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Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire

Mardi 9 octobre 2007

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Patrice Parisé, directeur général des routes au ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables

Le président Christian Jacob a accueilli M. Patrice Parisé, directeur général des routes, en rappelant que son audition faisait suite à celles des présidents des six groupes de travail du Grenelle de l’environnement et qu’il était la première des personnalités que la Délégation avait souhaité entendre dans le domaine des voies de communication.

Il lui a demandé quel regard il portait, en tant que directeur général des routes, sur les propositions faites par ces groupes de travail. D’une façon générale, quelles sont les perspectives et les limites en matière de report modal, sachant que la route représente 88 % des transports en France ? Quelle attention la direction des routes porte-t-elle au débat sur la taxation des usagers de la route ou sur l’impact du bruit ou des polluants ? Faut-il adopter une attitude répressive ? Y a-t-il d’autres moyens à imaginer ?

Par ailleurs, la politique d’aménagement du territoire se traduit souvent par une exigence de désenclavement du territoire, ce qui implique le développement du réseau routier. Cependant plus on développe ce réseau, plus on génère de flux de véhicules. C’est la quadrature du cercle.

Au-delà du cadre général, la Délégation est également intéressée par l’avis personnel des personnes auditionnées, qui sont des experts dans leur domaine.

M. Patrice Parisé a souligné qu’il agissait sous l’autorité d’un ministre, mais que, pour autant, ses propos refléteraient aussi bien les orientations du ministre d’État que ses convictions personnelles.

Il est exact que le transport routier représente une large part des transports en France : 88 % pour les voyageurs et 81,5 % pour les marchandises. Cette situation n’est pas susceptible de changer rapidement, compte tenu du poids du transport routier dans notre pays. Ce n’est d’ailleurs pas au niveau des infrastructures que l’on pourra agir le plus efficacement et à court terme si on vise le problème majeur que constitue l’émission des gaz à effet de serre.

Aujourd’hui, le réseau routier français est mature, même s’il reste quelques liaisons à réaliser. Le linéaire de routes mises en service chaque année représente peu par rapport au stock existant. Plus précisément, la France compte 1 million de kilomètres de routes. Le réseau routier national, concédé ou non, en compte 20 000 et le réseau départemental 380 000. Chaque année, sont mis en service en moyenne une centaine de kilomètres concédés d’autoroutes et une centaine de kilomètres de routes à deux fois deux voies sur le réseau national.

Si l’on veut agir de manière significative sur le report modal, il faudra donc le faire surtout par le biais d’outils économiques et d’une politique tarifaire.

Un autre levier peut être utilisé : la répartition des hommes et des activités sur le territoire. Il faut limiter l’étalement urbain, densifier les villes pour limiter les déplacements, mais, là encore, une transformation ne sera possible que sur le long terme.

Cela dit, la route joue en France un rôle économique majeur. Il convient de continuer à assurer le bon fonctionnement du réseau routier dans son ensemble. Il est donc indispensable d’exercer une contrainte raisonnable sur le transport routier, c’est-à-dire supportable économiquement. Il ne faut pénaliser ni la vie économique et sociale ni la compétitivité de notre pays.

Les outils à mettre en jeu seraient de nature essentiellement fiscale, d’où le projet déjà ancien de création d’une taxe pour les poids lourds, qui s’appliquerait sur le réseau routier national non concédé. Cette proposition figurait dans les programmes des candidats à l’élection présidentielle et a été reprise par le groupe de travail numéro 1.

La direction générale des routes a mené des études plus poussées sur ce sujet depuis le début de l’année et se prépare à proposer un dispositif au gouvernement, s’il venait à décider la création d’une telle taxe. Ce dispositif s’appliquerait sur le réseau national non concédé. En effet, il n’est pas possible, sur le réseau autoroutier concédé, de rajouter des taxes aux péages existants. Selon la directive Eurovignette, tout ce qui est perçu au titre de la circulation routière, qu’on l’appelle taxe ou péage, doit correspondre au coût des facteurs : investissement réalisé, entretien et exploitation. Ce qu’on appelle péage en droit français a en fait la qualification de taxe en droit communautaire.

Toujours dans l’optique d’exercer une contrainte raisonnable, une sélectivité plus grande pourrait être appliquée dans la réalisation des projets. Cela suppose, d’abord, de mieux utiliser et de mieux exploiter le réseau routier existant au maximum de ses capacités, en développant certaines méthodes d’exploitation et d’information des usagers. Ensuite, devraient être réalisés en priorité les projets permettant de remédier aux situations de congestion ou d’encombrement les plus graves, situations qui sont déjà identifiées, ainsi que les projets de contournement de certaines grandes agglomérations. La congestion n’est pas un bon moyen de régulation ; elle induit des coûts environnementaux et sociaux assez importants.

Le président Christian Jacob a indiqué que le débat qui s’était instauré autour de la perspective d’un moratoire avait inquiété nombre de ses collègues. Même si tout le monde est conscient des limites de la route, des investissements restent nécessaires. La direction des routes considère-t-elle ce moratoire comme envisageable et économiquement possible ?

M. Patrice Parisé a objecté que la théorie économique ne permettait pas de répondre à cette question. Il existe certes une corrélation entre la mobilité et le développement économique mais cette corrélation est difficile à établir sur un plan scientifique. Personne n’est capable aujourd’hui d’affirmer que si l’on réduit les investissements à hauteur de x millions d’euros, cette réduction se traduira par une réduction de y points sur la croissance. D’ailleurs, certains pays, comme la Grande-Bretagne, ont un réseau routier bien moins développé que le nôtre, tout en ayant, ces dernières années, des taux de croissance supérieurs aux nôtres.

Il faut donc exercer une contrainte. Si l’on construit des routes de telle manière que le transport routier reste durablement le mode de transport le moins coûteux, on ne permettra pas aux autres modes de transport de se développer.

Le président Christian Jacob a demandé si la direction des routes s’était intéressée aux matériaux utilisés pour la construction des routes. Dans ce domaine en effet, la technologie avance rapidement.

M. Patrice Parisé a répondu que cette question avait effectivement été abordée sous l’angle du développement durable. La route a un impact sur l’environnement, déjà en raison des véhicules qui l’utilisent ; elle en a aussi un autre au moment de sa construction, en raison des ressources naturelles et des matériaux employés ; elle en a aussi un autre sur les riverains. Le bruit, notamment, est la nuisance la plus mal ressentie.

La direction développe, au stade de la construction des routes, une politique d’innovation qui vise, par exemple, à favoriser le recyclage des déchets. Elle soutient les initiatives des entreprises sur les programmes de recherche et d’innovation.

Elle incite les entreprises à réutiliser dans les couches de chaussées des matériaux anciens et des matériaux de démolition. Elle cherche à convaincre les maîtres d’ouvrage qu’ils peuvent atteindre des taux de réemploi élevés dans les chaussées, jusqu’à 30 ou 40 %, sans prendre de risques pour autant. Elle favorise la recherche sur les liants qui n’utilisent pas le bitume, ainsi que sur les liants végétaux. Elle s’intéresse aux enrobés mis en oeuvre à basse température, en dessous des 160 ou 180 degrés habituels ; cela permet de limiter la consommation d’énergie et le rejet des déchets dans l’atmosphère.

La direction continue à mener une politique active de lutte contre le bruit. Les couches de roulement ont fait d’énormes progrès dans les quinze dernières années.

Enfin, en cas de projet important, les eaux ne sont plus rejetées directement dans le milieu naturel, elles sont récupérées et traitées avant rejet.

Il faut remarquer que le transport routier dans son ensemble représente 26 % du total des émissions des gaz à effet de serre. Les véhicules légers y participent pour moitié. Et sur ces 26 %, la moitié est due aux trajets de courte et de moyenne distance, sur des parcours inférieurs à 50 kilomètres, essentiellement urbains et périurbains.

Le président Christian Jacob en a conclu que si un système de taxation des poids lourds était mis en place, il ne concernerait que 13 % des émissions de gaz à effet de serre émises.

M. Philippe Vigier a abordé la question du moratoire, qui consisterait à ne plus construire d’infrastructures nouvelles et à se contenter de mener à bien les opérations en cours. Or la commission nationale du débat public n’a pas été saisie sur des dossiers justement en cours depuis plusieurs mois. Il a demandé à M. Parisé comment il envisageait l’évolution de ces projets-là.

Le réseau départemental couvre 400 000 kilomètres, et le réseau national 20 000. Quelles initiatives ont été prises en direction des départements ? Il conviendrait de mener une action concertée en matière de lutte contre les gaz à effet de serre. Des chartes de l’environnement ont été mises en place dans de nombreux départements mais une démarche structurée vis-à-vis du réseau routier départemental serait utile.

Qu’y aura-t-il dans les programmes de développement et de modernisation d’itinéraires (PDMI) ? Ceux-ci devraient logiquement s’inscrire dans les exigences gouvernementales de développement durable. Il y a par ailleurs certaines agglomérations et certains réseaux routiers qui sont très encombrés. Il faut donc faire ressortir le bilan écologique global. L’augmentation du taux de réemploi des matériaux, qui atteint par exemple dans le département de l’Eure-et-Loir 50% grâce aux expérimentations menées, permettra d’améliorer ce bilan.

La logistique est un secteur pourvoyeur de nombreux emplois. Il est déjà attaqué de plein fouet par des pays européens qui n’ont pas les mêmes règles sociales et environnementales. La taxation envisagée sur le réseau non concédé pour les poids lourds concernera-t-elle les camions étrangers ? Si ce n’est pas le cas, on risque d’aggraver les distorsions et d’affaiblir encore le réseau français des transporteurs.

M. Patrice Parisé a rétorqué que, bien au contraire, la taxation des poids lourds, telle qu’elle est envisagée, serait de nature à réduire les distorsions de concurrence. Aujourd’hui, sur le réseau non concédé, les poids lourds français sont déjà taxés par le biais de l’acquittement de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP), même s’il n’y a pas de péage. Or, un grand nombre de poids lourds étrangers, espagnols ou du nord de l’Europe, sont capables de traverser notre pays sans devoir faire le plein de carburant, d’où un manque à gagner et une distorsion de concurrence avec les transporteurs nationaux qui s’approvisionnent le plus souvent en France et paient, eux, cette TIPP. Si l’on met en place une taxe poids lourds comme celle qui existe en Allemagne, la totalité des transporteurs routiers, qu’ils soient français ou étrangers, supporteront la taxe.

Le ministre n’a jamais confirmé ce moratoire. Il n’est pas question de mener une politique malthusienne et de ne plus rien faire du tout. Le transport routier représente une part importante du transport en France et il faut éviter de pénaliser notre économie.

Cela dit, le réseau routier français est plutôt bien développé par rapport à d’autres pays et l’on devra probablement être plus sélectif s’agissant des projets. C’est pourquoi certains d’entre eux - notamment ceux élaborés dans le cadre des PDMI ou les projets autoroutiers pour lesquels une consultation n’est pas engagée- devront être réexaminés en fonction des orientations que le Gouvernement arrêtera à l’issue du Grenelle de l’environnement.

Le réseau national représente 20 000 kilomètres ; il reçoit 25 % du trafic et l’essentiel du trafic lourd. Il faudra être attentif aux effets de report. Si l’on instaure une taxe sur le réseau national, le trafic risque de se reporter sur d’autres réseaux. Si la décision est prise, ce qui n’est pas le cas, il faudra rendre possible l’incorporation, dans le réseau taxé, de routes appartenant aux collectivités locales.

M. Philippe Vigier a fait remarquer que la loi permettait d’ores et déjà aux départements de lever une sorte de péage pour accéder à certains ouvrages.

M. Patrice Parisé a répondu que l’on n’utiliserait pas un tel moyen. L’idée est de mettre en place, sur le réseau structurant, c’est-à-dire sur le réseau routier national, une taxation.

Plusieurs systèmes sont possibles. Le système suisse consiste en une taxation au premier kilomètre, quel que soit le réseau emprunté, et en fonction du kilométrage parcouru. L’idée est qu’il faut lutter contre les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du territoire. Ce système a l’avantage d’éviter les reports de trafic sur des itinéraires qui ne sont pas conçus pour cela. Le système allemand est différent : c’est le réseau autoroutier qui est taxé. Il s’en est suivi dans un premier temps un report sur les itinéraires non taxés, et les Allemands ont dû corriger leur dispositif.

Si la décision était prise de taxer le réseau routier national, un report s’effectuerait immanquablement sur certaines voies adjacentes, lorsque cela est possible. Il faudrait évaluer ce report et permettre aux collectivités qui le souhaitent d’incorporer la zone concernée au système général de taxation mis en place. On ne serait plus dans le cadre d’une concession, mais dans celui de la taxation d’un réseau, indépendamment de toute opération de construction d’un viaduc, d’un tunnel ou d’un autre ouvrage.

Les PDMI ont été inventés au moment où le Gouvernement a décidé de ne plus faire figurer les aménagements routiers dans les nouveaux contrats de projets. La direction des routes considère qu’il faut avoir une vision pluriannuelle pour mener à bien les grands projets d’aménagement routier qui se développent sur des cycles longs, en moyenne une douzaine d’années. On ne peut pas décider au coup par coup, année après année. Il faut préparer les études, mener les procédures et utiliser rationnellement les moyens budgétaires et humains nécessaires à la réalisation d’un investissement routier.

Le précédent gouvernement avait indiqué que les collectivités ne seraient pas sollicitées et que l’État prendrait ses responsabilités et financerait les opérations sur son réseau. Il a semblé néanmoins légitime de demander aux collectivités territoriales leur avis sur la préparation de la programmation que l’État avait engagée. Ce processus avait été initié avant le changement de gouvernement. Pour l’instant, il est interrompu dans l’attente des orientations gouvernementales, lorsque l’on connaîtra, notamment, l’importance des moyens qui seront finalement consacrés au développement du réseau. La poursuite de cette programmation pluriannuelle dépend des orientations qui sortiront de la concertation sur le développement durable.

M. Bernard Lesterlin a exprimé la crainte que la nouvelle fiscalité envisagée ait des effets pervers, provoquant notamment des reports de trafic selon la qualification des routes. Il a cité l’exemple de la RCEA – la route centre Europe Atlantique - qui a une vocation de liaison internationale de l’Europe de l’Est à la péninsule ibérique et au-delà et celui de l’articulation de l’A 71 et de l’A 75 qui a permis le désenclavement du Massif central.

Si l’on envisageait de concéder le passage définitif à deux fois deux voies de la RCEA, ne risquerait-on pas de créer un report de trafic sur des voies actuellement conçues sans péage ? Certes, on pourrait rentabiliser le viaduc de Millau par un péage, mais cela aurait des effets pervers en matière d’aménagement du territoire et de fluidité du trafic international.

Nous avons été confrontés il y a quelques années à la concurrence entre le transport aérien sur les lignes domestiques et le TGV. Il ne faudrait provoquer une concurrence entre la route et le rail. Mieux vaudrait procéder à des rattrapages sur le rail pour qu’une partie du trafic qui encombre nos routes et produit beaucoup de gaz à effet de serre soit progressivement transférée sur le rail.

La direction des routes a-t-elle réfléchi avec RFF et la SNCF à la manière d’éviter les situations de concurrence entre les différents modes de transports et de créer de véritables complémentarités ?

La route a l’avantage d’être faite aussi bien pour le long cours que pour le cabotage. Cela amène à réfléchir sur la fiscalité et sur le financement du développement durable, qui devrait sans doute être envisagé à l’échelon communautaire et international plutôt qu’à l’échelon strictement national. Les utilisateurs de la route ont parfois des comportements qui ne concourent pas au développement durable et à un aménagement logique du territoire sur le sol national.

M. Patrice Parisé a indiqué qu’on avait hérité de quarante ou cinquante ans de développement du réseau concédé, qui ne constitue pas un modèle de cohérence : certaines autoroutes sont à péage, d’autres pas. Quelques axes, pour des raisons d’aménagement du territoire, étaient libres de péage, mais ils ne le sont plus pour des raisons de contraintes budgétaires. À l’heure actuelle, lorsque doit être réalisée de manière urgente une infrastructure et que les moyens de l’État et des collectivités ne permettent pas de la réaliser dans un délai acceptable, on choisit la concession lorsque c’est possible. En conséquence, aujourd’hui, il n’y a pas de cohérence entre ce qui est payant et ce qui est gratuit.

Il faut savoir que le réseau routier structurant, c’est-à-dire le réseau national, comprend près de 15 000 kilomètres de type voie expresse ou autoroutier, sur un total de 20 000 kilomètres et que 8300 kilomètres correspondent à des routes concédées. Dès qu’on commence à mettre en place une tarification, même à un niveau faible, on provoque des reports.

Aujourd’hui, on ne peut pas considérer que le réseau routier soit utilisé de façon optimale, du fait que certains axes sont gratuits et d’autres sont payants. L’instauration d’une taxe sur le réseau auparavant gratuit permettrait de redonner une certaine cohérence à l’utilisation du réseau.

L’exemple de la RN 10 et de l’autoroute A 10 est célèbre. Comme la première était gratuite et la seconde payante, des hordes de camions ont emprunté la RN 10. Il a fallu aménager la RN 10 mais cela a attiré de plus en plus de camions. C’est l’archétype du dysfonctionnement : une route qui n’a pas été conçue pour cela accueille un fort trafic de poids lourds.

Le fait de mettre en place une taxe, même inférieure à celle du réseau autoroutier, va dans le sens de la cohérence et d’une meilleure utilisation du réseau. Les poids lourds sont en effet incités à rouler sur les voies qui sont faites pour les accueillir et pas sur d’autres, qui n’ont pas été faites pour cela.

S’agissant de la concurrence par rapport au réseau ferré, le fait d’exercer une contrainte sur un mode de transport en appliquant une tarification supérieure va modifier le comportement des chargeurs et des logisticiens qui feront leurs comptes. Une partie de la demande de transport se déplacera vers les autres modes, en particulier vers le ferroviaire. Néanmoins, il faut le faire de manière raisonnable, c’est-à-dire supportable, dans la mesure où le transport routier représente 80 % du trafic, tant pour les voyageurs que pour les marchandises. Taxer fortement ce dernier tant qu’il n’existe pas d’alternative serait contreproductif. Tout le monde sait bien qu’aujourd’hui le ferroviaire n’est pas en mesure d’absorber ce qui transite par la route. En revanche, une politique tarifaire incitant de manière raisonnable à la modification des comportements ne peut qu’aller dans le bon sens.

M. Bernard Lesterlin a fait remarquer à M. Parisé qu’il avait fait une réponse très nationale et qu’il n’avait pas évoqué le niveau pertinent de décision, tant sur la programmation à long terme des infrastructures que sur la taxation. Il lui a demandé si l’avancement de ses réflexions ne l’avait pas amené à envisager une harmonisation tarifaire et fiscale à l’échelle communautaire.

M. Patrice Parisé a répété que la France était soumise à la directive Eurovignette, qui imposait une tarification au coût des facteurs. Sauf exception, on ne peut mettre dans le prix du péage ou de la taxe que la valeur non amortie de l’infrastructure et ses coûts d’entretien et d’exploitation. Il n’est pas possible d’aller au-delà, quel que soit le mode de tarification ; d’ailleurs, en droit européen, la tarification des routes est toujours qualifiée de péage. Il n’est donc pas admis d’internaliser certains coûts externes : coûts de congestion, coûts environnementaux. Néanmoins, la Commission réfléchit à une évolution de la directive, qui permettrait d’introduire des coûts environnementaux.

Lors des discussions qui avaient eu lieu lors de l’adoption de la dernière directive, les tenants de l’internalisation de certains coûts avaient proposé, entre autres, l’intégration d’une écotaxe et la prise en compte de divers facteurs. Cette proposition, défendue par la France, avait été vigoureusement combattue par les pays de la périphérie. Les pays du centre de l’Europe sont traversés plus que les autres par les camions alors que leurs besoins, en termes de transports, sont, par définition, beaucoup moins importants que ceux des pays de la périphérie. Et ces derniers ont veillé à ce que l’on ne renchérisse pas le prix de leurs transports. Voilà pourquoi la directive Eurovignette ne comporte pas d’internalisation des coûts externes.

De ce point de vue, il existe une certaine contradiction entre cette directive et le Livre vert de la Commission sur les questions de développement durable et de régulation des transports, qui plaidait pour l’évolution que la France appelle de ses vœux.

M. Philippe Boënnec s’est demandé comment concilier l’écologie, l’économie et l’aménagement du territoire. Aujourd’hui, tout ce qui concerne les grands ouvrages, les autoroutes, est un peu mis à l’index. Le développement durable aura sûrement des effets positifs sur l’économie ; par exemple, il permettra l’apparition de nouveaux métiers. Reste que le pays a besoin de croissance et que, dans certains secteurs, l’aménagement du territoire est insuffisant. Comment pourra-t-on faire ressortir les grands dossiers d’aménagement ?

Les élus riverains de l’estuaire de la Loire déplorent les problèmes de franchissement de ce fleuve. L’autoroute des estuaires est fondamentale pour la région ; il faut tenir compte de l’existence d’un aéroport international, d’un port autonome et détourner le trafic de certaines agglomérations. Il faudra bien réaliser des équipements pour permettre à l’économie de se structurer. Si l’on veut mettre en place les autoroutes de la mer, il est indispensable de pouvoir amener des camions jusqu’au port autonome, ce qui n’est pas possible actuellement.

Comment ces projets seront-ils traités demain ? Comment les conflits d’usages seront-ils résolus ? Est-ce que l’on décidera de ne plus faire de grands ouvrages sur des sites aussi sensibles ?

Le président Christian Jacob a résumé les interrogations de nombreux parlementaires : est-ce que le développement économique est compatible aujourd’hui avec le respect de l’environnement ? Tout le monde est sensible aux questions d’environnement. Pour autant, il n’est pas question d’entrer dans une logique de décroissance.

M. Patrice Parisé a répondu que si l’on n’exerçait pas de contraintes sur le transport routier et que, chaque fois que se présentait un problème de transport, on créait un nouveau pont ou une voie supplémentaire, on ne permettrait jamais aux modes alternatifs de se développer. Néanmoins, il n’a jamais été dans le propos du Gouvernement, en particulier du ministre d’État, de dire qu’on ne construirait plus de routes, qu’on arrêterait tout et qu’on ferait un moratoire.

Il faut adopter une attitude raisonnable et équilibrée. Reste à savoir comment s’y prendre. Il faudra sans doute adopter un rythme d’investissement un peu inférieur à celui de ces dernières années.

On peut construire 50 kilomètres plutôt que 100 kilomètres de routes par an, on peut mener une politique de l’urbanisme et de l’habitat en limitant l’étalement urbain, mais cela ne changera pas fondamentalement la donne. Si l’on veut changer la donne, il faut investir massivement dans les modes de transport, notamment le ferroviaire, et consentir un important effort de recherche sur les motorisations, développer de nouvelles technologies de moteurs propres, ce qui, par ailleurs, placerait l’industrie automobile dans une excellente position.

Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas réduire un peu les investissements sur les routes, tarifer le réseau routier national non concédé, mener une politique raisonnée du logement et de l’urbanisme. On doit s’engager dans ce sens-là, même si ce doit être long.

Pour avoir des résultats forts à relativement court terme, sans contrarier à l’extrême les citoyens français qui aiment bien leur voiture, et sans pénaliser le transport routier qui est indispensable au fonctionnement de l’économie, il conviendrait donc d’aller vers une rupture technique et technologique en matière de motorisation.

M. Philippe Boënnec a rétorqué que sa question portait plutôt sur l’aménagement du territoire. Les ports autonomes, notamment dans l’estuaire de la Loire, souffrent d’un fort déficit d’aménagement. Si l’on se promène à Amsterdam ou à Rotterdam, la situation y est bien différente. Il faudra bien, tout en protégeant notre environnement, mettre en place des équipements permettant de disposer d’une économie aussi forte. Le potentiel est gigantesque. Arrêter tout aménagement conduirait à une récession économique.

M. Patrice Parisé a reconnu que le sujet était d’une extraordinaire complexité, mais qu’il n’était dans l’esprit de personne de tout arrêter.

Le président Christian Jacob a indiqué que, dans le cadre des contrats d’itinéraires, le préfet était chargé de faire remonter les dossiers prioritaires. Il appartient alors au directeur des routes d’intervenir.

M. Philippe Boënnec a remarqué que, pour tous ces grands projets, il fallait faire un écobilan global.

M. Patrice Parisé a observé qu’auparavant, la contrainte environnementale n’était pas aussi prégnante, mais que la contrainte budgétaire était déjà là.

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