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Commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes

Mercredi 20 janvier 2010

Séance de 13 heures

Compte rendu n° 3

Présidence de Mme Danielle Bousquet, présidente

– Projection, suivie de questions, du film « Ne dis rien » réalisé par Iciar Bollain, 2004, présenté par l’association ADALEA

Mme la présidente Danielle Bousquet. Nous remercions Mmes Jeanne Fouilleul-Daniel et Muriel Le Goff, de l’association ADALEA des Côtes-d’Armor, qui ont eu l’excellente idée de nous proposer de visionner ce film. J’ai tenu à ce que ceux de nos collègues qui ne faisaient pas partie de la mission d’évaluation puissent avoir ainsi un aperçu de l’engrenage - parfaitement décrit dans Ne dis rien – des violences physiques et psychologiques.

Mme Jeanne Fouilleul-Daniel. L’association ADALEA, qui accueille et héberge les femmes victimes de violences, a choisi ce film car effectivement, il fait bien le tour de la question. L’Espagne, où se situe l’action, est un pays en avance en matière de législation contre les violences faites aux femmes, et a été pionnière dans la mise en place des thérapies pour hommes violents.

Nous nous servons de ce film pour nos actions de formation des professionnels. Nous le projetons également dans les établissements scolaires, dans le cadre de notre mission de prévention, non sans assurer un service d’écoute pour ceux qui pourraient se trouver en désarroi lors du visionnage.

La dernière fois que nous l’avons montré, des lycéens, des apprentis, des représentants de centres de formation et de missions locales étaient présents, ainsi que le procureur de Dinan, M. Le Bris. Celui-ci, qui montre une grande attention à ces questions et applique strictement la loi en matière de violences conjugales, a tenu à nous dire combien il avait encore appris grâce à ce film.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Pouvez-vous revenir sur le processus qui donne naissance aux violences dans le couple qui est au centre du film ?

Mme Jeanne Fouilleul-Daniel. Le film s’ouvre sur la fin d’un premier cycle. Les violences ont eu lieu, Pilar quitte le domicile avec son fils. Antonio, l’auteur des violences, ne reconnaît pas les faits et il va tenter de se racheter auprès de sa victime afin de la placer à nouveau sous son emprise. Débute alors la « lune de miel » : Pilar réintègre le foyer, poussée par sa mère qui n’aurait pu supporter que sa fille fasse un autre choix que celui qu’elle avait elle-même fait dans des circonstances similaires. Un second cycle s’ouvre alors, les violences vont grandissant. Antonio ne supporte pas que Pilar essaie de mener une vie professionnelle, qu’elle lui échappe. C’est au moment où il ne peut plus la contrôler qu’elle se trouve précisément en danger de mort.

C’est lors de ces séparations que nous rencontrons des femmes comme Pilar. Elles n’ont souvent plus accès à leur maison et, contrairement aux amies de l’héroïne qui l’aident à emporter ses effets personnels, nous ne pouvons les y accompagner puisque cela serait apparenté à une violation de domicile. Souvent, elles n’ont plus rien.

Le film montre également l’importance de l’environnement familial. Or, la majeure partie des victimes que nous rencontrons ne disposent pas d’un tel soutien. Nous nous faisons alors le relais de ces femmes. Pilar a la chance d’avoir une sœur, d’une grande justesse dans son accompagnement, mais qui ne peut faire davantage. Elle doit, en effet, trouver son propre chemin et décider par elle-même. Le rôle de notre association est d’aider ainsi les victimes à trouver leur solution singulière, qui n’appartient qu’à elles.

Le choc post-traumatique est bien décrit, chez l’enfant d’abord, très silencieux, et chez Pilar, qui, au commissariat, ne parvient pas à parler. Les conditions d’accueil y sont d’ailleurs déplorables : Pilar se trouve dans un lieu de passage, reçue par un homme qui n’est pas à l’écoute et ne comprend pas ce qu’elle veut dire par « il a tout cassé ». La plupart du temps, les violences sexuelles ne sont pas évoquées. Les femmes peuvent parfois dire quelques mots dans les groupes de parole, mais le choc est tellement violent que décrire les faits, revient à revivre le traumatisme.

Il est vrai que le contexte social est aujourd’hui plus favorable. Il y a trente ans, les victimes étaient taxées d’ « hystériques ». Le vote des lois a permis leur reconnaissance. L’accueil dans les commissariats s’est modifié. La parole se libère.

Il reste que les enfants de ces femmes n’ont le plus souvent personne à qui se confier. Ce sont de futures victimes, ou de futurs auteurs de violences, à moins qu’ils ne parviennent à symboliser leurs blessures.

Mme Catherine Quéré. Ce film montre la douleur de chacun : celle de la mère de Pilar, qui ferme les yeux pour mieux oublier qu’elle a souffert sa vie durant ; celle de l’enfant, dont le silence est poignant et à la mesure de ses blessures ; celle du mari, qui ne parvient pas à s’en sortir.

Mme Jeanne Fouilleul-Daniel. Si le mari est toujours en difficulté, malgré la thérapie qu’il entreprend, c’est qu’il tente de se soigner pour sa femme, et non pour lui-même. Il ne cherche pas de projet qui pourrait le placer au-delà de cette fusion mortifère. C’est un homme en souffrance, humilié dans son enfance, qui éprouve une angoisse profonde de la séparation, de l’abandon, et ne parvient pas à exister. Pilar le comprend, mais chez les victimes, le glissement de « comprendre » à « excuser » est par trop fréquent.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ce film décrit admirablement l’articulation dramatique des différentes formes de violences, les violences physiques entraînant les violences psychologiques et réciproquement. Pilar prend la décision de partir lorsque ces violences coïncident et sont à leur summum. La tentative d’étranglement et son exposition nue sur le balcon sont aussi l’expression de l’interdiction qui lui est faite d’exister en dehors de son couple.

Cela laisse à penser qu’il faut des événements suffisamment graves pour que la victime choisisse de partir. Comment anticiper ? Comment faire en sorte que ces femmes prennent conscience le plus tôt possible des violences psychologiques qui leur sont infligées, avant que celles-ci n’entraînent des violences physiques à l’issue dramatique ? Nous voulons inscrire dans la loi une définition des violences psychologiques : cela aidera-t-il ces femmes à éviter l’irréparable ?

M. Jean-Luc Pérat. Vous vivez au quotidien ces situations et nous espérons que vous nous aiderez à mieux appréhender ce que sont les violences psychologiques.

Ce film est émouvant en ce qu’il montre les portes de sortie possibles. Je remarque que Pilar est remarquablement bien accompagnée, par sa sœur, ses amies, ses collègues, mais ce n’est pas le cas général.

J’ai été particulièrement touché par l’enfant, dont le silence est terrible. Ses regards, ses quelques mots sont autant de gouttes d’huile qu’il tente de mettre dans les rouages du couple. Dans la mesure où les violences conjugales ont un retentissement sur la personne en construction, l’accompagnement doit aussi prévoir un suivi psychologique des enfants.

Mme la présidente Danielle Bousquet. La semaine passée, la Fédération nationale solidarité femmes nous a expliqué que le délit de violence psychologique pourrait se retourner contre les femmes, l’auteur se présentant lui-même comme victime de harcèlement psychologique. Qu’en pensez-vous ?

Mme Jeanne Fouilleul-Daniel. La première difficulté consiste à étayer l’existence de violences psychologiques devant les tribunaux, les magistrats étant très exigeants sur les éléments de preuve. Aucun médecin ne signe de certificats mentionnant des violences psychologiques et il est difficile de réunir des témoignages, puisque cela se passe dans le huis clos familial – l’homme étant, généralement, bien considéré à l’extérieur. Seuls les textos et les messages vocaux, dont on dispose souvent en très grand nombre – parfois jusqu’à plusieurs dizaines par jour – peuvent prouver l’existence de violences psychologiques.

Il est vrai que les auteurs sont très habiles pour retourner la situation. Sans magistrats avisés – et il n’en existe pas dans tous les tribunaux – nous éprouverons de grandes difficultés. Pour autant, il est important de reconnaître ce type de violences. Parfois, dans les groupes de parole, les victimes disent qu’elles auraient préféré être battues. Les violences psychologiques touchent à l’image de soi, ce qui entraîne une destruction intérieure profonde. Les conséquences sont connues : addiction à la drogue et à l’alcool, dépression, suicide.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Il me semble que définir dans la loi ce qu’est la violence psychologique permettra de faire naître de nouvelles formes de preuve. En outre, la formation des professionnels, qui devra être transversale, permettra à ces femmes d’avoir en face d’elles des personnes « avisées », notamment parmi les magistrats.

Mme Jeanne Fouilleul-Daniel. Il est vrai qu’il faut prendre garde à ce que cette incrimination ne se retourne pas contre ces femmes, qui seraient alors deux fois victimes. Certaines allaient déjà très mal psychologiquement avant d’entamer les démarches, d’autres décompensent au moment de la crise. Je pense à une femme prise d’une flambée d’hystérie lorsqu’elle a dû partir du domicile conjugal, sans ses enfants. Son époux l’a accusée d’abandon de domicile et ses enfants, dont un garçon trisomique, ont été placés. Elle commence seulement à retrouver ses droits, au bout de deux ans.

Mme Muriel Le Goff. Les personnes amenées à recevoir les victimes de violences psychologiques doivent être en mesure de comprendre cette problématique. Les psychologues et les psychiatres doivent évaluer l’état psychique de la victime. « La peur ne se simule pas », comme le dit Marie-France Hirigoyen : il existe des états physiques qui ne laissent aucun doute sur les traumatismes que ces personnes ont vécus.

Notre association privilégie une formation transversale, qui permet de faire travailler ensemble les professionnels et les aide à acquérir une culture commune.

Mme Colette Le Moal. Le film montre, me semble-t-il, l’échec de l’accompagnement psychologique du mari violent. Par ailleurs, il paraît difficile pour une femme victime de se faire aider en amont. Je pense en particulier aux femmes qui vivent avec des malades psychiques.

Mme la présidente Danielle Bousquet. L’aide psychologique est-elle une réponse adaptée ? Cette violence exercée par les hommes à l’encontre des femmes n’est pas comparable aux autres formes de violence, et les auteurs ne sont pas tous des malades psychiques. Il leur faut surtout apprendre à reconstruire leur rôle d’homme dans la société.

Mme Jeanne Fouilleul-Daniel. Dans le groupe de parole auquel participe Antonio se trouvent en effet des hommes qui, tout simplement, ont une représentation sexiste des rapports entre hommes et femmes. Les malades ne sont pas la majorité, mais parmi eux, certains ont développé un comportement violent vis-à-vis de leur partenaire du fait même de leur pathologie. Dans tous les cas, la loi est importante car elle pose des limites. C’est aussi notre mission que d’éduquer les jeunes, de les aider à réprimer leurs pulsions sexuelles débordantes, à traverser ce moment de profondes turbulences qu’est la pré-adolescence. Au collège, aucun adulte n’est là pour les aider, aucun éducateur ne les guide dans ce parcours. Nous avons fait la mixité, mais sans l’accompagner.

La question du vivre-ensemble entre homme et femme existe depuis Adam et Eve. Même si les couples connaissent forcément des rapports dominant/dominé, il revient à la société d’imposer, grâce aux lois, l’égalité entre les hommes et les femmes.

M. Jean-Luc Pérat. Antonio est la seule source de revenus de la famille jusqu’à ce que Pilar découvre qu’elle peut, elle aussi, gagner de l’argent et, en sus, s’épanouir. Les rapports à l’intérieur du couple s’en trouvent profondément modifiés.

Dans le film, l’homme comme la femme se font accompagner chacun de leur côté, l’un dans le cadre d’une psychothérapie de groupe, l’autre par sa sœur et ses amies. Que Pour autant, la thérapie familiale me parait peu adaptée ?

Mme Jeanne Fouilleul-Daniel. La thérapie familiale est complètement inadaptée à ces situations. Le thérapeute doit écouter chacun des protagonistes, à égalité. Par ailleurs, la thérapie risque de répéter les mécanismes déjà à l’œuvre dans le couple, ce qui revient à rabaisser de nouveau la victime. Les expériences qui ont été faites dans ce domaine ont été catastrophiques.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Je vous remercie.

Mme Jeanne Fouilleul-Daniel. Nous sommes heureuses d’avoir pu apporter notre contribution à un débat de société aussi important.

La séance est levée à quinze heures vingt.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Monique Boulestin, Mme Danielle Bousquet, Mme Marie-George Buffet, M. Gilles Cocquempot, Mme Catherine Coutelle, Mme Pascale Crozon, M. Guy Geoffroy, M. Daniel Goldberg, Mme Conchita Lacuey, M. Robert Lecou, Mme Annick Le Loch, Mme Colette Le Moal, M. Bernard Lesterlin, M. Jean-Luc Pérat, Mme Catherine Quéré, M. Jacques Remiller, M. Jean-Louis Touraine

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Martine Martinel, M. Georges Mothron, M. Renaud Muselier