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Commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes

Mercredi 13 janvier 2010

Séance de 13 heures 45

Compte rendu n° 2

Présidence de Mme Danielle Bousquet, présidente

– Table ronde de représentants d’associations : Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) ; Collectif national pour le droit des femmes ; Centre national d’information pour le droit des femmes et de la famille (CNIDFF) ; Cimade ; Citoyens et justice

La séance est ouverte à 13 heures 45.

Table ronde de représentants d’associations : Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) ; Collectif national pour le droit des femmes ; Centre national d’information pour le droit des femmes et de la famille (CNIDFF) ; Cimade ; Citoyens et justice

Mme la présidente Danielle Bousquet. La proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, signée par des parlementaires de tous les groupes politiques, sera examinée en séance publique à partir de la mi-février – ce qui constitue une excellente nouvelle.

Je suis donc heureuse d’accueillir les représentants de différentes associations que nous avions entendues lors des travaux de la mission : La Fédération nationale solidarité femmes est représentée par sa vice-présidente, Mme Françoise Brié, ainsi par Mme Marie-Jeanne Ragueneau et Mme Isabelle Steyer ; le Collectif national pour le droit des femmes, par Mme Maya Surduts et Mme Suzy Rojtman ; le Centre national d’information pour le droit des femmes et de la famille, par sa directrice générale, Mme Annie Guilberteau, et sa secrétaire générale, Mme Dolores Zlatic. Pour l’association Citoyens et justice, nous entendrons M. Francis Bahans, directeur général adjoint, Mme Véronique Dandonneau, juriste chargée des projets, Mme Isabelle Bouclon, administratrice et directrice de l’association VIFF, Villeurbanne informations femmes familles, et M. Patrick Gosseye, administrateur et directeur de l’ABCJ, l’association béarnaise de contrôle judiciaire, à Pau. La Cimade, action France, est représentée par Mme Violaine Husson.

Cette réunion vise à recueillir les remarques et les suggestions des représentants des associations sur la proposition de loi afin de les intégrer éventuellement sous la forme d’amendements.

Mme Françoise Brié. La Fédération nationale solidarité femmes réunit 65 associations, qui accompagnent et hébergent les femmes victimes de violences conjugales. Elle gère en outre le 39 19, numéro d’écoute national « Violences conjugales info ». La fédération, qui dispose d’une commission justice, intervient également dans un but de prévention en milieu scolaire.

Deux points nous ont paru essentiels. La lutte contre les violences doit être envisagée dans le contexte plus général de la défense des droits fondamentaux, ce qui justifie l’introduction d’une charte sur la dignité humaine dans le préambule de la Constitution. D’autre part, les mesures doivent s’inscrire dans un dispositif global, cohérent et coordonné, regroupant les politiques de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.

Le texte de la proposition de loi reprend une grande partie des mesures préconisées par les associations, ce dont nous remercions la mission.

Sur les articles 1 et 2 de la proposition de loi. Je cède la parole à Mme Ragueneau.

Mme Marie-Jeanne Ragueneau. Le moment de la rupture est le plus dangereux pour les femmes. Quand, dans le cadre du droit de visite et d’hébergement, la remise de l’enfant s’effectue au domicile de la mère, la sécurité de celle-ci est souvent menacée. C’est pourquoi la FNSF, qui demande depuis des années la création d’une ordonnance de protection des victimes de violences conjugales, se félicite des mesures contenues dans le texte. Pour se protéger, les victimes doivent pouvoir quitter leur domicile, fournir, au lieu de leur adresse effective, une adresse de domiciliation, et suspendre et sécuriser le droit de visite.

La FNSF demande que toutes les femmes victimes de violences conjugales aient accès à l’aide juridictionnelle, même quand elles sont en situation irrégulière.

Par ailleurs, il est essentiel que la police ou la gendarmerie intervienne rapidement lorsque l’auteur de violences, auquel le procureur a interdit d’approcher celle qui a été sa victime, ne respecte pas cette décision. En outre, la victime doit être informée, ce qui n’est malheureusement pas le cas actuellement, de la date de sortie ou de permission d’un auteur de violences incarcéré ou en garde à vue.

On peut regretter que le délit de dénonciation calomnieuse constitue actuellement un frein au dépôt de plainte. Les dispositions de l’article 8 représentent un progrès à cet égard.

Enfin, la protection de l’enfant doit être au cœur du processus judiciaire.

Mme Françoise Brié. Il nous semble important de prévoir la saisine du procureur ou de la police. L’ordonnance de protection permettrait la saisine du juge et donnerait à la femme la possibilité de déposer plainte sans risquer des représailles. Cette procédure pourrait durer jusqu’au moment où le juge aux affaires familiales aura statué.

On sait que 30 % des enfants qui vivent dans la violence conjugale ont été eux-mêmes victimes de violences. À ce titre, le retrait de l’autorité parentale en cas de crime envers la mère, prévu dans le texte, nous paraît essentiel. Il nous semble aussi important d’introduire dans le code civil une mesure qui, dans les situations de dangerosité, restreigne temporairement ou à plus long terme le droit de visite ou d’hébergement du parent auteur de violences.

En outre, quand la mère a été assassinée par son conjoint ou son ex-conjoint, l’enfant peut être confié à la famille de l’auteur du crime, ce qui constitue un nouveau traumatisme.

Mme Marie-Jeanne Ragueneau. La FNSF insiste sur la situation des femmes d’origine étrangère contraintes de quitter le domicile conjugal où elles subissent des violences. Elles se trouvent dès lors dans l’impossibilité de demander la régularisation de leur séjour obtenu dans le cadre du regroupement familial. Pourtant, la plupart d’entre elles ne peuvent retourner dans leur pays d’origine où elles seraient menacées ou rejetées par leur famille.Les demandes de preuve doivent être adaptées à la réalité des violences et prendre en compte le fait que ces femmes sont isolées. La délivrance d’un titre de séjour, ainsi que l’obtention d’un logement ou de l’aide juridictionnelle doivent par conséquent être considérées en fonction de la situation personnelle de la femme.

La FNSF souligne enfin que, si la majorité des regroupements familiaux ne soulève aucune question de légitimité, il faut sanctionner les auteurs de violences conjugales qui l’utilisent pour faire venir des femmes et les martyriser.

Mme Françoise Brié. Nous soutenons le chapitre II du texte, relatif à la prévention des violences qui vise à améliorer la formation des différents acteurs pouvant intervenir dans le dispositif, instaure la saisine du Conseil supérieur de l’audiovisuel par les associations sur ce sujet et crée l’Observatoire national des violences faites aux femmes.

Mme Isabelle Steyer. L’ordonnance de protection des victimes de violences conjugales appelle deux remarques.

Tout d’abord, la saisine d’un magistrat du siège – qu’il s’agisse du « judevi », juge délégué aux victimes, ou du juge des libertés – est une procédure non contradictoire. Par conséquent, si la femme saisit le juge, l’homme sera nécessairement convoqué. Mais, pour être efficace, la procédure doit être extrêmement rapide.

D’autre part, le magistrat qui la prononcera sera amené à régler des questions de droit civil et de droit pénal. Il portera ainsi une double casquette, ce qui suppose une formation spécifique. Peut-être ces fonctions devraient-elles incomber au juge des affaires familiales, qui pourrait autoriser la partie demanderesse à déclarer comme domicile l’adresse du commissariat ou de la brigade de gendarmerie, ce qui ne peut être fait aujourd’hui sous peine de nullité de la procédure. À cet égard, on gagnerait peut-être à s’inspirer de la procédure pénale, qui prévoit que la victime puisse donner l’adresse de son avocat, notamment si aucune plainte n’est déposée au commissariat ou à la gendarmerie.

Quant à la médiation pénale, nous y sommes défavorables dans le cas des violences conjugales. Il ne faut pas confondre, en effet, la médiation civile qui intervient devant le juge des affaires familiales et la médiation pénale, qui met en présence l’auteur de violences et sa victime, liés pendant des années par un rapport dominant-dominé, lequel risque de se perpétuer au cours de l’audience. La femme risque d’être amenée à signer une médiation qui ne serait pas conforme à ses vœux. En outre, la superposition des médiations civile et pénale banaliserait les violences en les traitant de la même manière que d’autres problèmes, comme celui de la pension alimentaire.

Si je considère comme une avancée le fait que les violences psychologiques soient nommées dans le texte – alors que la loi ne les considère actuellement dans la procédure pénale, qu’en tant que « circonstance aggravante » –, je m’interroge sur l’élément matériel qui devra être apporté pour caractériser ce délit. En outre, beaucoup d’hommes violents légitiment les violences physiques qu’ils font aux femmes par des violences psychologiques qu’ils subiraient. Ne risque-t-on pas de cautionner leur système de défense ?

Par conséquent, il serait préférable de créer un délit de violence conjugale, qui prendrait en compte l’intégralité de ce qu’a vécu le couple : les phases qu’il traverse, la gradation dans l’emploi de la violence physique et les multiples formes de violence économique, psychologique ou culturelle, qui peuvent s’exercer.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Je donne à présent la parole aux représentantes du Collectif national pour le droit des femmes.

Mme Maya Surduts. Je vous remercie de votre invitation. Notre Collectif a été à l’origine d’une proposition de loi-cadre contre les violences faites aux femmes, en partie inspirée de la législation espagnole. Un certain nombre de mesures de la proposition de loi s’inspirent de ce texte. Nous nous en félicitons, comme de l’avancée que représente la loi de 2006.

Nous continuons cependant à penser qu’une loi-cadre serait plus apte que le texte proposé à mobiliser la société française contre les violences faites aux femmes. Nous regrettons par exemple que les rapports de domination entre les femmes et les hommes ne soient pas suffisamment pris en compte. En effet, les violences faites aux femmes s’inscrivent dans une société dans laquelle les rapports hommes-femmes sont marqués par l’inégalité, notamment professionnelle ou politique.

La proposition de loi reprend cependant certaines de nos suggestions. Souhaitons que le texte définitif soit à la hauteur de la rédaction actuelle. Quoi qu’il en soit : notre combat ne s’arrêtera pas là.

Mme Suzy Rojtman. Je reviendrai sur quatre mesures du texte.

Nous soutenons la suppression de la médiation pénale mais nous devons imaginer les critiques qu’elle soulèvera. Certains objecteront peut-être qu’il faut envisager une riposte graduée. Or, ce n’est pas après une simple gifle qu’une femme décide de saisir les autorités de police ou de gendarmerie.

Les adversaires de la suppression de la médiation pénale objecteront peut-être encore que cette mesure privera le procureur de décision sur l’opportunité des poursuites. Mais, si l’on veut à tout prix mettre en avant des moyens alternatifs aux poursuites, il en existe de plus efficaces : songez à l’action de Luc Frémiot, procureur de la République à Douai.

Certains objecteront encore que, quand la médiation pénale est utilisée, c’est dans des formes très contraintes. Dans ce cas, autant la supprimer, pour couper court à d’éventuelles dérives.

Deuxièmement, nous soutenons la position de la mission sur le délit de dénonciation calomnieuse. Cependant, à l’article 8, celle-ci préconise d’ajouter à l’article 226-10 du code pénal, après la phrase « La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n’est pas établie ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée », la précision : « sauf si la décision a été prise au bénéfice du doute ou pour insuffisance des charges ». On sait que les arrêts des juridictions correctionnelles ou du juge d’instruction qui concluent à un non-lieu sont généralement peu motivés. Dès lors, comment pourra-t-on faire la part de ce qui relève du bénéfice du doute ou de l’insuffisance des charges ? Mieux vaudrait supprimer tout l’alinéa.

Troisièmement, nous nous félicitons des mesures prises dans un but de prévention : saisine du CSA, qui figure dans la loi-cadre, création d’un Observatoire national des violences faites aux femmes et formation des professionnels. Cependant, ne faudrait-il pas ajouter que l’éducation dispensée de la maternelle à l’université doit être « non sexiste », pour reprendre une expression des féministes ? Filles et garçons doivent être élevés dans un respect mutuel qui permet de vivre ensemble. Cette mesure nous semble fondamentale, puisque l’école est le premier lieu de socialisation.

Quatrièmement, si nous nous réjouissons que la proposition de loi prévoie une ordonnance de protection, nous regrettons que celle-ci soit réservée aux femmes victimes de violences conjugales ou menacées d’un mariage forcé ou de mutilations sexuelles. Une jeune fille violée, menacée de représailles si elle va déposer plainte, ne doit-elle pas bénéficier de cette mesure, tout comme les victimes de la traite et du proxénétisme ?

D’autre part, le texte prévoit que la police, la gendarmerie ou le « judevi » pourront être saisis. Mais chacun sait que les femmes victimes de violences ont toujours du mal à porter plainte. Elles se retrouveront dans la même impasse si elles ne peuvent effectuer les démarches qu’auprès des instances qu’elles hésitent déjà à solliciter. Pour elles, il serait plus simple de se manifester auprès des travailleurs sociaux, qui pourraient jouer le rôle d’intermédiaires.

J’en viens à la question des violences psychologiques. Une commission qui s’est réunie au sein du ministère de la justice préconise d’ajouter au code pénal un nouvel article 222-14-2 réprimant les violences « quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques, qu’elles aient porté atteinte à l’intégrité physique ou à l’intégrité psychique de la personne. ». Faute d’une définition claire, on s’en remet à l’interprétation des magistrats, qui diffère toujours d’une juridiction à l’autre.

La définition qui figure dans la loi-cadre comme dans la proposition de loi est calquée sur celle du harcèlement moral ce qui semble opérant.

La troisième solution, que préconise la Fédération nationale solidarité femmes, de créer un délit spécifique de violence conjugale est une piste intéressante. Pour l’heure, la définition qui figure dans la loi nous semble satisfaisante.

Nous remercions la Commission pour ce texte, dans lequel nous avons été partie prenante. Nous nous battrons pour qu’il puisse aboutir et intégrer nos objections.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Nous avons bien retenu que la fédération d’associations que vous représentez a joué un rôle majeur dans son élaboration. Nous allons entendre maintenant la représentante du Centre national d’information pour le droit des femmes et de la famille.

Mme Annie Guilberteau. Si nous approuvons pratiquement toutes les mesures de la proposition de loi, nous sommes très réservés sur la création du délit de violence psychologique, comme nous l’avons indiqué lorsque la mission nous a auditionnés. Ce serait une arme à double tranchant, que les auteurs de violences risquent de retourner contre les victimes. Le plus souvent, ils invoquent déjà cette violence psychologique, pour peu qu’on leur oppose le moindre refus.

Pour notre part, nous n’étions pas favorables au principe d’une loi-cadre. Cependant, il faut reconnaître que le débat ouvert par le Collectif national pour le droit des femmes, au terme d’un long travail sur les carences des dispositifs actuels, aura permis un enrichissement significatif des lois et règlements.

Nous approuvons l’ordonnance de protection des victimes prévue par le texte, laquelle, cependant, ne devrait pas être réservée aux seules victimes des violences conjugales. L’exemple cité par Mme Rojtman est éloquent à cet égard.

L’article 3 fait évoluer à juste titre la définition de l’intérêt de l’enfant. Celle-ci devait être affinée, de même qu’il fallait organiser le droit de visite dans un espace désigné à cet effet par le juge, lorsque la sécurité de l’enfant le nécessite. Mais peut-être faut-il également que l’enfant y soit conduit par un tiers, par exemple un travailleur social. En effet, le temps de trajet demeure insécurisant pour l’enfant ou le parent qui l’accompagne. En tout cas, les rencontres ne devraient pas intervenir chez un proche de l’auteur des violences.

Les propositions concernant le droit des victimes d’origine étrangère témoignent d’une véritable évolution législative, qui mettra fin aux disparités territoriales actuelles, dues au fait que la délivrance du titre de séjour est laissée à la discrétion des préfets. En substituant à l’expression « peut accorder le renouvellement », l’expression « accorde le renouvellement », le texte apporte un progrès significatif.

Les dispositions relatives à la dénonciation calomnieuse répondent à une demande de certaines associations. Nous les approuvons, même si la rédaction peut sans doute aller plus loin.

Nous sommes très favorables aux mesures du chapitre II relatives à la formation – initiale ou continue – des professionnels. Nous les réclamions depuis longtemps. Cependant, quels sont les moyens prévus ? Par ailleurs, quelles méthodes et quelle pédagogie adopter ? Demain, si la formation des magistrats, policiers, gendarmes et travailleurs sociaux repose sur des grilles défavorables aux victimes, on aura gagné sur le principe d’une formation, mais perdu sur le résultat. Les choix pédagogiques qui seront effectués doivent permettre de couper court à une forme d’oppression qui expose les femmes au processus de violence, et aider les victimes à retrouver une pleine reconnaissance d’elles-mêmes.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Ces questions relèvent du règlement.

Mme Annie Guilberteau. Néanmoins, elles doivent être posées au moment de l’adoption de la proposition de loi. On peut craindre en effet que des formateurs entrevoyant la perspective de nouveaux marchés ne cherchent à s’y intégrer rapidement. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut prévoir une habilitation ou un agrément de ceux qui interviendront dans ce domaine. Nous ferons la même remarque à propos du suivi socio-judiciaire par l’injonction de soins : de quel type de soins s’agit-il ? On ne gagnera rien à faire faire une psychanalyse à tous les auteurs de violences !

Nous nous réjouissons que le texte instaure une saisine du CSA à propos des violences faites aux femmes.

Nous sommes favorables à la suppression du recours à la médiation pénale, dont il ressort, constats à l’appui, au terme d’un travail de proximité avec les victimes, qu’il est inadapté, notamment pour les raisons évoquées par Mme Steyer. Cependant, le rappel à la loi, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, ne nous semble pas plus adapté.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Mme Husson, à laquelle je donne parole, intervient au nom de la Cimade.

Mme Violaine Husson. La Cimade est une association de défense des droits des étrangers, qui comporte un pôle spécifique réservé aux femmes étrangères victimes de violence.

Si le texte contient des propositions très intéressantes, il comporte aussi certaines ambiguïtés. Ainsi, l’exposé des motifs prévoit que l’ordonnance de protection des victimes peut concerner toute femme victime de violences en situation de danger, mais l’article 1er ne mentionne que les victimes de violences conjugales, ou celles qui craignent un mariage forcé ou une mutilation sexuelle. Il faudrait ouvrir le bénéfice de cette mesure aux victimes de traite, de proxénétisme ou d’autres formes contemporaines d’exploitation, comme la mendicité forcée. Nous proposons donc de rédiger ainsi l’article 706-63-2 du code de procédure pénale : « Lorsque les violences exercées dans l’espace public, sur le lieu du travail, au sein de la famille, du couple, mettent en danger la personne qui en est victime, le juge délégué délivre en urgence à cette dernière une ordonnance de protection. » La mesure toucherait ainsi toutes les femmes victimes de violence.

Par ailleurs, combien de temps doit durer l’ordonnance de protection des victimes ? L’instruction et les procédures sont très longues et les victimes mettent du temps avant de se décider à porter plainte ou à demander le divorce. L’ordonnance de protection ne pourrait-elle couvrir un délai plus long ou être délivrée pendant tout le temps de la procédure civile et pénale ?

Quant à la saisine du juge, je rappelle à mon tour combien il est difficile pour une victime d’aller déposer une plainte, notamment pour une femme étrangère en situation irrégulière. Avant de la considérer comme une victime, le policier qui la recevra verra d’abord qu’elle est en infraction. En outre, il est probable qu’elle ne saura pas qu’elle peut saisir le juge. De ce fait, réserver la saisine aux forces de police ou de gendarmerie revient à exclure les femmes en situation irrégulière du bénéfice de l’ordonnance de protection. Les acteurs sociaux ou les associations devraient pouvoir leur servir d’intermédiaires.

Nous remercions la mission d’avoir prévu que le renouvellement du titre de séjour soit accordé de plein droit aux victimes de violences conjugales, mais nous regrettons que la mesure exclue les victimes non mariées : concubins, pacsés, personne vivant en union libre ou ayant contracté un mariage traditionnel. Celles-ci resteront condamnées à une dépendance administrative à l’égard du conjoint qui les maltraite ou à quitter le domicile conjugal. Dans ce cas, elles seront en situation irrégulière, sans travail, sans logement et généralement privées de leurs enfants, puisque les assistantes sociales considèrent que l’enfant d’une mère placée dans une telle situation est en danger.

On sait que la situation des ressortissants algériens est régie non par la loi, mais par l’accord franco-algérien. Ne peut-on inciter le Gouvernement à prendre une mesure spécifique permettant de protéger les ressortissantes algériennes victimes de violences conjugales ?

Il est bon que les personnes qui portent plainte pour traite, esclavage moderne ou toute forme contemporaine d’exploitation puissent désormais profiter d’un renouvellement de l’autorisation provisoire de séjour de six mois, mais je regrette que la proposition de loi n’ait pas tenu compte de l’article R 316-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui mentionne que l’autorisation provisoire de séjour doit être accordée pour au moins six mois. Notons que les intéressées ne peuvent actuellement bénéficier du titre de séjour, étant généralement considérées par la préfecture comme des menaces à l’ordre public, puisqu’elles ont été condamnées pour racolage.

Enfin, je vous remercie d’avoir considéré que les personnes en situation irrégulière victimes de violences peuvent prétendre à l’aide juridictionnelle, mais celle-ci ne pourra être accordée que si l’ordonnance de protection dure suffisamment longtemps.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Je donne enfin la parole aux représentants de l’association Citoyens et justice.

M. Francis Bahans. La fédération Citoyens et justice, qui existe depuis 1982, intervient auprès des auteurs de violences et des victimes dans le cadre d’un mandat judiciaire. Chaque année, nous intervenons auprès d’environ 150 000 personnes. En vingt-sept ans, nous avons acquis une grande expérience. Nous faisons partie du groupe de travail ministériel.

Si nous rendons hommage au travail de la mission, nous émettons cependant quelques réserves sur le texte.

Tout d’abord, nous sommes favorables à une réponse pénale systématique plus ferme que celle qui existe actuellement, car, même si nous accompagnons des auteurs de violences, nous n’avons pas la moindre complaisance à l’égard de celle-ci. La réponse pénale doit être aussi volontariste que celle que l’on observe à Douai, avec le défèrement devant le magistrat du parquet. Les auteurs de violences conjugales n’ont généralement pas de passé pénal important, ce qui les rend sensibles à la puissance symbolique du rapport avec un magistrat. Le reste, on l’a dit, n’est qu’un problème de moyens et de formation des magistrats.

Ensuite, le contrôle judiciaire associé au sursis avec mise à l’épreuve est une solution à privilégier, mais il faut sans doute aller plus loin. Une réforme de la procédure pénale est en préparation, qui augmentera fortement les pouvoirs du parquet. Dans ce cadre, qu’adviendra-t-il du contrôle judiciaire, mesure de sûreté autant que d’accompagnement, qui n’appartient par conséquent pas à sa culture ? Les parlementaires devront rester vigilants à cet égard.

Aujourd’hui, l’immense majorité des affaires est traitée au téléphone entre la police ou la gendarmerie et le parquet, les intéressés n’étant déférés que s’il décide de poursuivre. Cependant, il n’est pas toujours suffisamment informé de la situation des familles, ce qui l’amène à prendre des décisions aussi peu satisfaisantes que les mesures alternatives aux poursuites.

Mme Isabelle Bouclon. Les associations savent combien le moment du dépôt de plainte – qui ne concerne que 8 % des femmes victimes de violences – est difficile. Elles constatent également qu’une mauvaise orientation pénale, à la suite d’un dépôt de plainte, est préjudiciable tant aux auteurs qu’aux victimes des violences. Pour éclairer les magistrats chargés de décider de l’opportunité des poursuites, il nous semblerait important de procéder au préalable à des enquêtes familiales, qui compléteraient les enquêtes sociales rapides effectuées aujourd’hui.

M. Patrick Gosseye. À notre sens, la médiation pénale est une mesure adaptée, pourvu que l’orientation soit appropriée, c’est-à-dire que les violences soient isolées, de moindre gravité, qu’il n’y ait pas d’antécédent ni de négation de l’infraction, que les parties souhaitent maintenir une relation conjugale ou parentale, et que la victime en accepte le principe. À Pau, toutes les médiations que mon service accompagne respectent ces exigences. Le médiateur doit être en outre un professionnel formé, capable de repérer éventuellement une emprise qui aurait échappé à la sagacité du parquet et d’agir en cas de déséquilibre.

Si la procédure disparaissait, toutes les médiations ne se transformeraient pas en poursuites ou en condamnations. Il y aurait beaucoup de classements sans suite, faute d’information suffisante, ou de rappels à la loi, qui ne sont en définitive que de simples remontrances, ou encore de compositions pénales, mesures dans lesquelles la victime n’est pas prise en compte et qui se soldent souvent par des sanctions financières, lesquelles aggravent la situation de la famille, et donc de la victime. Quand bien même des condamnations seraient prononcées, il pourrait s’agir de sursis simples apparaissant aux auteurs des violences comme des mesures purement abstraites.

Au lieu de proscrire la médiation pénale, il me semble qu’un vrai travail d’évaluation devrait être mené à partir de témoignages de victimes qui ont fait l’expérience de cette procédure. On pourrait également encadrer davantage la pratique des parquets, afin de rendre leurs décisions plus homogènes sur le territoire.

M. Francis Bahans. La suppression de la médiation est sans doute l’arbre qui cache la forêt : sur les violences conjugales, on compte aujourd’hui trois à quatre fois plus de rappels à la loi que de médiations pénales.

M. le Rapporteur Guy Geoffroy. Sans revenir sur tous les points que vous avez évoqués et qui marquent globalement une conjonction de vues, j’aurais deux demandes d’éclaircissement.

Je voudrais d’abord revenir sur les violences psychologiques, sujet sur lequel vos approches nous invitent à prolonger notre propre réflexion. Il faut progresser en la matière. L’unique traitement de la violence dans ses manifestations physiques – trop nombreuses et trop dramatiques – ne saurait suffire. Il y a une véritable aspiration des victimes, que nous reprenons totalement à notre compte, de voir réellement prises en compte les violences constituées par les atteintes de nature psychologique, dans un cadre habituel, répété et structuré par la démarche de l’auteur, au sein du couple ou à l’issue du couple. Je rappelle, que nos démarches se situent à la fois dans le couple envisagé de manière très large, mais également quand celui-ci n’existe plus, mais que les événements qui se produisent ont celui-ci comme origine.

La nécessité d’avancer sur les violences psychologiques, sans courir le risque d’effets pervers, nous conduit effectivement à réfléchir à un meilleur encadrement de la non opposabilité de la dénonciation calomnieuse pour que les violences psychologiques ne soient pas utilisées par les auteurs comme un outil contre leur victime. Il y a un vrai lien entre les deux. Cela ne vient pas, pour autant, atténuer notre volonté définitive de voir pris en compte dans la loi, le délit spécifique de violences psychologiques, quand il est commis au sein du couple ou dans le prolongement du couple.

En ce qui concerne l’ordonnance de protection, il est clair que si le point de contact avec la justice est directement le magistrat ou les autorités de gendarmeries ou de police, le recours à une association qui aide à franchir le cap de cette démarche auprès des autorités judiciaires est incontestablement une formule indispensable. Cela ne relève cependant pas du domaine de la loi, mais de nos débats avec le Gouvernement. A ce propos, si nous n’avons pas proposé de loi-cadre, c’est parce que nous avons tous conclus qu’il fallait mettre en place un dispositif-cadre, global et coordonné qui unifie toutes les dispositions concourant à la lutte contre les violences de genre qu’elles soient constitutionnelles, législatives, réglementaires ou qu’elles relèvent de l’organisation administrative, en particulier, quand ces violences de genres sont commises au sein du couple.

Certains d’entre vous souhaitent que la durée de l’ordonnance de protection soit plus longue. S’agissant d’une mesure provisoire, il est difficile d’envisager que sa durée soit extrêmement longue, parce qu’on se situe dans des phases judiciaires où il faut veiller à ce que toutes les parties et que l’équité soient totalement respectées. Que suggèreriez-vous, au-delà des deux mois renouvelables une fois, qui sont inscrits dans notre proposition de loi ?

Mme Edvige Antier. L’observatoire des violences faites aux femmes dont la création est proposée, ne devrait-il pas être rapproché de l’Observatoire des enfants en danger, dans la mesure où les problématiques sont souvent communes et la nécessité d’un suivi indispensable, dans un cas comme dans l’autre. Pour les enfants placés, on manque de traçabilité, de protocoles et de l’évaluation de leur devenir. Une évaluation longitudinale, pour savoir si sur le long terme on fait bien, si le devenir de la femme victime a été protégé, amélioré est indispensable. Créer des passerelles entre les deux permettrait de mutualiser les expériences car finalement entre l’enfant victime et la femme victime, la frontière est très étroite, puisque quand une femme est battue, violée ou martyrisée, l’enfant le ressent et réciproquement.

Mme la Présidente Danielle Bousquet. Je partage totalement les propos du rapporteur. Vous nous dites qu’il y a un véritable danger à sanctionner pénalement les violences psychologiques dans une définition ad hoc, parce que c’est une réalité qui peut se retourner contre les femmes. Cette réalité existe cependant et il faut donc bien faire en sorte qu’on puisse effectivement dire : « je suis victime de violences psychologiques ». Sachez que nous avons bien compris le risque qui existerait, mais nous avons la volonté affirmée de le mentionner et c’est une volonté qui est largement partagée. Le délit de violences psychologiques doit être inscrit dans la loi, mais de façon sécurisée, pour qu’il ne se retourne pas contre les victimes.

Sur la médiation pénale, j’entends parfaitement les arguments que vous évoquez, mais nous parlons ici de violences conjugales, pas de conflit conjugal. Nous n’excluons absolument pas le recours à la médiation pénale dans certains cas, nous l’excluons dans le cas précis des violences conjugales car il ne nous paraît pas alors adapté..

Mme Martine Billard. Il a été dit qu’il était difficile de démontrer l’élément matériel de la violence psychologique. Mais justement, j’avais l’impression que l’écriture retenue dans la proposition de loi – en précisant qu’il s’agit d’agissements et de paroles répétées –répond à cette interrogation. Il doit y avoir répétition et dégradation des conditions de vie. Par rapport à cette écriture très précise de l’article 17 est-ce que vous pensez toujours qu’il y a vraiment une difficulté ?

Une avocate, spécialiste des dossiers de femmes victimes de violences, m’a fait remarquer que, le problème lié à la procédure pour dénonciations calomnieuses existe d’ores et déjà, même en matière de violences physiques. Elle m’a cité, par exemple le cas du conjoint d’une cliente qui attaque en dénonciation calomnieuse le médecin qui a fait le certificat médical en disant qu’il s’agit d’un certificat de complaisance. Le risque existe quand on à faire à des conjoints qui ont les moyens de se défendre et qui peuvent avoir ce type de construction. Sera-t-il nécessairement accru par l’introduction de la sanction des violences psychologiques ?

M. Gilles Cocquempot. L’ordonnance de protection est une mesure provisoire dont la durée doit être en adéquation avec la longueur des procédures, afin que leur durée ne dépasse pas le temps de protection de l’ordonnance. Dès lors, il faut se demander si le délai proposé est-il suffisant,  et si une fois le délai précisé (même s’il est augmenté) comment les procédures peuvent se mettre en conformité avec la durée de l’ordonnance de protection. Autrement dit, peut-on par la loi prévoir une adéquation entre la procédure et cette protection, entre ce que d’une part on offre comme protection aux victimes et en même temps le règlement de leur dossier ?

M. le Rapporteur Guy Geoffroy. Ce qui vient d’être dit est fondamental et me permet de rappeler un élément sur lequel nous n’avons pas suffisamment insisté. L’ordonnance de protection, que l’on appellera probablement un référé protection, n’a pas besoin d’être accompagnée, au moins dans l’immédiat, d’autres procédures. Il ne s’agit pas d’un dispositif qui accompagnerait un dépôt de plainte pour violences psychologiques ou physiques commises dans le cadre conjugal ; il ne s’agit pas de mesures de protection qui devraient être prises en accompagnement d’une procédure en divorce par exemple. Il s’agit tout simplement, et c’est beaucoup, d’une démarche qui permet à une personne, une femme essentiellement, qui s’estime victime de violences au sein de son couple et qui souhaite se voir reconnue comme tel, de pouvoir bénéficier de tous les éléments qui lui permettront ensuite, et dans un temps relativement rapproché, une fois l’ordonnance prise, de pouvoir éventuellement engager d’autres procédures.

Pourquoi, la plupart du temps, n’y a-t-il pas d’engagement de procédure de divorce ? Pourquoi la plupart du temps n’y a-t-il pas de dépôt de plainte et pourquoi beaucoup de femmes se limitent-elles à accepter le simple dépôt sur le registre de la main courante qu’on vient leur recommander (par volonté quelquefois de les protéger contre un classement sans suite de leur plainte) ? Parce qu’elles se disent « si je fais ça, je ne serais pas protégée et peut-être la violence dont je serais la victime sera encore aggravée et aggravée dans des conditions qui pourront mettre en péril mon existence, celle de mes enfants etc. ». Donc il faut rappeler que le référé protection (appelons-le comme ça) et l’ordonnance qui en découlera sont dissociés de toutes autres procédures, bien que pouvant être mis en parallèle avec celles-ci. C’est une première réponse à la question sur la durée.

Si on prévoit une durée trop longue, cela peut être un encouragement à ne pas passer à l’engagement de la procédure de divorce ou au dépôt de plainte. Cela rejoint d’ailleurs la difficulté existante à articuler le civil et le pénal en matière de violences conjugales. Il faudra que le dispositif de référé protection soit un dispositif qui implique le parquet pour qu’il joue ce rôle de table d’orientation de la prise en charge, au niveau civil et au niveau pénal si c’est nécessaire, de la problématique de violence dont est victime la femme qui va se voir reconnaître le statut de victime au travers de l’ordonnance qui lui aura été délivrée. Un temps trop long, irait à l’encontre de l’intérêt de la victime à aller vers des procédures décisionnelles (divorce, plainte au pénal) mais doit être suffisamment long pour que les mesures provisoires ne deviennent pas caduques au moment où les autres procédures s’enclenchent. Ca demandera incontestablement que le parquet de joue ce rôle incontournable de table d’orientation et de mobilisation de la justice au civil et au pénal pour qu’ensuite les choses s’enclenchent. Vous avez dit : deux plus deux font quatre, c’est peut-être un peu trop court. À mon sens, il ne faut pas que ce soit beaucoup plus long.

M. Jean-Luc Pérat. Les violences psychologiques sont encore mal cernées. C’est pourquoi il est important de pouvoir les apprécier et de donner toute la place à ces victimes qui s’expriment ou qui ne s’expriment pas. On fait parfois le constat qu’une femme va jusqu’à l’extrémité, c'est-à-dire attente à sa vie. Il a alors des raisons. Peut-être qu’il devrait y avoir une enquête, afin d’en trouver l’origine ?

Ensuite, par rapport à la CIMADE, j’ai été confronté, il y a quelques mois, à une situation concernant une femme étrangère. L’analyse qui en a été faite par le Comité national de déontologie a montré que lorsqu’une femme sans papiers, victimes de violences, se présente dans un commissariat afin de remettre le certificat du médecin qui lui a été demandé, c’est plutôt la situation de la femme qui est analysée au regard de son droit de séjour. Je crois qu’il serait judicieux au niveau de la commission, qu’on tienne bien compte de cette problématique pour faciliter les démarches de ces femmes victimes qui ont de grandes difficultés déjà à franchir le pas. Dans le cas précité, cette femme a été renvoyée au Maroc mais elle a finalement pu revenir et je pense que ça, ça a été une belle victoire sur une injustice.

Mme Françoise Briand. L’ordonnance de protection doit avoir une durée relativement courte ; trois mois, renouvelable une fois ? Mais ne serait-il pas possible de prévoir que l’accès aux droits sociaux et juridiques est assuré pendant toute la durée des procédures liées à la situation de violence ? Pour une personne qui est victime de la traite à caractère sexuel, les instructions et les enquêtes vont durer parfois un an et demi, deux ans. L’ordonnance de protection, lui permet d’être mise à l’abri, d’avoir un avocat. Au terme de celle-ci, elle est remise à la porte et se prostitue à nouveau là où elle a été exploitée pendant des années.

M. Francis Bahans. L’article 16 de la proposition de loi supprime la médiation pénale de façon extrêmement large, sur l’ensemble du contentieux familial : les violences mais aussi le non paiement d’une pension alimentaire par exemple. Il supprimerait environ la moitié des médiations pénales qui existent aujourd’hui. Si vous supprimez la médiation pénale, il faut aussi supprimer l’ensemble des mesures alternatives aux poursuites. Aujourd’hui, il y a dans les parquets trois fois, quatre fois, cinq fois plus de rappels à la loi ou de classement sous conditions que de médiations pénales.

Mme Isabelle Bouclon. En matière de violences psychologiques, il me semble qu’il peut y avoir un outil qui pourrait être l’évaluation médico-légale. C’est une piste.

Mme Annie Guilberteau. Sur les violences psychologiques, je ne voudrais pas qu’il y ait une quelconque ambiguïté. Nous reconnaissons l’existence des violences psychologiques, nous les condamnons fortement et nous demandons à ce que les auteurs soient condamnés à la hauteur de ce qu’ils pratiquent. Néanmoins, il s’agit aussi de trouver la bonne stratégie législative pour que ça ne se retourne pas contre les victimes. Le lien que vous faites avec l’évolution des règles relatives à la dénonciation calomnieuse constitue probablement, pour partie, une réponse à nos craintes. Mais, nous ne pouvons pas faire abstraction d’un discours social ambiant, qui imprègne la pensée des auteurs et aussi celle des magistrats. Ce discours social ambiant, c’est que les femmes maltraitent avec des mots, parce qu’elles ont le langage et que les hommes maltraitent avec les coups, parce qu’ils ont la force physique. Notre crainte, c’est qu’à partir du moment où on nomme – et nous y sommes favorables car ce qui n’est pas nommé n’existe pas – en constituant un délit spécifique de violences psychologiques, on donne à l’auteur et aux magistrats également la possibilité de souscrire au discours social ambiant. Nous craignons fort de voir augmenter des dépôts de plainte non fondés de la part des auteurs, pour violences psychologiques, et finalement que l’on arrive à une succession de classements et de non lieu ; parce que d’un côté la victime aura déposé plainte pour violence physique et d’un autre côté, l’auteur, de façon concomitante, aura déposé plainte pour violence psychologique.

Une deuxième observation porte sur les articles 222-12 et 222-13 du code pénal, en vertu desquels, il est possible de condamner pour des violences psychologiques, même si elles ne sont pas nommées en tant que telles. Au demeurant, il y a un jugement de la Chambre correctionnelle, Cour d’appel de Pau, du 3 avril 2008, qui sur le fondement de l’article 222-12 du code pénal a condamné un auteur de violence et a reconnu un délit parfaitement constitué de violences psychologiques. Il y a le choix politique et stratégique d’annonce qui est une chose et puis il y a la confrontation au discours social ambiant.

En dernier lieu, l’opportunité d’un rapprochement entre l’Observatoire de l’enfance maltraitée et l’Observatoire des violences faites aux femmes est discutable. Il peut y avoir un lien en terme de méthode, mais rapprocher ces deux structures, pour finalement n’en faire qu’une, ferait perdre beaucoup en terme de grille d’analyse. L’analyse des dysfonctionnements de la famille ne repose pas exactement sur les mêmes fondements que l’analyse qui nous amène à comprendre les causes et origines des violences faites aux femmes.

Mme Suzy Rojtman. Les violences psychologiques constituent un problème très grave et complexe. La définition qui en est proposée s’appuie sur celle du harcèlement moral. Il serait intéressant, à ce titre, de disposer d’un bilan judiciaire de la loi de 2004 relative au harcèlement moral, pour savoir, par exemple, si on assiste souvent à des retournements de situation, des cas ou l’auteur se retourne contre sa victime. Enfin, se contenter des articles 222-12 et 222-13 qui viennent d’être évoqués reviendrait à laisser la jurisprudence faire ce qui devrait être du ressort de la loi.

Mme Marie-Jeanne Ragueneau. Les règles relatives à la sanction des violences psychologiques sont aujourd’hui insuffisantes. C’est pourquoi, la FNSF considère qu’il faudrait créer un délit de violences conjugales pour pouvoir couvrir également cette hypothèse, sans risquer de conséquences négatives pour les femmes victimes.

Mme Maya Surduts. Nommer les violences psychologiques, en tant que telle, est indispensable. Prendre des risques est une façon d’avancer. C’est ainsi que des progrès ont pu être réalisés sur des violences comme l’excision par exemple. Une évolution est indispensable pour permettre une véritable prise de conscience.

Mme Françoise Brié. Les cas évoqués par citoyens et justice de recours à la médiation pénale peuvent laisser penser qu’il s’agit plus de situation de conflit conjugal que de violences. il ne faut pas perdre de vue cependant que, derrière un fait relevé s’accumulent souvent des violences non-dites.

Quand au lien entre l’observatoire des violences faites aux femmes avec celui consacré aux violences faites aux enfants, je ne voudrais qu’il participe d’un glissement sémantique qui finalement dessert les femmes victimes de violences.

Mme Isabelle Steyer. Le risque de scénario pervers ne doit pas être négligé ; scénario dans lequel un homme violent sollicite une ordonnance de protection, porte plainte pour violences psychologiques et obtient la garde des enfants. L’auteur se fait passer pour la victime en se basant sur la fragilité de sa victime, fragilité qu’il a lui même construite. Le délit de violences conjugales permettrait d’identifier ces scénarios.

Il faut rappeler l’importance du lien entre le juge civil et le juge pénal. En effet, même en cas de classement de la procédure, il y a dans les propos recueillis, ceux des personnes concernées et des témoins, des policiers des éléments qui peuvent aider le juge aux affaires familiales à prendre une décision sur la garde des enfants par exemple.. La transmission du dossier au juge civil est donc essentielle.

M. Francis Bahans. Pour revenir sur ce qui a été dit quand au recours à la médiation pénale, je voudrais rappeler que toute violence est inacceptable. Une seule gifle est déjà une violence.

Mme la Présidente Danielle Bousquet. Toutes les violences sont en effet à considérer. Faut-il mieux parler de violences psychologiques pour compléter le dispositif existant ou se référer à la notion de violences conjugales ? C’est une partie du débat que je vous remercie d’avoir enrichi par vos interventions.

La séance est levée à 15 heures 20.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Monique Boulestin, Mme Danielle Bousquet, Mme Marie-George Buffet, M. Gilles Cocquempot, Mme Catherine Coutelle, Mme Pascale Crozon, M. Guy Geoffroy, M. Daniel Goldberg, Mme Conchita Lacuey, M. Robert Lecou, Mme Annick Le Loch, Mme Colette Le Moal, M. Bernard Lesterlin, M. Jean-Luc Pérat, Mme Catherine Quéré, M. Jacques Remiller, M. Jean-Louis Touraine

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Martine Martinel, M. Georges Mothron, M. Renaud Muselier