la problématique de leur nécessaire redressement.
L’an dernier, j’avais insisté sur la sérieuse dégradation de la situation des finances publiques en 2009 et sur l’urgence à prendre des mesures fortes et immédiates de redressement, au risque, sinon, d’hypothéquer notre indépendance et notre souveraineté.
L’année 2010 et le début de 2011 ont apporté des éléments positifs. Le déficit a amorcé sa décrue en 2010 et le redressement des finances publiques a été entamé. Des réformes, comme celle des retraites, ont été entreprises et les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2011 ont commencé à s’attaquer aux niches, fiscales et sociales. La loi de programmation des finances publiques et le programme de stabilité, transmis à Bruxelles en avril, fixent des objectifs plus ambitieux de réduction du déficit.
La situation n’en reste pas moins sérieuse. Les déficits restent beaucoup trop élevés pour prévenir l’emballement de la dette publique et souffrent de la comparaison avec ceux de bien d’autres pays européens. Nous approchons de la zone dangereuse où le ratio de la dette par rapport au produit intérieur brut (PIB) attire les regards. L’indépendance de notre politique économique, mais aussi de bien d’autres décisions, dans le champ social notamment, est en jeu. Pour la préserver, les efforts nécessaires doivent aller au-delà des mesures qui ont déjà été prises. L’essentiel du chemin reste à faire. Le déficit structurel est de l’ordre de 5 points de PIB. Pour qu’il disparaisse, ce sont 100 milliards d’euros qu’il faudrait économiser ou, sinon, prélever en plus sur nos concitoyens et nos entreprises. L’effort de redressement prévu par la loi de programmation et le programme de stabilité est presque de même ampleur, mais les mesures nécessaires pour le réaliser sont peu explicitées. La crédibilité de la France impose qu’elles le soient très vite.
Avant d’en venir à ces perspectives, arrêtons-nous un moment sur 2010 et 2011.
Le déficit public a légèrement baissé en 2010, mais il reste trop élevé d’autant qu’il est très largement structurel. En 2009, le déficit public avait atteint 7,5 % du PIB, un niveau sans précédent en temps de paix. Il a diminué, en 2010, de 0,4 point seulement. La crise a creusé les déficits dans tous les pays, mais, en 2010, la moyenne hors France a été de 5,8 % du PIB dans la zone euro, et de 6,3 % dans l’Union européenne. En Allemagne, le déficit public atteint 3,3 % du PIB, soit moins de la moitié de nôtre taux. Avec un déficit de 7,1 %, la France restait dans une situation plus dégradée que la moyenne de ses partenaires.
Pourquoi la réduction du déficit a-t-elle été si limitée ? La diminution du coût du plan de relance l’a fait baisser mécaniquement de 0,7 point de PIB. Mais, en sens inverse, les nouvelles mesures de baisse d’impôts ont aggravé le déficit de 0,4 point de PIB. Les dépenses fiscales ont à nouveau légèrement augmenté, essentiellement sous l’effet du remplacement de la taxe professionnelle par de nouveaux impôts d’un rendement plus faible. En dépit des déficiences des systèmes d’information de l’État, la Cour a estimé le coût de la réforme à 7,9 milliards d’euros en 2010 pour l’ensemble des administrations publiques. La combinaison des deux éléments a donc conduit à une diminution du déficit de 0,3 point de PIB seulement. Les autres facteurs ayant concouru à une contraction de 0,1 point, on arrive ainsi à une baisse de 0,4 point en 2010.
Le déficit structurel a encore légèrement augmenté en 2010. À environ 5 % du PIB, il est supérieur d’environ 1 point à celui de la zone euro, hors France, et de 3 points à celui de l’Allemagne. Le calcul du solde structurel repose sur des hypothèses inévitablement fragiles, notamment le taux de croissance potentielle. On peut aussi s’interroger sur la nature, structurelle ou temporaire, d’une partie du coût de la réforme de la taxe professionnelle ou de la baisse de l’investissement local en 2010. Mais, en tout état de cause, les éléments conjoncturels, la crise et le plan de relance, expliquent au plus 38 % du déficit de 2010.
Un meilleur critère pour apprécier les « fondamentaux » de l’équation des finances publiques est l’effort structurel qui mesure, lui, la contribution aux variations du déficit structurel de deux facteurs plus facilement maîtrisables par un gouvernement : les mesures relatives aux prélèvements obligatoires, d’un côté ; la maîtrise des dépenses publiques, de l’autre. La croissance en volume des dépenses publiques – hors impact de la crise, c’est-à-dire sans indemnisation du chômage ni plan de relance – n’a été que de 0,6 % ; elle a donc très sensiblement décéléré par rapport à sa tendance des dix années précédentes, qui s’établissait à 2,4 % par an. Ce ralentissement tient pour les deux tiers à la baisse des dépenses des collectivités territoriales, notamment à la chute de leurs investissements. Les dépenses des administrations sociales ont aussi, globalement, décéléré en 2010. L’effet du ralentissement de la croissance des dépenses a toutefois été quasiment annulé par celui des baisses d’impôts et, au total, l’effort structurel a été quasiment nul en 2010.
Si l’on approfondit l’analyse, il apparaît que le déficit s’est concentré sur l’État et les régimes sociaux, alors que celui des administrations publiques locales a diminué. Nous avons innové cette année en décomposant le déficit structurel par catégorie d’administrations publiques. Ce travail montre que le déficit structurel total est strictement égal à celui de l’État et des organismes divers d’administration centrale (ODAC). Les administrations locales ont, quant à elles, un léger excédent structurel. Si l’ensemble des administrations sociales n’enregistre qu’un très léger déficit structurel, le régime général dégage un déficit structurel égal à 0,7 point de PIB, une situation préoccupante, et même injustifiable, puisqu’il s’agit de financer des prestations courantes.
L’examen détaillé des charges d’intérêt fait ressortir, d’une part, qu’elles ont été inférieures à la prévision, ce qui a permis de rembourser certaines dettes de l’État, d’abonder les crédits d’autres missions et de financer le dépassement des crédits de rémunération. D’autre part, malgré la baisse des taux, les charges d’intérêts ont été supérieures de 7,7 % à celles de 2009. Il faut y voir la conséquence mécanique de l’alourdissement de la dette.
S’agissant du plan de relance, son coût a nettement diminué en 2010, notamment sa composante fiscale, et il ne devrait plus grever les dépenses en 2011. Cependant, sur l’ensemble des deux années 2009 et 2010, l’enveloppe totale – 42 milliards d’euros – aura été supérieure d’environ 20 % à l’estimation initiale.
Le besoin de financement des administrations sociales, c’est-à-dire de la sécurité sociale, mais aussi de l’UNEDIC, des régimes complémentaires et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), s’est aggravé en 2010 de 7,8 milliards d’euros. Dans cet ensemble, le déficit global des régimes de base et du FSV a atteint 30 milliards, bien que l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) ait été respecté et que la croissance des prestations sociales ait ralenti, en partie du fait de leur indexation retardée sur l’inflation – quasi nulle en 2009. Le déficit de l’assurance chômage s’est aussi aggravé pour atteindre 2,9 milliards d’euros.
Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, leurs dépenses totales ont diminué de 0,5 % en valeur et de 2,0 % en volume, alors que leur croissance en volume avait été de 3,6 % par an sur les années 1999 à 2009, hors impact des transferts de compétences. Cette forte inflexion traduit celle de leurs dépenses de fonctionnement (de 3,9 % en 2009 à 2,2 % en 2010), notamment de personnel, mais elle résulte surtout d’une chute de 8,3 % des investissements. Le besoin de financement des collectivités territoriales a en conséquence diminué de 4,5 milliards d’euros en 2010 pour se rapprocher de l’équilibre.
Enfin, notre audit a été étendu cette année aux entreprises publiques du secteur marchand, dont la situation financière s’est sensiblement dégradée de 2007 à 2010. Si les fonds propres semblent suffisants au regard de l’endettement financier (124 milliards d’euros fin 2010) pour limiter les risques de recapitalisation, l’État ne peut guère escompter de dividendes plus élevés.
En 2011, le déficit public devrait nettement diminuer, en partie mécaniquement du fait de la disparition des dernières mesures de relance, mais il restera très élevé, notamment dans sa composante structurelle.
Les recettes publiques seront sans doute conformes aux prévisions initiales du Gouvernement, voire supérieures. La conjoncture a, en effet, été jusqu’ici plus favorable que prévu. En revanche, la réalisation des objectifs de croissance des dépenses, si elle n’est pas impossible, n’est pas acquise. L’État a engagé de nouvelles dépenses depuis la loi de finances initiale et les crédits de certaines missions budgétaires sont insuffisants. Des ajustements seront donc nécessaires et devront être inscrits en loi de finances rectificative.
Les dépenses d’assurance maladie ayant été inférieures à l’objectif de 2010, et partant donc d’un niveau plus faible, elles devraient respecter l’objectif fixé pour 2011 plus facilement. La réforme des retraites produit ses premiers effets. La meilleure tenue de la masse salariale et, surtout, des apports substantiels de recettes nouvelles devraient permettre d’enregistrer un début de réduction des déficits sociaux en 2011.
Les prévisions relatives aux comptes des administrations publiques locales sont très fragiles, notamment du fait de la volatilité des droits de mutation et des incertitudes sur l’évolution des investissements locaux. Pourtant, en dépit de la situation difficile de certains départements, le résultat d’ensemble des administrations locales ne devrait pas être préoccupant au regard du déficit public total.
Sous réserve d’une stricte maîtrise des dépenses, le déficit global des administrations publiques peut donc être ramené à 5,7 % du PIB en 2011, comme prévu par le Gouvernement. Il resterait malgré tout supérieur à la moyenne des autres pays de la zone euro (3,9 %) et à celui de l’Allemagne (2,0 %). En outre, le déficit structurel serait encore de 3,9 % du PIB selon la Commission européenne, soit plus que dans les autres pays de la zone euro (2,8 %) et bien plus qu’en Allemagne (1,4 %).
Enfin, l’effort structurel de réduction du déficit serait, au regard de l’estimation faite par la Cour de la croissance potentielle, de 0,6 point de PIB seulement, alors qu’il faudrait 1 point de PIB. Dans ces conditions, l’objectif devrait être plus exigeant et le déficit ramené en 2011 en dessous de 5,7 % du PIB, si la conjoncture le permet. Les incertitudes et les risques de la période à venir doivent, en effet, inciter notre pays à aller plus vite.
À moyen terme, le programme de stabilité repose sur un cumul d’hypothèses favorables relatives aux recettes et sur un ralentissement de la croissance des dépenses dont les modalités ne sont pas explicitées.
La Cour retient l’hypothèse d’une croissance potentielle de 1,6 % par an sur les années 2012-2014, une estimation supérieure à celles des organisations internationales. Or, le programme de stabilité adressé à Bruxelles repose sur un cumul d’hypothèses favorables. La croissance atteindrait 2,25 % en 2012 et 2,5 % en 2013 et 2014. Si une croissance plus forte que son potentiel est envisageable dans une phase ascendante du cycle économique, la prévision semble néanmoins optimiste. En outre, le programme de stabilité retient une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB significativement supérieure à 1 en 2012 et 2013. Là encore, ce résultat n’est pas impossible, mais ce n’est pas l’hypothèse la plus prudente. Une élasticité égale à 1 conduirait à un déficit public de 3,5 % du PIB en 2013, et non de 3,0 %. Le programme de stabilité prévoit enfin des mesures nouvelles de hausse des prélèvements à hauteur de 3 milliards d’euros pour chacune des années 2012 à 2014. Cependant, les mesures permettant d’atteindre ce montant en 2013 et 2014 ne sont pas précisées.
Du côté des dépenses, le programme de stabilité envisage une croissance moyenne annuelle de 0,6 % en volume sur les années 2012 à 2014. La progression spontanée est difficile à apprécier, mais la tendance sur les années 2000 à 2010 était une hausse de 2,3 % en volume par an. Cela illustre l’importance de l’inflexion qui est nécessaire. Les mesures déjà annoncées et pour lesquelles des économies sont à peu près identifiables, comme la réforme des retraites ou la révision générale des politiques publiques, ne suffiront pas à elles seules.
La stabilité de l’investissement public, en pourcentage du PIB, qui est inscrite dans le programme de stabilité est incompatible avec les investissements d’avenir et le Grenelle de l’environnement, ou alors il faudrait une nouvelle et forte baisse de l’investissement local. Les engagements de l’Agence française de financement des infrastructures de transport, qui n’apparaissent nulle part, représentaient déjà, à eux seuls, quelque 24 milliards d’euros à fin 2010.
Les déficits annuels s’accumulent et se transforment en dette. Sur ce point, le message de la Cour est net : il faut freiner le plus vite et le plus fortement possible sa progression, afin de prévenir tout phénomène d’emballement.
En 2010, la dette publique a continué à croître pour frôler les 1 600 milliards d’euros en fin d’année (soit 82,3 % du PIB ou 62 000 euros par personne ayant un emploi). La charge d’intérêt a dépassé 50 milliards, soit autant que les crédits cumulés des missions « Défense » et « Travail et emploi ». La dette publique des autres pays de la zone euro a certes plus augmenté que celle de la France en 2010, malgré des déficits plus faibles. L’État a, chez nous, freiné la progression de la dette par des mesures de trésorerie, alors que d’autres pays empruntaient des montants très élevés pour soutenir les banques : 13,4 points de PIB en Allemagne fin 2010 contre 0,1 point en France. Mais, la bonne résistance des banques française à la crise ne doit pas masquer la situation réelle de nos finances publiques. Comme le déficit restera très élevé en 2011, la dette de la France pourrait dépasser celle de l’Allemagne de plus de 2 points de PIB fin 2011, selon la Commission européenne, puis risque de s’en écarter rapidement.
L’évolution de la dette dépend surtout du déficit primaire, c’est-à-dire hors charges d’intérêts. Si le solde primaire structurel restait à son niveau de 2010, la dette publique atteindrait 90 % du PIB dès 2012, puis 100 % en 2016 et 110 % en 2020. Cette année-là, selon le « scénario de l’inacceptable », la charge d’intérêts représenterait 4 % du PIB et presque 10 % des prélèvements obligatoires, soit plus que les crédits des missions « Enseignement scolaire » et « Recherche et enseignement supérieur » réunies. Voilà ce que nous réserverait l’avenir, si aucune mesure de redressement n’était prise. Cet exercice ne vaut que pour mettre en évidence le risque que présenterait l’inaction, et plus encore celui qui s’attacherait à de nouvelles baisses d’impôts ou augmentations de dépenses.
La dette sociale résulte de l’accumulation de déficits courants qui constituent en eux-mêmes, j’insiste, une anomalie et une injustice. Elle a poursuivi sa progression en 2010 pour atteindre 176 milliards d’euros en fin d’année, dont la moitié environ était portée par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a prévu de transférer à cet organisme les déficits du régime général, notamment ceux de la branche vieillesse et du FSV jusqu’à fin 2018, dans la limite de 130 milliards d’euros au total. Or, avec une croissance de la masse salariale de 3,5 % par an, égale à la moyenne des douze dernières années, et une croissance de l’ONDAM de 2,8 % par an, la branche maladie afficherait encore un déficit de 5 milliards en 2020 et son déficit cumulé depuis 2012 atteindrait alors 60 milliards d’euros. De plus, l’équilibre des régimes de retraite à l’horizon de 2020 n’est pas assuré, du fait notamment de la fragilité du scénario économique qui sous-tend les projections et du caractère incertain de l’hypothèse d’un transfert de cotisations d’assurance chômage vers des cotisations d’assurance vieillesse. Le cumul des risques pesant sur leurs comptes pourrait conduire à un déficit annuel de 12 milliards d’euros en 2020.
À défaut de mesures de redressement et dans un scénario économique prudent, les risques pesant sur les branches maladie, vieillesse et famille pourraient au total nécessiter, à l’horizon de 2020, un nouveau transfert de 100 à 120 milliards d’euros à la CADES en sus des 130 milliards déjà prévus, ce qui serait incompatible avec le terme actuel (2025) fixé pour le remboursement de la dette. Une partie de ce transfert devrait d’ailleurs être effectuée dès 2013. Une fois de plus, il s’agit non pas d’une prévision, mais de la mesure d’un risque qui appelle à l’évidence des mesures correctrices.
À plus long terme, les perspectives démographiques de la France sont plus favorables que celles des pays voisins, notamment de l’Allemagne. C’est un point positif, mais notre déficit structurel est plus éloigné que dans les autres pays européens de celui qui permettrait de stabiliser la dette en pourcentage du PIB. La soutenabilité à long terme des finances publiques françaises est bien davantage affectée par le déficit structurel actuel que par les conséquences futures du vieillissement de la population. Sans réduction rapide du déficit, la dette risque donc de s’emballer.
Or il s’agit là d’une menace majeure. Il faut faire preuve de beaucoup de prudence lorsque l’on évoque la notion de seuils en la matière. Cependant, au-delà d’un certain niveau, estimé par certaines études à 90 % du PIB, l’endettement pourrait déclencher des réflexes de précaution défavorables à la croissance chez les ménages et les entreprises. Et, au-delà de 10 % du produit des prélèvements obligatoires, la charge d’intérêt peut conduire à une dégradation de la notation des emprunts d’État, ce qui aggraverait l’effet boule-de-neige de l’endettement. Une hausse de 1 point de l’ensemble des taux d’intérêt entraîne, pour l’État, une charge budgétaire supplémentaire qui passe progressivement de 2 milliards d’euros la première année à 6 milliards la troisième, 9 milliards d’euros la cinquième et 14 milliards d’euros la dixième. Sur les six premières années, cela représenterait un montant cumulé supérieur aux 35 milliards d’euros des investissements d’avenir. Une équation à méditer.
L’endettement public présente aussi un risque considérable pour la cohésion de la zone euro. Aussi la France doit-elle éviter une divergence trop importante entre l’évolution de sa dette et celle de ses partenaires, notamment l’Allemagne. Certes, les crises et la dégradation des comptes publics peuvent résulter de déséquilibres macroéconomiques. L’audit des finances publiques doit prendre en compte ces risques. La Cour a donc comparé la situation de la France à celle de la moyenne des autres pays européens, au regard de plusieurs indicateurs macroéconomiques relatifs notamment aux échanges extérieurs, au financement de l’économie, à l’investissement ou aux inégalités sociales. Il en ressort que la dégradation des finances publiques constitue, avec la perte de compétitivité et l’aggravation du déficit des échanges extérieurs, la principale faiblesse relative de la France, et une menace pour son potentiel de croissance.
Il est donc impératif de prévenir l’emballement de la dette en réduisant rapidement le déficit. La Cour a recommandé, dès l’an dernier, un effort structurel d’un point de PIB par an – soit 20 milliards d’euros – jusqu’à ce que le déficit structurel soit résorbé. Un tel effort permettrait d’enrayer la croissance de la dette aux alentours de 86 % du PIB, puis de la ramener à 72 % en 2020. Ce scénario de redressement est proche de celui du programme de stabilité. Cependant, l’effort structurel requis serait un peu plus important – 1 point de PIB au lieu de 0,8 – et devrait être poursuivi jusqu’en 2015, au lieu de 2014. Les mesures structurelles destinées à respecter le programme de stabilité doivent surtout être mieux étayées. C’est la condition de la crédibilité de notre pays dans le concert européen et international. C’est une exigence si l’on entend préserver l’indépendance de nos choix économiques et sociaux.
L’effort de redressement de nos finances publiques appelle des outils et une stratégie.
Les lois de programmation pluriannuelle constituent une pièce essentielle du dispositif. Le bilan de la première loi de programmation, prévu pour chaque année mais que le Gouvernement n’a pas présenté en 2009 et 2010, doit être mis à profit.
La Cour a déjà souligné que les règles édictées n’ont pas toujours été respectées : gage des dépenses fiscales ; préservation des recettes fiscales de l’État ; norme de croissance « zéro volume » des dépenses budgétaires. L’objectif national de dépenses d’assurance maladie, s’il a été tenu en 2010, ne l’a pas été en 2009. Les dépenses publiques étaient, en 2010, supérieures de 14 milliards d’euros au montant qui aurait résulté d’une croissance conforme à la première loi de programmation.
Le budget triennal de l’État est au cœur de la programmation des finances publiques. En fixant des plafonds par mission budgétaire étalés sur trois ans, il permet de préciser les efforts et donne de la visibilité aux responsables de programme. La comparaison du budget triennal 2009-2011 avec les crédits votés et les dépenses exécutées est rendue très difficile par d’incessants changements de périmètre. Elle montre cependant que les crédits ou les dépenses exécutées ont été supérieurs de plus de 5 % au montant prévu dans le budget triennal pour un tiers des missions. Les dépassements sont systématiques pour les missions « Agriculture », « Immigration », « Médias » et « Travail et emploi ».
Les redéploiements de crédits sont inévitables en cas d’événements exceptionnels. Néanmoins, leur fréquence, leur ampleur et leur récurrence, pour certaines missions, constituent le signe d’une budgétisation insuffisamment rigoureuse. Il fallait certes faire son apprentissage, mais les redéploiements devraient êtres plus limités à l’avenir.
La deuxième loi de programmation, 2011-2014, comporte des novations bienvenues. Toutefois, les dispositions d’une loi de programmation peuvent toujours être remises en cause, comme ce fut le cas en 2009 pour la baisse de la TVA sur la restauration. Le projet de loi constitutionnelle en cours de discussion vise à donner aux lois de programmation une plus grande portée juridique, mais, qu’il soit ou non adopté, elles présentent des insuffisances auxquelles il faudrait remédier.
Ces lois concernent l’ensemble des administrations publiques, mais les collectivités territoriales et certains régimes sociaux bénéficient d’une autonomie juridique qui leur permet de ne pas se plier aux engagements nationaux. Dès lors, il conviendrait d’impliquer l’ensemble des acteurs dans l’élaboration puis le suivi des objectifs contenus dans les lois de programmation et le programme de stabilité. Des dispositions devraient être ajoutées, dans la Constitution ou une loi organique, pour assurer l’indispensable équilibre des comptes sociaux, au moins en termes structurels.
Les systèmes comptables, les dispositifs de suivi et d’alerte, les rapports d’exécution, les conditions dans lesquelles le Parlement peut débattre des résultats de l’année antérieure pour l’État, la sécurité sociale et l’ensemble des administrations publiques, sont autant d’outils de pilotage qui doivent être sensiblement améliorés. La Cour formule à cet égard diverses propositions.
Si la programmation et les règles sont utiles, elles ne suffisent cependant pas. Le redressement des comptes publics ne peut venir que de réformes ambitieuses et inscrites dans la durée.
L’effort de redressement nécessaire, de l’ordre de 20 milliards d’euros par an pendant plusieurs années, est considérable et les mesures qui seront prises devront satisfaire un double impératif : la solidarité nationale et la compétitivité de nos entreprises. L’équation est complexe. La Cour n’a ni la prétention ni la légitimité pour proposer une solution. Elle entend seulement éclairer les choix qui devront intervenir.
Compte tenu du niveau déjà atteint par les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires en France, la consolidation budgétaire devrait passer, pour plus de la moitié, par une action sur les dépenses. Il s’agit non pas de réduire les dépenses, toutes les dépenses, mais de limiter leur croissance globale. Un effort de redressement portant à 60 % sur les dépenses supposerait que leur croissance annuelle soit ramenée à 0,4 % en volume, soit environ 2,0 % en valeur. C’est exigeant, mais pas impossible, et reste dans l’ordre de grandeur de ce qui est concevable sans remettre en cause les politiques et les services publics auxquels nos concitoyens sont attachés. Un effort important de maîtrise des dépenses de personnel et des autres dépenses de fonctionnement a été engagé avec la révision générale des politiques publiques. Il a toutefois montré ses limites ; il doit être approfondi et étendu au-delà de l’État et de ses opérateurs.
Surtout, l’impact sur les comptes publics de réformes aussi délicates et inscrites dans la durée ne doit plus être annulé par de coûteuses baisses d’impôts : même s’il s’agit de mesures de nature différente, le coût de la baisse de la TVA sur la restauration équivaut budgétairement aux économies permises par le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique d’État pendant huit ans, économies nettes d’une rétrocession de la moitié des gains de productivité aux agents.
Si les interventions en faveur des entreprises doivent être réexaminées, les prestations sociales représentent 45 % des dépenses publiques, et la consolidation budgétaire serait difficile sans ralentir leur croissance. C’est tout à fait possible sans remettre en cause la solidarité nationale, dès lors que l’on s’efforcerait de les cibler sur les personnes qui en ont le plus besoin. Même dans un domaine comme l’emploi, des économies sont envisageables en suivant ces principes.
Dans le champ de l’assurance maladie, elles sont indispensables car le déficit est injustifiable. Le retour à l’équilibre doit en ce domaine être programmé pour 2014 au plus tard. L’objectif national des dépenses d’assurance maladie doit être respecté année après année, ce qui suppose de poursuivre sans relâche l’effort d’optimisation. La maîtrise des dépenses, aussi nécessaire soit-elle, ne suffira cependant pas. La question du financement des dépenses de santé, très présente avant la crise mais quelque peu oubliée depuis, devra être rapidement reposée. Il faudrait envisager une hausse de la participation des assurés qui ne remette pas en cause l’accès aux soins des plus démunis.
Le ralentissement indispensable de la croissance des dépenses ne suffira pas à rééquilibrer rapidement les comptes des administrations publiques. Une augmentation des recettes est inévitable, au moins temporairement. Elle doit passer prioritairement par une réduction du coût des dépenses fiscales et des niches sociales. Certaines d’entre elles ont certainement une utilité, mais leur prolifération depuis quelques années présente de multiples inconvénients en termes d’efficacité et d’équité. Les mesures votées l’automne dernier en réduiront le coût de 10,8 milliards d’euros en 2012. L’effort devrait être deux fois plus important et réparti, pour des montants équivalents, entre niches fiscales et sociales. La Cour présente dans son rapport une liste de mesures pouvant être partiellement ou totalement remises en cause, et dont le coût total s’élève à 27 milliards d’euros. Le Conseil des prélèvements obligatoires a également indiqué quelques pistes.
Au-delà de l’élargissement de l’assiette, une révision de la structure des prélèvements obligatoires est nécessaire pour augmenter les recettes publiques, tout en améliorant la compétitivité des entreprises afin de soutenir la croissance potentielle et en partageant équitablement les efforts. Nous prolongeons sur ce point notre rapport de mars dernier sur la comparaison des prélèvements obligatoires en France et en Allemagne.
Les comparaisons internationales font apparaître des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur le coût du travail déjà élevés en France, au détriment de la compétitivité des entreprises et de l’emploi. Non seulement, il est difficile de les alourdir, mais certaines taxes payées par les entreprises sur leur masse salariale pour financer des politiques publiques spécifiques pourraient être remplacées par des prélèvements sur des assiettes plus larges.
Des marges existent en matière de fiscalité indirecte et environnementale. Ainsi, notre rapport France-Allemagne a souligné qu’un alignement du taux réduit de TVA et de son champ d’application sur le régime qui prévaut en Allemagne se traduirait par une recette supplémentaire de 15 milliards d’euros. Ses éventuels effets dégressifs sur la distribution des revenus pourraient être compensés par des aides sociales ciblées sur les ménages aux revenus modestes. Quant aux recettes tirées de la fiscalité environnementale, elles se trouveraient accrues d’environ 10 milliards d’euros si leur poids était aligné sur celui constaté dans le reste de l’Europe.
Le nécessaire rééquilibrage des comptes sociaux passe d’abord par une action sur les dépenses. Si elle s’avérait insuffisante, une hausse de la CSG serait inévitable, et même de la CRDS si notre pays continue à accumuler de la dette sociale après 2012.
En conclusion, la France part d’un déficit supérieur à la moyenne européenne et elle a programmé un redressement progressif de ses finances publiques, fondé pour l’essentiel sur une modération de la dépense. Les mesures à prendre restent pour une grande part à préciser. Le message de la Cour est clair : il faut à la fois expliciter, intensifier et poursuivre les efforts, en ne cédant ni à la tentation du relâchement, ni aux illusions qu’entretiendrait une meilleure conjoncture.
Le programme de stabilité prévoit, en 2012, une réduction de 1,1 point de PIB du déficit et de 1 point du déficit structurel. Le débat d’orientation des finances publiques permettra d’éclairer les choix opérés dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2012, afin d’atteindre l’objectif. Il est indispensable d’agir dans le cadre d’une stratégie financière et fiscale de moyen terme globale, équilibrée, continue et cohérente. Il y va de la croissance à long terme de notre économie, et, plus largement, de la capacité de notre pays à rester pleinement maître de ses choix économiques et sociaux. Le défi est bien réel. Beaucoup de chemin reste à faire. Mais, la Cour a la conviction que ce défi peut être relevé. Elle espère que cet audit annuel de nos finances publiques contribuera à une meilleure prise de conscience des enjeux en même temps qu’il fournira des pistes utiles pour l’action.
(M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission des affaires sociales, remplace M. Bernard Perrut.)
M. Gilles Carrez, rapporteur général de la Commission des finances. Monsieur le premier président de la Cour des comptes, soit par pessimisme soit par une lucidité inhérente au métier de comptable, je partage largement votre analyse. Même si la France a géré de manière remarquable la crise financière et économique, notamment en ce qui concerne les banques, sa première priorité est le rétablissement des comptes publics, qui connaissent un déficit structurel depuis plusieurs décennies.
Les derniers chiffres connus de l’exécution de 2010, favorables en apparence puisque le déficit réel est inférieur aux prévisions, révèlent une aggravation du déficit structurel de l’État – qui joue le rôle de chambre de compensation – de près de 5 milliards d’euros. Par rapport aux prévisions, on constate, outre une augmentation de 2,5 milliards des dépenses structurelles reconductibles, toujours pour la mission « Travail et emploi » et les dépenses de solidarité, un dérapage très préoccupant de 600 millions de la masse salariale. Globalement, cette somme a été financée par des économies conjoncturelles non reconductibles. Les intérêts de la dette se sont limités en 2010 à 40 milliards contre 42 milliards prévus, mais le principe selon lequel plus l’endettement augmente, moins il coûte en intérêts est-il durable ? Par ailleurs, les économies réalisées sur les prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales ne se renouvelleront pas.
En ce qui concerne les recettes, on a sous-estimé en 2010, comme on le fait depuis des décennies, le coût des réformes fiscales et sociales, telles que l’allocation personnalisée d’autonomie. Celle de la taxe professionnelle l’a été de 1,2 à 1,5 milliard, à cause surtout de la décision du Conseil constitutionnel. Si l’on y ajoute la baisse de la TVA sur la restauration et la suppression d’une tranche supplémentaire de l’imposition forfaitaire annuelle, l’effet conjugué de l’augmentation des dépenses, qui s’établit entre 4 et 5 milliards, et des diminutions d’impôt dépasse de beaucoup la croissance spontanée de 10 milliards des recettes fiscales pour 2010. J’évalue donc l’aggravation du déficit structurel à 4 ou 5 milliards d’euros. La Cour des comptes partage-t-elle mon analyse ?
Notre dette publique, qui dépasse sensiblement 80 % du PIB, approchera avant deux ans le seuil critique de 90 %. Les études de Kenneth Rogoff et, plus largement, l’observation de 150 ans de crises financières montrent que, quand on franchit ce seuil, on entre dans une zone dangereuse, puisque les intérêts de la dette étouffent les marges de manœuvre budgétaires, et que l’altération de la confiance fait structurellement baisser la croissance. Il faut donc être particulièrement attentif.
Ces dernières années, le fait que les intérêts n’aient pas accompagné l’évolution de l’endettement a masqué son importante progression. Leur montant, de presque 38 milliards d’euros en 2002 comme en 2009, s’établissait à 40 milliards en 2010. De quel ordre sera la rupture entre la prévision et l’exécution des intérêts de la dette qui interviendra cette année ? À mon sens, il est probable que la prévision de 44,5 milliards sera dépassée.
Puisque la France a géré de manière irréprochable la crise économique et financière, et que la croissance est repartie – ce qui, à l’exception de l’Allemagne, n’est pas vrai dans la plupart des pays européens –, nous devons tout faire pour ramener le déficit au-dessous de 5,7 % du PIB en 2011. À défaut, il sera encore plus difficile de passer en 2012 sous la barre de 4,6 %, ce qui exigera un effort inédit, certaines mesures liées au plan de relance s’effaçant mécaniquement dès cette année. Indépendamment de toute considération sur les critères de Maastricht, qui servent parfois de paravent ou d’alibi, notre niveau d’endettement, notre croissance moyenne et notre taux d’inflation sont tels que seul un déficit inférieur à 3 points de PIB, donc à 60 milliards d’euros, peut stabiliser le ratio dette/PIB, critère essentiel pour garantir la crédibilité de la France et lui assurer le moyen de se financer. Sur l’ensemble des comptes, nos besoins s’établissent entre 200 et 250 milliards par an, soit 1 milliard par jour ouvrable. Seule une bonne notation, gage de confiance, permettra de trouver cette somme.
Sous réserve que l’ONDAM soit respecté, j’estime au minimum à 5 milliards d’euros l’effort supplémentaire que nous devrons dégager dans les lois des finances et de financement de la sécurité sociale pour 2012. À défaut, nous n’atteindrions pas nos objectifs, malgré un bon taux de croissance. Celui-ci sera peut-être remis en cause par certains collègues, mais on doit saluer la prudence du Gouvernement en la matière. Elle est d’autant plus louable que cette prudence n’appartenait pas à la culture française.
M. Yves Bur, rapporteur de la Commission des affaires sociales. À mon tour, monsieur le premier président de la Cour des comptes, je vous remercie pour la richesse et l’intérêt de vos travaux, qui soulignent la difficulté de la situation budgétaire française dans un contexte européen très tendu.
La loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011, que nous avons votée hier, donne des raisons d’espérer. L’ONDAM a été respecté en 2010 et il devrait l’être aussi cette année. Les dépenses étant moins importantes et les recettes plus élevées, le solde s’améliore de 1,4 milliard d’euros et le plafond d’endettement de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) a été abaissé de 2 milliards. C’est la première fois, depuis 2006, que le déficit recule, de près de 5 milliards par rapport à l’exercice précédent. De même, 2011 voit s’inverser la tendance redoutable qui faisait croître les dépenses plus rapidement que les recettes. On peut y voir un préalable au retour à l’équilibre.
Pour autant, la situation financière de la sécurité sociale reste préoccupante. Malgré la baisse progressive de l’augmentation de l’ONDAM – de 2,9 % en 2011, puis de 2,8 % l’an prochain – et malgré la réforme des retraites, les déficits prévus à l’horizon de 2014 butent sur la barre des 20 milliards. Comme le disait votre prédécesseur lors d’une séance semblable à celle-ci, « ce n’est pas parce que les caisses sont vides qu’il faut en conclure qu’elles seraient, paradoxalement, inépuisables » ! Notre pays doit cesser de se « shooter » aux déficits.
À l’horizon de 2014, le montant cumulé des déficits de la branche maladie et de la branche famille atteindra près de 35 milliards d’euros. La CADES pourra sans doute les porter. Cependant, quand nous l’avons auditionné, avant l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, son président nous a indiqué que, pour la première fois, ses interlocuteurs chinois lui avaient demandé des précisions sur les évolutions futures – signe que les déficits ne sauraient se perpétuer. En matière de protection sociale, la norme, c’est équilibre. La seule véritable innovation que nous pourrions introduire serait de mettre fin aux déficits, à l’heure où notre pays continue de vivre au-dessus de ses moyens, ignorant que les plus gros efforts sont encore à faire.
Il y a deux semaines, la Commission européenne a transmis à la France une recommandation sur le programme de réformes qui lui avait été adressé début mai, dans le cadre du programme de stabilité à l’horizon de 2014. Elle nous prescrit, ce qui sonne comme un rappel à l’ordre, de consentir un effort budgétaire moyen d’au moins 1 % par an entre 2010 et 2013, d’accroître l’efficacité du système fiscal en déplaçant la charge du travail vers l’environnement et la consommation, et de réduire le nombre et le coût des exonérations fiscales et sociales. Approuvez-vous ces recommandations ?
L’automne dernier, l’affectation à la CADES d’une part croissante de la CSG s’est effectuée au détriment de la branche famille, qui s’est vue dotée de financements moins pérennes. Le rapport pointe le risque que l’assurance maladie soit, sur ce plan, concurrencée par d’autres politiques publiques. Quelles réflexions vous inspire cette situation ?
Enfin, estimant que le retour à l’équilibre de l’assurance maladie n’est envisageable qu’à l’horizon de 2027, compte contenu de l’évolution de la masse salariale, vous suggérez de remettre en cause la sacro-sainte évolution tendancielle des dépenses, qui sert à fixer l’ONDAM. Nous croyons consentir un effort considérable quand nous prévoyons de limiter sa croissance à 3 %, puis à 2,9 % et enfin à 2,8 %, mais est-ce suffisant ? Récemment, en Grande-Bretagne, un député travailliste m’a indiqué qu’une diminution des dépenses de 5 % ne lui semblait pas impossible à atteindre. C’est dire que le sujet donne lieu à des appréciations différentes. Les inflexions homéopathiques que nous envisageons ne suffiront sans doute pas. Dès lors qu’on ne peut augmenter notre niveau de prélèvement, qui compromet déjà notre compétitivité, et que nos charges salariales, en augmentation, sont les plus élevées d’Europe, quelle baisse de l’ONDAM vous semble-t-elle nécessaire ?
M. le président Pierre Méhaignerie. Nos dépenses sociales ont continué de progresser beaucoup plus vite que dans presque tous les pays européens. Au cours des vingt-cinq dernières années, la France y a consacré 6,1 points de PIB supplémentaires, les autres pays de l’OCDE 2,4 points, et la Suède 0,7 point de moins. Quand nous recevons des membres des commissions des affaires sociales du Japon, de Turquie ou de République tchèque, ils s’étonnent toujours de l’augmentation de nos dépenses de santé ou de vieillesse. Leur première réaction est de se demander si elle ne risque pas d’étouffer l’emploi.
Ensuite, à y regarder de plus près, il apparaît qu’il n’y a aucun lien entre les performances sociales et les dépenses sociales de chaque région. D’un département à l’autre, la proportion de personnes qui perçoivent l’allocation pour adulte handicapé varie d’un à cinq, et les dépenses de santé, correction faite des dépenses liées au vieillissement, de 20 %. N’est-ce pas la preuve qu’il faut poser le problème des comportements et des responsabilités ?
M. le président Jérôme Cahuzac. Comme le premier président de la Cour des comptes, les rapporteurs ont souligné l’importance d’une bonne tenue des comptes publics. Nous sommes tous convaincus de la gravité de la situation. Avec la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), un exercice pratique se profile à très court terme : le Parlement va-t-il voter une fois encore une réforme fiscale dont le financement est plus que douteux ?
M. Pierre-Alain Muet. Je remercie à mon tour le premier président de la Cour des comptes de la richesse et de la pertinence de ses analyses. Le rapport montre que le déficit très élevé de 2010 est largement structurel. Son montant inédit de 100 milliards correspond précisément au déficit qu’aurait connu notre pays si la crise n’avait pas eu lieu, c’est-à-dire si la croissance avait correspondu à la croissance potentielle. Ces 100 milliards, exception faite de la faible part qui correspond à la fin du plan de relance, résultent de politiques économiques et d’allègements fiscaux qui ont laissé très largement dériver les déficits. La comparaison avec le reste de l’Europe est éclairante : notre déficit atteint 7,1 % du PIB en 2010, quand celui de l’Allemagne ne s’élève qu’à 3,3 % du PIB. En 2008, à la veille de la crise, l’Allemagne avait réduit à zéro son déficit, alors qu’il dépassait le nôtre en 2005. Notre déficit structurel vient de ce que nous n’avons pas fait la même chose au cours de la période de croissance qui a précédé la crise.
Hier, le rapporteur général a comptabilisé 10 milliards de recettes nouvelles cumulées en 2010, pour 17 milliards de dépenses nouvelles. À l’entendre aujourd’hui, il semble que l’écart se soit réduit de 7 à 5 milliards. Quoi qu’il en soit, son analyse est pertinente : le creusement du déficit structurel, y compris en 2010, tient à ce que les mesures exceptionnelles, qui auraient dû le réduire, ont servi à financer des dépenses nouvelles. Peut-être la Cour des comptes a-t-elle analysé ces chiffres.
Je la remercie d’avoir, pour la première fois, distingué la situation des trois catégories d’administrations publiques. Puisque le déficit structurel des administrations de sécurité sociale n’est que de 0,1 %, et que les collectivités locales connaissent un excédent structurel de 0,1 %, le déficit structurel de 5 points est celui de l’État. Dès lors, c’est à lui qu’il incombe de le résorber. Toute la politique des dernières années a visé à désindexer les dotations aux collectivités locales, qui remplaçaient pourtant des impôts qui augmentaient comme le PIB, c’est-à-dire comme la croissance et l’inflation, alors qu’elles étaient autrefois indexées sur l’inflation et sur la moitié de la croissance. L’État se défausse ainsi sur les collectivités locales de déficits dont elles ne sont en rien responsables.
Sur le moyen terme, la Cour des comptes souligne que les prévisions de réduction des déficits reposent sur des hypothèses de croissance très éloignées de la croissance potentielle, par exemple 2,5 %, quand le taux réel est de 1,6 %. Certes, ce n’est pas interdit, pourvu qu’on explique pourquoi : il y a une dizaine d’années, la croissance réelle était très supérieure à la croissance potentielle, puisqu’elle dépassait 3 %. Depuis que ce n’est plus le cas, le Gouvernement affiche chaque année des prévisions de réduction des déficits à moyen terme reposant sur une hypothèse de croissance de 2,5 % qu’il ne réalise jamais.
Selon la Cour des comptes, si l’on conserve une élasticité des recettes à la croissance égale à 1, le déficit en 2013 sera réduit non à 3 % mais à 3,5 % du PIB. C’est dire que le Gouvernement n’a aucune chance d’être dans les clous – à moins que certains changements n’interviennent avant cette date.
Sur un autre plan, le rapporteur général a observé que la charge d’intérêts s’était établie à 38 milliards d’euros en 2002 et à 39 milliards en 2009. Pourtant, le montant de la dette était de 900 milliards en 2002 et de 1 500 milliards en 2009. Cela montre que la charge d’intérêts risque d’être beaucoup plus importante à l’avenir, les taux d’intérêt actuels étant faibles ; comme l’a souligné le premier président, il y a tout lieu de s’inquiéter de leur possible accroissement, la charge pouvant alors représenter, il l’a indiqué, l’équivalent de la somme des missions « Défense » et « Travail et emploi ». On notera en outre que si, selon les prévisions, la dette s’établit à 1 800 millions en 2012, elle aura doublé en dix ans.
Évoquant par ailleurs le coût de la baisse de la TVA sur la restauration, la Cour nous dit qu’il équivaut, budgétairement, « aux économies permises par le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique d’État pendant huit ans ». Cette indication, qui donne à réfléchir, incite à rappeler l’opinion exprimée par votre prédécesseur, monsieur le premier président : aussitôt connue la priorité donnée par le Gouvernement, dans la révision générale des politiques publiques, au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, Philippe Seguin avait jugé la mesure inefficace et dangereuse car de nature à peser très fortement sur les secteurs en tension et qui avaient fait des efforts de productivité. Outre cela, la Cour a toujours souligné que les résultats obtenus par cette mesure sont très éloignés de l’objectif affiché par le Gouvernement : l’économie réalisée n’a jamais été d’un milliard d’euros ; elle s’établit plutôt entre 200 et 300 millions d’euros.
Ensuite, quelle analyse la Cour fait-elle de la manière particulière dont la comptabilité budgétaire est présentée ? En inscrivant dans leur intégralité les investissements d’avenir au budget 2010, alors que la dépense effective a été de moins d’1 milliard, le Gouvernement a gonflé fictivement le déficit de plus de 30 milliards. Cela permettra d’afficher un déficit pour 2011 très inférieur à celui de l’année précédente ; la réduction sera pourtant très largement ponctuelle, et le problème des déficits continuera de se poser avec acuité en 2012.
Le premier président l’a souligné avec justesse, le redressement des comptes publics demande des mesures fortes. La réduction des déficits publics relève de la volonté politique et non de l’inscription dans des textes de contraintes qui demeurent inappliquées.
M. Jérôme Chartier. Je salue un rapport de grande qualité, où tout le monde reçoit son lot de critiques : ne lit-on pas, en page 30, que le déficit structurel « est l’héritage de plus de 30 ans d’incapacité à maîtriser les finances publiques » ? L’humilité s’impose à tous, mais chaque candidat à l’élection présidentielle pourra faire de ce rapport plutôt pessimiste son vade-mecum, car la réduction engagée du déficit ne suffit pas à apaiser les craintes des marchés financiers. Que la couverture des emprunts d’État français ait progressé de 77 % cette année témoigne de la méfiance des investisseurs ; cela pose problème.
Étant donné la difficile situation dans laquelle se trouve notre pays, la Cour des comptes ne pourrait-elle chiffrer les propositions figurant au programme des candidats à l’élection présidentielle ? Les Français, disposant ainsi d’une estimation précise du coût de chaque mesure proposée, pourraient débattre sérieusement, en s’assurant que certaines promesses n’entraînent pas notre pays dans un déficit dont il ne se relèverait pas.
M. Henri Emmanuelli. Allons !
M. Jean-Claude Sandrier. Ce rapport de grande qualité a, entre autres mérites, celui de détailler la composition du déficit, élément-clef pour trouver une solution. Comment se décompose-t-il ? La moitié du déficit au moins tient aux cadeaux fiscaux, et un quart est dû à la crise – crise à laquelle on ne peut se référer non pour s’en faire un alibi, mais pour en dénoncer les responsables. Une fois ces composantes défalquées, le déficit résiduel est normal et assimilable.
Dans ce contexte, et comme l’a souligné le premier président, la maîtrise de la dépense publique ne suffira pas ; en outre, aller plus loin en ce sens serait dangereux sur les plans social et économique. S’agissant de la protection sociale, on parle souvent d’excès ; il en existe sans doute, mais si l’on considère en regard le montant des recettes dont la sécurité sociale a été privée depuis des années, le rapport est d’1 à 50, sinon 100. D’évidence, rien ne se réglera sans une augmentation des impôts, qui doit évidemment être ciblée. L’augmentation de la TVA est régulièrement évoquée parce que c’est ce qui rapporte le plus et le plus vite à l’État ; mais c’est aussi une mesure dangereuse, car elle touche d’abord les plus faibles. C’est aux niveaux européen et mondial qu’il faut s’attaquer à la spéculation, réformer la fiscalité du capital et ces marchés financiers dont on entend sans cesse parler comme d’une abstraction. Évolueraient-ils dans la stratosphère, ceux qui, en notant les États, en viennent, de manière inacceptable, à diriger leurs politiques ?
La fiscalité du capital doit être réformée, et une autre répartition des richesses instaurée. Il y a dix ans, les 500 premières fortunes françaises possédaient l’équivalent de 6 % du PIB ; aujourd’hui, après la crise, elles en possèdent 12 % – leur patrimoine a crû de 120 milliards d’euros ! Par ailleurs, selon l’INSEE, les dividendes et les frais bancaires représentaient 26 % des bénéfices des entreprises il y a quarante ans, plus de 60 % maintenant ! Quelle est l’utilité sociale d’une telle dérive ? On peut d’évidence dégager des moyens en taxant le capital comme le travail et en taxant les transactions financières ; d’excellentes propositions de loi ont été formulées en ce sens. On peut aussi trouver des recettes nouvelles en supprimant de deux tiers à trois quarts des exonérations de cotisations sociales, celles dont la Cour des comptes considère qu’elles ne favorisent pas l’emploi.
Il est d’autre part nécessaire de définir un programme d’investissements publics et une politique industrielle propres à assurer la relance économique, augmenter les recettes fiscales et restaurer la situation de l’emploi. Certains, comparant la situation en France et en Allemagne, se plaignent que notre industrie se délite ; or la France n’a pas de politique industrielle, non plus que l’Europe. Il est grand temps de chercher les recettes là où sont les gisements de richesse, pour investir autrement.
M. Jean-Luc Préel. Je remercie le premier président pour sa présentation d’un rapport de qualité. Tout a été dit du sérieux de la situation et des délicates perspectives d’avenir. J’ai cru comprendre que le groupe socialiste proposerait des mesures fortes pour rétablir l’équilibre des finances publiques ; j’en prendrai connaissance avec intérêt. La dette sociale de 2011 a été transférée à la CADES ; prolonger la durée de vie de cette caisse n’était pas très raisonnable et je ne pense pas qu’on puisse poursuivre dans cette voie. Mais pouvons-nous accepter, à l’avenir, 20 milliards d’euros de dépenses sociales annuelles non financées ? Quel est l’impact, à ce jour, de la réforme des retraites sur le déficit ? Elle ne permettra pas à elle seule le retour à l’équilibre des régimes ; quelles réformes complémentaires la Cour des comptes propose-t-elle à cette fin ? Envisagez-vous un régime par points géré par les partenaires sociaux ? En matière de santé, l’évolution de l’ONDAM a été maîtrisée et il sera sans doute respecté cette année, mais il paraît difficile de réduire encore son augmentation. Il faudra donc renforcer l’efficience générale du système et aussi trouver des recettes supplémentaires sans pénaliser l’emploi ; qu’est-ce que la Cour suggère ? Comme il paraît difficile de prolonger encore la durée de vie de la CADES, je ne pense pas que l’on pourra éviter l’augmentation de la CRDS dans les années à venir ; quel est l’avis de la Cour à ce sujet ?
M. Dominique Dord. Il y a un aspect paradoxal dans ce rapport : on y lit que si un mieux a été constaté il faut néanmoins aller plus vite en 2011 mais, dans le même temps, la Cour estime que les hypothèses de réduction du déficit avancées pour la période 2012-2014 sont insuffisamment étayées. D’un côté, vous fustigez donc un manque de volontarisme pour le passé, de l’autre, vous jugez le volontarisme affiché peu convaincant. Cependant la Cour, parce qu’elle estime ne pas en avoir la légitimité, n’indique pas comment il conviendrait d’agir. Nous aimerions pourtant vous pousser dans vos retranchements : que proposeriez-vous pour aller beaucoup plus vite à court terme ?
M. Dominique Baert. Dans un récent rapport, la Cour évoquait « l’inexorable et impossible maîtrise des dépenses de personnel ». N’en va-t-il pas de même pour la dette publique française ? De fait, le scénario tendanciel que vous nous présentez est celui d’un déficit excédant 100 % du PIB en 2016, et le tableau figurant en page 71 fait ressortir qu’entre 2002 et 2010 la dette des organismes sociaux a quadruplé. Vous avez, monsieur le premier président, évoqué l’élasticité de la charge d’intérêts. Il y aurait lieu de travailler davantage ce sujet, en prenant en considération l’évolution des taux de change, celle de l’inflation – qui a un impact sur les obligations assimilables du Trésor indexées –, ainsi que l’éventuelle modification de notre notation par les agences spécialisées.
M. Charles de Courson. Le diagnostic posé est dur, mais réaliste : en dépit des coups de klaxon de la Cour des comptes depuis des années, la France va dans le mur, et ce mur est de plus en plus proche. L’effort de redressement structurel étant pour ainsi dire nul, le déficit structurel, loin de se réduire, continue d’augmenter. Ne risque-t-il pas d’augmenter très fortement, en raison de la remontée, déjà amorcée, des taux d’intérêt, et de la rigidité de certaines mesures prises ? Quel niveau d’endettement est susceptible d’entraîner l’abaissement de la note de la dette publique française par les agences de notation ?
La Cour préconise avec raison de réduire le déficit structurel d’un point de PIB par an ; cela représente quelque 100 milliards en cinq ans, ce qui n’est pas vertigineux. Le rapport souligne que des réformes structurelles sont indispensables, mais qu’elles ne permettront pas d’échapper à l’augmentation de certains prélèvements obligatoires – un diagnostic que je partage. Comment justifiez-vous la répartition implicite entre l’effort sur les dépenses et l’effort visant à la hausse des recettes que vous préconisez ?
M. Michel Bouvard. La Cour a souligné la difficulté que présente l’absence de prise en compte du programme des investissements d’avenir dans l’appréhension consolidée du respect de la norme de dépense et du déficit, mais sans dire ce qu’il conviendrait de réintroduire dans le périmètre de dépense. Qu’en est-il ? À cela s’ajoute la gestion du produit de la cession par l’État de titres d’EDF pour financer les universités. On comprend qu’une fois ces sommes consommées, le besoin de financement de l’État s’accroîtra ; a-t-on une idée du volume d’emprunt supplémentaire que l’État devra souscrire pour financer les mesures engagées ? La Cour souligne par ailleurs que leur situation s’étant dégradée, les entreprises publiques seront dans l’incapacité de verser à l’État le même niveau de dividendes que précédemment. Il s’ensuivra une autre baisse de recettes qu’il faudra compenser soit par emprunt soit par réduction de dépense ; à quelle hauteur ?
Enfin, le problème primordial est celui des comptes sociaux. A-t-on fait le cumul des recettes transférées depuis dix ans du budget de l’État – aggravant ainsi son déficit – vers les comptes sociaux ? Autrement dit, le déficit des comptes sociaux ne contamine-t-il pas en quelque sorte les comptes de l’État ? Si tel est le cas, n’était-il pas déraisonnable de proposer de revenir à la retraite à 60 ans ou de s’interroger sur les moyens de financer la dépendance ?
M. Louis Giscard d’Estaing. Le rapport fait d’intéressantes constatations, qu’il serait utile de préciser en datant précisément le moment où le déficit des finances publiques s’est creusé en France. Par ailleurs, la Cour souhaite-t-elle voir disparaître certaines exonérations de charges ? D’autre part, la réforme de l’assurance maladie de 2004 a tracé des pistes de réduction du déficit, au nombre desquelles la généralisation de l’apposition d’une photo sur les cartes Vitale ; quelle est l’opinion de la Cour sur le retard pris dans l’application de cette mesure ? Enfin, le tableau figurant en page 188 montre que les dépenses des collectivités territoriales et des groupements de communes à fiscalité propre sont passées de 146 milliards d’euros en 2002 à 212 milliards en 2010, en augmentation de 45 % ; pourriez-vous commenter ces données ?
M. Daniel Garrigue. La Cour souligne la nécessité de faire progresser les recettes publiques – on peut en effet difficilement prétendre assumer les missions de l’État en continuant de détruire la recette publique. Vous insistez sur la nécessité de réduire les niches fiscales et sociales, mais ne faut-il pas aller au-delà ? En particulier, ne faut-il pas instituer un taux réel minimum d’impôt sur les sociétés, puisque ce taux varie beaucoup selon les catégories d’entreprises ? Ne faut-il pas redynamiser l’impôt sur le revenu pour lui redonner un caractère redistributif, comme vous l’avez évoqué dans un précédent rapport ? Ne serait-il pas judicieux de créer un double taux de TVA minoré et de rééquilibrer l’imposition du travail et celle du patrimoine ?
M. Christian Eckert. J’ai compris, monsieur le premier président, que l’évaluation de l’économie nette due au non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique d’État est difficile ; pourriez-vous toutefois confirmer celle faite hier par le rapporteur général, qui l’a estimée à 264 millions pour 2010, en somme quelque 250 millions par an ? Par ailleurs, la Cour a traité ailleurs, mais pas dans ce rapport particulier, de la question des exonérations fiscales et sociales des heures supplémentaires ; celles qui ont été effectuées par les fonctionnaires – et elles sont nombreuses au sein de l’Éducation nationale –sont-elles prises en compte dans le calcul de l’économie nette précédemment évoquée ?
M. Michel Issindou. Je remercie le premier président et les auteurs de ce rapport instructif mais parfois déprimant, car les chiffres sont têtus. Je constate, comme Yves Bur, que la situation des comptes sociaux est dramatique. Malheureusement, le rapporteur va répétant qu’il faut faire quelque chose mais, année après année, quand nous proposons de supprimer telle ou telle niche sociale, il s’y oppose au prétexte que cela nuirait à la compétitivité de notre économie. Pourtant, l’Allemagne, à laquelle le président Méhaignerie aime tant comparer la France, a des coûts salariaux égaux aux nôtres et une compétitivité meilleure ; serait-ce que la compétitivité n’est pas seulement affaire de niches fiscales ? J’espère que lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale nous serons plus offensifs lorsqu’il s’agira de supprimer des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, que les discours seront suivis d’effet dès cet automne – et non pas après l’élection présidentielle de 2012 – et que la majorité aura le courage de prendre les mesures nécessaires pour essayer d’endiguer la très inquiétante chute des finances publiques, qui ne peut se poursuivre.
M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. Parce que je suis attendu au Sénat dans quelques minutes, le temps me manquera pour répondre à vos interrogations de manière circonstanciée. Je transmettrai donc aux présidents de vos commissions des réponses écrites, les plus précises possible, aux questions que vous m’avez posées – à celle de M. Louis Giscard d’Estaing par exemple, à propos de l’apposition d’une photo d’identité sur chaque carte Vitale, une mesure dont je puis déjà lui dire que la Cour considère qu’elle entraîne une dépense coûteuse pour une utilité contestée.
Sur un plan général, la Cour des comptes n’est ni pessimiste ni optimiste, car il ne lui appartient pas de l’être : elle est réaliste, et elle s’efforce d’être exacte en faisant des constats et des projections à partir des chiffres de l’exécution du budget.
Nous avons noté, monsieur le rapporteur général, une augmentation du déficit structurel de l’ordre de 6 milliards d’euros en 2010.
Nous préciserons autant que nous le pourrons les données relatives à la suppression de la taxe professionnelle, mais M. Christian Babusiaux, président de la formation interchambres de la Cour des comptes, a eu l’occasion d’expliquer à votre commission des finances que les défaillances des systèmes d’information de la direction générale des finances publiques ne permettent pas de vérifier avec exactitude la charge nette induite par la réforme.
Pour ce qui est du montant de la dette publique, nous approchons de la zone dangereuse, la zone de tous les risques, que l’on considère nos prêteurs ou les conséquences que notre endettement peut avoir sur les acteurs économiques et sur les consommateurs. C’est pourquoi nous appelons à ne pas dépasser cette zone limite, que beaucoup fixent à 90 % du PIB, et dont nous nous approchons. Si nous voulons stabiliser la dette et commencer de la faire décroître, il faut décider des mesures plus fortes que celles qui sont annoncées, et en tout cas plus précises, car tout décalage entre ce qui est annoncé et ce qui est réalisé est dangereux en ce qu’il mine la confiance en faisant douter de notre capacité à faire ce que nous disons. Voilà pourquoi, si les résultats sont meilleurs que prévu en 2011, la Cour insiste pour que cette amélioration serve exclusivement à accélérer la réduction du déficit dès 2011, et en aucun cas à alimenter des dépenses supplémentaires.
S’agissant du déficit structurel, nous pourrions être parvenus à un palier : certaines décisions peuvent nous permettre d’infléchir l’évolution tendancielle décrite. Déjà, des niches ont été réduites et certaines mesures ont eu pour effet positif un ralentissement de la dépense. Mais, tant pour les dépenses que pour les recettes, des mesures plus fortes sont indispensables. Il faut faire jouer tous les leviers en supprimant certaines niches fiscales et sociales et en augmentant temporairement certains prélèvements, notamment pour contribuer à l’équilibre des comptes sociaux. Reporter cet équilibre à 2020 ou à 2027 nous apparaît totalement déraisonnable.
Pour ce qui est des dépenses de santé, il faudrait vraisemblablement contenir la croissance de l’ONDAM à 2 points en valeur pendant au moins cinq ans.
Nous estimons qu’en dépit de la réforme, le déficit de l’assurance vieillesse pourrait encore être de quelque 12 milliards d’euros en 2020 ; mais si la réforme n’avait pas eu lieu, le déficit aurait été de 32 milliards. Des réformes structurelles ont donc été conduites qui, si elles sont encore insuffisantes, contribuent à la réduction des déficits.
M. Michel Bouvard trouvera des réponses à ses questions portant sur le périmètre de la dépense dans le rapport consacré par la Cour aux résultats et à la gestion budgétaire de l’État : pour permettre une appréciation exacte, nous proposons que les dépenses du programme d’investissements d’avenir effectivement réalisées soient réintroduites dans la norme d’évolution de la dépense. Nous disons aussi notre scepticisme sur l’objectif d’évolution de la dépense publique, considérant que l’on fait l’impasse tant sur les investissements d’avenir que sur les dépenses prévues dans le cadre de l’Agence française de financement des infrastructures de transport (AFIT). Le chiffre paraît peu crédible au regard de la rigidité de certaines dépenses de fonctionnement et de la nécessité d’investir pour préparer l’avenir. Il faudra donc trouver d’autres baisses possibles de dépenses.
Le chapitre VI du rapport qui vous a été présenté contient des propositions, mais c’est à vous, élus, qu’il revient de trancher. En chiffrant à la fois des réductions de dépenses et des ajustements de recettes, nous vous donnons une boîte à outils ; c’est notre contribution au débat d’orientation des finances publiques à venir.
Notre message est clair : nous avons constaté quelques inflexions bienvenues, mais elles ne sont pas à la hauteur des difficultés que connaît le pays. Il faut donc aller plus vite et plus fort sur le chemin du redressement.
M. le président Jérôme Cahuzac. Monsieur le premier président, nous vous remercions.
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Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 22 juin 2011 à 9 heures
Présents. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Claude Bartolone, M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, M. Jérôme Cahuzac, M. Bernard Carayon, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Richard Dell'Agnola, M. Michel Diefenbacher, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Daniel Garrigue, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Hénart, M. Jean-François Lamour, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Pierre Moscovici, M. Pierre-Alain Muet, M. Henri Nayrou, M. Hervé Novelli, Mme Béatrice Pavy, M. Jacques Pélissard, M. Nicolas Perruchot, Mme Sophie Primas, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. Jean-Claude Sandrier, M. Michel Sapin, M. François Scellier, M. Philippe Vigier
Excusés. - M. Jean-Pierre Brard, M. Jean-Claude Flory, M. François Goulard, M. Victorin Lurel, M. Patrice Martin-Lalande, M. Michel Vergnier, M. Gaël Yanno
Assistait également à la réunion. - M. Régis Juanico
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