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Compte rendu

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Mercredi 19 janvier 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 07

Présidence de M. Alain Claeys, Président

– Audition de M. Xavier Bertrand, Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé et de Mme Nora Berra, Secrétaire d’État auprès du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, chargée de la Santé 2

– Présences en réunion 15

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Bioéthique

Mercredi 19 janvier 2011

La séance est ouverte à seize heures trente.

(Présidence de M. Alain Claeys, président)

La Commission spéciale se réunit en vue de procéder à l’audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, et de Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé.

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Comme il est d’usage, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, votre audition clôt la série des auditions, en nombre limité, menées par la Commission spéciale.

Des auditions en nombre limité, disais-je : succédant à la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, qui avait abordé l’ensemble des sujets, cette Commission spéciale a en effet pu se consacrer, pour l’essentiel, à trois thèmes : la recherche sur l’embryon, l’anonymat du don de gamètes et la gestation pour autrui (GPA), dont le projet de loi ne fait pas mention mais qui avait fait débat au sein de la mission.

Nous examinerons la semaine prochaine le projet de loi, élaboré par votre prédécesseur. Nous souhaiterions que vous explicitiez aujourd’hui les choix qui ont été retenus pour ce texte.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Ce projet de loi est l’aboutissement d’une longue période de réflexion et de riches débats préparatoires. Sous votre conduite éclairée, monsieur le président, monsieur le rapporteur, la commission spéciale a mené un travail de grande qualité, en évitant toute fracture partisane. La richesse des auditions, la pertinence des sujets abordés, la transparence des conclusions ont contribué à nous éclairer sur les grands enjeux du texte.

Ce projet de loi est attendu. Il est également nécessaire, puisque cette révision de la loi de 2004 était expressément prévue par cette dernière – et, à ce propos, je veux rendre hommage au rapporteur de l’époque, Pierre-Louis Fagniez, pour son souci de prendre en compte les évolutions de la société comme de la médecine. Mais il s’agit aussi, comme le Président de la République l'a rappelé lors de ses vœux aux parlementaires, d’un texte sensible, dans la mesure où il touche à la définition même de la personne humaine.

Avec Nora Berra, nous abordons ce débat sans a priori, conscients de l'ampleur et de la complexité des questions. Près de vingt ans après le vote des premières lois de bioéthique, il nous faut encore chercher à concilier les progrès de la science et de la recherche médicale, les revendications individuelles et les principes éthiques.

Ces questions ne sont pas réservées aux spécialistes et aux experts : j’en veux pour preuve le succès des états généraux de la bioéthique, organisés en 2009, qui ont intéressé, au-delà des chercheurs, du monde médical, des universitaires et des juristes, tous nos concitoyens.

Ces états généraux ont aussi montré l'adhésion des Français aux principes fondateurs des lois de bioéthique : le respect de la dignité humaine et le refus de toute forme de marchandisation et d'exploitation biologique du corps humain. Ce sont ces principes que nous avons tenu à préserver dans le projet de loi et que je revendiquerai en tant que ministre lors de son examen.

Nous disposons aujourd'hui d'un corpus de règles appropriées et proportionnées. Comme vous le savez, ce projet de loi ne comporte plus de clause de révision périodique des lois de bioéthique, mais le législateur n’en devra pas moins continuer d’exercer sa vigilance à l'égard de toute nouvelle avancée, et il pourra réviser la loi chaque fois qu’il le jugera nécessaire, sans être entravé par l’existence de « rendez-vous » fixés d’avance.

Je voudrais revenir sur les innovations que comporte ce projet de loi. Comme vous le savez, la loi de 2004 avait ouvert la possibilité de recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires, par dérogation au principe d'interdiction, pour une période limitée à cinq ans. Ces possibilités arrivent à échéance le 6 février prochain.

Le Gouvernement partage les conclusions de la mission d'information sur cette question, et propose de maintenir l'interdiction de principe des recherches sur l'embryon. Par conséquent, le texte pérennise la possibilité de mener des recherches sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires, mais cette possibilité constitue toujours une dérogation au principe de l'interdiction.

Ce nouveau cadre donnera aux chercheurs suffisamment de visibilité pour conduire leurs projets dans la durée. En même temps, le maintien du principe d'interdiction montre l'importance que notre société accorde à la protection de l'embryon. La mesure peut sembler symbolique mais, s’agissant d’une question aussi sensible que le respect de l'embryon et de la vie humaine dès son commencement, les symboles ont leur importance. Et cette position n’est pas une position de fermeture mais, simplement, de fermeté. De fermeté sur les valeurs.

En ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation, le texte permet notamment la mise en œuvre de la vitrification des ovocytes. Ce procédé de congélation ultrarapide permet de mieux conserver les ovocytes, et donc de réduire le nombre d'embryons congelés.

Par ailleurs, les couples liés par un pacte civil de solidarité seront, par souci d’égalité avec les couples mariés, éligibles à l'assistance médicale à la procréation dès la conclusion du pacte.

Le projet de loi favorise aussi l'accès aux origines pour les personnes issues d'un don de gamètes. S'inspirant de la proposition du Conseil d'État, il privilégie l'option consistant à ne lever l'anonymat qu'avec le consentement du donneur. Je sais que ce point fait l'objet de débats au sein de votre commission. Je comprends et partage les réticences de certains. C’est pourquoi j’ai besoin d’entendre les uns et les autres s’exprimer sur cette question.

Tous les projets de loi sont importants, mais certains sont davantage porteurs de sens. Au travers de ce texte, nous nous interrogeons sur notre responsabilité, sur les valeurs qui fondent notre société, sur le sens du progrès technique. Nous savons que les réponses que nous apporterons à ces questions nous engagent vis-à-vis des générations futures. Les questions de bioéthique sont des questions difficiles. Nous pensons, avec Nora Berra, que cela nous impose d'y apporter des réponses claires avec la participation active de la représentation nationale.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé. À travers ce projet de loi, nous sommes effectivement conviés à une interrogation essentielle sur notre responsabilité et sur les valeurs qui fondent notre société. Les enjeux sont considérables, non seulement parce que ce texte a trait à l’exercice des libertés individuelles et au respect de la dignité humaine, mais aussi parce que, vingt ans après le vote des premières lois de bioéthique, il s’agit de s’adapter à de nouvelles perspectives.

La demande sociale d’aménagement et d’assouplissement tournée vers la satisfaction des aspirations individuelles a pris le pas. Néanmoins, le besoin d’encadrement continue de se faire sentir, notamment face aux progrès rapides des technologies médicales qui peuvent démultiplier les risques de dérive.

Permettez-moi de revenir sur certains points de ce projet de loi. L’article 5 traite des dons croisés d’organes. Malgré l’efficacité des techniques chirurgicales, des traitements anti-rejet et l’amélioration de la qualité de vie des personnes greffées, nous devons faire face, vous le savez, à une pénurie préoccupante de greffons. Depuis 2004, le nombre de greffes n’a que très faiblement augmenté, passant seulement de 3 900 à 4 600, cependant que celui de donneurs vivants restait stable, à un niveau très bas.

Le texte de loi comporte une avancée notable, puisqu’il ouvre la possibilité d’organiser la pratique de dons croisés entre donneurs vivants, en n’en réservant plus le bénéfice à la seule parentèle proche, mais en encadrant plus fortement ce type de prélèvement.

Les formalités demeurent inchangées pour le receveur. Pour le donneur, la procédure de consentement, très lourde, a été maintenue, afin de s’assurer de l’absence de coercition. Informé par le comité d’experts des risques qu’il encourt et des conséquences éventuelles du prélèvement, l’intéressé exprime son consentement libre et éclairé, consentement à tout moment révocable. Sur le plan pratique, les prélèvements et les greffes doivent être réalisés de manière simultanée : contrainte forte, mais qui apparaît indispensable pour le succès des interventions en réduisant le temps d’ischémie.

Ces dispositions, qui pourraient concerner cinquante à cent greffes par an, pourraient faire croître le nombre total de greffes et celui des donneurs vivants, qui ne comptaient que pour moins de 8 % des donneurs en 2009.

En ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation, le projet de loi autorise la mise en œuvre de procédés à même d’améliorer sensiblement les techniques. C’est le cas de la vitrification d’ovocytes, qui a déjà fait ses preuves ailleurs en Europe : cette technique devrait éviter d’avoir à féconder tous les ovocytes et donc permettre, en diminuant le nombre de ceux qui seront prélevés, de réduire celui des embryons surnuméraires.

S’agissant du diagnostic prénatal, le texte renforce l’accompagnement et l’information de la femme enceinte, en particulier lorsqu’une affection d’une particulière gravité est suspectée. Il vise à améliorer la qualité du diagnostic prénatal et à garantir un service de qualité homogène sur le territoire national.

Le recueil du consentement écrit de la femme enceinte, après une information adaptée sur les objectifs, sur les modalités, sur les risques et sur les limites des examens de diagnostic prénatal, constitue une avancée importante. L’accent ainsi mis sur l’information garantira que l’intéressée reste entièrement maîtresse de sa décision de poursuivre ou non sa grossesse.

Le projet de loi fait évoluer le dispositif relatif à l’accès aux origines, pour les personnes issues d’un don de gamètes. Le donneur sera désormais informé au moment du don de la possibilité d’une levée de son anonymat, mais son consentement ne sera sollicité que lorsque l’enfant manifestera son désir de connaître ses origines.

À titre personnel, j’estime que le secret peut avoir des effets délétères sur le devenir de l’enfant. L’intérêt de l’enfant issu du don, qui peut souhaiter connaître certains éléments de son histoire naturelle ou des éléments médicaux, doit en tout cas être pris en considération, sans toutefois négliger celui du donneur, qui peut vouloir garder l’anonymat, ni celui des parents, qui peuvent ne pas souhaiter révéler les circonstances de la naissance. Divers risques afférents à la levée de l’anonymat ont été évoqués. Pour ma part, j’insisterai sur la nécessité de ne pas négliger les aspects psycho-affectifs, en se limitant au biologique.

Je veux rendre hommage au travail important que vous avez fourni et à votre souci constant d’apporter des réponses courageuses à des questions sensibles, touchant à l’humain. Vous avez été guidés par un esprit de modestie, par une grande détermination et par la conscience des intérêts supérieurs de notre société, qui vous ont permis de tracer des limites claires, indispensables à un exercice raisonné des libertés individuelles.

Ces sujets ont en commun de toucher à l’intime de chacun, mais ils nous touchent aussi collectivement. Une phrase de George Sand dans Histoire de ma vie me paraît parfaitement résumer cet engagement humaniste : « La vraie vie de chacun, c’est la vie de tous ».

M. Jean Leonetti, rapporteur. Les travaux de la mission d’information, notamment, ont permis de dégager trois conclusions qui ont servi de guides à cette commission spéciale. Premièrement, nous devons avoir pour objectif de respecter la dignité humaine sans entraver la recherche médicale, et cela apparaît possible. Deuxièmement, la recherche du tout génétique est un danger pour notre société et, surtout dans notre République, l’éducatif et l’affectif doivent primer sur le biologique. Enfin, la médecine est essentiellement faite pour réparer des anomalies ou soigner des pathologies, et non répondre à toutes les insatisfactions qui s’expriment dans notre société, ou aux désirs individuels.

Partant de là, nous avons choisi de nous pencher sur trois sujets. Le premier, que je me permettrai, avec l’accord de mes collègues, d’éliminer rapidement, concerne la gestation pour autrui : l’immense majorité des députés ayant participé à la mission d’information et à la Commission spéciale ne défend pas l’idée d’une autorisation, que le projet de loi n’a d’ailleurs pas retenue.

Le deuxième sujet est le don de gamètes. Il existe une différence majeure entre les conclusions de la mission d’information et le projet de loi, qui prévoit une levée, certes encadrée, de l’anonymat. Je passerai sur le problème de la rétroactivité de la loi et sur la crainte qu’ont exprimée les CECOS et les médecins de voir baisser le nombre de ces dons pour m’en tenir aux questions de principe. La recherche du « père biologique », expression malheureuse que l’on rencontre parfois, est contraire aux valeurs que nous défendons tous. Il n’y a pas d’histoire à rechercher, comme dans les cas d’abandon ou de naissance sous X, lorsque le don est altruiste et gratuit. Le génétique ne doit pas prendre le pas sur l’apport affectif et éducatif des parents – non pas les « vrais parents », mais les seuls parents. Sur ce point, il semblerait que se dégage une majorité plus large que la simple majorité présidentielle.

J’ai avoué mes hésitations concernant la recherche sur l’embryon. Je suis revenu aujourd’hui à la position que vous préconisez, monsieur le ministre. J’aurais souhaité parvenir à un clivage entre le « tout » et la « partie », comme l’a dit Axel Kahn, entre la recherche sur l’embryon, qui aurait été interdite avec possibilité de dérogation, et la recherche sur la cellule souche embryonnaire, qui aurait été autorisée. Mais juridiquement, biologiquement et éthiquement, cette différence est quasiment impossible à établir.

Il faut donc choisir entre les deux régimes. Je me prononcerai en faveur de l’interdiction avec dérogation, pour une raison simple, souvent évoquée par Paul Jeanneteau : partout dans le code civil, la vie, dès qu’elle est constituée, est protégée. S’écarter sur un point de ce principe de protection de l’embryon remettrait en cause les autres dispositions de ce code.

Dernier problème, soulevé par la mission parlementaire mais qui trouve une nouvelle actualité avec le rapport auquel travaille actuellement l’IGAS en vue de vous le remettre en février : pourquoi le nombre des dons d’ovocytes est-il si faible ? La raison de cette pénurie est simple : les femmes, pour donner leurs gamètes, doivent se soumettre à une stimulation hormonale et à une ponction, accepter la douleur, les déplacements fréquents et un risque potentiel pour leur santé. Pour remédier à ce problème, la commission spéciale a largement rejeté la solution d’une indemnisation qui s’apparenterait, comme dans le système espagnol, à une rémunération. Mais elle pourrait se prononcer en faveur d’une autre, qui ne faisait pas partie des préconisations de la mission d’information : cette proposition consisterait à rendre les femmes nullipares éligibles au don, en contrepartie de quoi certains de leurs ovocytes seraient conservés pour elles, en cas d’infertilité ultérieure.

En tant que rapporteur, je suis donc opposé à la levée de l’anonymat du don de gamètes et favorable au principe d’interdiction avec dérogation de la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires. Cependant, cette interdiction serait assortie d’une précaution : la remise du rapport de l’Agence de la biomédecine (ABM) à l’OPECST serait suivie d’un débat à l'Assemblée nationale, débat qui comporterait obligatoirement un volet sur l’état de la recherche en France afin que nous puissions vérifier que ses progrès ne sont pas entravés par la législation. Si tel était le cas, nous serions alors amenés à revoir notre position.

M. le président Alain Claeys. Jusqu’à présent, je me suis efforcé de présider en intervenant le moins possible dans le débat. Mais, pour la clarté de celui-ci, je souhaiterais vous poser quelques questions, monsieur le ministre.

Nous sommes d’accord pour estimer que la France s’est dotée d’un encadrement rigoureux de la recherche. L’ABM fait correctement son travail, ses autorisations ne sont pas contestées et elle est régulièrement évaluée. Son comité d’éthique fonctionne, tout comme le Comité consultatif national d’éthique (CCNE).

De fait, je ne conçois pas de recherche sur les cellules souches embryonnaires sans un tel encadrement. Mais je ne comprends pas que, d’une certaine façon, vous accordiez davantage d’importance à la recherche sur des cellules souches embryonnaires – qui ne peuvent être issues, je le rappelle, que d’embryons surnuméraires voués à la destruction – qu’à la destruction même des embryons surnuméraires. Vous me direz que cela ne change pas grand-chose. Pourtant, cette position n’est pas neutre : elle modifie fondamentalement la relation avec les chercheurs, puisqu’elle donne le sentiment qu’il y aurait des recherches plus ou moins éthiques. Même si le principe d’interdiction avec dérogation n’a pas freiné l’approbation des protocoles de recherche, il a créé, j’en suis convaincu, un malaise important chez les chercheurs. Par ailleurs, ces derniers travaillent sur des lignées de cellules souches embryonnaires importées. Cela donne l’impression que la France est prompte à exporter ses problèmes d’éthique, mais aussi à importer les résultats obtenus ailleurs. Je n’arrive pas à comprendre votre position, et je souhaiterais que vous l’explicitiez.

Deuxième question, très technique : l’ABM a pouvoir d’autoriser les protocoles de recherche jusqu’au 6 février. Qu’avez-vous prévu pour qu’elle puisse travailler durant l’intervalle qui nous sépare du vote de la prochaine loi ?

Enfin, pourquoi n’autoriserait-on pas la recherche au profit de l’embryon ? Le professeur Jouannet nous faisait valoir que l’on mène des recherches sur l’être humain tout au long de sa vie. Où en êtes-vous de cette réflexion et êtes-vous prêt à ouvrir le débat sur cette question ?

M. le ministre. En avez-vous débattu au sein de votre commission ? Une position d’ensemble se dégage-t-elle ?

M. le rapporteur. Il ne faudrait pas laisser accroire que la France s’interdit des recherches sur les cellules souches embryonnaires ou sur l’embryon. La dérogation, désormais, est définitive : cela met un terme au moratoire de cinq ans, qui constituait un frein à la recherche.

Par ailleurs, nous nous inscrivons dans une continuité logique : congeler l’embryon constituait déjà en quelque sorte une expérimentation. Pourra-t-on conduire demain des recherches sur l’embryon et sur son environnement pour améliorer l’implantation ? La substitution de la notion de « progrès médical majeur » à celle de « progrès thérapeutique majeur » fait que, désormais, pourront être autorisés les projets de recherche sur l’embryon dans le but d’améliorer la procréation médicalement assistée (PMA), ou sur la viabilité des embryons.

M. le président Alain Claeys. Avec tout le respect que je vous dois, je pense que vous faites erreur. Dans le projet de loi, comme dans la loi de 2004, cette recherche est subordonnée, non seulement à l’accord parental, mais aussi à l’absence d’implantation ultérieure.

M. le rapporteur. En effet, dès l’instant qu’une recherche assez large est autorisée, il est interdit de se servir de cet embryon et de l’implanter pour faire ce que le professeur Mattei appelait des « essais d’homme ». On ne manipule pas l’humain. En revanche, dans le cadre de la PMA, l’embryon récupéré peut être soumis à expérimentation, dans le but de comprendre pourquoi il était ou non viable.

La recherche sur l’amélioration de la fécondation est possible. L’illustre le cas de la vitrification des ovocytes, qui est une manipulation de gamètes dans le but de créer un embryon, donc indirectement une expérimentation sur l’embryon destiné à naître : cette méthode, dont il a été prouvé – à l’étranger, en Italie en particulier – qu’elle est reproductible, de qualité et fiable, va être autorisée.

Mme la secrétaire d’État. J’ai bien compris la préoccupation des chercheurs, qui souhaiteraient que le cadre de la recherche soit assoupli…

M. le président Alain Claeys. Les chercheurs ne remettent nullement en cause l’encadrement. Ils sont unanimes à le juger satisfaisant et à estimer qu’il ne gêne pas la recherche.

Mme la secrétaire d’État. Ce qui compte, c’est que la recherche puisse s’organiser en France. Il est de notre responsabilité de mettre des garde-fous pour éviter l’utilisation intempestive d’embryons.

M. le président Alain Claeys. Mais il s’agit d’embryons surnuméraires voués à la destruction !

Mme la secrétaire d’État. Quand bien même. Nous devons poser des limites pour éviter que ces recherches n’ouvrent la porte à des dérives que, tous, nous refusons. De toute manière, ce qui importe, c’est que la recherche puisse s’opérer. Votre avis est assez controversé, monsieur le président. Certains sont favorables au maintien de l’interdiction, avec dérogation. Il y a une dualité des avis. Il nous faut l’entendre. La disposition contenue dans le projet de loi permet un encadrement rigoureux tout en autorisant le développement de la recherche. C’est un heureux compromis.

M. le ministre. Parlons librement, monsieur le président. Votre point de départ était intéressant. Vous disiez : l’encadrement est satisfaisant, l’ABM fait son travail, pourquoi alors changer de régime ?

M. le président Alain Claeys. Ce n’est pas ce que j’ai dit ! Mon point de départ, c’est le texte que nous avons voté en première lecture en 2002, lorsque j’étais rapporteur. J’ai dit : l’encadrement est satisfaisant, pourquoi donc maintenir une interdiction ?

M. le ministre. Mais de quel encadrement parlez-vous ? De celui qui résulte de la loi actuelle, ou de celui que définissait le texte de 2002 ?

M. le président Alain Claeys. Je parle de l’ABM, de l’accord parental sur les embryons surnuméraires, de l’interdiction de toute implantation après recherche sur les cellules souches embryonnaires. Aucun chercheur ne remet en cause cet encadrement. Mais pourquoi maintenir le principe d’interdiction, à partir du moment où l’encadrement est satisfaisant et où ces embryons sont voués à la destruction au bout de cinq ans ?

M. le ministre. Je saisis maintenant la cohérence de votre propos. Pour autant, je ne partage pas votre point de vue. Vous nous demandez pourquoi nous souhaitons davantage encadrer la recherche sur l’embryon que sa destruction. Ce qui est en cause, c’est le respect dû à cet embryon. On ne peut admettre qu’il soit utilisé, non plus que les cellules qui en sont issues, à n’importe quelles fins – au reste, le code civil aussi bien que le code de la santé en prohibent l’utilisation à des fins industrielles ou commerciales. Nous n’avons pas voulu déplacer le curseur, car nous pensons qu’il faut maintenir les garanties existantes.

J’en viens à votre question « technique ». Dans le meilleur des cas, la loi sera votée en juillet. Les chercheurs ont déposé leurs projets de recherche en septembre. Ils pourront en déposer de nouveaux dès le vote. Dans l’intervalle, et à partir du 6 février, des dispositions transitoires permettront d’éviter le moindre vide juridique. Nous nous engageons à ce qu’il n’y ait pas d’interruption dans le processus de recherche et à maintenir la visibilité pour les chercheurs. Nous préciserons tous ces points lors des débats parlementaires, ce qui aura force juridique.

M. Philippe Nauche. Dans un souci d’équilibre, il est légitime de s’interroger à la fois sur les tentations de réification de l’embryon, que nous rejetons tous ici, et sur l’autre extrême, la sacralisation, purement littéraire, d’embryons destinés à être détruits. Le discours sur la protection de l’embryon ne sert-il pas uniquement à se donner bonne conscience, quand on sait très bien que les embryons surnuméraires seront détruits ?

M. le rapporteur. La protection du fœtus n’empêche pas l’existence d’une loi sur l’avortement.

M. Philippe Nauche. Absolument.

Le recours à l’AMP est réservé aux cas d’infertilité naturelle d’un couple. Le fait que ne puissent y avoir accès que les couples hétérosexuels – mariés, pacsés ou ayant une relation stable depuis deux ans – ne manquera pas de faire débat dans les jours qui viennent, sachant que les femmes homosexuelles pacsées bénéficient de ces techniques à l’étranger. Quelle est votre position sur cette question ?

S’agissant du don de gamètes, autant je suis en faveur de davantage d’informations non identifiantes, autant je pense que la révélation de son nom ne fait pas du donneur un père. Évitons de créer un père supplémentaire, ce qui n’aurait pas de sens !

M. Philippe Vuilque. Pourquoi nous faire croire qu’il n’y aurait aucune différence entre une interdiction de principe assortie de possibilités de dérogation et une autorisation de recherche encadrée ? Un principe est la résultante d’une conception de la vie, d’un état de la société et du respect de valeurs morales et religieuses propres à une époque donnée. Or, en l’espèce, le seul principe qui vaille est de favoriser la vie. Pourquoi ne pas s’y employer quand on dispose d’embryons surnuméraires voués de toute façon à la destruction et dont l’utilisation ne soulève par conséquent aucun problème éthique ? En cas d’échec de l’implantation lors d’une PMA, pourquoi s’interdire de savoir pourquoi l’embryon est mort ? L’exemple de l’autopsie, interdite au Moyen Âge au nom de valeurs morales et religieuses, ne montre-t-il pas que les interdictions de principe doivent être remises en cause lorsqu’elles sont en décalage par rapport aux besoins de la recherche ?

M. Xavier Breton. En matière de recherche sur l’embryon, quelle est la portée exacte de la substitution de « progrès médical majeur » à « progrès thérapeutique majeur » ? Quels champs de recherche ouvre-t-elle ?

Pensez-vous que notre pays témoigne d’une volonté insuffisante en matière de recherche publique sur les cellules reprogrammées ? Un effort doit-il être consenti pour rattraper un retard éventuel ? Pensez-vous que la France doive s’engager, comme l’Allemagne par exemple, à limiter la production d’embryons surnuméraires, ce que permettrait la vitrification d’ovocytes ?

Quelle analyse faites-vous, enfin, de la manière dont notre pays pratique le diagnostic prénatal, notamment pour le dépistage de la trisomie 21 dont la quasi-généralisation aboutit à l’élimination des fœtus porteurs de cette maladie ?

M. le ministre. Pensez-vous, monsieur Breton, que, sur ce dernier point, il faut s’en tenir à la situation actuelle ?

M. Xavier Breton. Non. Et même si le projet de loi comporte des mesures intéressantes, je pense qu’on pourrait aller au-delà, en termes d’information et d’accompagnement.

Mme Catherine Génisson. En matière de recherche sur l’embryon, nous jugeons tous le dispositif opérationnel et l’encadrement satisfaisant. Pour autant, reconnaissons que la position de la France est singulière, pour ne pas dire hypocrite. Veut-on inviter les chercheurs à s’interroger sur leur démarche pour prévenir toute dérive ou est-ce le contexte culturel de notre pays qui explique l’attachement du Gouvernement à la rédaction retenue ? Pour ma part, je préférerais une autorisation encadrée.

Sur le diagnostic prénatal relatif à la trisomie 21, je considère que le débat éthique a été « zappé ». Toutes les femmes enceintes se voient aujourd’hui proposer un diagnostic, qu’elles acceptent, et s’il révèle une anomalie, 96 % d’entre elles recourent à l’interruption médicale de grossesse (IMG). Dans ces conditions, est-il encore possible de revenir à un débat éthique sur ce sujet ?

Enfin, l’article 13 du projet alourdit les conditions d’accès à l’interruption de grossesse pratiquée pour motif médical. Ne crée-t-on pas ainsi une difficulté supplémentaire pour les femmes qui devront en bénéficier ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Pour la recherche sur l’embryon, je partage l’avis du président, plutôt que celui du rapporteur : je préférerais un régime d’autorisation. J’ai en effet bien du mal à comprendre en quoi il est préférable qu’un embryon soit détruit par décongélation brutale sur une paillasse plutôt de servir à la recherche. À mon sens, si un problème éthique se pose, c’est en amont, lors de la conception des embryons. Est-il normal de fertiliser systématiquement jusqu’à huit ovules, alors que le guide des bonnes pratiques prévoit de ne jamais en réimplanter plus de deux à la fois ? Nous devons régler le problème de la conception des embryons surnuméraires, dont le professeur Jouannet a évalué le nombre total à 150 000, 60 000 embryons supplémentaires étant congelés chaque année.

Mme Martine Martinel. Monsieur le ministre, après avoir loué le travail des états généraux de la bioéthique et du forum citoyen de Rennes, qui ont mis l’accent sur la paternité sociale plutôt que biologique, comment justifiez-vous la levée de l’anonymat que prévoit le texte ? En quoi est-ce une solution puisque, à supposer que les personnes concernées la demandent, ce sera de toute façon au donneur de décider ?

Monsieur le rapporteur, vous avez assuré qu’un consensus se dégageait au sujet de la gestation pour autrui (GPA). Est-ce si sûr ? Peut-être faut-il moderniser notre législation sur ce point.

Mme Edwige Antier. Si l’on produit autant d’embryons, c’est parce que les échecs sont nombreux et qu’il faut parfois procéder à plusieurs fécondations in vitro. Distinguons les cellules que sont les spermatozoïdes et les ovocytes, et l’embryon, résultant d’un projet parental, que l’on doit protéger de toute recherche qui ne bénéficierait pas d’un encadrement éthique. C’est l’issue de ce projet qui décide de la destruction d’un embryon sur une paillasse. En vous battant à juste titre, chers collègues, pour que les fœtus non viables soient déclarés et enterrés, vous avez montré toute l’importance du projet parental. Un embryon, qui résulte de la rencontre d’un homme et d’une femme, ne doit pas pouvoir servir à l’industrie. Je soutiens donc M. le ministre et Mme la secrétaire d’État : ils ont raison de vouloir assurer un encadrement dont tous reconnaissent qu’il fonctionne bien.

Mme Martine Aurillac. En rapport avec l’AMP, la loi ne dit rien sur le transfert de l’embryon post mortem. Ne peut-on prévoir cette possibilité, comme nous l’avions suggéré au cours de missions précédentes, dans le cas où certaines conditions – délai, projet parental – seraient réunies ?

Mme Jacqueline Fraysse. Nous nous rejoignons tous sur le fait que, loin d’entraver la recherche, il faut au contraire la stimuler, la seule question étant de savoir si l’on doit préférer une autorisation encadrée à une interdiction assortie d’une dérogation sans limite de temps. Je veux bien croire, monsieur le ministre, que les deux solutions se ressemblent beaucoup, mais, à mon sens, il entre un peu d’hypocrisie dans le choix qui prévaut.

Même si l’embryon n’est pas un matériau banal, et qu’il mérite respect et protection, le professeur Jouannet a souligné qu’on devait pouvoir effectuer des recherches sur lui, au bénéfice de l’embryon, comme on le fait, dans un souci de progrès, sur la personne humaine. Est-il exact que la législation actuelle, en n’autorisant la recherche, à titre dérogatoire, que sur les embryons surnuméraires voués à la disparition, interdit de rechercher pourquoi un embryon implanté ne s’est pas développé ? Une telle limitation serait préoccupante.

M. Noël Mamère. Même si, comme le rapporteur, je pense que le tout-génétique est un danger, il me semble que nous devons sortir de l’hypocrisie et préférer une autorisation encadrée à une interdiction assortie de dérogations.

Je n’ignore pas qu’une grande majorité de parlementaires est défavorable à la GPA, mais nous serons quelques-uns à la défendre en séance publique. À cette occasion, monsieur le ministre, vous ne pourrez pas échapper à la question que vous a posée M. Nauche. L’assertion du rapporteur, selon lequel la médecine est là pour réparer et non pour combler des désirs insatisfaits, pose tout le problème du rôle social de la médecine et de l’évolution de la société. Pourquoi limiter le bénéfice de la PMA aux couples hétérosexuels stériles dès lors qu’il existe d’autres projets parentaux ? Je regrette d’ailleurs qu’en autorisant la levée de l’anonymat sur les origines, on crée une confusion entre la parenté génétique et la parenté sociale. Des personnalités qualifiées, comme Françoise Héritier, ont souligné que doit primer dans notre réflexion, puisque nous représentons la société, le point de vue des parents sociaux, qui ont un vrai projet parental.

Mme Catherine Coutelle. J’ai apprécié que M. le ministre commence par demander l’avis de la commission. Dans le cadre de la mission d’information, certains de nos collègues ont travaillé longuement sur certains sujets et effectué des choix. D’autres, dont je fais partie, découvrent le débat sans être médecins ni chercheurs, et tentent d’en percer les enjeux, ne serait-ce que pour les rendre compréhensibles à tous les citoyens.

La recherche française a-t-elle pris du retard en raison du signal négatif que constitue l’interdiction ? Y a-t-il des chercheurs que la durée, par définition limitée, du moratoire a mis en difficulté ? À mon sens, nous ne devons pas considérer les conclusions de la précédente mission comme acquises et balayer toutes les interrogations. Puisque la société va se poser ces questions, il faut pouvoir y répondre clairement et simplement.

M. le ministre. M. Mamère, qui vient d’insister sur la parenté sociale, a le mérite de la constance dans la défense de positions… que je ne partage pas. Je comprends qu’il voie dans ce texte une nouvelle occasion de les faire valoir, mais je n’entrerai pas dans sa logique. Je me souviens de l’action qu’il a menée dans sa mairie...

M. Noël Mamère. L’interprétation des articles 44 et 145 du code civil au regard de la Convention européenne des droits de l’homme – dont le Conseil constitutionnel vient d’être saisi au titre d’une question prioritaire de constitutionnalité – n’a rien à voir avec les lois de bioéthique. Le mariage n’est pas fondateur de la famille et l’on n’a jamais vu qu’une union puisse être annulée au motif qu’elle était infertile. Le mariage entre personnes de même sexe est une question de société, que l’on ne doit pas confondre avec celles que pose le projet de loi. Gardons-nous des amalgames !

M. le ministre. Je ne pratique pas d’amalgame. Je souligne que vous êtes constant dans vos positions, je dis que je ne partage pas votre point de vue sur le texte, mais je me réjouis que nous puissions débattre de manière sereine.

Nombre de sujets ont été évoqués. Commençons par ce qu’on peut appeler le « tourisme médical » ou le « tourisme pour la procréation ». Ce n’est pas parce que les pratiques sont différentes dans d’autres pays qu’il faut nécessairement s’aligner sur elles, ce qui conduirait fatalement à un moins-disant éthique.

M. le président Alain Claeys. Nous sommes tous d’accord sur ce point.

M. le ministre. On ne peut reprocher aux politiques de fermer les yeux sur l’évolution du monde au motif qu’il suffit d’aller à l’étranger pour contourner les lois. Quel dommage d’ailleurs que la santé ne soit pas une compétence communautaire ! L’Union, presque trop présente sur certains sujets, ne se préoccupe peut-être pas assez de celui-ci. Quoi qu’il en soit, si l’on tente une comparaison européenne, j’ai le sentiment que la France n’est en retard ni sur les questions éthiques ni dans le domaine scientifique. Des recherches de qualité ont été autorisées dans notre pays. Je pourrais les signaler à la commission spéciale ou les citer lors du débat en séance publique, même si la plupart d’entre vous les connaissent. Le troisième essai de thérapie cellulaire, actuellement en cours, est français. Nous sommes donc loin d’être les derniers de la classe parce que nous aurions retenu le principe d’une interdiction assortie d’exceptions et de dérogations. Des débats importants ont eu lieu sur le sujet. Certains craignaient que notre pays ne sombre dans l’obscurantisme ou ne prenne un retard qu’il ne rattraperait jamais. Tout au contraire, nous avons trouvé un équilibre satisfaisant.

Sur tous les sujets qui nous occupent, j’ai le regard, non d’un médecin, mais d’un ministre qui s’apprête à défendre un texte dont il n’est pas l’auteur – et sur lequel il a même quelques réserves, s’agissant de la levée de l’anonymat. Si je m’attarde sur cette question du tourisme procréatif, c’est parce que, lors des réunions très ouvertes auxquelles j’ai participé avec des jeunes à propos de ce projet, c’était la première abordée. Pourquoi refuser la GPA, nous demandait-on, alors qu’il est si facile d’aller en Espagne ? Pourquoi les politiques ferment-ils les yeux en permanence ? La discussion devrait nous permettre de répondre à ces questions.

Par ailleurs, il faut consacrer davantage de moyens aux dons d’ovocytes. Le rapport de l’IGAS, qui doit nous parvenir prochainement, suggérera de nouvelles mesures et je suis convaincu que nous pouvons agir sans céder au biais des comparaisons incessantes avec ce que font les autres pays. Le fait que certains puissent contourner l’interdiction ne doit pas nous conduire à exposer des personnes vulnérables, au mépris de toute éthique. Pour l’heure, la question de l’indemnisation n’est pas réglée et aucune garantie ne peut être apportée quant au risque de marchandisation. Chaque État adopte la législation qu’il juge bonne en fonction de ses valeurs et de son histoire, voire, dans le cas de l’Espagne, de son désir de rompre avec celle-ci.

Mme Berra reviendra sur le diagnostic préimplantatoire (DPI). À mon sens, l’impératif est d’éviter toute sélection génétique et d’apporter davantage d’information, même si les chiffres montrent que le résultat du test amène toujours à la même décision. Une prise de conscience et une responsabilisation supplémentaires auraient du sens.

Pour ce qui est de la levée de l’anonymat, au-delà du droit de chacun à connaître ses origines, je ne pense pas que la situation de donneur suffise à procurer le statut de père. D’où des réserves de ma part. Une fois formalisé l’accord du donneur, le temps passe et, vingt ans plus tard, les intéressés peuvent se retrouver face à des situations extrêmement difficiles.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Ce qui me choque le plus est que les médecins détiennent un état civil parallèle, qu’il faudrait faire disparaître si l’on choisissait de maintenir l’anonymat. Les CECOS devraient conserver les données médicales nécessaires au suivi de l’enfant sous forme non identifiante – par exemple en utilisant un système de code barres –, et non sur un fichier papier, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, dans des conditions de confidentialité qui sont loin d’être parfaites.

M. le président Alain Claeys. C’est un point capital. On doit réfléchir au moyen de contrôler ces fichiers.

M. le ministre. Mme Aurillac a plaidé pour l’autorisation d’une implantation post mortem, mais le législateur n’a jamais admis la naissance d’un enfant sans père et je ne pense pas que nous devions changer de ligne sur ce sujet.

M. le président Alain Claeys. En l’occurrence, il peut pourtant y avoir un projet parental. Nous en avions parlé toute une nuit à l’Assemblée nationale avec M. Mattei. Beaucoup de facteurs doivent être pris en compte, notamment le délai par rapport à la période de deuil. Si la décision ne peut se prendre que dans le dialogue singulier entre la personne et l’équipe médicale, le législateur peut du moins ouvrir une possibilité. Actuellement, la personne doit choisir entre la destruction de l’embryon ou le don à un tiers. C’est ce qui a conduit certains députés, dont Mme Aurillac et moi-même, à envisager une troisième voie.

M. le ministre. Donner une autorisation est loin d’être neutre. Je comprends qu’un tel débat ait pu se prolonger toute une nuit ! En principe, l’autorisation est délivrée aux parents, mais, en l’espèce, il n’y a plus de père.

M. Paul Jeanneteau. Pour y avoir beaucoup réfléchi, je partage l’avis de M. le ministre, car je ne comprends pas que l’on choisisse de faire naître un enfant orphelin. Il n’est jamais facile pour une femme de se retrouver mère quand son mari est décédé pendant la grossesse. Comment accepter que l’on choisisse de se retrouver dans cette situation ? J’ajoute qu’on ignore ce qu’aurait été le choix du père décédé.

Par ailleurs, si l’on procède systématiquement au dépistage de la trisomie 21, c’est parce que le test est plus facile à pratiquer avec des traceurs hormonaux, dans le cadre du diagnostic prénatal, que par l’amniocentèse, plus lourde, plus compliquée, plus risquée et moins fiable. Sur cent diagnostics de trisomie, 96,5 aboutissent à une IMG. Je ne porte aucun jugement de valeur sur la décision des couples. Chacun choisit de manière libre, en fonction de sa culture, de ses convictions et des circonstances, mais, pour le législateur, il est manifeste qu’on a développé en France une pratique eugéniste par rapport à la trisomie 21. Le Conseil d’État et le Premier ministre l’ont également relevé, quoi qu’en dise Mme Berra. Il aurait été intéressant que notre mission d’information, qui a beaucoup travaillé sur la bioéthique, se saisisse du sujet.

M. le ministre. Encore un mot, pour répondre à M. Vuilque. Quand, au Moyen Âge, l’Église interdisait l’autopsie, elle n’accordait pas de dérogation !

Mme la secrétaire d’État. Le diagnostic prénatal pour la trisomie 21 est systématique lorsque la femme a atteint un certain âge et que l’on constate des antécédents dans la famille ; dans les autres cas, gynécologues ou obstétriciens le proposent en vertu du principe de précaution.

Plusieurs députés. Il est devenu systématique !

Mme la secrétaire d’État. Quoi qu’il en soit, la question mérite d’être soulevée. En l’état actuel, le projet de loi ne prévoit pas de diagnostic préimplantatoire pour la trisomie 21. À cet égard, toute sélection génétique et tout eugénisme sont exclus. De plus, la décision finale revient aux parents. Par ailleurs, je ne trouverais pas absurde que l’on puisse procéder à ce diagnostic en même temps qu’au diagnostic préimplantatoire de maladies génétiques rares, plutôt que de le faire à quelques semaines d’intervalle.

M. le président Alain Claeys. Le professeur Munnich nous a expliqué que ce n’est pas possible techniquement.

Mme la secrétaire d’État. Le Comité consultatif national d’éthique s’est prononcé en faveur de dépistages combinés. Mais il faut bien sûr tenir compte de l’avis des experts.

Mme Génisson craint un alourdissement du dispositif des IMG, mais l’article tend seulement à renforcer les compétences de l’équipe pluridisciplinaire, afin que le dialogue avec les femmes soit plus nourri et plus construit, ce qui leur permettra de mieux peser les conséquences d’une intervention.

Pour la levée de l’anonymat comme pour le transfert post mortem, il faut renoncer à se focaliser sur le point de vue des parents pour adopter celui de l’enfant, qui peut s’interroger sur son histoire individuelle comme sur sa santé. Compte tenu du retentissement que cela peut avoir sur l’équilibre psychoaffectif, le donneur de gamètes devrait consentir à être identifié tôt ou tard si l’enfant demande de connaître son géniteur.

Mme Jacqueline Fraysse. Si l’enfant le demande, on ne peut le lui refuser !

Mme la secrétaire d’État. La loi prévoit cependant que le géniteur puisse le faire.

Mme Jacqueline Fraysse. Ce n’est pas ce que j’avais compris.

M. le président Alain Claeys. La disposition a été élaborée en deux temps. Le premier projet de loi prévoyait la rétroactivité. Le Conseil d’État a fait connaître ses remarques. Aux termes du projet actuel, il ne peut être procédé à la levée de l’anonymat sans le consentement du donneur.

Mme le secrétaire d’État. C’est à mon sens un bon équilibre.

M. le président Alain Claeys. Nous poursuivrons ce débat la semaine prochaine, en séance publique. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures dix.

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Présences en réunion

Réunion du Mercredi 19 janvier à 16 heures 15

Présents. - Mme Edwige Antier, Mme Martine Aurillac, M. Xavier Breton, M. Yves Bur, M. Alain Claeys, M. Georges Colombier, Mme Catherine Coutelle, Mme Michèle Delaunay, Mme Sophie Delong, M. Jacques Domergue, Mme Laurence Dumont, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Patrick Gille, M. Gaëtan Gorce, M. Michel Heinrich, Mme Françoise Hostalier, M. Olivier Jardé, M. Paul Jeanneteau, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Guy Lefrand, M. Marc Le Fur, M. Jean Leonetti, M. Guy Malherbe, M. Noël Mamère, M. Hervé Mariton, Mme Martine Martinel, M. Alain Marty, M. Philippe Morenvillier, M. Philippe Nauche, M. Jean-Marc Nesme, Mme Marie-Renée Oget, M. Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-Luc Préel, M. Didier Quentin, Mme Marie-Line Reynaud, M. Dominique Souchet, M. Jean-Louis Touraine, M. Philippe Tourtelier, M. Michel Vaxès, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Philippe Vuilque

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Jean-François Chossy

Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Pascale Gruny