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Compte rendu

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Mercredi 01 décembre 2010

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 02

Présidence de M. Alain Claeys, Président

– Audition de Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice de l’Agence de la biomédecine et du Professeur Sadek Beloucif, président du Conseil d’orientation

– Audition du Docteur Axel Kahn, généticien, médecin, président de l’Université Paris V Descartes

– Table ronde sur les recherches sur l’embryon

– Présences en réunion

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Bioéthique

Mercredi 1 décembre 2010

La séance est ouverte à 14 heures 05

(Présidence de M. Alain Claeys, président)

La Commission spéciale se réunit en vue de procéder à l’audition de Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale, et du Pr Sadek Beloucif, président du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Nous commençons aujourd’hui nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Je rappelle que ce rendez-vous législatif était inscrit dans la loi du 6 août 2004, celle-ci prévoyant son réexamen dans un délai de cinq ans, délai qui expire en février prochain. Il faut souligner à ce propos que l’Agence de la biomédecine, dont nous devons entendre aujourd’hui Mme la directrice générale, ne pourra pas instruire les dossiers de demande d’autorisation de projets de recherches sur l’embryon au-delà du 11 février 2011. Il faudra trouver un moyen pour que l’Agence puisse poursuivre son activité en ce domaine entre cette date et le vote définitif de la loi.

Il s’agit aujourd’hui, avec le recul que nous donnent les seize années écoulées depuis les premières lois de bioéthique de 1994, de remettre l’ouvrage sur le métier, en nous demandant si les équilibres prévalant depuis 2004 sont toujours d’actualité, compte tenu des évolutions scientifiques, médicales et juridiques intervenues depuis lors et des revendications qui sont apparues depuis, dont certaines ont reçu un écho médiatique important. Les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) n’avaient quasiment pas fait l’objet de débat en 2004 alors qu’aujourd’hui la gestation pour autrui par exemple est devenue un sujet d’actualité.

Notre travail sera éclairé par les nombreux rapports élaborés depuis 2004 : celui de notre ancien collègue Pierre-Louis Fagniez, « Cellules souches et choix éthiques », paru en 2006 ; l’avis rendu en 2008 par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ; le rapport consacré en octobre 2008 par l’Agence de la biomédecine à l’application de la loi de 2004 ; l’étude du Conseil d’État sur la révision des lois de bioéthique, d’avril 2009 : le rapport final des États généraux de la bioéthique, en juillet 2009 ; le rapport de la mission d’information parlementaire que j’ai eu l’honneur de présider et dont Jean Leonetti était le rapporteur, publié en janvier 2010 ; le rapport de l’Académie de médecine en juin 2010 ; et enfin ceux consacrés par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), d’une part à l’évaluation de la loi de 2004, d’autre part à la recherche sur les cellules souches.

Compte tenu de ces travaux, il nous est apparu, au rapporteur et à moi-même, qu’une fois posé le cadre général du débat, trois grands thèmes devaient retenir particulièrement notre attention et faire l’objet de tables rondes au sein desquelles les différentes opinions devaient être représentées : la recherche sur l’embryon, la gestation pour autrui et l’anonymat des dons de gamètes.

Le projet de loi doit en principe être examiné en séance publique au cours de la première quinzaine de février ; son examen en commission devrait donc avoir lieu durant la deuxième quinzaine de janvier. Nous entamons aujourd’hui notre série d’auditions par les représentants de l’Agence de la biomédecine, créée par la loi de bioéthique de 2004, et qui joue un rôle clé dans l’application de ses dispositions.

Je suis heureux d’accueillir Mme Prada-Bordenave, directrice générale, et M. Sadek Beloucif, président du Conseil d’orientation de l’Agence, que je remercie à la fois de la qualité de leur travail et de leur grande disponibilité car nous les avons souvent sollicités. Pouvez-vous, madame, monsieur, nous rappeler en quelques mots ce qui a conduit à la création de l’Agence de la biomédecine et nous dire quel regard vous portez sur l’application de la loi de 2004 ? Souhaiteriez-vous que le législateur la modifie sur certains points ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine. C’est un honneur pour moi de me retrouver aujourd’hui devant vous. C’est toujours avec grand plaisir que les personnels de l’Agence de la biomédecine éclairent la représentation nationale sur l’activité de l’Agence. Le législateur a d’ailleurs prévu la présence de deux parlementaires au sein du conseil d’orientation, l’instance éthique de l’Agence.

L’histoire de l’Agence est intimement liée à celle des lois de bioéthique. Concilier l’éthique et l’efficacité, tel était déjà l’objectif de l’Établissement français des greffes, créé par la première loi de bioéthique, et dont l’Agence a repris les missions dans le domaine des greffes, notamment la centralisation des offres et des demandes d’organes, de tissus et de cellules sur l’ensemble du territoire national, auparavant assurée par des associations comme France Transplant.

L’Agence de la biomédecine est née de la volonté du législateur, d’ailleurs apparue au cours du débat parlementaire, de fusionner l’Établissement français des greffes et l’Agence de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines, l’APEGH, dont la création avait initialement été envisagée. Mise en place en 2005, et ne comptant à l’origine que 140 agents, elle reste une toute petite agence d’État, même si son importance s’est accrue au fur et à mesure des décrets lui attribuant de nouvelles missions. Ses 280 collaborateurs actuels présentent des profils variés : médecins, biostatisticiens, qui nous aident dans notre mission d’évaluation de la qualité des activités de santé, informaticiens – l’informatique étant un outil indispensable pour l’attribution des greffons mais aussi d’autres secteurs de notre activité –enfin des spécialistes de la communication, la promotion du don d’organes étant une des missions importantes de l’Agence.

Avec quelque soixante-dix millions d’euros en 2010, le budget de l’Agence n’est pas considérable – et il sera encore réduit de 5 % en 2011, comme celui de toutes les agences d’État – d’autant qu’il convient d’en retrancher une vingtaine de millions d’euros mobilisés par la gestion des greffes de cellules souches hématopoïétiques pour traiter des pathologies hématologiques, où l’Agence ne joue qu’un rôle d’intermédiaire.

Les missions de l’Agence sont de quatre ordres : évaluer les activités de santé ; accompagner les professionnels ; encadrer les activités de santé et communiquer.

Au nom de la puissance publique, nous évaluons l’activité des praticiens exerçant dans les domaines relevant de la compétence de l’Agence – greffes, procréation assistée, embryologie et génétique humaines – à partir des rapports d’activité que ceux-ci doivent nous adresser. Nos évaluations sont publiées sur le site de l’Agence. Alors que nous évaluons depuis longtemps la greffe d’organes, ce n’est que depuis cette année que nous évaluons celle de cellules. Dans le domaine de la procréation, nous avons mis en place cette année un registre national recensant toutes les tentatives de fécondation in vitro afin de pouvoir, partiellement à compter de l’année prochaine et de façon exhaustive en 2012, évaluer réellement l’activité de tous les centres d’AMP. Cette mission d’évaluation vise à garantir aux Français la qualité des soins dont ils bénéficient et une bonne utilisation des moyens.

Accompagner les professionnels de santé est notre tâche au quotidien. L’Agence est très proche d’eux, puisqu’un millier de praticiens se réunissent régulièrement au sein de l’Agence, dans le cadre de groupes de travail organisés par spécialités, pour réfléchir à leurs pratiques et à l’organisation de leur travail.

L’encadrement des activités thérapeutiques n’est que partiellement assuré par l’Agence de la biomédecine. Celle-ci n’est pas une autorité administrative indépendante mais un établissement administratif relevant de la tutelle du ministre de la santé, auquel il revient, aux termes de la loi, d’assurer par arrêtés l’encadrement réglementaire des activités de santé. En revanche, c’est l’Agence qui, au nom de l’État, garantit l’équité de la répartition des greffons et de la transparence de la liste nationale des patients en attente de greffe d’organe. C’est à l’Agence que doivent être déclarés les donneurs potentiels ; c’est elle qui, à chaque prélèvement, sélectionne parmi les receveurs inscrits en liste d’attente, où ils sont classés selon un ordre impératif, celui qui présente la plus grande histocompatibilité avec le donneur. Chaque équipe est appelée selon son rang et si elle ne prend pas un organe, elle doit en donner les raisons. L’Agence tient également le registre des donneurs de moelle osseuse ainsi que celui des unités de sang placentaire conservées en France, ces registres étant interconnectés avec ceux du monde entier.

Nous encadrons également les activités de recherche utilisant des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires humaines, par exception au régime de liberté qui s’applique à la recherche en France. Les recherches sur l’embryon sont en effet interdites dans notre pays, certaines pouvant être autorisées à titre dérogatoire et pendant une durée limitée, qui expirera en février prochain par l’Agence à qui il revient d’instruire les demandes.

À côté de l’évaluation, de l’accompagnement des professionnels et de l’encadrement des activités thérapeutiques, notre dernière mission a trait à la communication. Nous assurons ainsi la promotion du don d’organes auprès du grand public et des professionnels de santé. La loi nous fait par ailleurs obligation d’adresser au Parlement et au Gouvernement un rapport annuel qui dresse un état des lieux des activités des professionnels relevant de l’Agence. Nous avons également dressé le bilan de quatre ans d’application de la loi de bioéthique de 2004, actualisé récemment par une étude comparative du contexte juridique international. La loi nous impose par ailleurs d’informer le Parlement et le Gouvernement des perspectives de recherche à court et moyen terme dans ces disciplines, afin d’éviter que les pouvoirs publics ne s’engagent dans des voies sans issue, ou, à l’inverse, ne ferment la porte à des protocoles de recherche prometteurs.

Vous connaissez sans doute les campagnes de sensibilisation au don d’organes lancées par l’Agence, notamment la Journée nationale de réflexion sur le don d’organes, qui a lieu habituellement en juin, ou la semaine nationale de mobilisation en faveur du don de moelle osseuse, en mars. Nous avons également commencé à informer le grand public sur l’AMP, en soulignant que celle-ci n’est pas affaire d’éprouvettes et de tubes à essai, mais un moyen pour la médecine de remédier aux souffrances physiologiques et psychologiques d’un couple infertile.

Notre mission d’information nous impose également d’assurer la pédagogie de ces disciplines complexes auprès des professionnels de santé, généralistes ou gynécologues libéraux, qui parfois connaissent mal l’AMP.

Nous entretenons enfin des relations extrêmement suivies avec la presse depuis que nous avons pris conscience, notamment lors des États généraux de la bioéthique, du rôle-clé de relais des médias pour expliquer ces techniques complexes et lever les inquiétudes suscitées par ces innovations. En effet, du fait de l’élévation du niveau général de la culture scientifique, nos concitoyens sont accessibles à l’information dans ces domaines et manifestent un très grand intérêt pour des sujets aussi complexes que l’AMP, la greffe de cellules souches hématopoïétiques, …

En juin prochain sonnera l’heure du bilan pour l’Agence, qui aura alors connu deux cycles et deux directeurs généraux, nommés pour trois ans chacun. C’est à cette date également que s’achèvera le mandat des différentes instances de l’Agence, conseil d’administration, conseil d’orientation, l’instance éthique, et comité médical et scientifique, dont l’organisation et la composition ont été définies par le législateur. Pour les professionnels de santé, la loi de 2004 aura été un cadre législatif propice au développement de leurs activités. Certes celui-ci s’est heurté à une réglementation pointilleuse, parfois inutilement précise, à l’origine de blocages que le futur projet de loi cherche à réduire. Il vise notamment à lever des verrous qui se justifiaient par l’ignorance où on se trouvait alors. Je pense par exemple au dispositif d’information de la parentèle que le législateur avait souhaité mettre en place en cas de diagnostic d’une grave anomalie génétique, dispositif qui n’a jamais fonctionné. Nous souhaiterions que certaines modifications soient apportées à la loi actuelle pour faciliter les greffes d’organes avec donneurs vivants.

La recherche sur les cellules souches, embryonnaires ou adultes, est en pleine mutation. Les découvertes s’y succèdent à une vitesse stupéfiante. Parallèlement notre pays est menacé par un véritable charlatanisme, qui sévit déjà dans d’autres pays. Face à la menace d’équipes sans foi ni loi, avides de profits rapides et qui n’hésitent pas à vendre de l’illusion, nos chercheurs, qui travaillent au sein d’équipes académiques triées sur le volet, ont besoin du soutien des pouvoirs publics et d’une reconnaissance officielle de l’excellence et de la rigueur de leurs travaux. Si ces chercheurs revendiquent la possibilité de mener des recherches dont ils sont conscients qu’elles peuvent apparaître transgressives, c’est parce qu’ils les pensent porteuses d’un progrès majeur pour l’humanité. Tel est le message que nous voudrions transmettre de leur part au législateur, à qui il revient de décider en ces matières.

M. Sadek Beloucif, président du Conseil d’orientation de l’Agence. C’est à la fois avec fierté et humilité que nous nous présentons devant vous, la fierté, née du travail accompli, et partagée par tous les collaborateurs de l’Agence s’accompagnant de la conscience de devoir rendre des comptes. Ce sont là les deux faces de la responsabilité.

Le conseil d’orientation de l’Agence est l’instance chargée, sur le plan éthique, d’éclairer le conseil d’administration ou de lui faire des propositions, et Mme Prada-Bordenave a souligné l’importance de la présence en son sein de parlementaires. D’une façon générale, la composition du conseil assure la représentation équilibrée d’institutions telles que l’Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE), le Conseil d’État, la Cour de cassation, d’experts scientifiques dans le domaine de la médecine de la reproduction et de la greffe d’organes, de représentants d’associations de patients et de personnalités qualifiées dans le domaine des sciences humaines, sociales, morales et politiques. Ces quatre collèges, à la fois collaborent et se contrôlent les uns les autres. Les membres du conseil ont su dépasser leur appartenance à tel ou tel groupe pour inscrire leur travail dans une logique commune.

Le conseil d’orientation est obligatoirement consulté par le directeur général de l’Agence sur les demandes d’autorisation de recherches ainsi que sur les questions de nature médicale, scientifique, technique ou éthique relevant de la compétence de l’Agence. Il formule des avis sur les protocoles de recherche et la composition du comité médical et scientifique ainsi que sur l’élaboration de règles de bonnes pratiques.

Cette distinction entre deux instances traduit sur le plan éthique la tension opposant usuellement les principes et les pratiques, et sur le plan organisationnel la séparation des pouvoirs entre une instance d’instruction et une instance de décision. S’agissant par exemple de la délivrance des autorisations de recherche, ce sont le comité médical et scientifique et les experts désignés qui instruisent les demandes, et il revient au conseil d’orientation de trancher. Nous évaluons les protocoles de recherche et nous assurons le suivi des autorisations qui ont été délivrées, contribuant par là même à l’élaboration de règles de bonnes pratiques, pertinentes sur le plan scientifique et respectueuses des principes consacrés par la loi, notamment celui d’équité, auquel nous attachons une importance toute particulière.

Nos décisions sont prises à l’issue d’une délibération éthique classique : nous évaluons par exemple la nécessité et la validité scientifique du protocole de recherche qui nous est soumis, l’expérience et la compétence de l’équipe dans le domaine concerné, ainsi que la pertinence du projet, à la fois sur le plan éthique et sur le plan médical. Nos décisions relèvent d’une forme d’éthique appliquée qui est peut-être ce qui distingue l’Agence d’une autorité administrative indépendante telle que le CCNE : nous ne sommes pas là pour produire de la norme, simplement pour appliquer la loi.

Parvenir à un consensus sur des sujets difficiles tout en tenant compte de la diversité de la société nécessite de concilier trois impératifs distincts et pourtant complémentaires : respecter les valeurs morales de la société et la représentation qu’elle se fait de la nature et de la vie ; assumer la responsabilité de prendre en charge des questions incertaines et sensibles sur le plan moral ; garantir l’équité et la justice distributive. Nous essayons de cheminer pas à pas vers la solution, sinon la meilleure, du moins la moins mauvaise.

M. le président Alain Claeys. Dans son rapport dressant le bilan d’application de la loi de 2004, l’Agence de biomédecine revendique une plus grande autonomie et la possibilité de disposer d’un pouvoir normatif. Pourquoi cette demande ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. L’obligation dans laquelle nous sommes d’attendre la publication d’un texte aussi élevé dans la hiérarchie normative qu’un arrêté ministériel pour régler de simples questions de pratiques médicales, dans des domaines où celles-ci sont en constante évolution, nous fait tout simplement perdre du temps. Prenons l’exemple du don de sang placentaire. Beaucoup de mères sont volontaires dans les maternités pour donner ce sang, susceptible de sauver la vie de malades très gravement atteints. Pour assurer le caractère irréprochable du greffon, un arrêté ministériel de 1998 impose de confirmer, deux mois après l’accouchement, les tests sérologiques effectués sur le prélèvement lors de l’accouchement. Cela exige de faire revenir la donneuse et provoque de ce seul fait une perte de 20 % à 30 % des dons. Le recours à une technique nouvelle, le dépistage génomique viral qui donne un résultat instantané et permettrait de faire l’économie de cette deuxième convocation de la donneuse, exige que l’arrêté de 1998 soit modifié, procédure longue et compliquée.

Toute la difficulté est de distinguer entre les questions importantes et les questions mineures et de ce point de vue mon exemple était, à dessein, quelque peu provocateur, la définition des critères de sélection des donneurs relevant bien, par son importance, de l’arrêté. Il n’en reste pas moins que les professionnels ont besoin d’une plus grande souplesse pour pouvoir s’adapter aux évolutions de la technologie médicale. Notre propos n’est pas de revendiquer un pouvoir normatif similaire à celui de l’AFSSAPS. Mais la procédure de l’arrêté ministériel semble d’une lourdeur excessive s’agissant de modifier certaines règles, extrêmement techniques, par exemple de prélèvement ou de répartition des greffons.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale. Je voudrais d’abord vous remercier pour votre disponibilité constante et l’intérêt de vos réponses.

Certains membres de la mission d’information sur la révision des lois bioéthiques s’interrogent sur la possibilité de soumettre la recherche sur l’embryon à un régime d’autorisation, tout en maintenant son interdiction dans certains cas, comme bien entendu celui de l’embryon destiné à naître. D’autres pensent qu’on doit maintenir le principe actuel d’interdiction, assorti de dérogations. Mais presque tous sont d’accord pour juger que la dérogation doit être définitive, son caractère temporaire nuisant à la continuité nécessaire aux projets de recherche.

On pourrait aussi envisager un régime d’autorisation encadrée pour la recherche sur les cellules embryonnaires tout en maintenant une interdiction de principe de la recherche sur l’embryon. S’il y a transgression, en effet, elle réside bien davantage dans la destruction, à laquelle les embryons surnuméraires sont de toute façon voués, plutôt que dans le prélèvement de cellules embryonnaires à des fins de recherche.

La simple cryoconservation d’un très grand nombre d’embryons peut à elle seule soulever des problèmes éthiques. Le professeur Frydman défend son essai de vitrification des ovocytes en le jugeant plus conforme à l’éthique. En effet, cette technique, améliorant les résultats de l’AMP, permettrait de limiter le nombre d’embryons surnuméraires. Mais elle aboutit indirectement à autoriser la recherche sur l’embryon destiné à naître.

Nous avions souligné un autre paradoxe : s’il n’est sans doute pas utile de procéder tous les cinq ans à une révision générale des lois de bioéthique, il est en revanche indispensable d’assurer un suivi annuel, au travers notamment d’un rapport encore plus étoffé de l’Agence de la biomédecine et des travaux de l’OPECST, et d’adapter si nécessaire le cadre législatif par de petites modifications. Ainsi, nous sommes tous d’accord pour autoriser les dons croisés d’organes entre vifs, dans le respect des principes d’anonymat et de gratuité. Cela permettrait d’augmenter sensiblement le nombre de greffes de rein par exemple.

M. le président Alain Claeys. Il ne serait peut-être pas inutile de rappeler les différents régimes juridiques de la recherche sur l’embryon qui se sont succédé depuis 1994.

M. le rapporteur. L’exercice de cette recherche a d’abord été interdit par la loi de 1994, puis l’interdiction a été assortie en 2004 de la possibilité de dérogations pour une période limitée. Il y a aujourd’hui consensus pour ne plus limiter dans le temps ces dérogations s’agissant de la recherche sur les cellules souches et les embryons destinés à être détruits, tout en maintenant l’interdiction de recherche sur les embryons destinés à naître. Nous nous interrogeons en revanche quant à la possibilité d’autoriser la recherche sur l’embryon dans la perspective d’améliorer l’AMP.

Mme Martine Aurillac. Pouvez-vous nous donner une idée des protocoles de recherche que vous avez autorisés et de ceux que vous avez refusés dans l’année écoulée ? Deuxièmement, seriez-vous favorables à une autorisation encadrée du transfert d’embryons post mortem, interdit par le législateur de 2004 ?

M. Philippe Nauche. Vous avez parlé, monsieur Beloucif, d’éthique appliquée. L’application de la loi conduit-elle fréquemment le conseil d’orientation à devoir se prononcer contre des projets de recherche auxquels il aurait pu être favorable ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Ne pensez-vous pas que la recherche sur l’embryon présente un intérêt majeur pour améliorer l’efficacité, aujourd’hui relativement faible, de la procréation médicalement assistée ? Beaucoup de chercheurs auraient besoin de travailler sur les premiers stades du développement de l’embryon pour améliorer sa réimplantation.

Par ailleurs, la loi de bioéthique de 2004 ne pouvait parler des cellules souches pluripotentes induites, dites iPS (induced pluripotent stem cells), obtenues par dédifférenciation puis reprogrammation d’une cellule somatique adulte, qui n’ont été découvertes qu’en 2006. Or, on sait aujourd’hui reprogrammer les iPS en cellules germinales – ovules ou spermatozoïdes. Ces cellules ne risquent-elles pas de poser à terme les mêmes problèmes éthiques que les cellules souches embryonnaires ?

Ma dernière question concerne le fonctionnement de l’Agence de la biomédecine. Sachant que les demandes d’autorisation ne peuvent être déposées qu’à l’intérieur de fenêtres de dépôt déterminées par l’Agence, les chercheurs et l’Agence elle-même ont-ils anticipé l’expiration du moratoire en 2011 ?

M. Paul Jeanneteau. Le rapport de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique préconise le maintien de l’interdiction, assortie de dérogations, de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, pourvu que cette recherche ait une finalité « médicale », et non plus « thérapeutique », terme retenu par la loi de 2004. Que pensez-vous, madame, de cette distinction ? Ne jugez-vous pas ce terme trop large et gros d’autres problèmes éthiques ?

M. Sadek Beloucif. En ce qui concerne le transfert d’embryons port mortem, il est difficile de se prononcer car il ne s’agit pas de choisir entre le bien et le mal, mais entre deux biens. À titre personnel, j’aurais tendance à partager l’avis du CCNE, qui recommandait de prendre en compte les circonstances particulières entourant la demande des femmes qui souhaitaient ce transfert après le décès de leur conjoint et de fixer un délai raisonnable pour qu’elles mènent à bien leur projet de grossesse. Il serait en effet incompréhensible que la loi autorise à détruire cet embryon, à le donner à un autre couple ou à en faire un objet de recherche, et interdise de le réimplanter chez la veuve. Mais je suis incapable de dire ce qui serait le mieux pour elle.

Plus généralement, l’éthique appliquée naît, à chaque fois, d’un conflit entre les principes et les pratiques. Notre pays, où ce qui est moral tend à se confondre avec ce qui est légal, aime à inscrire dans la loi de grands principes, dont les pratiques découlent, à la différence des pays anglo-saxons, où la jurisprudence a plus de force que le droit écrit.

Un des premiers dossiers de demande d’autorisation d’un protocole de recherche sur l’embryon sur laquelle le conseil d’orientation a été appelé à se prononcer avait été déposé par une grande société française de cosmétiques. Celle-ci demandait l’autorisation d’étudier les cellules souches embryonnaires de peau pour améliorer l’efficacité de ses crèmes antirides. L’autorisation a été évidemment refusée, mais on peut imaginer qu’un projet de ce type nous soit présenté de façon plus insidieuse en faisant valoir que cette recherche peut aussi, à terme, aider à traiter les brûlures graves ou éviter l’apparition de cancers cutanés.

Autre exemple, quoique moins grave, d’éthique appliquée : la question de la gestation pour autrui a divisé le conseil d’orientation, même si ceux qui y sont opposés ont été finalement les plus nombreux, en raison du risque d’instrumentalisation des mères porteuses. Le conseil d’orientation s’est également demandé si les pouvoirs publics pouvaient développer l’information sur le thème de la baisse de la fertilité avec l’âge sans empiéter sur le domaine de la vie privée.

Dans le domaine de la recherche sur les embryons, la loi de 2004, qui pose un interdit fondateur et prévoit que celui-ci puisse être transgressé dans certains cas précis, procède de la même démarche que celle de la loi de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse. Si poser un interdit tout en l’assortissant de dérogations et autoriser dans certaines conditions revient au même dans la pratique, ce n’est pas la même chose sur le plan symbolique. De même, certains établissent entre l’embryon in toto et des cellules souches issus de cet embryon une différence, non pas seulement de degré, mais de nature, proposant que le principe d’interdiction assorti de dérogations soit maintenu pour le premier, alors que l’utilisation des secondes serait autorisée. Ce n’est pas à nous, mais à vous, législateurs, de trancher sur ce point, mais nul doute que ces points seront au centre des débats, comme ils l’ont été lors des États généraux de la bioéthique.

Une simple logique d’harmonisation avec les autres dispositions du code de santé publique devrait commander le choix entre le terme « médical » et le terme « thérapeutique ».

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Sur la centaine d’autorisations délivrées par l’Agence de biomédecine, madame Aurillac, il faut distinguer entre les protocoles de recherche et les demandes de conservation et d’importation. Un projet donné pouvant faire l’objet de trois demandes, et donc de trois décisions, le nombre d’autorisations est supérieur à celui des projets de recherche. La France compte une trentaine d’équipes dont le projet a été autorisé et une petite quarantaine de projets en cours. Lorsqu’il se heurte au refus d’autorisation de l’Agence, un projet de recherche arrête là son parcours. À l’inverse, il nous est arrivé de retirer des autorisations à des équipes qui avaient abandonné leur projet initial, afin d’assurer la traçabilité des cellules souches embryonnaires.

Plus généralement, l’Agence a mis en place un dispositif permettant d’assurer le suivi et la traçabilité des cellules différenciées et des cellules souches embryonnaires humaines. Une mission d’inspection de l’Agence se rend dans les laboratoires un an après la délivrance de l’autorisation, et les équipes de recherche doivent nous adresser chaque année un bilan de leurs travaux.

Je n’ai pas, en tant que fonctionnaire de la République, à avoir de position personnelle sur la question du transfert d’embryon post mortem.

Il est rare qu’un projet qui nous semble trop « en dehors des clous » parvienne jusqu’au conseil d’orientation. Grâce au conseil, l’Agence est parvenue à donner de cette loi une interprétation conforme à l’intention du législateur de 2004 telle qu’elle se dégage des débats législatifs. Ceux-ci attestaient notamment de sa volonté qu’il y ait en France des recherches sur les cellules souches embryonnaires et indiquaient lesquelles : c’est ce qui nous a guidés au moment d’accorder ou de refuser des autorisations.

Que la recherche porte sur des cellules embryonnaires ou sur l’embryon in toto, il faut savoir que l’embryon est toujours détruit – « lysé », comme disent les chercheurs. On ne peut faire autrement pour dériver une lignée de cellules souches embryonnaires. Beaucoup des lignées sur lesquels nos chercheurs travaillent sont anciennes, certaines datant de 1998. Elles sont utilisées dans le monde entier, ce qui permet de comparer les résultats. Quant aux recherches sur l’embryon in toto, elles entraînent aussi sa destruction. Ces dernières devraient nous éclairer sur les premières phases de développement de l’embryon, ce qui pourrait permettre d’améliorer les résultats de la PMA – aujourd’hui de 30 %, ce qui est plutôt un bon résultat, sachant que la fertilité naturelle ne dépasse pas 25 %. Elles présentent aussi l’intérêt, d’aider à comprendre les mutations génétiques ou chromosomiques qui interviennent sans raison apparente au tout début du développement embryonnaire, et même des mécanismes normaux, comme celui qui préside à l’inactivation de l’un des deux chromosomes X chez la fille. La compréhension de l’activation ou non de certains gènes et chromosomes permettra peut-être de parvenir un jour à inactiver un chromosome en trop, comme dans le cas de la trisomie 21.

L’Agence assure la traçabilité de ces embryons en délivrant aux laboratoires un code pour chacun d’eux.

J’ai retenu de mes cours de libertés publiques qu’une activité relève d’un régime restrictif de liberté dès lors que son exercice doit être autorisé. La façon dont l’Agence mettra en œuvre un nouveau régime juridique de la recherche sur l’embryon dépendra, non seulement du texte de loi, mais aussi de l’intention du législateur : veut-il ou non que ces recherches se poursuivent en France à un très haut niveau ?

En ce qui concerne le critère de la finalité de ces recherches, notre interprétation est stricte : nous vérifions qu’elles visent à soigner des maladies très graves. C’est le sens des « perspectives thérapeutiques » évoquées par le législateur. Si celui-ci exprime sa volonté de persister dans cette voie, substituer « médical » à « thérapeutique » ne changera rien. En revanche, si l’emploi du terme « médical » traduit votre volonté d’autoriser ce type de recherche pour le traitement de pathologies plus courantes, y compris bénignes, c’est une autre affaire. Pourquoi pas ? Quoi qu’il en soit, l’Agence restera à l’écoute du signal que vous donnerez.

M. Hervé Mariton. Précisément, où percevoir ce signal ? Dans la lettre de la loi ou au travers des débats parlementaires, dont on connaît les difficultés d’interprétation, le risque étant toujours de privilégier le point de vue de tel ou tel ? Qu’il ne soit plus proposé de réviser périodiquement la loi est-il susceptible de modifier la politique de l’Agence de la biomédecine au point qu’il lui serait nécessaire de requérir à un moment donné la définition d’un nouveau cadre juridique ? À quoi vous référerez-vous sans nouvelle loi dans le futur ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Jusqu’ici, nous nous sommes fondés sur la volonté du législateur en tenant compte de l’éclairage des débats parlementaires. Nous avons reçu des demandes d’autorisation de recherches concernant des maladies très compliquées qu’on ne comprend pas – je songe, par exemple, à certaines myopathies. Si l’utilisation du terme de « thérapeutique » aurait été en l’occurrence impropre puisqu’il n’était pas alors question de soigner, nous l’avons néanmoins retenu dans une acception singulière, celle de « parvenir à soigner un jour » - même si l’on ne devait jamais y parvenir –, par analogie d’ailleurs à ce qui se faisait dans certains pays étrangers. Si, demain, c’est le terme « médical » qui est employé, nous considérerons que le législateur a voulu mettre en cohérence diverses dispositions du code de la santé publique de manière à englober ce qui relève du diagnostic, du soin et, plus globalement, de l’ensemble de la clinique. Cela ne devrait pas changer grand-chose, les restrictions légitimes portées à l’atteinte à l’intégrité du corps humain constituant d’ores et déjà une borne juridique solide.

J’ajoute que nous avons des rendez-vous réguliers avec l’OPECST. En janvier dernier, nous avons été entendus sur la question des cellules souches. Plus récemment, en octobre, j’ai eu l’occasion, à la demande du président Birraux, de présenter à l’Office le rapport annuel de l’Agence. J’espère que nous aurons l’occasion de définir les modalités de ces rencontres de manière à les pérenniser.

S’agissant de l’information du Parlement, nous avons fusionné les exigences posées par le dernier alinéa de l’article L 1418-1 du code de la santé publique et l’article 26 non codifié de la loi, et avons rédigé un rapport comprenant notamment un état des lieux de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes, auxquelles nous avons ajouté les cellules reprogrammées iPS, que la loi de 2004 ne pouvait évoquer puisqu’elles n’ont été découvertes qu’en 2006 au Japon par le Pr Yamanaka.

M. le rapporteur. Je tiens à préciser qu’un embryon n’est pas lysé parce qu’il a fait l’objet d’expérimentations mais que celles-ci ont précisément pu avoir lieu parce qu’il était destiné à être détruit. L’interdiction de créer des embryons à des fins d’expérimentations doit bien entendu être maintenue.

Par ailleurs, outre que la proposition du terme « médical » a été formulée afin de ne pas contraindre les chercheurs à définir, au commencement même de leurs recherches, un objectif « thérapeutique » qu’ils ne sont jamais certains d’atteindre, ce terme nous a également semblé psychologiquement mieux adapté que celui de « scientifique ». Il est de surcroît plus conforme à l’esprit et à la réalité des protocoles de recherche aujourd’hui autorisés par l’Agence de la biomédecine.

M. Sadek Beloucif. J’ai été frappé, lors des États généraux de la bioéthique, que les panels citoyens aient considéré que faire des recherches sur un embryon cryoconservé constituait une transgression supplémentaire, alors même que celui-ci est voué à être détruit au bout d’un certain temps s’il n’a plus de projet parental et n’a pas été donné à un autre couple infertile. Ces panels opéraient également une distinction entre un régime d’autorisation sous conditions pour les recherches sur les cellules embryonnaires et un régime d’interdiction assorti de dérogations pour celles sur l’embryon.

M. le président Alain Claeys. Madame, monsieur, nous vous remercions.

La Commission entend ensuite le Docteur Axel Kahn, généticien, président de l’Université Paris V René-Descartes.

M. le président Alain Claeys. Merci beaucoup, professeur Kahn, d’avoir une nouvelle fois accepté de nous éclairer sur les questions de bioéthique. Vous m’avez fait savoir que vous ne souhaitiez pas faire de présentation liminaire mais directement répondre à nos questions.

Pour ma part, j’en ai trois. Les potentialités de recherche qu’offrent les cellules souches adultes et surtout les cellules iPS dispensent-elles de travailler parallèlement sur les cellules souches embryonnaires ? Que pensez-vous des critères aujourd’hui retenus pour autoriser des protocoles de recherche sur les cellules souches embryonnaires ? Enfin, le maintien dans la loi française de l’interdiction des recherches sur l’embryon, même assortie de dérogations qui permettent dans les faits aux chercheurs de travailler, ne risque-t-il pas de laisser croire à l’étranger que la France interdit ces recherches ?

M. Axel Kahn, généticien, médecin, président de l’Université Paris V René-Descartes. La découverte des cellules adultes reprogrammées, dites iPS, mériterait assurément un Prix Nobel tant elle révolutionne l’embryologie, à la fois sur le plan conceptuel et sur le plan pratique. Néanmoins, s’il est désormais relativement facile de restituer une pluripotence à des cellules différenciées, comme celles de la peau, les cellules iPS ainsi obtenues par l’intégration de trois ou quatre gènes – lesquels peuvent être aujourd’hui remplacés par des rétrovirus codant pour leurs protéines – présentent beaucoup des caractéristiques des cellules souches embryonnaires mais ne leur sont pas totalement identiques. Peut-être permettront-elles, à l’avenir, de réaliser l’essentiel de ce qu’il est possible de faire avec ces dernières et tiendront-elles les promesses de ce qu’il était à la fois téméraire et mensonger d’attendre du clonage dit thérapeutique qui était totalement irréaliste et dont de multiples obstacles, éthiques et techniques d’ailleurs, ont heureusement empêché le développement. La méthode, qui n’est pas encore maîtrisée mais que l’on envisage de développer avec les cellules iPS, consiste à prélever, par exemple, des cellules de peau sur un patient, à leur restituer une pluripotence puis à les faire se spécialiser de nouveau en cellules du tissu ou de l’organe dont on souhaite pallier la déficience. Issues d’une cellule du patient lui-même, possédant donc le même génome et présentant les mêmes caractéristiques d’histocompatibilité, elles seront parfaitement tolérées sur le plan immunologique.

J’ajoute que les recherches sur des processus pathologiques, mais aussi sur les processus physiologiques normaux, se déroulant aux tout premiers stades du développement embryonnaire exigent de travailler sur les véritables cellules concernées. Un ersatz ne remplace jamais exactement ce dont il est l’ersatz ! En d’autres termes, si les cellules iPS disposent d’un potentiel thérapeutique considérable et si ce qu’on attendait du clonage thérapeutique pourra sans doute être obtenu par leur biais, elles ne dispensent pas d’utiliser les cellules souches embryonnaires et même, pour certaines recherches spécifiques, les embryons eux-mêmes.

Je le redis, une cellule souche embryonnaire n’est pas un embryon. Sa particularité est que son prélèvement sur l’embryon entraîne nécessairement la destruction de ce dernier, lequel est défini, chez l’homme, comme un stade du développement qui, dans des conditions favorables, peut aboutir à la naissance d’un enfant. Je veux pour preuve de cette différence essentielle que l’insertion d’une cellule souche embryonnaire dans un utérus féminin y conduira au développement d’une tumeur maligne, jamais à la naissance d’un enfant.

Je parlerai néanmoins indistinctement de la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires. La position de votre mission d’information me semble de bon sens : un chercheur ne se soucie guère de la distinction sémantique entre finalités « médicales » ou « thérapeutiques », qui recoupe d’ailleurs celle entre recherche appliquée et recherche-développement. La découverte de thérapeutiques nouvelles – au-delà de simple amélioration de celles qui existent déjà – est subordonnée à l’existence en amont d’une recherche biomédicale. Si le législateur se situe bien dans cette perspective, le terme le plus pertinent est bien « médical ». « Thérapeutique » est trop restrictif.

Votre troisième question, monsieur le président, est la plus importante et je l’aborderai d’un point de vue juridique et philosophique. Depuis 1992, alors que j’étais commissaire du Gouvernement lors de la discussion de la première loi de bioéthique, j’ai eu maintes fois l’occasion de m’exprimer devant la représentation nationale sur ces sujets. Or, dès cette époque, les arguments avancés par les personnes croyantes pour interdire toute recherche sur l’embryon ne me semblaient pas, y compris de leur propre point de vue, fondés en raison. Ainsi, les catholiques considèrent-ils que la nature de l’embryon étant difficile à définir, le doute sur son statut doit lui bénéficier et qu’il est plus prudent de le tenir d’emblée pour une personne. Les orthodoxes, à la suite des Pères cappadociens tels Grégoire de Nysse, Basile de Césarée ou Maxime le Confesseur, vont plus loin. Ils pensent que la personne existe dès ce que nous savons être aujourd’hui la fécondation de l’ovocyte par le spermatozoïde, voyant même dans l’orgasme masculin la manifestation de l’insufflation de son âme à l’embryon. Or, compte tenu de ce qu’est naturellement la fécondité humaine, deux embryons sur trois n’atteindront jamais le stade de nouveau né - il est d’ailleurs notable que la proportion ne soit pas très différente dans l’étreinte amoureuse et dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Dès lors, comment considérer l’embryon ? À titre personnel, j’estime qu’en tant que manifestation de l’éventuel commencement de cet admirable processus qui aboutit à la naissance d’un être humain, il ne doit jamais être considéré comme un matériau expérimental banal. Il me paraît donc justifié que le législateur transpose dans les textes la considération que nous éprouvons pour ce début d’une vie humaine – je ne dis pas d’une personne humaine. Quelles que soient les perspectives scientifiques, philosophiques ou religieuses, nous sommes incontestablement en présence d’un phénomène singulier.

Vous avez donc raison, mesdames et messieurs les députés, de souhaiter maintenir dans la loi une disposition interdisant la création d’embryons humains dans un autre dessein – notamment à des fins expérimentales – que de faire advenir, le cas échéant, une nouvelle vie. Encore qu’il y ait toujours des cas particuliers dont nous pourrons parler. Pour autant, sachant que, dans leur grande majorité, ces potentialités de vie humaine ne parviendront jamais au stade de nouveau-né et que ces embryons seront détruits, il faut faire preuve d’une imagination extraordinaire pour considérer que leur conservation indéfinie – laquelle est d’ailleurs matériellement impossible - dans de l’azote liquide serait plus respectueuse de leur singularité que leur utilisation dans le cadre d’une recherche à visée médicale, dans le cadre de protocoles strictement encadrés par une instance idoine.

M. Hervé Mariton. Ne devrait-on pas définir des délais très stricts ?

M. Axel Kahn. Je suis d’avis que la loi précise à partir de quel moment un embryon conçu dans le cadre d’une AMP, qui n’a pas été utilisé ou donné à un autre couple, et ne pourra donc jamais se développer puisque de toute façon, après un certain temps de cryoconservation, l’embryon perd la propriété de pouvoir reprendre son développement, peut être utilisé dans une recherche à visée médicale, bien entendu très contrôlée.

Le cardinal Lustiger, grand intellectuel qui se trouvait être un ami, considérait que ma manière de voir, alors que je suis plutôt agnostique, méritait tout autant d’être prise en considération que celle des Églises. Je le répète, j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant l’Assemblée épiscopale de France ou des spécialistes de ces questions au Vatican qui ne m’ont jamais expliqué en quoi la conservation ad aeternam de l’embryon témoignerait d’un plus grand respect de sa singularité que la possibilité de son utilisation à des fins médicales.

Une fois réaffirmé qu’aucun embryon ne peut être créé à des fins expérimentales, il me paraîtrait préférable que les recherches sur des embryons cryoconservés, voués à n’être rien, soient autorisées avec l’encadrement et les restrictions nécessaires, plutôt que de continuer d’être interdites, avec dérogations sous moratoire. L’inventivité de l’idée de moratoire à une interdiction m’a d’ailleurs toujours amusé. En effet, la loi de bioéthique votée en première lecture en 2002 – souvenons-nous qu’on avait alors été près d’accepter le clonage thérapeutique, ce à quoi je m’étais vigoureusement opposé – autorisait la recherche sur l’embryon, dans les conditions que je viens d’indiquer. En 2004, lorsqu’après le changement de majorité, Jean-François Mattei, catholique fervent et scientifique de talent, est devenu ministre de la santé, il s’est trouvé dans une position inconfortable dont il s’est sorti par l’ingénieuse proposition de maintenir l’interdiction tout en l’assortissant d’un moratoire pendant cinq ans. Je comprends comment on a pu en arriver à cette construction dans ce cas particulier mais il me semble préférable, aujourd’hui, de sortir de l’ambiguïté.

M. le rapporteur. Une pensée aussi profonde et une expression aussi claires que les vôtres, monsieur le professeur, sont assez exceptionnelles pour être saluées – le silence non moins exceptionnel de nos collègues durant votre exposé en est du reste un signe éloquent.

L’embryon destiné à naître doit être respecté et aucun embryon ne doit être créé à des fins d’expérimentation. Mais comment tenter de comprendre certains mécanismes de l’infertilité sans expérimenter dans des conditions diverses la pénétration de l’ovocyte par un spermatozoïde, c’est-à-dire finalement sans créer artificiellement d’embryons ? Ce travail ne devrait-il pas être un cas dérogatoire à l’interdiction de recherche sur l’embryon ?

M. Axel Kahn. Cette situation, qui fait depuis longtemps l’objet de débats, est précisément l’un des « cas limites » que j’évoquais tout à l’heure en rappelant la règle de non-création d’un embryon à des fins de recherche. Plusieurs pistes méritent d’être explorées.

La première pourrait être d’utiliser pour l’étude du processus de la fécondation – c’est-à-dire de l’adhérence, puis de la pénétration du pronucléus mâle dans le pronucléus femelle, ou de la modification de la membrane pellucide – des gamètes présentant des anomalies constitutionnelles ne permettant pas un développement embryonnaire normal.

Une deuxième piste consisterait à coupler l’étude du pourcentage de fécondations obtenues, par exemple, dans des milieux différents ou avec précentrifugation des gamètes avec une activité d’AMP, en considérant les embryons ainsi produits comme des embryons obtenus in vitro dans le cadre d’un projet parental classique.

En tant que législateur, vous savez bien que, si la loi a pour rôle d’énoncer un principe fort, il n’en faut pas moins étudier aussi les cas limites. La difficulté à régler ces cas ne doit pas faire renoncer à ce que la loi dise la vision que notre société a d’elle-même. Que la loi dise que l’embryon, du fait de sa singularité, ne peut être créé comme un matériel expérimental me semble porteur d’un message très important pour notre société. La majorité de nos concitoyens, croyants ou non-croyants, peut, pour l’essentiel, adhérer à cette notion. Restera comme souvent à régler le problème de l’interface, de la « zone grise », à propos de laquelle je viens de proposer deux pistes et pour laquelle des solutions existent.

M. le rapporteur. Ma deuxième question, plus large et plus complexe, dépasse le cadre strictement scientifique. L’idée est assez largement répandue dans la société, notamment dans le grand public, que les données génétiques valent déterminisme. À titre personnel, je souhaiterais que, dans la loi de bioéthique, l’éducatif et l’affectif priment sur le biologique et le génétique. De fait, certaines recherches génétiques, notamment les recherches en paternité, laissent supposer, comme le montrent les catalogues qui ont cours au Danemark, que la taille, le poids, la couleur de peau, voire les opinions religieuses, le niveau socio-éducatif et les revenus mensuels d’un donneur de sperme sont des informations contenues dans les chromosomes de ses gamètes. Je suis opposé à la levée de l’anonymat du don de gamètes, car l’enfant élevé dans un couple est, selon moi, l’enfant de ce couple parce que le père l’a reconnu, non parce qu’il en est le géniteur. Quelle est votre position sur la prégnance du « tout-génétique » et la levée, partielle ou totale, de l’anonymat du don de gamètes ?

M. Axel Kahn. Bien que je me sois promis de ne pas le faire, il me semble utile de présenter ici, à titre liminaire, mon analyse du cadre de la loi de bioéthique. Je suis opposé depuis toujours à l’obligation de révision de cette loi tous les cinq ans. En effet, si une révision est urgente, pourquoi attendre cinq ans ? Dans le cas contraire, serait-ce à dire que la pensée morale, qui pour l’essentiel fonde les règles de bioéthique, serait soluble dans la science ? Je me refuse à le croire.

Une loi de bioéthique doit avant tout indiquer, dans une perspective éducative, ce que les parlementaires considèrent comme essentiel dans l’identité de l’homme et qui, menacé par l’évolution des connaissances et des techniques, doit être protégé au nom de valeurs partagées au sein de notre société. Telle est la question qui, selon moi, doit profondément habiter le parlementaire lors du vote d’un tel texte.

En matière de déterminisme génétique, il faut rappeler quelques points très importants. Ayant eu la chance d’être impliqué, depuis le rapport Braibant, dans tous les grands débats éthiques qui ont abouti aux lois de bioéthique, je me souviens notamment que l’obligation d’une saisine judiciaire qu’impose la loi en cas de recherche de filiation génétique procède de la profonde conviction que la filiation humaine se caractérise par la dualité entre une filiation par le sang et une filiation par le cœur. Le plus souvent, les deux sont conjointes, mais elles peuvent être disjointes et une filiation qui ne se définit pas par le sang – on dit aujourd’hui « par les gènes » – peut n’en être pas moins une filiation à part entière. Le législateur de 1994 était conscient qu’il ne fallait pas réduire la famille humaine à sa dimension biologique. En langage d’aujourd’hui, on dirait qu’une des définitions acceptables de la famille humaine consiste à la décrire comme un ensemble composé d’adultes que des enfants aiment comme tels et appellent, dans le cas habituel, « papa » et « maman » – à titre personnel, je ne serais pas opposé à ce que ce fût aussi « maman-maman » ou « papa-papa » – et d’enfants regardés par ces adultes comme leurs enfants et aimés comme tels, indépendamment des liens du sang. L’important, c’est la qualité de cette filiation par le cœur, par l’esprit, par l’affection, par le désir d’avoir et d’élever des enfants ensemble. C’est là ce qu’il y a de plus spécifiquement humain dans la filiation. De fait, la filiation par les gènes nous est commune avec les plantes à fleurs et l’ensemble du monde animal – elle n’est certes pas négligeable, mais n’est pas caractéristique de l’homme. L’humanité de l’homme et son entendement l’amènent parfois à fonder une filiation à part entière sur l’investissement affectif, comme dans le cas de l’adoption ou de la fécondation avec recours à un tiers.

Ce que déterminent les gènes fait l’objet d’une gigantesque illusion. Depuis la nuit des temps, nombre d’hommes et de femmes pensent que le destin est écrit quelque part et qu’on peut le connaître en consultant les pythies, les oracles, les cartomanciennes ou les astres. L’espoir fou a traversé le monde que les généticiens avaient enfin découvert où était écrit ce grand livre de l’homme – dans son ADN –, qu’on en avait compris le langage et que les gènes nous permettraient de connaître notre destin. Cette illusion totale est typique d’une idéologie, qui mobilise une science nouvelle pour conforter une croyance ancienne. Les gènes ne codent jamais un destin : ils déterminent seulement les propriétés de protéines ou de cellules, soit plus généralement d’organismes. À ce titre, il est vrai qu’ils influent sur la réaction des organismes à différentes conditions du milieu extérieur. Ainsi la sensibilité aux maladies infectieuses diffère-t-elle fortement d’une personne à l’autre et certains d’entre nous sont incroyablement résistants au stress de la vie moderne, tandis que d’autres y sont extrêmement sensibles sans qu’aucun gène ne code cette résistance ou cette fragilité. Je le répète : l’idée qu’un génome coderait un destin est absurde et profondément fausse.

Cette observation s’applique à la famille humaine : si l’on est persuadé que le destin des enfants est, pour l’essentiel, déterminé par leurs gènes, on sera enclin à sous-estimer l’importance de la filiation par le cœur. Des parents qui aiment leurs enfants et ont le désir de les élever espèrent que la communication fondée sur l’affection réciproque contribuera à les modeler. À l’inverse, la certitude que les enfants seront ce à quoi les destinent leurs gènes réduit la filiation humaine à celle des animaux ou des plantes à fleurs, c’est-à-dire à la filiation génétique. Je ne le crois pas et la science ne le dit pas. Il faut être très clair là-dessus.

Pour ce qui est de l’anonymat du don de gamètes, ma position est très pragmatique et aboutit d’ailleurs à des propositions assez proches de ce que vous envisagez. Il est dans l’air du temps de dire qu’hors de la réalité des origines biologiques, il n’y aurait point de salut. Si on pousse ce raisonnement à son terme, toutes les femmes qui savent qu’elles ont eu un enfant avec un homme particulièrement séduisant, au charme duquel elles ont succombé une nuit de pleine lune, devraient avouer à leur mari, des années plus tard, qu’il n’est pas le père de l’enfant. Cette idée est absurde et répugnante. Pourquoi, alors que l’on sourit lorsqu’un homme succombe au charme de belles femmes – car, dit-on, cela arrive aussi – faudrait-il que cela soit épouvantable lorsqu’il s’agit d’une femme ? Avant la contraception, dans ma jeunesse, 10 % des enfants n’étaient pas les enfants de leur père. Aujourd’hui, ce chiffre a été ramené, à l’échelle mondiale, à 3 % ou 4 % – non parce que les femmes sont plus vertueuses, mais grâce à la contraception. Cela n’en fait pas moins d’excellentes familles. Faut-il les déstabiliser et créer du malheur pour les pères et pour les enfants ? Ce serait absurde.

Ainsi, dans les cas de fécondation avec recours à un tiers, deux situations sont possibles. La première : un couple dont l’homme est stérile recourt au sperme d’un donneur en considérant qu’il s’agit d’une assistance médicale banale et sans faire la moindre différence entre l’enfant ainsi conçu et celui qui aurait pu l’être dans l’étreinte amoureuse. On revient alors à la situation antérieure : si les parents ne disent rien, oubliant presque eux-mêmes les circonstances de la conception, la sagesse est d’en rester là. La deuxième situation est celle que rencontrent des parents, de plus en plus nombreux, qui vivent aujourd’hui la procréation médicale comme une telle épreuve que l’enfant ne peut manquer de le savoir un jour, qu’il l’apprenne par hasard ou qu’ils le lui disent. L’enfant peut alors se mettre en quête d’informations sur ses origines. Si cette quête est douloureuse, il faut aider l’enfant en difficulté. Je suis favorable à ce que, dans ces circonstances, l’enfant puisse obtenir des informations non identifiantes sur son géniteur et que, s’il persiste, on puisse demander à ce dernier s’il accepte de le rencontrer.

M. Hervé Mariton. Le nœud de votre affaire n’est ni le géniteur, ni l’enfant, mais le couple receveur.

M. Axel Kahn. Les quatre personnes concernées sont importantes. La quête de l’enfant dépend de l’information qu’il reçoit de ses parents sur les conditions de sa conception. Les parents sont donc évidemment impliqués. Certains enfants, par ailleurs, ne veulent parfois rien savoir. Quant au géniteur, il a accepté qu’on donne des informations non identifiantes sur son compte. L’idée que, comme dans le cas de l’accouchement sous X – dont la mesure que vous proposez est en quelque sorte une transposition –, on puisse lui demander, dans des conditions particulières, s’il accepte de rencontrer un enfant ne m’est pas très sympathique, mais je pourrais m’y résoudre.

Mme Edwige Antier. Dans les maternités, les jeunes mères sont toujours très étonnées que, parmi les nombreux tests de dépistage de diverses maladies génétiques auxquels on procède en prélevant une goutte de sang au talon de l’enfant, on ne détermine pas le groupe sanguin de celui-ci. Il s’agit pourtant, lorsqu’aucune raison médicale n’impose cette analyse et sauf demande expresse de la mère, dûment invitée à réfléchir, d’une règle éthique à laquelle se conforment tous les médecins par crainte du désordre que le résultat pourrait provoquer dans les familles. Cette pratique est sage, mais on assiste aujourd’hui à la multiplication des recherches en paternité – il suffit désormais d’envoyer un cheveu à un laboratoire à l’étranger pour savoir par Internet si le père de l’enfant est bien son père.

Une autre question que vous évoquez est celle de savoir si l’embryon est une personne. En tant qu’héritière de Françoise Dolto, je suis convaincue que le bébé en est une. Mais pour avoir longtemps travaillé dans des services de prématurés et vu bien des bébés de 500 grammes qui n’étaient pas viables, j’ai constaté lors de la vérification anatomique que, selon que la famille était venue et que le père s’était ou non penché sur l’incubateur, je n’avais pas la même émotion devant le petit corps. Dans presque toutes les religions, le baptême a lieu au bout de huit jours ; chez les Mélanésiens, le souffle de vie est censé être apporté par le père qui souffle dans l’oreille de l’enfant à sa naissance. Je souscris donc à la distinction que vous faites entre des cellules pouvant donner un être humain et un enfant porté par le désir de ses parents, par un projet parental.

Nous aurons, enfin, à statuer sur les cellules du cordon. Ayant beaucoup travaillé en maternité, j’ai toujours été surprise de voir jeter les placentas et les cordons, qui ont nourri un bébé et permis que la mère et l’enfant ne se rejettent pas. Il est étonnant qu’on n’utilise pas davantage ces cellules, dont des banques à but commercial proposent aujourd’hui aux parturientes d’organiser la conservation. Le sang de cordon ne pourrait-il pas être une source de cellules souches ?

M. Jacques Domergue. Les maladies chroniques sont l’un des fléaux de nos sociétés modernes et les cellules souches, embryonnaires ou adultes, sont l’une des perspectives de développement potentiel, encore sous-estimé, pour leur traitement. Qu’adviendrait-il si, dans les dix à vingt prochaines années, on parvenait à démontrer que ces cellules permettent de traiter la plupart de ces maladies ? Que resterait-il de nos dogmes, aujourd’hui très protecteurs pour l’embryon, et de nos croyances ? N’existerait-il pas un risque de dérive – ou d’évolution de la société ? Le respect de l’embryon comme personne humaine potentielle ne viendrait-il pas en balance avec la nécessité ou la possibilité d’utiliser ces embryons à des fins thérapeutiques ?

M. Hervé Mariton. J’évoquerai trois points. Pour ce qui est tout d’abord de la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, il me semble que le projet de loi devrait évoquer l’accord du parent de l’enfant souhaitant demander des informations sur son géniteur. Il n’en dit mot pour l’instant.

En deuxième lieu, vous avez, à juste titre, souligné le caractère historique et anthropologique de la filiation de cœur et avez exprimé votre conviction personnelle quant aux familles « papa-maman », « papa-papa » et « maman-maman ». On pourrait vous objecter que, d’un point de vue également anthropologique et historique, la filiation de cœur, n’en repose pas moins d’abord sur la différenciation des sexes.

Pouvez-vous, enfin, préciser – car je ne suis pas certain d’avoir bien compris votre propos sur ce point – s’il existe des raisons techniques permettant d’affirmer avec certitude qu’un embryon ne sera jamais destiné à devenir un bébé – auquel cas on pourrait sans doute considérer qu’il n’a plus le même statut ? Si l’avis de ses parents sur un éventuel projet parental ou le don de cet embryon à un autre couple infertile étant susceptibles d’évoluer avec le temps, il restait la moindre probabilité qu’il puisse devenir un bébé, il faudrait en tenir compte.

M. Serge Blisko. Vous avez exprimé votre étonnement devant le moratoire à l’interdiction qui a été appliqué. Notre mission d’information a fait apparaître qu’une majorité se dessinait pour conserver le régime d’interdiction assorti de dérogations validées par l’Agence de biomédecine et c’est le régime que propose de conserver le futur projet de loi. Pouvez-vous nous indiquer, en tant que président de l’université de Paris V, s’il existe en France des équipes de chercheurs qui souffrent de l’ambiguïté du dispositif législatif actuel et si cette incongruité juridique fait obstacle à la recherche scientifique ?

M. Michel Vaxès. À titre personnel, je considère que la filiation est moins de nature biologique que de relation, d’esprit et de cœur. Que sa famille soit, pour l’enfant, composée de « papa-papa » ou « maman-maman » ne me pose pas de problème, du moins dans le cas de l’adoption. En revanche, le cas de l’assistance médicale à la procréation introduit une dissymétrie entre « maman-maman » et « papa-papa », car l’ouverture de l’accès à ces techniques à tous les couples homosexuels supposerait pour les couples masculins le recours à une gestation pour autrui.

Par ailleurs, ouvrir si peu que ce soit la possibilité de lever l’anonymat des donneurs de gamètes donnerait lieu à des difficultés majeures. Cela reviendrait, même si c’est une question incidente, à introduire dans le droit une inégalité entre l’enfant devenu adulte dont le géniteur accepte de se faire connaître et celui dont le géniteur le refuse. Il convient surtout selon moi d’affirmer que la filiation qui prévaut est la filiation de cœur et d’esprit.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Au cours de nos auditions, nous avons observé que la famille peut être plus complexe que le schéma « papa-maman », « papa-papa » ou « maman-maman » que vous évoquez, avec un groupe d’adultes qui se partage l’éducation d’un groupe d’enfants.

M. le rapporteur. Cela existe dans certaines sociétés.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Certes, mais ne nous engageons-nous pas sur une pente glissante ? Toute la difficulté des textes que nous rédigeons tient à ce que nous risquons, en ouvrant des fenêtres, de laisser s’engouffrer un grand courant d’air que nous ne maîtriserions plus. C’est le cas pour la famille comme pour la levée de l’anonymat : pouvez-vous nous assurer que le donneur de sperme est à tout coup le père de l’enfant qui va naître ?

M. Noël Mamère. Monsieur Vialatte, si on n’ouvre jamais aucune fenêtre, il ne se passe jamais rien. Il ne faut pas concevoir les sociétés de manière essentialiste. C’est la question de la part d’humanité face au progrès technique, qu’a très bien posée le Pr Kahn. C’est aussi ce qu’avait très bien exposé Günther Anders en 1945 en parlant de « honte prométhéenne ». Les enfants sont tout à fait capables, comme l’ont démontré les psychiatres et les psychanalystes, de construire leur altérité dans un couple homosexuel – nous disposons pour le voir du recul nécessaire, avec quelque 120 000 familles concernées. Dans le cadre des auditions de la mission d’information, Mme Françoise Héritier nous a également expliqué que, dans certaines sociétés d’Afrique et d’Océanie, la gestation pour autrui était inscrite dans la culture. La famille est une construction sociale et on peut utiliser les progrès que la médecine met à notre disposition pour assumer dans de bonnes conditions la « famille sociale ».

Je souscris également au point de vue du Pr Kahn sur l’anonymat des donneurs. Depuis 48 heures, les grands journaux internationaux qui se font le support de légitimité de Wikileaks manifestent que nous sommes entrés dans une période que je qualifierais de totalitarisme de la transparence. Souvenons-nous des périodes de l’histoire où certains dictateurs prétendaient que l’intérieur et l’extérieur de l’individu devaient se confondre. Appliqué à la famille et à la recherche de ses origines, ce principe peut être destructeur pour l’enfant né par procréation assistée comme pour ses parents, qui ne sont pas forcément ses parents biologiques.

J’ai également été très intéressé, monsieur le professeur, par vos explications sur les mirages de la génétique et sur ceux qui nous ont vendu l’idée que nous aurions la capacité de nous transformer en dieux, connaissant notre destin à la seule lecture de nos gènes. Voilà encore un rêve prométhéen qu’il fallait battre en brèche et vous avez eu raison de le faire.

M. Axel Kahn. Je ne suis pas demandeur de la levée de l’anonymat, mais je ne suis pas non plus autiste face aux conséquences pour les enfants d’une évolution de notre société. J’ai observé que certains couples ayant eu recours au sperme d’un donneur se sont laissés convaincre que la réalité des origines était à ce point essentielle que leur devoir était de ne rien celer à l’enfant des conditions de sa conception. Le nombre d’enfants conçus de cette manière et le sachant est donc appelé à augmenter. Or, je l’admets, cette situation peut créer chez eux une souffrance, voire une détresse, à laquelle il faut répondre. La Charte des droits de l’enfant et l’évolution mondiale en ce domaine ne nous permettent pas de proposer une norme qui consisterait à masquer les conditions de l’engendrement. Ma position a donc évolué et je considère que quelques indications pourraient apporter aux enfants qui le souhaitent l’information dont ils ont besoin.

Celle-ci ne saurait cependant en aucun cas avoir un effet rétroactif. Certains hommes très généreux qui ont donné leur sperme et ainsi permis la naissance de plusieurs enfants ne s’attendent pas à voir frapper à leur porte une dizaine de personnes qui voudraient rencontrer leur papa ! Ce serait indigne pour ces hommes qui n’auraient pas été prévenus.

La levée de l’anonymat pourrait en outre dissuader de nombreux donneurs. Dès lors qu’on les informerait qu’il serait possible, à la demande d’enfants souffrant d’une absence de réponse à la question de leur origine, de donner quelques indications sur leur compte sans dévoiler leur identité, voire leur demander s’ils accepteraient de rencontrer cet enfant, la situation concernerait deux personnes humaines, l’une et l’autre investies de droits et de devoirs. On peut comprendre la quête d’un enfant qui demande à remonter à l’origine paternelle, mais cela ne saurait être une injonction absolue pour un donneur de sperme qui n’aurait pas consenti à révéler son identité. C’est là une situation classique où les intérêts de deux agents moraux sont en contradiction. Il convient donc de préciser qu’une éventuelle rencontre nécessite l’accord des deux parties.

M. Hervé Mariton. Et les parents ?

M. Axel Kahn. Si les parents légaux ont informé l’enfant qu’il était né d’un sperme de donneur, cela signifie qu’ils sont convaincus que la vérité des origines est fondamentale. Pour avoir participé à de nombreux débats sur ce sujet, je suis convaincu que ces parents considèrent qu’il faut apporter une réponse à la quête de l’enfant.

M. Hervé Mariton. Les parents qui ne le pensent pas sont-ils, eux, en faute ?

M. Axel Kahn. Vous ne m’avez pas compris, monsieur Mariton : j’ai dit l’inverse. Je refuse absolument qu’un texte fixe pour norme que les parents recourant à un sperme de donneur soient obligés d’indiquer à l’enfant les conditions de sa conception. J’ai autant de compréhension pour des parents qui ne disent rien que pour des parents qui le disent. Du reste, personnellement, je n’aurais rien dit et je me sens plus proche de parents qui se taisent. Je le répète : toute injonction à dire la vérité des origines me semble absurde. Quant aux parents qui disent cette vérité, ils sont prêts à en assumer les conséquences.

Pour résumer mon point de vue, je n’ai aucune appétence à la levée de l’anonymat, mais des enfants de plus en plus nombreux savent qu’ils sont nés d’un sperme de donneur, car une injonction de la société, consacrée notamment par la Charte des droits de l’enfant, pousse en ce sens et beaucoup de parents considèrent qu’il est de leur devoir d’indiquer à l’enfant la vérité de ses origines. Si regrettable que soit cette injonction, il est légitime de se préparer à répondre aux interrogations de ces enfants.

J’en viens au sang de cordon. Son principal intérêt aujourd’hui, c’est la possibilité de l’utiliser à des fins de greffes. En effet, les cellules souches hématopoïétiques de cordon présentent un intérêt très supérieur aux cellules adultes de même type pour le traitement des leucémies et de nombreuses autres maladies hématologiques. J’appelle donc de tous mes vœux une organisation publique qui permettrait, grâce à une collecte généralisée du sang placentaire, la constitution de banques publiques de sang de cordon.

Faut-il en revanche autoriser la création de banques privées faisant miroiter aux parents de nouveau-nés que conserver, moyennant rémunération, le sang de cordon de leur enfant permettrait à coup sûr de le guérir en cas de maladie ultérieure, notamment neuro-dégénérative ? On manque d’arguments pour s’y opposer sur le plan légal. Il reste qu’on pourrait appliquer la législation réprimant la publicité mensongère. En effet, aucune expérimentation n’a démontré ni même fait apparaître comme très probable que le sang de cordon puisse servir dans l’avenir à guérir ces maladies. Il faudrait, à tout le moins, empêcher tout commerce sur la base de telles allégations mensongères.

La question de savoir si dans le cas où la médecine régénératrice tiendrait toutes ses promesses, le besoin de recourir à du matériel embryonnaire pour traiter les très nombreuses maladies neuro-dégénératives ne conduirait pas fatalement à accorder une moindre valeur à l’embryon ne se pose pas parce que l’existence de centaines de milliers d’embryons congelés qui, à l’évidence, ne deviendront pas des enfants rendrait inutile la création spécifique d’embryons dans un objectif de soins. Sans compter que la méthode la plus prometteuse pour les besoins de la médecine régénératrice, à horizon plus lointain, est celle des cellules pluripotentes induites, les fameuses iPS. Aucune recherche sur l’embryon n’est donc nécessaire dans cette perspective.

M. Mariton, tout en reconnaissant qu’un embryon destiné à ne jamais devenir un bébé pourrait en définitive faire l’objet d’une plus grande considération en étant utilisé dans un protocole expérimental à visée humaniste qu’en étant abandonné au triste sort de ne jamais se développer, demande à quel moment on peut être absolument certain que la décision à son sujet est irrévocable et si ne demeure pas toujours une incertitude. En 1994, il avait été suggéré que si, après cinq ans de conservation, les couples ne se manifestaient pas, les embryons soient détruits. Les difficultés, notamment philosophiques, se sont révélées telles que cette piste a été abandonnée – en tout cas, cela n’a pas été inscrit dans la loi.

C’est au législateur qu’il revient de décider si les recherches sur l’embryon peuvent ou non être autorisées. Si les débats arrivaient jusque là, la loi devrait fixer plusieurs conditions préalables pour qu’un protocole de recherche sur l’embryon puisse être soumis à l’Agence de la biomédecine. Il faudrait que les embryons aient été créés dans le cadre d’une AMP, ne fassent plus l’objet d’un projet parental, que leurs géniteurs n’aient pas souhaité les donner à un autre couple infertile et les aient abandonnés, enfin que ces embryons aient été conservés depuis plus de cinq ans – il faut savoir que de toute façon, après une certaine durée de conservation, le développement embryonnaire ne peut plus reprendre. Si l’ensemble de ces critères était respecté, presque toutes vos objections, monsieur Mariton, seraient levées.

Je voudrais maintenant dire un mot de l’homoparentalité – sans imaginer que la future loi aille jusqu’à en traiter – et de la gestation pour autrui.

Monsieur Mariton, vous avez tout à fait raison de rappeler le caractère anthropologique du couple hétérosexuel et la complémentarité du masculin et du féminin. La psychanalyse est très attachée à cette dernière notion sur laquelle elle s’est même fondée.

La création de la famille et du mariage a eu pour origine moins la volonté de marquer la complémentarité psychologique du masculin et du féminin que celle de créer un cadre légal stable pour asseoir une descendance. Pour autant, il ne vous a pas échappé que voilà un certain temps qu’on accepte que des couples se marient dont les membres ne sont plus en âge de procréer, sans que cela amène à considérer que ces mariages remettent en question les fondements de la famille. On semble s’être fait une raison. Autrement dit, voilà des décennies que le mariage et la fondation d’une famille ont été déconnectés, sans que personne n’y trouve à redire.

Si je trouve personnellement étrange que des couples homosexuels souhaitent se marier, je suis à court d’arguments moraux et rationnels pour disqualifier leur demande.

L’homoparentalité pose des problèmes beaucoup plus difficiles. J’ai longtemps hésité sur cette question, ce qui m’a valu de vives attaques de la part des communautés homosexuelles qui me jugeaient conservateur, à tout le moins frileux. Il ne s’agit pas de mettre en question la légitimité de l’amour des deux membres d’un couple homosexuel ni la profondeur de leur désir éventuel d’avoir un enfant. Il n’empêche que la réalisation de ce désir suppose l’intervention d’un tiers, biologiste ou législateur, ce qui pose la question de l’intérêt de l’enfant.

J’ai longtemps hésité sur le sujet compte tenu de la façon dont était considérée l’homosexualité. L’enfant de deux papas ou de deux mamans ne risquait-il pas d’être stigmatisé, à l’école notamment ? Son équilibre ne risquait-il pas d’être perturbé ? Aujourd’hui, j’observe – et je m’en réjouis – que la reconnaissance de l’autonomie du désir des adultes consentants sur leur type de relation conduit à ce que les couples homosexuels, devenus en quelque sorte banals, soient de mieux en mieux acceptés, y compris dans les campagnes.

D’autre part, j’ai, comme vous tous sans doute, rencontré beaucoup d’enfants de couples hétérosexuels ou de familles monoparentales vivant dans des conditions épouvantables. Il m’est, dès lors, devenu impossible de soutenir qu’il serait plus difficile pour un enfant d’être heureux et de s’épanouir dans un couple homosexuel.

Toute la question est celle du moyen pour ces couples d’avoir un enfant. L’adoption ou, pour les femmes, l’assistance médicale à la procréation ne me semblent pas poser de difficulté.

Il n’en va pas de même de la gestation pour autrui. Monsieur Mamère, je ne suis pas d’accord avec vous. Il ne s’impose pas d’évidence qu’il faille légiférer pour permettre à quelques femmes, particulièrement généreuses, de porter un enfant pour une autre qui, elle, ne le peut pas. La réalité n’est pas celle-là.

Tout d’abord, 95 % des recours à une mère porteuse de par le monde reposent sur un contrat et font l’objet d’une transaction commerciale. En Ukraine notamment, il existe des cliniques spécialisées dans la fourniture de mères porteuses pour les Français. Il en existe aussi en Inde, pour des demandeurs d’autres pays.

Ensuite, il me semble impossible qu’un contrat prévoie que s’éprendre de l’enfant qu’elle porte place une mère porteuse en tort et fasse d’elle une délinquante si elle refuse de le donner aux parents d’intention après l’avoir mis au monde. Plusieurs femmes, notamment l’une de mes filles, m’ont expliqué qu’il arrive qu’une femme enceinte tombe littéralement amoureuse de l’enfant qui croît en elle. C’est d’ailleurs sans doute cette expérience singulière de la grossesse qui motive des femmes ménopausées à demander une AMP car ces femmes sont, de fait, des mères porteuses. Comment notre législation pourrait-elle à la fois ne voir aucune difficulté à ce qu’une femme ménopausée soit la mère de l’enfant qu’elle porte et autoriser des contrats privant la mère porteuse « commerciale » de la possibilité de reconnaître et garder son enfant ? Comment la qualité des sentiments d’une femme pour l’enfant qu’elle porte pourrait-elle être disqualifiée par un contrat ? Tout cela est inconcevable. Pour moi, il faut en rester au principe, hérité du droit romain, selon laquelle la mère d’un enfant est la femme qui en accouche. On peut néanmoins concevoir que, comme cela arrive parfois, un enfant soit abandonné à la naissance et puisse être aussitôt adopté par le couple géniteur.

Autant il ne me paraît pas illégitime de rechercher un cadre juridique satisfaisant pour les 5 % de mères porteuses par authentique altruisme, autant, qu’il puisse être enjoint par contrat à des femmes de n’être que des matrices le temps d’une grossesse et de renoncer, après leur accouchement, à tout contact avec l’enfant qu’elles ont porté, est absolument incompatible avec l’idée que vous et moi avons, je l’espère, de la femme.

M. le président Alain Claeys. Merci beaucoup, monsieur Kahn.

La Commission entend ensuite, dans le cadre d’une table ronde sur les recherches sur l’embryon, M. Philippe Menasché, professeur de médecine, directeur de recherches sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire à l’hôpital européen Georges Pompidou, et M. Marc Peschanski, directeur de recherches à l’INSERM, docteur en neurosciences.

M. le président Alain Claeys. Nous sommes heureux d’accueillir M. Philippe Menasché, professeur de médecine, directeur de recherche à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire, et M. Marc Peschanski, directeur scientifique de l’Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques (INSERM). M. Alain Grimfeld, président du Comité consultatif national d’éthique, qui devait être parmi nous, s’est excusé ce matin.

J’aurai, pour ma part, trois questions.

Pourriez-vous nous faire un point sur l’état de la recherche sur les cellules souches adultes, les cellules souches embryonnaires, et les cellules souches pluripotentes induites, les iPS ? Les progrès scientifiques sont extrêmement rapides. Lorsqu’il avait été demandé à l’OPECST d’établir un rapport sur l’état des recherches sur les cellules souches, les cellules iPS n’avaient pas encore été découvertes. Peuvent-elles dispenser de travailler sur les cellules souches embryonnaires ?

Ensuite, quel regard portez-vous sur la loi de bioéthique du 6 août 2004 et son application ? L’Agence de la biomédecine a-t-elle été un facilitateur ? Un frein ? Comment avez-vous perçu son fonctionnement ? Sous l’empire de cette loi, la France a-t-elle pris du retard ? Est-il difficile de faire revenir en France de jeunes chercheurs qui se sont expatriés ou d’attirer des « post-doc » ?

Enfin, comment faire évoluer la loi, aujourd’hui fondée sur le principe de l’interdiction assorti de dérogations ? Dans quel sens faudrait-il amender le projet de loi qui a été déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale et dont vous avez eu connaissance ?

M. Philippe Menasché, professeur de médecine, directeur de recherche à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire. Vous le savez tous, notre domaine de travail est extrêmement évolutif. Les recherches, tant fondamentales que cliniques, ont évolué de manière parallèle sur les cellules souches adultes et les cellules souches embryonnaires. Il serait absurde de les opposer.

Les chercheurs en sont tous d’accord, la recherche sur les iPS ne peut en aucune façon dispenser de celle sur les cellules souches embryonnaires. Il n’est pas une seule équipe compétente sur les premières qui ne le soit aussi sur les secondes.

Permettez-moi de vous donner le point de vue du chirurgien cardiaque que je suis, c’est-à-dire d’abord un clinicien, un soignant, pour qui l’enjeu n’est pas la recherche sur les cellules mais bien le traitement des malades. Il faut développer parallèlement les recherches sur les cellules souches adultes et sur les cellules souches embryonnaires. En effet, si aujourd’hui, certaines maladies peuvent être sinon guéries, du moins contrôlées grâce à des greffes de cellules souches adultes, tel n’est pas le cas pour d’autres, comme nous en avons fait l’expérience avec l’insuffisance cardiaque. L’échec du recours aux cellules adultes nous a amenés à utiliser les cellules embryonnaires.

Deux essais cliniques avec des cellules souches embryonnaires ont été autorisés aux États-Unis. Le premier vise à réparer des traumatismes récents de la moelle épinière. La base du traitement est constituée de cellules souches embryonnaires « pré-orientées » pour devenir des cellules médullaires. Un premier patient a été traité il y a à peu près un mois.

Le deuxième essai, qui vient tout juste d’être autorisé, aura pour cible une forme particulière de dégénérescence maculaire frappant les sujets jeunes. Une extension d’indication à la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) va être sollicitée auprès de la Food and Drug Administration (FDA) dans les semaines qui viennent. Vous imaginez aisément le nombre de malades potentiellement concernés dans cette nouvelle indication.

Lors des premières auditions de votre mission d’information, l’utilisation clinique des cellules souches embryonnaires était encore une perspective lointaine. C’est dire la vitesse de l’évolution ! La FDA a donné très rapidement son accord à l’essai ophtalmologique, un peu moins vite à celui qui vise la paraplégie. Les essais cliniques sont devenus réalité.

La loi de bioéthique de 2004 ne nous a pas empêchés de travailler. Son économie s’explique facilement par le contexte de l’époque. Les lourdeurs bureaucratiques qu’elle entraîne ne sont finalement pas pires qu’ailleurs. Elle ne nous a pas pénalisés. En 2000, mon équipe procédait aux premières greffes de cellules souches adultes de muscle dans le cœur humain. Au vu des limites de cette technique, nous avons obliqué vers les cellules souches embryonnaires et la loi de 2004 n’a pas entravé nos travaux.

Je n’ai rien à redire au rôle joué par l’Agence de la biomédecine. Chargée d’appliquer une loi qui n’était pas simple à décoder, elle en a respecté les termes, sans multiplier les freins. À mon sens, elle a trouvé un compromis acceptable. Dans le respect des exigences législatives et réglementaires, elle a permis aux équipes de chercheurs et de cliniciens de travailler.

Je suis en revanche très déçu – je ne suis pas le seul – que notre pays persiste dans la voie d’un régime dérogatoire. Si cela pouvait se justifier en 2004, ce n’est plus possible aujourd’hui. Non que cela entrave nos recherches, nous les avons conduites sous ce régime et pourrions donc continuer de le faire. En revanche, ce dispositif, que nul ne comprend hors de l’Hexagone, nuit gravement à l’image de notre pays et le rend moins attractif auprès des industriels, qui commencent maintenant à réfléchir en termes d’indications élargies.

Dans les réunions internationales, il nous est impossible de faire comprendre à nos collègues étrangers que la loi française autorise la recherche sur les cellules souches embryonnaires alors que littéralement, elle les interdit ! L’approche de la France est désormais singulière en Europe. La Belgique, la Grande-Bretagne, la Suisse se sont dotées d’une législation claire.

Ambiguë, apparaissant comme brouillée, la loi de 2004 dissuade nos chercheurs expatriés de revenir et les industriels de développer leurs activités en France. Si, à titre personnel, cette situation ne m’empêchera pas de continuer à travailler – nous sommes mêmes en train de préparer un essai clinique –, cette ambiguïté va faire prendre à notre pays un retard considérable qu’on ne rattrapera pas. On s’exclut de facto de la compétition internationale. Le choix qui sera fait sur ce point est bien entendu de nature éminemment politique.

M. Marc Peschanski, directeur de recherche à l’INSERM. Je partage les propos de Philippe Menasché sur le rôle positif qu’a joué l’Agence de la bioéthique pour nos travaux de thérapie cellulaire ainsi que sur les dangers auxquels nous expose le maintien du cadre législatif actuel.

Pourquoi Philippe Menasché et moi-même, mais aussi tous les scientifiques qui travaillent sur les cellules souches et les industriels qui les accompagnent, demandent-ils qu’on passe d’un régime d’interdiction à un régime d’autorisation ?

Depuis l’identification des propriétés des cellules souches embryonnaires aux États-Unis, en 1998, jusqu’à il y a peu encore, on en était resté, pour l’essentiel, à des recherches fondamentales. En 2004, les cellules souches embryonnaires n’étaient qu’un espoir d’espoir. Les chercheurs ne faisaient qu’espérer maîtriser un jour leurs deux propriétés spécifiques.

La première est leur capacité de prolifération, dont l’intérêt est de permettre d’obtenir en laboratoire, la quantité de cellules voulue au moment voulu. C’est là une différence considérable avec les cellules souches adultes, pour lesquelles il faut chaque fois trouver un donneur et qu’il est très difficile d’amplifier pour en obtenir une quantité suffisante à un patient, a fortiori à des centaines de milliers ou des millions.

La seconde est que ces cellules, comme c’est d’ailleurs leur vocation naturelle chez l’embryon, permettent d’obtenir tous les types de cellules de l’organisme.

S’il y a six ou sept ans, les cellules embryonnaires constituaient encore un Saint Graal pour la thérapie cellulaire, le progrès scientifique a bouleversé notre réflexion. Aujourd’hui, nous maîtrisons en laboratoire la prolifération de ces cellules, non pas seulement dans quelques boîtes de Pétri mais d’énormes bioréacteurs, avec des possibilités de production de dizaines de milliards de cellules lorsque nous en avons besoin. Autrement dit, nous avons transformé un rêve en capacité de production industrielle.

C’est parce que nous avons apporté aux firmes la preuve que ces cellules pouvaient être fabriquées de manière industrielle et utilisées à grande échelle qu’elles s’y sont intéressées.

C’est en 2004 exactement, c’est-à-dire au moment même de la précédente révision de la loi de bioéthique, que de premiers travaux avaient montré qu’il était possible d’obtenir à partir de cellules souches embryonnaires des cardiomyocytes – cellules cardiaques – ou des neurones, à l’époque des neurones dopaminergiques. C’était un premier pas vers l’obtention de cellules spécialisées susceptibles d’être utilisées un jour en thérapie cellulaire. Aujourd’hui, ce sont des dizaines de types cellulaires que nous pouvons produire à la demande, à diverses fins. Je ne peux tous les énumérer ici.

La situation a donc radicalement changé. Ce que nous vous demandons aujourd’hui, ce n’est pas, comme en 2004, de pouvoir conduire des recherches, mais de disposer d’un cadre législatif permettant les investissements considérables qui sont nécessaires pour passer aux applications cliniques. Cela suppose, dans les hôpitaux, des changements d’importance, avec notamment la création de services ad hoc et la constitution d’équipes capables de pratiquer la thérapie cellulaire non plus de façon expérimentale sur quelques dizaines de patients, mais, dans un pays comme le nôtre, sur des centaines de milliers, voire des millions de patients.

Ainsi, en France, deux millions de patients atteints de DMLA pourraient demain bénéficier d’une transplantation d’épithélium pigmentaire rétinien si les résultats de l’essai clinique d’ACT demandé pour le traitement de la maladie de Stargard, maladie ophtalmologique très rare, sont concluants. Ce sont exactement les mêmes cellules qu’il faudra produire pour traiter la DMLA. Ce qui nous manque aujourd’hui, ce sont les outils industriels de production et les dispositifs hospitaliers nécessaires à leur distribution à cette échelle.

Nous ne pouvons pas demander aux hôpitaux d’engager des investissements aussi lourds dans le cadre d’une loi qui pose le principe de l’interdiction de ces recherches. Contrairement à ce que vous pourriez penser, octroyer des dérogations à une interdiction ne revient pas au même qu’autoriser. Il nous faut en effet compter avec les associations ou fondations hostiles aux recherches sur les cellules souches embryonnaires. La Fondation Jérôme Lejeune a attaqué en justice l’Agence de la biomédecine au sujet d’une autorisation que celle-ci avait accordée. Le travail que mon laboratoire voulait entreprendre sur une lignée cellulaire en a été bloqué. Les hôpitaux ne souhaitent pas s’exposer à des litiges après avoir investi plusieurs millions d’euros pour pouvoir pratiquer la thérapie cellulaire.

Pour autant, les applications industrielles vont être très prochainement opérationnelles. Pour travailler à l’échelle industrielle sur les cellules souches embryonnaires, Pfizer s’est établi à Cambridge, où il a investi trente millions de livres, Roche à Bâle – en étant d’ailleurs venu chercher les compétences de mon laboratoire –, GlaxoSmithKline à Shanghaï, et le Français Sanofi à San Diego !

Les cellules souches embryonnaires sont un moyen d’accès à tous les tissus humains dont l’industrie pharmaceutique a besoin pour tester l’efficacité ou la toxicité des médicaments, deux opérations indispensables à la mise au point de nouvelles molécules. Ce criblage moléculaire requiert des dizaines de millions d’euros d’investissements ; les industriels n’y procéderont pas en France s’ils doivent en parallèle financer des bataillons d’avocats pour faire face à la Fondation Jérôme Lejeune – ou d’autres. Si la loi ne leur permet pas de travailler correctement dans notre pays, ils continueront à s’installer outre-Manche ou outre-Quiévrain comme ils le font déjà et y travailleront avec nos compétences qu’ils nous auront achetées.

Les cellules iPS offrent-elles les mêmes possibilités que les cellules souches embryonnaires ? Non, en tout cas aujourd’hui. Pour l’instant, les iPS ne sont que des artefacts de laboratoire. Je ne dis pas que cela ne sera jamais possible mais aujourd’hui on ne maîtrise pas totalement ce qui advient dans ces cellules. Il faudra au moins plusieurs années de travail pour identifier les mécanismes moléculaires qui les font ne pas se comporter tout à fait exactement comme les cellules souches embryonnaires, qu’elles devraient reproduire à l’identique. Pour cette raison, elles ne peuvent encore s’y substituer. Or, c’est aujourd’hui que les investissements se décident.

Les protéines, parmi lesquelles les anticorps monoclonaux, sont désormais très largement utilisées dans le traitement de nombreuses pathologies. Or, il y a quinze ans, l’industrie pharmaceutique française a raté ce tournant majeur. Ses cadres étaient arc-boutés sur la pharmacologie traditionnelle. Les industriels ont refusé de faire le pas en avant nécessaire et d’investir comme il l’aurait fallu. C’est ce qui explique que l’industrie pharmaceutique française est aujourd’hui menacée : la moitié des produits nouveaux qui seront mis sur le marché dans les cinq prochaines années sont des protéines thérapeutiques, et aucune n’est produite en France. On est aujourd’hui face à la même situation pour les cellules souches.

M. le rapporteur. Permettez-moi de n’être pas totalement certain, monsieur Peschanski, que les groupes pharmaceutiques français aient délocalisé certaines de leurs activités uniquement en raison du caractère restrictif de notre législation en matière de bioéthique. Je suis même certain du contraire pour ce qui est du développement des anticorps monoclonaux. Il est rare qu’un phénomène n’ait qu’une seule cause !

Le rapport de notre mission d’information s’intitule : « Favoriser le progrès médical – Respecter la dignité humaine ». Pour votre part, messieurs, vous demandez que soient autorisées les recherches sur les cellules souches embryonnaires, dont il est avéré que les cellules souches adultes ne peuvent les remplacer à l’identique. Vous ne demandez pas que le soient des recherches sur l’embryon à naître, ni même in toto. En réalité, vous cherchez seulement à pouvoir travailler sur des cellules ayant encore la capacité de se spécialiser en cellules des différents tissus et organes, notamment afin de les utiliser en médecine régénérative. Une solution pourrait être de continuer d’interdire les recherches sur l’embryon – assorties de dérogations car il est des cas où il est indispensable de travailler sur l’embryon entier – tout en autorisant celles sur les cellules souches embryonnaires, assorties des restrictions nécessaires Ce ne serait pas contradictoire car la recherche sur une cellule embryonnaire et la recherche sur un embryon n’ont pas plus à voir qu’un prélèvement sanguin chez un individu avec une recherche scientifique sur cet individu. Une telle évolution, qui ne froisserait pas les éthiciens, donnerait-elle satisfaction aux chercheurs ?

M. le président Alain Claeys. Je souligne que ce n’est pas là ce que prévoit le projet de loi en l’état. Je serais tout à fait favorable à une telle évolution.

M. Marc Peschanski. Cela conviendrait parfaitement à des chercheurs comme Philippe Menasché et moi-même. Il faudrait demander leur avis à Pierre Jouannet et autres spécialistes de la fécondation in vitro. En effet, l’interdiction des recherches sur l’embryon explique sans doute, pour partie, que les résultats de la FIV stagnent depuis si longtemps dans notre pays.

M. le rapporteur. Aucun pays occidental n’autorise les recherches sur l’embryon sans restriction. Certaines possibilités pourraient sans doute être ouvertes en matière de fécondation in vitro, à la condition toujours d’être strictement encadrées. On pourrait autoriser par exemple la vitrification des ovocytes mais il ne saurait être question de procéder à des expérimentations sur un embryon destiné à naître.

M. Philippe Menasché. L’évolution que vous proposez pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires, cohérente sur le plan scientifique et satisfaisante sur le plan éthique, serait tout à fait positive. Les dérogations concernant les recherches sur l’embryon devraient, quant à elles, être discutées avec les personnes compétentes – dont je ne suis pas.

M. le rapporteur. La création d’embryons à des fins de recherche, y compris dans le but de fournir des cellules souches embryonnaires, demeurerait bien entendu interdite.

M. Philippe Menasché. Personne ne réclame d’ailleurs que cette interdiction soit levée. Il y a suffisamment d’embryons surnuméraires congelés sur lesquels travailler.

M. Hervé Mariton. Tout cela ne suffit pas à me rassurer totalement.

Quel type d’encadrement vous paraîtrait, messieurs, légitime ? Qu’est-ce qui permettrait, selon vous, que notre pays ne se laisse distancer dans le domaine ni de la recherche ni de l’industrie pharmaceutique ? Le mieux serait-il nécessairement d’aligner notre droit sur celui des pays les plus permissifs ?

Le principe d’une interdiction avec dérogation me paraît présenter les mêmes vertus que la procédure de rescrit, que chacun connaît en matière fiscale par exemple. En obligeant l’administration à prendre position, le régime de dérogation apporte, me semble-t-il, une forme de garantie juridique. Cela n’empêchera jamais les contentieux, mais peut-on jamais s’en prémunir totalement dans une démocratie ? Le régime d’autorisation encadrée, qui laisse davantage d’incertitudes, y expose, me semble-t-il, davantage. Je ne comprends donc pas bien votre objection.

Pourriez-vous nous citer des exemples de demandes de firmes qu’il n’a pas été possible de satisfaire du fait du cadre législatif et réglementaire actuel ?

M. Jacques Domergue. Les cellules souches embryonnaires sont utilisées en médecine régénératrice mais aussi pour tester la toxicité des molécules médicamenteuses. L’industrie pharmaceutique est-elle demandeuse sur ce dernier point ? Y a-t-il là des possibilités de développement importantes ?

M. Gaëtan Gorce. La question que j’avais prévu de vous poser l’a été excellemment par le rapporteur.

M. Paul Jeanneteau. Autorisation avec encadrement ou interdiction avec dérogation : c’est bien sur ce point, très sensible, que le législateur devra parvenir à une formulation susceptible de faire consensus dans notre société. Nos concitoyens s’interrogent, parfois non sans émotion, sur l’utilisation des cellules souches embryonnaires.

Vous dites, messieurs, que les laboratoires pharmaceutiques ne développeront pas leur activité en France notamment par crainte des contentieux que pourraient leur intenter les membres d’associations comme la Fondation Jérôme Lejeune. Le risque de contentieux serait, selon moi, beaucoup plus élevé avec un régime d’autorisation encadrée.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous semblez très optimistes, messieurs, pour ce qui est de l’utilisation clinique des cellules souches embryonnaires. Les deux essais cliniques de thérapie cellulaire qui ont été autorisés ne sont pas sans poser de problèmes. Le premier, qui concerne la réparation des traumatismes de la moelle épinière, après avoir été autorisé une première fois par la FDA, a été suspendu et vient juste de reprendre. J’y vois une preuve que des difficultés subsistent. Le second, qui vise au traitement de la dégénérescence maculaire, concerne, et ce n’est pas un hasard, l’œil, organe peu immunogène, situé dans un milieu clos et facile à surveiller. C’est que n’ont pas été encore levées toutes les interrogations sur les risques de prolifération tumorale des cellules embryonnaires greffées ou les éventuels problèmes de rejet. Souvenons-nous que la thérapie génique, un temps tenue pour la panacée dans le futur, est loin d’avoir tenu ses promesses. Êtes-vous vraiment aussi optimistes que vous le semblez ?

Si l’industrie pharmaceutique est intéressée par les cellules souches embryonnaires pour cribler les molécules et en tester la toxicité, je ne suis pas sûr qu’elle le soit autant que vous le dites par la thérapie cellulaire – en tout cas, je ne l’ai pas senti chez les industriels. En effet, le modèle économique de ces nouvelles thérapies, individualisées, est aux antipodes de celui qui est le sien actuellement. Alors que les laboratoires fabriquent aujourd’hui des quantités énormes d’un même produit, ce qui leur permet de rentabiliser sa mise au point, ils devraient demain concevoir un médicament quasiment pour chaque malade.

M. Philippe Nauche. S’il était avéré que l’utilisation de cellules souches embryonnaires permet de traiter une pathologie comme la DMLA, on changerait totalement d’échelle. Des millions de personnes pourraient bénéficier du traitement, quand jusqu’à présent les applications envisagées ne concernaient qu’un très petit nombre de cas. Les enjeux thérapeutiques et économiques en découlant seraient tout autres.

Qu’est-ce qui est, selon vous, source de la plus grande insécurité juridique et de nature à décourager les investisseurs potentiels de s’installer en France ? Notre régime actuel d’interdiction avec dérogation ou la prescription d’une révision périodique de nos lois de bioéthique ?

M. Jean-Louis Touraine. Un régime d’autorisation encouragerait le développement des recherches sur les applications thérapeutiques, et non plus seulement dans le domaine scientifique. Un régime d’interdiction avec dérogation accordée seulement au cas par cas, le dissuaderait. Aucun jeune chercheur ne voudra s’engager dans cette voie non plus qu’aucun industriel ou aucun hôpital ne voudra investir dans un contexte aussi incertain quant à la possibilité de poursuivre ultérieurement leurs recherches. Il faut bien mesurer les conséquences de la décision que nous prendrons.

Je peux comprendre qu’en 2004, devant l’insuffisance des connaissances et les incertitudes qui demeuraient, la prudence ait été de mise et qu’on ait disposé que ces recherches étaient interdites, sauf dérogation accordée dans des cas précis et selon des protocoles bien définis. Le contexte a changé depuis et le cadre qui pouvait se justifier alors, de façon transitoire, ne me semble plus pouvoir l’être aujourd’hui. D’une part, on peut s’appuyer sur le retour d’expérience des pays qui ont autorisé ces recherches, ainsi que sur les connaissances accumulées depuis lors. D’autre part, on n’a observé aucune déviance et on sait désormais que ces recherches peuvent être bien encadrées. Il nous serait très difficile vis-à-vis tant des chercheurs, que du corps médical, des malades et des industriels, de justifier que soit pérennisé le cadre adopté il y a six ans. Ils n’auraient pas tort de nous juger frileux, voire hypocrites, si nous maintenions l’ambiguïté du texte d’alors. Je pense le moment venu d’autoriser purement et simplement les recherches sur les cellules souches embryonnaires, preuve ayant été apportée qu’on sait les encadrer de façon efficace.

Il est difficile de dire lequel des deux régimes d’autorisation ou d’interdiction avec dérogation limiterait le plus le risque de contentieux de la part d’associations comme la Fondation Jérôme Lejeune. Dans tous les cas, certains s’opposeront à ces recherches. Il n’est pas nouveau que des obscurantistes cherchent à empêcher le progrès mais, comme cela s’est toujours produit par le passé, ils finiront de guerre lasse par abandonner leur combat ! Un régime d’autorisation donnerait plus de sérénité aux chercheurs, aux hôpitaux et aux industriels, réticents à s’engager dans des recherches dont ils ne savent pas jusqu’où ils pourront les mener, ni même jusqu’à quand.

M. le rapporteur. Le plus important est bien l’hypothèque que faisait peser l’expiration du moratoire. Elle sera levée, les dérogations n’étant plus encadrées par des délais.

M. le président Alain Claeys. Chacun, qu’il soit, comme moi, favorable à un régime d’autorisation ou, comme d’autres, au maintien de l’interdiction avec dérogation, juge satisfaisant l’encadrement actuel. Ce sujet-là n’a pas fait débat au sein de la mission d’information.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Les comparaisons internationales ne sont pas inutiles. En Grande-Bretagne, pays considéré comme très permissif, le processus d’obtention des autorisations de recherche sur les cellules souches embryonnaires est au moins aussi compliqué qu’en France.

Mme Catherine Génisson. Un régime d’interdiction avec dérogation facilite, me semble-t-il, l’expression des opposants aux recherches car le cadre général fixé par la loi demeure l’interdiction. Je suis, pour ma part, favorable, à un régime d’autorisation avec encadrement. Pourriez-vous, messieurs, nous donner quelques arguments éthiques concernant l’encadrement ? Nous les reprendrions volontiers pour étayer notre souhait qu’on s’oriente vers un régime d’autorisation encadrée.

M. Marc Peschanski. Je laisserai Philippe Menasché vous répondre pour ce qui concerne l’encadrement et la thérapie cellulaire. J’évoquerai, pour ma part, la situation des industriels de la pharmacie. Sollicités l’an dernier par le Gouvernement dans le cadre des États généraux de l’industrie, ils ont clairement cité, dans le rapport élaboré sous la direction de Jean-Luc Bélingard, alors président du groupe IPSEN, la médecine régénératrice comme l’un des trois axes envisageables de réindustrialisation dans un secteur industriel en pleine révolution. L’industrie pharmaceutique ne se fonde plus aussi largement sur la chimie que par le passé, d’autres méthodes étant utilisées pour mettre au point les molécules. La possibilité de produire aujourd’hui en quantité illimitée des cellules souches embryonnaires capables de se différencier en tous les tissus du corps humain ouvre des perspectives tout à fait nouvelles à cette industrie. Les indications de la thérapie cellulaire vont s’élargir considérablement alors que jusqu’à présent, elle n’a été expérimentée que dans quelques cas – quinze greffes de cellules souches, pas davantage, ont ainsi eu lieu en France sur des malades atteints de la maladie de Parkinson et quelques autres sur des malades atteints de la chorée de Huntington. On n’imaginait pas alors que cette thérapie pourrait un jour concerner des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes. De toute façon, l’accès aux cellules souches embryonnaires était si limité que cela empêchait tout développement à grande échelle. Aujourd’hui, il n’est plus utopique de penser traiter par thérapie cellulaire des maladies aussi différentes que la dégénérescence maculaire, les complications cutanées des patients atteints de diabète ou de drépanocytose, et même les simples ulcères veineux. Ces développements thérapeutiques ne seront toutefois possibles que si les industriels investissent dans ce domaine car les laboratoires académiques ne pourront jamais fournir assez de cellules pour traiter tous les patients potentiellement concernés.

Les industriels de la pharmacie voient dans la thérapie cellulaire un axe important de développement, ils l’ont dit lors des États généraux de l’industrie. Ils sont également intéressés par les cellules souches embryonnaires pour les études de toxicologie prédictive.

Ces études se heurtent aujourd’hui à deux difficultés. La première est que la toxicité d’une substance diffère beaucoup d’un tissu et d’un organe à l’autre. Or, nous ne disposons pas en laboratoire d’un échantillon de l’intégralité des tissus et organes humains, Ainsi, un laboratoire qui souhaite tester la toxicité hépatique d’une molécule sur un hépatocyte humain en est-il réduit à travailler sur des lignées de cellules tumorales, dont le comportement représente nécessairement mal celui des hépatocytes de l’individu sain. Les cellules souches embryonnaires permettraient précisément de fabriquer en quantité illimitée des cellules spécialisées – de foie, de rein, de cœur, de muscle, neurones… – utilisables pour tester la toxicité des médicaments. Cela révolutionnerait les méthodes de travail de l’industrie pharmaceutique.

L’autre difficulté pour évaluer la toxicité d’un produit chez l’homme tient à l’insuffisance du modèle animal. L’exemple à la fois le plus connu et le plus tragique est celui de la thalidomide. Bien que cette substance ait été parfaitement testée chez tous les animaux nécessaires avant d’obtenir son autorisation de mise sur le marché, son utilisation chez l’homme n’en a pas moins été à l’origine de très graves malformations. Je cite cet exemple, mais il y en a d’autres.

M. Philippe Menasché. Si je vous ai donné le sentiment d’être optimiste en matière d’essais cliniques de thérapie cellulaire, c’est que je me suis mal exprimé. Je constate simplement que ce qui était une curiosité de laboratoire il n’y a pas si longtemps est devenu, même à échelle encore limitée, un produit thérapeutique susceptible d’être administré à des patients. Une étape importante a incontestablement été franchie compte tenu des difficultés techniques d’utilisation des cellules souches embryonnaires : multiplication, différenciation puis tri afin de s’assurer de l’absence dans celles qui seront injectées de toute contamination par des cellules encore pluripotentes, potentiellement tumorales. Le chemin sera encore long, les essais cliniques n’en sont pas moins devenus réalité.

Un régime d’autorisation serait-il source de davantage de contentieux ? Le vrai problème me paraît plutôt tenir à l’ambiguïté de la position française, incomprise à l’étranger. Certains pays d’Europe, comme l’Irlande ou l’Italie, interdisent toute recherche sur les cellules souches embryonnaires. D’autres, on sait lesquels, les autorisent. La législation française ne fait ni l’un ni l’autre, tout en faisant un peu les deux, ce qui en définitive mécontente tout le monde. Quel que soit le régime finalement retenu dans la nouvelle loi, nous souhaitons d’abord que la France adopte une position claire.

Certaines firmes auraient-elles refusé de s’implanter en France du fait de notre cadre législatif ? Le problème ne s’est pas encore rencontré car les essais cliniques ne font que démarrer. Mais la société américaine ACT, à l’origine du projet de traitement de la dégénérescence maculaire par des progéniteurs rétiniens, qui commence à prospecter pour s’implanter en Europe, n’hésitera pas longtemps entre un pays où la législation est claire et un autre où celle-ci est ambiguë. Si on maintient le cadre législatif actuel, trop subtil, l’une des premières firmes potentiellement intéressées par notre pays risque bel et bien de s’installer ailleurs !

Les recherches sur les cellules souches embryonnaires susciteraient l’émotion chez nos concitoyens, avez-vous dit. Pour ma part, j’ai pu constater lors des États généraux de la bioéthique que si on leur expliquait de manière simple la situation, ils comprenaient parfaitement que des embryons surnuméraires congelés, issus de techniques d’AMP – que je n’ai entendu personne remettre en question – et voués à être détruits au bout d’un certain temps s’ils ne font plus l’objet d’un projet parental puissent, si le couple en est d’accord, être donnés à un autre couple infertile mais aussi servir à des recherches à visée thérapeutique. Nos concitoyens n’en étaient en tout cas pas choqués.

Je ne reviens pas sur le sujet de l’industrie pharmaceutique. Je confirme seulement que jusqu’à un passé récent, le domaine des cellules souches, embryonnaires ou adultes d’ailleurs, n’intéressait que les petites biothèques alors que depuis peu, les grandes firmes pharmaceutiques s’y impliquent davantage, ne voulant pas rater le coche de nouvelles perspectives thérapeutiques.

Je ne suis pas vraiment compétent pour répondre sur la question de l’encadrement éthique. Les projets soumis à l’Agence de la biomédecine sont évalués en fonction de deux critères : la pertinence scientifique et la pertinence clinique. Le respect de ces deux critères permet d’éviter les dérives. Il y a quelques années, une toute nouvelle équipe française qui souhaitait différencier des cellules souches embryonnaires en hépatocytes, avait demandé à importer quinze lignées. Cela lui a été refusé au motif que, comme elle n’avait pas encore apporté la preuve de sa maîtrise de la technique, rien ne justifiait sur le plan scientifique qu’elle travaille sur quinze lignées. Elle n’a été autorisée dans un premier temps à en importer qu’une seule. Après évaluation de ses capacités et de ses résultats, ses demandes ultérieures d’importation de lignées supplémentaires ont été considérées de manière différente.

Je voudrais insister sur le fait qu’au stade de très grande ignorance où on est encore, il ne faudrait pas, dans l’application de ces deux critères, pénaliser les projets de recherche à visée plus cognitive au profit de ceux visant d’emblée des applications cliniques. La recherche fondamentale demeure essentielle.

M. Hervé Mariton. J’observe qu’on passe insidieusement de « visée thérapeutique » à « visée médicale » et maintenant, « scientifique ».

M. Philippe Menasché. Pertinence scientifique et pertinence clinique, tels sont les deux critères. « Clinique », c’est pour moi synonyme de « médical ».

M. le rapporteur. La principale difficulté pour les chercheurs comme pour les industriels était la limitation du moratoire dans le temps. Comment se lancer dans des projets de recherche aussi importants sans être sûr que l’autorisation obtenue sera renouvelée cinq ans plus tard ? Cette hypothèque va être levée.

Si nous souhaitons bien sûr que notre pays accueille des investissements industriels en nombre et fasse tout pour favoriser la recherche et le progrès médical, n’oublions pas qu’il est ici question de bioéthique et que jamais ne pourra être levé ce que vous tiendriez certainement, messieurs, pour des ambiguïtés. Jamais ne sera par exemple autorisée la fabrication d’hépatocytes pour tester la toxicité hépatique d’un produit qui aurait pour simple objectif d’embellir le teint d’une personne. Une telle recherche aurait peut-être un but « scientifique », mais non « médical », sans visée universelle et altruiste de soin.

Enfin, il n’est pas dans la tradition culturelle française de ne jamais autoriser ou interdire totalement. Le souci de l’équilibre et de la nuance, source de subtilités parfois difficiles à comprendre à l’étranger, je le reconnais, est consubstantiel à notre cadre même de pensée. Jamais ne prévaudra en France l’approche anglo-saxonne du contrat ou de la considération du profit. Il est emblématique à cet égard que les pays anglo-saxons n’aient pas de lois de bioéthique, mais seulement un corpus de recommandations, sachant que tout ce qui n’y est pas interdit est autorisé. J’insiste sur ces points pour ne pas faire naître d’espoirs démesurés quant à la position que pourrait adopter notre pays.

Je remercie le Pr Menasché d’avoir souligné que si une étape a été franchie dans l’utilisation thérapeutique des cellules souches embryonnaires à beaucoup plus large échelle, on est loin encore de guérir toutes les cécités ou de redonner leur motricité à tous les paraplégiques. Nous avons intérêt à suivre au plus près les évolutions de la recherche, tous les ans, et non pas seulement tous les cinq ans au risque soit d’être en retard, soit de revisiter des sujets qui n’ont pas lieu de l’être – je pense par exemple au consentement présumé pour les dons d’organes.

À titre personnel, je ne me verrais pas voter une loi autorisant les recherches sur l’embryon car celui-ci, comme l’a bien dit Axel Kahn, n’est pas une chose mais une potentialité de personne humaine, même s’il n’est pas dans notre droit une personne humaine. Une solution pourrait être de distinguer entre cette potentialité de personne humaine et la cellule éventuellement prélevée sur elle.

M. le président Alain Claeys. Sans prétendre conclure car le débat est loin d’être clos, trois premiers enseignements me paraissent pouvoir être tirés de nos travaux de l’après-midi. Tout d’abord, l’Agence de biomédecine fonctionne de façon satisfaisante. Ensuite, malgré le formidable progrès que représentent les iPS, chacun s’accorde sur l’utilité de poursuivre les recherches sur les cellules souches, embryonnaires et adultes. Enfin, il nous reste à choisir entre continuer d’interdire les recherches sur les cellules souches embryonnaires tout en en autorisant certaines à titre dérogatoire, définitif cette fois, – cela a été la position majoritaire au sein de la mission d’information – ou les autoriser, de manière très encadrée, à partir d’embryons surnuméraires uniquement.

M. le rapporteur. Nous n’étions majoritaires que de peu au sein de la mission. Certains prônaient une autorisation totale. Dès lors, peut-être gagnerions-nous à nous retrouver sur une voie médiane.

M. le président Alain Claeys. Il me reste, messieurs, à vous remercier pour l’éclairage précieux que vous avez encore apporté à nos travaux.

La séance est levée à 18 heures 10.
——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 01 décembre 2010 à 14 heures

Présents. – Mme Edwige Antier, Mme Martine Aurillac, M. Serge Blisko, M. Alain Claeys, Mme Catherine Coutelle, Mme Sophie Delong, M. Michel Diefenbacher, M. Jacques Domergue, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Dussopt, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Patrick Gille, M. Gaëtan Gorce, M. Michel Heinrich, Mme Françoise Hostalier, M. Olivier Jardé, M. Paul Jeanneteau, M. Christian Kert, M. Robert Lecou, M. Michel Lejeune, M. Jean Leonetti, M. Guy Malherbe, M. Noël Mamère, M. Hervé Mariton, M. Alain Marty, M. Philippe Nauche, M. Jean-Marc Nesme, Mme Marie-Renée Oget, Mme Dominique Orliac, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-Luc Préel, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean-Louis Touraine, M. Michel Vaxès, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Philippe Vuilque

Excusés. – Mme Valérie Boyer, M. Xavier Breton, Mme Michèle Delaunay, M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Martine Martinel, M. Philippe Tourtelier

Assistaient également à la réunion. – M. Gérard Bapt, Mme Catherine Lemorton