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Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire

Mardi 25 septembre2007

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Jouzel, co-président du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l’environnement « Lutte contre le réchauffement climatique et maîtrise de la demande énergétique »

Le Président Christian Jacob a remercié M. Jean Jouzel, co-président du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l’environnement intitulé « Lutte contre le réchauffement climatique et maîtrise de la demande énergétique», d’avoir accepté d’être entendu par la délégation, ainsi que le rapporteur, Mme Patricia Blanc, et les trois rapporteurs-adjoints de ce groupe de travail, MM. Emeric Burin des Roziers, Hervé Pouliquen, et Philippe Rossinot.

Il a précisé à M. Jouzel que la Délégation souhaitait qu’il fasse le point de l’avancement des travaux de ce groupe de travail mais qu’il ne devait pas hésiter le cas échéant à faire part de ses convictions personnelles sur le sujet.

M. Jean Jouzel a d’abord souligné qu’il co-présidait ce groupe de travail aux côtés d’un économiste, M. Nicholas Stern, ce qui est le signe de l’extension du débat sur le changement climatique au champ économique. On sait en effet maintenant que l’immobilisme dans ce domaine n’est pas économiquement viable.

Le changement climatique a un impact sur beaucoup d’autres questions, qu’il s’agisse de la biodiversité, de l’avenir de l’agriculture, de la pollution et des relations entre santé et environnement, ou encore de la désertification, même si celle-ci ne touche pas la France.

Nous modifions la composition de l’atmosphère de façon rapide et importante. La quantité de chaleur disponible pour chauffer les basses couches de l’atmosphère a augmenté d’environ 1 %. La conséquence en est une augmentation de la température. Le réchauffement est une réalité incontestable, comme l’a souligné le rapport du groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC). À la question de savoir si ce réchauffement est dû à l’action de l’homme, le GIEC a d’abord répondu de façon prudente. Il est maintenant plus affirmatif : il est très probable que le réchauffement climatique soit en grande partie, depuis les années soixante, imputable aux activités humaines.

S’agissant de l’avenir, le diagnostic est également clair.

Première certitude : si nous continuons à émettre des gaz à effet de serre, ils seront de plus en plus présents dans l’atmosphère. Si l’énergie fossile était utilisée sans restrictions, les concentrations en gaz carbonique pourraient être multipliées par trois par rapport à ce qu’elles étaient il y a 200 ans. Le réchauffement global, si l’on n’y prend garde, pourrait ainsi être de 3 ou 4 degrés, ce qui correspondrait à un réchauffement en France de 4 ou 5 degrés dans la deuxième moitié de ce siècle. Ce serait un véritable bouleversement.

Les dirigeants politiques ont pris la mesure du problème, dès la convention Climat de 1992. L’effet de serre doit être stabilisé. Pour cela, il faut stabiliser la concentration en gaz carbonique, donc diminuer les émissions de CO2 par deux ou trois. Pour avoir de bonnes chances de limiter le réchauffement de 2 degrés par rapport à l’an 2000, il faut, d’ici à 2050, diminuer les émissions de 30 à 60 %. L’objectif d’une diminution de 50 % a été retenu par le G8, ce qui témoigne de la prise de conscience des dirigeants politiques. Il importe de préciser qu’une augmentation de 2 degrés constituerait déjà un changement climatique important, qui impose des efforts d’adaptation.

Aux termes de l’article 2 de la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, « la France soutient la définition d'un objectif de division par deux des émissions mondiales de gaz à effet de serre d'ici à 2050, ce qui nécessite, compte tenu des différences de consommation entre pays, une division par quatre ou cinq de ces émissions pour les pays développés. » Cet objectif se décline, au niveau européen, à travers le triple objectif de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, d’améliorer de 20 % l’efficacité énergétique et de satisfaire 20 % des besoins énergétiques à partir de sources d'énergie renouvelables.

S’agissant du Grenelle de l’environnement, le format qui a été adopté semble fonctionner. Les membres du groupe de travail participent avec assiduité aux travaux et formulent de nombreuses propositions. Tous s’accordent à dire que la France doit s’inscrire dans le cadre fixé par ses engagements européens, qu’il s’agisse des émissions de gaz à effet de serre ou de l’efficacité énergétique.

D’ici quatre ou cinq ans, nous saurons si les décisions qui auront été prises étaient les bonnes. Elles ne seront ni neutres ni indolores.

Les membres du groupe de travail ont souligné l’importance de la recherche. Le Grenelle de l’environnement n’aurait d’ailleurs pas vu le jour si la communauté scientifique ne s’était pas montrée capable de délivrer un message clair. La recherche fondamentale constitue un socle important. Elle doit être fortement soutenue. La recherche sur les conséquences du changement climatique est également importante. Elle est multidisciplinaire et doit associer les sciences sociales. Enfin, les objectifs ambitieux que nous devons nous fixer ne seront pas atteints sans un développement technologique important. Les efforts en matière de recherche-développement doivent donc être accrus.

Les propositions d’action du groupe de travail concernent trois grands domaines : les transports, le bâtiment et l’urbanisme, et l’énergie. Les questions relatives à la fiscalité ont été abordées en commun avec le groupe de travail n° 6. Les propositions retenues par le groupe de travail seront détaillées dans son rapport. Toutes n’ont pas fait l’objet d’un consensus. Les réserves éventuelles seront mentionnées dans le rapport principal.

S’agissant de l’énergie, il est préconisé d’aller vers une énergie sobre. Tous les secteurs économiques sont impliqués. Contrairement à ce qu’on a parfois entendu, il est faux de penser que les secteurs qui sont à l’origine de faibles niveaux d’émission devraient être dispensés de fournir des efforts. La sobriété en matière énergétique est de l’intérêt de tous, même indépendamment de la question de l’effet de serre, ne serait-ce que du point de vue de l’indépendance nationale.

Les économies d’énergie dans le bâtiment constituent l’une des premières sources de diminution des émissions. Il convient d’engager dès maintenant un chantier très ambitieux de rénovation énergétique des bâtiments existants. L’objectif doit être de réduire la consommation de 20% dans le tertiaire et de 12% dans les autres bâtiments, et ce à échéance de cinq ans. Cet objectif est partagé par tous les professionnels du bâtiment. L’action sur les bâtiments existants doit être vigoureuse. Elle doit l’être également sur les bâtiments neufs. L’objectif doit être une basse consommation – 50 kilowatts par mètre carré – en 2009-2010 dans 40% des constructions de logements sociaux, les bâtiments neufs devant être passifs en 2020, puis à énergie positive.

Des mesures d’étiquetage sont de nature à sensibiliser chacun de nous dans sa vie quotidienne. Il sera proposé d’étendre l’étiquetage énergie à un grand nombre d’appareils. Quant à l’industrie, elle a beaucoup à gagner à adopter des processus innovants.

Il serait bon aussi que le secteur agricole, qui constitue un émetteur important d’oxyde d’azote, diminue l’utilisation d’engrais azotés. Des mesures fiscales incitatives peuvent l’aider à modifier ses pratiques.

S’agissant des transports, la création d’un observatoire spécifique est très importante. Une série de mesures doivent avoir pour objectif de revenir en 2020 au niveau d’émissions de 1990. L’impact des infrastructures de transport sur l’environnement et sur l’économie doit être évalué. Il est proposé de déclarer d’intérêt général pour la société la promotion de l’utilisation des modes fluvial, ferroviaire et de cabotage maritime pour le transport du fret. L’usage de l’automobile doit être rationalisé. L'émission moyenne de CO2 d’un véhicule est en France de 176 grammes par kilomètre. L’objectif est de passer en 2012 à 120 grammes pour les voitures neuves et d’arriver en 2020 à une moyenne de 130 grammes pour l’ensemble du parc automobile. Il convient par ailleurs de rétablir le vrai coût du transport aérien.

Il est également proposé d’affecter une part importante des ressources de la fiscalité environnementale à l’Agence de financement des infrastructures de transport. Le groupe de travail est favorable à une contribution « Climat-Energie », dont l’assiette n’est pas encore clairement définie. Cependant, d’une manière ou d’une autre, il importe de donner un prix au carbone. Une taxe très progressive pourrait être perçue sur les produits dont le contenu en carbone est élevé. L’État doit orienter les aides publiques vers les projets sobres en carbone et en énergie. Les collectivités territoriales ont fait preuve de beaucoup de volontarisme en la matière.

S’agissant de la production d’énergie, la part des sources d’énergie renouvelables doit s’accroître, jusqu’à atteindre 20 %, si possible 25 %. Il importe de faire des DOM-TOM une vitrine d’excellence, car ils ont des capacités spécifiques.

Un seul point de désaccord est apparu au sein du groupe : certains préconisent l’arrêt de l’EPR, d’autres proposent de s’appuyer sur l’énergie nucléaire pour maintenir un portefeuille énergétique faible en monoxyde de carbone.

Enfin, le lien entre transports et urbanisme est évident. Il est proposé de rendre obligatoires les plans climat-énergie territoriaux, et d’élargir les compétences des intercommunalités en matière d’urbanisme, de règles de construction pour certains quartiers et de transports. Un plan volontariste de développement des transports collectifs est souhaitable. Un code de la rue pourrait être adopté, visant à favoriser les déplacements doux, tels que le vélo et la marche. Un plan volontariste d’éco-quartiers devrait être mis en place. Des mesures doivent être prises pour lutter contre l’étalement urbain.

Le Président Christian Jacob a relevé que M. Jouzel avait davantage parlé des objectifs que des outils permettant de les atteindre. Le groupe a-t-il réfléchi, en matière de fiscalité, à des outils incitatifs, qui peuvent sembler préférables à une conception punitive de la fiscalité ?

M. Serge Poignant a demandé si les travaux du groupe de travail se sont appuyés sur les travaux parlementaires, notamment ceux de la mission d’information sur l’effet de serre qui, sous la précédente législature, avait formulé un certain nombre de propositions.

Par ailleurs, un article récent d’un prix Nobel de chimie suggère que le développement des agrocarburants pourrait considérablement aggraver le changement climatique en cours, en raison des émissions de protoxyde d'azote. Le groupe s’est il penché sur la question ?

M. Philippe Duron a estimé que, s’agissant de l’urbanisme, il convient de lutter contre l’étalement urbain. Dans les régions côtières, la politique d’urbanisme doit tenir compte de l’élévation du niveau de la mer. Ne convient-il pas de renforcer les documents de planification territoriale en les rendant plus prescriptifs ?

Pour ce qui est de l’architecture, le gouvernement ne devrait-il pas favoriser la construction de bâtiments à basse consommation, notamment dans le logement social, par le biais d’incitations financières ou fiscales ?

En tant qu’administrateur de l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF), il s’est déclaré sensible à la proposition d’affecter une part importante des ressources de la fiscalité environnementale à l’agence. Quelles ont été les réflexions du groupe de travail sur le transfert modal et sur la capacité d’améliorer la performance du fret dans notre pays ? Il est bon de valoriser le transport fluvio-maritime, mais il faut convaincre les chargeurs d’avoir recours à ce mode de transport.

Enfin, l’idée d’instaurer une limitation de la vitesse plus stricte sur les routes et les autoroutes est-elle pertinente ?

M. Yanick Paternotte est frappé par le fait que les aspects quantitatifs du problème sont complètement absents des débats. Les problèmes de surpopulation et de faim dans le monde ne sont plus abordés. Or, comment faire face aux enjeux du changement climatique si la population mondiale est multipliée par deux ou trois, sachant que les populations des pays autres que les pays industrialisés ont vocation à accéder à la technologie ?

Par ailleurs, il a suggéré qu’en ce qui concerne le fret, le projet Roissy-CAREX fasse l’objet d’une présentation devant les membres de la Délégation.

M. Philippe Plisson a constaté que le diagnostic avait été présenté de manière très déterminée. Pourtant, M. Jouzel avait presque l’air de s’excuser lorsqu’il en est venu à l’exposé de ses préconisations. Il va pourtant falloir adopter des mesures contraignantes. S’agissant de transports, c’est une véritable révolution qui sera nécessaire. Or, cette révolution passera nécessairement par des mesures réglementaires. Le groupe a-t-il des propositions fortes et opérationnelles à faire ?

En second lieu, compte tenu de l’état du climat et de la situation au niveau mondial, peut-on être optimiste ? Parviendrons-nous à éviter la catastrophe ?

Mme Geneviève Fioraso a rappelé, qu’en ce qui concernait la recherche et l’innovation, la France comptait à présent près de 70 pôles de compétitivité. Est-il bien sérieux d’avoir créé un seul pôle consacré aux énergies renouvelables, lequel, de plus, n’a pas été considéré comme un pôle à vocation mondiale et ne bénéficie pas des investissements les plus importants ? Est-il bien sérieux d’avoir dispersé sur le territoire des centres de recherche dont chacun ne se consacre qu’à l’un des aspects du problème, ici l’hydrogène, là les éoliennes, ailleurs la biomasse ? Ne conviendrait-il pas, en outre, d’accélérer une recherche coopérative au niveau européen ? Sachant que le développement durable est bien un développement, une croissance et non pas une décroissance, il importe de se donner les moyens scientifiques et technologiques de maîtriser ce développement.

Mme Fabienne Labrette-Ménager a relevé que, dans le secteur du bâtiment, les réglementations thermiques en vigueur ne sont pas satisfaisantes. Des propositions seront-elles formulées en la matière ?

M. Jean Jouzel a répondu que les outils de la lutte contre l’effet de serre étaient divers. La taxe carbone et l’instauration d’un bonus-malus sur les véhicules ne sont que deux outils possibles parmi d’autres.

Les outils peuvent être des mesures de réglementation énergétique, l’étiquetage, des prêts bonifiés pour la construction de bâtiments répondant à des critères environnementaux, ce qui demande un effort important de la part du secteur bancaire. Ils peuvent également être un développement de la recherche, technologique ou fondamentale. L’Europe doit jouer un rôle. La recherche énergétique pourrait être réorientée pour un tiers vers les énergies renouvelables, pour un autre tiers vers l’efficacité énergétique, et pour un dernier tiers vers les autres secteurs.

À propos de l’article récent de Paul Crutzen, on ne peut nier que les agrocarburants de première génération ne sont pas sans poser un certain nombre de questions. Les agrocarburants de deuxième génération ont un potentiel beaucoup plus important. Les objectifs fixés n’ont pas été remis en cause, mais le développement des agrocarburants de première génération n’a pas été encouragé pour autant.

Les rapports parlementaires ont nourri la réflexion du groupe de travail, lequel a d’ailleurs repris un certain nombre des propositions qu’ils avaient formulées. L’instauration d’un grand ministère était l’une d’entre elles : ce ministère existe à présent et l’on fonde beaucoup d’espoirs sur lui. Le groupe a également repris la proposition d’une taxe carbone et proposé une diminution de la vitesse de 10 km/h sur toutes les routes.

M. Hervé Pouliquen, rapporteur-adjoint du groupe de travail, a souligné, à propos du bâtiment, que la profession soutenait fortement un renforcement de la réglementation thermique, afin d’atteindre des niveaux de basse consommation en 2015. Construire en 2020 des bâtiments passifs ou à énergie positive constitue une vraie révolution. On devancerait ainsi de quinze à vingt ans le rythme de la réglementation thermique actuelle.

M. Philippe Rossinot, rapporteur-adjoint du groupe de travail, a précisé que, pour le report modal, le groupe de travail avait décidé, dans sa majorité, de proposer un développement du fret ferroviaire, parallèlement à un développement des dessertes de port, du transport fluvial et du transport maritime.

Des mesures réglementaires sont proposées, notamment pour le transport routier de marchandises, alliant la réduction des vitesses maximales pour les poids lourds, la généralisation des péages sans arrêts et la participation des entreprises par le biais d’une obligation d’affichage des émissions de gaz à effet de serre pour chaque prestation de transport.

M. Hervé Pouliquen, rapporteur-adjoint du groupe de travail, a ajouté que, dans le domaine de l’urbanisme, le groupe de travail avait jugé que la question de l’étalement urbain était majeure et suggéré la mise en place de mesures de l’étalement urbain, comme cela se fait dans d’autres pays.

Les plans climat-énergie territoriaux seraient l’occasion de suivre un certain nombre d’indicateurs qui touchent au climat et à l’énergie. Les agglomérations et les communautés de communes, voire les régions, pourraient fixer des objectifs en termes de développement durable.

S’agissant de l’aménagement, le groupe de travail a retenu l’idée de développer les éco-quartiers.

M. Jean Jouzel a indiqué que nombre de mesures passent par une modification de la réglementation au niveau national. Ces mesures doivent être cohérentes avec la stratégie européenne ; elles méritent d’être faites, et même d’être portées au niveau européen, par exemple à l’occasion de la présidence française.

Il a répondu à M. Plisson qu’il était raisonnablement optimiste sur nos chances d’éviter une catastrophe écologique.

En réponse à la question posée par M. Paternotte sur les aspects démographiques, il a précisé que les prévisions du GIEC tenaient compte de l’augmentation de la population mondiale.

Les travaux du groupe s’inscrivent bien dans l’hypothèse d’un développement et non d’une décroissance. Selon Nicholas Stern, la France pourrait, en 2050, avoir multiplié par 2,5 son PIB, tout en ayant divisé par quatre ses émissions de gaz à effet de serre.

L’Inde et la Chine sont conscientes du problème. Il ne faut pas s’imaginer que les Chinois ne font rien. Ils développent des technologies. Il est économiquement porteur de s’orienter vers un développement durable, même si cela peut se traduire par un report d’activités de certains secteurs vers d’autres. L’immobilisme n’est pas une solution.