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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 7 décembre 2011

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 44

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Vice-Président puis de M. Michel Diefenbacher, Secrétaire

– Examen d’un rapport d’information sur le rapport d’enquête réalisé par la Cour des comptes, en application du 2° de l’article 58 de la LOLF, concernant les modalités de mise en place de l’Autorité de contrôle prudentiel (M. Jérôme Chartier, rapporteur)

– Examen du rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur (MM. Jean-Pierre Gorges, Pierre Lasbordes et Alain Claeys, rapporteurs

– Information relative à la Commission

– Présences en réunion

La Commission examine d’abord le rapport d’information sur le rapport d’enquête réalisé par la Cour des comptes, en application du 2° de l’article 58 de la LOLF, concernant les modalités de mise en place de l’Autorité de contrôle prudentiel.

M. Louis Giscard d’Estaing, Président. Nous avons aujourd’hui le troisième acte de nos échanges sur les modalités de mise en place de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), après l’audition le 23 novembre de M. Babusiaux qui a présenté les principales conclusions du rapport de la Cour des comptes, puis celle, le 30 novembre, de Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de l’ACP, qui nous a fait part des réactions de l’Autorité de contrôle prudentiel.

Il convient maintenant de mettre à la disposition du public un document présentant le rapport de la Cour et le compte rendu de ces deux auditions. Ce rapport sera précédé d’une introduction de M. Jérôme Chartier qui, en tant qu’ancien rapporteur de la loi de régulation bancaire et financière, est à l’origine de notre demande d’enquête. M. Jérôme Chartier, vous avez la parole.

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Par une lettre de son président Jérôme Cahuzac en date du 1er décembre 2010, la commission des Finances a saisi la Cour des comptes d'une demande d'enquête sur les modalités de mise en place de l'Autorité de contrôle prudentiel conformément au 2° de l'article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Rapporteur spécial de la mission Économie à laquelle se rattache l'ACP et rapporteur de la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, j'avais proposé ce thème au bureau de notre Commission.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le Président, nous avons pu débattre avec M. Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes, lorsqu’il est venu présenter l'enquête devant notre Commission, puis avec Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de l'ACP. Ces auditions ont été fructueuses : les collègues de tous bords ont participé au débat et ont montré leur intérêt pour cette jeune institution qui a un rôle déterminant dans le contexte actuel de crise bancaire et financière et de bouleversement des règles prudentielles au plan national et international.

Je souligne que l'enquête porte sur le fonctionnement de l'Autorité et non sur la qualité du contrôle prudentiel, laquelle n’est pas en cause. La Cour des comptes ne s'est donc pas livré à une évaluation des actions menées par l'ACP. Une telle évaluation aurait été prématurée dans la mesure où l'enquête est intervenue après seize mois seulement de fonctionnement de cette nouvelle autorité administrative indépendante.

L'ACP est née de l'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010 ratifiée par l'article 12 de la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, inspirée par la volonté d'améliorer la régulation du secteur financier en l'orientant davantage vers le contrôle des risques. Adossée à la Banque de France, et employant dès à présent un millier d'agents, l'ACP est une autorité administrative indépendante financée, ce qui est une originalité, par les contributions prélevées sur les organismes assujettis à son contrôle. Il serait intéressant de s’inspirer de ce dispositif pour le fonctionnement de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

La fusion de quatre autorités administratives préexistantes dans un contexte de bouleversement des règles prudentielles au plan international et européen et de crise financière sans précédent était une « réforme délicate à bien des égards » selon les propres termes de la Cour des comptes. Cela souligne les difficultés de mise en œuvre et de fonctionnement parallèlement à l’exécution de l’ensemble des missions relevant de l’ACP.

Je suis aussi tout à fait conscient de la difficulté de la mise en place d'une telle autorité notamment en termes de gestion des ressources humaines. Mais en me fondant sur l'enquête de la Cour des comptes, j'ai identifié trois sujets méritant l'attention du Parlement dans le cadre de sa mission constitutionnelle de contrôle des finances publiques.

Ces trois sujets devront faire l'objet d'améliorations importantes pour que l'ACP entre dans une phase de véritable consolidation et atteigne une vitesse de croisière pour l’exécution de ses missions.

Premièrement, en matière de contrôle prudentiel, j'observe la nécessité de renforcer les contrôles sur place et de clarifier la politique de sanctions.

Deuxièmement, en matière de contrôle des pratiques commerciales, je constate la nécessité de développer le pôle commun ACP-AMF afin de prendre pleinement en considération les préoccupations et l'intérêt des consommateurs. À la lumière des propos de Mme Nouy, il apparaît nécessaire utile de renforcer la notion de pôle commun. Je ferai parvenir un courrier en ce sens à l’AMF et à l’ACP.

Troisièmement, en matière de ressources humaines, d'une part l'ACP doit atteindre le niveau des effectifs prévus et, d'autre part, engager une politique active de recrutement en vue d'attirer les profils techniques et de renforcer sa présence au sein des autorités européennes et internationales de régulation financière. Les négociations conduites au niveau européen et international pourraient ainsi être davantage inspirées de la situation française.

M. Louis Giscard d’Estaing, Président. Lors des auditions de M. Babusiaux et de Mme Nouy, des compléments d’information avaient été demandés par certains de nos collègues. Pouvez-vous nous indiquer si ces informations complémentaires vous ont été transmises ?

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Nous ne les avons pas encore reçues, mais elles seront intégrées dans la version définitive du rapport.

M. Alain Rodet. À la lumière des propos de notre rapporteur et de ceux tenus par la secrétaire générale de l’ACP lors de son audition, il me semble que se dessine un schéma où les contrôles vont s’exercer principalement sur les directions générales des groupes bancaires et d’assurance, et laisser de côté les filiales. Par exemple, le groupe Crédit agricole est constitué de Crédit agricole SA et de ses caisses régionales. Il en est de même pour le groupe Banque populaire – Caisse d’épargne. L’ACP peut-elle effectuer des contrôles sur l’ensemble de ces groupes, de façon consolidée ? Une appréciation macroéconomique des indices, au niveau des holdings ou au niveau des directions générales de ces groupes me semble insuffisante.

M. Jérôme Chartier, rapporteur. C’est la raison pour laquelle il convient d’être très vigilants au sujet des contrôles sur place. Il est évident que les contrôles par relations suivies, tels que décrits par Mme Nouy lors de son audition, concernent essentiellement les interlocuteurs traditionnels que sont les directions générales. Les contrôles sur place revêtent un intérêt particulier : il s’agit de vérifier sur place le fonctionnement d’une filiale, d’une direction générale ou du département d’une filiale, par exemple le service de production. C’est une mission importante de l’ACP, notamment en ce qui concerne les questions de transparence et d’information des consommateurs. Sur ces sujets, seuls des contrôles sur place permettent une connaissance réelle des processus de production. Ces contrôles sur place doivent être renforcés, en dépit de leur caractère long et fastidieux : la commission doit être vigilante sur leur progression. L’année prochaine, il est souhaitable que le rapporteur spécial de la mission Économie fasse le point sur leur évolution dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2013.

M. Christian Eckert. Le nombre de contrôles sur place est décevant. Ils ont certes augmenté dans le domaine de l’assurance, mais ils restent insuffisants dans le domaine bancaire, notamment dans les salles de marché. La question que j’avais adressée à Mme Lagarde sur ce sujet reste à ce jour sans réponse : je ne sais toujours pas combien de contrôles sur place ont été opérés dans les filiales des banques françaises au Luxembourg. Au regard des affaires connues de tous, il s’agit là d’un sujet essentiel. J’imagine, par exemple, que nous serons bientôt amenés à nous intéresser à Groupama. Il aurait d’ailleurs été utile d’interroger Mme Nouy sur le suivi par l’ACP du comportement de Groupama, dont Mediapart fait état depuis plusieurs mois, et pour lequel la Caisse des dépôts serait sollicitée pour participer à son redressement.

L’audition de Mme Nouy ne m’a pas convaincu, notamment en ce qui concerne la question des personnels. Ainsi, les informations en ma possession contredisent l’affirmation selon laquelle les promotions des employés détachés à l’ACP seraient supérieures à celle des employés en poste dans l’organisme central de la Banque de France. Il s’agit probablement de l’une des causes du retour vers la Banque de France des employés détachés à l’ACP.

J’invite donc le rapporteur à poursuivre sa mission de suivi : il convient en effet d’amplifier les contrôles sur place. Il ne s’agit pas de contrôler uniquement les systèmes d’audit interne, qui ont largement fait la preuve de leur défaillance. Il convient également d’améliorer la gestion des ressources humaines : en interne avec la banque de France, et en externe en procédant au recrutement de personnels compétents.

Il conviendrait enfin d’appréhender ce sujet sous l’angle budgétaire : les contrôles sur place, en province ou à l’étranger, nécessitent de fait des moyens conséquents. N’est-ce pas pour des raisons budgétaires que les contrôles sur place ne sont pas aussi nombreux et systématiques que souhaitable ? La contribution des organismes bancaires et assurantiels au budget de l’ACP, qui n’est pas considérable, pourrait être, selon moi, réévaluée.

Enfin, je déplore le retard dans la parution du décret relatif aux sanctions, lesquelles sont assez peu nombreuses.

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Les cotisations ne sont pas négligeables : pour une mission de contrôle de l’ACP sur la Caisse des dépôts, compte tenu de la particularité de ce contrôle évoqué lors de la loi NOME et de la loi de régulation bancaire et financière, la contribution a été évaluée à 6 millions d'euros. En revanche, l’affectation des ressources pour les missions de l’ACP est un vrai sujet. M. Eckert a raison : cela explique sans doute la faiblesse des contrôles sur place, que les relations suivies évoquées par Mme Nouy ne sauraient remplacer efficacement. Si je rejoins M. Eckert sur la nécessité d’augmenter les contrôles sur place, il me semble que contrôler les salles de marché est d’un moindre intérêt. Il me semble en fait que M. Eckert souhaite davantage réagir sur l’attitude des traders. Cependant, à mon sens, cela ne relève pas de la mission de l’ACP, mais de celle de l’AMF.

Je rejoins encore M. Eckert sur le fait que l’ACP doit se renforcer en personnel expérimenté. Mais cela a un coût élevé dans ce secteur d’activité. Le rapport de la Cour des comptes indique que la grille des traitements de l’ACP ne prévoit pas d’accueillir des personnels aux compétences extraordinaires. À l’ACP, comme à l’AMF, on accueille des personnes en début de carrière, extrêmement performantes, mais qui quittent souvent cette institution au bout de cinq ans. Les personnels restants n’ont pas forcément la technicité pour procéder aux contrôles complexes.

En ce qui concerne les sanctions, six mois ont effectivement été nécessaires à la parution du décret, ce qui n’est pas si long, même si je conviens qu’il eût été préférable de le publier plus tôt. Il reste à vérifier que l’action de la commission des sanctions soit véritablement effective, sachant qu’auparavant, les sanctions étaient extrêmement rares.

M. Henri Emmanuelli. Le rapporteur nous assure que l’on sait comment fonctionne une salle des marchés. Je rappelle pourtant que, dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies, la secrétaire générale de l’ACP nous avait expliqué les difficultés auxquelles les contrôles se heurtaient.

En particulier, le courtage haute fréquence, ou high-frequency trading, échappe aujourd’hui à tout contrôle. Contrairement à ce que nous avait affirmé à l’époque le président d’Euronext Paris, il y a aujourd’hui plus d’opérations sur les pôles de liquidité – dark pools – que sur les marchés régulés.

Je crains que toutes ces auditions n’aient guère d’utilité car nous nous heurtons toujours à la même langue de bois : nous n’avions pas vu venir la déconfiture de Dexia et, aujourd’hui, c’est la presse qui nous alerte sur la situation de Groupama !

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Il est question ici de l’ACP, et non de l’AMF. La régulation des activités de marché – qui se heurte effectivement aux difficultés que vous avez signalées – relève de l’AMF et de l’Autorité européenne des marchés financiers – l’ESMA, European Securities and Markets Authority. La montée en puissance de cette dernière est encore très récente : elle assure, depuis le 1er novembre dernier, l’enregistrement des agences de notation. Je crois qu’il faut accélérer le développement de la supervision européenne, qui constitue à mon avis le niveau le plus pertinent. Quant à l’AMF, je tiens à souligner qu’elle a consenti un effort d’investissement sans précédent l’an dernier, à hauteur de 20 millions d’euros de dépenses informatiques supplémentaires.

M. Claude Bartolone. La commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux a également entendu les représentants de l’ACP. J’ai eu la même impression que notre collègue Henri Emmanuelli : la nouvelle autorité a bien été mise en place, mais elle peine à agir.

M. Henri Emmanuelli. J’avais bien à l’esprit, tout à l’heure, les champs de contrôle respectifs de l’ACP et de l’AMF. Il me semble néanmoins que des opérations de marché réalisées par les équipes d’un établissement de crédit relèvent de l’ACP !

M. Louis Giscard d’Estaing, Président. Je prolonge la question de nos collègues : comment s’articulent les compétences des deux autorités nationales de régulation s’agissant du contrôle de la commercialisation des produits financiers ?

M. Jérôme Chartier, rapporteur. Le fonctionnement du pôle commun de contrôle des pratiques commerciales constitue, à mon avis, le point faible de notre système de régulation. Il n’y a pas encore eu de rapprochement suffisant entre l’ACP et l’AMF en la matière. Je propose de laisser encore une année aux deux autorités pour consolider le pôle commun, avant de procéder à une évaluation complète.

S’agissant des emprunts structurés évoqués par Claude Bartolone, je vous rappelle que la Commission bancaire n’avait pas, à l’époque, compétence pour contrôler les pratiques commerciales des établissements de crédit, contrairement désormais à l’ACP.

M. Louis Giscard d’Estaing, Président. Je remercie le rapporteur pour ses explications. En application de l’article 145 du Règlement, je vous propose à la Commission de voter pour se prononcer sur l’autorisation de la publication du présent rapport.

La commission des Finances autorise la publication du rapport d’information.

*

* *

La Commission examine ensuite le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ce rapport n’est qu’un rapport d’étape. En effet, il est impossible à ce stade d’avancer des conclusions définitives sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur. Cependant, beaucoup d’informations contradictoires ayant circulé à ce propos, il a paru utile de faire un point précis sur l’avancement des programmes et la consommation des crédits.

En créant cette mission d’évaluation et de contrôle, notre objectif était de clarifier, et si possible d’améliorer par nos propositions, le recours à ces modes de financement de la recherche, qui ne sont pas une nouveauté en France – ainsi le secteur aéronautique bénéficiait d’avances remboursables – mais qui n’ont longtemps porté que sur des montants limités. Ces flux ont pris de l’importance avec la constitution des pôles de compétitivité, mais c’est surtout à compter de décembre 2007, avec le plan Campus, puis avec le Grand emprunt prévu par le collectif budgétaire du 9 mars 2010, que le phénomène a pris une ampleur majeure : le plan Campus porte sur cinq milliards d’euros et le programme d’investissements d’avenir sur près de 35 milliards !

Ces modes de financement sont mis en œuvre par des opérateurs de l’État : en particulier par les universités s’agissant du plan Campus et par l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, pour le volet « recherche » des investissements d’avenir.

Le développement qu’ils ont pris résulte à la fois d’une contrainte et d’une exigence. Comme nous l’avions souligné dans notre rapport de l’an dernier sur le crédit d’impôt recherche, les pouvoirs publics se sont attachés depuis 2007 à relancer l’effort de recherche à partir d’un triple constat : celui du retard dont souffrait la « machine à innover » française, celui du recul de nos universités dans les classements internationaux et celui de l’insuffisance de la recherche, qu’elle soit publique ou privée.

La contrainte, nous la connaissons bien, c’est celle qui pèse sur les finances de l’État, et elle incite à mobiliser plus largement des financements innovants mis en œuvre par des opérateurs. Cependant, comme l’ont rappelé aussi bien la mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF, la MILOLF, dans son rapport de juillet 2010, que la Cour des comptes, ces financements échappent aux principes du droit budgétaire, qui sont une garantie du contrôle parlementaire. Ainsi les crédits mobilisés par le Grand emprunt ont disparu des écritures de l’État dès leur transfert aux opérateurs, à la fin de l’année 2010. Leur suivi est donc un enjeu à la fois de bonne gestion et de démocratie.

D’où la série d’auditions auxquelles la MEC a procédé de mai à octobre 2011 : en particulier celles des responsables des agences de recherche, des représentants des universités et des grandes écoles ainsi que des ministères concernés, sans oublier le Commissaire général à l’investissement. Ce tour d’horizon nous a permis en particulier de faire le point sur l’état d’avancement du plan Campus et du programme des investissements d’avenir.

La dotation totale du plan Campus, lancé fin 2007, se monte à cinq milliards d’euros puisqu’aux 3,7 milliards d’euros issus de la cession d’une partie du capital d’EDF se sont ajoutés 1,3 milliard d’euros au titre des investissements d’avenir ; il s’agit d’une dotation non consommable transférée à l’ANR en 2010. Au 30 novembre 2011, les avances versées correspondant aux intérêts de 2010 et 2011 s’élevaient à 56,9 millions d’euros. La modicité de ce montant s’explique par la complexité des opérations immobilières en cause et par le fait que les universités, manquant de compétences dans ces matières, ne disposaient pas d’une gouvernance à la hauteur du défi. Elle tient également aux limites des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, regroupements d’universités d’une même ville ou d’une même région prévus par la loi dans le but d’assurer la mise en œuvre du plan. Cependant, la montée en charge du dispositif devrait s’accélérer après cette phase transitoire.

Les investissements d’avenir, lancés par la loi de finances rectificative du 9 mars 2010 après avoir été sélectionnés par la commission Juppé-Rocard, s’élèvent à 34,64 milliards d’euros, dont 15 milliards d’euros de dotations non consommables et 19,6 milliards d’euros de dotations consommables. Ces dernières, destinées à constituer des actifs à risque, incluent trois catégories d’interventions : les prêts et garanties de prêts ; les prises de participations ; les avances remboursables. Quant aux dotations non consommables, elles sont constituées de fonds, déposés sur le compte de l’opérateur auprès du Trésor, dont seuls les produits d’intérêts sont versés aux bénéficiaires des crédits. Elles présentent un caractère non risqué pour l’État. L’enseignement supérieur et la recherche mobilisent à eux seuls 18,9 milliards d’euros sur le total de 34,6 milliards.

Aujourd’hui, les perspectives d’engagements de crédits portent sur quinze à vingt milliards d’euros, dont six à huit milliards d’euros de dotations consommables et dix à douze milliards d’euros de dotations non consommables. Quant aux décaissements, ils se limitaient, au 30 septembre dernier, à 1,5 milliard d’euros de dotations consommables et 10,4 millions d’euros d’intérêts de dotations non consommables. Au vu de cette situation, il est indubitable que la consommation de ces crédits doit s’accélérer.

En outre, nous avons constaté que le glissement de crédits budgétaires à des crédits extrabudgétaires à travers les investissements d’avenir était une réalité. C’est le cas avec le projet ASTRID de réacteur nucléaire de quatrième génération, qui n’avait pas connu le moindre début de réalisation avant que le Grand emprunt ne lui alloue 650 millions d’euros. De même, l’aéronautique civile a bénéficié d’un transfert de 450 millions d’euros, sur un financement total de 1,5 milliard. Quant aux démonstrateurs technologiques aéronautiques, ils bénéficieront d’un montant de 900 millions d’euros. Certains projets de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, seront également financés sur les crédits destinés aux investissements d’avenir.

La très faible consommation des crédits au titre du plan Campus crée des impatiences. J’en ai donné les raisons, mais le constat de lenteur vaut aussi pour les investissements d’avenir. Dans ce dernier cas, c’est la complexité de l’articulation entre le Commissariat général à l’investissement, les différents opérateurs et les jurys internationaux qui explique l’allongement du processus, au grand dam des chercheurs.

La sélection des projets d’investissements d’avenir par des jurys internationaux est une garantie de transparence et un gage de qualité. L’État doit néanmoins assumer son rôle de stratège, et ce sur deux points : pour la définition des priorités en matière de recherche et pour le rééquilibrage des financements entre les différentes régions – la deuxième vague d’appels à projets devra permettre de corriger les inégalités que nous avons pu constater à cet égard.

En conclusion, j’appelle la Commission à continuer de surveiller de façon rigoureuse la conduite de ces deux politiques.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Le sujet est complexe, en raison de la difficulté de distinguer clairement crédits budgétaires et crédits extrabudgétaires. En outre, les dispositifs en cause, récents, ne sont pas encore stabilisés. Nos douze propositions, de caractère assez technique, visent donc davantage à les clarifier et à mieux les encadrer qu’à en modifier la substance.

La première, qui reprend fidèlement l’une de celles qu’avait formulées la MILOLF dans son rapport de juillet 2010, vise à revenir aux conditions arrêtées lors du lancement du plan Campus. Comme vous le savez, la dotation allouée aux universités était fondée sur la rémunération du capital de 3,7 milliards d’euros issu de la vente d’actions d’EDF. Or cette rémunération n’était pas calculée à compter de la date de leur encaissement. Afin de respecter l’engagement initial de l’État, nous demandons que ce calcul prenne en compte l’intégralité de la période écoulée depuis décembre 2007.

Vient ensuite une série de propositions destinées à garantir l’information du Parlement, et donc des citoyens. Nous demandons d’abord que soit mis à notre disposition un document de consolidation des dépenses budgétaires et extrabudgétaires faisant la synthèse de toutes les politiques publiques en matière d’enseignement et de recherche. La forme d’un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances serait probablement la plus adaptée. Il conviendrait naturellement qu’en exécution, un document correspondant soit annexé au projet de loi de règlement.

Notre troisième proposition précise le contenu de ce document de synthèse. Devrait y figurer une présentation budgétaire comportant une ventilation entre dépenses d’investissement et dépenses de fonctionnement. Il devrait aussi décrire les actifs créés au bénéfice de l’État ou des porteurs de projet, en précisant leur nature, leur montant et leur régime juridique.

Quatrièmement, nous souhaitons que soit présenté chaque année au Parlement un calendrier actualisé et détaillé du déroulement de l’opération Campus.

Cinquièmement, nous proposons que le rôle des PRES dans la mise en œuvre des investissements d’avenir, notamment des initiatives d’excellence, soit clarifié, que leur socle de compétences minimales soit renforcé et leur gouvernance précisée.

Il importe également de disposer d’informations analytiques détaillées sur les opérations. C’est pourquoi notre sixième proposition tend à exiger des opérateurs la production annuelle d’un récapitulatif consolidé, par site et par organisme, de l’ensemble des crédits reçus à des fins d’enseignement et de recherche.

Septièmement, il convient d’encourager l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, créée par la loi de programmation pour la recherche de 2006, à exercer pleinement sa mission d’évaluation des investissements d’avenir.

Nos huitième et neuvième propositions visent à assurer la traçabilité, à nos yeux indispensable, des crédits du programme d’investissements d’avenir jusqu’à leur exécution et à obtenir une présentation des crédits engagés et décaissés opération par opération, pour les actions d’un montant supérieur à dix millions d’euros.

Les trois dernières propositions portent sur le suivi de la performance des investissements d’avenir. Pour en permettre l’analyse globale, nous préconisons de faire un usage systématique d’un « noyau dur » de critères d’évaluation standardisés mesurant leur rentabilité socio-économique. Il conviendra également d’élaborer des indicateurs de performance pour la conduite des projets immobiliers et des projets d’équipements de grande taille, permettant notamment d’évaluer le degré de maîtrise des coûts et des délais à chaque phase du projet.

Enfin, la MEC juge essentiel de constituer, pour chaque projet, des indicateurs de performance en vue de mesurer le retour sur investissement qu’il procurera à l’État ainsi que ses effets sur l’activité économique globale et sur l’emploi.

Comme nous nous en doutions étant donné la nature des financements en cause et l’état d’avancement des projets, nous n’avons pu produire qu’une sorte de rapport d’étape. Notre mission d’évaluation et de contrôle devra donc continuer d’exercer sa vigilance au cours de la prochaine législature.

M. Alain Rodet. La lenteur avec laquelle le plan Campus est mis en œuvre est critiquée de toutes parts, l’exécution de certains projets enregistrant de tels retards qu’ils imposent des réactualisations, génératrices de surcoûts. En tant que maîtres d’ouvrage, les universitaires manquent de diligence : comme les magistrats, ils se comportent comme s’ils avaient l’éternité devant eux ! Or il s’agit de répondre à des besoins dont l’urgence est manifeste…

M. Philippe Vigier. On ne peut qu’approuver les propositions présentées par Jean-Pierre Gorges, mais le problème majeur est celui de la faiblesse des crédits effectivement mobilisés. Je ne suis pas surpris par l’observation du rapport selon laquelle « les présidents et les conseils d’administration des universités ont été “pris par surprise”, n’ayant pas défini de projet à l’avance, dans la mesure où mener à bien la construction ou la rénovation du bâti n’avait jamais relevé de leur compétence », puisque j’observe que le volet universitaire du contrat de projets entre l’État et la région Centre connaît, lui aussi, un retard considérable. Quels motifs vous permettent d’être plus optimistes pour 2012 ? Ne faudrait-il pas imaginer d’autres dispositifs, tels que des délégations de maîtrise d’ouvrage qui feraient intervenir des collectivités locales, afin d’accélérer la réalisation des programmes ? Dans ma région, des projets n’ont pas pu éclore alors même que, contrairement au passé, il y avait des financements.

Mme Marie-Christine Dalloz. L’évaluation de ces programmes, notamment des investissements d’avenir, est absolument nécessaire eu égard à l’importance des crédits en jeu et au contexte budgétaire contraint que nous connaissons. Si votre rapport reconnaît cette nécessité, il faudrait maintenant dépasser l’étape du constat : comment mesurer précisément l’efficacité de ces politiques, établissement par établissement ?

M. Gérard Bapt. S’agissant des projets du plan Campus, l’évaluation ne présente pas de difficulté. Il en va tout autrement pour les projets de recherche financés par le Grand emprunt. En ce qui concerne les opérations encadrées par l’ANR, elles font déjà l’objet d’une double évaluation, par l’ANR et par l’AERES. Mais certains projets peuvent faire problème : dans le domaine de la recherche en santé, par exemple, comment évaluer les programmes comportant le suivi de cohortes, qui peut s’étendre sur un grand nombre d’années ?

J’ai eu par ailleurs la surprise de constater qu’un jury international chargé de sélectionner des projets de recherche médicale ne comptait comme membres français que deux représentants du monde de l’entreprise : la composition de ces jurys obéit-elle à des règles particulières ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Il est vrai que l’exécution du plan Campus connaît un retard considérable, seulement 56 millions d’euros ayant été consommés après quatre ans sur les cinq milliards annoncés, alors que le taux de réalisation des programmes est de 50 % dans les contrats de projets État-régions (CPER). Les causes de ce retard sont multiples. D’abord, les projets éligibles n’étaient pas complètement élaborés. D’autre part, c’était la première fois que les universités étaient réellement maîtres d’ouvrage, alors que ce rôle revient à l’État ou à la région dans le cadre des CPER. De plus, la diversité de structure des PRES appelait, notamment en ce qui concerne le rôle du maître d’ouvrage, des clarifications juridiques – qui ont été apportées depuis. Surtout, les universités ne disposent pas encore des outils susceptibles de donner une traduction concrète au principe de leur autonomie, même si celui-ci fait aujourd’hui l’objet d’un consensus.

Quant aux membres des jurys internationaux chargés de sélectionner les projets d’investissements d’avenir, ils sont recrutés parmi les candidats retenus par l’ANR. Je pense que ces modalités de recrutement garantissent la qualité de ces jurys, étant entendu que l’État stratège doit faire valoir ses priorités.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Nous proposons déjà dans notre rapport des outils pour aller plus loin que le simple constat, madame Dalloz. Vous devez cependant mesurer qu’évaluer des projets de recherche demande des compétences « pointues ». Reste que l’accompagnement politique est essentiel : il faut que le Parlement maintienne une pression constante, d’autant plus que ces financements sont complexes. Le problème aujourd’hui est qu’il n’y a pas suffisamment de dialogue entre la compétence et le politique.

C’est pourquoi nous avons souhaité jeter dès maintenant un regard sur ces projets, même si ce premier contrôle est sans aucun doute un peu trop précoce, ces dispositifs n’ayant pas encore atteint leur régime de croisière. Cependant, nos douze propositions devraient nous permettre d’affiner notre évaluation et de maîtriser la dépense.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il faut noter que l’État dialogue avec les universités via les rectorats, qui sont leurs interlocuteurs en région. Or, au sein de ceux-ci, le service consacré aux universités est souvent le plus petit et le moins bien doté. Je crois qu’il est temps de tirer les conséquences de l’autonomie des universités en renforçant ces services.

M. Olivier Carré. Les auditions de la mission nous ont démontré que les universités étaient totalement dépourvues de la culture de la maîtrise d’ouvrage. Si on y ajoute l’insuffisance des moyens et le manque de soutien de l’État avant la loi d’autonomie des universités, on comprend les difficultés actuelles. Le constat de celles-ci a poussé la Caisse des dépôts et consignations, partie prenante du plan Campus, à diligenter des équipes pour aider les universités à réaliser ces investissements. Par ailleurs, en tant que membre du comité de surveillance des investissements d’avenir, je peux témoigner que la consommation des crédits à ce titre s’accélère de mois en mois. Cela ne remet cependant pas en cause l’opportunité de publier aujourd’hui notre rapport car, comme l’ont souligné les rapporteurs, il est très important que le Parlement suive de près l’utilisation de ces financements complexes.

M. Michel Diefenbacher, Président. Messieurs les rapporteurs, souhaitez-vous que vos propositions soient, en application de l’article 60 de la LOLF, transmises au Gouvernement, à charge pour celui-ci de répondre dans un délai de deux mois ? (Assentiment).

La Commission, en application de l’article 145 du Règlement, autorise la publication du rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Information relative à la Commission

La Commission a reçu en application de l’article 12 de la LOLF :

– un projet de décret de transfert de crédits d’un montant de 24 227 007 euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement de titre 2 et de 364 équivalents temps plein travaillés, du programme 134 Développement des entreprises et de l’emploi de la mission Économie à destination du programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer de la mission Écologie, développement et aménagement durables. Ce mouvement correspond aux crédits et aux emplois des agents des ex-directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement ayant rejoint les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, inscrits en loi de finances initiale sur le programme 134 mais dont la dépense est supportée par le programme 217.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 7 décembre 2011 à 9 h 45

Présents. - M. Gérard Bapt, M. Claude Bartolone, M. Jean-Marie Binetruy, M Pierre Bourguignon, M. Jean-Pierre Brard, M. Bernard Carayon, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Yves Censi, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Jean-Claude Flory, M. Marc Francina, M. Daniel Garrigue, M. Georges Ginesta, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, Mme Pascale Gruny, M. David Habib, M. Jean-François Lamour, M. Marc Le Fur, M. Patrick Lemasle, M. Jean-Claude Mathis, M. Pierre Moscovici, M Henri Nayrou, M. Hervé Novelli, Mme Béatrice Pavy, M. Jacques Pélissard, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. François de Rugy, M. François Scellier, Mme Isabelle Vasseur, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Michel Bouvard, Mme Annick Girardin, Mme Arlette Grosskost, M. Jean-Louis Idiart, M. Alain Joyandet, M. Jean Launay, M. Victorin Lurel, M. Richard Mallié, M. Jean-Claude Sandrier, M. Gaël Yanno

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