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Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Bioéthique
Mercredi 19 janvier 2011
La séance est ouverte à quatorze heures dix.
(Présidence de M. Alain Claeys, président)
La Commission spéciale entend le Professeur Pierre Jouannet, biologiste de la reproduction, membre de l’Académie nationale de médecine.
M. Alain Claeys, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Nous avons le plaisir d’accueillir le professeur Pierre Jouannet, consultant à l’hôpital Cochin, professeur des universités, membre de l’Académie de médecine, ancien membre du conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine, qui fut également vice-président du comité médical et scientifique de l’Agence de 2005 à 2008.
Vous avez été responsable, de 1994 à 2007, du laboratoire d’histologie-embryologie de l’hôpital Cochin. Au cours de la même période, vous avez également dirigé le Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) de Cochin, qui prend en charge les dons de gamètes ainsi que l’accueil d’embryons, et développe des techniques innovantes pour préserver la fertilité des patients. J’ajoute que vous avez présidé la Fédération française des CECOS de 1997 à 2003 et que vous faites partie du groupe d’experts chargé d’animer le département Génétique et développement de l’INSERM.
Nous vous avions déjà auditionné en mars 2009 dans le cadre de la mission d’information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique. C’est aujourd’hui la commission spéciale chargé d’examiner le projet de loi qui souhaite vous entendre. Je vous laisse sans plus attendre la parole.
M. Pierre Jouannet, biologiste de la reproduction, membre de l’Académie nationale de médecine. Je vous remercie de votre invitation. Je m’exprimerai en mon nom personnel mais aussi en tant que membre de l’Académie nationale de médecine, dont je serai le seul membre à être auditionné par votre commission spéciale. L’Académie a analysé en détail le futur projet de loi et fait connaître ses remarques. Elle a également pris publiquement position lors d’une conférence de presse le 16 novembre dernier sur l’anonymat du don de gamètes.
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le compte rendu des auditions précédentes. J’ai relevé que quelques points n’avaient pas été abordés jusqu’à présent, sur lesquels je souhaiterais insister aujourd’hui.
L’application des lois dites de bioéthique – qu’il serait peut-être plus judicieux d’appeler d’éthique biomédicale –, soulève certaines difficultés. Je l’ai constaté aussi bien en tant que praticien que lorsque j’étais membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine. Il faudrait sans doute trouver un meilleur équilibre entre ce qui relève du domaine législatif et réglementaire d’une part, de la responsabilité des scientifiques et des praticiens d’autre part. En effet, ces lois régissent de nombreux points relevant de l’exercice médical. Le futur projet de loi, dans la continuité des textes de 1994 et de 2004, continue de prévoir que les guides de bonnes pratiques sont établis par arrêté ministériel. Est-ce pertinent, dans la mesure où ces documents ont vocation à évoluer en fonction des connaissances ? L’obligation de recourir à un arrêté ministériel n’offre pas toute la souplesse nécessaire. Dans le domaine que je connais bien de l’assistance médicale à la procréation (AMP), seuls deux guides de bonnes pratiques ont été publiés dans notre pays depuis 1994 alors qu’en Grande-Bretagne, une dizaine l’ont été successivement durant la même période, comme il est normal, pour suivre l’évolution des techniques et des connaissances. On peut se demander si certaines dispositions réglementaires ne seraient pas plutôt du ressort d’organismes comme l’Agence de la biomédecine ; cela faciliterait leur adaptation quand c’est nécessaire.
De même, l’article 19 du projet de loi, modifiant l’article L. 2141-1 du code de la santé publique, dispose que « la liste des procédés biologiques utilisés en assistance médicale à la procréation est fixée par arrêté du ministre après avis de l’Agence de la biomédecine. » En quoi des procédés biologiques, à visée thérapeutique, relèveraient-ils d’un arrêté ministériel ? Je pense qu’on a voulu trouver une solution au problème qui a, curieusement d’ailleurs, fait l’objet d’un intense débat en France, de la vitrification des ovocytes, qui n’est qu’une technique de cryoconservation parmi d’autres. Dire si une technique est préférable à une autre, déterminer si telle ou telle n’en est encore qu’au stade expérimental ou peut être utilisée en clinique sont des questions qui se posent dans tous les domaines de la médecine, pour le diagnostic comme pour la thérapeutique. Or, ces techniques ne sont pas toutes soumises à validation par arrêté ministériel. Pourquoi faire de l’AMP un cas particulier ? Pour l’Académie de médecine, cela risque de constituer un handicap majeur pour une prise en charge thérapeutique efficace des patients.
Le deuxième alinéa de l’article L. 1418-1 du code de la santé publique, issu de la loi de 2004, définissant les missions de l’Agence de la biomédecine, lui donnait, entre autres, celle « d’assurer une information permanente du Parlement et du Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques pour les activités relevant de sa compétence et de leur proposer les orientations et mesures qu’elles appellent. » L’Agence de la biomédecine aurait donc dû, depuis 2004, procéder à une expertise des évolutions technologiques et des connaissances dans le domaine biomédical. Tel n’a pas été le cas, la loi n’ayant pas été mise en œuvre, ce qui a conduit aux difficultés rencontrées par exemple avec la vitrification des ovocytes. Nous ne sommes, hélas, pas au terme des difficultés si la seule solution proposée est un arrêté ministériel ! D’autres démarches, moins administratives, pourraient être privilégiées. Pourquoi en matière d’AMP, comme dans les autres champs de la médecine, ne pas faire confiance à des organismes habilités à valider les techniques ?
Une autre difficulté qui n’a pas été soulevée jusqu’à présent et qui risque pourtant de se révéler majeure en matière d’AMP réside dans l’article 20 du projet de loi. En effet, celui-ci réécrit l’article L 2141-2 du code de la santé publique qui définit l’assistance médicale à la procréation, en incluant dans les actes d’AMP la conservation des gamètes et des tissus germinaux. Cela paraît cohérent dans la mesure où ces actes sont réalisés par des équipes d’AMP. Mais cette disposition, si elle est votée, sera source de confusion. En effet, quand on conserve des gamètes, c’est pour préserver la fertilité future d’une personne, lorsque cette fertilité est menacée, le plus souvent par un traitement anti-cancéreux. Une fois la personne guérie de son cancer, ces gamètes peuvent être utilisés dans le cadre d’une procréation médicalement assistée, mais pas nécessairement. Aujourd’hui, le tissu ovarien prélevé chez une jeune femme et sauvegardé par congélation lui est ultérieurement autogreffé, de façon que sa fertilité s’exprime naturellement. On n’est pas alors dans le cadre d’une AMP. Comment résoudre ce problème ?
Une autre difficulté de cette disposition tient à ce que si la conservation des gamètes et des tissus germinaux est assimilée à l’AMP, toutes les conditions posées pour l’accès à une AMP devraient valoir aussi pour cette conservation, ce qui est impossible. En effet, cette sauvegarde est proposée à des personnes jeunes, qui vont le plus souvent subir un traitement anti-cancéreux, potentiellement stérilisant. Ces personnes ne vivent pas alors nécessairement en couple. Il arrive même qu’elles ne soient pas encore en âge de procréer. Il n’est pas rare que l’on procède à des congélations au profit d’enfants pré-pubères. Nous pensons donc qu’il conviendrait de maintenir la distinction qui existait antérieurement entre l’assistance médicale à la procréation et des actes ayant pour but de préserver la fertilité des personnes, que celles-ci aient ultérieurement recours à une AMP ou puissent procréer naturellement.
Pour ce qui est du don de gamètes, l’Académie de médecine a pris position contre la levée de l’anonymat et relevé que certaines dispositions du projet de loi sur le sujet étaient inadaptées, voire incohérentes. Tout en soutenant totalement l’avis de l’Académie, je ne me prononce pas, pour ma part, en tant que médecin car je considère que cette question n’est pas d’ordre médical, mais social et juridique.
Depuis trente ans, j’ai rencontré beaucoup de parents ayant eu recours à un donneur, d’enfants conçus par don qui se trouvent en difficulté parce qu’ils ignorent l’identité de leur donneur et d’autres qui disent n’en éprouver aucune. J’ai également étudié les conséquences qu’avait eues la levée de l’anonymat dans les pays qui y avaient procédé. Je me suis notamment rendu en Suède l’an passé, premier pays à avoir, dès 1984, levé l’anonymat. Qu’ai-je constaté ? Je ne parlerai que des procréations par don de sperme, dans la mesure où on n’a pas encore assez de recul pour celles par don d’ovules. En France, le recours à l’AMP est réservé aux couples hétérosexuels, à la stérilité médicalement constatée, qui n’en souhaitent pas moins concevoir un enfant par ce biais et construire une famille. Mais de plus en plus aujourd’hui, dans les pays où cela est autorisé comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Suède, la Belgique ou les Pays-Bas, des femmes seules ou vivant dans un couple homosexuel recourent à un don de sperme pour devenir mères. La majorité des demandes sont même désormais de leur fait. Or, ces situations sont radicalement différentes en ce qu’il n’y aura pas dans la future famille d’homme jouant le rôle de père. L’enfant à naître n’aura qu’une ou deux mères et, éventuellement, une figure paternelle dans l’entourage. Je ne porte là aucun jugement de valeur. Je dis simplement que cela n’est pas neutre sur le traitement de la question de l’anonymat du don de gamètes. Si la France devait ouvrir la procréation médicalement assistée aux femmes seules ou homosexuelles, la donne s’en trouverait totalement modifiée.
Dans notre pays où, pour l’heure, seuls les couples hétérosexuels peuvent recourir à un don de gamètes, pourquoi faudrait-il lever l’anonymat ? L’un des arguments souvent avancés est qu’il est intolérable que des informations sur les donneurs, détenues par les CECOS, soient inaccessibles aux principaux intéressés. Je peux entendre cet argument. Encore faut-il bien savoir quelles informations détiennent les CECOS. Il y a d’un côté des données identifiantes, comme le nom et la date de naissance du donneur. Jusqu’en 1994, les CECOS, c’était le cas de celui dont j’étais responsable, supprimaient au bout d’un certain temps des dossiers ces données identifiantes, qu’il n’y avait aucune raison de conserver. Le don étant anonyme, il doit l’être pour tous, y compris pour le corps médical. Il y a d’un autre côté des données non identifiantes, médicales tout d’abord comme les antécédents personnels et familiaux, les résultats des dépistages effectués à l’occasion de chaque don, non médicales ensuite comme la situation familiale, le nombre d’enfants, la profession, certaines caractéristiques physiques… Ces données-là peuvent parfaitement être communiquées sans qu’il soit besoin de lever l’anonymat. Chaque fois que cela a été nécessaire, les centres ont transmis les données médicales dont pouvaient avoir besoin les médecins traitants. Je ne verrais pas d’inconvénient à ce que les données non identifiantes non médicales puissent être communiquées à ceux qui en font la demande. Tout le problème est d’en dresser la liste qui, selon le projet, relève d’un arrêté ministériel. Le projet de loi prévoit ainsi que soit indiquée la nationalité du donneur. Or, les questions portent plus souvent sur la religion ou l’origine ethnique du donneur que sur sa nationalité. Je m’interroge donc sur le contenu de cette liste et me demande s’il relève de la loi. On pourrait imaginer que, s’entretenant avec le praticien lors de son don, le donneur décide lui-même des informations non identifiantes dont il accepte qu’elles puissent être ultérieurement transmises aux enfants nés de lui.
Pour défendre la levée de l’anonymat, d’autres avancent des raisons médicales. Mais, je l’ai dit, nous avons toujours pu répondre aux questions des médecins sans avoir à révéler l’identité du donneur. Et si on souhaitait désormais des informations génétiques plus précises, il suffirait de conserver un échantillon d’ADN des donneurs pour procéder ultérieurement à tous les tests souhaités, sans qu’il soit nécessaire, là encore, de dévoiler leur identité.
D’autres arguent qu’il serait utile de lever l’anonymat pour éviter de possibles rencontres incestueuses entre enfants conçus d’un même donneur. Cette crainte me paraît relever davantage du fantasme que de la réalité. Pour autant, le risque n’est pas nul qu’une personne conçue par don de sperme tombe amoureuse d’une autre conçue avec le sperme du même donneur et puisse vouloir des enfants avec elle. Si elle s’en inquiète, elle peut interroger le CECOS où elle a été conçue qui a les moyens, toutes les paillettes étant codées, de savoir si deux personnes conçues par don sont ou non issues d’un même donneur. Il n’est pas nécessaire pour cela de lever l’anonymat.
Le dernier argument avancé pour demander la levée de l’anonymat est le droit de chacun à connaître ses origines personnelles. Cela renvoie à la question fondamentale de ce qu’est l’origine de quelqu’un. Mais l’origine d’une personne se réduit-elle à sa dimension biologique ? Il n’est pas question de nier cette composante mais il y en a beaucoup d’autres, plus humaines dirais-je, comme le désir, la volonté de ses parents de devenir parents en dépit de la stérilité…
Sans avoir de position tranchée définitive sur le sujet, je m’interroge sur les conséquences de la révélation à un enfant conçu par don de l’identité de son donneur. Souhaite-t-il seulement s’en faire une représentation, le rencontrer ou nouer des liens avec lui ? La loi écarte certes tout risque juridique de remise en cause de la paternité du père. Mais les liens de filiation se réduisent-ils à leur dimension juridique ? Ne comportent-ils pas une composante sociale, affective, psychologique ? Permettre que puisse se tisser un lien entre l’enfant et son donneur risque de se faire au détriment du père stérile qui, a, lui, à construire sa paternité. Beaucoup d’hommes stériles que j’ai rencontrés, et leurs femmes d’ailleurs, m’ont dit que si leur enfant pouvait, à sa majorité, connaître l’identité de son donneur, cela influerait sur le vécu de leur construction familiale. Cette crainte pourrait les conduire à ne pas informer l’enfant de son mode de conception, de peur que celui-ci ne se tourne un jour vers son donneur.
Il est intéressant de noter, comme en attestent diverses études menées en Grande-Bretagne et aux États-Unis, que les personnes en quête de l’identité de leur donneur sont moins intéressées par celui-ci que par les autres enfants qu’il a pu avoir, enfants de sa propre famille ou conçus au profit de couples ou personnes stériles. C’est en réalité davantage leur fratrie que leur donneur que ces personnes recherchent. Toutes les conséquences potentielles de la levée de l’anonymat n’ont pas encore été suffisamment évaluées à l’étranger. En Suède, où il a été décidé en 1985 que tout enfant conçu par don pourrait, à partir de l’âge de 16 ans, accéder à l’identité de son donneur, aucun des sept centres d’AMP du pays n’a reçu, depuis 2001 donc, une seule demande ! L’explication la plus souvent avancée est que depuis lors, les parents cachent aux enfants leur mode de conception. La levée de l’anonymat a paradoxalement renforcé le secret sur les origines, en quoi elle ne résoudrait donc pas le problème des enfants en quête de leur histoire, qui est aussi celle des parents qui les ont désirés.
Pour conclure, je voudrais citer le cas, anecdotique sans doute mais non moins intéressant, d’un jeune comédien français, Grégoire Leprince-Ringuet, qui indiquait dans un récent portrait de lui, publié par Libération, qu’ils étaient quatre dans sa fratrie, tous conçus de façon différente. « Ma sœur aînée a été adoptée, j’ai été conçu par FIV avec don de sperme, mon premier frère l’a été par insémination artificielle avec sperme de donneur et le petit dernier est né naturellement. Il n’y a aucun problème, nous avons tous été voulus par nos parents qui nous ont tous informés de notre mode de conception. Je ne comprends pas pourquoi on souhaite modifier la loi », concluait-il. Ayant eu l’occasion de le rencontrer avec sa mère et ses frères et sœur, j’ai été frappé de la vigueur de son opposition à la levée de l’anonymat. « J’y suis opposé, m’a-t-il dit, car si à l’époque de ma conception, le don de sperme n’avait pas été anonyme, je ne serais pas là aujourd’hui car mes parents n’auraient jamais eu d’enfant avec donneur. » Sur les quelques 50 000 enfants nés en France par don de sperme, quelques-uns rencontrent des difficultés, qu’il ne faut pas nier. Mais l’essentiel me paraît résider dans l’accompagnement des parents, hélas souvent les grands oubliés du débat. Il y a beaucoup de progrès à faire en ce domaine.
M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale. Je ne reviens pas sur l’anonymat du don de gamètes. Si j’avais encore quelques questions, vous y avez répondu.
Je vous interrogerai sur le régime actuel d’interdiction des recherches sur l’embryon, assortie de dérogations. Les chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit que le moratoire de cinq ans sur l’interdiction, qui expire très prochainement, les empêchait de lancer certains programmes de recherches importants. Une autre solution serait donc d’autoriser ces recherches sous conditions, ce qui reviendrait à peu près au même dans les faits, avec un affichage toutefois différent.
Après avoir entendu Axel Kahn expliquer qu’il y avait bien une différence de nature entre un embryon et une cellule embryonnaire et qu’il ne fallait pas confondre le tout et la partie, je me suis un temps demandé, à titre personnel, s’il ne serait pas possible d’autoriser la recherche sur les cellules embryonnaires tout en continuant d’interdire avec dérogation celles sur l’embryon. On m’a objecté tout d’abord qu’il n’y avait pas de différence entre une cellule souche embryonnaire et un embryon encore unicellulaire. Ensuite, qu’une différence de traitement ne se justifie que si les cellules embryonnaires ne sont plus susceptibles de donner un embryon. Mais alors pourquoi ne pas autoriser sans restriction les recherches sur les lignées de cellules souches embryonnaires existantes puisque celles-ci ne sont que multipotentes, et non plus totipotentes – c’est-à-dire capables de donner un embryon ? Enfin, les cellules embryonnaires ne devraient-elles pas être classées dans la même catégorie que les embryons de toute façon voués à la destruction tandis que seuls les embryons destinés à naître devraient être protégés ?
Par ailleurs, la plupart des chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit que la loi actuelle n’entravait pas leurs recherches et que la recherche sur les cellules embryonnaires était « en perte de vitesse » par rapport à d’autres types de cellules souches et n’apparaissait plus comme la voie la plus prometteuse, bien qu’il faille la laisser ouverte. Dès lors, est-ce vraiment la peine d’opérer une distinction entre embryon et cellules embryonnaires pour leur appliquer un régime de recherche différent ? Est-ce possible à la fois sur le plan biologique et sur le plan éthique ? Et surtout serait-ce utile ? Si les chercheurs ne travaillent plus beaucoup sur les cellules souches embryonnaires et si le dispositif actuel ne handicape pas la recherche française, c’est-à-dire s’il n’y a pas de problèmes pratiques, pourquoi se poser tant de questions éthiques ? Après avoir exploré le champ des possibles, j’en suis venu à me dire qu’un régime unique d’interdiction avec dérogation avait le mérite de la clarté par rapport à un régime qui distinguerait entre les recherches sur l’embryon, interdites avec dérogation, et celles sur les cellules souches embryonnaires, autorisées – avec encadrement car il ne saurait être question néanmoins d’autoriser sur elles des recherches pour mettre au point par exemple des produits cosmétiques. Après ce long cheminement, j’en suis revenu au premier stade de ma réflexion, mais n’est-ce pas souvent le cas en matière d’éthique ?
Le régime actuel d’interdiction assortie de dérogations vous paraît-il, professeur Jouannet, pénaliser la recherche française ? Les chercheurs qui souhaiteraient que la recherche sur les cellules souches embryonnaires soit autorisée nous ont dit que le régime actuel ne les gênait pas dans leurs recherches mais pouvait constituer un frein à des investissements industriels, ce qui ne me paraît pas un argument éthique.
M. le président Alain Claeys. Les chercheurs nous ont également dit qu’il était indispensable de mener de front les recherches sur les cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes et les iPS. Aucun d’entre eux n’a dit que les recherches sur les cellules souches embryonnaires étaient « en perte de vitesse ». Ceux qui défendent l’autorisation ont aussi avancé d’autres arguments qu’économiques et industriels.
M. Xavier Breton. M. Privat nous a cependant bien dit que les recherches sur les cellules souches embryonnaires n’étaient pas indispensables et que celles sur les cellules souches adultes pouvaient suffire.
M. le rapporteur. Personne ne défend l’idée qu’on ne devrait plus faire du tout de recherches sur les cellules souches embryonnaires.
Mme Catherine Génisson. Si M. Privat a en effet tenu la semaine dernière les propos rapportés par M. Breton, la plupart des autres chercheurs ont insisté sur la nécessité de travailler parallèlement sur les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes. Ils ont également souligné le caractère quelque peu hypocrite de la position française, mal comprise à l’étranger, et fait valoir, comme l’a rappelé le président, d’autres arguments qu’économiques pour demander un régime d’autorisation encadrée en soulignant que le régime en vigueur était un frein à la coopération internationale au sein de la communauté scientifique.
Mme Jacqueline Fraysse. Des auditions précédentes j’ai retenu que les possibilités offertes aujourd’hui par les cellules souches adultes et les cellules iPS permettent de limiter le recours aux cellules souches embryonnaires, non de s’en dispenser totalement. Il semble aussi qu’on aurait besoin dans notre pays de travailler davantage sur les cellules souches adultes car nous serions en retard. Je suis, pour ma part, favorable à un régime d’autorisation avec encadrement. Je m’interroge toutefois sur la manière dont cet encadrement pourrait être détaillé dans la loi.
M. le rapporteur. C’est précisément ce à quoi nous ne sommes pas parvenus.
M. le président Alain Claeys. La loi de bioéthique votée en première lecture en 2002 prévoyait une autorisation encadrée. Ce n’est qu’en deuxième lecture, en 2004, qu’a été adopté l’actuel régime d’interdiction avec dérogation.
M. Philippe Tourtelier. Alain Privat nous a dit qu’il menait la quasi-totalité de ses recherches sur des embryons animaux, pas sur des embryons humains.
Un autre intervenant a évoqué, lui, la possibilité de conflits d’intérêts chez certains chercheurs. Afin de lever toute ambiguïté, il aurait été intéressant de connaître ceux, éventuels, des personnes que nous avons auditionnées.
M. Philippe Nauche. M. Privat nous a dit que dans le domaine bien particulier de ses recherches sur le système nerveux central, les cellules souches embryonnaires n’apportaient pas grand-chose, les cellules iPS étant même d’un intérêt supérieur. Cela étant, il semblait considérer qu’avant de passer à une phase thérapeutique, il faudrait pouvoir comparer les deux.
Pour le reste, je me demande jusqu’à quel niveau de détail la loi doit descendre. Elle n’a tout de même pas à édicter les bonnes pratiques dans les laboratoires ! Beaucoup me paraît relever de l’Agence de la biomédecine.
M. le président Alain Claeys. Sur le régime de la recherche, le législateur doit se prononcer.
M. Olivier Jardé. A titre personnel, je suis favorable à une autorisation encadrée. Vous avez évoqué, monsieur Jouannet, la nécessité que les bonnes pratiques puissent suivre au plus près l’évolution des connaissances. Êtes-vous favorable ou non à une révision périodique des lois de bioéthique ?
M. Jean-Sébastien Vialatte. Je suis moi aussi favorable à un régime d’autorisation sous conditions. L’un des problèmes actuels est le très grand nombre d’embryons surnuméraires, qui choque certains de nos collègues. Ne pourrait-on pas limiter le nombre d’ovules fécondés dans le cadre des procréations médicalement assistées ? Et ne serait-il pas plus judicieux de congeler les ovocytes plutôt que les embryons ?
M. Jean-Louis Touraine. Pour comparer la recherche sur les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes, il ne faut pas se fonder sur les travaux menés en France, mais au niveau mondial. Dans les pays où la recherche sur les cellules souches embryonnaires est totalement libre, les chercheurs les utilisent beaucoup. En France naturellement, comme il est difficile d’obtenir des autorisations, ils explorent des voies alternatives. Mais il est des pistes de recherche que seules les cellules embryonnaires permettent d’ouvrir. Il serait dommage de s’en priver car, qu’on l’admette ou non, elles présentent une différence fondamentale avec les autres types de cellules souches. Seules elles n’ont pas déjà vieilli et ont encore un potentiel infini de multiplication et de différenciation en tous les types cellulaires de l’organisme. Pour certaines recherches, elles sont indispensables. Il faut donc laisser les deux voies ouvertes.
M. Michel Vaxès. Que pensez-vous du régime de recherche proposé dans le texte de 2002 ? La recherche sur l’embryon a-t-elle vocation à permettre des avancées dans le domaine médical ou dans d’autres domaines, commercial par exemple ? Quelle est la préoccupation dominante ? Ce n’est pas indifférent pour le législateur.
Je ferai enfin observer, de manière peut-être quelque peu provocatrice, qu’une cellule embryonnaire, supposée changer de nature lorsqu’elle passe de l’état de totipotence à celui de multipotence, ne peut de toute façon donner naissance à un embryon que si elle est implantée dans un utérus. Aussi longtemps que cette implantation n’a pas eu lieu, il n’y a pas de possibilité de personne humaine.
M. le rapporteur. Personne ne souhaite interdire toute recherche sur les cellules souches embryonnaires. La question est de savoir si ces recherches doivent demeurer interdites avec dérogation ou devenir autorisées sous conditions.
J’en viens à un tout autre sujet. Un rapport de l’IGAS, commandité par Roselyne Bachelot lorsqu’elle était ministre de la santé, pour savoir comment favoriser le don d’ovocytes sans le rémunérer, propose une piste intéressante. Il s’agirait d’ouvrir ce don aux nullipares, alors qu’il est aujourd’hui réservé aux femmes ayant déjà des enfants, au motif qu’on ne voudrait pas qu’une femme ayant donné des ovocytes puisse se trouver ensuite, pour une raison quelconque, dans l’impossibilité d’avoir des enfants. Un avantage serait aussi d’obtenir des ovocytes de meilleure qualité car provenant de femmes plus jeunes. Pour régler le problème qui avait conduit à écarter les nullipares, on pourrait, en échange du service que les donneuses rendent à des couples stériles, leur proposer de congeler certains de leurs propres ovocytes au cas où elles deviendraient ultérieurement stériles. Cela vous paraît-il possible sur le plan technique et acceptable sur le plan éthique ?
M. Pierre Jouannet. Oui, tout comme de limiter le nombre d’ovules fécondés dans le cadre d’une PMA. Mais la congélation des ovocytes ne saurait être la seule solution à l’ensemble des problèmes qui se posent tant pour ce qui est du don d’ovocytes que de la création d’embryons surnuméraires.
S’agissant de la recherche sur l’embryon, j’avoue être sidéré par la façon dont ce sujet est en général traité. L’embryon n’est considéré que comme un matériau cellulaire, intéressant pour conduire des recherches thérapeutiques ou toxicologiques. Toute une dimension de la recherche sur l’embryon semble avoir été escamotée. J’en veux pour preuve que le Conseil d’État ait conclu, dans son rapport, que si un jour on pouvait se passer des cellules souches embryonnaires, les recherches sur l’embryon ne seraient plus nécessaires, comme si l’embryon n’était qu’un matériau de recherche à d’autres fins. Pour avoir longtemps dirigé un laboratoire de FIV qui traitait quelque dix mille embryons par an, j’en ai une vision totalement différente. Tout un pan de la recherche sur l’embryon s’exerce au profit de l’embryon lui-même. Quand on discute de recherche sur l’embryon, il y a en fait deux catégories de recherche : des recherches sans bénéfice pour l’embryon et des recherches avec bénéfice pour l’embryon dont on ne parle jamais. Au passage, je ne comprends pas que l’on oppose les cellules souches embryonnaires et les iPs. On a énormément de questions à résoudre et il faut étudier les deux.
Ce qui me gêne est que la loi interdise par principe la recherche sur l’embryon au nom de sa protection et de celle, plus générale, de la vie humaine. Serait-ce à dire qu’il y a un antagonisme entre recherche et protection de la vie ? Si oui, il faudrait logiquement interdire toute recherche biomédicale à tous les âges de la vie. Pourquoi le seul âge où, par principe, toute recherche serait interdite serait le stade de l’embryon avant l’implantation ? Pourquoi ne pas essayer de mieux comprendre les toutes premières étapes du développement de l’embryon, de mieux traiter l’embryon pour lui donner de meilleures chances de se développer ?
M. le rapporteur. Je comprends votre argument mais le principal champ de recherches est celui sur les cellules souches embryonnaires. Et le prélèvement d’une cellule embryonnaire aboutit à la destruction de l’embryon. Cela à soi seul justifie l’interdiction –avec possibilité de dérogations. S’il s’agit d’améliorer les embryons, se pose un autre problème qui est celui de l’eugénisme. C’est en quoi la recherche sur l’embryon est particulière par rapport aux recherches sur la personne humaine en général.
M. Pierre Jouannet. Loin de moi l’idée de nier la spécificité de la recherche sur l’embryon, dont je suis le premier à penser qu’elle doit être strictement encadrée. J’observe simplement que si les recherches sur les cellules souches embryonnaires sont aujourd’hui beaucoup plus développées, c’est qu’elles présentent davantage d’intérêts économiques. Les chercheurs sont nombreux à espérer trouver des traitements à certaines maladies, notamment neuro-dégénératives, comme la maladie d’Alzheimer ou la chorée de Huntington. Mais qui se soucie des embryons ? Or ces embryons sont dans une situation dramatique.
D’après le rapport annuel de l’Agence de la biomédecine de 2007, cette année-là plus de 240 000 embryons ont été créés dans les laboratoires de FIV en France, sur lesquels 85 000 ont été implantés, 12 000 seulement ayant donné lieu à la naissance d’un enfant – il serait d’ailleurs intéressant de comprendre pourquoi si peu d’entre eux, bien qu’ayant été choisis comme ceux ayant les meilleures chances de développement, se sont normalement développés in utero –, 66 000 ont été congelés et 89 000 ont tout simplement été détruits dès les premiers jours de leur existence. Dans le stock de 150 000 embryons congelés existant fin 2007 en France, 46 000 ne faisaient plus l’objet d’un projet parental. Pour autant, seuls 11 000 avaient été donnés par les couples pour des projets de recherche. C’est dire que la plupart d’entre eux étaient voués à la destruction, les couples pour lesquels ils avaient été conçus n’ayant pas formulé d’autre souhait. Chaque année en France, des dizaines et des dizaines de milliers d’embryons n’ont ainsi d’autre destin que l’arrêt de leur développement. On n’a pourtant pas le droit, par principe, de rechercher pourquoi certains d’entre eux sont malformés et ne se développent pas, ni comment améliorer leur culture pour permettre qu’ils deviennent des enfants en bonne santé. Si leur culture était mieux maîtrisée, cela permettrait pourtant un jour d’avoir à en créer moins.
J’ai parfois l’impression qu’on a la même attitude en ce domaine qu’au Moyen-Âge où l’autopsie était interdite. On a mis du temps à convenir qu’il pouvait être utile d’autopsier un corps pour comprendre les raisons de la mort et faire progresser la science médicale. Aujourd’hui, nous n’avons pas le droit « d’autopsier » un embryon de trois jours, au nom de la protection de la vie. Ces recherches sur l’embryon précoce seraient pourtant du plus haut intérêt au profit de l’embryon lui-même. Elles sont indispensables pour mieux comprendre et maîtriser le développement embryonnaire. Nous disposons également d’indices laissant à penser que certaines modifications métaboliques intervenant aux tout premiers stades du développement embryonnaire pourraient expliquer certaines pathologies de l’adulte. Il y aurait donc beaucoup de recherches à mener sur l’embryon et je regrette qu’elles soient par principe interdites.
M. le président Alain Claeys. La loi n’est pas encore votée et ce que vous avez dit est très important. Monsieur Jouannet, je vous remercie de cet éclairage très utile à nos travaux.
La Commission spéciale entend ensuite le Professeur Arnold Munnich, pédiatre généticien, conseiller à la présidence de la République.
M. le président Alain Claeys. Nous sommes heureux d’accueillir maintenant le professeur Arnold Munnich, chef du service de génétique à l’hôpital Necker, professeur de génétique à l’université de Paris V. Vous avez dirigé à l’INSERM l’unité de recherches « Handicap génétique de l’enfant », puis l’unité « Génétique et épigénétique des maladies métaboliques, neurosensorielles et du développement ». Depuis mai 2007, vous êtes également conseiller à la présidence de la République. Vous avez certainement à ce titre participé à la réflexion ayant précédé le dépôt du projet de loi. Nous souhaiterions aujourd’hui entendre votre point de vue sur ses différents thèmes.
M. Arnold Munnich, pédiatre généticien, professeur de médecine, conseiller à la présidence de la République. Je suis heureux d’intervenir devant votre commission spéciale. La bioéthique est un sujet qui passionne tous nos concitoyens, indépendamment de leur milieu socio-économique, leur culture ou leur religion. Je le constate quotidiennement en tant que praticien aux côtés des patients et des familles.
Le travail de concertation préalable à l’élaboration du projet de loi de révision a été d’une très grande qualité et a suscité un très vif intérêt. Les rapports remis par le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil d’État, l’Agence de la biomédecine, la mission d’information parlementaire que vous avez conduite, de même que les États généraux de la bioéthique n’ont pas laissé l’opinion indifférente.
Si vous en êtes d’accord, je ne traiterai pas du transfert d’embryon post mortem ni de la gestation pour autrui.
Pour ce qui est des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, le maintien du régime actuel d’interdiction assortie de dérogations n’est aucunement préjudiciable à la recherche, ni cognitive ni thérapeutique. L’Agence de la biomédecine pourra désormais autoriser les protocoles de recherche à visée « médicale », et non plus seulement « thérapeutique », puisque la loi va être modifiée en ce sens, ce dont il faut se féliciter car on ne peut subordonner une recherche à ses seules applications. Par ailleurs, les recherches sur les cellules iPS ouvrent de nouvelles perspectives, apportant déjà beaucoup de réponses. Le chercheur que je suis ne voit que des avantages au maintien du principe d’interdiction des recherches sur l’embryon, assorti de dérogations pour des projets ayant reçu l’aval de l’Agence de la biomédecine. Pour avoir siégé durant cinq ans au conseil d’orientation de l’Agence, je puis témoigner que le dispositif actuel n’a jamais entravé l’essor des connaissances, fondamentales ni thérapeutiques.
Je me félicite que l’article 19 du projet de loi permette la mise en œuvre de nouveaux procédés biologiques dans le domaine de l’AMP, comme la vitrification des ovocytes. D’une part, cette technique permettra de limiter le nombre d’embryons surnuméraires congelés. D’autre part, il est bon d’améliorer encore les techniques d’AMP, de façon à pouvoir conserver dans de bonnes conditions les ovocytes ou le tissu ovarien de femmes jeunes, de plus en plus nombreuses à être confrontées à la stérilité, du fait de malformations de l’utérus comme dans le cas du syndrome de Rokistanski Kuster Hauser, d’un cancer de l’utérus, dont il semble qu’une véritable épidémie se propage, ou d’un traitement anti-cancéreux visant n’importe quel organe mais susceptible de porter atteinte à leur fertilité. Rien ne justifie la prudence de la loi française sur ce point dès lors qu’il y a bien un projet d’enfant à la clé. La vitrification d’ovocytes est d’ailleurs autorisée dans les autres pays européens.
Le don croisé d’organes entre vivants, que l’on s’apprête à autoriser – il l’est déjà dans de nombreux pays européens – ne pose pas de problème particulier. Souhaitée par les professionnels, cette pratique permettra de réaliser davantage de greffes. Il faut simplement veiller à éviter les risques de pression sur les donneurs : le projet de loi comporte sur ce point toutes les garanties.
S’agissant du don de gamètes, je ne suis pas favorable à la levée de l’anonymat, à l’instar de nombreux professionnels qui considèrent qu’elle serait de nature à décourager les donneurs potentiels.
Il est bon que l’article 20 du projet de loi à la fois rappelle que le recours à l’AMP est réservé aux couples dont la stérilité est d’origine médicale et l’élargisse aux couples composés d’un homme et d’une femme, liés par un pacte civil de solidarité.
La question de l’information de la parentèle en cas de grave anomalie génétique n’est pas réglée. Il y a un véritable problème quand des personnes refusent d’en informer d’elles-mêmes leurs apparentés. Le respect du secret médical interdit d’aller au-devant des proches concernés en même temps que la prise en compte de leur intérêt exigerait de les informer en cas de maladie génétique pour laquelle existent des mesures de prévention ou des soins. Il n’existe pas de solution idéale dès lors que la protection de la vie privée l’emporte sur l’obligation d’assistance à personne en danger. Le dispositif d’information de la parentèle par le médecin généticien me paraît avoir été poussé le plus loin possible et je crois pas qu’on puisse faire davantage, à charge pour le généticien de trouver les voies et moyens d’informer la parentèle dans le respect de l’esprit de la loi.
Enfin, je me félicite que le titre III du projet de loi renforce l’encadrement des diagnostics pré-implantatoires et prénataux (DPI et DPN), mentionne expressément les échographies fœtales parmi les techniques ayant pour but de détecter une affection grave du fœtus et les encadre également. En même temps que sera recueilli le consentement des couples aux examens, on leur fera signer un formulaire précisant que l’absence d’anomalie détectée ne permet pas d’affirmer en toute rigueur que le fœtus est indemne de toute affection. Cette disposition était très demandée par les professionnels afin de limiter la judiciarisation d’éventuelles erreurs d’interprétation.
M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale. Vous êtes donc favorable à la non levée de l’anonymat.
L’AMP est aujourd’hui réservée dans notre pays aux couples hétérosexuels, mariés ou pouvant justifier de deux ans de vie commune. Aucun médecin spécialiste d’AMP ne sait comment exiger d’un couple la preuve de deux ans de vie commune ni d’ailleurs n’ose le faire. Tous, en revanche, demandent bien sûr au couple depuis quand il a des relations sexuelles sans que la femme ait été enceinte. Et le temps de mettre en route le projet d’AMP, il s’écoule toujours au moins une année. Il est évident qu’un couple qui sollicite une AMP a un problème de stérilité. Puisque les couples n’attendent ni le mariage ni la conclusion d’un PACS ni deux ans de vie commune avant d’avoir des relations sexuelles – c’est là un constat sociologique –, est-il justifié de conserver ces critères ? Au lieu de se questionner à l’infini pour savoir si le mariage et le PACS doivent être considérés comme équivalents ou s’il ne conviendrait pas de ramener la période de vie commune exigée à un an, ne suffirait-il pas de dire que l’AMP est réservée aux couples hétérosexuels en âge de procréer, dont l’infertilité a été médicalement constatée ?
M. Arnold Munnich. Peut-être.
M. le rapporteur. J’ai formulé l’idée qu’on puisse lors d’un DPI – technique autorisée, je le rappelle, uniquement dans le cas d’une maladie génétiquement transmissible « d’une exceptionnelle gravité » – proposer aux femmes à risque, de par leurs antécédents ou leur âge, de réaliser, si elles le souhaitent, en même temps que le dépistage de la maladie recherchée, celui de la trisomie 21 avant l’implantation de l’embryon. Il me semble en effet qu’une femme chez qui aurait été implanté un embryon ayant fait l’objet d’un DPI et qui découvrirait, lors du dépistage proposé au cours du premier trimestre de grossesse, que son fœtus est trisomique, serait en droit de dire qu’elle aurait aimé qu’on lui proposât ce dépistage préalablement et qu’on lui évite la deuxième souffrance que constitue une interruption médicale de grossesse, si elle fait ce choix. L’un des obstacles auxquels on se heurte est que lors d’un DPI, n’est aujourd’hui autorisée que la recherche d’un seul variant génétique. En outre, les associations de parents d’enfants trisomiques s’élèvent contre ce dépistage ciblé, qu’elles jugent stigmatisant pour leurs enfants. Il y a là une vraie question éthique car loin de moi l’idée de stigmatiser quelque maladie que ce soit. Qu’en pensez-vous ?
Pour de multiples raisons, le don d’ovocytes est plus compliqué que le don de spermatozoïdes. L’IGAS a suggéré, dans un rapport, que pour disposer de davantage d’ovocytes, on puisse faire appel aux nullipares alors qu’aujourd’hui, le don n’est ouvert qu’aux femmes ayant eu des enfants. Un autre avantage serait que les ovocytes obtenus seraient de meilleure qualité car provenant de femmes plus jeunes. Compte tenu du risque minime, mais non nul, que comporte la ponction d’ovocytes, pourrait-on imaginer que l’on conserve pour ces femmes certains de leurs ovocytes afin de faire face à une éventuelle stérilité ultérieure ?
M. Philippe Nauche. Je me demande si pour ne pas stigmatiser la trisomie 21, on ne pourrait pas réaliser un caryotype général de l’embryon avant son implantation. Je comprends l’émotion des familles d’enfants trisomiques car il est des parents qui, en dépit d’un diagnostic de trisomie, choisissent de garder leur enfant et leur choix est éminemment respectable.
Pourquoi refuser l’accès à l’AMP à deux femmes pacsées ? En effet, même si chacune d’entre elles n’est pas stérile, le couple qu’elles forment ne peut pas avoir d’enfant.
M. le rapporteur. Et deux hommes pacsés ?
M. Philippe Nauche. Aujourd’hui, la question ne se pose pas. S’agissant des femmes, on sait que celles qui en ont les moyens financiers se rendent à l’étranger, notamment en Belgique, pour avoir accès à ces techniques. Nous ne pourrons pas éviter ce débat.
M. Xavier Breton. Vous avez indiqué, monsieur Munnich, que le régime dérogatoire actuel n’avait pas porté préjudice aux recherches sur l’embryon. Vous vous êtes en même temps félicité qu’il soit désormais possible, comme le prévoit le projet de loi, de conduire des recherches sur l’embryon non plus seulement à visée « thérapeutique » mais « médicale ». N’est-ce pas contradictoire ? Si le dispositif actuel est satisfaisant, pourquoi faudrait-il le faire évoluer ?
Enfin, ne pensez-vous pas que la France devrait s’engager dans la voie d’une limitation du nombre d’embryons surnuméraires, comme l’ont fait l’Allemagne et l’Italie ?
M. Philippe Vuilque. M. Jouannet, que nous avons auditionné avant vous, a regretté qu’on interdise par principe les recherches sur les embryons, qui permettraient pourtant de comprendre pourquoi certains d’entre eux ne se sont pas développés correctement in utero.
M. le rapporteur. Ces recherches sont interdites par principe, mais dans les faits, elles peuvent avoir lieu grâce aux dérogations.
M. Philippe Vuilque. Le régime dérogatoire est nécessairement plus lourd et moins souple. Dès lors qu’un embryon ne s’est pas développé, pourquoi s’interdire d’en comprendre les raisons, ce qui, à terme, profiterait à tous les autres embryons ?
M. Arnold Munnich. Ce qui me gênait dans la formulation de la loi de 2004 était qu’elle n’autorisait les recherches sur l’embryon que si elles avaient des visées thérapeutiques. Or, en ce domaine pas plus qu’en d’autres, on ne peut subordonner la recherche à ses seules applications. Le terme « médical », plus large, me semble plus approprié, incluant des finalités cognitives, comme comprendre pourquoi l’implantation d’un embryon a échoué.
L’essor des connaissances retirées des recherches sur les iPS va nous affranchir de la nécessité de travailler sur des cellules souches embryonnaires.
M. le président Alain Claeys. Beaucoup des chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit le contraire.
M. Arnold Munnich. Parce qu’ils défendent des points de vue d’une autre nature que strictement scientifique.
M. le président Alain Claeys. Vous ne pouvez pas dire cela.
M. Arnold Munnich. Je suis convaincu que si les cellules souches ont un avenir, celui-ci passera bien plutôt par les cellules adultes que par les cellules embryonnaires.
Il me paraît très important de maintenir l’interdiction des recherches sur l’embryon, petit d’homme auquel est dû en tant que tel un respect particulier. La loi pose des principes universels. Celui du respect dû à l’embryon en est un. On ne modifie pas la loi pour régler des questions particulières ou pratiques, aussi importantes soient-elles. Le dispositif proposé me paraît raisonnable et équilibré. Il ne freine en rien l’essor des connaissances. Si on vous dit le contraire, ce sont des carabistouilles.
M. le président Alain Claeys. Je respecte totalement votre point de vue mais vous ne pouvez pas traiter ainsi vos autres collègues chercheurs.
M. Arnold Munnich. Sortons de l’idéologie et considérons les choses avec pragmatisme. Le régime actuel d’interdiction avec dérogation, de surcroît lorsque celle-ci sera pérenne, n’interdit pas de mener les recherches nécessaires sur les cellules souches embryonnaires, à visée désormais cognitive ou thérapeutique, sur des projets précis, autorisés par l’Agence de la biomédecine. Quand on prétend le contraire, je demande à en connaître cas par cas.
M. Jean-Sébastien Vialatte. J’ai l’impression que l’interdiction assortie de dérogations représente pour vous un pis-aller et que vous seriez même favorable à une interdiction totale des recherches sur l’embryon.
M. Arnold Munnich. Pas du tout. Je n’ai jamais dit cela.
Mme Catherine Coutelle. Permettez-moi de vous trouver quelque peu jésuite. Je ne comprends pas comment vous pouvez à la fois être favorable à l’interdiction des recherches tout en défendant le principe d’une dérogation permanente. On n’adresse pas ainsi un signal très positif au monde de la recherche.
M. Arnold Munnich. Il n’est pas question d’empêcher la science de progresser…
Mme Catherine Coutelle. C’est, hélas, le sentiment que cela donne.
M. Arnold Munnich. L’esprit de la loi est d’obéir à un principe qui est de considérer l’embryon comme né chaque fois que son intérêt l’exige. Il appartient à la loi de défendre des principes, en l’espèce celui que l’embryon mérite le respect en tant que petit d’homme – sans que cela empêche de mener, sur dérogation, des recherches d’ordre médical dans un cadre bien précis.
Mme Michèle Delaunay. Ce qui doit nous guider dans l’élaboration de ces lois de bioéthique, comme nous y invite d’ailleurs le mot lui-même, est le souci de toujours favoriser la vie. Effectuer des recherches sur un embryon afin de comprendre par exemple l’échec de son implantation, c’est aller dans le sens de la vie. Ce principe me paraît supérieur à celui, en définitive assez dogmatique, du respect dû à l’embryon. En effet, celui-ci n’est un petit d’homme que s’il a la possibilité de se développer et de donner naissance à un enfant.
Mme Catherine Génisson. La recherche sur l’embryon et la recherche sur les cellules embryonnaires sont des sujets différents, M. Jouannet nous l’a bien expliqué. Pourquoi s’interdire spécifiquement les recherches sur l’embryon alors qu’elles pourraient être si utiles pour améliorer la qualité des embryons, voire fournir des connaissances importantes sur la santé de l’adulte, et que par ailleurs, on mène des recherches biomédicales sur la personne humaine à tous les âges de la vie ?
Qu’est-ce qui vous permet, professeur, d’affirmer avec autant de certitude que les recherches sur les cellules souches embryonnaires sont « derrière nous » ? Et pourquoi êtes-vous si attaché au régime d’interdiction avec dérogation, y compris permanente, plutôt qu’à un régime d’autorisation avec encadrement ?
Mme Edwige Antier. De par votre expérience de médecin généticien auprès d’enfants atteints de très graves maladies génétiques et de leurs familles, dont vous savez la souffrance et que vous accompagnez, vous êtes particulièrement bien placé pour vous exprimer sur ces sujets, professeur. Vous n’êtes pas un praticien ou un chercheur qui travaille seulement sur des gamètes, des embryons ou des cellules embryonnaires. Vous suivez des individus et des familles sur le long terme. Vous savez donc mieux que quiconque l’importance d’encadrer très strictement tout projet de recherche sur l’embryon. Je souhaitais vous encourager dans votre parole.
Mme Jacqueline Fraysse. L’objectif, devenu assez consensuel, il faut s’en féliciter, est de ne pas entraver les recherches sur l’embryon au profit d’avancées pour l’humanité. Je suis, pour ma part, plutôt favorable à une autorisation encadrée. Vous pensez, monsieur Munnich, que cette autorisation serait une marque d’irrespect à l’égard de l’embryon. Je ne partage pas cet avis d’autant que les recherches biomédicales sont autorisées sur la personne humaine adulte.
M. Arnold Munnich. L’embryon ne peut pas, lui, donner son accord. En outre, toute recherche sur lui aboutit à sa destruction, contrairement aux recherches sur la personne humaine.
Mme Jacqueline Fraysse. Je me demande si l’interdiction de ces recherches ne constitue pas un plus grand manque de respect et je ne peux m’empêcher de trouver hypocrite le maintien de cette interdiction, assortie d’une dérogation pérenne.
M. Arnold Munnich. Je ne suis ni jésuite ni hypocrite. Je porte seulement une attention particulière au respect de la vie humaine, étant entendu que l’embryon, potentialité de vie humaine, mérite le respect en tant que tel. C’est, je crois, une valeur commune que nous partageons tous.
Sur le plan pratique, interdiction avec dérogation ou autorisation avec encadrement reviennent au même. Mais il y a une différence majeure sur le plan des principes. Or, des principes réaffirmés dans nos lois dépend la pérennité de nos valeurs fondamentales. Certaines modifications législatives peuvent faire vaciller ces valeurs. Faisons confiance à l’Agence de la biomédecine, qui réalise un travail remarquable. Elle n’a jamais empêché aucun projet de recherche de qualité d’être mené à bien. Elle empêche seulement qu’on fasse n’importe quoi avec les embryons et les cellules embryonnaires.
Un mot maintenant du dépistage de la trisomie 21 au cours d’un DPI. Il faut savoir que le DPI est réalisé sur un embryon comptant huit blastomères. Deux sont nécessaires parce qu’on ne peut réaliser qu’un test par blastomère et qu’il faut effectuer un second test de contrôle. Pour pratiquer le DPI depuis maintenant dix ans, en lien avec les équipes de René Frydman, je puis vous certifier qu’il n’est pas possible aujourd’hui sur le plan technique de dépister une deuxième maladie, en tout cas sans compromettre la fiabilité du DPI. Prétendre le contraire, c’est vendre du rêve.
Mme Catherine Génisson. Cela ne nous avait jamais été dit.
M. Arnold Munnich. Enfin, le dépistage de masse d’une maladie génétique est contraire à l’esprit de la loi. Autant chez une mère qui a déjà perdu plusieurs enfants d’une maladie génétique gravissime, il me paraît légitime de rechercher si un nouvel embryon est ou non atteint, autant le dépistage systématique de la trisomie 21, aussi bien en DPI qu’en DPN, ne me paraît pas justifié.
Mme Catherine Génisson. Il est systématiquement effectué en prénatal.
M. Arnold Munnich. Par le biais d’analyses des marqueurs sériques et par l’échographie fœtale.
M. Jean-Sébastien Vialatte. Il y a un vrai problème éthique avec le dépistage de cette maladie aujourd’hui car il est désormais systématiquement proposé, quel que soit l’âge de la femme, même en l’absence de tout facteur de risque particulier.
M. Arnold Munnich. Il est proposé, pas imposé.
M. Jean-Sébastien Vialatte. Lorsqu’un gynécologue indique à une femme enceinte qu’un dépistage de la trisomie 21 peut être effectué sur son fœtus et lui demande si elle le souhaite, il me semble que la réponse est contenue dans la question !
M. Arnold Munnich. Un dernier mot sur l’ouverture du don d’ovocytes aux nullipares. Si ces donneuses sont bien volontaires, seulement défrayées des frais qu’elles ont pu exposer, en aucun cas rémunérées, et qu’on leur offre en contrepartie la possibilité de conserver des ovocytes au cas où elles deviendraient ultérieurement stériles, pourquoi pas ? C’est une piste intéressante.
M. le président Alain Claeys. Monsieur Munnich, je vous remercie de votre participation à nos travaux.
La séance est levée à seize heures trente.
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Présences en réunion
Réunion du Mercredi 19 janvier à 14 heures
Présents. - Mme Edwige Antier, Mme Martine Aurillac, M. Xavier Breton, M. Yves Bur, M. Alain Claeys, M. Georges Colombier, Mme Catherine Coutelle, Mme Michèle Delaunay, Mme Sophie Delong, M. Jacques Domergue, Mme Laurence Dumont, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Patrick Gille, M. Gaëtan Gorce, M. Michel Heinrich, Mme Françoise Hostalier, M. Olivier Jardé, M. Paul Jeanneteau, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Guy Lefrand, M. Marc Le Fur, M. Jean Leonetti, M. Guy Malherbe, M. Noël Mamère, M. Hervé Mariton, Mme Martine Martinel, M. Alain Marty, M. Philippe Morenvillier, M. Philippe Nauche, M. Jean-Marc Nesme, Mme Marie-Renée Oget, M. Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-Luc Préel, M. Didier Quentin, Mme Marie-Line Reynaud, M. Dominique Souchet, M. Jean-Louis Touraine, M. Philippe Tourtelier, M. Michel Vaxès, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Philippe Vuilque
Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Jean-François Chossy
Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Pascale Gruny