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La Commission examine le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle relatif aux externalisations dans le domaine de la défense, présenté par MM. Louis Giscard-d’Estaing et Bernard Cazeneuve, Rapporteurs.
M. Jean Launay, Président. Notre ordre du jour appelle, pour la première fois cette année, l’examen d’un rapport de la mission d’évaluation et de contrôle : celui préparé par nos collègues Bernard Cazeneuve, dont je salue la participation à nos travaux, et Louis Giscard d’Estaing.
Vous me permettrez d’avoir une pensée à la mémoire de Françoise Olivier-Coupeau, notre collègue trop tôt disparue, qui avait suivi le dossier qui nous réunit aujourd’hui. C’est sur les externalisations dans le domaine de la défense que la mission nous présente ses conclusions et ses propositions.
Les pratiques et les contrats d’externalisation sont particulièrement nombreux, et ils sont à des stades de maturité très divers. Leur poids budgétaire est de l’ordre de 4 % des crédits de la Défense, beaucoup plus faible qu’au Royaume-Uni, mais comparable à celui de l’Allemagne.
Pour établir un diagnostic d’ensemble, nous avons demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête. Son rapport nous a été remis à la fin de l’année dernière, et M. Louis Giscard d’Estaing en a assuré la publication dans un rapport d’information en février dernier. La Cour soulignait un certain nombre de choix à opérer et d’incertitudes à lever.
Le rapport qui vous a été confié consistait donc à préparer les choix politiques. Il n’a peut-être pas été facile de dégager le consensus qui est la marque de la MEC, en particulier un an avant des échéances électorales. Vous nous direz ce qu’il en est.
Messieurs les Rapporteurs, nous vous écoutons.
M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. En réalité, M. le Président, l’accord a été facile à atteindre. Si nos points de vue d’origine sont différents, les auditions ont montré notre convergence, et nos conclusions sont pleinement consensuelles.
En France, l’achat de prestations autrefois réalisées en régie n’est pas une nouveauté : le phénomène a pris son essor à la fin des années quatre-vingt-dix avec la suspension du service national, Mais cette politique a connu sa véritable expansion au cours des années 2007 et 2008, dépassant désormais largement le milliard d’euros de prestations externalisées. En 2009, les dépenses d’externalisation représentaient 5 % du budget de la Défense et avaient presque triplé par rapport à 2001.
L’ampleur du phénomène n’est certes pas comparable avec ce qui se pratique chez les Anglo-saxons : les Britanniques ont externalisé 25 % de leur budget Défense, soit environ 10 milliards d’euros. En revanche, les montants externalisés par l’armée allemande (1,6 milliard d’euros, soit 5 % du budget de la Bundeswehr), sont similaires aux nôtres.
Le ministère de la Défense a codifié le processus décisionnel pouvant mener à une externalisation. La première tâche consiste à identifier tous les éléments attachés à une activité en régie, c’est-à-dire de production interne. Le ministère examine ensuite s’il est possible de réaliser, en interne, des économies qui rendraient une externalisation superflue. S’il apparaît malgré tout que le recours à l’externalisation peut être envisagé, la démarche est poursuivie.
Puis, une évaluation préalable est réalisée : le ministère observe la situation dans d’autres entreprises ou entités administratives, et recherche les prix du marché. L’externalisation ne doit pas affecter la conduite des opérations : c’est la « ligne rouge » à ne pas franchir. Mais surtout, elle doit permettre des économies solides et durables.
Le ministère veille à ce que le marché ne soit pas aux mains d’oligopoles et à que la concurrence soit préservée de manière à pouvoir transférer le marché à un nouveau partenaire si le titulaire du contrat venait à défaillir.
La situation du personnel est également prise en compte. Ainsi, la législation a été modifiée et le décret du 21 septembre 2010 a permis la mise à la disposition d’entreprises sous-traitantes, de personnels de la Défense. Ce décret, rapidement surnommé « MALD » – mise à la disposition –, définit les modalités permettant aux personnels civils et militaires du ministère de la Défense d’être mis à la disposition d’une entreprise attributaire d’un marché concernant une activité externalisée.
L’agent mis à la disposition continue de percevoir l’ensemble des éléments de la rémunération afférente à l’emploi qu’il occupait précédemment au sein du ministère. De son côté, l’entreprise d’accueil verse un remboursement égal « à la somme du salaire, des majorations de salaire et des cotisations et contributions dus par l’organisme d’accueil pour l’emploi d’un salarié occupant un poste comparable avec une qualification professionnelle et une ancienneté équivalentes ».
Quel est l’intérêt de ce décret ? En l’absence d’outil juridique permettant le transfert de personnels, les armées devaient jusqu’en 2010 procéder au reclassement de leurs personnels, ce qui occasionnait des coûts importants : frais de mutation, indemnités de départ volontaire, etc. Le décret évite non seulement de tels coûts, mais permet aux personnels de continuer à travailler sur un même lieu géographique, ce qui le rend socialement intéressant.
Au premier abord, ce dispositif fait peser un certain surcoût sur l’État, mais il faut tenir compte du fait que les personnels concernés ne se retrouvent pas employés en surnombre ailleurs, ni ne bénéficient d’indemnités de reclassement complémentaires. D’ailleurs, nombre de personnes mises à la disposition des entreprises par le ministère de la Défense rejoignent définitivement ces sociétés au moment où elles quittent l’armée.
Le champ d’intervention de l’externalisation s’est considérablement étendu au cours de ces dernières années. Nous nous sommes intéressés prioritairement aux projets non encore aboutis, sur lesquels le pouvoir politique peut donner un avis de nature à influer sur les décisions finales.
J’en présenterai deux sur lesquels la mission souhaite attirer l’attention de la Commission : l’affrètement aérien et les satellites de télécommunications.
Certains pays membres de l’Otan ont mis des ressources en commun pour affréter des aéronefs de transport lourd partout dans le monde. Le consortium ainsi créé affrète actuellement six Antonov 24 capables d’accueillir des cargaisons hors gabarit. C’est le contrat Salis (Strategic Air Lift Interim Solution, ou Solution intérimaire pour le transport aérien stratégique). Ce contrat constitue une originalité dans la mesure où l’Otan est liée par un contrat stratégique à une société russe, Volga-Dniepr.
Ces aéronefs sont utilisés comme solution intérimaire pour pallier les lacunes des moyens de transport aérien stratégique de l’Alliance, en attendant la livraison des premiers Airbus A400M ainsi que des ravitailleurs MRTT qui seront également employés au transport de passagers et de marchandises.
La France représente 25 % des demandes contractuelles adressées à Salis. Notre pays est l’un des plus engagés hors de son territoire national et ne dispose pas d’une flotte de gros porteurs stratégiques, contrairement aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
Parallèlement au contrat Salis, mais séparément de l’Otan, un groupe de nations européennes a mis au point un mécanisme de coopération original permettant l’échange de prestations de transport de passagers et de marchandises sur la base d’un troc d’heures de vol. Il s’agit de l’accord Atares, conclu par douze pays.
Dans les deux cas, Salis et Atares, l’externalisation est subie et non choisie : l’armée de l’air française n’a plus les capacités de transporter avec ses moyens patrimoniaux les matériels nécessaires au soutien de nos Opex : ainsi, en 2010, l’armée de l’air n’a transporté avec ses moyens propres que 46 % des acheminements stratégiques de fret. Et pour la première fois, plus de 50 % des acheminements de fret de nos forces ont été réalisés par des appareils russes, principalement les Antonov du contrat Salis sans lesquels le soutien de nos 4 000 hommes en Afghanistan ne serait pas possible. Autant que la Cour des comptes, la MEC s’alarme de cette très forte dépendance.
Bien que le contrat Salis courre jusqu’en 2012, la société Volga-Dniepr a annoncé son souhait de se désengager. Elle a porté unilatéralement le prix de l’heure de vol à 30 200 euros, soit une majoration d’environ 20 %, et le volume d’heures a été fortement réduit. Pour compenser le désengagement de son partenaire, l’armée française a conclu, dans l’urgence, un contrat bilatéral avec un autre partenaire, la société ICS. Cet événement illustre parfaitement les dangers d’une dépendance de nos forces à l’égard d’une société en position oligopolistique.
L’une des propositions de la MEC est donc de veiller à ce que les armées, sans renoncer complètement aux contrats d’externalisation, conservent un socle minimal de capacités patrimoniales qui leur permettent de ne pas devenir dépendantes de partenaires privés. C’est la raison pour laquelle, notamment, nous appelons le ministre de la Défense à commander aussitôt que possible l’avion de ravitaillement et de transport MRTT.
J’en viens aux satellites de télécommunications. L’objectif de l’opération Nectar consiste à céder à titre onéreux à un opérateur privé l’usufruit des satellites de télécommunications militaires Syracuse.
En échange, l’opérateur privé s’engagera à gérer, moyennant un loyer qui lui sera versé, les communications satellitaires du ministère de la Défense, client privilégié. Les capacités non utilisées par les armées pourront être proposées à d’autres clients, mutualisant les moyens et augmentant les sources de revenus possibles. En revanche, en cas de pertes de capacités des satellites, c’est à l’opérateur qu’incomberait la charge de trouver des solutions de rechange : le ministère de la Défense louerait ainsi un service global de télécommunications.
La Mission attire l’attention du Gouvernement sur les dangers induits par une perte de compétence dans un domaine aussi essentiel pour le caractère opérationnel des armées. À la lumière des expériences étrangères, notamment britannique, ils constatent qu’une compétence perdue l’est généralement de manière irréversible. Ainsi, la compétence « maître de satellite », détenue par des militaires possédant un savoir-faire très spécialisé pour diriger la charge utile, s’éteindra en 2012. La question de la réversibilité se pose, car il faudrait de nombreuses années pour retrouver cette compétence.
Mais au-delà de cette question de compétence, la rentabilité globale du projet est en cause en raison du retard pris par cette opération, évoquée depuis 2008 mais sans cesse retardée.
La durée de fonctionnement résiduelle des deux satellites Syracuse en orbite est limitée à 2017 ou 2018 : tout retard dans la signature du contrat entraîne mécaniquement une réduction du prix d’acquisition qui sera proposé par les opérateurs. La DGA elle-même n’est pas sûre que la somme proposée par les candidats soit supérieure aux loyers à payer et que, par conséquent, l’opération sera rentable. La durée de contrat envisagée, huit ans, paraît incompatible avec la durée de vie résiduelle des engins (6 à 7 ans) et la mise en œuvre risque désormais d’intervenir trop tard.
C’est pourquoi la MEC demande au ministre de la Défense de renoncer à la cession de l’usufruit des satellites de télécommunications qui s’apparente davantage à une opération de trésorerie destinée à engranger une recette exceptionnelle, qu’à un réel partenariat public-privé.
En conclusion, je ne voudrais pas donner une impression trop négative des partenariats public-privé. Des opérations telles que l’externalisation des véhicules de la gamme commerciale, la mise en œuvre de avions de l’école de Cognac, l’achat d’heures de vol d’hélicoptère au profit de la base école de Dax semblent donner de bons résultats pour un moindre coût. De la même manière, il est probable que l’opération Balard n’aurait sans doute pas été possible sans partenariat.
Toutefois, la Mission ne serait pas dans son rôle si elle n’attirait l’attention de la commission sur les dérives qui peuvent être induites par certains projets. C’est l’objectif que nous nous sommes fixés.
M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. L’analyse de la problématique des externalisations du ministère de la Défense attire notre attention sur un certain nombre de difficultés – dont la plupart n’avaient d’ailleurs pas échappé à la Cour de comptes. J’en développerai trois. Je terminerai mon propos en m’arrêtant sur un cas concret cité en exemple par nombre d’observateurs mais qui recèle pourtant sa part d’ombre, le projet Balard.
La première préoccupation est d’ordre quantitatif : les externalisations prolongent-elles sans le dire la révision générale des politiques publiques (RGPP) ?
La déflation des effectifs du ministère de la Défense pendant la loi de programmation militaire, de 2009 à 2014, a été fixée à 54 000 agents civils et militaires. Les externalisations engagées sur la même période portent sur des services regroupant au total 16 000 personnes. Peut-on dire que ces 16 000 postes s’ajoutent aux 54 000 en cours de suppression, portant la déflation totale des effectifs du ministère à 70 000 en six ans ?
La mission a entendu des intervenants très en retrait sur cet objectif de 16 000 postes, d’autres qui en niaient l’existence même. La Cour des comptes reconnaît, elle aussi, avoir du mal à se forger une opinion définitive puisque les magistrats ont écrit qu’« il est nécessaire que l’articulation des projets d’externalisation avec les rationalisations devant aboutir à la suppression de 54 000 emplois soit clarifiée ».
Pour sa part, la MEC a acquis la conviction que les emplois faisant l’objet d’une externalisation viennent bien en sus des 54 000 postes supprimés par restructurations et rationalisations sur la période 2009-2014. Seul le nombre de 16 000, qui semble n’être qu’une évaluation maximale, peut être sujet à caution. En conséquence, la mission demande que soit levée l’ambiguïté entre les gains en effectifs attendus des externalisations et l’objectif général du ministère de réduire ses effectifs.
Notre deuxième préoccupation vient de la difficulté pour le ministère de la Défense de matérialiser le coût et les bénéfices attendus des externalisations. Rarement une mission d’évaluation et de contrôle aura eu à travailler avec aussi peu de données statistiques. Pourtant, dans le domaine de l’externalisation, il est essentiel de s’assurer, évaluation à l’appui, que le service rendu par un prestataire sera économiquement intéressant pour le ministère.
Un exemple : ni le montant du budget des externalisations en 2010 ni les prévisions pour 2011 ne sont disponibles à la date de publication du rapport. Les derniers chiffres disponibles sont ceux de l’année 2009. La Cour des comptes, qui a rendu son rapport fin 2010, a été obligée de travailler sur les chiffres de 2008. Une des propositions de la mission consiste à demander l’information du Parlement en loi de finances initiale sur les montants consacrés chaque année aux externalisations.
Une part importante des externalisations réalisées ces dernières années a été engagée sans connaissance précise des coûts en régie. Lorsque des gains sont annoncés par le ministère, comme c’est le cas pour la gestion des véhicules de la gamme commerciale ou les avions de l’école de pilotage de Cognac, il semblerait que ces gains soient davantage liés à la réorganisation – et à la réduction – des prestations, qu’à l’externalisation.
La troisième préoccupation provient du risque d’une dérive vers une « finance imaginative ». Les externalisations peuvent très certainement permettre de réaliser des réformes en contournant une difficulté importante. Ainsi, le remplacement en une fois de plus de 20 000 véhicules de la gamme commerciale aurait été impossible autrement. Pour autant, l’externalisation ne doit pas devenir un principe général d’administration pour réaliser des réformes qu’on ne sait pas ou ne veut pas mener en interne.
Sur ce point, le MEC et la Cour des comptes partagent le même constat : les externalisations donnent trop souvent l’impression de n’avoir pour finalité que de contourner l’obstacle budgétaire, en remplaçant un investissement lourd immédiat, pour lequel les financements ne sont pas disponibles sur le titre 5, par un flux, limité mais durable, de loyers retracés au titre 3 du budget.
L’exemple britannique du ravitaillement en vol est révélateur et doit conduire l’armée française à choisir la voie de l’acquisition patrimoniale plutôt que celle de l’externalisation : en 2008, le ministère britannique de la défense a contractualisé avec un consortium créé pour la circonstance, la fourniture, sur 27 ans, d’un certain nombre annuel de ravitaillements en vol ; or, pour des raisons budgétaires, la flotte aérienne de la RAF a été drastiquement réduite en 2010. Le besoin britannique en ravitaillements en vol est donc désormais bien moindre que celui contractualisé. Comment renégocier un contrat tout juste signé ? Avec une acquisition patrimoniale, une telle difficulté aurait été contournée par la revente d’occasion des appareils en question ou par leur utilisation à un autre usage.
Enfin, je souhaiterais conclure mon propos en évoquant un cas concret : le projet de regroupement de l’administration centrale du ministère à Balard.
Il s’agit d’un projet en apparence bien monté et dont les observateurs nous disent unanimement le plus grand bien : fin 2014, grâce à un partenariat public-privé, l’administration prendra possession d’un nouveau ministère prêt à fonctionner incluant de nombreux services (gardiennage extérieur, restauration, entretien, services informatiques, etc.). Le loyer à verser pendant 27 ans permettra d’économiser les frais payés jusqu’à présent par les services éparpillés sur une quinzaine de sites en région parisienne. En outre, ce projet permettra de faire l’économie de lourds travaux d’entretien à venir ainsi que d’une remise à niveau des systèmes d’information.
Pour autant, le tableau, très bien présenté par les responsables du projet, pourrait ne pas être aussi idyllique.
Le calcul du ministère de la Défense peut être ramené à l’équation budgétaire suivante : plutôt que de dépenser pour les infrastructures immobilières des sommes variables et soumises à des aléas, choisissons la stabilité d’une dépense contractuellement définie – 155,4 millions d’euros TTC en euros constants 2011 – et dont la révision, organisée dès l’origine, ne devrait pas présenter a priori de surprise désagréable. Cette enveloppe est non seulement stable, mais porteuse d’économies sur la période couverte par le partenariat. En l’absence de projet, le ministère aurait dû continuer à payer chaque année 226 millions d’euros de fonctionnement et de loyers budgétaires correspondant aux agents transférés à Balard. À cette somme se seraient immanquablement ajoutés les coûts de remise à niveau des systèmes d’information ainsi que d’importants travaux de rénovation immobilière estimés très approximativement à 600 millions d’euros.
La difficulté provient du fait que les hypothèses économiques réalisées sur un terme de trente ans comportent nécessairement des prises de risque. Même si le ministère paraît relativement bien protégé par le contrat, que se passerait-il si le partenaire était mis en difficulté par des aléas imprévisibles au moment de la signature, voire s’il venait à faire défaut ?
De plus, la base de comparaison repose sur des hypothèses de dépenses actualisées que la MEC n’a pas été en mesure de passer au crible : il est trop tôt pour procéder à une évaluation contradictoire.
En outre, le projet Balard doit permettre la libération et donc la vente d’un certain nombre d’emprises parisiennes, dont la plus importante est l’îlot St-Germain. A cette occasion, une recette exceptionnelle d’environ 600 millions d’euros doit être dégagée ; cette recette, nous assure-t-on, n’est pas liée à la réalisation du projet, dont la viabilité est gagée par la réduction annoncée des frais de fonctionnement. La recette exceptionnelle, annoncée depuis 2009 et sans cesse repoussée, fait pourtant partie de l’équation économique globale puisqu’elle doit être entièrement affectée au budget de la Défense. Sa non réalisation jusqu’ici pose donc un nouveau questionnement sur la maîtrise globale de « l’équation budgétaire » du projet Balard.
Toute l’attention du Parlement devra donc continuer à être mobilisée pour porter un jugement documenté sur le bien-fondé du choix de financement retenu.
M. Michel Diefenbacher. Les Rapporteurs ont adopté, sur ce sujet difficile qu’est l’externalisation, une position prudente. Deux questions sont soulevées : celle de l’indépendance d’une part, celle de l’intérêt budgétaire d’autre part. C’est sur cette seconde question que je souhaite axer mon propos.
En ma qualité de Rapporteur spécial des crédits de la mission Sécurité, je rencontre des difficultés similaires à celles évoquées par les Rapporteurs, s’agissant de la comparaison entre le coût du maintien en régie et de l’externalisation. On en arrive à se demander s’il existe une véritable volonté de mettre les chiffres sur la table. Quelles sont en la matière les habitudes de nos voisins britanniques et allemands, qui pratiquent l’externalisation ? Si des tâtonnements sont possibles dans les premiers temps, cela fait plusieurs années que l’insuffisance de données comparatives est relevée ; a-t-on tout de même constaté quelque progrès ?
M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. L’enjeu de l’externalisation en termes d’indépendance se résume à la question suivante : l’externalisation concerne-t-elle le cœur de la mission de souveraineté nationale ? Des sujets en apparence fonctionnels peuvent en réalité être critiques, tels la restauration et l’habillement. La restauration des troupes françaises en mission extérieure est rarement externalisée, sauf lorsque nos troupes agissent sous mandat international (de l’ONU, de l’OTAN ou de l’Union européenne). En matière d’habillement, le plus sensible est la définition des treillis, qui doit à notre sens relever de l’organisation militaire. Ainsi, le programme Felin, destiné à équiper l’infanterie et le fantassin du futur, est inclus dans une réflexion stratégique.
La difficulté à obtenir des chiffres tient notamment au fait que la comptabilité analytique n’était pas, jusqu’à des temps récents, dans la culture du ministère de la Défense. Mais les travaux conduits par le Parlement ont produit des effets, par exemple la fusion des trois commissariats aux armées en un seul, qui a permis de rationaliser les moyens et d’améliorer la qualité de l’expertise en matière d’évaluation des coûts. Mais il faut reconnaître que l’on part de très loin, en tout cas de plus loin que la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Ceci étant dit, il n’est pas certain que les Britanniques soient totalement satisfaits des résultats de l’externalisation, en particulier au moment du renouvellement des contrats, qui ne s’opère pas toujours dans des conditions financières avantageuses.
M. David Habib. Les Rapporteurs ont rappelé leur souci de parvenir à des conclusions consensuelles. Cela a été d’autant moins difficile qu’il n’existe pas, sur ce sujet, de position dogmatique. Je dois dire qu’en présidant les auditions de la MEC sur ce thème, j’ai été positivement surpris par la position modérée, voire de recul, du ministre de la Défense lui-même, qui a invité le Parlement à faire preuve de circonspection sur la question de l’externalisation.
L’externalisation est une réponse actuelle à un problème ancien. Dans un récent rapport, la Cour des comptes constatait l’absence de comptabilité efficace au ministère de la Défense. Il conviendra en conséquence que le ministère et le Parlement mènent une analyse centrée sur la question du cœur de métier de l’armée, en distinguant les fonctions de support des fonctions capacitaires.
S’agissant du projet dit « Balard », quelle peut être la capacité de suivi du Parlement, compte tenu du fait que ce projet s’étale sur 27 ans ? Si ce projet apparaît satisfaisant d’un point de vue technique et juridique, il n’est pas certain que l’objectif premier, d’ordre budgétaire, soit atteint.
M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. C’est en effet dans seulement 27 ans que l’on pourra avoir une vision consolidée des résultats du partenariat public-privé (PPP) de Balard. D’ici là, le Parlement dispose de ses moyens habituels : missions d’information de la commission de la Défense – j’assure à ce titre avec François Cornut-Gentille un suivi permanent des missions du ministère de la Défense – et de la commission des Finances, travaux du Comité d’évaluation et de contrôle, qui pourrait s’intéresser à des sujets dépassant l’horizon d’une seule législature. En la matière, nous ne manquons pas d’outils ; c’est donc la volonté politique qui présidera à leur bon usage.
M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je partage le diagnostic de Bernard Cazeneuve sur le projet Balard : la durée du partenariat est telle que le suivi ne peut être qu’institutionnel, au moyen d’évaluations successives.
Nous nous sommes posés la question du cœur de métier, mais n’avons pas souhaité y apporter de réponse dans le cadre du présent rapport. Nous sommes toutefois conscients qu’il s’agit d’un point clé. La question des fonctions de sécurité a été longuement débattue dans le cadre du projet Balard, mais les exigences opérationnelles ont été jugées compatibles avec l’externalisation des certaines fonctions, sans atteinte au cœur de métier.
M. Laurent Hénart. Je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail des Rapporteurs. La lecture de leur projet de rapport m’inspire deux réflexions. Tout d’abord, la proposition n° 1 laisse songeur, puisqu’il s’agit de rappeler que « le ministère de la Défense ne doit en aucun cas recourir aux externalisations pour satisfaire à court terme un besoin de trésorerie » ; si les Rapporteurs formulent une telle proposition, cela signifie que cette tentation existe, ce qui est bien évidemment regrettable. Ensuite, on ne peut que s’étonner à la lecture des pages du rapport recensant le florilège des réponses, pour le moins embarrassées, aux questions portant sur l’évaluation des gains permis par l’externalisation.
Ces remarques faites, je souhaiterais poser trois questions aux Rapporteurs.
Premièrement, la proposition tendant à ce que le projet de loi de finances évalue les dépenses engagées du fait de l’externalisation pourrait-elle être mise en œuvre dès le PLF 2012 ? En effet, le rapport soulève des sujets très actuels, qui pourraient trouver une traduction dès 2012 ; il s’agit notamment des conséquences de la loi de programmation militaire, de la question des ravitaillements en vol ou de la gestion des satellites de télécommunications.
Deuxièmement, les Rapporteurs disposent-ils d’informations sur l’externalisation en matière de cession immobilière ? En Lorraine, comme ailleurs sans doute, le ministère de la Défense prépare des programmes de cessions, sollicitant les élus locaux potentiellement candidats au rachat des emprises en question. Le ministère de la Défense a-t-il un service consacré à ces cessions ? Est-il envisagé de faire appel à des spécialistes de l’immobilier, publics ou privés ?
Troisièmement, comment obtenir une réponse à la proposition n° 5, tendant à identifier « clairement combien de postes sont concernés par les externalisations et si ces postes viennent, comme le pense la mission, en sus des 54 000 suppressions annoncées dans le cadre des restructurations » ?
M. Jean-Louis Dumont. Les Rapporteurs ont une approche extrêmement prudente du projet Balard, à l’image du Conseil de l’immobilier de l’État. Cela montre que ce sujet mérite une analyse et une évaluation, au regard de ses enjeux financiers.
En dépit de la qualité de ses effectifs, force est de constater que le ministère de la Défense n’est pas un gestionnaire de premier ordre, et que la transparence n’y existe pas. La conservation d’une véritable industrie de défense nécessite donc un lourd travail. Dans cet objectif, comment rendre les partenariats public-privé plus transparents et plus efficaces ?
Les Rapporteurs opèrent une distinction entre l’externalisation subie et l’externalisation choisie. J’ai pour ma part l’impression que la France a copié des pratiques observées outre-Atlantique, sans avoir la même dimension ni les mêmes approches. En effet, le modèle de l’externalisation n’est pas transférable à toutes les opérations.
L’efficacité d’une armée se mesure à son caractère immédiatement opérationnel et projetable. En quoi les partenariats pourraient-ils permettre de moderniser la flotte des hélicoptères, à l’évidence vieillissante ?
L’externalisation des fonctions de gardiennage n’entraîne-t-elle pas un risque, si elle est venait à être opérée au profit de structures paramilitaires dont les principes seraient peu compatibles avec l’esprit républicain ?
Enfin, je m’associe à la question de Laurent Hénart sur les cessions d’emprises militaires dans l’Est de la France.
M. Jean Launay, Président. Pour compléter les questions de nos collègues, ne pensez-vous pas qu’il conviendrait en priorité d’assumer davantage l’interarmisation avant que de poursuivre plus avant les externalisations ?
Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Une illustration de la préoccupation manifestée par Laurent Hénart de la transformation d’opérations d’externalisation en opérations de trésorerie est évidemment le projet de cession de l’usufruit des satellites de télécommunications. Il faut effectivement admettre que dans ce cas, le besoin ne résulte pas d’une volonté clairement exprimée de se lancer dans une opération d’externalisation, mais bien de générer un surplus de trésorerie via une recette exceptionnelle pour le budget de la défense. Nous contestons ce mécanisme financier, même si le principe de cession de l’usufruit des télécommunications n’est pas contestable en lui-même. Cependant, cette opération à caractère quasiment patrimonial sur des satellites stratégiques pose un problème de principe.
En ce qui concerne les investissements, notamment en matière d’avions ravitailleurs, et d’hélicoptères, il faut reconnaître que certains appareils comme les Transall pour le transport aérien ou les Breguet Atlantique arrivent à bout de souffle ; de son côté, l’airbus A400M est toujours attendu, alors que les nouveaux hélicoptères NH90 et Tigre arrivent au compte-goutte. Il en résulte un certain manque capacitaire qui explique le recours à l’externalisation : l’affrètement des Antonov en est un exemple. Il s’agit d’un créneau pour lequel nous n’avons ni actuellement, ni dans le futur, des capacités disponibles pour nos forces.
Effectivement, l’interarmisation doit être réalisée en parallèle du processus d’externalisation : nombre de problèmes peuvent trouver une solution dans le cadre de l’interarmisation. C’est le cas par exemple des capacités transposables entre l’aéronavale et l’armée de l’air, sur certains équipements. L’interarmisation s’est aussi manifestée à travers la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (SIMMAD) et le service industriel de l’aéronautique (SIAé) compétents pour l’ensemble des aéronefs de nos forces. Cette interarmisation correspond ainsi à une vision globale de l’entretien des matériels, de la formation des pilotes, etc.
M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le maintien en condition opérationnelle des équipements vieillissants est en effet un problème crucial.
La contrainte budgétaire observée ces dernières années a empêché les armées de procéder à la modernisation des équipements dans le cadre des calendriers des lois de programmation militaire. Nous sommes parfois plus prompts à commander de nouveaux équipements qu’à donner l’ordre du début de réalisation lorsqu’ils ont été commandés. C’est le cas du second porte-avions nucléaire, dont une esquisse de commande avait été effectuée dans le cadre d’une collaboration franco-britannique et pour lequel 800 millions d'euros supplémentaires ont été dépensés pour des études, pour l’instant en vain.
Par ailleurs, il apparaît que plus les équipements vieillissent, plus le maintien en condition opérationnelle coûte cher. C’est le cas pour les sous-marins Rubis, les hélicoptères et aéronefs dont disposent nos armées. La tentation est donc grande au regard du coût du maintien en condition opérationnelle et des contraintes budgétaires de recourir à l’externalisation. Nous pensons que cette démarche est porteuse d’un risque. Il convient de mettre en œuvre une approche analytique permettant de comparer le coût de possession et le coût de l’affrètement dans le cadre d’une externalisation. L’exemple britannique est de ce point de vue très éclairant. Il démontre qu’en fin de période, l’acquisition patrimoniale d’équipements de souveraineté comme les ravitaillements en vol de la composante aérienne de la dissuasion, est un sujet sur lequel il convient de ne pas trop prendre de risques.
Sur les aspects immobiliers, il faut rappeler que la loi est très encadrante : le ministère de la Défense réalisait précédemment ses actifs immobiliers par l’intermédiaire de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI). Depuis l’extension de son champ de compétence, France Domaine réalise maintenant les actifs du ministère de la Défense. Les collectivités locales, après avoir procédé aux acquisitions, peuvent les faire porter par des sociétés d’économie mixte, afin de réaliser des logements ou des équipements publics.
Une grande partie de ces emprises immobilières a été cédée à l’euro symbolique. Il conviendrait d’ailleurs de dresser la liste, parmi les cessions liées à la refonte de la carte militaire, de celles qui ont été valorisées et de celles qui ont été cédées à l’euro symbolique. On observe que, compte tenu de la non réalisation des emprises parisiennes et des cessions à l’euro symbolique, les recettes liées aux cessions immobilières ont été résiduelles l’an dernier : 150 millions d’euros seulement.
M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le concept d’externalisation appliqué à l’immobilier a connu une tentative avec la participation de la SOVAFIM dans le cadre du projet de cession immobilière des emprises parisiennes du ministère de la Défense. La SOVAFIM avait en quelque sorte le rôle d’agence immobilière sur ce projet, à côté de la Caisse des dépôts et consignations. L’opération a finalement été abandonnée, car jugée pas assez intéressante, en liaison avec l’état du marché immobilier en 2010.
Un autre exemple, est l’affectation de l’Hôtel de la Marine. Prévu dans un premier temps dans le cadre de la loi de programmation militaire, ce projet n’apparaît plus en loi de finances. Il s’agissait là d’un cas d’externalisation : l’État restait propriétaire du bâtiment, et donnait un bail emphytéotique pour la réalisation d’un hôtel.
En matières de prévisions chiffrées, le ministère de la Défense est peu disert. Il n’a pas été en mesure de fournir les résultats des externalisations pour 2010, ni les prévisions pour 2011. Il paraît donc peu probable qu’il publie une prévision dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, alors que d’importants projets sont pourtant à l’étude et concernent l’habillement, l’hôtellerie et la restauration. Pour autant, je ne manquerai pas de poser la question dans le cadre de la préparation du prochain budget.
M. Jean Launay, Président. Avant de lever la séance, en application de l’article 145 du règlement, je dois consulter la Commission sur la publication du rapport de la mission d’évaluation et de contrôle. Je suppose, mes chers collègues, que vous serez d’accord pour autoriser cette publication ?
Il en est ainsi décidé.
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Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 5 juillet 2011 à 18 h 15
Présents. - M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Louis Giscard d'Estaing, M. David Habib, M. Laurent Hénart, M. Jean Launay, M. Jean-François Mancel, M. Henri Nayrou
Excusés. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, M. Jean-Pierre Brard, M. Jean-Claude Flory, M. Victorin Lurel, M. Patrice Martin-Lalande
Assistait également à la réunion. - M. Bernard Cazeneuve
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